Mercredi 22 février 2017

« La guerre civile globale »
Mishra Pankaj

Le concept de guerre civile globale est extrait de « Age of Anger » (âge de la colère) qui est un livre d’un romancier d’origine indienne, Mishra Pankaj qui selon « Le Point » est l’essai le plus commenté en ce début d’année dans le monde anglo-saxon.

Ce livre dont le sous-titre est « Une histoire des temps présents » n’est pas encore traduit en français, mais le magazine Le Point a publié une longue interview de cet auteur qui analyse notre présent non comme un choc des civilisations mais comme une explosion de colère née d’une intense frustration : <vers la guerre civile mondialisée ?>

Sa thèse c’est que symptômes que nous percevons (Election de Trump, éclosion des populismes, des régimes autoritaires et des manifestations de nationalismes et de xénophobie sont le signe d’une « guerre civile globale » opposant une élite cosmopolite et libérale à des masses frustrées de ne pas voir les fruits du progrès tant vanté.

Ses prévisions sont peu optimistes, il pense que la colère des masses ne va que s’accroître, car ses racines sont profondes.

Le Point commente :

« Dérangeant et pessimiste, rempli de bruit et de fureur, cet Age of Anger est éminemment discutable, mais personne, même pas le très libéral The Economist, n’a nié la puissance et l’ampleur [de cet] essai »

J’en tire quelques extraits :

« Selon Pankaj Misrah, c’est tout le programme des Lumières qui, dès le départ, contient un bug : en voulant façonner des individus libres, rationnels, mais soumis à la compétition et au désir mimétique, il porte en lui le virus du « ressentiment » ».

Tout se résume au fond à l’opposition entre Voltaire et Rousseau, réunis au sein du Panthéon, mais dont la rivalité n’a pas fini de faire des émules.

D’un côté, le chantre de la raison et du libéralisme anglo-saxon, qu’on qualifierait aujourd’hui de membre d’une « élite » coupée du peuple.

De l’autre, le rejeté de la bonne société parisienne, le paria paranoïaque qui a le premier annoncé toutes les passions négatives que pouvait susciter la société moderne.

« C’est triste de voir qu’on réchauffe [la] théorie de la guerre des civilisations qui se fonde sur des différences absolues culturelles et raciales… C’est ce genre de pensées qui motivent des personnes comme Stephen Bannon, le suprématiste blanc conseillant Trump. Au contraire, mon livre tente d’expliquer, en se basant sur le travail de René Girard, comment dans un monde moderne de plus en plus homogène l’individualisme et le désir mimétique sont la clé pour analyser une société marchande universalisée. Je cite Alexandre Herzen, le grand écrivain russe, et son affirmation que la civilisation occidentale moderne est une civilisation d’une minorité privilégiée, qui prend part au « festin de la vie », alors que les masses en sont les « invités indésirables ». Et cette guerre civile globale ne fait que s’intensifier du fait de l’uniformisation grandissante provoquée par la mondialisation.[…]

Mon livre se base sur une thèse historique : les pathologies politiques qu’a connues l’Europe à la fin du XIXe siècle en réaction au libéralisme, à la démocratie et à une croissance économique irrégulière sont aujourd’hui devenues universelles. Depuis la fin de la guerre froide, nous avons connu trois décennies d’un libéralisme extrême – souvent qualifié de néo-libéralisme – qui a pourtant été discrédité par les désastres de la première moitié du XXe siècle. Que ce soit aujourd’hui l’implosion des États-nations en Asie ou en Afrique, le ralentissement des économies ou la hausse des inégalités en Europe, ces pathologies rappellent ce qu’on a pour la première fois observé à la fin du XIXe siècle : des démagogues promettant le renouveau d’une communauté nationale ou des terroristes anarchiques trouvant dans la violence non seulement une expérience esthétique et existentielle, mais aussi une rédemption politique. Aujourd’hui, ces pathologies se sont répandues partout dans le monde. Elles touchent autant des Indiens déracinés, ayant migré de zones rurales aux métropoles, que la classe moyenne américaine délaissée par un capitalisme globalisé et opaque qu’elle ne comprend plus. Dans les deux cas, ces gens se cherchent un ennemi facilement identifiable et qu’on a sous la main : immigrants, femmes, élites…

[…] Les gens, en théorie, devraient être plus libres, riches et mobiles que jamais…

Qui dit ça ? Les idéologues du néo-libéralisme, qui ne cessent de nous répéter, alors que les inégalités grandissent, qu’une marée montante profite à tout le monde, yachts de luxe comme frêles esquifs. Ce sont les fantasmes véhiculés par les élites technocratiques, et leurs porte-voix dans la presse et sur les plateaux de télévision. Mais aujourd’hui, nous expérimentons les conséquences toxiques de ces promesses fausses et extravagantes faites par les bénéficiaires de la mondialisation.

[…] Aujourd’hui, l’ère de la mondialisation promet une citoyenneté cosmopolite pour tous, mais n’en délivre dans les faits qu’à des élites. Beaucoup se sentent donc floués. Du coup, l’attrait du concept « peuple » est à nouveau fort. Les gens recherchent une estime de soi à travers un groupe défini par l’ethnicité, la religion, la race ou la culture. Et les politiques sont à nouveau obsédés par l’idée de recréer une unité idéologique ou culturelle du peuple, et exclure tous ceux qui ne devraient pas y appartenir. […].

Le journaliste du Point essaye de ramener un peu de rationalité et de montrer qu’il y a quand même des progrès, en rappelant qu’ «En 1981, 54 % de la population mondiale était dans l’extrême pauvreté. Aujourd’hui, c’est moins de 10 %, selon la Banque mondiale. Les gens vivent plus longtemps, les maladies infectieuses ont connu des chutes remarquables et, alors qu’en 1900 seuls 21 % de la population mondiale savaient lire, ils sont aujourd’hui 86 %. N’est-ce pas là des succès spectaculaires du progrès, du libéralisme et de la mondialisation tant vilipendés ?». Le point appelle à la rescousse Steven Pinker qui a montré que nous vivons l’époque la moins violente et la plus tolérante de l’histoire, grâce à l’essor de la raison, du commerce, du cosmopolitisme et de la féminisation…et que j’avais évoqué lors du mot du jour du 19 décembre 2016 : « dix raisons de se réjouir de l’avenir » »

Ces arguments n’entament pas le pessimisme de Pankaj Misrah :

« Des pays comme l’Inde et la Chine ne pouvaient que se refaire une santé après ce qu’ils ont connu avec l’impérialisme occidental et la guerre civile. Et qu’est-ce que la croissance chinoise, à travers un capitalisme d’État, a à voir avec le libéralisme occidental ? De toute façon, il y a quelque chose de fallacieux dans ces succès quantifiables et ce progrès irréversible que vous présentez. Est-ce qu’une longue vie signifie qu’elle est obligatoirement meilleure et plus gratifiante ? Les taux de mortalité ont baissé, et ceux de l’alphabétisation sont en hausse, mais quid du chômage, du déracinement, de la dépossession et de la dégradation environnementale ? Une personne qui quitte son village pour aller travailler dans une métropole sort de la pauvreté selon les statisticiens, mais quelles mesures avons-nous pour évaluer sa vie dans des villes où la pollution est importante et les loyers élevés, tandis que les conditions dans les bidonvilles sont extrêmement brutales ? Ne soyons pas aveuglés par les statistiques et les graphiques. Au XIXe siècle, alors qu’il y avait très peu d’économistes et de journalistes pour faire œuvre de propagandistes, les romanciers ont décrit ce qu’ont vraiment coûté l’industrialisation et l’urbanisation. Cela vaut toujours la peine de lire Dickens et Zola pour comprendre ce qu’actuellement beaucoup de personnes vivent en Inde et en Chine dans leur marche au progrès. […]

L’idéologie de l’élite, les bénéfices de la mondialisation sont les mieux défendus depuis les verts campus de l’Ivy League, comme Harvard où travaille Monsieur Pinker. Des gens comme lui vous enrobent ça de statistiques nombreuses et impressionnantes, mais si vous regardez de plus près, l’analyse est très mince. Les dernières décennies semblent plus pacifiques essentiellement parce que les Européens ont arrêté de s’entretuer à large échelle en 1945. Mais les génocides, les nettoyages ethniques ou les guerres qui détruisent des millions de vies comme en Irak ou au Vietnam ne sont guère éloignés dans le passé. Et la probabilité que cela se produise à nouveau n’a jamais été aussi grande après l’arrivée à la Maison-Blanche de racistes et de suprématistes blancs. Je ne sais pas comment on peut croire à la vision rose d’un progrès constant de l’humanité, défendue par Steven Pinker, alors même qu’un « troll » sur Twitter a accès à l’arme nucléaire…[…]

Le projet moderne de l’individualisme, tel qu’il a été défini au XVIIIe siècle, est le projet utopique le plus radical de l’histoire. »

Il n’y a qu’une lueur d’espoir dans son développement quand il évoque le pape François.

« […] nous ferons très certainement un pas en avant en reconnaissant que la foi dans le progrès n’est nullement différente de la foi dans un dieu. Les deux nécessitent une soumission plutôt qu’un questionnement intellectuel. Par ailleurs, d’aucune façon je ne fais référence à une religion quand je salue le pape François. Je souligne simplement sa compassion pour les faibles et le fait de ne pas voir la vie comme une compétition sans fin pour un statut social ou la richesse, mais plutôt de s’ouvrir à la confiance et la solidarité. De telles aspirations sont l’objet de la dérision des élites technocratiques, alors même qu’une majorité frustrée et en colère succombe à la haine vomie par les démagogues… »

Nous avons compris que la mondialisation est la fin de la rente de l’occident. Les inégalités entre pays ont globalement diminué mais les inégalités à l’intérieur des pays occidentaux ont augmenté. D’où ce concept de guerre civile totale à l’intérieur des pays, mais dans tous les pays.

Je pense cependant que cet auteur est un peu trop pessimiste.

Mercredi 01/02/2017

Mercredi 01/02/2017
« Un salarié allemand sur quatre a un bas salaire, contre un sur dix en France »
Catherine Chatignoux
On nous raconte tant de choses. On nous explique surtout que l’Allemagne est un pays bien mieux géré que la France et que nous devrions nous en inspirer pour toutes nos politiques économiques.
Et il est vrai que l’Allemagne est plus riche, est moins endettée et dispose d’une balance commerciale bien plus favorable que la France.
Certes, mais cette politique économique a un prix ou disons son côté obscur qui est de plus en plus éclairé par des études internationales.
Catherine Chatignoux est journaliste dans le journal « Les Echos ». Elle a écrit un article en s’appuyant sur une étude statistique produite par Eurostat qui a a calculé la proportion de « bas salaires » dans les différents pays de l’Union européenne.
Vous trouverez cet article, derrière ce lien : <Un salarié allemand sur quatre a un bas salaire>
Mais Grâce à cet article, ce mot du jour et les deux précédents, j’espère que plus personne ne pensera que je n’aime pas les chiffres. Mais un chiffre n’est pas neutre, je vous l’ai déjà écrit…
Je cite l’article : « Si l’Union européenne est toujours considérée comme un îlot de prospérité relative dans le monde, les dernières données de l’office statistique Eurostat montrent que la précarité n’épargne aucune de ses économies et révèlent quelques anomalies. »
Mais montrant d’abord le schéma :
«Première indication : la proportion de bas salaires parmi l’ensemble des salariés de l’Union européenne atteint 17,2 %, la zone euro en compte un peu moins, 15,9 %, ce qui est logique compte tenu de sa plus grande homogénéité économique. Est considéré comme un bas salaire celui qui touchait en 2014 deux tiers ou moins du salaire horaire national brut médian. Il s’agit donc d’un niveau relatif et non en valeur absolue.
S’il n’est pas étonnant de trouver le plus grand nombre de ces bas salaires en Lettonie (25,5 %), en Roumanie (24,4 %) ou en Pologne (23,6 %), leur forte proportion est plus inattendue en Allemagne (22,5 %), au Royaume-Uni (21,3 %), en Irlande (21,6 %), et même aux Pays-Bas (18,5 %). A noter que, pour des raisons liées à la réorganisation du système de collecte, les données de la Grèce n’apparaissent pas.
A l’inverse, les pays scandinaves continuent de mériter leur réputation de pays plus égalitaires puisque moins de 10 % des salariés percevaient des bas salaires en Suède (2,6 %), en Finlande (5,3 %) et au Danemark (8,6 %). La France (8,8 %) et la Belgique (3,8 %) apparaissent également plus équitables tandis que les pays du sud de l’Europe, Espagne, Portugal et Italie, affichent un niveau de bas salaires intermédiaire, inférieur à 15 %.
Concernant le niveau du salaire brut médian, les écarts restent très importants dans l’Union européenne puisqu’ils s’échelonnent de 1 à 15. Le niveau le plus élevé a été enregistré au Danemark (25,50 euros de l’heure), devant l’Irlande (20,20 euros) et la Suède (18,50 euros). A l’autre bout de l’échelle, le salaire médian le plus faible se trouve en Bulgarie (1,70 euro) et en Roumanie (2 euros). En Allemagne, il s’élève à 15,70 euros et en France à 14,90 euros. »
L’étude d’Eurostat confirme par ailleurs que les femmes sont davantage concernées par les bas salaires (21,1 %) que les hommes (13,5 %) et les moins diplômés (28,2 %) bien plus que ceux qui ont un niveau d’éducation supérieur (6,4 %). Les faibles rémunérations concernent enfin davantage les CDD (31,9 %) que les CDI (15,3 %).
Ces chiffres que nous disent-ils ?
On nous dit que le Royaume-Uni et l’Allemagne ont un taux de chômage nettement inférieur à la France, c’est vrai !
Mais parallèlement ils ont aussi le système qui produit une plus grande précarité et une plus grande inégalité des salariés.
Bien sûr que la France a un grand problème avec le chômage, mais quand j’entends certains politiques dirent nous allons appliquer les recettes qui ont marché ailleurs en pensant à l’Allemagne et à la Grande Bretagne je ne peux être qu’inquiet.

Mercredi 25/01/2017

Mercredi 25/01/2017
« Trickle down Economic »
La théorie du ruissellement
Croyance économique qui justifie qu’on avantage les riches pour le plus grand profit des pauvres
Nous sommes dans une théorie économique qui est répétée à satiété par tous les économistes libéraux et les responsables politiques qui écoutent ces économistes.
Il faut diminuer les impôts des plus riches et libérer les contraintes qui pèsent sur eux pour qu’ils puissent devenir plus riche et que par un système de ruissellement cette richesse irrigue le reste de la société jusqu’au plus modeste qui profiteront alors de cette manne.
La richesse est dans cette hypothèse une source qui se divise en multiples petites rigoles et ruisselle jusqu’en bas, permettant à tous de profiter de la richesse créée en haut, y compris les plus pauvres. C’est une théorie libérale qui prétend que plus les riches sont riches, moins les pauvres sont pauvres.
C’est sur cette théorie que Donald Trump s’appuie pour défendre sa politique de diminution des impôts des riches et aussi la politique de dérégulation.
C’est aussi l’argument essentiel de François Fillon qui veut diminuer la pression fiscale à l’égard des hauts revenus et encourager les riches à être plus riche.
Et c’est Marie Viennot qui dans son billet économique du 9 janvier 2017 fait le point des études économiques sur cette théorie :
« Difficile de trouver des études qui valident la théorie du ruissellement. La période Reagan est une belle période pour étudier ce phénomène, mais comme, en plus des baisses d’impôts sur les plus riches, il y a eu une augmentation massive de la dépense publique, et la baisse vertigineuse des taux directeurs de la Fed, difficile d’isoler le seul facteur de baisse d’impôts des plus riches.
Des chercheurs de Harvard ont étudié en 2009 la corrélation entre la baisse d’impôt pour les plus riches et la croissance dans 12 pays, dont la France entre 1905 et 2000… Avant 1960, il n’y a aucun lien selon eux, et après, ils trouvent un lien, mais il faut attendre 13 ans, avant que les 90% du dessous profitent du surplus de croissance liée à la baisse des taxes. Le ruissellement prendrait donc 13 ans, Mais si dans les 13 ans, il y a une crise ou une dépression, là c’est perdu nous explique cette étude.
Autre analyse qui dément la théorie du ruissellement, celle que l’OCDE a publié cet automne sur les 35 pays les plus développés de la planète. L’étude montre que les inégalités de revenu sont à des niveaux historiques, depuis 30 ans que les données existent, et plus intéressant encore, que la légère reprise de croissance de ces 3 dernières années profite plus aux ménages les plus aisés…
Les 10% les plus riches ont vu leurs revenus augmenter de 2.3% et les moins aisés de 1,1%. C’est moins vrai en France, note l’OCDE car les impôts des plus riches ont été augmentés, et les prestations sociales revalorisées, mais la tendance est la même. Les inégalités augmentent, et la croissance accroît ces inégalités.
Si on regarde sur une plus longue période, en 30 ans les 1% les plus riches ont captés 50% de la création de richesse aux USA, 20% en Grande Bretagne, et 10% en France, selon des chiffres communiqués par l’OCDE.
Le FMI partage le constat de l’OCDE. Comme l’OCDE, on ne peut pas soupçonner le FMI d’avoir un agenda marxiste caché. Dans un rapport en 2015, le FMI l’écrit noir sur blanc: quand les riches sont plus riches, les bénéfices ne ruissellent pas et la croissance est moindre que si on favorise les pauvres et les classes moyennes.
Pourquoi la croissance ruisselle moins ?
De fait, les riches ont une propension plus forte à épargner, et certains ont tendance à placer cette épargne dans des paradis fiscaux pour la soustraire au fisc, à la redistribution… et donc au ruissellement.
L’autre explication, c’est que la reprise créée des emplois de mauvaise qualité, et s’accompagne d’une modération salariale généralisée. […]
Depuis quelques années, le FMI, le Bureau International du Travail et l’OCDE cherchent à pousser le concept d’INCLUSIVE GROWTH, croissance inclusive qui prône la création d’emploi de bonne qualité et bien payés, met l’accent sur la formation, l’éducation, et les politiques de redistribution des revenus.
Le sujet a été abordé pour la première fois par le G20, les pays les plus puissants de la planète cet été. C’était directement lié au Brexit. Il n’y a pas encore d’étude pour dire combien de temps cette idée mettra à ruisseler à contre-courant de l’apesanteur jusqu’en haut pour se traduire dans les politiques économiques et devenir une réalité. »
Mais tout le monde n’est pas d’accord avec ces études et si vous souhaitez entendre la parole de la défense écoutez l’économiste libérale Agnès Verdier-Molinié chez Ruquier le 14/01/2017 : https://www.youtube.com/watch?v=EEPuWrYKYmA
A vous de voir si elle vous convainc…
Ce n’est pas mon cas, j’estime qu’elle est dans le domaine de la croyance et que les études contredisent cette croyance.
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Jeudi 20 octobre 2016

« Avoir le monde en main, [signifie à coup sûr] automatiquement aussi, être aux mains du monde »
Maurizio Ferraris dans son livre <Mobilisation Totale ; L’appel Du Portable>, paru en août 2016

J’avais déjà évoqué Maurizio Ferraris, philosophe italien et son livre dont est extrait l’exergue du mot du jour. C’était lors du mot du jour du 16 septembre consacré au droit à la déconnexion pour les salariés reconnu par le paragraphe 7 de l’article L2242-8 du code travail et qui a été mis en œuvre par la fameuse Loi travail.

Mais il me paraissait pertinent d’approfondir la réflexion de Maurizio Ferraris, d’abord parce que j’ai écouté une émission, la Grande Table, qui posait la question <Smartphone, faut-il décréter l’état d’urgence ?> et dans laquelle il était invité.

Ensuite parce que cette réflexion constitue comme un miroir critique à celle de Michel Serres qui présentait l’aspect positif du smartphone :

« Les jeunes générations ont compris ce que signifiait le mot maintenant, qu’il faut lire main tenant, c’est à dire tenant dans la main. Avec les smartphones qu’ils tiennent dans la main, ils peuvent immédiatement échanger avec tous leurs proches ou personnes qu’ils connaissent quel que soit le lieu où les uns et les autres se trouvent dans le monde. Ils peuvent accéder à l’information et à la connaissance instantanément en surfant sur les outils de l’internet, ils peuvent envoyer, maintenant, des photos qu’ils viennent de prendre quelques secondes auparavant etc… »

Il s’agissait du mot du jour du 21 novembre 2012, le 23ème, alors que nous sommes aujourd’hui au 773ème.

J’ai pu lire un extrait de ce livre <Mobilisation Totale ; L’appel Du Portable> sur internet. Extrait auquel vous avez accès en suivant ce <Lien>

Ce livre se penche sur ce phénomène de société engendré par les smartphones et la connexion au monde et montre comment cette sollicitation permanente se transforme en dispositif de mobilisation.

Dans ce livre, Ferraris utilise le terme « arme » pour parler de l’ensemble de ces appareils mobiles qui nous asservissent parce qu’il a créé en italien l’acronyme « ARMI » qui a été traduit en français par Appareils de Registration (en réalité enregistrement) et de Mobilisation d’Intentionnalité.

Voilà ce qu’il écrit par exemple :

« Comment et pourquoi l’appel nous mobilise ?

L’appel est avant tout une responsabilisation : je réponds parce que je me sens apostrophé, moi, précisément moi. La responsabilité dont je me sens investi a un caractère incomparable de « première personne » : le message m’est adressé à moi, et je sens la nécessité de répondre avec le même naturel avec lequel le philosophe américain John Searle, dans l’anecdote qu’il rapporte au début de « la construction de la réalité sociale », sent la nécessité d’entrer dans un bar à Paris et de commander une bière. […]

L’absolu. Qu’est-ce qui rend d’autant plus puissant l’appel du portable par rapport à la bière de Searle ? Pour le dire en deux mots : si la bière a quelque chose à voir avec l’esprit, fut-ce avec celui du houblon, l’appel communique avec l’absolu. Pour la première fois dans l’histoire du monde, nous avons l’absolu dans la poche.

Le dispositif, dont le Web est la manifestation la plus évidente, est un empire sur lequel le soleil de se couche jamais, et le fait d’avoir un Smartphone dans la poche signifie à coup sûr avoir le monde en main, mais automatiquement aussi, être aux mains du monde : à chaque instant pourra arriver une requête et à chaque instant nous serons responsables

Même si l’on établissait par contrat de travail qu’on ne travaille qu’une heure par semaine, dans les faits s’appliquerait le principe selon lequel on travaille à toute heure du jour […].

Le mobile mobilise. Voilà ce qui a changé depuis l’époque de la bière de Searle. Que celui qui est encore en mesure de le faire, revienne en arrière, à l’époque où les téléphones étaient des appareils fixes et seulement capables de communiquer, sans aucun aspect lié à l’enregistrement. À cette époque, qui ne se trouvait pas physiquement dans les parages d’un téléphone fixe lié à son entourage (domicile ou bureau), était virtuellement soulagé de toute responsabilité. Le téléphone sonnait mais si cet individu avait un motif valide pour ne pas se trouver chez lui ou à son bureau, le fait d’être injoignable de pouvait en aucune façon lui être imputé. Ajoutons que le fixe était non seulement localisable, mais il était en principe amnésique (avant l’invention des répondeurs enregistreurs ou autres systèmes de mémorisation des appels), si bien qu’il ne restait pas de trace des coups de téléphone même quand on revenait dans les parages de l’appareil. Donc, là aussi, aucune responsabilité […].

Le seul téléphone mobile (mais sans mémoire) qui ait existé un bon nombre d’années fut le téléphone rouge, conçu en 1963. Enfermé dans une boite, il suivait comme une ombre ou un spectre le président des États-Unis et pouvait être utilisé pour communiquer directement avec le dirigeant de l’Union soviétique en cas de menace nucléaire. Cette évocation de la sphère militaire apparaît rétrospectivement prophétique. Les armes contemporaines sont des dispositifs mobiles et mobilisant qui tirent tout leur pouvoir du fait d’être toujours auprès de nous et éternellement muni de mémoire. Ce qui signifie justement qu’à la différence de ce qui se produisit avec le fixe, nous sommes responsables face aux messages qui peuvent nous arriver, et cela en tout lieu et à tout instant. Même si l’on se trouvait dans une zone sans réseau ou si nos « armes »  étaient pour quelque raison déchargées, en très peu de temps la mémoire, se réactivant, nous mettrait face à nos responsabilités, c’est-à-dire aux messages qui nous seraient arrivés durant la période de déconnexion. […]

Action. Généralement l’appel ne se limite pas à requérir une réponse ; il exige une action. Dès l’instant où une grande part du travail se fait à travers les « armes », l’accès à ces « armes »  équivaut à l’accès au travail : qu’on pense à la quantité de prestations fournies par les « armes »  hors des horaires habituels de service. Ce travail est non rétribué et souvent même il n’est pas comptabilisé comme travail, ce qui implique une nouvelle frontière de l’exploitation, qui commence au moment où, comme cela se faisait en de nombreuses entreprises on oblige les employés à être toujours muni d’un smartphone.

Les mobilisés acceptent d’être appelés à agir à tout moment et c’est aussi une diminution objective de liberté, qui n’est compensé par aucun avantage économique et qui même, le plus souvent, se transforme en un travail gratuit, que ne couvre aucune protection syndicale. […]

Responsabilité. Le message qui t’est destiné, est destiné à toi. Qui te l’as envoyé sait que tu l’as lu. L’ordre se présente comme un commandement individuel, de façon très différente de ce qui se passait avec les médias du siècle précédent. De ce point de vue, notre situation a changé par rapport à l’époque de la radio et de la télévision. On se lamentait alors du fait qu’on se trouvait submergé par un flot d’informations, surabondant et ingérable. Et alors ? Où était le problème ? Il suffisait de ne pas en tenir compte. Il est bien plus difficile d’affronter l’avalanche de sollicitations, de requêtes, de demandes impatientes qui sont adressés par l’armée mobile qui nous enserre. »

<Vous pouvez aussi lire cet article des Inrocks qui analyse ce livre>

Cette réflexion apparait très négative. A mon analyse, elle ne contredit pas la vision optimiste de Michel Serres, elle la complète.

Le smartphone est à la fois un outil formidable comme le décrit Michel Serres, et un outil d’asservissement comme le montre Maurizio Ferraris.

Il nous faut suffisamment de sagesse pour profiter de ses fonctionnalités et maîtriser ses excès.

Bref, il faut mater notre smartphone et savoir se déconnecter !

<773>

Vendredi 14 octobre 2016

« Les contradictions sociales du capitalisme contemporain »
Nancy Fraser, 38ème conférence Marc Bloch

Depuis lundi les mots du jour tournent autour de l’économie, des affaires, du profit et de l’argent qui corrompt.

Hier nous parlions du « consensus de Washington » qui selon les spécialistes a imposé le néo-libéralisme au monde par l’action du FMI et de la banque mondiale, en imposant des solutions dogmatiques aux pays endettés. Parallèlement la financiarisation de l’Économie a progressé.

Aujourd’hui je vous invite à une réflexion d’une autre consistance. Elle est l’œuvre d’une grande intellectuelle américaine, Nancy Fraser née en 1947. Elle est philosophe, enseigne la science politique et la philosophie à la New School de New York. C’est aussi une féministe affirmée, ce qui n’est pas pour me déplaire. Elle a été invitée par l’École des Hautes Études en Sciences Sociales à participer, le 14 juin 2016, à la 38ème conférence Marc Bloch.

Vous trouverez le discours de cette conférence <ICI>, je vous invite à le lire, vous apprendrez beaucoup.

Je vais essayer de vous en dire quelques mots, à ma manière, et d’instiller une saine curiosité.

On pourrait décrire ce dont nous avons parlé depuis lundi comme d’une pièce de théâtre qu’on voit se jouer devant nous. Beaucoup en parle, les journalistes, les économistes, les politiques. Mais il existe en coulisse des choses essentielles qui se passent. Si ces choses n’existaient pas, la pièce de théâtre ne pourrait se jouer. Sur scène, nous sommes dans le monde des échanges marchands, dans la recherche du profit, dans la vie économique telle qu’on la raconte dans les livres et les écoles de commerce. Dans ce monde, la partie mâle de l’humanité reste largement prédominante. Nancy Fraser ne parle pas de théâtre, c’est une invention personnelle pour présenter sa réflexion.

Dans les coulisses se trouve le monde du « Care » selon le terme utilisé par Nancy Fraser, du «prendre soin » si on parle français, mais Nancy Fraser utilise le concept de « Reproduction sociale ».

Nancy Fraser évoque :

« les « pressions qui, de nos jours s’exercent, de toutes parts, sur toute une série de capacités sociales essentielles, à savoir la mise au monde et l’éducation des enfants, la sollicitude envers amis et membres de la famille, la tenue des foyers et des communautés sociales, ainsi que, plus généralement, la pérennisation des liens sociaux. Historiquement, ce travail de « reproduction sociale », comme j’entends le nommer, a été assigné aux femmes, bien que les hommes s’en soient aussi toujours en partie chargés. Etant à la fois affectif et matériel, souvent non rémunéré, c’est un travail indispensable à la société. Sans cela, il ne pourrait y avoir ni culture, ni économie, ni organisation politique. Toute société qui fragilise systématiquement la reproduction sociale ne peut perdurer longtemps. Et pourtant, c’est aujourd’hui précisément ce qu’est en train de faire une nouvelle forme de société capitaliste »

Nancy Fraser inscrit cette réflexion dans 3 étapes historiques :

La première phase est celui du capitalisme libéral et concurrentiel au XIXe siècle. Le temps où massivement l’exode rural a poussé les pauvres vers les villes et les centres industriels. Dans un premier temps, les femmes et les enfants dès leur plus jeune âge étaient mobilisés pour le travail productif, pour des salaires de misère, dans un univers de pauvreté et de misère sociale incommensurable. Mais les combats sociaux ainsi que la pensée humaniste venant de la bourgeoisie ont abouti à des lois qui ont réglementé le travail des enfants et aussi des femmes.

« Le second régime est celui du capitalisme géré par l’État du XXe siècle. Fondé sur la production industrielle à grande échelle et le consumérisme domestique dans son centre, soutenu par la poursuite de l’expropriation coloniale et post-coloniale dans sa périphérie, ce régime a internalisé la reproduction sociale à travers l’engagement de l’État et des entreprises dans la protection sociale. Faisant évoluer le modèle victorien des sphères séparées, ce régime promut ce qui de prime abord pouvait sembler plus moderne : l’idéal d’un « revenu familial », » c’est-à-dire qu’un seul salaire devait permettre de faire vivre une famille. C’était bien évidemment celui de l’homme de sorte que la femme puisse s’occuper de la reproduction sociale. »

Elle ajoute cependant : « même si, encore une fois, un nombre relativement limité de familles pouvaient l’atteindre. ». Cette seconde étape se caractérise par l’émergence et la consolidation de l’Etat providence ou l’Etat social.

Et puis nous arrivons à notre époque :

« Le troisième régime est celui du capitalisme financiarisé et globalisé de notre époque. Les activités de production manufacturière sont délocalisées dans les régions à bas coûts salariaux ; les femmes ont été intégrées à la main-d’œuvre salariée ; enfin, le désengagement de l’État et des entreprises de la protection sociale est encouragé. Il y a bien externalisation des activités de care vers les familles et les communautés, mais dans le même temps leurs capacités à les mettre en œuvre ont été atrophiées. Dans un contexte d’inégalités croissantes, il en résulte une organisation duale de la reproduction sociale : marchandisée pour ceux qui peuvent payer, « familiarisée » pour ceux qui ne le peuvent pas – l’ensemble se retrouvant enjolivé par l’idéal encore plus moderne de la « famille à deux revenus » »

Nancy Fraser, à travers ce regard décalé de la « reproduction sociale » examine l’ensemble des questions économiques. Elle explique ainsi la dette :

« Le principal moteur de cette évolution du capitalisme, et le trait caractéristique du régime actuel, est la dette. La dette est l’instrument par lequel les institutions financières mondialisées font pression sur les États pour réaliser des coupes claires dans la dépense sociale, pour imposer l’austérité et plus généralement pour agir de concert avec les investisseurs afin d’extraire de la valeur des populations sans défense. A mesure que les emplois de service mal payés et précaires remplacent le travail industriel protégé par la négociation syndicale, les salaires tombent en dessous des coûts socialement incompressibles de la reproduction ; dans cette « économies des petits boulots », le maintien des dépenses de consommation impose d’accroître la dette des consommateurs, celle-ci augmentant donc de manière exponentielle. En d’autres termes, c’est de plus en plus à travers la dette qu’aujourd’hui le capital se nourrit du travail, discipline les États, transfère la richesse depuis la périphérie vers le centre et, tel une sangsue, extrait de la valeur des foyers, des familles, des communautés et de la nature.

Il en résulte une exacerbation de la contradiction intrinsèque au capitalisme entre production économique et reproduction sociale »

Nous entendons nos élites politiques et économiques parler d’adaptation, de compétitivité, d’auto entrepreneuriat, de travail du dimanche, ou même de ce nouveau concept de slasheurs qui serait l’avenir des emplois. Jamais, ils ne nous expliquent quel projet de société impliquent ces évolutions.

Quand Nancy Fraser analyse ces évolutions pour leurs conséquences dans la reproduction sociale, elle explique :

« Non content de diminuer l’investissement de l’État tout en intégrant les femmes dans le travail salarié, le capitalisme financiarisé a aussi réduit les salaires réels, ce qui oblige les membres du foyer à augmenter le nombre de leurs heures travaillées, et ce qui les pousse à une course effrénée pour se décharger sur d’autres des activités de care. Pour combler ces « déficits de care », ce régime emploie dans les pays plus riches des travailleurs migrants qu’on fait venir des pays plus pauvres. Sans surprise, ce sont les femmes racialisées et/ou issues du monde rural pauvre qui prennent en charge le travail reproductif et de soin qui était auparavant assuré par les femmes plus privilégiées. Mais pour ce faire, les immigrés doivent transférer leurs propres responsabilités familiales à des travailleurs de care encore plus pauvres qui doivent, à leur tour, faire de même, et ainsi de suite dans des « chaînes de care mondialisé » aux ramifications toujours plus étendues. »

Et si on regarde du côté des femmes les plus dynamiques de l’économie moderne, totalement intégrées dans la high tech et ayant la volonté de concilier leur carrière professionnelle et leur épanouissement familial, Nancy Fraser raconte deux exemples américains :

« Le premier est la popularité croissante de la « congélation d’ovules », une procédure coûtant normalement 10 000 $ mais qui est offerte à leurs employées femmes hautement qualifiées par des entreprises de l’informatique comme un des avantages négociés dans leur contrat. Désireuses d’attirer et de garder ces employées, des firmes comme Apple ou Facebook les gratifient ainsi d’une forte incitation à décaler leur grossesse. En substance le message est le suivant : « attendez d’avoir 40, 50 ans, voire 60 ans, pour avoir des enfants ; consacreznous vos années les plus productives, les années où vous avez le plus d’énergie»

Un second développement aux États-Unis est tout autant symptomatique de la contradiction entre production et reproduction : la prolifération d’appareils mécaniques high-tech et très coûteux pour tirer le lait maternel. Eh bien oui : voilà la solution qu’on adopte dans un pays où il y a un taux d’emploi élevé des femmes, où il n’y a pas de congé maternité ou parental rémunéré obligatoire, et où l’on est amoureux de la technologie. C’est aussi un pays où l’allaitement est de rigueur, mais cela n’a plus rien à voir avec ce que c’était par le passé que d’allaiter son enfant. On ne fait plus téter le sein à son enfant, on « allaite » désormais en tirant son lait mécaniquement et en faisant des stocks pour que la nounou puisse ensuite donner le biberon au bébé. Dans le contexte actuel de pénurie chronique de temps, les appareils à double coque, fonctionnant en « kit mains libres », sont ceux qui sont le plus recherché car ils permettent de tirer le lait des deux seins en même temps, tout en conduisant sa voiture sur la voie rapide, en route pour le travail.

Au vu de ces pressions actuelles, est-il surprenant que les luttes autour de la reproduction sociale aient éclaté ces dernières années ? Les féministes du Nord disent souvent que le cœur de leurs revendications se trouve dans « l’équilibre entre la famille et le travail » »

Pour finir je cite sa conclusion :

« Plus précisément, j’ai voulu expliquer que les racines de la crise actuelle du care sont à chercher dans la contradiction sociale intrinsèque au capitalisme, ou, mieux, dans la forme exacerbée que cette contradiction revêt aujourd’hui dans le contexte du capitalisme financiarisé. Si cette interprétation est correcte, cette crise ne sera pas alors résolue en bricolant la politique sociale. La solution à cette crise ne pourra se faire qu’en empruntant le chemin d’une profonde restructuration de l’ordre social actuel Ce qui est nécessaire, avant tout, c’est de mettre un terme à la soumission de «la reproduction» à «la production» que le capitalisme prédateur a réalisée Par voie de conséquence, il faut réinventer cette distinction et ré-imaginer l’ordre de genre. Reste à voir si l’issue de ce processus pourra encore être compatible avec le capitalisme »

Nancy Fraser donne des clés pour que nous puissions réfléchir et nous demander dans quelle société voulons-nous vivre ? Et de manière plus immédiate, quelle société implique les choix économiques qui nous sont vendus comme ceux de la modernité.

<J’ai découvert l’existence de cette conférence grâce à l’émission « la suite dans les idées » où Nancy Fraser était invitée>

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Vendredi 24 Juin 2016

«Les technocrates, si on leur donnait le Sahara, dans cinq ans il faudrait qu’ils achètent du sable ailleurs.»
Coluche

Souvent les mots du jour se moquent des technocrates.
Mais ce n’est pas le cas de celui du jour. Cela étant, il n’en fera pas l’éloge non plus.

Coluche est mort il y a 30 ans, exactement le 19 Juin 1986 à 41 ans.
Coluche était drôle et souvent ses blagues cognaient juste.

Il voulait faire une nouvelle blague sur les technocrates et il a donc eu ce mot qui signifie que si on donnait un désert aux technocrates, ils ne pourraient pas exploiter intelligemment le sable qui s’y trouve à profusion.

Seulement Coluche se trompait, cette blague tombe à plat dès que l’on approfondit un peu ce sujet à savoir l’importance du sable dans l’activité humaine et la qualité du sable du désert.

Les anglais ont aussi une expression : « C’est comme vendre du sable aux arabes » qui veut signifier qu’un acte est inutile avec cette idée que vendre du sable aux arabes ne présente aucune pertinence économique puisque « les Arabes » sont en grande partie un peuple du désert et qu’ils ont donc du sable à satiété.

C’est tout aussi faux, d’ailleurs aujourd’hui les peuples arabes de Dubaï, du Qatar et des autres états pétroliers achètent massivement du sable ! Notamment aux Australiens.

J’ai été sensibilisé à cette problématique lors de cette émission de France Inter : https://www.franceinter.fr/emissions/un-jour-dans-le-monde/un-jour-dans-le-monde-23-septembre-2015-0

On y apprend trois choses :

  • Le sable est une matière première essentielle pour l’économie contemporaine :
  • Le sable du désert est inutilisable pour ces activités
  • Le sable est surexploité et cette surexploitation constitue un problème écologique considérable dont on parle peu.

On y apprend en outre que le sable est la ressource naturelle la plus consommée après l’eau et les hydrocarbures.

<Un premier article donne des détails techniques :> :

« Le sable est la 3ème ressource la plus utilisée au monde, après l’air et l’eau. Il représente un volume d’échanges internationaux de 70 milliards de dollars par an. Plus de 15 milliards de tonnes utilisées dans le monde chaque année. Sur la planète, 2/3 de ce qui est construit est en béton armé et le béton est constitué de 2/3 de sable.

Chaque année en France, ce sont plus de 7 millions de tonnes de sable qui sont puisées dans l’océan Atlantique et dans la Manche. A 95 %, ce sable est destiné à la fabrication de béton pour la construction.

Il faut 200 tonnes de sable pour construire une maison de taille moyenne.
Un bâtiment comme un hôpital, consomme environ 3000 tonnes,
Chaque kilomètre d’autoroutes engloutit au moins 30 000 tonnes de sable,
Pour construire une centrale nucléaire, il faut compter environ 12 millions de tonnes.

Entre 75 et 90% des plages de la planète sont aujourd’hui menacées de disparition. Si on ne fait rien d’ici 2100, les plages du monde seront de l’histoire ancienne.

A Dubaï, la presqu’île artificielle autoproclamée « 8e merveille du monde » a coûté plus de 12 milliards de dollars et a ingurgité près de 150 millions de tonnes de sable pompé au large des côtes de Dubaï.

3500 sociétés australiennes exportent vers la péninsule arabique. Leurs bénéfices ont triplé en 20 ans et le sable représente aujourd’hui un jackpot annuel de 5 milliards de dollars pour l’Australie.
L’existence même de Singapour dépend de ses importations de sable. Sa superficie s’est agrandie de 20% ces 40 dernières années. »

Evidemment une telle ressource avec tant d’intérêts financiers suscite des convoitises et même des délinquants : « En Inde, les pirates du sable agissent au grand jour sur plus de 8000 sites illégaux d’extraction, disséminés sur les côtes et rivières du sous-continent. Au Maroc, le sable volé représente à ce jour, aux alentours de 40% à 45% des prélèvements. »

En outre, il y a des exemples de gabegie :

« En Chine, 65 millions de logements sont vides, pourtant la construction est florissante et engloutie 1/4 du sable extrait sur la planète <

L’Espagne détient le triste record du pays qui a utilisé le plus de sable en Europe… pour rien. Alors qu’elle connaît une crise du logement sans précédent, 30% des habitations construites depuis 1996 sont inoccupées. Des aéroports entiers ont été édifiés, mais n’ont jamais vu un passager. »

Mais d’où vient le sable ?

« Depuis 5 000 ans, les hommes ont extrait des roches que ce soit par l’exploitation de mines, la déforestation ou encore l’extraction de granulats.

L’extraction de granulats (sables, graviers et galets) est majoritairement effectuée dans des carrières de sable et de gravier (granulats roulés) et de roches massives (granulats concassés, roches ornementales). Mais face à l’épuisement des ressources terrestres en granulats alluvionnaires et aux désordres engendrés par la surexploitation dans les rivières (approfondissement du lit, déchaussement d’ouvrages d’art), les industriels se sont tournés vers des ressources de substitution, notamment les granulats marins.

L’exploitation de sable marin s’est développée depuis les années 1970 et est en plein essor depuis. Certains navires de drague peuvent pomper par jour entre 4 000 et 400 000 m3 de sable au fond de la mer.

Pour résumer, le sable provient de deux origines principales : d’origine éruptive dans les carrières et surtout le sable marin. »

Les impacts sur l’environnement sont immenses et alarmants. La disparition du sable est une question qui se pose.

Denis Delestrac a réalisé un documentaire pour ARTE : « Le sable : enquête sur une disparition ».

Documentaire que vous pouvez acheter sur la boutique d’Arte : http://boutique.arte.tv/f9016-sable_enquete_disparition

<Ici vous trouverez un extrait du documentaire ARTE de Denis Delestrac : Le sable en quête sur une disparition>

Et ci-après un autre documentaire : http://future.arte.tv/fr/le-sable-va-t-il-vraiment-disparaitre#article-anchor-14781

Le site écologiste terraeco : http://www.terraeco.net/Les-marchands-de-sable-menacent,51075.html donne les informations suivantes :

« Le biologiste Pierre Mollo s’inquiète d’un autre impact, plus immédiat, sur le plancton. En remuant les fonds marins, l’extraction de sable crée un panache dans lequel remontent des minéraux et métaux lourds enfouis depuis des millénaires, explique l’enseignant chercheur, cela peut contribuer à rendre le plancton toxique. »

De quoi ajouter à l’inquiétude des ostréiculteurs. Elle-même moindre que celle des pêcheurs.

Car, par sa seule présence, la bruyante élingue des extracteurs fait fuir les poissons, tout en aspirant leur alimentation. Alors à Lannion, les professionnels de la pêche crient au conflit d’usage. « C’est insoluble car les zones qui présentent le plus grand nombre de sédiments marins, généralement les estuaires, sont aussi des niches de biodiversité », soupire Pierre Mollo.»

Il y a encore les articles suivants :

http://www.rfi.fr/afrique/20130604-le-business-marchands-sable

http://www.humanite.fr/environnement/marchands-de-sable-les-autres-pilleurs-d-ocean-542170

https://fr.sott.net/article/20862-L-Extraction-de-sable-Un-enjeu-environnemental-et-economique-majeur

Il existe donc bien des marchands de sable, peut-être même veulent-ils nous endormir pour qu’ils puissent faire leur business tranquillement, mais nous apprenons par toutes ces informations que ces marchands de sable ne sont pas de gentils bisounours.

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Mercredi 13 avril 2016

Mercredi 13 avril 2016
«Un hackathon»
Nouveau concept de travail intense et collaboratif.
Je suis persuadé qu’une partie d’entre vous, notamment les plus jeunes, connaissent parfaitement de concept, mais pour ma part je l’ai découvert récemment.
Les architectes connaissent «la charette», travail intense et en groupe pour répondre à un appel d’offre dans un temps limité.
«Un hackathon» est un «truc» du même genre mais qui concerne la programmation informatique.
Un hackathon est, en effet, un événement où des développeurs se réunissent pour faire de la programmation informatique collaborative, sur plusieurs jours. Souvent cette approche collaborative s’accompagne d’une compétition entre les développeurs pour désigner le groupe qui réalise la meilleure solution.
Le terme est constitué de deux racines : de «hack» qui vient de «hacker» et «marathon.». Dans l’esprit de beaucoup, un hacker est un  informaticien qui utilise ses connaissances de la sécurité informatique pour en rechercher et en exploiter les faiblesses. Mais, notamment aux Etats-Unis, le hacker est avant tout un informaticien ingénieux qui crée, analyse et modifie des programmes informatiques pour améliorer ou apporter de nouvelles fonctionnalités à l’utilisateur.
En faisant quelques recherches sur ce sujet j’ai trouvé cet <Article du Figaro> :
« […] Sur les bancs des universités, les hackathons sont désormais légion. Contraction de «hack» et «marathon», le mot désigne un événement de programmation informatique collaborative.
[…] Le concept du hackathon est né aux États-Unis à la fin des années 1990, au sein de la communauté des développeurs adeptes des logiciels libres. «À l’époque, on se réunissait autour d’un projet pour lui donner un coup d’accélérateur», explique Mael Inizan, chargé de projet au sein de Silicon Xperience et de Silicon Sentier, une association qui promeut l’innovation en Île-de-France.
La culture du hackathon s’est propagée en entreprise lorsque les génies de l’informatique sont devenus entrepreneurs. Facebook fut précurseur dans le domaine. Sur l’impulsion de Mark Zuckerberg, les employés du réseau social s’y affrontent régulièrement dans le cadre de hackathons d’entreprise. Une seule règle: concevoir un projet qui n’a pas de rapport avec son domaine de prédilection. […]
Le phénomène a depuis gagné la France. Axa, Orange, Pernod Ricard, la SNCF, la RATP et beaucoup d’autres se sont déjà frottés à l’exercice. Le hackathon a quitté le stade expérimental pour s’intégrer à la stratégie d’entreprise. Plus question de se limiter à organiser une compétition entre employés. La plupart des hackathons organisés par des sociétés sont ouverts à tous: étudiants, start-up ou simples curieux contribuent à l’effort de recherche et développement.
«Avec les hackathons, nous cherchons à sortir du schéma d’innovation classique», précise Frank Mouchel, CIO d’Axa France. Le groupe d’assurances a organisé son premier hackathon sur le thème de la relation clients. Une quarantaine d’équipes ont élaboré un projet soumis à un jury de professionnels. Pendant quarante heures, les participants ont alterné lignes de code, micro-siestes et parts de pizza, en espérant remporter le premier prix de 10.000 euros.»
Ces initiatives qui semblent très positives posent cependant question : « Le hackathon est-il l’avenir de l’innovation en entreprise? Du côté des développeurs, on ne partage pas vraiment l’enthousiasme général et on dénonce les «dérives commerciales» du concept. «Un hackathon ne devrait pas se faire au bénéfice d’une société mais dans l’intérêt commun», prévient Mael Inizan. «Le problème, c’est que des entreprises financent ces événements en espérant un retour sur investissement immédiat.»
D’autres inquiétudes, plus concrètes, entourent l’intérêt des entreprises pour ces concours à l’innovation. Le spectre du travail non rémunéré plane sur les hackathons. Un participant du concours organisé par Axa confie sa crainte du vol d’idées, surtout quand les thèmes sont très spécifiques.«Les participants doivent protéger leurs productions par l’utilisation de licences libres», prévient Ivan Béraud, secrétaire général de la fédération CFDT de la communication, du conseil et de la culture. Ce dernier affirme n’avoir reçu aucune plainte relative à des hackathons à ce jour. […] La durée courte d’un hackathon représente à la fois des avantages et des inconvénients. «Le problème des hackathons, c’est qu’on y accomplit 80% d’un projet et qu’on oublie de finir les 20% restants», regrette Sarah Cherruault, PDG d’Auticiel, une société spécialisée dans les applications pour enfants autistes. La jeune entrepreneuse a néanmoins été plus chanceuse que la moyenne. Elle a participé en 2011 à un hackathon sponsorisé par Orange dans le cadre du Téléthon, où son application a remporté le premier prix. Cela a permis à son entreprise de rentrer en contact avec la fondation Orange, désormais partenaire de la start-up. «Les hackathons, c’est une énorme opportunité pour créer son réseau, rencontrer des partenaires comme des futurs collaborateurs», affirme Sarah Cherruault. »
Ce sont bien sûr les sites spécialisés en informatique qui sont les plus enthousiasmés par ce type d’évènement : http://www.journaldunet.com/solutions/emploi-rh/hackathon.shtml
« L’enjeu sur lequel la plupart des organisateurs se retrouvent, c’est sur la nécessité de transformer l’essai. « C’est actuellement ce sur quoi on travaille pour la prochaine édition du Hacking Health Camp » explique Sebastien Letélié. « On a remarqué que l’on n’avait pas de structure afin de permettre de donner une suite aux projets prototypés durant l’événement. Et on cherche à le corriger, avec le soutien de la part de nos partenaires qui aimeraient voir ces projets sortir plus facilement. […] Si on veut que le format continue, il faut que les startups s’y retrouvent » rappelle Chloé Bonnet. « Et pour ça, il faut leur donner une opportunité de business sur la suite. » Pas de secret, même si la gratuité de la participation semble être ici la norme. Mais certains sujets méritent d’être évoqués et définis clairement avant toute chose : au hasard, la propriété intellectuelle des prototypes développés au cours de la manifestation. « Le contrat moral entre participants et organisateurs doit être clair dès le départ. Ce qui est développé dans le cadre du hackathon appartient à son développeur et toutes les entreprises qui ont tenté de déroger à la règle ont rapidement rétropédalé » explique Chloé Bonnet. Et un hackathon qui tourne au désastre, c’est souvent une situation que l’on préfère éviter. […]
La pratique historique du hackathon, celle portée par le monde communautaire, elle fonctionnera toujours » explique Chloé Bonnet. « Pour les entreprises, cela dépendra de l’engagement avec les startups et de la volonté de renouveler l’expérience. » Pourtant il y a des risques, celui de l’outsourcing masqué et du travail gratuit, souvent pointé par les critiques de l’économie collaborative. « Ce qu’il faut comprendre, c’est que c’est un format qui existe depuis un moment et que l’on ne peut pas en faire n’importe quoi » rappelle Chloé Bonnet. « Ce n’est pas une campagne marketing, des codes existent et il faut en avoir conscience. »
On voit donc que beaucoup de questions se posent, notamment de propriétés intellectuelles, de rémunération du travail fourni si le résultat n’appartient pas gratuitement à la collectivité mais va directement servir aux bénéfices d’une grande entreprise qui tirent les marrons du feu.
Ce sont des questions du monde du travail de demain et déjà d’aujourd’hui.
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Jeudi 11 février 2016

Jeudi 11 février 2016
«Derrière la polémique sur les 35 heures, les heures supplémentaires»
Les 35 heures sont à nouveau sur la sellette.
Mais enfin de quoi parle-t-on en réalité ?
L’histoire de l’économie est une histoire de l’amélioration de la productivité. Ce qui signifie qu’on produit davantage en moins de temps.
Par ailleurs le chômage est énorme et si certains pays parviennent, mieux que la France, à s’en sortir c’est parce qu’ils multiplient les jobs précaires avec peu d’heures de travail. Peut-être faut-il aller dans leur sens, mais le problème n’est pas la durée du travail.
Daniel Cohen l’a souligné, la révolution numérique actuelle ne crée pas d’emplois. Certains croyants disent : «toutes les révolutions industrielles ont supprimé massivement des jobs, mais en contrepartie ont créé de meilleurs jobs en plus grand nombre. Il suffit d’attendre que la révolution numérique donne toute sa mesure.»
En attendant d’autres, comme le rappelle Brice Couturier, «estiment que la moitié des métiers actuels auront disparu dans 20 ans. Le World Economic Forum est d’une précision diabolique : d’ici 2020, la 4°révolution industrielle aura créé 2 millions d’emplois dans les pays industrialisés, mais elle en aura détruit 7 millions….»
Cette discussion sur la durée du travail est des 35 heures est un leurre, un trompe l’œil.
Barbara Romagnon explique : «La meilleure preuve en est que la durée moyenne des temps pleins en France est supérieure à 39 heures, selon l’Insee. L’employeur peut faire travailler davantage ses salariés, à la seule condition de respecter la législation européenne qui fixe la limite de temps de travail hebdomadaire à 44 heures (ou 48 heures sur un cycle court). Les lois sur les 35 heures ont aussi ouvert la voie aux « forfaits jours  » et à l’annualisation qui permettent de moduler le temps de travail sur l’année. Un salarié peut faire 40 heures une semaine et 30 heures la semaine suivante sans que le patron ait à payer les 5 heures supplémentaires de la première semaine.»
Les 35 heures, c’est le seuil à partir duquel, se déclenche les heures supplémentaires qui sont payés en plus et plus cher ! Voilà le nœud !
Ce dont il est question, ce n’est pas la durée de travail,  c’est le prix du travail pour les employeurs, ce qui correspond au revenu des salariés.
Pendant un certain temps on nous a amusé avec les charges sociales qu’il fallait réduire à tout prix.
Mais maintenant on va davantage à l’os : la somme d’argent qu’on paye à un salarié en contrepartie de son travail.
Nous, je, vous sommes trop payés en moyenne dans un monde globalisé avec des frontières ouvertes.
C’est de cela qu’il est question !
Sachant bien que tout le monde n’est pas trop payé, il en existe qui ont encore des marges de manœuvres !
C’est plus compliqué puisqu’il y a d’abord eu une diminution de 1 300 000 à 800 000 parce que c’était prévu dans le contrat pour sa dernière année de contrat et parce qu’il commençait à se faire vieux. En résumé et après négociation son salaire est passé de 1,3 M à 1,5M.
Lui il n’est pas trop payé. Évidemment si vous essayez de raisonner par la morale, vous pouvez trouver cela exagéré. Mais du point de vue économique cela se comprend. Il y a des milliers de « moutons », pardon de « supporters » qui acceptent de payer des billets d’entrée dans les stades où il joue, d’acheter des maillots et d’autres colifichets à son nom, de s’abonner à des télés payantes pour regarder les matches auxquels il participe. C’est un salarié qui a un peu plus de moyens que d’autres pour se défendre devant ses employeurs et demander une redistribution des gains un peu plus avantageuse pour lui.
Mais en moyenne, nous, quasi tous les autres nous sommes trop payés !
Voilà ce qui est sous-jacent à ce débat interminable sur les 35 heures.
Nous pouvons accuser les autres, les capitalistes qui ont délocalisé pour mieux nous contraindre. L’Europe qui nous a soumis à cette superbe injonction de la concurrence libre et non faussée ! Le numérique et internet qui rend encore davantage possible la dérégulation.
Mais nous sommes aussi en partie responsables. Notre goût délétère de toujours chercher le prix le moins cher.
Vous comprenez cela ! «Moi je veux être payé cher pour ce que je produits, mais je veux acheter le moins cher possible !»
Petit exemple un salarié de la Fnac qui disait à l’époque : «c’est terrible, les gens viennent à la Fnac demander conseil puis il rentre chez eux et vont acheter le produit conseillé sur internet chez un concurrent qui n’a pas nos conseils».
Depuis la Fnac s’est adapté, elle n’a plus beaucoup de salariés très compétents et qu’il faut payer très cher !
Mais ce que nous pouvons aujourd’hui comprendre c’est qu’une partie de nous est ce client qui veut moins cher et qu’une partie de nous est ce salarié qui a des compétences et des prétentions à être payé plus cher.
En réalité nous sommes chacun 1/3 de producteur 1/3 de consommateur et 1/3 d’être social. Ce dernier tiers correspondant à celui qui contribue à l’Etat providence et qui bénéficie aussi de l’Etat providence.
C’est à ce dilemme que Jean-Paul Delevoye, le dernier Médiateur de la République, apportait cette évidence : « L’économie est mondiale mais le social est local !»
Eh bien nous avons accepté, comme une évidence, que celui qui devait être privilégié dans notre être œconomicus c’était le 1/3 consommateur.
Probablement qu’individuellement nous ne pouvions rien faire devant ce phénomène de masse.
Mais il faut comprendre que la responsabilité de tout cela n’est pas totalement extérieure à nous.
Peut-être quand même devrions nous nous interroger sur nos comportements de consommation pour que le phénomène soit mieux maîtrisé.
Prenons un 1/3 de dentiste consommateur, il voudra voyager et au meilleur prix !
Il ne va quand même pas prendre Air France où le 1/3 producteur de pilote a beaucoup trop davantage et est beaucoup trop payé !
Il est vrai que chez Ryanair le 1/3 producteur de pilote est beaucoup mieux maîtrisé financièrement.
Mais dans ce raisonnement, il faut comprendre que le 1/3 de dentiste producteur est beaucoup trop payé par rapport à la concurrence mondiale.

Il ne s’étonnera pas que le 1/3 de pilote d’avion consommateur cherchera un dentiste dont le 1/3 producteur est moins cher !

<Pour illustrer mon propos vous pouvez écouter Sofia Lichani qui était hôtesse de l’air chez Ryanair, elle en a écrit un livre>. Dans cette entreprise, c’est l’employé qui paye sa formation initiale réalisée par son entreprise.

Pour les dentistes, si on fait une recherche sur internet on voit l’émergence de cabinets de dentiste low cost, l’uberisation est proche ?
Aujourd’hui on pourrait aussi penser aux agriculteurs dont le 1/3 producteur pour beaucoup n’est vraiment plus payé convenablement…
Je vous laisse à cette réflexion bien loin de l’idée que nous ne travaillons pas assez !
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Mercredi 20 Janvier 2016

Mercredi 20 Janvier 2016
« La consommation ostentatoire »
Thorstein Veblen (1857 – 1929) économiste et sociologue américain

Les soldes !

Les soldes d’hiver 2016 ont été lancées le 6 janvier dernier.

Et on voit des grappes de personnes s’agglutiner dans des magasins, surtout des magasins de vêtements et être entraînées dans une fièvre consommatrice compulsive.

Mais qu’est-ce qui pousse tous ces gens à acheter, à consommer bien au-delà de leurs besoins ?

Le nouvel Obs a invité un docteur en sociologie politique et psychosociologue : Thierry Brugvin pour s’exprimer sur ce sujet.

Thierry Brugvin a dirigé l’ouvrage « Être humain en système capitaliste ? Psychosociologie du néolibéralisme » paru en septembre 2015.

Il prend appui sur ce concept de « consommation ostentatoire » de Thorstein Veblen

Wikipedia nous apprend que : Le concept de consommation ostentatoire est la traduction française de l’expression anglaise « Conspicuous consumption », forgée par le sociologue et économiste américain Thorstein Veblen et exposée pour la première fois en 1899 dans son ouvrage « Théorie de la classe de loisir. » Dans cette étude des classes supérieures, de la très haute bourgeoisie aux USA, Veblen note que celle-ci gaspille temps et biens. Lorsqu’elle favorise dans la vie le loisirs, elle gaspille du temps, et lorsqu’elle consomme de manière ostentatoire, elle gaspille des biens.

La consommation est statutaire, elle sert à celui qui en fait un « usage ostentatoire » à indiquer un statut social.

Thierry Brugvin explique :

« Le besoin de consommer et de posséder compense la peur de ne pas être reconnu et d’être faible. Le marketing capitaliste vise à inciter à la consommation infinie et repose sur plusieurs besoins et peurs de nature psychologique. Le sociologue Thorstein Veblen qualifie de « consommation ostentatoire », c’est-à-dire l’acte de consommer pour se sentir exister par le regard des autres, qu’on imagine envieux et admiratif.[…]

Le besoin de possession et d’accumulation est quasiment illimité chez certains milliardaires, qui accumulent plus qu’ils ne pourront jamais consommer ou dépenser. Car, le ressort profond de leurs besoins réside sur un besoin de puissance. Le niveau de leur consommation devient un indicateur de réussite.

L’autre aspect du besoin névrotique de possession consiste à se sécuriser, face à la peur de manquer au plan affectif et matériel. La sécurité matérielle relève des besoins essentiels physiologiques (de se nourrir et de se loger), mais aussi de posséder des technologies puissantes et multiples. Ces dernières visent à être en capacité de faire face à tous les besoins et problèmes éventuels, grâce à des instruments, à la technologie (automobile, ordinateur, outillage), mais aussi le besoin névrotique de connaissance. […]

Le besoin de consommer relève aussi d’un besoin de possession affectif et non pas seulement matériel. Le fait de consommer (de la nourriture, des vêtements, des voyages, de la culture…) s’avère nécessaire à la vie et à l’épanouissement de l’être humain. Mais à l’excès, cela manifeste le besoin de compenser une carence affective. Il s’agit à nouveau de la peur de ne pas être aimée suffisamment.

Plus le consommateur se nourrit, plus il se donne de l’amour par ce qu’il ingurgite, plus il compense alors sa peur de ne pas être aimé. C’est un comportement analogue aux boulimiques, mais eux à un degré extrême. […]

Le besoin de consommer s’alimente de la peur de manquer et de ne pas être reconnu. […] »

Et il finit par cette réflexion toute empreinte de simplicité épicurienne :

« Le détachement et l’acceptation vis-à-vis de ces peurs névrotiques permettent aux individus de retrouver une sécurité psychologique intérieure et finalement de se recréer de vraies valeurs, telles celles d’être heureux dans et par la sobriété. »

J’entends de façon prémonitoire des réactions offusquées.

Que cette réflexion psychologique puisse s’appliquer aux milliardaires qui accumulent des biens et des finances qui dépassent de très loin leur capacité d’utilisation et de jouissance peut être entendu.

Mais rapprocher cette réflexion des soldes n’est pas sérieux !

Du point de vue de la micro-économie, il s’agit d’une attitude pertinente pour le client d’attendre les meilleurs prix pour acheter et parallèlement les commerçants ont besoin de ces périodes pour leur chiffre d’affaire.

Du point de vue de la macro économie, il faut bien penser à la croissance du PIB et un emballement de la consommation ne peut qu’être bénéfique pour ce carburant nécessaire à l’emploi et aux performances économiques.

Certes ! Le mot du jour n’a aucune vocation de prêcher une morale mais simplement poser des questions auquel il appartient à chacun, s’il le souhaite, de répondre pour sa part.

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Jeudi 22 octobre 2015

«Perturbateur endocrinien»
Theo Colborn

Aujourd’hui, je partage avec vous un article de Libération : <Perturbateurs endocriniens : comment les lobbys ont gagné>.

L’expression «perturbateur endocrinien» a été créée par Theo Colborn pour désigner tout agent chimique qui agit sur le système hormonal, et peut, de ce fait, être la cause d’anomalies physiologiques et de reproduction.

« Theo Colborn » est une femme comme son prénom ne l’indique pas. Américaine, elle était zoologiste et épidémiologiste. Née en 1927 à Plainfield, elle est décédée le 14 décembre 2014.

C’est en 1991, que Theo Colborn rassemble des scientifiques afin d’étudier l’effet des produits chimiques sur les hormones. L’expression perturbateur endocrinien est issue de leurs travaux.

Depuis lors, les effets des perturbateurs endocriniens sont recherchés puis observés : agissant à très petites doses, ils ont des effets sur la santé en altérant des fonctions telles que la croissance, le développement, le comportement et l’humeur, la production, le sommeil, la circulation sanguine, la fonction sexuelle et reproductrice.

Ces substances ont pour nom :

  • parabènes,
  • phtalates,
  • bisphénol A,
  • dioxines…

On les retrouve un peu partout, tant au travers des objets que nous utilisons quotidiennement, que par le biais de l’environnement. Ces perturbateurs endocriniens sont ainsi présents dans des produits aussi banals que des packagings de l’alimentation, des bouteilles en plastique, des lingettes pour bébés… et même dans les produits cosmétiques (crèmes, parfums, vernis, etc.).

L’article de Libération présente un livre qui décrit les méthodes des industriels pour obtenir de la Commission européenne l’inaction.

L’auteure est Stéphane Horel qui est journaliste indépendante et documentariste et qui explore l’impact du lobbying et des conflits d’intérêts sur les décisions politiques.

Son livre s’appelle <Intoxication> publié aux éditions de la découverte en octobre 2015.

Dans ce livre elle revient « sur un épisode récent (entre 2010 et fin 2013) et largement occulté, qui explique en grande partie l’immobilisme actuel : la guerre qui a eu lieu au sein des directions de la Commission européenne et qui a abouti à un enterrement du dossier. Ou plus exactement, dans le jargon, à lancer une «étude d’impact» qui a permis de repousser les échéances. Une histoire qui révèle les terribles batailles d’influence autour de la santé à Bruxelles.»

Stéphane Horel explique :

«Je passe des heures, des jours et des nuits à tout lire pour essayer de comprendre en direct ce qui se passe, et comment travaillent en direct les lobbys de toutes sortes».

En ce début octobre, dans la revue Endocrine Reviews (la plus ancienne revue et importante société savante spécialisée travaillant à la recherche sur les hormones et la pratique clinique de l’endocrinologie), un travail de synthèse a été réalisé, dont les conclusions sont sans appel :

«L’accroissement des données examinées enlève tout doute sur le fait que les perturbateurs endocriniens contribuent à l’augmentation de la prévalence de maladies chroniques liées à l’obésité, le diabète sucré, la reproduction, la thyroïde, les cancers, les problèmes neuroendocriniens et affectant les fonctions neurologiques du développement.»

Les chercheurs précisent même que

«Les cinq dernières années représentent un bond en avant dans notre compréhension des modes d’actions des PE sur la santé et la maladie du système endocrinien».

En 2006, la Commission a entamé sa révision de la réglementation des pesticides. Et elle a décidé d’y inclure les PE. Problème : comment les distinguer, comment les définir ? Le Parlement s’y penche, et demande à la Commission de présenter une définition scientifique des PE avant la fin 2013. […]

Au même moment, en 2006, les instances européennes adoptent Reach, un vaste programme dont le but est de protéger la santé et l’environnement en mettant un peu d’ordre dans le grand bazar chimique qu’est devenu le monde contemporain. «Les PE font-ils partie des substances préoccupantes
?» s’interroge alors Reach.

La question, là encore, reste en suspens, mais Reach demande à la commission de trancher, avec la même date limite : juin 2013.

L’industrie pétrochimique sent le danger.

«Elle se met, alors, sur le pied de guerre, écrit Stéphane Horel, l’industrie aurait souhaité que les politiques européennes se désintéressent du dossier. Elle a perdu cette première bataille, mais elle va se mobiliser pour faire en sorte que la définition des PE soit aussi limitée que possible, parce qu’elle veut continuer à mettre ses produits sur le marché sans que n’intervienne le moindre régulateur.»  Commence donc une bataille d’influence. Homérique mais discrète, elle aura pour cadre les couloirs de la Commission européenne, à Bruxelles. Et c’est cet affrontement que nous décrit, dans son livre enquête, Stéphane Horel, et en particulier les derniers épisodes en 2012 et 2013. Un affrontement larvé, torve, terriblement féroce entre deux grandes directions de la Commission européenne, celle sur la santé et celle sur l’environnement. […] »

Pendant des mois et des mois, les deux directions vont s’invectiver en secret autour de la question d’une étude d’impact que pousse habilement l’industrie pétrochimique. Une étude d’impact, quoi de mieux, en effet, pour enterrer une décision ?

[…] «Le but des industriels est de techniciser à outrance le débat, pour arriver à le rendre incompréhensible, et surtout à le rendre indéchiffrable aux yeux des citoyens», analyse Stéphane Horel.

[…] Les médias ? «Pendant ces années de lobbying, ils ont joué un rôle très limité, constate Stéphane Horel, et puis en France, dès qu’il s’agit d’un sujet européen, les journaux ont peur d’ennuyer

Juin 2013, la date couperet. Le lobby des industries a gagné, comme le raconte Stéphane Horel. La Commission européenne a tranché.

Et a demandé une étude d’impact. Ceux qui s’alarmaient sur l’intérêt d’un tel travail ont eu raison : deux ans plus tard, rien n’a bougé.

On en est toujours là.

Et on attend toujours.

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