Jeudi 18 janvier 2018

« Persévérance dans l’absence de mot du jour nouveau, mais vous pouvez en lire 1000 déjà écrits Exemple : La culture c’est la vie et la vie est belle »
L’après mille 4

Les mille mots du jour écrits depuis octobre 2012 sont répertoriés (exergue et auteur) sur cette page : <Liste des mots>

 

Plusieurs fois j’ai rendu hommage à des artistes. Aujourd’hui je voudrais revenir sur le mot du jour du 3 février 2014

Claudio Abbado est mort Lundi 20 janvier 2014 et ce mot du jour lui rendait hommage

J’écrivais que très jeune Claudio Abbado a été un chef d’orchestre remarquable et brillant et qu’il a dirigé les plus grandes institutions musicales.

Mais en 2000, un terrible cancer l’assaillit, un cancer de l’estomac. Il revint au bout de quelques mois, émacié et transfiguré.

Il dit alors : « J’ai souffert et j’ai lutté de toutes mes forces. Mais comme toujours, du mal peut naître quelque chose de bon ».

A partir de ce moment, Il devint un chef génial et unique.

Je renvoyais alors vers une interprétation du Requiem de Mozart par Abbado Festival de Lucerne 2012

A la fin de cette interprétation bouleversante, le public est resté silencieux pendant presque une minute avant d’applaudir.

Le silence était si intense qu’il était encore musique.

Nos mots sont trop pauvres pour décrire l’indicible et le sublime.

C’est un journal suisse dont je donne la référence qui a rapporté ce propos de Claudio Abbado

« La culture c’est la vie et la vie est belle ».

Si vous voulez retrouver le mot du jour initial : le mot du jour du 3 février 2014

Depuis j’ai trouvé une autre perle sur Internet : Abbado dirige l’orchestre des jeunes Gustav Mahler dans la 9ème symphonie de Gustav Mahler

Claudio Abbado parvient à faire sonner l’ensemble de l’orchestre dans un souffle de son dont il définit ainsi le niveau sonore : «Il faut atteindre le niveau sonore de la neige qui tombe sur de la neige.»


<Article sans numéro>

Vendredi 12 janvier 2018

« Von Herzen – möge es wieder zu Herzen gehen
Venue du cœur puisse t’elle retrouver le chemin du cœur »
Ludwig van Beethoven, phrase mise en exergue de sa « Missa Solemnis »

A plusieurs reprises des collègues et amis, que j’avais connus lors de mon passage dans l’administration centrale de la direction générale des impôts à Bercy entre 1987 et 2002, m’ont écrit pour exprimer un avis positif sur la qualité globale des mots du jour. Mais ils ajoutaient immédiatement une nuance en la justifiant par la crainte que « je prenne la grosse tête ».

Il me semble que cette crainte est injustifiée : tous mes butinages, mes lectures, mes découvertes que je tente de présenter et d’expliquer ne me montre qu’une chose : l’incommensurabilité de mon ignorance à laquelle j’ajouterai la vanité d’essayer de comprendre la complexité du monde et de l’humain. Ce constat ne peut que me pousser à une très grande humilité.

J’aime pourtant l’image que donne Michel Serres pour définir le verbe vieillir : monter un escalier chaque jour pour aller vers un plus d’intelligence, de sagesse, de simplicité et de modération.

Un des mots du jour le plus porteur de sens pour moi est celui qu’a écrit Rachid Benzine : « Le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes

Je n’aime plus beaucoup mon métier. Je suppose n’être pas seul dans ce cas. J’essaye pourtant de l’accomplir au mieux par devoir et par éthique. Il puise beaucoup de mon énergie et me donne assez peu en retour. Je suis injuste, il me donne un revenu confortable qui me permet de vivre matériellement sans peur du lendemain et m’autorise ainsi à être libre, libre de m’intéresser à bien des choses qui dépassent les contingences matérielles.

Mais du point de vue intellectuel le métier que j’exerce occupe ma journée mais ne la remplit pas.

Ma quête de mots du jour la remplit.

Depuis que jeune, il m’arrivait de comprendre les mathématiques un peu plus vite que certains camarades, j’ai appris que dans l’acte d’explication celui qui en profitait le plus était celui qui expliquait. Confucius aurait dit : «Ce qu’on me dit je l’oublie, ce que je vois je m’en souviens, ce que je fais je le sais.»

Lire, écouter, regarder permet d’approcher une connaissance, mais ce qui permet de l’approfondir est l’acte de vouloir l’expliquer donc écrire. Car écrire demande d’interroger, de poser questions, d’éclairer des points obscurs ou d’avouer qu’on ne comprend pas. Mais s’avouer à soi-même qu’on ne comprend pas accroit paradoxalement la connaissance contrairement aux certitudes pour revenir à cette lumineuse phrase de Rachid Benzine.

Récemment j’ai entendu Hubert Reeves développer le raisonnement suivant : Nous pouvons rationnellement penser qu’un chat comprend moins de choses qu’un humain et qu’il existe donc une limite à sa compréhension. Cet exemple doit nous pousser, nous autres humains de l’espèce homo sapiens, d’admettre qu’il existe des choses que nous ne pouvons pas comprendre et que notre intelligence connaît des limites.

L’homme augmenté cher aux transhumanistes, s’il existe un jour, aura aussi ses limites, peut-être pas les mêmes.

Mais il fallait trouver un exergue à ce 1000ème mot du jour.

Dans notre vie nous rencontrons des personnes, des lieux, des œuvres de l’esprit et aussi des mots.

Parfois, on se souvient de la première rencontre avec un mot. C’est le cas pour moi avec le mot « exergue » qui rappelons le, signifie selon Le Larousse : « Inscription placée en tête d’un ouvrage » mais le CNRS dans son outil lexical en ligne donne une définition plus précise : « Formule, pensée, citation placée en tête d’un écrit pour en résumer le sens, l’esprit, la portée, ou inscription placée sur un objet quelconque à titre de devise ou de légende ».

Ma première rencontre avec ce mot a eu lieu lors de la lecture d’un livret d’un coffret microsillon et je peux encore citer de mémoire cette rencontre qui a eu lieu il y a environ 45 ans :

« Venue du cœur, puisse t’elle retrouver le chemin du cœur » c’est l’exergue que Ludwig van Beethoven a mis en marge de sa partition de sa Missa Solemnis dont il disait qu’elle était son œuvre la plus accomplie.

Sur internet, j’ai d’ailleurs pu trouver une reproduction de la page de la partition annotée de la main de Beethoven. En haut de la page, comme il s’agit du Kyrie, c’est le tout début de la partition. Sur cette reproduction, j’ai réécrit en rouge lisible en renvoyant vers l’écriture de Beethoven.

C’est donc un juste retour des choses que de mettre en exergue, la phrase qui m’a appris ce qu’était un exergue.

Mais il y a une deuxième raison.

J’ai placé ce millième mot du jour dans l’univers de la pensée complexe, de l’effort de comprendre, du travail de l’intelligence et de l’approfondissement.

Or, si en effet, la Missa Solemnis est une des œuvres les plus achevées de Beethoven et de la musique occidentale, c’est une œuvre difficile d’accès.

Si vous avez du mal avec la musique classique, ce n’est certainement avec la Missa Solemnis qu’il faut commencer.

Commencez avec les quatre saisons de Vivaldi qui est un authentique chef d’œuvre, la flute enchantée de Mozart, le concerto de violon de Beethoven, pas avec la Missa Solemnis.

La Missa Solemnis est exigeante, il faut être prêt à affronter la complexité et l’âpreté de son écriture pour en tirer la beauté immatérielle et extatique qu’elle révèle.

Et il y a une troisième raison.

Un des mots du jour récent nous apprenait que nous possédions en réalité trois cerveaux : l’organe qui porte ce nom, les intestins et le cœur.

J’écrivais que pour le cœur, la question restait ouverte. Mais acceptons cette hypothèse que nous agissons aussi par ce que le cœur nous ordonne.

Notre intuition, notre expérience nous pousse à croire que le cœur l’emporte parfois sur la raison.

Alors dans un monde où l’intelligence artificielle a vocation à devenir de plus en plus omniscient, certains prédisent même qu’elle va supplanter l’intelligence humaine, nous gardons, nous autre homo sapiens non augmenté, ce privilège sur la machine de savoir penser avec le cœur.

Je pense qu’il n’est pas difficile de trouver dans les 999 mots du jour précédents, un certain nombre qui sont le fruit de l’intelligence du cœur.

Et je crois plus généralement que quasi dans chacun d’entre eux, il y a une part plus ou moins importante de l’intelligence du cœur.

C’est pourquoi, écrire pour ce millième mot du jour : « Venu du cœur, puisse t’il retrouver le chemin du cœur » me semble une expression adaptée à cette circonstance.

J’avais écrit un mot du jour qui avait fait réagir : « L’homme médiocre parle des personnes, l’homme moyen parle des faits, l’homme de culture parle des idées ». Mais j’avais reconnu les limites et l’incomplétude de cette affirmation lors du mot du jour hommage à Barbara : en écrivant : Barbara me rappelle que j’ai oublié le plus l’important : « L’homme de cœur et en l’occurrence la femme de cœur parle de la vie et de l’amour. »

 

Il est d’usage quand je parle d’une œuvre musicale de donner des liens ou des indications discographiques. Si je ne le fais pas, je suis d’ailleurs rappelé à l’ordre pour que je m’exécute.

Peut-être que le meilleur moyen d’entrer dans cette œuvre se trouve dans l’Agnus Dei dont Beethoven a confié l’introduction à la voix de basse dans une atmosphère de grande profondeur. Vous trouverez <ICI> cette partie de la messe chantée par Gérald Finley, en 2012, au Concertgebouw d’Amsterdam sous la direction inspirée de Nikolaus Harnoncourt.

Pour une interprétation complète de l’œuvre, vous trouverez <ICI> dans un autre haut lieu de la musique classique européenne, à Dresde, avec l’orchestre de la Staatskapelle de Dresde une interprétation dirigée par Christian Thielemann.

Si votre curiosité vous pousse plus loin, je peux vous donner la version audio qui depuis sa sortie fait l’unanimité :

La version d’Otto Klemperer enregistrée en 1966


Mais j’ai un faible pour une version plus récente de Philippe Herreweghe paru en 2012


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<1000>

Jeudi 19 Octobre 2017

« Dès que [Jacqueline Du Pré] commença de jouer, je fus comme hypnotisé. »
Placido Domingo

Cette chronique quotidienne est partage.

Je ne peux partager que ce que je comprends, ce qui m’interpelle, qui résonne en moi, qui m’émeut.

Je suis né dans une famille de musiciens. Mon père, mon frère ainé en ont fait leur beau métier.

Le destin, les circonstances, mes envies ne m’ont pas conduit vers ce même chemin.

Mais la musique occupe une place essentielle dans ma vie, parce qu’elle me fait du bien, parce qu’elle me nourrit, parce qu’elle m’apaise, parce qu’elle me donne de la joie.

Et dans ce monde de la musique, je me suis construit un panthéon.

Une des plus belles places dans ce panthéon est occupée par la violoncelliste Jacqueline Du Pré.

Elle était lumineuse, passionnée, elle dégageait une émotion immédiatement perceptible.

Elle eut un destin tragique.

Elle nous a quittés il y a exactement 30 ans, le 19 octobre 1987. Elle avait 42 ans.

Mais en réalité, elle nous avait quittés bien avant. En 1971, elle avait 26 ans, ses capacités de jeu avaient entamé un déclin irréversible car l’artiste avait commencé à perdre la sensibilité et la mobilité de ses doigts. Elle a dû, alors très vite, arrêter sa carrière. Elle était atteinte de sclérose en plaques, maladie qui, par ses complications, a causé son décès.

Ce fut une comète, une musicienne extraordinairement précoce, pleine d’intensité comme si dès le début elle savait qu’elle aurait si peu de temps pour s’exprimer.

Le grand violoniste Yehudi Menuhin a dit :

« Lorsque je la regarde, lorsque je l’écoute, je me sens tout petit devant tant d’esprit, honteux de la moindre indulgence vis-à-vis de moi-même et particulièrement fier d’avoir, aussi peu que ce soit, fait de la musique avec elle. »

Et j’ai mis en exergue ce propos du chanteur Placido Domingo :

« Dès qu’elle commença de jouer, je fus comme hypnotisé. J’ai été immédiatement convaincu par sa maîtrise, sa concentration, qui faisait chanter son violoncelle comme je n’en ai entendu chanter aucun autre. »

Vous trouverez sur Youtube <Cette interprétation magistrale du Concerto d’Elgar>.

Et puis, réalisé par Christopher Nuppen un reportage et un concert extraordinaire où 5 jeunes artistes dont Jacqueline Du Pré interprètent la plus belle version du <quintette la Truite de Schubert>

Et si vous voulez des propositions de CD, j’en propose deux :



Et je finirai par une rose, car le nom de Jacqueline Du Pré a été donné à une rose :


<Vous trouverez plus de précisions derrière ce lien>

<953>

Mercredi 20 septembre 2017

« Je suis donc venu ce soir pour remercier
la terre et l’âme de ce peuple qui m’a tant donné »
Léonard Cohen Remerciant l’Espagne et les espagnols

Un soir de juin, Annie est rentrée à la maison et m’a dit, il faut qu’on regarde quelque chose sur internet…

Alors nous avons regardé une vidéo.

La vidéo d’un discours de remerciement, de gratitude.

Celui qui faisait ce discours était Léonard Cohen.

J’ai eu envie de partager avec vous, après Maria Callas, ce récit, ce discours d’un autre musicien, d’un poète, d’un artiste qui nous a quitté il y a moins d’un an, le 7 novembre 2016.

Ce discours avait pour raison d’être une récompense : le Prix Prince des Asturies dans la catégorie Littérature.

Le Prince des Asturies est dans la monarchie espagnole le titre que porte l’héritier du trône.

Le prix Prince des Asturies est le plus prestigieux prix espagnol, délivré par une Fondation espagnole et récompensant des travaux d’envergure internationale dans huit catégories : arts, sports, sciences sociales, communication et humanités, concorde, coopération internationale, recherche scientifique et technique et lettres.

Et, le 21 octobre 2011, Léonard Cohen monta à la tribune et de sa voix grave et profonde prononça un discours et révéla un secret de sa vie, secret pour lequel il remercia la terre d’Espagne.

Voici la fin de ce discours :

« J’ai une guitare Condé, qui a été fabriquée en Espagne dans le formidable atelier du 7 de la rue Gravina [à Madrid]. Un superbe instrument, que j’ai acheté il y a plus de quarante ans. Je l’ai sorti de son étui, l’ai soulevé – il paraissait empli d’hélium tellement il était léger. Je l’ai porté à mon visage, que j’ai approché de la rosace superbement dessinée, et j’ai humé le parfum du bois vivant. Vous savez que le bois ne meurt jamais.

J’ai humé le parfum du cèdre, aussi frais qu’au premier jour, le jour où j’avais acheté cette guitare.

Et une voix a alors semblé me dire : « Tu es un vieil homme et tu n’as pas dit merci, tu n’as pas rendu ta gratitude à la terre d’où ce parfum a levé. » Je suis donc venu ce soir pour remercier la terre et l’âme de ce peuple qui m’a tant donné.

Car aussi vrai qu’une carte d’identité ne fait pas un homme, une notation financière ne fait pas un pays.

Vous connaissez le lien profond et confraternel qui m’associe au poète Federico García Lorca. Quand j’étais jeune homme, adolescent, je désirais ardemment trouver une voix. J’ai étudié les poètes anglais, je connaissais bien leurs œuvres, j’ai copié leurs styles ; mais je n’ai pas pu trouver de voix. Ce n’est qu’en lisant les œuvres de Lorca que – même par le biais d’une traduction – j’ai compris qu’il y avait là une voix. Non pas que je l’ai copiée ; je n’aurais pas osé. Mais Lorca m’a donné la permission de trouver une voix, de la localiser, c’est-à-dire de localiser un moi – un moi qui ne soit pas figé, qui lutte pour sa propre existence.

En prenant de l’âge, j’ai compris que cette voix portait des instructions.

Quelles étaient-elles ? Ces instructions disaient de ne jamais se lamenter avec désinvolture.

Et qu’à exprimer la grande et inévitable défaite qui nous attend tous, autant le faire dans les strictes limites de la dignité et de la beauté.

J’avais donc une voix ; mais je n’avais pas d’instrument. Je n’avais pas de chanson.

Je vais maintenant vous raconter très brièvement comment j’ai trouvé ma chanson.

J’étais un guitariste quelconque. Je ne connaissais que quelques accords. Avec mes amis de l’université, j’aimais m’asseoir et boire en chantant des folk songs et les chansons populaires du moment ; mais jamais au grand jamais je ne me serais considéré comme un musicien ou un chanteur.

Un jour, au début des années 60, j’étais en visite chez ma mère, à Montréal. Sa maison se trouvait le long d’un parc qui comprenait un court de tennis ; beaucoup de gens s’y pressaient, pour regarder les beaux jeunes joueurs qui pratiquaient leur sport. Je suis allé traîner dans ce parc que je connaissais depuis mon enfance. Il y avait là un jeune homme qui jouait de la guitare. C’était une guitare flamenco, et il était entouré par deux ou trois filles et garçons qui l’écoutaient. J’ai adoré sa façon de jouer, j’étais captivé. C’était ainsi que je voulais jouer ; et c’était ainsi, je le savais, que je ne serais jamais capable de jouer.

Pendant un moment, je suis resté assis au côté des autres auditeurs. Et quand vint un silence, un silence adéquat, j’ai demandé à ce garçon s’il voulait bien me donner des leçons de guitare. Il était originaire d’Espagne, et nous ne pouvions lui et moi communiquer que dans un mauvais français – il ne parlait pas anglais. Il a accepté de me donner des cours. J’ai montré la maison de ma mère, que nous pouvions voir depuis le court de tennis, et nous avons convenu d’un rendez-vous et d’un tarif.

Le lendemain, il s’est présenté chez ma mère et m’a dit : « Joue moi quelque chose ». J’ai essayé de jouer quelque chose, et il a ajouté : « Tu ne sais pas jouer, n’est-ce pas ? » « Non », ai-je répondu, « je ne sais pas. » « D’abord », a-t-il dit, « laisse-moi accorder ta guitare. Elle sonne complètement faux. » Il a donc pris la guitare et l’a accordée. « Ce n’est pas une mauvaise guitare », a-t-il dit. Ce n’était pas la Conde, mais ce n’était pas une mauvaise guitare. Il me l’a rendue. « Et maintenant, joue ».

Je ne pouvais pas mieux jouer.

Il m’a dit : « Laisse-moi te montrer quelques accords. » Il a saisi la guitare, et de cette guitare a jailli un son que je n’avais jamais entendu auparavant. Puis il a joué une suite d’accords avec un trémolo, avant de me dire : « A toi, maintenant ». « C’est hors de question », ai-je répondu, « j’en suis incapable. » « Laisse-moi poser tes doigts sur les frettes. » Une fois que ce fut fait, il a répété : « Maintenant, maintenant, joue. »

Ce fut un désastre. « Je reviendrai demain », me dit-il.

Il revint le lendemain, posa mes mains sur la guitare, et plaça la guitare sur mes genoux de la manière la plus appropriée. Je rejouai à nouveau les mêmes accords – une progression de six accords, sur laquelle reposent beaucoup de chansons de flamenco.

Ce jour-là, je fus un peu meilleur.

Au troisième jour, il y eut une amélioration – un semblant d’amélioration. Mais maintenant, je connaissais les accords. Et je savais que, même si je ne pouvais pas coordonner mes doigts avec mon pouce, de façon à produire le trémolo correctement, je connaissais les accords ; je les connaissais très, très bien.

Le jour suivant, le jeune homme ne vint pas. Il ne vint pas. J’avais le numéro de téléphone de sa pension à Montréal. J’ai appelé pour savoir pourquoi il avait manqué notre rendez-vous.

On m’a répondu qu’il avait mis fin à ses jours. Qu’il s’était suicidé.

Je ne connaissais rien de cet homme. Je ne savais pas de quelle région d’Espagne il était originaire. Je ne savais pas pourquoi il était venu à Montréal. Je ne savais pas pourquoi il avait séjourné là-bas, pourquoi il était apparu vers ce court de tennis. Je ne savais pas pourquoi il s’était donné la mort.

J’étais profondément affligé, bien sûr. Mais je vais divulguer maintenant quelque chose dont je n’ai jamais parlé en public. Ce sont ces six accords, ce sont ces motifs de guitare qui ont fourni la base de toutes mes chansons et de toute ma musique. Vous comprendrez dès lors dans quelles proportions s’exprime la gratitude que j’éprouve pour ce pays.

Tout ce que vous avez trouvé digne de vos faveurs dans mon travail provient d’ici.

Tout, tout ce que vous avez trouvé digne de vos faveurs dans mes chansons et ma poésie, a été inspiré par cette terre.

Je vous remercie donc infiniment pour la chaleureuse hospitalité dont vous avez fait preuve à l’endroit de mon œuvre ; car elle est vraiment la vôtre, et vous m’avez permis d’apposer ma signature au bas de la page. »

Si vous voulez entendre ce discours, en anglais, avec la belle voix de Léonard Cohen : <Discours de Léonard Cohen de 2011>

J’ai repris la traduction que propose <ce site>

Gracias à la vida de nous avoir donné Maria Callas.

Gracias à la vida de nous avoir donné Léonard Cohen

Et Gracias à la vida qui a rendu possible qu’un mystérieux espagnol ait su, en 3 jours, avant de quitter cette terre, permettre à Léonard Cohen de trouver son instrument.

<Leonard cohen Bird On The Wire>

Comme l’oiseau sur le fil
Comme l’ivrogne dans une église
J’ai tenté d’être libre à ma façon
Comme le ver au bout du fil
Comme le chevalier d’un ancien livre
J’ai gardé pour toi ma chanson

 

Si vous voulez lire les paroles et la traduction intégrale <Bird on the wire>

Et si vous voulez comprendre pourquoi Léonard Cohen est éternel, il faut écouter ces quatre enfants russes chanter Halleluyah, comme l’ont fait 14 millions d’internautes avant vous.

Mardi 19 septembre 2017

« J’ai vécu d’art, j’ai vécu d’amour »
Puccini, Tosca, Vissi d’arte

J’ai fini le mot du jour d’hier, consacré à l’artiste Maria Callas, par son interprétation de la Tosca.

Aujourd’hui pour parler de la femme, de sa vie de femme je trouve pertinent d’utiliser, comme exergue, les premiers mots de ce qu’on appelle la prière de la Tosca, dont vous trouverez le texte intégral derrière <ce lien>.

Maria Callas est née le 2 décembre 1923 à New York sous le nom de Sophia Cecelia Kalos alors que sont père avait pour nom patronymique Kaloyeropoulos. Wikipedia écrit :

« On ignore la date exacte à laquelle le nom de Callas remplaça Kalos, qui lui-même avait remplacé Kaloyeropoulos, ni même s’il l’a réellement remplacé »

L’enfance de Maria Callas se passa dans une famille désunie dont le père fut d’abord absent puis séparé de sa mère.

Les relations de Maria Callas avec sa mère furent conflictuelles. Sa mère est décrite comme une personne au proie à des crises d’hystérie ou de dépression et d’un caractère irascible. L’attitude volage et peu responsable du père explique certainement en partie cette situation.

Maria Callas a toujours déclaré qu’elle avait le sentiment que sa mère lui préférait sa sœur Jackie.

En 1957, au cours d’un entretien télévisé, elle confia :

« À l’âge auquel les enfants devraient être heureux, je n’ai pas eu cette chance. J’aurais souhaité l’avoir. ».

Wikipedia cite Time Magazine en 1956 :

« Ma sœur était mince, belle et attirante si bien que ma mère l’a toujours préférée à moi. J’étais un vilain petit canard, grosse, maladroite et mal-aimée. Il est cruel pour un enfant de ressentir qu’il est laid et non désiré… Je ne lui pardonnerai jamais de m’avoir volé mon enfance. Pendant toutes les années où j’aurais dû jouer et grandir, je chantais ou gagnais de l’argent. J’avais toutes les bontés pour elle et tout ce qu’elle me rendait était du mal… »

Dans son ouvrage « Maria Callas », Jacques Lorcey rapporte ces propos de Maria Callas, à propos de ses débuts de cours de chant :

« J’ai chanté parce qu’on m’a fait chanter ! Je n’en avais pas spécialement envie… »

Les musicologues Roland Mancini, John Ardoin et Arianna Stassinopoulos expriment la conviction que sans la détermination de sa mère, il n’y aurait probablement pas eu de Maria Callas.

Dans l’émission de la télévision française citée hier, Maria Callas exprimait cet éthique de sa part de faire bien ce qu’elle devait faire. Elle s’est donc appliquée à bien apprendre à chanter.

Ainsi, elle eut une enfance où manquait un père et la tendresse maternelle.

Comment expliquer autrement que par la recherche d’un père son mariage en 1949 avec le terne Giovanni Battista Meneghini, un industriel italien mélomane, qui non seulement était de vingt-huit ans son aîné, mais avait à cette date plus du double de son âge. D’ailleurs il semble bien que très rapidement Meneghini s’occupa surtout de gérer la carrière de son épouse plutôt que de jouer un rôle de compagnon et d’époux.

La rencontre en 1959 avec Aristote Onassis, grec comme elle, flamboyant et séducteur, fut un vrai bouleversement dans sa vie de femme.

M’intéresser à cette relation m’a conduit à examiner de plus près cet homme extravagant qui s’appelait Aristote et avait pour père Socrate Onassis et comme oncle Homère Onassis. Il appela son fils Alexandre. Seule sa fille eut un prénom qui ne revendiquait pas de glorieux ancêtres grecs : Christina.

Sa relation avec Maria Callas fut celle à la fois du séducteur, puis d’un persécuteur et disons d’un malotru pour finalement toujours revenir chercher l’affection et le soutien de Maria Callas.

Sa rencontre et le début de cette relation amoureuse eu pour conséquence de l’éloigner de la scène. Entre 1959 et 1965, elle n’apparaît que dans quelques rares productions à Paris, Londres et New York. Elle s’installe à Paris, donne de rares récitals et essaye de se convertir dans l’enseignement.

D’ailleurs, Onassis ne faisait pas partie de ses admirateurs fervents car il n’aimait pas particulièrement l’opéra.

Gala ne fait pas partie de mes lectures habituelles, mais j’ai trouvé cet article qui, écrit bien sûr dans le style de Gala, me semble assez proche de ce que j’ai lu dans des ouvrages plus sérieux sur Maria Callas.

Ce journal rapporte notamment un échange entre l’immense artiste et le milliardaire. Onassis s’offrit une île grecque Skorpios, ile sur laquelle il est d’ailleurs enterré ainsi que son fils. Un jour, alors qu’elle lui faisait remarquer qu’il dépensait beaucoup trop pour son île, il se mit en rage. :

«N’oublie jamais que tout ce qui touche à mon plaisir et à mes distractions doit être prêt à l’emploi. C’est la même chose avec mes maîtresses. Je m’assure qu’elles sont rodées avant de les prendre.

– Je ne comprends pas? Que veux-tu dire?

– Exactement ce que j’ai dit.»

Encore un de ces mâles malveillants qui ne peut que nous rendre, nous autres hommes, peu fier d’appartenir à notre genre.

Et puis il y eut la trahison finale, car Maria Callas dans son échelle des valeurs voulaient épouser l’homme qu’elle aimait. Toujours dans l’émission de la télévision française citée hier, Maria Callas exprimait sa vision du monde :

«Dans notre société, les hommes sont polygames, pas les femmes !»

Bien qu’elle fusse rebelle et eut du caractère, elle accepta cependant cette relation déséquilibrée avec un mâle alpha de l’espèce homo sapiens. C’est ainsi selon ce qu’elle rapporta par la suite, elle apprit le futur mariage sur l’île de Skorpios de son homme aimé avec Jackie Kennedy par les journaux, comme le reste du monde.

Cependant le mariage d’Aristote Onassis avec Jackie Kennedy tourna rapidement au désastre. Et très vite, Onassis repris contact avec Maria Callas. L’ancienne secrétaire privée de l’armateur et le journaliste américain Nicholas Gage racontent qu’ils continueront de se voir jusqu’à la fin, au 36 de l’avenue Georges-Mandel à Paris.

Aristote lui confia ses déboires sentimentaux et aussi ses déboires financiers. On a beau être un mâle dominateur on a quand même besoin d’une femme de confiance pour être écouté et consolé.

Toutefois, Maria Callas montra quand même du caractère semble t’il et même du mauvais car lors de ses dernières années de leur vie, si leurs relations furent continues, elles furent orageuses ;

Jacque Lorcey dans son livre Maria Callas, écrit par exemple page 340 :

« Elle refuse de lui ouvrir. Sans se soucier des voisins, Aristote crie pendant de longs moments. :

  • Si tu n’ouvres pas, je fais défoncer la porte par ma rolls !
  • Si tu entres, je te jette par la fenêtre ! Espèce de petit marchand qui se prend pour Jupiter !… »

Mais ce fut bien Maria Callas qui fut sa dernière visite à l’hôpital de Neuilly, le 15 mars 1975, jour de son décès.

Après cette mort elle dit :

« J’ai perdu tout ce qui me rattachait à la vie »

La diva se retira de plus en plus du monde dans son appartement parisien. La mort d’Onassis en 1975 achève de la murer dans sa solitude. Épuisée moralement et physiquement, prenant alternativement des barbituriques pour dormir et des excitants dans la journée, elle meurt le 16 septembre 1977, à l’âge de 53 ans.

La cérémonie funèbre a lieu, le 20 septembre 1977. Maria Callas est incinérée au cimetière du Père-Lachaise où une plaque lui rend hommage.

Après le vol de l’urne funéraire, retrouvée quelques semaines plus tard, ses cendres (ou ce que l’on pense être comme telles) seront dispersées en mer Egée, au large des côtes grecques, selon son vœu.

La Bible de l’opéra comme l’avait baptisée Leonard Bernstein ne survécut donc que deux ans à cet homme auquel elle sera resté attacher jusqu’au bout.

L’amour est aveugle. Maria Callas fut aussi tragédienne dans sa vie privée.

Mais il me semble qu’il y avait là une sorte de soumission de la femme, un peu comme Anne Pingeot à l’égard de François Mitterrand qui comme je l’ai rapporté dans le mot du jour du 27/10/2016 a dit finalement : «En même temps, ce côté de soumission a fait en sorte que j’ai accepté l’inacceptable. »

Accepter l’inacceptable ! Accepter même quand la femme est une des plus grandes artistes que la terre ait porté et qu’elle le savait et qu’en face il n’y avait qu’un marchand, un homme d’affaires cynique dont la seule réussite fut l’argent et dont la trace dans l’Histoire reste médiocre surtout comparé à Maria Callas.

Je finirai par la sagesse de Cocteau :
«Surtout, surtout… sois indulgent,
Hésite sur le seuil du blâme.
On ne sait jamais les raisons
Ni l’enveloppe intérieure de l’âme,
Ni ce qu’il y a dans les maisons,
Sous les toits, entre les gens. »

<931>

Lundi 18 septembre 2017

« La diva, c’est celle qui apporte l’exemple d’un travail, d’une discipline et d’une grande maîtrise du métier »
Maria Callas dans un entretien accordé à L’Express le 19 janvier 1970

Ce week-end, tout le monde était invité à visiter le patrimoine de la France.
Je vous invite à échanger sur un monument du patrimoine de l’art et de la musique de l’humanité.

En effet, ce samedi nous étions le 16 septembre. Or, il y a 40 ans, le 16 septembre 1977, Maria Callas décédait brutalement à l’âge de 53 ans, dans son appartement au no 36 de l’avenue Georges Mandel dans le 16ème arrondissement de Paris.

Beaucoup de choses ont été dites, écrites sur elle, sur son caractère, ses caprices, sur son ego, sur ses faiblesses, sur ses déchirures.
Mais revenons aux fondamentaux. Éloignons-nous de ce qui est futile pour nous centrer sur l’essentiel.

L’essentiel c’est quoi ?

Maria Callas était unique. L’opéra a changé à partir d’elle, il y avait l’opéra avant Maria Callas et il y a l’opéra après Callas.

D’abord l’opéra était devenu le lieu de la performance où les divas et les ténors rivalisaient pour chanter une note non écrite dans la partition mais très haute dans la tessiture ou tenir une note périlleuse pendant beaucoup plus longtemps que le compositeur ne l’avait prévu. Et la salle attendait ces moments de « bravoure » et éclatait dans des vivats exubérants ou des sifflets si la chanteuse ratait le « contre ut ».

Maria Callas savait faire cela mais elle y renonçait pour la musique, car elle n’était que musicalité. Elle était musique et émotion.

Et puis elle rencontra Luchino Visconti et elle devint aussi une exceptionnelle tragédienne, une actrice de théâtre.

J’ai trouvé sur internet un extrait d’une heure d’une émission de la télévision française du 20 avril 1969 « Invitée du dimanche » de Pierre Desgraupes qui outre des chroniqueurs musicaux français avait invité l’ancien administrateur de la scala : « Siciliani » et surtout Luchino Visconti.

<Ici> vous trouvez l’extrait, plus précis, où Luchino Visconti parle de Callas. Et qu’apprend-t ‘on ?.

Que Maria Callas était l’artiste qui venait la première répéter et qui quittait le théâtre la dernière. Et c’était elle qui avant de venir avait le plus travaillé le rôle.

Luchino Visconti dit qu’elle était l’artiste la plus docile et la plus sérieuse qu’il a eu à diriger.

Et quand dans l’émission, Armand Panigel était allé interviewer la professeure de la Callas, Elvira de Hidalgo cette dernière dit la même chose : la plus travailleuse, la plus sérieuse, celle qui écoutait le mieux sa professeure et qui comprenait aussi très vite.

Et lorsqu’on se tourne vers tous les grands artistes qui ont travaillé avec elle, c’est toujours la même version : une perfectionniste, une professionnelle.

Et c’est ainsi qu’elle se présente dans un article de l’express du 19 janvier 1970 que j’ai choisi comme exergue de ce mot du jour

« Suis-je une diva ? Oui ! Mais dans le bon sens :
La diva, c’est celle qui apporte l’exemple d’un travail, d’une discipline et d’une grande maîtrise du métier »

Dans cette même interview elle dit aussi :

« Je ne suis qu’une interprète : une interprète s’empare du personnage qu’elle doit interpréter. […] Je fais mon travail le plus sérieusement possible mais je suis un être humain. »

Et dans un entretien avec le magazine « Elle » le 9 février 1970 elle va encore plus loin :

« Je ne crée rien : j’interprète. Je suis venue au monde pour cela. Je donne vie à ce que le compositeur a créé avant moi. »

Et dans la revue « Les Arts » en 1958 :

« Je ne suis pas parfaite. Je ne prétends pas l’être, mon seul désir est de lutter pour l’art… quoi qu’il m’en doive coûter. Même la plus simple mélodie peut doit être chantée avec noblesse. »

Et dans une émission de l’ORTF en février 1965 de Micheline Banzet

« Dans notre métier, il faut beaucoup de choses, le physique, le jeu scénique, la diction, le respect de la musique. On ne prend plus le temps nécessaire à tout cela. On veut gagner de l’argent, faire des notes aigües, impressionner le public « épater le bourgeois »… Mais ce n’est plus de l’art ! J’accepte les conseils, je les recherche […] avec de la bonté on peut tout obtenir de moi » »

Dans l’émission précitée Luchino Visconti raconte que la première fois qu’il a entendu Maria Callas chanté dans la maison de Tullio Serafin (le chef qui a le plus souvent dirigé Callas) il a été bouleversé car il n’avait jamais entendu chanté comme cela. Et c’est pour Maria Callas qu’il commença à réaliser des mises en scène pour l’opéra, avec notamment une « Traviata » à la Scala de Milan sous la direction de Giulini qui n’a jamais été égalée.

Je ne crois pas qu’il existe une vidéo sur ce spectacle mais on trouve sur internet des extraits audio avec des photos de la mise en scène, <par exemple ici>

Visconti raconte aussi un spectacle à la Scala de Milan où il était venu à la dernière minute et avait pu obtenir une place dans la loge de l’intendant de la Scala. Il ne s’était pas aperçu que s’était installée dans la loge après lui et derrière lui une femme. A la fin de l’acte, il s’est retourné et a vu cette femme pleurer. C’était Elisabeth Schwarzkopf qui était l’équivalent pour Mozart et Richard Strauss de Maria Callas dans Verdi ou le bel canto. Elle a dit à Visconti : « Cette femme est un miracle »

Voilà donc Maria Callas une artiste entièrement dévouée à son art et qui a développé toute son énergie pour servir l’art, jamais pour que l’art ne la serve. Alors oui, elle ne supportait pas quand ses confrères ne donnaient pas autant, quand ils ne travaillaient pas assez, quand ils se contentaient d’approximations ou même arrivaient en retard aux répétitions. Alors elle se mettait en colère.

Et puis quand sa voix la lâchait, son exigence de qualité l’obligeait à renoncer et alors on le lui le reprochait.

Parfois elle essayait pourtant de chanter et sa voix la trahissait et on le lui reprochait encore.

Tout au long de sa carrière, un noyau d’imbéciles l’a poursuivie notamment à la Scala pour la déconcentrer avant les grands airs en lançant des cris ou des insultes et puis en sifflant à la fin du spectacle et en balançant même des légumes à la place des fleurs attendues. Bien sûr, la plus grande partie du public l’acclamait. Mais elle a toujours été l’objet d’une hostilité malveillante de certains.

Après sa mort, comme le relate <Le Point>, on apprend qu’en réalité elle était malade et victime d’une maladie dégénérative qui a affecté ses cordes vocales.

Ce sont deux médecins italiens spécialistes en orthophonie qui soutiennent cette thèse :

Selon ces experts, Franco Fussi et Nico Paolillo, qui ont présenté les résultats de leurs recherches avec l’université de Bologne (nord) à l’occasion d’une table ronde, la soprano était atteinte de dermatomyosite, une maladie qui affecte les muscles et les tissus en général, y compris ceux du larynx.

Ils soulignent que cette maladie est traitée avec de la cortisone et des immunodépresseurs, ce qui peut entraîner à la longue une insuffisance cardiaque et que, selon le rapport médical officiel, la Callas est morte d’un arrêt cardiaque.

L’information, révélée mardi par le quotidien La Stampa, dément que la Callas se soit suicidée après la perte graduelle de sa voix à la suite d’une déception amoureuse dans sa relation avec l’excentrique milliardaire grec Aristóteles Onassis, qui l’a quittée en 1968 pour épouser Jacqueline Kennedy.

Les orthophonistes ont étudié avec des instruments ultra modernes les enregistrements de la cantatrice dans les années 50, sa période la plus achevée, dans les années 60, quand elle commença à avoir des problèmes, et dans les années 70, marquées par une brusque perte de poids et l’altération de sa voix.

« Fussi, un des orthophonistes les plus renommés du pays, et Paolillo ont analysé les dernières vidéos de la Callas qui montrent que les muscles ne répondaient plus car la cavité thoracique ne se gonflait pas quand elle respirait », soutient le journal de Turin.

« Le déclin de l’icône de l’opéra n’est pas dû à des efforts sur sa voix ou à des causes externes » comme des tensions émotives, affirment les experts, qui ont étudié un des moments les plus critiques de la carrière de la diva, lorsqu’elle ne put pas chanter l’opéra Norma à Rome, le 2 janvier 1958, en l’honneur du président italien de l’époque, Giovanni Gronchi, et de sa femme.

A la fin du premier acte, à l’issue duquel la moitié de l’assistance était déçue, la Callas s’était échappée par une porte dérobée : « cela n’a pas été un caprice, elle était vraiment malade, elle avait une trachéite, les muscles lâchaient. C’était le début de la fin », disent-ils.

Que de choses ont aussi été écrites sur sa perte de poids en 1953, 30 kilos en un an. Certains osent encore écrire que c’était pour plaire à Onassis alors qu’elle ne le rencontra qu’en 1959. Cette perte de poids elle la désira pour pouvoir mieux jouer ses rôles et parfaire sa silhouette de tragédienne.

Alors d’autres prétendent que cette perte de poids altéra sa voix, alors que probablement c’était cette maladie dégénérative qui était déjà à l’œuvre.

De toute façon même si voix est si particulière et qu’on la reconnait entre toutes, ce n’est pas la plus belle voix du siècle comme l’écrivent des journalistes superficiels et incompétents.Ainsi, Zinka Milanov, Leontyne Price ou même celle dont a voulu faire sa rivale Renata Tebaldi avaient des voix plus somptueuses.

Mais aucune n’avait cette émotion, cette théâtralité dans la voix, dans le jeu, dans l’expression.

Même quand elle donnait un récital, ses yeux, l’expression de son visage, ses mains, son corps tout exprimait l’émotion et la vérité théatrâle.

J’ai rencontré cette émotion à tous les instants pendant ce week end où j’ai écouté et regardé des vidéos de Maria Callas, en préparant l’écriture de ce mot du jour.

C’était une artiste exceptionnelle, unique et merveilleuse.

La femme fut plutôt malheureuse, mais j’y reviendrai demain.

<ARTE a consacré une émission à sa dernière Tosca à Paris en 1964>. Elle sait dompter sa voix rebelle et l’émotion reste unique.

<Ici sur Youtube la prière de la Tosca de ce même spectacle>

 

Les spécialistes se déchirent pour savoir quel est le meilleur disque de Maria Callas.

 Pour moi, il s’agit de la Tosca justement, celle de 1953 avec Victor de Sabata comme chef d’orchestre.

 

C’était Maria Callas, dont je ne saurais dire que du bien.

 

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Vendredi 19 mai 2017

« Vous avez la chance d’exercer un métier dont le but est de créer la beauté »
Message aux musiciens de l’orchestre de Lyon après avoir assisté à un magnifique concert avec Hillary Hahn (Propos tenu initialement par le grand chef italien Carlo Maria Giulini)

Rien que…

Le 29 avril 2017 nous avons assisté, avec Annie, à un concert à l’Auditorium de Lyon. C’était un concert consacré à deux œuvres de John Adams, compositeur américain qui était d’ailleurs présent dans la salle.

Au milieu de ces deux œuvres, la violoniste américaine Hillary Hahn a interprété le concerto de violon de Tchaïkovski avec l’Orchestre National de Lyon et Léonard Slatkin.

J’avais déjà entendu cette artiste que je considérais comme une bonne violoniste mais je ne m’attendais pas à ce niveau de qualité et d’émotion.

Les réseaux sociaux développent le pire, mais permettent aussi des choses positives.
J’ai pu exprimer mon enthousiasme sur la page facebook de l’Orchestre de Lyon :

« Ce soir moment de grâce avec Hillary Hahn qui jouait le concerto de violon de Tchaikovski avec L’ONL sous la direction de Léonard Slatkin.
Bien sûr il y a une technique sans faille et un son chaud et puissant mais il y a surtout la musicienne qui habite la partition, qui la transcende et remplit les auditeurs d’émotion et de joie.
En symbiose avec la soliste, Léonard Slatkin et le merveilleux orchestre de Lyon ont dressé un écrin somptueux dans lequel la soliste a su déployer son interprétation lumineuse.
Une des plus belles émotions musicales qu’il m’ait été donné de vivre. »

Mais comme j’ai aussi énormément apprécié l’orchestre qui a magnifiquement accompagné Hillary Hahn, j’ai alors posté un message pour les musiciens de l’Orchestre que je voudrais partager avec vous aujourd’hui.

« Aux musiciens de l’Orchestre

Je voudrais écrire ici un message de reconnaissance à tous les musiciens de l’Orchestre National de Lyon et leur directeur musical Léonard Slatkin.

Vous avez, comme l’avait dit Carlo Maria Giulini à ses musiciens du Los Angeles Philharmonic, alors qu’il y a tant de gens qui ont une profession pénible ou futile et quelquefois même vide de sens, la chance d’exercer un métier dont le but est de créer la beauté.

Cette beauté qui est présente jusque dans vos instruments : un violon est une véritable œuvre d’art.

Alors ma reconnaissance vient du fait que vous réalisez parfaitement cette quête de créer la beauté. […]

Hier j’ai entendu une artiste exceptionnelle, Hillary Hahn, j’avoue que je ne savais qu’elle pouvait être à ce niveau de musicalité et d’intensité. Je l’avais déjà entendu et je n’avais pas eu cette révélation.

Mais vous l’orchestre avait été exceptionnel, et je voulais vous l’écrire. Tous les solistes des vents, les cordes, les cuivres les bois vous avez été à un niveau extraordinaire qui ont fait de cette interprétation quelque chose de magique.

J’ai quasi 60 ans, ce que j’ai entendu hier, je le mets au panthéon de mes émotions musicales au niveau de la 8ème de Bruckner que j’avais entendu avec Celibidache et sa Philharmonie de Munich ou le quintette en ut de Schubert par les Alban Berg et Heinrich Schiff.

Les mots sont faibles, on tombe rapidement dans les superlatifs, il suffit probablement de dire que mon temps et mon existence ont été remplis par cette beauté, tout simplement que cela fait immensément du bien.

Je suis abonné depuis 6 ans et j’entends que vous réussissez de mieux en mieux dans votre quête de la beauté.

Léonard Slatkin est le catalyseur qui a permis cela, sa complicité avec Hillary Hahn, son goût pour Tchaïkovski ont bien sûr étaient un atout considérable dans l’accomplissement de l’interprétation.

Vous êtes des femmes et des hommes comme les autres, vous avez vos joies mais aussi vos difficultés, vos doutes mais n’oubliez jamais le bien que vous faites aux autres. Vous nourrissez les âmes et les cœurs.

Voilà pourquoi je tenais à vous dire ma reconnaissance. »

Ce que j’essaie d’exprimer dans ce message, c’est qu’il y a d’une part la perfection technique et la capacité de créer de l’émotion, mais surtout que l’art, et la musique particulièrement, peuvent faire du bien à tout notre être. Il faut cependant que pour arriver à ce résultat, nous soyons en capacité d’être totalement présent.
Rien que…
Rien qu’écouter et se laisser pénétrer par la musique.

Sur le Web j’ai trouvé, mais avec une piètre qualité technique, le troisième mouvement du concerto évoqué, dans la même distribution, Hillary Hahn, Orchestre National de Lyon et Slatkin, en 2011 à Lucerne :

<Concerto violon Tchaikovski 3ème mouvement Hahn Orchestre de Lyon Slatkin en 2011>

Si vous souhaitez écouter cette œuvre avec une autre magnifique artiste et dans des conditions techniques correctes : <Janine Jansen Philharmonie de Paris chef d’orchestre Paavo Jarvi en janvier 2015>

Mais pour retrouver Hillary Hahn, voici un petit extrait de Bach par cette artiste : <La gigue de la 3ème Partita de Bach à Frankfurt le 9 décembre 2016>

En décembre 2016, Hillary Hahn était déjà venu à Lyon, mais le concert où nous devions nous rendre avait été annulé en raison de la grève des personnels techniques. Et Hillary Hahn avait organisé une rencontre originale dans un bar lyonnais, qu’elle avait intitulé l’apéro tricot. Elle avait invité des personnes à venir faire du tricot pendant qu’elle jouait du violon. Vous trouverez un court extrait derrière ce lien : <Concert Apéro Tricot avec Hilary Hahn>

Hillary Hahn a enregistré en 2011 le concerto de violon de Tchaïkovski mais pas avec l’orchestre de Lyon


<Hillary Hahn en 2011>

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Jeudi 1 décembre 2016

« La symphonie Pathétique »
Piotr Ilitch Tchaïkovski

La symphonie Pathétique est la sixième et dernière symphonie de Tchaïkovski. Léonard Slatkin et l’Orchestre National de Lyon ont interprété toutes les symphonies du compositeur russe et ont terminé samedi 26 novembre par une interprétation exceptionnelle et bouleversante de la symphonie pathétique.

Mais l’objet de ce mot du jour n’est pas principalement la musique.

Ce que l’on sait et qui est certain, c’est que cette œuvre a été créée à Saint Pétersbourg, sous la direction du compositeur, le 28 octobre 1893 et que Piotr Ilitch Tchaïkovski est mort en pleine gloire le 6 novembre 1893, 9 jours après, à l’âge de 53 ans.

Ce qui n’est pas établi formellement mais très probable c’est qu’il soit mort du choléra, comme sa mère, alors qu’une épidémie s’était répandue dans la ville, ce que tout le monde savait.

Ce qui est aussi très documenté aujourd’hui mais a été caché longtemps c’est l’homosexualité de Tchaïkovski ainsi que son mal être et sa difficulté de vivre ses pulsions dans une société qui rejetait cette tendance sexuelle et la considérait comme une perversion insupportable.

La suite de cette histoire est plus trouble, mais la grande écrivaine russe Nina Berberova a, dans sa biographie du compositeur, développé une thèse qui se racontait de bouche à oreilles, comme un secret inavouable.

Selon Wikipedia, cette théorie fut aussi présentée par la musicologue russe Alexandra Orlova en 1979 après son émigration aux États-Unis, sur les bases de révélations qui lui furent faites en 1966 par Alexander Voitov, élève et historien du Collège impérial de la Jurisprudence de Saint-Pétersbourg.

 

Tchaïkovski aurait contracté le choléra en buvant en pleine conscience un verre d’eau de la Neva non stérilisée. Ce serait donc un suicide.

Cette théorie raconte l’histoire suivante : Tchaïkovski a eu une relation homosexuelle avec un jeune officier Victor Stenbock-Fermor qui était d’une famille princière liée au Tsar de Russie. L’oncle de cet officier, le prince Stenbock-Fermor, maréchal du palais a dénoncé le compositeur par une lettre au procureur.

Le scandale allait éclater, le plus grand compositeur russe vivant allait être arrêté et jugé pour cette dépravation extrême : l’homosexualité. Des amis de Tchaïkovski et des hauts dignitaires du Palais pour éviter ce scandale qui aurait touché un homme célèbre mais aussi toute la Russie ont alors trouvé la solution de réunir secrètement «un tribunal d’honneur» constitué d’anciens étudiants du Collège impérial de la Jurisprudence de Saint-Pétersbourg » pour juger Tchaïkovski. Ce tribunal aurait condamné le compositeur à se suicider.

Dans Wikipedia on lit :

« Après sa mort, il bénéficie de funérailles nationales à la cathédrale Notre-Dame de Kazan auxquelles assistent près de 8 000 personnes. Le cercueil de Tchaïkovski est porté par des proches, dont le prince Alexandre d’Oldenbourg (1844-1932), cousin de l’empereur, les frais des funérailles étant couverts par la Maison de Sa Majesté impériale. Le chœur de la cathédrale et le chœur de l’Opéra impérial russe accompagnent la cérémonie, en présence de son ami le grand-duc Constantin de Russie qui écrit le lendemain dans son Journal que « les murs de la cathédrale n’étaient pas suffisants pour contenir ceux qui voulaient prier pour le repos de l’âme de Piotr Ilitch ».

Cette histoire rappelle celle d’Alan Turing, le génial scientifique qui s’est suicidé en mangeant une pomme empoisonnée et qui avait fait l’objet du mot du jour du 31/12/2013.

En ce moment, au Maroc <Deux adolescentes sont jugées pour homosexualité parce qu’elles ont échangé un baiser>, elles risquent 3 ans de prison. Peine légère si on la compare à d’autres sanctions appliquées dans des pays théocratiques islamiques.

En France, des maires se sont opposés à l’affichage d’une campagne de prévention contre le sida, parce que les affiches montraient, de manière pudique, des homosexuels qui était la cible visée par cette campagne.

Depuis Tchaïkovski, la lutte contre la discrimination homophobe a certes progressé, parfois on a cependant le sentiment d’une régression dans notre pays, dans d’autres pays tout reste à faire.

Pour revenir à la symphonie Pathétique, Ken Russell a réalisé, en 1969, un film <The Music Lovers>, dont le titre français est «la symphonie pathétique» qui évoquait de manière explicite l’homosexualité de Tchaïkovski.

<Vous trouverez ici une belle interprétation de cette symphonie> par le grand chef russe Evgeny Svetlanov.

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Mercredi 2 novembre 2016

« Peter Sadlo»
(27/06/1962 – 29/07/2016) Percussionniste génial

Je partage avec Michel Rocard, l’idée et surtout l’expérience que les plus grands et beaux moments de notre vie ne sont jamais liés à l’argent.

Pour ma part que pourrais-je citer ?

  • Ma rencontre avec ma douce compagne.
  • La naissance de mes deux merveilleux enfants et des moments de partage avec eux.
  • Et aussi de magnifiques moments artistiques.

Et parmi ces moments, il en est qui est toujours présent : c’est le concert que donna en 1987 à la salle Pleyel, Sergiu Celibidache avec son Orchestre Philharmonique de Munich dans la huitième symphonie de Bruckner.

Je me souviens encore du visage baigné de larmes d’émotion de la jeune femme qui était assis devant moi et qui se tourna vers ses amis à l’issue de l’adagio sublime.

Et puis, il y eut le 4ème mouvement, où à 3 reprises, pendant quelques instants, intervint le timbalier de l’orchestre philharmonique de Munich. Des moments de grâce, un artiste d’exception, inexplicable : comment peut-on avec une intervention aussi restreinte et avec aussi peu de moyens : 4 timbales c’est à dire 4 notes, dégager autant de charisme, de beauté et de force ?

A la fin du concert, il y eut bien sûr une standing ovation et lorsque Celibidache désigna, comme premier musicien à saluer, le percussionniste, une immense ferveur se manifesta dans le public.

C’était il y a 29 ans et j’avais 29 ans.

A l’issue du concert, j’appelais immédiatement mon grand frère Gérard, qui venait de quitter Paris et l’Opéra pour le poste de violon solo de l’Orchestre Philharmonique des Pays de la Loire à Nantes pour lui dire mon émotion devant ce concert et particulièrement ce percussionniste dont j’ignorais le nom.

Récemment je découvris sur Youtube un enregistrement à Tokyo de cette symphonie de Bruckner avec Celibidache et je retrouvais ce percussionniste et les formidables sensations de l’époque.

Quand mon frère vint me rendre visite il y a quelques semaines, je lui montrais cet enregistrement en déplorant de ne pas connaître le nom de cet artiste.

Et ce week end, il m’annonça qu’il avait trouvé le nom du percussionniste : Peter Sadlo mais que malheureusement il venait de mourir le 29 juillet 2016, à l’âge de 54 ans suite à une opération chirurgicale.

Alors ce week end, j’ai fait des recherches approfondies sur cet artiste et j’ai constaté qu’il faisait l’unanimité. Beaucoup parle de lui comme le percussionniste le plus génial de son époque et les vidéos que j’ai pu voir m’ont époustouflé : la diversité des instruments qu’il jouait, sa technique notamment sur un marimba (grand xylophone), sa musicalité, les nuances dont il était capable sont fascinantes.

Suite à un malentendu, j’ai été entraîné à assister, le 17 octobre,  à un concert à l’Auditorium de Lyon d’une pianiste : Hiromi accompagnée d’une basse et d’une batterie. Ce sont certainement des artistes de qualité, mais le son était tellement amplifié et saturé que je suis incapable d’en juger. C’est un son sans aucune nuance, en règle générale c’est très très fort quelquefois un peu moins fort, mais quasi toujours uniforme. La pianiste n’avait retenu du piano que le fait qu’il s’agit aussi d’un instrument à percussion et voulait donc rivaliser avec la batterie pour savoir celui qui était capable de produire le plus de décibels. Pour ce faire elle se levait pour pouvoir mieux cogner sur ce pauvre instrument qui est à percussion mais aussi à cordes. Je me suis efforcé de rester jusqu’au bout en essayant de comprendre l’enthousiasme du public fort nombreux qui m’entourait. En toute humilité, je n’ai toujours pas compris.

Peter Sadlo faisait de la musique, produisait un son non saturé même s’il était fort et était capable de faire des nuances. Son répertoire n’était pas forcément classique, et quelquefois il utilisait des objets improbables pour faire du rythme et des nuances.

Voici une vidéo où sont présentés différentes facettes de son talent et il y a notamment un des extraits de la 8ème symphonie (à 6mn42) dont je parlais tantôt : https://www.youtube.com/watch?v=eFj886x6q34

Ici il y a deux petites œuvres où il joue un marimba avec quelques autres amis percussionnistes : https://www.youtube.com/watch?v=xMPF8bGiUMs & https://www.youtube.com/watch?v=YOE272lWOtw

Et ici un moment d’anthologie une œuvre contemporaine qui est un concerto pour percussion et orchestre absolument époustouflant :

En live, je ne l’ai entendu qu’une seule fois mais je ne l’oublierai jamais.

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Lundi 1 février 2016

«Lady Macbeth du district de Mzensk»
Dimitri Chostakovitch

Le mot du jour correspond au titre d’un opéra, un des plus grands chefs d’œuvre de l’opéra du XXème siècle, de Dimitri Chostakovitch qui est actuellement à l’affiche de l’Opéra de Lyon.

Ce mot se décline à 3 niveaux :

1/ Le premier est une déclaration d’amour à l’Opéra de Lyon quand cette maison accueille des metteurs en scène qui savent mettre en valeur un texte et une musique. L’orchestre, le chœur et les autres artistes font alors des merveilles.

Cette maison d’opéra est, dans cette situation, comparable au plus grandes.

Je ferais court sur ce point, il suffit pour ce spectacle de lire Télérama : <Lady Macbeth de Mzensk embrase l’Opéra de Lyon>

Ou encore ce site spécifiquement consacré à la musique classique <Bouleversante Lady Macbeth à l’opéra de Lyon>

2/ Ce n’est pas le cas quand certains metteurs en scène se laissent aller à leurs instincts de machistes ordinaires. Et à ce deuxième niveau, nous revenons un peu à la thématique de la semaine dernière et de la manière de considérer la femme.

Beaucoup d’entre vous ne sont pas familiers du monde de l’opéra, pourtant vous connaissez tous « Carmen » l’opéra le plus joué au monde, opéra de Bizet sur un texte de Prosper Mérimée. Carmen est une femme libre qui a décidé de choisir ses amants et de décider à quel moment elle passerait de l’un à l’autre. Mérimée décrit ainsi une femme moderne, libre. Le metteur en scène qui a réalisé cet opéra à l’opéra de Lyon en 2013 a cru intelligent de la présenter comme une prostituée au milieu d’autres prostituées. Une femme libre ne saurait être qu’une putain, voilà la brillante idée qu’a soutenu, le connu et emblématique directeur du festival d’Avignon : Olivier Py. Un metteur en scène du genre mâle.

L’autre grand opéra français : « Pélléas et Mélisande » de Debussy sur un texte tout en finesse et en symbole de Maurice Maeterlinck, décrit une jeune fille apeurée, qui a fui un mari dont elle ne parle qu’en allusion et qui s’échappe dans les échanges avec le vieux prince Golaud qui l’a recueilli et épousé sans lui laisser trop le choix, par des mensonges qui restent sa seule défense. Maeterlink met en scène une femme qui a subi des violences avant que l’opéra ne commence et va continuer à être opprimé par Golaud. Soit par manque d’imagination ou par mimétisme avec Olivier Py, le metteur scène du genre mâle, Christophe Honoré qui a mis en scène cet opéra en juin 2015, à Lyon, a fait de Mélisande une prostituée.

C’est encore un metteur en scène du genre mâle, Stefan Herheim, qui avait la tâche de mettre en scène Rusalka de Dvorak en 2014 et qui va avoir la brillante idée d’en faire une prostituée.

Cet opéra est moins connu, mais l’histoire est connu de tous : c’est l’histoire de la petite sirène qui parce qu’elle est amoureuse d’un prince humain doit abandonner sa nature de sirène. Ce mâle-ci a trouvé particulièrement pertinent d’interpréter le symbole de la communauté des sirènes, comme un groupe de prostituées sous la domination d’un mac et a été particulièrement fier de pouvoir faire l’analogie entre la difficulté pour la sirène d’entrer dans le monde des humains, et la prostituée d’entrer dans le monde des bourgeois.

Et enfin, il y a la damnation de Faust de Berlioz inspiré du Faust de Goethe. Cette fois il s’agit de la pécheresse Marguerite abusée par Faust lui-même entraînée vers la perversion par Méphistophélès, personnification de Satan, qui va subir le même traitement. Cette fois c’est David Marton, metteur en scène du genre m…, qui va tout simplement ajouter du texte à l’opéra, texte certes uniquement parlé, où des enfants (comme c’est charmant) vont vociférer vers Marguerite et bien sûr la traiter de P..

Quand sur un peu plus de 2 saisons, des metteurs en scènes différents arrivent à concevoir le même type de représentation, il ne s’agit plus d’un hasard ou d’une malencontreuse coïncidence, il s’agit d’un système de pensée.​

Une femme libre, une femme victime de violence, la petite sirène, la jeune fille abusée par un manipulateur : « toutes des putes ».

Nous sommes dans le même esprit que celui que j’ai dénoncé dans les 5 mots du jour de la semaine dernière.

3/ D’où cette divine surprise quand cette fois, le metteur en scène Dmitri Tcherniakov n’a pas succombé à cette facilité.

Car dans cet opéra, ce dont il est question c’est d’une femme frustrée dont le mari est impuissant et lâche, qui est martyrisé par son beau-père chef d’entreprise alcoolique et violent. Cette femme va tomber amoureuse d’un bellâtre et avec lui tuer son beau-père et son mari.

Le crime est dénoncé à une police décrite comme totalement corrompue et le couple finira au bagne où elle se suicidera parce que son amant la trahit.

A ce troisième niveau, je vais vous parler de Staline et de l’Union soviétique.

Cette œuvre extraordinairement réaliste, d’une modernité géniale au moment de sa création en 1934 est portée par une musique d’une force incandescente.

Dès sa création à Saint Petersbourg elle fut acclamée et connut un très vif succès pendant plusieurs mois.

Elle connut le succès jusqu’au 28 janvier 1936 où à la représentation du Bolchoi de Moscou, le camarade Staline avec ses sbires vinrent au spectacle.

Le lendemain matin la Pravda écrivit : « Le chaos remplace la musique » et tout l’article expliqua comment cette musique était dévoyée et que l’Union Soviétique et les masses populaires ne pouvaient accepter telle décadence.

Exactement comme les nazis qui ont développé le concept <d’art dégénéré>

Chostakovitch fut humilié en public, ses œuvres retirées du répertoire, et pour résister à la peur d’être déporté voire pire il augmenta sa consommation de vodka.

Un jour il faillit vraiment être envoyé au goulag, mais chance l’enquêteur du KGB qui s’occupait de réunir le dossier contre lui, fut lui-même mis en cause dans le cadre d’une autre procédure de purge, arrêté, condamné à mort et exécuté. Le dossier de Chostakovitch fût oublié alors dans les méandres de cette administration folle et chaotique.

Chaque fois que l’on creuse un peu on constate qu’il n’y a aucune différence de fond entre Hitler et Staline qui furent tous deux des criminels, des déséquilibrés, des tyrans pathologiques et aveuglés par la violence de leur pouvoir.

C’est tout récemment qu’Alain Minc, qui ne fait pas partie de mes inspirateurs, m’a dévoilé pourquoi des amis que je respecte n’ont jamais voulu mettre Hitler et Staline au même niveau.

Alain Minc a dit, du temps de Staline il y avait beaucoup de communistes qui étaient des braves types et qui avaient foi que le communisme apporterait le bien au plus grand nombre, les nazis qui croyaient à la supériorité de la race n’étaient jamais des braves types.

Ceci est certainement juste, mais les deux maîtres de ces idéologies, eux, étaient des sales types dont on ne peut départager la noirceur.

Mais tout ceci ne doit pas m’éloigner des deux messages principaux que je voulais dévoiler dans ce mot :

Lady Mac Beth de Mzensk est un chef d’œuvre

L’opéra de Lyon en réalise une interprétation admirable.

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