Vendredi 16/10/2015

Vendredi 16/10/2015
«Le travail humain subira le même sort que celui des chevaux au début du XXème siècle»
Wassily Leontief en 1983
cité par Stéphane Paoli dans son émission AGORA
Wassily Leontief (né le 5 août 1906 à Munich et décédé le 5 février 1999 à New York) est un économiste américano-soviétique qui a été lauréat du « prix Nobel » d’économie en 1973.
Bien avant Google (créé en 1998) ou le Web (début 1990), cet économiste évoquait déjà le problème qui nous semble de plus en plus prégnant.
Dans cette émission très intéressante Paoli avait invité la sociologue Dominique Méda et aussi l’ancien ministre du travail et de la santé Xavier Bertrand
Xavier Bertrand a cité le <Le Rapport Boissonnat de 1995 – Le travail dans 20 ans> dont Dominique Méda avait été la rapporteuse
Il est en effet intéressant de revenir sur ce rapport puisque vous pouvez calculer 1995 + 20  = 2015 donc aujourd’hui.
Ce rapport avait conclu à quatre scénarios pour le futur:
« Le premier scénario du de « l’enlisement » se caractérise par un environnement international peu coopératif (le projet européen avorte ) ; des comportements individuels de  repli, privilégiant le revenu par rapport au temps ; une incapacité de faire évoluer la  répartition entre temps de travail et temps libre ; une segmentation rigide du système productif ; un État condamné à jouer en même temps le rôle de gendarme et celui de providence. La France continue de s’épuiser à endiguer le chômage, qu’aucune reprise économique ne parvient à résorber, et à  financer la survie des  laissés-pour-compte. Chaque élection reste l’occasion de condamner le passé au nom du chômage et de promettre l’avenir en recommençant ce qui a déjà échoué. Jusqu’au jour  de l’inévitable explosion.
Le deuxième scénario du « chacun pour soi » est f ondé sur un système productif qui s’offre à l’arbitrage de la compétition internationale ; les écarts de revenus grandissent (on  laisse le SMIC dépérir) ; le pourvoir normatif en matière de réglementation du travail est dévolu à l’entreprise, avec des syndicats toujours plus affaiblis. Dans ce scénario, la France se rapprocherait du modèle américain : le chômage recule, la précarité et  la pauvreté s’accroissent ou ne reculent pas.
Le troisième scénario de « l’adaptation » croise un environnement assez peu coopératif avec un système  productif plus innovant, des comportements plus ouverts à l’arbitrage entre les revenu et le temps de  travail et la construction progressive d’un nouveau cadre juridique des relations du travail, incorporant  une réduction de la durée du travail. Cela débouche sur une meilleure conciliation entre la cohésion sociale et l’ouverture du monde.
Le quatrième scénario de « coopération » présente un mode de développement  idéal dans lequel se renforcent mutuellement un environnement coopératif (en Europe et dans le  monde), une mutation réussie du système productif orienté vers la performance globale, une acceptation sociale du temps choisi, et une reconstruction radicale du cadre institutionnel du travail dans lequel patronat, syndicats et État coopèrent sans empiéter sur les responsabilités des autres
Xavier Bertrand a reconnu que de ces 4 scénarios, c’est le pire, le premier, qui l’a emporté et il a reconnu la pertinence de cette prospective. Et il a ajouté : cela montre l’échec collectif au delà des clivages politiques et : «personne ne peut donner des leçons. Nous continuons à dire les autres sont des nuls et que moi je vais être superman, ce n’est pas vrai. Ce n’est pas en reprenant les mêmes solutions que l’on s’en sortira. Tout le monde doit se remettre en cause.»
J’aime que ce soit un homme politique dans l’opposition qui soit capable de dire cela, car en général quand les politiques sont au pouvoir, ils font preuve d’une imagination débordante pour expliquer que c’est très très compliqué et qu’ils ne s’attendaient pas à une situation aussi dégradée, et quand ils sont dans l’opposition pour dire que ceux qui sont au pouvoir sont nuls et que si on leur donne le pouvoir tout va changer.

Jeudi 15/10/2015

Jeudi 15/10/2015
«Aujourd’hui, suite à une panne internet,
je suis descendu discuter avec ma famille.
Ils ont l’air sympa.»
Propos de jeune geek qui vit chez ses parents
Très court, très simple et très juste
PS : Il faut bien un peu plus légèreté après  «la consistance» de Fernand Braudel et de Frédéric Lordon

Mercredi 14 octobre 2015

« Sans doute la conscience immédiate se cabre-t-elle spontanément à la seule image générique d’une violence faite à un homme par d’autres hommes. Mais précisément, elle ne se cabre que parce que cette image est la seule, et qu’elle n’est pas mise en regard d’autres images, »
Frédéric Lordon
Nous nous souvenons que Frédéric Lordon est l’auteur de l’inoubliable pièce de théâtre sur la crise financière en alexandrin  «D’un retournement l’autre : comédie sérieuse sur la crise financière : en trois actes»
Où on lit par exemple :
« – vos actes sont parlants, surtout leur hiérarchie,
qui disent quel est l’ordre où les gens sont servis :
d’abord les créanciers, le peuple s’il en reste,
voilà en résumé la trahison funeste. »
Le Nouveau deuxième conseiller au premier ministre
D’un retournement l’autre, acte IV, scène 3.
Il a publié une tribune pour laquelle il a donné comme titre <Le parti de la liquette> où il revient sur cet épisode de « dialogue social » qui se termine avec des actes de violence à l’égard du DRH de Air France et surtout de personnels de sécurité (plus gravement touchés).
J’ai beaucoup hésité avant d’envoyer ce mot du jour, car cette tribune de Frédéric Lordon peut être interprétée comme un appel à la violence. Or je suis convaincu que la violence ne règlera rien car elle est soit utilisée par les forces du conservatisme et du pouvoir pour justifier le recours à une répression accrue, soit si la révolution l’emporte, la porte ouverte aux plus radicaux, souvent totalitaires dans l’âme pour s’emparer du pouvoir.
En outre, Air France est en grande difficulté. Nous savons que les compagnies aériennes peuvent disparaître. La mythique PANAM a disparu, de même parmi nos voisins la SABENA ou SWISSAIR.
Alors il faut être prudent pour le cas particulier d’Air France.
Toutefois il est toujours stimulant de lire ou d’écouter Frédéric Lordon qui est un des intellectuels actuels les plus stimulants que je connaisse. Son argumentation est toujours forte et il déconstruit de manière remarquable les discours « raisonnables » de la pensée unique.
Cela ne signifie pas qu’il ait raison, mais il me semble important de le lire.
Il publie un blog sur le Monde Diplomatique. http://blog.mondediplo.net/-La-pompe-a-phynance-
J’ai également mis sa Tribune en pièce jointe. Et je vous livre ici quelques extraits qui vont à l’encontre de la quasi unanimité des articles des médias :
«Si l’on avait le goût de l’ironie, on dirait que le lamento décliniste ne se relèvera pas d’un coup pareil, d’une infirmation aussi catégorique ! Coup d’arrêt au déclin ! Mais l’ironie n’enlève pas la part de vérité, fut-elle ténue : un pays où les hommes du capital finissent en liquette est un pays qui a cessé de décliner, un pays qui commence à se relever. Car, dans la tyrannie du capital comme en toute tyrannie, le premier geste du relèvement, c’est de sortir de la peur.
Le capitalisme néolibéral règne à la peur. Il a été assez bête, demandant toujours davantage, pour ne plus se contenter de régner à l’anesthésie sucrée de la consommation. La consommation et la sécurité sociale étaient les deux piliers de sa viabilité politique. Le voilà qui s’acharne à détruire le second – mais Marx ne se moquait-il pas déjà « des intérêts bornés et malpropres » de la bourgeoisie, incapable d’arbitrer entre profits financiers immédiats et bénéfices politiques de long terme, acharnée à ne rien céder même quand ce qu’il y a à céder gage la viabilité de longue période de son règne ?
Sans doute, en comparaison, l’ankylose par le gavage marchand continue-t-elle de recevoir les plus grands soins. Tout est fait d’ailleurs pour convaincre l’individu qu’en lui, seul le consommateur compte, et que c’est pour lui qu’on commerce avec le Bangladesh, qu’on ouvre les magasins le dimanche et… que « les plans sociaux augmentent la compétitivité pour faire baisser les prix ». « Oubliez le salarié qui est en vous » est l’injonction subliminale mais constamment répétée, pour que cette identité secondaire de producteur disparaisse du paysage. […]
L’accès à la consommation élargie aura sans doute été l’opérateur passionnel le plus efficace de la stabilisation politique du capitalisme. Mais, sauvé des eaux au sortir de la séquence Grande Dépression-Guerre mondiale, le capitalisme n’a pas manqué de se réarmer dans le désir de la reconquête, et d’entreprendre de revenir sur tout ce qu’il avait dû lâcher pendant les décennies fordiennes… et à quoi il avait dû son salut. Néolibéralisme est le nom de la reconquista, le nom du capitalisme sûr de sa force et décidé à obtenir rien moins que tout. Le capital entend désormais se donner libre cours. Toute avancée sociale est un frein à ôter, toute résistance salariale un obstacle à détruire. […]
Comme de juste, la menace qui fait tout le pouvoir du capital et de ses hommes, menace du renvoi des individus ordinaires au néant, cette menace n’a pas même besoin d’être proférée pour être opératoire. Quoi qu’en aient les recouvrements combinés de la logomachie managériale, de l’idéologie économiciste et de la propagande médiatique, le fond de chantage qui, en dernière analyse, donne toute sa force au rapport d’enrôlement salarial est, sinon constamment présent à l’esprit de tous, du moins prêt à resurgir au moindre conflit, même le plus local, le plus « interpersonnel », où se fait connaître dans toute son évidence la différence hiérarchique du supérieur et du subordonné – et où l’on voit lequel « tient » l’autre et par quoi : un simple geste de la tête qui lui montre la porte.
Il faut donc, en particulier, toute l’ignominie du discours de la théorie économique orthodoxe pour oser soutenir que salariés et employeurs, adéquatement rebaptisés sous les étiquettes neutralisantes d’« offreurs » et de « demandeurs » de travail – car, au fait oui, si dans la vraie vie ce sont les salariés qui « demandent un emploi », dans le monde enchanté de la théorie ils « offrent du travail » ; autant dire qu’ils sont quasiment en position de force… –, il faut donc toute la force de défiguration du discours de la théorie économique pour nous présenter l’inégalité fondamentale de la subordination salariale comme une relation parfaitement équitable entre co-contractants symétriques et égaux en droit. […]
La réalité du salariat c’est le chantage, et la réalité du chantage c’est qu’il y a une inégalité entre celui qui chante et celui qui fait chanter – on ne se porte pas identiquement à l’une ou l’autre extrémité du revolver. Même les salariés les plus favorisés, c’est-à-dire les plus portés à vivre leur enrôlement sur le mode enchanté de la coopération constructive, et à trouver scandaleusement outrancier qu’on en parle dans des termes aussi péjoratifs, même ces salariés sont toujours à temps de faire l’expérience du voile déchiré, et de l’os à nouveau découvert. […]
Sans doute la conscience immédiate se cabre-t-elle spontanément à la seule image générique d’une violence faite à un homme par d’autres hommes. Mais précisément, elle ne se cabre que parce que cette image est la seule, et qu’elle n’est pas mise en regard d’autres images, d’ailleurs la plupart du temps manquantes : l’image des derniers instants d’un suicidé au moment de se jeter, l’image des nuits blanches d’angoisse quand on pressent que « ça va tomber », l’image des visages dévastés à l’annonce du licenciement, l’image des vies en miettes, des familles explosées par les tensions matérielles, de la chute dans la rue. Or rien ne justifie le monopole de la dernière image – celle du DRH. Et pourtant, ce monopole n’étant pas contesté, l’image monopolistique est presque sûre de l’emporter sur l’évocation de tous les désastres de la vie salariale qui, faute de figurations, restent à l’état d’idées abstraites – certaines d’avoir le dessous face à la vivacité d’une image concrète. Et comme le système médiatique s’y entend pour faire le tri des images, adéquatement à son point de vue, pour nous en montrer en boucle certaines et jamais les autres, c’est à l’imagination qu’il revient, comme d’ailleurs son nom l’indique, de nous figurer par images mentales les choses absentes, et dont l’absence (organisée) est bien faite pour envoyer le jugement réflexe dans une direction et pas dans l’autre. Dans son incontestable vérité apparente, l’image isolée du DRH est une troncature, et par conséquent un mensonge. […]
Battue par trois décennies de néolibéralisme, la société en arrive à un point à la fois de souffrance et d’impossibilité où la question de la violence en politique va devoir se poser à nouveaux frais, question tabouisée par excellence et pourtant rendue inévitable au point de faillite de tous les médiateurs symboliques où nous sommes. […]
Epreuve de force et épreuve de vérité. Car la presse tombe le masque quand l’ordre de la domination capitaliste est réellement pris à partie, fut-ce très localement, et qu’il l’est de la seule manière que les dominés aient à leur disposition, puisque abandonnés de tous, sans le moindre espoir que leur parole soit portée ni dans le cénacle des institutions politiques ni dans l’opinion publique par un canal médiatique mentalement et financièrement inféodé, privés donc de tous les recours de la lutte symbolique, ils n’ont plus que leur bras pour exprimer leur colère.
[…] cette inimitable touche d’arrogance ajoutée par les dominants aux structures de leur domination. Et c’est vrai que le parti du capital, futur parti de la liquette, n’en aura pas manqué. Depuis les rires gras de l’assistance patronale de Royaumont entendant de Juniac briser quelques « tabous » de son cru, comme le travail des enfants ou l’emprisonnement des grévistes, jusque, dans un autre genre, aux selfies rigolards venant couronner des années de consciencieux efforts pour expliquer aux peuples européens dévastés par l’austérité qu’ils l’avaient bien cherchée.
Quand la loi a démissionné, les dominants ne connaissent qu’une force de rappel susceptible de les reconduire à un peu de décence : la peur – encore elle. C’est bien celle que leur inspirait le bloc soviétique qui les a tenus à carreaux pendant les décennies fordiennes. À des individus que le sens de l’histoire n’étouffe pas, la chute du Mur et l’effacement du mouvement communiste n’ont rien signifié d’autre qu’« open bar ». Dans cette pensée dostoïevskienne du pauvre, ou plus exactement du nouveau riche, « si le communisme est mort, alors tout est permis ». L’instance externe de la peur effondrée, et l’instance interne de la contention – le pouvoir politique – passée avec armes et bagages du côté des forces qu’elle avait à contenir, la peur ne retrouvera plus d’autre origine que diffuse et immanente : elle viendra du bas – du bas qui se soulève.
Les dévots qui se sont engagés corps et âme dans la défense d’un ordre ignoble et forment sans le savoir l’avant-garde de la guenille, sont encore trop bêtes pour comprendre que leur faire peur en mots – ou bien en tartes à la crème – est la dernière solution pour leur éviter de connaître plus sérieusement la peur – dont ils ne doivent pas douter qu’elle viendra, aussi vrai qu’une cocotte sans soupape finit par exploser. Aussi s’empresseront-ils d’incriminer les « apologètes de la violence » sans même comprendre que signaler l’arrivée au point de violence, le moment où, du fond de l’impasse, elle va se manifester, est le plus sûr moyen, en fait le seul, de forcer la réouverture de perspectives politiques, et par là d’écarter l’advenue de la violence.»
Frédéric Lordon

Mardi 13 octobre 2015

« Avoir fixé ces grands courants sous-jacents, souvent silencieux, et dont le sens ne se révèle que si l’on embrasse de longues périodes de temps. Les événements retentissants ne sont souvent que des instants, que des manifestations de ces larges destins et ne s’expliquent que par eux » 
« Fernand Braudel
Ecrits sur l’histoire, Paris, Flammarion, 1985, p. 13. »

Quand j’ai commencé à lire Fernand Braudel, c’était dans les années 1980, pendant mes années de Droit que j’avais entamé après avoir échoué après 3 années passées en mathématiques supérieures et en mathématiques spéciales au Lycée Kléber à Strasbourg, j’ai compris que je m’étais fourvoyé et que j’aurais dû faire des études d’Histoire.

J’ai tenté cette aventure, après être arrivé à Lyon, en 2002, et j’ai même réussi la licence d’Histoire avec mention « Bien » à l’âge de 46 ans. Mais j’ai dû interrompre cette aventure, au niveau du master, en raison des contraintes de la vie qui ne m’autorisaient pas de continuer cette fantaisie.

Ceci pour dire que Fernand Braudel est important pour moi.

Braudel distingue les temps de l’Histoire : le temps de l’immédiateté, de l’événementiel dans lequel nous sommes plongés :  des crises, des conflits, des réconciliations et des évènements de quelques mois ou de quelques années qui se déroulent dans notre vie.

Et puis il y a le temps des États, plus long qui dépasse notre temps humain.

Et enfin il y a le temps long, celui qu’il décrit par des grands courants sous-jacents.

Et dans le temps troublé d’aujourd’hui où on parle de la Syrie, de l’Irak, de la Turquie, de la Russie, de la France de l’Allemagne, du Pape  je voudrais partager avec vous cet écrit de Braudel sur la Méditerranée en 1985 :

« Et la Méditerranée au-delà de ses divisions politiques actuelles, c’est trois communautés culturelles, trois énormes et vivaces civilisations, trois façons cardinales de penser, je crois, de manger, de boire, de vivre…
En vérité, trois monstres toujours prêt à montrer les dents, trois personnages à interminable destin, en place depuis toujours, pour le moins depuis des siècles et des siècles.
Leurs limites transgressent les limites des états, ceux-ci étant pour elle des vêtements d’Arlequin , et si légers !
Ces civilisations sont en fait les  seuls destins de long souffle que l’on puisse suivre sans interruption à travers les péripéties et les accidents de l’histoire méditerranéenne.

Trois civilisations :

L’Occident tout d’abord peut-être vaut-il mieux dire la chrétienté, vieux mot trop gonflé le sens ; peut-être vaut-il mieux dire la romanité : Rome a été et reste le centre de ce vieil univers latin, puis catholique, qui s’étend jusqu’au monde protestant, jusqu’à l’Océan et à la mer du Nord, au Rhin et au Danube, au long desquelles la contre-réforme a planté ses églises baroques comme autant de sentinelles vigilantes ; et jusqu’au monde d’outre Atlantique comme si le destin moderne de Rome avait été de conserver dans sa mouvance l’empire de Charles Quint sur lequel  le soleil ne se couchait  jamais.

Le second univers, c’est l’islam, autre immensité qui commence au Maroc et va au-delà de l’océan indien jusqu’à l’Insulinde, en partie conquise et convertie par lui au XIIIe siècle après l’ère chrétienne. L’islam, vis-à-vis de l’Occident, c’est le chat vis-à-vis du chien. On pourrait dire un contre-Occident, avec les ambiguïtés que comporte toute opposition profonde qui est à la fois rivalité, hostilité et emprunt.
Germaine Tillon dirait des ennemis complémentaires. Mais quels Ennemis, quelle Rivaux !
Ce que fait l’un, l’autre le fait. L’Occident a inventé et vécu les croisades ; l’islam a inventé et vécu le djihad, la guerre sainte.
La chrétienté aboutit à Rome ; l’islam aboutit au loin à la Mecque et au tombeau du prophète, un centre nullement aberrant puisque l’islam court au long des déserts jusqu’au profondeur de l’Asie, puisqu’il est à lui seul, l’autre méditerranée, la contre-Méditerranée prolongée  par le désert.

Aujourd’hui, le troisième personnage ne découvre pas aussitôt son visage. C’est l’univers grec, l’univers orthodoxe. Au moins toute l’actuelle péninsule des Balkans, la Roumanie, la Bulgarie, la Yougoslavie presque entière, la Grèce elle-même, pleine de souvenirs, où l’Hellade antique s’évoque et semble revivre ; en outre, sans conteste, l’énorme Russie orthodoxe.
Mais quel centre lui reconnaître ? Constantinople, direz-vous, la seconde Rome, et Sainte-Sophie en son cœur. Mais Constantinople depuis 1453, c’est Istanbul la capitale de la Turquie. L’islam turc a gardé son morceau d’Europe après avoir possédé toute la péninsule des Balkans au temps de sa grandeur. Un autre centre a sans doute joué son rôle, Moscou, la troisième Rome… Mais lui aussi a cessé d’être un pôle rayonnant de l’orthodoxie. Le monde orthodoxe d’aujourd’hui, est-ce un monde sans père ? »
Fernand Braudel : La Méditerranée : l’Espace et L’Histoire Collection Champs de Flammarion, 1985, page 157-160

Depuis 1985, il s’est passé des choses mais inscrites dans la longue durée on traduira : La Russie est redevenue orthodoxe et Moscou le centre du monde orthodoxe.

Nous voyons des conflits, nous voyons des islamistes qui revendiquent le califat et veulent abolir les frontières entre l’Irak et la Syrie et nous nous étonnons que la Russie ne se range pas spontanément à nos côtés.

Mais voilà, il y a autour de la Méditerranée 3 mondes, que la révolution industrielle, les guerres mondiales et le communisme n’ont pas effacé , l’Occident dont font partie les Etats Unis, l’Islam et le monde Orthodoxe qui s’épient, se jalousent, s’allient et s’affrontent.

Il n’est même pas certain que la révolution numérique aura raison de ce partage qui dure depuis des siècles et des siècles.

France Culture a diffusé pendant l’été 5 émissions consacrées à Fernand Braudel.

http://www.franceculture.fr/personne-fernand-braudel.html

P.S. : Normalement vous savez tout cela, mais peut-être pour un rappel salutaire quelques dates :

Le christianisme catholique peut être daté du moment où l’empire romain est devenu chrétien sous Théodose. C’est lui qui En 380  publia l’édit de Thessalonique : « Tous les peuples doivent se rallier à la foi transmise aux Romains par l’apôtre Pierre, celle que reconnaissent le pontife Damase et Pierre, l’évêque d’Alexandrie, c’est-à-dire la Sainte Trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »

Pour l’Islam, prenons comme date l’hégire qui désigne le départ des compagnons de Mahomet de La Mecque vers Médine, en 622.

Pour l’Orthodoxie qui a pris son envol à partir du moment où l’empire d’Orient avec pour capitale Constantinople s’est séparé de l’empire d’Occident. Mais la date symbole est certainement celle du Schisme de 1054 où le Pape de Rome et le patriarche de Constantinople se sont mutuellement excommuniés.

Enfin le protestantisme qui est analysé par Braudel comme un avatar du catholicisme et qui de toute évidence appartient à l’Occident, on peut revenir à la date du  31 octobre 1517 où Martin Luther aurait placardé sur les portes de l’église de la Toussaint de Wittemberg ses 95 thèses condamnant violemment le commerce des indulgences pratiqué par l’Église catholique, et plus durement encore les pratiques du haut clergé — principalement de la papauté.

Voici donc la profondeur historique des évènements auxquels notre monde et nos pays sont confrontés.

<575>

Lundi 12/10/2015

Lundi 12/10/2015
«J’ai vécu au siècle des réfugiés
Une musette au pied de mon lit
Avec la peur au ventre, des humiliés
Des sans logis qui tremblent»
Leny Escudero
Leny Escudero ne faisait pas partie de mon univers de jeunesse qui à côté de la musique classique était composé de Brel, Ferrat, Brassens et Barbara pour l’essentiel.
Mais Frédéric Pommier qui présente la revue de presse de France Inter du week end avec poésie et créativité, m’a fait découvrir une chanson qui est extraordinaire d’actualité et de prospection.
Car en effet notre siècle sera celui des réfugiés.
Ce sont les réfugiés venant des pays en guerre comme ceux dont on parle aujourd’hui.
Mais ce sont aussi les réfugiés économiques notamment de l’Afrique dont la démographie explose et qui viendront dans les pays où ils pensent trouver plus d’opportunités.
Et avec tout cela on n’aura rien vu.
Car les plus grandes migrations viendront des réfugiés climatiques qui fuiront la montée des eaux et les désordres économiques.
D’après le rapport annuel Global Estimates du Conseil norvégien pour les réfugiés, 22 millions de personnes ont dû abandonner leur domicile en 2013 à la suite d’une catastrophe naturelle, soit trois fois plus que de personnes déplacées à cause d’un conflit. Sur ces 22 millions, 31% ont été déplacées à cause de désastres hydrologiques (inondations) et 69% à cause de catastrophes météorologiques (tempêtes, ouragans, typhons).
Que ferons nous ? Construire des murs toujours plus infranchissables ? Toujours plus armés ?
Des murs qui détermineront celles et ceux qui ont le droit de vivre et celles et ceux qui doivent mourir ?
Ou trouverons nous d’autres organisations qui permettront de partager et d’accueillir pour traiter de manière humaine ce problème immense de l’humanité.
C’est à tout cela que m’a fait penser la chanson de Leny Escudero.
Leny Escudero qui selon <cet article de Libération> était  devenu célèbre dans les années 1960 avec sa ballade «Pour une amourette» mais dont le répertoire est surtout marqué par la dénonciation des injustices.
Il est mort vendredi le 9 octobre 2015 à 82 ans.
«Il était né  dans la province espagnole de Navarre, le 5 novembre 1932 avant que ses parents ne quittent le pays ravagé par la guerre civile en 1939, pour trouver refuge en Mayenne, puis à Paris. Il grandit dans le quartier populaire de Belleville, apprenant à lire à l’école de la République, à laquelle il voue une reconnaissance éternelle pour lui avoir donné l’instruction dont ses parents furent privés. En 1962, sa carrière d’auteur-compositeur-interprète débute tambour-battant. Son premier essai est un coup de maître: «Pour une amourette» est un tube. Cette chanson qu’il défend toujours («c’est l’histoire de mon premier amour, je ne vois pas pourquoi je renierais mon premier amour», disait-il) est devenue un classique.  […] Le succès ne retient pas pour autant l’artiste qui choisit de partir pour l’Amérique du Sud. Il repasse par Paris, le temps d’enregistrer de nouvelles chansons, puis entreprend un tour du monde qui durera cinq ans avec femme et enfants, d’abord dans le confort de ses droits d’auteur, puis comme un routard. « ’est sûr que pour faire carrière, admettait-il, je ne suis pas quelqu’un de très prudent ». A son retour, il revient à son métier d’artiste, écrivant des textes graves, sur la guerre d’Espagne, les dictatures, la maltraitance.»
Paroles de la chanson Le siècle des réfugiés :
Titre: LE SIECLE DES REFUGIES
Artiste: Leny Escudero – Paroles: Leny Escudero – Musique: Julian Escudero
Année: 1982
J’ai vécu
Au siècle des réfugiés
Une musette au pied de mon lit
Avec la peur au ventre
Des humiliés
Des sans logis
Qui tremblent
Les oubliés
Aux mal-partis
Ressemblent
Ils sont toujours les bras ballants
D’un pied sur l’autre mal à l’aise
Le cul posé entre deux chaises
Tout étonné d’être vivant
Ils sont souvent les en-dehors
Ceux qui n’écriront pas l’histoire
Et devant eux c’est la nuit noire
Et derrière eux marche la mort
Ils sont toujours les emmerdants
Les empêcheurs les trouble-fêtes
Qui n’ont pas su baisser la tête
Qui sont venus à contre temps
Dans tel pays c’est mal venu
Venir au monde t’emprisonne
Et chaque jour on te pardonne
Puis on ne te pardonne plus
On peut souvent les voir aussi
Sur les photos des magazines
Essayant de faire bonne mine*
Emmenez-moi au loin d’ici
Ils ont des trous à chaque main
C’est ce qui reste du naufrage
Ils n’ont pas l’air d’être en voyage
Les voyageurs du dernier train
Ils sont toujours les séparés
Le cœur perdu dans la pagaille
Les fous d’amour en retrouvailles
Qui les amènent sur les quais
Et puis parfois le fol espoir
Si elle a pu si elle arrive
De train en train à la dérive
Et puis vieillir sans la revoir

<Ici il chante cette chanson>

Vendredi 9 octobre 2015

«On devrait employer l’appareil photo comme si demain on devenait aveugle.»
Dorothea Lange.

Le mot du jour du 7 septembre 2015 parlait de photo. De ces photos pour l’éternité.

Dorothea Lange fut une des plus grandes photographes, à ce titre.

Dorothea Lange est morte le 11 octobre 1965 à San Francisco, il y a cinquante ans, ce dimanche, dans deux jours.

Elle était née le 26 mai 1895.

Ses travaux les plus connus ont été réalisés pendant la Grande Dépression.

Elle avait collaboré avec John Huston dans le cadre du film « Les raisins de la colère ».

L’article lié explique qu’elle aura poussé si loin l’empathie et la compassion avec la chair blessée du peuple américain que son œuvre devient témoignage, amour du prochain et cri de révolte.

Elle aura eu une profonde influence sur ce qui deviendra le photo-journalisme, la photographie documentaire. Elle ne se souciait point de cadrage ou d’esthétisme, mais de rendre dignité et émotion aux gens ordinaires, à ceux qui sont le peuple, mot qui fait tant peur encore aujourd’hui.

Elle a sillonné les routes au volant de sa vieille voiture Ford, pour croiser les Indiens, les migrants, les déportés de la vie.

Son regard est unique, car comme si elle photographiait une scène biblique, une Pietà par exemple, elle donne à ses modèles une profondeur humaine qui touche à l’universel, à l’humanité toujours vivante même au plus profond de la misère.

Elle qui vivait au chaud dans sa carrière toute tracée, en 1920 à San Francisco, comme photographe de portrait des riches bourgeois, ressent très vite l’appel des routes et de la poussière du monde.

Elle s’échappe d’abord dans le sud-ouest de son pays, pour travailler sur les images des Indiens d’Amérique en voie de disparition lente.

Son appareil photo devient un témoin, ses photographies preuves évidentes et convaincantes de l’immense misère, et du sort fait aux défavorisés. Son travail dès 1935 avec les administrations fédérales de réinstallation (plus tard la Farm Security Administration, connue sous le sigle FSA) est le plus puissant acte d’accusation dressé sur la souffrance des populations agricoles.

Son portrait de la mère migrante, « Migrant Mother, Nipomo, Californie, février 1936 », pris presque par hasard dans un campement de ramasseurs de pois, est devenu le symbole, un récit mythique, de ces migrations désespérées vers l’Ouest pour survivre, de ce qui fut un véritable exode américain. Cette photographie aura plus fait que tous les discours des politiques, et la conscience américaine en aura été changée et bouleversée. Les « vagabonds de la faim » avaient grâce à elle une existence digne et humaine.

Pour le reste lisez cet article sur cette photographe exceptionnelle http://www.espritsnomades.com/artsplastiques/langedorothea/lange.html

Il y a aussi cette page où sont reproduites ses photos

Ou encore cette page : <J’ai aussi trouvé ce blog>

<573>

Jeudi 8 octobre 2015

«Le temps de travail est protecteur à plusieurs titres
– il se mesure de manière objective
– il permet de séparer la vie professionnelle de la vie personnelle.
– le limiter, c’est protéger la santé.»
Pascal Lokiec, professeur de droit social à l’université Paris Ouest-Nanterre-La Défense

Il semblerait que la grande question du moment en France est celle «du carcan des 35 heures».

Je veux bien comprendre qu’il y a de ci de là des problèmes d’organisation.

Mais enfin, les réflexions de Daniel Cohen et d’autres montrent à l’évidence que nous avons un problème général d’emploi correctement rémunéré pour tous, dans tous les pays développés.

Alors il existe des pays, peut-être ont-ils raison, qui préfèrent des jobs très mal payés (Allemagne, USA, GB) que pas de job du tout et des allocations chômages coûteuses (France).

Mais s’il n’y a pas assez d’emplois pour tout le monde, j’ai du mal à comprendre que la solution est de faire travailler davantage celles et ceux qui ont déjà un emploi.

<Notons, qu’en Suède la municipalité de Göteborg expérimente la journée de 6 heures et la semaine de 30 heures avec pour objectif d’augmenter la productivité>

Mais ce n’est pas de cet aspect de la durée du travail que je souhaite vous entretenir aujourd’hui mais de la référence même au temps de travail comme mesure du travail.

Parce que la tentation, « la modernité » conduit toujours davantage à considérer que le temps de travail constitue une mesure archaïque du travail. C’est particulièrement vrai dans le monde numérique.

On est passé d’une économie de «main d’œuvre» à une économie de «cerveau d’œuvre» et le cerveau n’arrête pas de réfléchir. On réfléchit tout le temps.

Par quoi veut-on alors le remplacer ?

Certains parlent de «charge de travail» à laquelle l’employé doit faire face.

Plus généralisé est le management par objectif qui permet aussi de s’émanciper largement du temps de travail. Au début, cette convention « Tu as un objectif à atteindre, mais tu t’organises comme tu l’entends » constitue un hymne à la liberté, à l’ingéniosité et peut être même à la capacité de travailler moins si on « se débrouille très bien ». Et puis un objectif, en principe c’est objectif et rationnel.

Mais vous comprendrez bien que la quantification de l’objectif, comme la charge de travail, peut constituer un piège qui pour celui qui s’astreint ou même est contraint, sous peine de perdre son emploi, d’atteindre son objectif, peut dégénérer dans une explosion perverse de la durée consacrée au travail.

Pascal Lokiec, professeur de droit social à l’université Paris Ouest-Nanterre-La Défense invité à l’émission du grain à moudre du 15/09/2015 rappelle qu’en réalité seul le temps de travail, la durée qu’on consacre au travail constitue une mesure objective.

Il explique :

« Il faut être très vigilant quand on entend dire que demain le temps de travail ne sera plus la mesure du travail. Le temps de travail est protecteur à plusieurs titres :
D’abord il se mesure de manière objective
La charge de travail qu’on veut parfois substituer au temps de travail est très subjective
Ensuite le temps de travail permet de séparer la vie professionnelle de la vie personnelle.
Et enfin limiter le temps de travail c’est protéger la santé.»

C’est pourquoi la durée de travail reste un critère déterminant.

L’émission était consacrée à un rapport sur le droit du travail du DRH d’Orange à Myriam El Khomri consacré aux impacts du numérique sur la vie au travail.

Parmi les propositions, une redéfinition du salariat et une réflexion sur le temps de travail.

[…] Elles sont censées alimenter le projet de loi que la ministre du Travail présentera, au plus tôt, d’ici la fin de l’année.

Est-il nécessaire de légiférer sur le sujet ?

Ce qui est sûr, c’est que l’arrivée du numérique a profondément modifié notre rapport au travail. Au sein de l’entreprise en brouillant la frontière entre vie professionnelle et vie privée, au point de remettre en cause la notion –centrale- de temps de travail. Mais aussi en dehors, en favorisant l’émergence de nouveaux entrepreneurs, des travailleurs indépendants, plus autonomes mais aussi plus précaires puisque n’étant pas sécurisé par un contrat. Comment accompagner ces bouleversements sans renier les fondements du droit du travail ?

Sur ces sujets, Mediapart a déniché une intervention du PDG d’Air France qui se lance dans des réflexions «très libres et très ouvertes».

<Ici vous trouverez la video de cette intervention lors des entretiens de Royaumont en décembre 2014>

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Mercredi 7 octobre 2015

« Shirley card »
Manifestation de racisme silencieux

La France n’est pas un pays de race blanche.

En 1789, les français étaient quasi exclusivement de peau blanche.

Aujourd’hui il existe bien davantage de diversité.

Mais il n’y a pas de race blanche, il n’y a qu’une race humaine.

Et si un un humain a besoin urgemment d’une transfusion sanguine, un humain de peau blanche n’aura pas forcément besoin du sang d’un autre humain de peau blanche, mais bien du sang d’un humain disposant du même groupe sanguin et dont la couleur de la peau n’a aucune importance.

Ça c’est dit !

Mais grâce à la revue de presse internationale de France Culture du 02/10/2015 j’ai appris qu’il avait existé une «Shirley card»

Pour les plus jeunes, il faut d’abord rappeler qu’avant les cartes mémoires et la photo numérique, il existait des pellicules photos qu’il fallait développer pour obtenir des photos. Et que le «microsoft» des pellicules photos s’appelait Kodak.

C’est dans ce domaine qu’il a existé la «Shirley card». La carte Shirley, est une photo représentant une jeune femme blanche, qui s’appelait selon toute vraisemblance du même nom. Et ce terme est ensuite devenu plus générique, désignant l’ensemble des photos de jolies femmes blanches, dont la carnation servait de base pour doser le rendu couleur des pellicules.

Parce qu’une pellicule photo est faite, en réalité, de plusieurs couches enduites de substances chimiques, qui ont chacune un rôle de capteur de lumière bien précis, pour produire un rendu couleur équilibré. Et jusqu’aux années 1990, elles étaient donc dosées pour un rendu dédié à des peaux blanches et non pour rendre des nuances de brun ou de noir. Des tests ont été réalisés à partir de photos des années 1970, prises avec un appareil Kodak. Résultat, quand les peaux blanches ressortent et sont nettes, les peaux noires, elles, sont uniformes et sans nuance.

C’est un article du magazine SLATE qui nous révèle ainsi que les pellicules photos n’ont pas été conçues pour les peaux noires. Et la manière dont les professionnels s’en sont aperçus est surprenante. C’est la difficulté d’obtenir un bon rendu pour les photos de chocolat ou de certains types de bois dans les publicités de meubles, qui a mis en évidence ce déséquilibre.

Kodak a été puni ! L’entreprise n’a pas vu venir la révolution numérique et le 19 janvier 2012, Kodak dépose le bilan. Kodak et ses filiales américaines demandent à bénéficier de la protection de la loi sur les faillites afin de pouvoir se restructurer. Pour sortir de sa mauvaise situation financière, le groupe vend des brevets, notamment à Apple et Google, et change son organisation. A priori en septembre 2013, Kodak parvient à sortir de sortir du processus de faillite. Elle comptait 145 300 salariés à son apogée en 1988, l’effectif mondial de Kodak est tombé en dessous de 20 000 depuis.

Les jeunes numérix boy et girls vont dire : c’est de l’histoire ancienne, grâce au numérique plus de manipulation pour rendre les blancs plus beau !

Que nenni !

Slate nous apprend qu’il existe des avatars modernes et numériques. «Un article du site américain RACKED explique ainsi que la plupart des filtres Instagram consistent surtout à blanchir le teint des personnes photographiées. Et l’article d’en conclure : c’est ce qu’on appelle le racisme silencieux.»

et voici un exemple de la Shirley card


Vous apprécierez le mot «NORMAL» utilisé et je m’interroge sur ce qui peut bien être anormal ?

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Mardi 6 octobre 2015

«La guerre en Syrie, depuis 3 ans, me rappelle la guerre en Espagne. Vous avez deux pays, la Russie et l’Iran qui savent qui est leur allié, qui savent qui est leur ennemi et qui ne connaissent aucune limite à leurs actions. Et en face, vous avez des pays occidentaux divisés et hésitants. C’est vraiment le parfum de la guerre d’Espagne.»
Dominique Moïsi, politologue et géopoliticien, conseiller de l’IFRI, ancien professeur à Harvard.

Les évènements en Syrie sont préoccupants.

Il y a même des prophètes de malheur qui pense possible que la 3ème guerre mondiale ait démarré avec l’intervention russe en Syrie et parallèlement des tensions de plus en plus fortes entre l’Arabie Saoudite et l’Iran.

Certains, dont Poutine, comparent la situation en Syrie à la 2ème guerre mondiale : DAESH c’est Hitler et Assad c’est Staline. Pour gagner contre DAESH, il faut s’allier à Bachar el Assad.

Dans cette situation, l’intervention de Dominique Moïsi au club de la presse d’Europe 1 m‘a semblé la plus éclairante.

D’abord comme référence historique, lui s’appuie sur la guerre d’Espagne. Ce qui n’est pas non plus très rassurant puisque tout cela a très mal fini.

Mais dans la guerre d’Espagne il y avait aux prises un bloc militaire fasciste et des républicains divisés. Le bloc militaire fasciste a bénéficié d’un appui militaire sans faille des nazis allemands et des fascistes italiens.

Les pays occidentaux, ennemis des fascistes ont soutenu mollement les républicains, parce qu’ils se méfiaient des communistes qui y jouaient un rôle important.

L’issue a été favorable au camp le mieux soutenu.

Force est de constater que dans l’affaire syrienne, la Russie, comme l’Iran sont très clairs : ils sont les alliés de Bachar el Assad et leurs ennemis sont les ennemis de Bachar el Assad.

L’Occident a pour ennemi DAESH mais ne trouve pas d’allié acceptable sur le terrain.

Il était question tout au début d’aider les démocrates. Moïsi dit :

« En Syrie, trouver des démocrates dans les groupes rebelles est un grand mot. Mais il existe des rebelles qui ne sont proche ni de l’Etat islamique, ni d’Al Qaïda »

Obama et Poutine se sont d’abord affrontés puis rencontrés à l’ONU.

Le fait qu’ils se parlent est positif. Même si certains prétendent que Poutine a berné Obama.

Les discours à l’ONU des deux protagonistes a montré non seulement des divergences de fond qui se synthétisent essentiellement dans le rejet ou l’alliance avec le tyran syrien, mais ont surtout montré la différence de stratégie.

Obama a fait un beau discours, ferme sur les principes et expliquant, grosso modo, ce que la morale devrait nous pousser à faire.

Poutine a réagi en chef de guerre. Il n’a pas changé de position depuis le début, il est allié du pouvoir syrien qui était en place avant les évènements et c’est avec ce pouvoir qu’il faut négocier.

Il propose son aide bienveillante aux européens qui doivent faire face à la crise des réfugiés et aux occidentaux en général pour lutter contre le terrorisme.

Bref le premier manie le concept, le second a ce que le grand penseur de la guerre « Clausewitz », considérait comme fondamental : un but de guerre clair et objectif : Aider Bachar El Assad à vaincre ses opposants et conserver ses positions stratégiques en Syrie.

Il faut dire que l’Occident a des alliés sunnites déconcertants et encombrants : L’Arabie Saoudite a pour premier ennemi l’Iran et les chiites. Elle a incontestablement soutenu tous les mouvements sunnites fondamentalistes partout dans le monde et même chez nous. Elle a un problème parce que Al Qaida d’abord puis DAESH ont totalement échappé à son contrôle. Quoique désormais il se rapproche du front Al Nosra qui est une créature d’Al Qaida pour essayer de contenir la progression de DAESH. Mais à la fin des fins, l’Arabie Saoudite aura toujours beaucoup de mal à combattre ces extrémistes sunnites si cela avait pour conséquence de donner la victoire aux chiites, par exemple à Assad.

La Turquie, notre allié, pièce maitresse de l’OTAN, est tout aussi ambigüe. Lors du siège de Kobané, il a empêché des Kurdes non syrien, d’aller combattre avec les kurdes syriens contre DAESH. Maintenant il bombarde en Syrie, mais pas les fiefs de DAESH mais les positions kurdes, car son principal ennemi est le PKK, le parti des Kurdes qui pourrait, selon les craintes d’Erdogan, faire sécession de la Turquie. Or, les kurdes sont quasi les seules troupes au sol qui se battent contre DAESH et qui constituent des interlocuteurs sérieux des Etats-Unis et des occidentaux.

En face les chiites et la Russie sont unis et ont une stratégie claire et univoque.

En outre Obama va vers la fin de son mandat, il est attentif à la trace qu’il laissera dans l’Histoire. Ses mandats ont été ceux de la stratégie inverse de GW Busch, à savoir, retirer les troupes américaines des bourbiers créés par son prédécesseur. La dernière chose que veut Obama c’est avoir des soldats combattants au sol. D’ailleurs, il semble qu’en privé il déclare que Poutine dans son intervention en Syrie est en train de commettre la même erreur que GW Busch.

Il faut dire que la dernière fois que la Russie qui était alors l’URSS a fait ce type d’intervention c’était en Afghanistan et que cela s’est très mal terminé pour elle.

Toujours est-il que si Poutine va peut-être devant de grandes difficultés, on ne comprend toujours pas comment les Etats-Unis, la France et ses alliés vont intervenir de manière opérationnelle, c’est à dire en étant en mesure d’influer sur les évènements.

Je finirai par ce propos clairvoyant rappelé par Moïsi :

Raymond Aron avait expliqué en son temps :

«Dans une guerre, vous choisissez votre ennemi, mais pas vos alliés.»

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Lundi 5 octobre 2015

«PDV MV PDV» Pas de vague, mon vieux, pas de vague
Règle appliquée par les énarques selon Adeline Baldacchino

Le 15 septembre, les matins de France Culture avaient pour thème : La France une société bloquée ?

Le titre de l’émission fait référence à un livre que j’ai lu lors de mes études de Droit, début des années 1980, mais qui avait été publié en 1971, il y a près de 45 ans : «La France bloquée l» de Michel Crozier.

Le site de l’éditeur, le Seuil, donne ce résumé :

«Si l’on veut faire bouger cette société bloquée qu’est devenue la société française, il faut absolument secouer le carcan que fait peser sur elle la passion de commandement, de contrôle et de logique simpliste qui anime les grands commis, les patrons, les techniciens et mandarins divers qui nous gouvernent, tous trop brillants, trop compétents et trop également dépassés par les exigences de développement économique et social»

Dans cette émission, Guillaume Erner a invité Eric Maurin, directeur d’études à l’EHESS et auteur de «La fabrique du conformisme» (Seuil, 10 septembre 2015). Peter Gumbel, journaliste et auteur de «Ces écoles pas comme les autres : à la rencontre des dissidents de l’éducation» (La Librairie Vuibert, 14 août 2015). Le mot du jour du 18 juin 2013 était consacré à ce dernier : «Le bassin dans lequel on pêche l’élite française est minuscule» diagnostic qu’il avait explicité dans son livre «Elite Academy» Enquête sur la France malade de ses grandes écoles,

La dernière invitée était une pétillante jeune énarque issue de la promotion 2007-2009 et auteure de «La ferme des énarques» (Michalon, 3 septembre 2015) : Adeline Baldacchino. Le titre de son livre s’inspire du livre écrit en 1945 par George Orwell, «la ferme des animaux» où les animaux se révoltent contre les humains, les chassent de la ferme et prennent le pouvoir qui se transformera en dictature. C’est une satire de la révolution russe et du stalinisme.

C’est cette énarque qui révèle le véritable mot d’ordre des énarques. Vous savez peut être que la devise de l’ENA est «servir sans s’asservir» certains ajoutant « et sans se servir».

Mais Adeline Baldacchino nous rapporte que dans son action quotidienne, l’énarque qui pense à sa carrière va plutôt mettre en œuvre ce conseil d’ancien, synthétisé par un acronyme :

«PDV MV PDV», «Pas de vague, mon vieux, pas de vague.»

Elle en ajoute un autre dans l’émission :

«MRVC», «Mon remplaçant verra ça».

Vous comprendrez donc aisément que sur cette base on ne peut aboutir qu’à une société bloquée puisque nous sommes, dans ce cas, dans un univers où tous les conservatismes sont préférables à la vraie réforme, à celle qui permet de se hisser aux défis de la modernité.

Pour illustrer son livre, Adeline Baldacchino a choisi les trois singes de la sagesse chinoise qui se cache les yeux, se bouche les oreilles et se ferme la bouche : Refuser de voir, d’entendre et de parler.

Dans un article du <Figaro> on lit : Dans cette école qui enseigne à «dé-penser», où l’on n’apprend rien que l’on n’ait déjà appris à Sciences Po – hormis pendant les stages – la culture se réduit à des fiches, des résumés, des condensés, des «petits pots de la pensée», plus digestes et surtout plus utiles. Car à l’ENA on ne lit pas. Ou à la rigueur la presse. «Le Canard enchaîné est le petit vice secret [de l’énarque], mais il ne circulera jamais en public avec autre chose que Le Monde ou Les Echos dans les couloirs de l’école. Alternatives économiques relève du domaine de la grande subversion. […] Le dernier BHL peut tout de même se lire en terrasse

Mais je trouve particulièrement révélateur cet entretien de Adeline Balacchino sur le <site acteurs publics> :

«Un jour, donc, je lançai l’idée d’accueillir une fois par mois à Strasbourg un écrivain, éventuellement ex ou actuel fonctionnaire si cela devait permettre d’amadouer l’école, de lui proposer de faire une conférence sur sa vision du service public, et de dîner avec eux en organisant le débat. Je pensais à Orsenna pour commencer, j’avais envie de le rencontrer à cause de sa belle histoire de la mondialisation, Sur la route du papier.

On me regarda avec des yeux ronds, très ronds. Pour quoi faire ?

Dans quel module cela s’inscrirait-il ?

Gestion et management public, sûrement pas. Légistique, encore moins. Finances publiques, ne plaisantons pas. Pour quoi faire ?

L’école, ce n’est pas la création, ce n’est pas l’innovation, c’est la gestion, on vous a dit. De l’existant. De ce qui est. Quant à ce qui devrait être…

J’imaginais bêtement en arrivant à Strasbourg que nous aurions de vastes débats sur l’économie du bien-être, les théories politiques post-rawlsiennes de la redistribution sociale, l’état des recherches sur la lutte contre la pauvreté, la fiabilité des techniques de sondage, les questions de responsabilité du fonctionnaire, les génocides, les théocraties, Foucault et l’Iran, la désobéissance civile, les minimas sociaux et les effets de seuil, les politiques éducatives, la transition énergétique…

J’imaginais follement un croisement entre le monde des intellectuels, chercheurs, scientifiques et celui des administrateurs, gestionnaires, managers. Je me disais que tout ce que j’avais lu pourrait enfin irriguer le vrai monde où l’on fait (…).

Or, non. Cela n’existe pas. Cela n’est pas fait pour ça. L’économie, par exemple, on l’étudie, non pour comprendre ses usages possibles mais pour savoir ce qu’il faut en dire.

Ainsi, l’énarque lambda sortira-t-il à la direction du budget. Il n’aura qu’une idée très limitée, parfaitement scolaire (au mieux, elle tient dans la lecture et la relecture du manuel de référence qu’on nomme le « Pisani-Ferry ») des mécanismes économiques.

Ne parlons pas de débats. Mais il sera sûr d’une chose, absolument. Il faut – parce que « c’est bien » –, dans le bon ordre : faire des économies, tenir le cap de la rigueur budgétaire, maîtriser la dépense, affamer la Grèce mais ils n’avaient qu’à payer leurs impôts plus tôt, proposer une trajectoire d’équilibre des comptes publics, ne pas fâcher la Commission européenne, ne pas parler, jamais, tabou, des keynésiens, de Joseph Stiglitz ou de Paul Krugman (…).

Mais tout cela, l’énarque n’en parle pas, c’est trop dangereux, car d’une part ce n’est pas « ce qu’il faut dire », d’autre part il n’y connaît rien, donc il ne prendra pas le risque d’affirmer l’inverse.

Il lui suffit de savoir que ce n’est pas ce qu’il faut dire. Il est fin prêt pour la direction du budget, ou pour le cabinet du ministre des Finances. Il y prêchera l’austérité, même contra-cyclique, même à contretemps, même contre toute évidence, parce que c’est ce qu’on lui a dit qu’il fallait dire, un jour.»

Les énarques sont sélectionnés par rapport à leur capacité de redire et de refaire ce qui a toujours été fait. «De l’existant. De ce qui est.» dit Adeline Balacchino. Il n’est pas impossible qu’ils soient créatifs ou innovateurs, mais force est de constater que ce n’est pas sur cela qu’on les juge et qu’on les recrute.

Je finirai par une photo, celle d’un éminent et brillant énarque qui est parvenu à se faire élire président de la République :

Le Président de la République dans son bureau, le 24 février 2015, entouré d’une montagne de papier

Le décryptage de cette photo amène à plusieurs réflexions :

  • 1° Cela montre, combien de décisions relèvent du Président de la République. Cet homme n’a plus le temps de réfléchir, d’être stratège s’il faut que dans la journée il doivent se prononcer sur tant d’affaires particulières. Cette photo montre ainsi le blocage du fonctionnement de l’Etat, celui d’un Président qui ne sait pas déléguer, qui doit tout voir ou en tout cas plus qu’il n’est en capacité de maîtriser. Vous me direz, nul besoin de cette photo lorsqu’on se souvient de son intervention sur le cas particulier de Leonarda où le président stratège s’est rabaissé à un simple gestionnaire des affaires courantes.
  • 2° Il n’y a pas d’ordinateur ou d’autre outil moderne d’accès à l’information. Cette photo dans les dorures du palais n’a comme seul élément de modernité visible utilisé, par rapport au 19ème siècle, que l’électricité de la lampe de bureau. Electricité généralisée au début du XXème siècle. rappelons que c’est la ville de Heilbronn (Allemagne) qui est en 1892 la première ville en Europe équipée d’un système de distribution en électricité par un réseau de distribution en courant alternatif. Il y a peut-être au premier plan un DVD ou un CD, élément de modernité déjà largement dépassé dans le monde des réseaux.
  • 3° Cet homme est totalement structuré par la «culture papier» où on accède à l’information par le papier, on décide sur le papier, on communique par le papier. Je m’interroge : une organisation fonctionnant de cette manière permet-elle de comprendre la civilisation du numérique et de nous préparer au monde de demain. Cette incapacité de s’extraire de l’existant, de la manière de fonctionner du XIXème siècle me semble inquiétante, surtout si on intègre PDV MV PDV.

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