Mercredi 6 juin 2018

«Il faudrait enseigner à douter y compris du doute…»
Edgar Morin

Je suis abonné aux tweets d’Edgar Morin. Souvent en quelques mots il écrit des choses fondamentales.

Tel est le cas de cette phrase : « Il faudrait enseigner à douter » et il ajoute et même douter du doute.

Probablement que cette réflexion a été inspirée par cette incongruité de l’annonce par les services officiels de l’Ukraine du meurtre du journaliste russe Arkadi Babtchenko. Nous savons désormais qu’il s’agissait d’une <fausse information> (fake news en globish)

J’avais consacré un mot du jour au doute : «Nous devons combiner la graine fertile de la curiosité et l’esprit fécond du doute»

Plus récemment j’avais rappelé le propos du mathématicien Henri Poincaré : « Douter de tout ou tout croire, ce sont deux solutions également commodes qui l’une et l’autre nous dispensent de réfléchir.»

Alors je trouve particulièrement important, dans un monde de fausses nouvelles et de théories du complot, de se reprendre à douter et même à douter du doute.

Par exemple :

  • Douter des théories économiques.
  • Douter du doute sur l’apport des vaccinations.
  • Et même douter du libre-échange et douter du doute du libre-échange.

 

Nous sommes le 6 juin 2018. Ce blog a donc un an…

Le mot du jour introductif du blog, le mot du jour existait sous une autre forme depuis 2012, se trouve derrière ce lien <6 juin 2017>

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Mardi 27 février 2018

«Nous avons été de la viande à charbon. »
François Dosso, porte-parole de la cellule maladies professionnelles de la CFDT des mineurs de charbon de Lorraine

Je suis né à Forbach et ma maison parentale se trouvait dans la ville voisine de Stiring-Wendel. Ces deux villes faisaient partie du bassin houiller de Lorraine, les mines de charbon. Si mon père n’y a travaillé que pendant une très petite période, la plus grande partie de ma famille : oncles, cousins, petits cousins y ont travaillé toute leur vie.

La Lorraine était une région industrielle de mines, les mines de fer près de Thionville, les mines de charbon autour de Forbach, Freyming Merlebach et aussi des mines de sel près de la ville bien nommée Château-salins.

En avril 2004, le dernier puits du bassin houiller lorrain a fermé, il s’agissait du puits de la Houve à Creutzwald. Le siège de Merlebach avait fermé au mois d’octobre 2003.

Mais c’est bien l’arrêt de la production, le 23 avril 2004, du puits de la Houve qui marque la fin de l’exploitation du charbon en France.

<Vous trouverez derrière ce lien une histoire documentée de l’aventure du Charbon à Freyming-Merlebach>

Wikipedia nous apprend que la présence du charbon dans la région fût connue dès le XVIe siècle, mais que c’est au début du XIXe siècle que l’exploitation du bassin lorrain va connaître son développement. Ainsi, c’est en 1810 que deux ingénieurs du corps impérial des Mines dressent le premier atlas du bassin houiller lorrain dans la continuité du bassin de la Sarre qui se trouve au-delà de la frontière du côté de l’Allemagne qui n’a pas encore opérée son unification.

Nous apprenons aussi que le bassin houiller lorrain s’étend sur une superficie de 49 000 ha, qu’il peut être délimité par le triangle Villing (près de Creutzwald) – Faulquemont – Stiring-Wendel et qu’il regroupe environ 70 communes. Enfin on y dénombra plus de 58 puits construits entre 1818 et 1987.

En 1946, au lendemain de la guerre les mines de charbon furent nationalisées et on créa les Houillères du bassin de Lorraine (HBL), un établissement public à caractère industriel.

L’exploitation est donc désormais arrêtée depuis 14 ans, mais de graves problèmes demeurent dans ma région natale.

D’abord un problème économique, cette région est sinistrée depuis cette fermeture qui correspond à une désindustrialisation que rien n’a su compenser pour donner des emplois stables et rémunérateurs. J’avais esquissé cette problématique en évoquant le documentaire de Régis Sauder <Retour à Forbach>

Ensuite des problèmes géologiques, en effet, l’eau s’engouffre dans les galeries et cause des affaissements de terrain et des effondrements miniers qui endommagent les immeubles et les routes.

Mais la technique n’est rien sans les hommes explique « l’Humanité » dans ce bel article de 2003 < Freyming-Merlebach, ou la vie après la mine>. Vu à hauteur d’homme, cet article raconte comment dans ce lieu de labeur se sont côtoyés des travailleurs venant de pays différents :

« Des convois d’Italiens, de Polonais surtout, arrivent en gare de Toul. On leur pend un écriteau autour du cou. Ils s’ajoutent par dizaines aux Slovènes, aux Hongrois, et bien sûr aux Allemands. Depuis le début du siècle, ils acceptent de descendre aux côtés des paysans de Freyming. Du coup, les effectifs salariés progressent de 13 500 à 24 775 de 1920 à 1938. »

Mon grand-père maternel faisait partie du contingent polonais qui est venu renforcer la force de travail dans les mines de charbon de Moselle dans les années 1920.

Dans cet univers aussi se côtoyait ceux qui ne croyaient pas et ceux qui croyaient. Après un article du journal l’Humanité, je suis tombé sur un article de 2013 du journal « La Croix » : <La retraite contrastée des mineurs de Lorraine> :

On pourrait penser que le destin d’un mineur de charbon était enviable :

« Dans le charbon, on cessait le travail à 50 ans pour les mineurs de fond et à 55 ans quand on travaillait au jour. Mais quand les Houillères du Bassin de Lorraine (HBL) ont progressivement cessé leurs activités, entre la fin des années 1990 et 2008 (l’exploitation avait pris fin en 2004), l’âge a encore été avancé à 45 ans. »

Mais la journaliste de la Croix raconte aussi la perte de sens, l’ennui et le vide :

« Heureusement, j’habite dans une maison et il y a du travail, poursuit Stanislas. Mais beaucoup sont en appartement, ils n’arrivent pas à s’occuper, passent leurs journées dans leur canapé, devant la télévision, à boire et à fumer. J’en connais un, pourtant bon vivant, qui a divorcé, puis s’est suicidé. Un autre a fait une tentative, récemment. Ils avaient pourtant tout pour avoir une vie extraordinaire. Mais ce qui manque le plus, c’est le contact. […]

En tant que médecins du travail, nous aurions voulu continuer à les suivre au-delà de 2008, témoigne Pierre Heintz, ancien médecin des Houillères, mais cela n’a pas été validé par Charbonnages de France. La direction estimait que ça ne pouvait que bien se passer. Nous, nous avions le retour des premiers mineurs partis, dont certains s’étaient mis à boire, avaient un sentiment de perte d’identité car leur métier n’existait plus. »

Et la journaliste rappelle « Le Pacte charbonnier », un accord inimaginable aujourd’hui :

« En 1994, alors que les Houillères du Bassin de Lorraine (HBL) emploient 12 000 personnes, le « Pacte charbonnier » est signé sous la houlette de Gérard Longuet, alors ministre de l’industrie. Cet accord, inimaginable aujourd’hui, est justifié par la crainte de ne pas réussir à reclasser les « gueules noires », dont beaucoup sont victimes de maladies professionnelles (amiante et silicose) et envers qui la Nation se sent redevable d’une dette.

Un « congé charbonnier de fin de carrière » (CCFC) est ouvert à tous les ouvriers et agents de maîtrise de plus de 45 ans ayant au moins vingt-cinq ans d’ancienneté (vingt ans pour ceux ayant plus de 20 % d’invalidité) »

Ils touchent 80 % de leur salaire, ne peuvent travailler en parallèle (plus tard, ils auront la possibilité de toucher un faible revenu) et conservent tous leurs avantages (gratuité des soins, du logement, du chauffage), y compris pour les veuves».

Mais si j’écris aujourd’hui un mot du jour à ce sujet, c’est en raison d’un article « des Echos » du 15 février 2018 écrit par Pascale Braun : <La dernière bataille des mineurs de Lorraine> :

« Exposés à des conditions de travail dangereuses et insalubres dans les années 1980, plus de 3.000 mineurs tentent aujourd’hui de faire reconnaître la faute inexcusable des Houillères à leur encontre. […]»

« Nous avons été de la viande à charbon. Les houillères ont envoyé au casse-pipe des jeunes de vingt ans. Nous ne cesserons pas de nous battre tant que nous n’aurons pas obtenu la reconnaissance collective de cette ignominie », expose sans ambages François Dosso, porte-parole de la cellule maladies professionnelles de la CFDT. »

Car avant de partir à la retraite les mineurs de charbon qui travaillaient au fond de la mine ont été soumis à des poussières, des gaz, la terrible silice, l’amiante et d’autres produits dangereux :

«  A partir du choc pétrolier déclenché en 1973 par la guerre du Kippour et jusqu’à la catastrophe du puits Simon de Forbach en 1985, les houillères du bassin de Lorraine (HBL) ont imposé aux mineurs une productivité très élevée.

Les rendements ont progressé de manière spectaculaire, passant de 4,4 tonnes par homme et par jour en 1974 à 6 tonnes par homme et par jour en 1990. Les embauches ont repris à un rythme soutenu – jusqu’à 3.000 mineurs par an, avec un turnover atteignant parfois les deux tiers – jusqu’à l’arrêt brutal des recrutements en 1983. […]

Sur le plan sanitaire, cette période s’est avérée funeste. Les syndicats se sont d’abord inquiétés des accidents – 16 morts lors de la catastrophe de Merlebach en septembre 1976, mais aussi 15 morts et 600 blessés graves en moyenne chaque année hors accidents collectifs. Le souci des maladies n’est apparu que plus tard. […]

Les mineurs sont tombés malades. Pour l’année 1992, considérée comme ordinaire, les affiliés au régime minier présentent un taux de prévalence de maladies professionnelles 144 fois plus élevé que pour les affiliés au régime général. Au fond des puits, ils utilisent massivement des huiles minérales ou bitumineuses et du trichloréthylène. Ils respirent des vapeurs de gazole, des fumées de tirs d’explosifs et des fibres de roche.

En fonction des sites et des métiers, ils ont pu entrer en contact avec 24 produits cancérigènes ou pathogènes. [Ils] ont été exposés en moyenne à 11 d’entre eux au cours de leur carrière.

La dernière mine de Lorraine ferme en 2004 . Quatre ans plus tard, Charbonnage de France est liquidé et relayé par l’Agence nationale pour la garantie des mineurs (ANGDM). Disparaît ainsi un employeur qui régna en maître dans le bassin houiller durant un siècle et demi. Les langues se délient.

Peu avant la liquidation, certains médecins et cadres communiquent aux syndicats des informations jusqu’alors inédites sur la toxicité des produits utilisés. S’engage alors la troisième bataille du charbon, visant à faire reconnaître et à indemniser les victimes sanitaires d’une exploitation hors norme.

Le combat sans concession commence par l’amiante. Dans un premier temps, CDF conteste l’exposition elle-même. Déboutée jusqu’en cassation, l’entreprise attaque systématiquement toutes les demandes de reconnaissance de faute inexcusable, mais se voit presque immanquablement condamnée, au terme d’une guérilla juridique évaluée à 5.000 euros par cas, soit un coût de plus de 15 millions d’euros.

Aujourd’hui, entre 10 et 15 dossiers sont plaidés et gagnés chaque semaine au tribunal des affaires sanitaires et sociales de Metz.

A ces quelque 3.500 plaintes en cours se sont ajoutés au moins 500 dossiers portant sur la silicose et les maladies respiratoires inscrites aux tableaux 30 et 30 bis de la Sécurité sociale . »

L’avocat spécialisé en santé et sécurité au travail, Michel Ledoux explique :

« Pendant des décennies, nous avons échoué à contrer le raisonnement communément admis selon lequel on ne peut extraire du charbon sans générer de la silice. Nous sommes ensuite parvenus à démontrer que les houillères n’avaient pas respecté les mesures de sécurité qu’elles avaient elles-mêmes mises en place. Mais chaque dossier constitue un gros travail, car les mineurs ont exercé à des époques différentes, dans différents puits et à différentes tâches ».

C’est donc une bataille juridique qui s’est engagée. Elle est très incertaine pour les mineurs

« En juillet 2017, 755 anciens mineurs de l’Est mosellan ont pourtant encaissé une sévère déconvenue : la cour d’appel de Metz les a déboutés à la fois de leur demande d’indemnisation au titre du préjudice d’anxiété et de leur plainte contre Charbonnages de France (CDF) pour violation de l’obligation de sécurité.

Les plaignants avaient obtenu partiellement gain de cause le 30 juin 2016 devant le tribunal des prud’hommes de Forbach , qui leur a accordé un préjudice d’anxiété – jusque-là réservé aux victimes relevant du dispositif spécifiquement dédié aux victimes de l’amiante – avec une indemnisation de 1.000 euros contre les 15.000 demandés.

Ils ont décidé de se pourvoir en cassation, mais tous ne seront peut-être pas au rendez-vous. Entre juin 2013, date de la première instance aux prud’hommes, et le lancement de la procédure en appel en septembre 2015, 14 des 844 plaignants sont morts, à l’âge moyen de 61 ans. La décision de la cour est attendue courant 2019. »

Tout récemment sur des motifs analogues, des mineurs de fer de Lorraine ont été déboutés par la Cour de Cassation le mercredi 21 février 2018.

Nous sommes ici au cœur de la complexité du monde industriel dans lequel des ouvriers étaient fiers de leur travail et donnaient du sens à leur action tout en perdant leur vie à la gagner.

Pour celles et ceux que cela intéresse, j’ai encore trouvé <Un diaporama montrant le travail dans les mines de charbon lorraines et son évolution>

Et <Ici> toute une collection de photos du patrimoine minier.

Il y a énormément de ressources sur Internet. Ainsi sur ce blog on trouve une page décrivant chacun des 58 puits de l’Histoire des charbons de Lorraine, du puit de Schoeneck (1818) à La Houve (Creutzwald), le puits ouest (1987)

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Vendredi 9 février 2018

« A quoi est utile le système hiérarchique ? »
Réflexions personnelles après des années de butinage.

Laurent Wauquiez, le chef que la droite s’est choisie, aime à rappeler cette injonction de Jacques Chirac : « Un chef c’est fait pour cheffer ! »

Mais un chef ne suffit pas à faire un système hiérarchique, il a fallu du temps aux humains et développer des sociétés sophistiquées pour que le système hiérarchique se mette en place.

Car dans un système hiérarchique, il n’y a pas qu’un chef, il faut une collection de chefs avec un numéro 1 et puis des grands chefs, des moyens chefs et des petits chefs.

L’organisation qui a développé les pyramides hiérarchiques les plus rigoureuses est bien sûr l’armée. L’Histoire comme on la raconte est souvent l’Histoire des grands chefs avec leurs collections de sous-chef, d’Alexandre le Grand jusqu’à Napoléon Ier. Et il faut bien reconnaître que cela a souvent plutôt bien fonctionné.

Et cela a pu aussi conduire à de terribles dévoiements des horreurs, comme seul homo sapiens, parmi les espèces, a pu provoquer.

Nous commémorons cette année, la dernière de la première guerre mondiale. Guerre qui a mis en œuvre une hiérarchie de fer du côté allemand, comme du côté français. Du général en chef, en passant par tous les niveaux hiérarchiques des ordres absurdes ont été donnés pour s’emparer de telle ou telle colline, au prix de milliers de morts. A l’époque déjà des soldats n’étaient pas convaincus de l’intérêt stratégique de beaucoup de ces lieux de combats qui passaient parfois d’un camp à l’autre dans la même journée. Aujourd’hui, les analyses le confirment, beaucoup de ces « boucheries » étaient parfaitement inutiles du point de vue stratégique, du point de vue humaniste la question ne se pose même pas. Il suffit de s’intéresser aux exploits du tristement célèbre Général Nivelle pour approcher cette réalité.

Mais Nivelle tout seul n’aurait rien pu faire. Il fallait une chaîne de commandement, où chacun à son niveau relayait l’ordre du supérieur et le mettait en œuvre sans jamais le remettre en cause.

Nous avons donc une première réponse à la question posée : Un système hiérarchique est utile pour mettre en œuvre des ordres terribles et pousser l’aveuglement jusqu’aux dernières extrémités.

N’oublions pas que les régimes nazis et communistes s’appuyaient aussi sur un système hiérarchique très dur, où le problème ne repose pas que sur le numéro un mais sur tous les sous chefs.

Le système hiérarchique, bien au-delà de l’armée s’est imposé dans toutes les organisations humaines qui comptaient un nombre important de membres

Loin de moi l’idée, de prétendre qu’un système hiérarchique n’a pas d’atout pour permettre à des organisations de bien fonctionner car il apporte, quand tout se passe correctement, de l’ordre, de la lisibilité et un cadre plutôt rassurant.

Dans un premier mot du jour <celui du 18 décembre 2014> il était question d’entreprises qui imaginaient que d’autres organisations étaient possible.

Mais c’est bien Frédéric Laloux avec son livre « Vers des communautés de travail inspirées », qui est le plus incisif.

Il parle de croyance :

« depuis la nuit des temps toute l’idéologie humaine tournait autour de cette croyance : pour qu’une organisation fonctionne il faut un « boss », un seul qui décide ! »

On pourrait peut-être émettre l’hypothèse que l’invention d’un Dieu monothéiste relève de cette même croyance, il faut un organisateur, un chef unique et omnipotent.

Il fait aussi son développement sur nos trois cerveaux pour en venir au fait principal qui a augmenté ma connaissance :

L’organisation hiérarchique gère très mal la complexité. Si notre corps humain fonctionnait selon un système hiérarchique, nous pourrions être très inquiets. Le corps humain fonctionne par la coopération entre tous les organes et à l’intérieur des organes par la présence d’autres corps vivants selon une symbiose. Nous savons aujourd’hui qu’il y a 100 fois plus de bactéries dans notre intestin que de cellules dans notre corps. Et il a été démontré dans de nombreuses études que ces bactéries, si elles ont bien un rôle dans notre bien-être digestif, seraient aussi responsables de la manière dont nous « digérons » nos émotions.

Peter Wolhlleben que j’ai cité dans le mot du jour du 22 décembre 2017 pour son merveilleux livre « La vie secrète des arbres » ne dit pas autre chose. En parlant de l’organisation de la forêt, il dit il n’y a pas hiérarchie :

« Cela fonctionnerait très mal dans la nature »

D’ailleurs quand les humains veulent vraiment organiser des réponses adéquates à la complexité ils agissent autrement. Car l’économie a démontré que l’organisation pyramidale, au niveau étatique, est bien trop rigide pour faire face aux défis de l’innovation et de l’efficacité. Ce fut le grand échec des systèmes soviétiques. Tout le monde a compris que la multiplication des acteurs et la décentralisation des centres d’initiatives que sont les entreprises et particulièrement aujourd’hui les start-up sont bien davantage en capacité de résoudre la complexité et de trouver des solutions qui fonctionnent. Or, des patrons qui vous expliquent cette capacité d’un marché libre à trouver des solutions innovantes et efficaces, dès qu’ils retournent dans leurs entreprises reviennent au dogme du cerveau unique et de l’organisation hiérarchique.

Frédéric Laloux évoque ainsi des entreprises qui ont fait le choix d’une organisation non hiérarchique, dans son développement.

Le système hiérarchique reste cependant toujours largement dominant et peut même dans certains cas, être efficace. C’est ce qu’affirme François Dupuy, sociologue des entreprises qui a publié plusieurs livres qui ont marqué, notamment « Lost in management ». Pourtant sur la 4ème page de couverture de cet essai, on lit :

« Dans de nombreuses entreprises, le problème est aujourd’hui de reconstruire une maîtrise minimale de la direction et de ses managers sur l’organisation et ses personnels en redécouvrant les vertus de la confiance et de la simplicité. »

Mais dans cet article, François Dupuy reconnait que l’organisation hiérarchique reste omniprésente dans le monde économique et le titre de l’article est assez péremptoire : « Pourquoi la hiérarchie reste la plus efficace des organisations du travail ». Il dit notamment :

« Les évolutions des modes d’organisation des entreprises sont très lentes. Ainsi, quoiqu’on en pense, le mode taylorien est encore dominant avec ses deux caractéristiques: le découpage en « territoires » et le fonctionnement hiérarchique. On a pu montrer que même les entreprises de la « nouvelle économie », dès lors qu’elles grandissent, ont tendance à se structurer comme toutes les autres.

On peut donc produire les technologies nécessaires à un fonctionnement plus « ouvert », ce n’est pas pour cela qu’on l’adopte.

Jeffrey Pfeffer, dans une étude relative à la place de la hiérarchie en entreprise, estime qu’il s’agit du modèle le plus efficace. […]

C’était aussi l’argument de Max Weber. Il y a donc longtemps que les vertus du système hiérarchique ont été mises en avant. L’idée est celle de la clarté et de la lisibilité des organisations ainsi que celle d’une définition connue des responsabilités. Mais la réalité est bien sûr plus complexe car il n’y a pas qu’un type de fonctionnement hiérarchique. Les organisations dites « plates » c’est à dire à niveaux hiérarchiques réduits sont en effet efficaces. Mais à l’inverse, plus on multiplie les niveaux et plus l’organisation se « brouille » et offre aux acteurs des multiples opportunités de jeu.

Pour autant, celui-ci peut poser problème dès lors qu’il doit faire face à de l’instantané. »

Vous constaterez que la dernière phrase de François Dupuy apporte une autre limite aux organisations hiérarchiques : elles ont du mal à faire face à de l’instantané. Autrement dit une organisation hiérarchique réagit lentement et a beaucoup de mal à faire face à l’imprévu.

Et lorsqu’on regarde le monde, qu’on en perçoit la complexité, et aussi un temps qui s’accélère avec des fractures disruptives qui entraînent de l’imprévu, on se dit que l’organisation hiérarchique n’est plus très adaptée.

Dans un monde stable et conservateur une organisation hiérarchique peut s’épanouir et fonctionner parfaitement.

Sommes-nous encore dans un tel monde ?

Mon expérience aussi de la hiérarchie montre que cette organisation a pour effet de déresponsabiliser les acteurs qui d’une part sont dans l’attente des décisions et des initiatives de la hiérarchie qui devient aussi le plus souvent le bouc émissaire commode pour expliquer toute difficulté ou désagrément.

Dans les solutions proposées par Frédéric Laloux, les acteurs sont bien davantage responsabilisés. Et pour tous ceux des acteurs qui ne joueraient pas le jeu, les pressions exercées contre eux seraient bien plus fortes que dans un système qui reposerait sur la hiérarchie.

Ainsi la deuxième réponse à la question, c’est qu’un système hiérarchique permet d’avoir des boucs émissaires commodes.

Alors bien sûr, cela remet en cause le concept et la notion de chef.

Souvent j’ai le soupçon que beaucoup pensent encore que « le responsable » est à la fois un manager et un expert qui connait mieux le métier que celui qu’il est censé commander.

Dans un monde de la complexité et de la technicité c’est une vaste blague.

A ce stade je crois utile, pour approcher la réalité du ressenti des personnes qui se trouvent dans un système hiérarchique de faire appel à une BD, et d’en tirer deux extraits :

D’abord le centurion explique tranquillement à son sous-chef, l’optione, qu’il comprend forcément moins bien que lui, son supérieur hiérarchique. L’optione accepte ce verdict.

Dans l’extrait suivant, l’optione va être confronté à un problème inverse, un légionnaire veut l’aider à comprendre parce qu’il a exprimé son incompréhension devant une question qu’il se pose.

L’optione est alors cohérent : si lui comprend moins que le centurion, le légionnaire ne peut pas comprendre ce que l’optione ne comprend pas

Quelquefois, j’ai le soupçon que des optiones contemporains sont encore dans cette croyance.

Il peut arriver que dans certains domaines l’optione en sache davantage, mais certainement pas dans tous les domaines du métier.

Mais même dans un système hiérarchique, il n’est pas interdit d’avoir de l’intelligence et de la lucidité.

Dans cette disposition d’esprit, on se rend compte qu’on n’a pas besoin de chef.

  • On a besoin de personnes capables de faire travailler des gens ensembles, que les compétences coopèrent et non s’affrontent, que la confiance augmente et que les tensions s’apaisent. Une personne qui joue le même rôle dans une équipe, qu’un catalyseur dans une réaction chimique.
  • On a aussi besoin de décideur, quand c’est difficile, quand la décision ne coule pas de source. A ce moment là pour faire avancer il faut que quelqu’un se dévoue comme serviteur de l’équipe pour faire un choix, pas comme un chef qui aurait la science infuse et toujours raison quelle que soit les circonstances.
  • On a enfin besoin de gens qui savent dégager ou comprendre les priorités et en tirer les conséquences dans l’attitude quotidienne.

Certains d’entre vous diront : mais c’est cela un bon chef. Peut-être, mais je ne crois pas très pertinent de conserver ce terme de « chef qui est là pour cheffer », je crois beaucoup plus intelligent de faire référence à ce que les américains appellent : « the servant leader » et que j’appellerai le responsable au service de l’équipe.

Et prenons comme une connaissance qu’un système hiérarchique n’est ni efficace pour gérer la complexité ni pour réagir rapidement devant l’imprévu.

Nous sommes au terme de cette semaine, où j’ai essayé de faire un point sur mon butinage de plus de 5 ans.

Ce fut difficile pour vous car les articles étaient très longs.

J’aurais encore eu le goût d’aborder le thème des sciences qui sont remises en question, la santé qui se trouve devant tant de choix exaltants et pourtant inquiétants, l’évolution de la société à l’égard des femmes, les réflexions sur le travail et l’emploi, la relation complexe entre les humains et la nature et tant d’autres sujets.

Mais si c’est difficile pour vous lecteurs, l’écriture aussi est astreignante, consommatrice d’énergie.

Lundi, je reprendrai un butinage plus ciblé et un peu moins ambitieux.

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Jeudi 8 février 2018

« La croissance et la vie »
Réflexions personnelles après des années de butinage.

La croissance a atteint 1,9 % en France en 2017, soit son plus haut niveau depuis 6 ans. Et <certains annoncent 2,1% pour 2018>

Mais la banque mondiale estime entre 6,7 et 6,8% la croissance de la Chine en 2017 et l’Inde bénéficie encore de meilleures perspectives. Et l’OCDE a annoncé, fin novembre, une prévision de 3,7% de la croissance mondiale en 2018.

La performance de la France reste donc modeste par rapport à cette vision globale.

La croissance entraîne de l’euphorie, tout le monde va vivre mieux semble t’on dire.

  • Quand on est parent, on aime voir ses enfants croitre.
  • Quand on est jardinier on aime voir ses plantes croitre.
  • Quand on est commerçant, on aime voir ses affaires croitre.

Mais LA CROISSANCE ! C’est le chiffre de l’économie et aussi des hommes politiques : ils veulent, ils annoncent, ils se réjouissent de la croissance.

La croissance est bien sûr la croissance du Produit Intérieur Brut.

Et cela constitue déjà un problème.

Le Monde du 31 janvier 2018 a publié une chronique du président du conseil d’administration de Crédit Suisse, Urs Rohner : « Le PIB ne doit pas être l’unique obsession des décideurs »

Il fait une critique sérieuse et économique du PIB

« De nombreux économistes respectés ont depuis longtemps souligné que le produit intérieur brut (PIB) est une mesure inadéquate du développement économique et du bien-être social, et ne devrait donc pas être l’unique obsession des décideurs. Pourtant, nous n’avons fait aucun progrès vers une alternative réaliste à cet indicateur.

L’une des lacunes bien connues du PIB est qu’il ne tient pas compte de la valeur du travail domestique, y compris les soins aux enfants et aux membres âgés de la famille. Plus important encore, l’attribution d’une valeur monétaire à ces activités ne réglerait pas un défaut plus profond du PIB : son incapacité à refléter de manière adéquate l’expérience vécue par les membres de la société. Mesurer les travaux ménagers gonflerait le PIB sans pourtant modifier réellement les niveaux de vie. De plus, les femmes, représentant la plus grande part des personnes qui effectuent des travaux domestiques, continueraient à être considérées comme bénévoles plutôt que contribuant véritablement à l’activité économique.

Un autre défaut bien connu du PIB est qu’il ne tient pas compte de la destruction de valeur, par exemple lorsque les pays gèrent mal leur capital humain en négligeant l’éducation, ou en épuisant leur capital naturel pour obtenir des avantages économiques immédiats. Au final, le PIB tend à mesurer les actifs de façon imprécise, et pas du tout les passifs. ».

La question qu’il faudrait se poser est que détruit-on pendant que nous croissons ?

Et si on revient aux grands mythes d’homo sapiens, on lira les textes saints du Monothéisme, Genèse 1:28 :

« Et Dieu les bénit, et leur dit : Croissez, et multipliez, et remplissez la terre; et l’assujettissez, et dominez sur les poissons de la mer, et sur les oiseaux des cieux, et sur toute bête qui se meut sur la terre. »

L’homme prudent dira : c’était un bon plan marketing quand les hommes étaient quelques millions sur la terre. Mais il posera aussi la question : Est-ce toujours le cas depuis que nous sommes 7,5 milliards et que nous allons vers les 10 milliards voire au-delà ?

Les économistes orthodoxes sont des gens rigoureux, ils n’aiment pas qu’un pan de l’activité marchande leur échappe. L’activité bénévole ne les motive pas trop, mais dès qu’il y de l’échange de monnaie…

Et c’est ainsi que nous apprenons que l’INSEE va intégrer le trafic de drogue au PIB.

Un article du Monde, nous explique les problèmes techniques que cela pose à l’INSEE et sur lesquels je ne m’arrêterai pas. Il semblerait que l’INSEE réalise cette évolution à l’insu de son plein gré. Elle le fait sur une demande de l’Europe.

En France, assure l’Insee, cette prise en compte entraînera « une révision en très légère hausse du niveau du PIB ». Le chef du département des comptes nationaux de l’institut public, Ronan Mahieu, évoque le chiffre de « quelques milliards » d’euros, à rapporter aux 2 200 milliards d’euros du PIB français.

Dans cet article nous apprenons que l’Allemagne inclut la prostitution dans son PIB, ce que ne fait pas la France et lorsqu’en 2013 notre voisin germanique a intégré le trafic de drogue, il a noté une amélioration de 0,1 point de pourcentage.

Comment dire ?

A ce stade, je ne voudrais pas développer de nouvelles théories économiques, tâche dont je suis d’ailleurs incapable. Ni faire des leçons morales, mais simplement parler de la vie.

Le 700ème mot du jour donnait la parole à un économiste sortant un peu des sentiers battus : Yann Moulier Boutang

Il nous parlait des abeilles :

« Je vais vous parler des abeilles.

Qu’est-ce que fait l’abeille ?

L’économie politique qui s’intéresse aux produits, aux produits vendables, vous répond : l’abeille produit du miel. L’apiculteur va remplacer l’essaim sauvage où l’abeille produit du miel, pour elle-même et pour ses larves, par des ruches avec des rayons.

Puis il va subtiliser le miel des rayons, car l’abeille ne produit pas naturellement du miel pour les humains. Et en lui retirant le miel des rayons, l’abeille va produire, produire et encore produire du miel. […]

Cela c’est le PIB, la croissance. La production du miel, de la farine, des smartphones, du tourisme, les maillots au nom des millionnaires du football, des poudres de perlimpinpin comme dirait notre Président, des armes et donc aussi de la prostitution, de la cocaïne et tout ce qui peut se vendre…

Mais Moulier-Boutang nous montre le vrai rôle de l’abeille et pose un autre regard sur le rôle de l’abeille dans la nature et dans notre écosystème :

Mais maintenant que fait vraiment l’abeille maintenant que nous savons un peu plus de complexité.

Eh bien fondamentalement, je vais vous dire : le miel on s’en fiche !

L’abeille, elle pollinise ! […]

L’abeille pollinise, cela veut dire que 80 % de la production agro-alimentaire en termes de légumes et de fruits est produite grâce aux abeilles. Il faut aussi rajouter des choses comme le tournesol pour lequel la pollinisation de l’abeille prend la plus grande part.

L’abeille pollinise !

Nous pouvons mesurer, puisqu’un économiste doit pouvoir mesurer des quantités et des prix, l’impact des abeilles. Si l’on prend les États-Unis d’Amérique, si vous faites l’hypothèse qu’il n’y a plus de pollinisation, vous pouvez compter entre 30 et 35 milliards de dollars par an, qui disparaissent. Et je ne parle même pas de la flore, des parcs sauvages, je parle simplement de la production agricole.

Donc qu’est-ce que produit l’abeille, en termes de valeur économique ?

D’un côté elle produit aux États-Unis pour 100 millions de dollars de miel et de l’autre côté elle participe à la production d’une valeur entre 30 et 35 milliards de dollars.

En conséquence, ce que fait fondamentalement l’abeille du point de vue économique, au niveau de l’écosystème elle produit 350 fois plus que le miel, en valeur.

Voilà les proportions.

D’un côté il y a ce qui est calculé par un output marchand, simple, clair : l’abeille produit du miel.

Et de l’autre côté, elle pollinise et nous savons qu’on peut se passer de miel, mais on ne peut pas se passer de pollinisation.

Nous comprenons donc que l’abeille fait du miel pour vivre et se nourrir, mais qu’en vivant, elle circule, elle pollinise et que sa véritable contribution productive, c’est ça !

En tout cas, en terme de valeur, c’est ça l’étalon principal.

En économie traditionnelle, on voit l’abeille qui consomme et l’abeille qui produit. Un input et un output.

Mais, ce qui est fondamental, c’est son rôle dans la reproduction du vivant et ça elle le fait même sans s’en apercevoir, puisqu’elle fait cela en même temps qu’elle consomme, comme un produit  annexe de sa consommation : elle répand le pollen.

Le plus important c’est qu’elle circule en se nourrissant, ce n’est pas son travail industrieux dans la ruche ou elle transforme le nectar en miel ou en gelée royale.

Et ce raisonnement est en terme de valeur, de richesse économique !

Retour à l’être humain.

Qu’est-ce que fait l’humain principalement ? Un output marchand à partir de marchandise ?

Non ! il produit essentiellement du vivant à partir du vivant.

L’humain ne fait pas que se reproduire, il met au monde des enfants mais qu’il élève et en cela il crée quelque chose de nouveau !

Il produit son environnement, il produit des relations, il produit du lien etc.

Mais pour des humains, en dehors des sociologues qui faisait de grandes déclarations qui disaient « le lien social c’est important », les assistantes sociales qui disaient « il ne faut pas couper dans les dépenses publiques », « il ne faut pas couper dans l’éducation parce que c’est la base de la société, parce que c’est la richesse de la société ». Parce que c’est aussi la possibilité pour les entreprises de ne pas avoir des employés qui sont totalement malades ou totalement handicapés sur tous les plans.

En dehors de cela, ce n’était pas tellement connu et surtout pas des économistes, parce que je peux vous dire que mes confrères ont une propension à ne pas s’intéresser à la pollinisation et à se focaliser sur la production du surplus de miel qui est notoirement connu. »

Ce que nous raconte Moulier-Boutang, ce n’est pas la poésie, ni de l’utopie, mais la réalité du vivant. De quoi ébranler des certitudes bien ancrées.

Alors bien sûr, la croissance ce n’est pas rien dans l’Histoire humaine. C’est encore Yuval Noah Harari qui décrit cette révolution dans l’Histoire de Homo Sapiens

«Si l’on veut comprendre l’histoire économique moderne il n’y a en vérité qu’un seul mot à comprendre. Et ce mot, c’est « croissance ». Pour le meilleur ou pour le pire, malade ou en bonne santé, l’économie moderne a cru tel un adolescent gavé d’hormones. Elle avale tout ce qu’elle trouve et pousse sans même qu’on s’en rende compte.

Pendant la majeure partie de l’histoire, l’économie a gardé largement la même taille. Certes la production mondiale s’est accrue, mais cette croissance fut essentiellement l’effet de l’expansion démographique et de la colonisation de terres nouvelles. Tout cela changea cependant à l’époque moderne. En 1500, la production mondiale de biens et de services se situaient autour de 250 milliards de dollars ; aujourd’hui, elle tourne autour de 60 billions de dollars. Qui plus est, en 1500, la production annuelle moyenne par tête était de 550 $ alors qu’aujourd’hui chaque homme chaque femme et chaque enfant produit en moyenne 8 800 $ par an. Comment expliquer cette prodigieuse croissance ? »

La croissance a alors pu donner aux humains, surtout à certains humains dans certaines nations des bienfaits indiscutables, des travaux moins pénibles, une augmentation de la productivité qui a augmenté le temps de loisir, une explosion de l’espérance de vie et des progrès extraordinaires de la santé.

C’est la croissance qui a mis fin définitivement aux thèses malthusiennes qui pensaient que la production croissait toujours moins vite que la population humaine et que cela créait toujours des phénomènes très pénibles de famines et de mortalité massive avant que la population redevienne compatible avec la production.

Mais aujourd’hui, ne sommes-nous pas allés trop loin ?

La croissance actuelle ne donne même plus d’emplois, comme le précise un article des Echos  du 21 janvier 2018 :

C’est un paradoxe. La croissance mondiale n’a jamais été aussi élevée depuis 2010 si l’on en croit le Fonds monétaire international. Mais, le taux de chômage stagne. C’est le constat dressé par l’Organisation International du Travail (OIT) dans son rapport « Emploi et questions sociales dans le monde » publié lundi.

Je ne développe pas la captation des fruits de la croissance par un très petit nombre, comme le démontre des études successives.

Le plus préoccupant c’est que nous sommes en face de la raréfaction des ressources, dans le défi climatique, probablement dans la pénurie d’eau potable.

<La ville de Cap n’aura plus suffisamment d’eau dans 3 mois>

Nous comprenons bien que comme les arbres qui ne croissent pas jusqu’au ciel, la croissance ne pourra se poursuivre indéfiniment. Ou existe-il quelqu’un qui croit le contraire ? Ceci me fait remarquer que, par le hasard de notre langue, le verbe croitre et le verbe croire se conjuguent quasi de la même manière au singulier du présent : seul un accent circonflexe distingue croire et croitre.

Alors certains pour sauver le concept de croissance, qu’ils jugent indispensable à la civilisation humaine, ajoutent le mot « verte ».

La croissance, ce n’est pas bien, mais la croissance verte nous sauvera.

Encore une fois, pouvons-nous le croire ?

Pensons-nous vraiment que la croissance pourra continuer dans le monde fini de la terre ?

Ou croyons-nous, comme les « visionnaires » de la silicon Valley que nous saurons trouver les moyens d’abandonner la terre et trouver une autre planète accueillante que l’homme saura rejoindre ?

La certitude que le génie de l’homme trouvera les solutions à ces problèmes, même aidé par l’intelligence artificielle,  n’existe pas.

La connaissance de la finitude des ressources de la terre et de l’impossibilité de continuer avec notre modèle de développement actuel, sur la seule terre, est acquise.

Je finirai par une réflexion que j’ai lue dans un livre de Raymond Aron du temps de ma jeunesse et que je cite de mémoire : « Tout se passe comme si nous étions dans une machine qui va de plus en plus vite et que personne ne sait arrêter ».

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Mardi 6 février 2018

« Réflexions sur l’Etat social »
Réflexions personnelles après des années de butinage.

Comme je l’avais annoncé hier, je vais examiner certains sujets par rapport à ces trois axes de la connaissance qu’il faut augmenter, des certitudes qu’il faut savoir abandonner et de la complexité qu’il faut savoir accepter.

Je préviens que je ne vais pas, au cours de cette semaine, tenter d’être consensuel mais écrire ce que je crois avoir compris, sans pour autant m’interdire d’évoluer et de douter.

Nous sommes nés, je suis né dans un État social, on parle aussi d’un État providence.

Je venais à peine d’entrer en classe préparatoire au Lycée Kléber en 1976 que mon père a été hospitalisé d’urgence, son pronostic vital était engagé. Il a passé une semaine en soins intensifs. Je le sais encore, un jour en soins intensifs coutait à l’époque 10 000 Francs, 1 500 euros. Mes parents étaient très modestes, il était absolument impossible pour nous de payer de telles sommes. Mais nous n’avons rien payé, tout était pris en charge par la Sécurité Sociale.

Non parce que nous étions pauvres, mais parce que la solidarité était en œuvre. Non pas la charité, la solidarité. Nous trouvions cela normal et cela ne pouvait que s’améliorer.

De grandes tensions se font jour et cette amélioration n’apparait plus comme évidente.

Je voudrais ajouter qu’à la suite de ces soins mon père a encore vécu et dans de très bonnes conditions 33 ans. C’est un exemple personnel et privé, mais il dit simplement ce que l’État social apporte.

C’est un des grands ennemis de la France, Otto von Bismarck qui semble avoir été un des premiers à avoir eu cette initiative d’une sécurité sociale.
Il l’a mis en œuvre dans l’Allemagne qu’il venait d’unifier autour de la Prusse et du Roi de Prusse qui est devenu L’Empereur Guillaume 1er. Il a d’abord maté l’Empire d’Autriche à Sadowa puis il a humilié la France de Napoléon III à Sedan puis à Paris. L’Allemagne était devenue une puissance militaire et économique considérable.

Le XVIIIème siècle avait consacré l’hégémonie française, le XIXème l’hégémonie Anglaise, le XXème était promis à l’Allemagne. L’Histoire s’est écrite un peu autrement.

Mais dans l’Allemagne puissante, unifiée, le chancelier Bismarck a créé un système de protection sociale contre les risques maladie (1883), d’accidents de travail (1884), de vieillesse et invalidité (1889) pour le peuple allemand, réunie autour de son empereur et son attachement à sa patrie, « Vaterland » en allemand.

C’est après deux terribles guerres, guerres civiles européennes dans lesquelles le peuple anglais a connu de terribles souffrances surtout lors de la seconde, où le peuple anglais s’est rassemblé pour se battre et gagner finalement contre les nazis qu’est apparu un système social très sophistiqué qu’on a appelé le système « beveridgien » du nom de William Beveridge, économiste à qui en 1942, le gouvernement britannique a demandé de rédiger un rapport sur le système d’assurance maladie qui va fonder le système social britannique.

Et en France, c’est à l’issue de cette même guerre, 39-45, où la France a d’abord été humiliée puis s’est redressée que le Conseil National de la résistance, où se trouvait ceux qui croyaient et ceux qui ne croyaient pas, des bourgeois riches et des prolétaires ou des représentants du prolétariat qu’a été élaboré le programme du Conseil National de la Résistance qui va conduire aux bases de l’Etat social.

Dans le mot du jour du mardi 29 novembre 2016, j’ai rappelé cette phrase d’Ambroise Croizat, ministre du travail de 1945 à 1947 :

« Mettre définitivement l’homme à l’abri du besoin, en finir avec la souffrance et les angoisses du lendemain ».

Concrètement la mise en place de la Sécurité Sociale au lendemain de la guerre a été réalisée juridiquement par les ordonnances du 4 octobre 1945.

Voilà comment cela s’est passé : des peuples unis au-delà des religions et des différences sociales qui ont mis en place un système de solidarité.

Car c’est autre chose que d’être ému, par exemple, par la situation terrible d’une population qui a subi un tremblement de terre à Haïti et de verser des dons quelquefois conséquents pour aider par compassion ou par charité, de manière ponctuelle, des hommes dans la détresse. Nous parlons ici d’un système de solidarité où toute sa vie on va payer des cotisations pour aider ses proches mais aussi des inconnus à surmonter les aléas de la vie et les difficultés de la vieillesse. Mais ces inconnus font partie d’une société particulière, la même que la nôtre, celle dont nous avons conscience de faire partie.

C’est Emile Durkheim qui donne la clé de compréhension de ce phénomène et que j’ai cité lors du mot du jour du Vendredi 12 septembre 2014 :

« Pour que les hommes se reconnaissent et se garantissent mutuellement des droits,
ils faut qu’ils s’aiment et que pour une raison quelconque ils tiennent les uns aux autres
et à une même société dont ils fassent partie. »

Cela peut heurter certaines et certains d’entre vous. Tous les humains du monde sont frères, il faudrait créer une sécurité sociale mondiale. Certainement ! peut-être qu’un jour on y arrivera…

Mais pour l’instant ce n’est pas ainsi que cela se passe.

Dans Wikipedia, on lit non la version sociologique d’ Emile Durkheim mais la version des économistes :

« Dans les sociétés occidentales, la période des Trente Glorieuses a permis le développement des systèmes de protection sociale.

Le vieillissement démographique et la crise économique ont ensuite entraîné un accroissement des dépenses et une diminution des recettes. Les systèmes de protection sociale ont alors essuyé des critiques de plus en plus vives, notamment de la part des économistes de l’école néoclassique. Selon eux, la protection sociale est une des causes de la crise car les cotisations sociales entraînent des surcoûts salariaux qui freinent l’embauche et incitent au travail au noir. De plus, ils affirment que la protection sociale déresponsabilise les individus et les incite à l’oisiveté.

Selon l’approche keynésienne au contraire, la protection sociale, outre son rôle de réduction des inégalités et de maintien de la cohésion sociale permet de soutenir la demande, considérée par cette théorie comme un moteur de la croissance. »

La complexité signifie que nous devons accepter qu’une situation ou une évolution ne soit pas la conséquence d’une seule cause.

Dès lors, l’explication économique représente certainement une dimension explicative.

Le système social mis en place a tellement bien fonctionné que les populations sont devenues de plus en plus vieilles, que la médecine est devenue de plus en plus performante et donc que le système social est devenu plus onéreux. En plus la crise économique qui est plutôt une rupture de l’organisation du travail et de l’emploi dans le monde a conduit la gestion des allocations chômage au bord de l’implosion. Ce qui entraine une augmentation de la redistribution et une crispation de la part de celles et de ceux qui sont les plus ponctionnées.

Mais prétendre que ce n’est qu’un problème de sécession des riches est un aveuglement devant la réalité du comportement des sociétés humaines.

Dans une étude américaine, dont j’ai entendu parler lors d’une émission de radio mais dont je n’ai, hélas, pas gardé la source que je ne peux donc fournir, il est apparu qu’il y avait de grandes différences de politiques de solidarité entre les états fédérés des Etats-Unis. Et que cette étude a révélé que la solidarité était d’autant plus grande que la population de l’état était homogène du point de vue ethnique et religieux.

A cela s’ajoute cette réflexion de Jean-Paul Delevoye, le dernier Médiateur de la République qui apportait cette évidence : « L’économie est mondiale mais le social est local !».

Or l’économie qui s’est développée depuis les années 1980 dans le cadre de la globalisation insiste davantage sur la compétition que sur la coopération, préfère l’individualisme à la solidarité.

Les frontières ouvertes, les migrations économiques sont absolument compatibles avec cet individualisme qui pousse chacun à être responsable et donc à s’assurer soi-même.

Les gagnants de la mondialisation n’ont aucune peine à assurer leur protection sociale dans la sphère privée. Et en outre plus leurs assurances leur coûtent chers et leur assurent une protection de grande qualité, moins ils seront enclins à accepter de financer les mécanismes de solidarité qui ne leur servent plus ou de manière dégradée.

Parce que dans cette organisation décrite ci-avant, dans une société qui acceptent d’organiser la solidarité entre ses membres, même ceux qui contribuent le plus doivent bénéficier et surtout avoir conscience de bénéficier de cette solidarité.

C’est pourquoi certaines réformes, qui a première vue peuvent être analysées comme raisonnables, apparaissent délétères pour l’Etat social. Il en est ainsi de cette idée de vouloir réserver les allocations familiales au plus modestes. Il faut comprendre ce que cela signifie : ce n’est plus une solidarité dans une société de l’empathie mais exactement les mêmes ressorts que lorsque les habitants des pays riches font un don pour aider les habitants de Haïti dans des circonstances compliquées. Nous ne sommes plus dans des mécanismes de solidarité, mais de charité qui obéissent à d’autres ressorts des sentiments de l’humain.

L’Etat social c’est vraiment ce que Durkheim décrit :

« Pour que les hommes se reconnaissent et se garantissent mutuellement des droits,
ils faut qu’ils s’aiment et que pour une raison quelconque ils tiennent les uns aux autres
et à une même société dont ils fassent partie. »

Dit autrement, il faut un « Nous ».

Ce qui ne signifie pas qu’il n’est pas possible de créer une solidarité avec des humains venant d’autres continents, d’autres cultures, d’autres religions, mais ce n’est pas possible dans une société qui se divise en communautés et en groupes qui créent dans la société la dichotomie entre « Nous » et « Eux ». L’Etat social n’est possible qu’à l’intérieur d’une société dans laquelle il existe un « Nous » prédominant, même si à l’intérieur de ce « Nous » il peut exister des « nuances ».

Le problème est donc loin de n’être qu’économique !

Mais il y a bien un problème économique de fond, dans un monde de la globalisation, de l’ouverture des frontières et notamment de la libre circulation des capitaux. Et ce problème, Angela Merkel l’a décrit en quelques chiffres qui sont ce que nous appelons des chiffres durs :

C’était l’exergue du mot du jour du Mercredi 19 novembre 2014 :

« L’Europe, c’est 7% de la population mondiale
25% de la production mondiale,
et 50% des transferts sociaux mondiaux.»

Enoncé ainsi, on comprend l’ampleur du problème !

Voici ce que j’ai compris sur les conditions de l’Etat social et les défis qu’il affronte aujourd’hui.

Certes, comme le disent mes amis de gauche, il faut que les riches contribuent davantage.

Mais cela n’arrivera pas si on ne sait pas créer les conditions d’une société telle que la décrit Durkheim.

Ni d’ailleurs si le reste du monde ne se rapproche de nos standards de redistribution ou que nous soyons prêts à nous retirer de la mondialisation avec toutes les conséquences que cela entraineraient.

Et dans ce cas les perdants de la mondialisation deviendront de plus en plus les obligés des associations caritatives ou de la philanthropie des gagnants. Cette évolution est à l’œuvre aux États-Unis. Un mot du jour de février 2016 avait évoqué ce sujet en se fondant sur un livre de Nicolas Duvoux, «Les oubliés du rêve américain. Philanthropie, État et pauvreté urbaine aux États-Unis». Ce sociologue avait réalisé une enquête dans la ville de Boston sur l’action d’une fondation américaine philanthropique en faveur des habitants d’un quartier défavorisé et en avait tiré ce livre. J’avais donné ce commentaire sur les philanthropes  :

«Ce sont des gens immensément riches parce qu’ils ont eu une idée géniale qui correspondait à l’air du temps, ils ont beaucoup travaillé et entrepris et aussi … pour un petit peu… profiter d’une diminution considérable des impôts aux États-Unis et peut être aussi profiter des opportunités que leur offraient le système financier et quelques paradis fiscaux.

Bref, les impôts ou cotisations qu’ils n’ont pas payés et qui aurait permis d’alimenter un système redistributeur public, ont conduit leur fortune d’importante à devenir gigantesque. Et ils sont devenus philanthropes. Bref un système de redistribution privé.»

 

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Lundi 5 février 2018

« Augmenter nos connaissances, diminuer nos certitudes, accepter la complexité »
Réflexions personnelles après des années de butinage.

Mais finalement, au bout du bout, à quoi servent tous ces efforts pour trouver et écrire des mots du jour ?

Vous pourriez me poser cette question, mais Alain que retiens-tu de tout cela ? Qu’est-ce que tu as appris ? Compris ?

Quelle quête poursuis-tu ?

La quête est ambitieuse, je l’ai expliquée à plusieurs reprises : « Essayer de comprendre le monde ». Sur la page d’accueil de ce blog, une phrase est mise en exergue : «Comprendre le monde, c’est déjà le transformer !»

Cette phrase est celle de Guillaume Erner qui l’a prononcée pour le premier matin de France Culture qu’il a animé.

Je l’avais repris dans le mot du jour du 9 septembre 2015. Guillaume Erner avait ajouté :

«[Il faut lutter contre ceux] qui ont intérêt à la mésintelligence du monde.
C’est contre eux qu’il faut se réveiller pour interrompre le sommeil de l’intellect.
Tous les verbes qui nous arrachent à la nuit de la pensée : comprendre, expliquer, réfléchir sont des verbes militants.»

Comment faire concrètement ?

Quels sont les piliers de cette ambition ?

Rachid Benzine qui en même temps a été champion de France de kickboxing et qui est un intellectuel formé à l’école des sciences humaines, après avoir fait des études d’économie et de sciences politiques puis des études d’histoire et de philosophie peut donner des clefs.

Il est musulman il avait accédé à la notoriété en lançant avec le père Christian Delorme, le dialogue islamo-catholique aux Minguettes, dans la banlieue de Lyon, qui a donné lieu à un livre : Nous avons tant de choses à nous dire, paru en 1998.  »

En octobre 2016, il avait écrit un roman épistolaire <Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ?>, dans lequel un père échange des lettres avec sa fille partie faire le djihad en Irak. Dans une des lettres, il écrit :

« Notre mission en tant qu’humains n’est pas de trouver des réponses, mais de chercher. Les musulmans sont appelés à être d’humbles chercheurs, et pas des ânes qui ânonneraient sans cesse des histoires abracadabrantes. Tu le sais bien, ma petite Nour :  Le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes. Ces certitudes qui vous mènent aujourd’hui tout droit en enfer. »

J’en avais tiré un mot du jour : « Le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes. »

C’est en partant de là que probablement il existe un chemin :

  • Augmenter nos connaissances ;
  • Diminuer nos certitudes ;
  • Et finalement, accepter la complexité.

Pendant tout ce butinage quelles sont les connaissances qui ont augmenté ?

Certainement la compréhension de l’extraordinaire intelligence de la nature et du vivant.

Quand on se plonge dans le livre de Peter Wohlleben sur la vie secrète des arbres, on ne peut plus regarder les forêts de la même manière, on ne peut plus apprécier l’intervention des humains dans la forêt avec les mêmes critères.

Quand on écoute ou lit Franz de Waal on ne peut plus voir les animaux avec les yeux de l’humain qui fait à l’image de Dieu est maître de la nature. Il faut alors se rendre compte que la frontière entre l’homme et l’animal devient de plus en plus ténue, que ce qui permet de différencier l’un de l’autre devient de plus en plus faible.

La connaissance de l’asservissement et de la violence que les hommes ont par le passé et continuent encore trop à exercer à l’égard des femmes dans toutes les civilisations, tous les milieux sociaux a aussi énormément progressé grâce à mes lectures, recherches et aussi réflexions personnelles dans l’expérience de la vie.

Ma connaissance s’est aussi développée sur l’abus et la perversité de l’utilisation incontrôlée, irrationnelle, déshumanisante de la gouvernance par les nombres.

Ma compréhension qu’une des choses fondamentales qui est en train de se dérouler devant nos yeux est une remise en cause des avantages des classes moyennes et populaires occidentales qui étaient le fruit de l’hégémonie et disons-le de la prédation qu’exerçaient les pays occidentaux sur le reste du monde.

Et les certitudes qui ont diminué ?

La certitude qu’il existe des valeurs universelles que l’ensemble des humains partage : la liberté de penser, la démocratie, la valeur de la vie humaine et la prise en compte de l’individu. J’ai compris que ces valeurs universelles étaient issues de notre monde occidental.

Le mot du 17 juin 2015 donnait la parole à Jean-Louis Beffa qui expliquait :

«On a cru que les valeurs de type occidental, celles qui viennent de la révolution française, des vertus chrétiennes et des lumières avaient une valeur mondiale. on disait les droits de l’homme c’est [universel]. Je ne le crois pas. Je crois que le monde asiatique, en particulier, a des valeurs confucéennes qui sont des valeurs complétement différentes.»

Dans ma vision d’homme de gauche, beaucoup de certitudes issues de cette pensée ont été balayées :

  • Les conditions sociales expliquent une partie du fonctionnement de la société et des individus, mais pas tout. Il y a aussi les mythes, les religions, les affects, les cultures familiales qui ont une importance considérable dans l’explication des phénomènes sociaux.
  • La Loi ne peut pas tout, ne peut pas régler tous les problèmes, interdire tout ce que l’on rejette et par sa seule promulgation faire évoluer les mentalités et la société. »

La certitude aussi que le progrès technique entraîne forcément une amélioration de l’égalité des humains et de leur bien-être est mise à mal.

Accepter la complexité ?

La complexité est le grand mot d’Edgar Morin.

L’acceptation de la complexité doit aussi conduire à accepter qu’on ne peut pas tout comprendre tout maîtriser. L’Univers est infini, sommes-nous pauvres humains capable d’appréhender l’infini ?

De façon plus prosaïque, la complexité peut simplement se détecter dans le gouvernement des humains et le cadre légal de la société.

La GPA, gestation pour autrui, elle est interdite en France, mais pas aux Etats-Unis, ni au Canada, ni en Grande Bretagne.

Dès lors des parents français utilisent cette méthode pour avoir des enfants à l’étranger et ils reviennent en France.

Ces enfants n’existent pas, ils sont hors la Loi.

Si on les légalise, en réalité on accepte le principe de la GPA. Principe de la GPA qui va dans notre monde cupide aboutir forcément à ce que des femmes pauvres louent leur ventre à des riches pour que ces derniers puissent assouvir leur désir d’enfant.

Mais peut-on laisser ces enfants qui ne sont pas responsables de cette situation, ne pas accéder pleinement à la citoyenneté et aux droits sociaux ?

Celui qui dit que la réponse est simple, n’a rien compris à la question.

J’essaierai dans les prochains mots du jour de continuer sur des sujets particuliers à développer selon ces trois axes ce que toutes ces réflexions et lectures ont pu m’apporter.

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Lundi 29 janvier 2018

« Faire de la musique ensemble »
Réflexions personnelles sur un week-end musicale et sur la musique en général.

Qu’écrire comme mot du jour pour le lundi quand on a passé le week-end à l’auditorium de Lyon pour écouter de la musique, samedi soir, dimanche à 16 heures et même le mercredi précédent où j’ai eu la chance d’assister entre 20 heures et 22 heures 30 à la répétition du concert de samedi ?

Parler des émotions et de musiciens qui jouent ensemble et créent de la beauté.

J’avais déjà consacré un mot du jour à une artiste exceptionnelle : Hillary Hahn, le 19 mai 2017.

Et c’est une autre soliste exceptionnelle, la violoncelliste Sol Gabetta qui s’est associée au chef Alan Gilbert pour réaliser un concert d’une qualité rare.

Il y a un domaine où le « c’était mieux avant » est manifestement totalement faux, c’est la qualité des musiciens classiques et des orchestres.

Les orchestres d’aujourd’hui sont techniquement bien meilleurs que ceux d’hier. L’Orchestre de Lyon n’échappe pas à cette règle.

Bien sûr il faut un catalyseur.

Souvent on pose la question, mais à quoi cela sert un chef d’orchestre ?

Celles et ceux qui se sont trouvés à l’Auditorium samedi et ont entendu l’Orchestre de Lyon, son engagement, la profondeur de la respiration musicale, la chaleur des cordes, la qualité des bois et l’éclat des cuivres, ne se posent pas la question, un grand chef d’orchestre sert à ce que l’Orchestre se dépasse et sonne comme il n’a jamais sonné.

Ce fut le cas de la magnifique 3ème symphonie de Brahms dirigé par Alan Gilbert.

Le troisième mouvement de cette œuvre doit être connu par le plus grand nombre car elle a souvent été utilisé hors des circuits classiques par exemple dans le film « Aimez-vous Brahms » d’Anatole Litvak., et aussi dans la chanson de Serge Gainsbourg, Baby Alone in Babylone, par Yves Montand pour Quand tu dors près de moi, par Frank Sinatra pour Take My Love.

Alan Gilbert fut le directeur du New York Philharmonic pendant 9 ans.

Les mélomanes du monde entier connaissent la qualité des orchestres états-uniens et distinguent ceux qu’on appelle les fameux Big Five (les Cinq Grands): Chicago, New York, Cleveland, Boston, Philadelphie. Depuis quelques années le Los Angeles Philharmonic tente d’entrer dans ce cercle fermé.

Avant Alan Gilbert , ce poste au New York Philharmonic fut occupé par Gustav Mahler, Arturo Toscanini, Bruno Walter, Léonard Bernstein, Pierre Boulez, Lorin Maazel. Même si vous n’êtes pas très connaisseur vous devriez être impressionné. Aucun chef n’a jamais été nommé sur ce poste sans avoir été précédé d’une solide réputation.

Alan Gilbert était pour les mélomanes du monde entier, un total inconnu au moment de sa nomination en 2009, à 42 ans.

Tout au plus savait-on que ses deux parents avaient été musiciens dans l’Orchestre et au moment de sa nomination, sa mère était toujours membre de l’orchestre. Il est probable que c’est la première fois de l’Histoire de la musique que le directeur musical d’un des plus grand orchestre symphonique du monde dirige sa mère.

Mais ceux qui l’ont choisi, ne se sont pas trompés.

Après cette symphonie, la solaire Sol Gabetta a interprété le très difficile concerto N°1 de Martinu avec une aisance et une flamboyance qui laisse pantois.

Et puis, dimanche l’immense soliste Sol Gabetta et le grand chef d’orchestre sont descendus de leur podium, pour interpréter avec 4 autres musiciens de l’Orchestre un autre chef d’œuvre le premier sextuor de Brahms.

Encore une œuvre qui a été utilisé comme musique de film dans Les Amants de Louis Malle.

Ils ont alors simplement fait de la musique ensemble, et le chef d’orchestre a pris modestement la place de second altiste.

La répétition s’était déroulée dans cette même ambiance que je décrirai par cette phrase : faire de la musique ensemble.

Il y a une précision que je n’ai pas donnée jusqu’ici c’est que la violon solo de l’orchestre de Lyon est Jennifer Gilbert, la sœur d’Alan Gilbert.

Quelques liens :

Vous trouverez derrière ce lien, la 3ème symphonie de Brahms interprétée par Alan Gilbert et le New York Philharmonic

<Le troisième mouvement du sextuor à cordes de Brahms>

<Ici vous trouverez un court extrait du concerto de Martinu par Sol Gabetta à la Philharmonie de Berlin>

Ce concert à Berlin a été enregistré et il est possible d’acquérir le CD du live :


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Lundi 25 décembre 2017

« L’œuf alsacien pèse 50 grammes ! »
Solution donnée par une vieille alsacienne à un lorrain qui loupait les gâteaux de noël alsaciens

Noël est une fête chrétienne, puisqu’elle célèbre la naissance de leur Messie.

Nous savons que la date qui a été choisie permettait de remplacer une fête païenne située autour du solstice d’hiver, moment particulier de l’année solaire où les jours recommencent à croitre. C’est le recul de la nuit !

Notre civilisation occidentale, avec son consumérisme exacerbé, en a fait une immense fête commerciale, jusqu’à la nausée.

C’est pourquoi certains, dont je fais partie sont très mal à l’aise avec cette fête.

Ce malaise est d’ailleurs plus général, dans la mesure où toutes forces politiques qui gouvernent et les forces économiques qui dominent n’ont qu’une solution à proposer : la croissance. La croissance, cela signifie l’extension sans fin de la marchandisation du monde et une consommation de plus en plus étendue.

J’entends bien, de ci delà quelques prophètes de la décroissance s’exprimer ou d’autres célébrer la sobriété heureuse. Mais ils ne décrivent pas un monde crédible sans une intervention d’une administration mondiale régulatrice et contraignante. Sans compter que pour l’instant, dans l’histoire de l’humanité, de telles bureaucraties ont toujours dérivé vers des régimes d’oppression et encore plus corrompus que nos régimes libéraux, la division du monde ne permet pas de croire à échelle humaine à une telle gouvernance mondiale.

Et puis, tout dans le comportement des masses mondiales et françaises ne va pas dans ce sens, je veux dire d’une moindre addiction à la consommation frénétique.

Noël est aussi une fête où, dans nos contrées, les familles se réunissent. Cet aspect de Noël est positif et bienveillant. Ce fondement de la fête est dur à vivre pour celles et ceux qui sont privés de famille ou dont la famille est désunie et non accueillante.

Pour le lorrain que je suis, il y a encore une autre joie de noël, c’est la période où on fait et on mange des gâteaux de Noël. Gâteaux de Noël dont beaucoup relèvent de la tradition de la région voisine et rivale : l’Alsace.

Munis de recettes j’essayais vainement de réussir les gâteaux à l’anis et les macarons comme les faisaient ma mère.

Le plus souvent j’échouais.

Jusqu’à avoir entendu, via notre amie Françoise, l’avis d’une vieille cuisinière alsacienne.

Les recettes traditionnelles alsaciennes nécessitent un savant équilibre entre la farine, le sucre, le beurre, les noisettes, les amandes etc… ET LES ŒUFS.

Quand on vous écrit qu’il faut 600 grammes de farine et 500 grammes de sucre et 6 œufs entiers. Les 6 œufs pèsent chacun 50 g, et donc les 6, 300g. Si vos œufs pèsent 400 g ou 220 g, l’équilibre de la recette est rompu. Dans ces cas vos gâteaux s’effondrent lamentablement ou sont trop secs, en tout cas présentent un aspect dégradé.

Les alsaciens sont des gens rigoureux et normés, c’est pour cela que nous autres lorrains avons parfois du mal avec eux.

En tout cas, dans les recettes alsaciennes : un œuf pèse 50g, le blanc 30g et le jaune 20.

C’est ainsi, cela ne se discute pas.

Pour être complet, dans certains gâteaux les œufs n’ont pas la même importance et dans ces cas-là l’approximation n’est pas dirimante.

Mais pour les macarons aux amandes ou les gâteaux à l’anis aucune dérive n’est acceptée !

Avec les gâteaux de Noël, la fête de Noël redevient un enchantement.

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Jeudi 19 Octobre 2017

« Dès que [Jacqueline Du Pré] commença de jouer, je fus comme hypnotisé. »
Placido Domingo

Cette chronique quotidienne est partage.

Je ne peux partager que ce que je comprends, ce qui m’interpelle, qui résonne en moi, qui m’émeut.

Je suis né dans une famille de musiciens. Mon père, mon frère ainé en ont fait leur beau métier.

Le destin, les circonstances, mes envies ne m’ont pas conduit vers ce même chemin.

Mais la musique occupe une place essentielle dans ma vie, parce qu’elle me fait du bien, parce qu’elle me nourrit, parce qu’elle m’apaise, parce qu’elle me donne de la joie.

Et dans ce monde de la musique, je me suis construit un panthéon.

Une des plus belles places dans ce panthéon est occupée par la violoncelliste Jacqueline Du Pré.

Elle était lumineuse, passionnée, elle dégageait une émotion immédiatement perceptible.

Elle eut un destin tragique.

Elle nous a quittés il y a exactement 30 ans, le 19 octobre 1987. Elle avait 42 ans.

Mais en réalité, elle nous avait quittés bien avant. En 1971, elle avait 26 ans, ses capacités de jeu avaient entamé un déclin irréversible car l’artiste avait commencé à perdre la sensibilité et la mobilité de ses doigts. Elle a dû, alors très vite, arrêter sa carrière. Elle était atteinte de sclérose en plaques, maladie qui, par ses complications, a causé son décès.

Ce fut une comète, une musicienne extraordinairement précoce, pleine d’intensité comme si dès le début elle savait qu’elle aurait si peu de temps pour s’exprimer.

Le grand violoniste Yehudi Menuhin a dit :

« Lorsque je la regarde, lorsque je l’écoute, je me sens tout petit devant tant d’esprit, honteux de la moindre indulgence vis-à-vis de moi-même et particulièrement fier d’avoir, aussi peu que ce soit, fait de la musique avec elle. »

Et j’ai mis en exergue ce propos du chanteur Placido Domingo :

« Dès qu’elle commença de jouer, je fus comme hypnotisé. J’ai été immédiatement convaincu par sa maîtrise, sa concentration, qui faisait chanter son violoncelle comme je n’en ai entendu chanter aucun autre. »

Vous trouverez sur Youtube <Cette interprétation magistrale du Concerto d’Elgar>.

Et puis, réalisé par Christopher Nuppen un reportage et un concert extraordinaire où 5 jeunes artistes dont Jacqueline Du Pré interprètent la plus belle version du <quintette la Truite de Schubert>

Et si vous voulez des propositions de CD, j’en propose deux :



Et je finirai par une rose, car le nom de Jacqueline Du Pré a été donné à une rose :


<Vous trouverez plus de précisions derrière ce lien>

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Vendredi 13 octobre 2017

« Un anniversaire »
Retour annuel d’un jour marqué par un événement

Avant qu’homo sapiens puisse fêter un anniversaire, il a fallu qu’il invente plusieurs choses.

  • Il lui fallait d’abord la capacité de décrire le temps dans une période cyclique. Le cycle de l’année qui accompagne une rotation complète de la planète des homos sapiens autour de son étoile constitue la première pierre de cet édifice.
  • Il fallait ensuite être capable de décrire un cycle par petites périodes repérables et identifiées. Le jour, période pendant laquelle la terre tourne autour d’elle-même fut la seconde pierre.
  • Et la troisième pierre est constituée par la capacité à marquer un évènement dans le calendrier ainsi créé. Cette dernière faculté nécessitait la création de l’écriture.

L’étymologie illustre parfaitement le sens d’anniversaire. C’est encore un mot qui vient du latin anniversarius (« qui revient tous les ans »), formé de annus (« année »), et de versus participe passé du verbe vertere (« revenir »).

On fête l’anniversaire d’un évènement, cet évènement peut être une naissance.

Depuis quand fête t’on les anniversaires ?

On apprend sur cette page du CNRS que :

Plutarque raconte qu’après la bataille de Platée les guerriers morts ayant été enterrés sur le lieu du combat, les platéens s’étaient engagés à leur offrir chaque année le repas funèbre. En conséquence, au jour anniversaire, ils se rendaient en grande procession, conduits par leurs premiers magistrats, vers le tertre sous lequel reposaient les morts. (Fustel de Coulanges, La Cité antique,1864, p. 14.)

* Platée fut une bataille des guerres entre les grecs et les perses appelés guerres médiques et eut lieu en 479 avant JC.

Wikipedia fait référence à la bible pour montrer que dans ce livre des monothéismes, il est question d’anniversaire.

Ainsi dans l’Ancien Testament, un festin d’anniversaire est cité en Genèse 40, 20, dans l’histoire de Joseph :

« Et il arriva, le troisième jour, jour de la naissance du Pharaon, qu’il fit un festin à tous ses serviteurs ; et il éleva la tête du chef des échansons et la tête du chef des panetiers au milieu de ses serviteurs : il le rétablit dans son office d’échanson(…). Mais le chef des panetiers, il le pendit. »

Dans le Nouveau Testament, un festin d’anniversaire est cité en Marc 6, 21 quand la fille d’Hérodiade obtient la tête de Jean le Baptiste :

« Or vint un jour propice, quand Hérode, à l’anniversaire de sa naissance, fit un banquet pour les grands de sa cour, les officiers et les principaux personnages de la Galilée : – la fille d’Hérodiade entra et dansa, et plut tant à Hérode qu’il promit avec serment de lui donner ce qu’elle demanderait. Et elle de dire, endoctrinée par sa mère: ‘Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean le Baptiste.’ (…) il envoya décapiter Jean dans la prison. »

C’est l’histoire dont Oscar Wilde fit la pièce de théâtre « Salomé » et Richard Strauss un opéra. Mais, en France c’est à partir de la révolution et de l’institution du registre d’état civil que l’on a vraiment commencé pour le commun des mortels de connaître avec précision la date de naissance et qu’on a pu fêter l’anniversaire de chacun. Certains, diront mais avant le registre d’état civil, il y avait les registres des églises. Mais le registre des églises enregistrait le baptême, non la naissance. D’ailleurs, avant le registre d’état civil, le commun des mortels fêtait plutôt le jour du Saint dont il portait le prénom et qu’on appelle encore aujourd’hui «la fête». Le 13 octobre correspond à la Saint Édouard, c’est donc la fête de tous les Édouard.

2017, est une année particulièrement féconde en anniversaires d’évènements de dizaines, voire de centaines d’années :

  • Il y a quelques jours, on commémorait l’anniversaire des 50 ans de l’exécution du Che le 9 octobre 1967 à la Higuera, Bolivie
  • Et puis il y a la date anniversaire des 100 ans de la révolution bolchevique, la révolution d’octobre qui a eu lieu selon notre calendrier le 7 novembre 1917
  • Le 7 janvier 1957 a eu lieu le début de la bataille d’Alger.
  • Et puis nous fêterons aussi les 500 ans de la Réforme sur laquelle je reviendrai bientôt plus longuement.

J’ai trouvé taquin d’écrire ce mot sur « un anniversaire » le 13 octobre puisque c’est le jour où je suis né, en 1958.

Je partage cette caractéristique avec Margaret Thatcher (1925), mais aussi Yves Montand (1921) et Raymond Kopa (1931).

J’ai aussi eu la joie, lorsque j’étais à Bercy de travailler avec la pétillante et sympathique Chantal qui est née le même jour que moi, un peu plus tard et qui parfois lit ce mot.

Je souhaite donc un bon anniversaire à Chantal.

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