Mardi 21 novembre 2017

« La part d’ange en nous. Histoire de la violence et de son déclin »
Steven Pinker

Ce n’est pas la première fois que je m’intéresse à des scientifiques ou des études qui montrent que monde va dans le bon sens dans beaucoup de domaines.

Ainsi dans le mot du jour du 7 mars 2017 qui se situe dans la série consacrée à Michel Serres, ce dernier écrivait : « Le premier âge est plus long qu’on ne le croit ; Le deuxième pire qu’on ne le pense ; Le dernier meilleur qu’on ne le dit. », Michel Serres, « darwin, Bonaparte et le samaritain »

Plus explicite encore, le mot du jour du 19 décembre 2016 où j’évoquais un livre de Johan Norberg «Ten Reasons to Look Forward to the Future Progrès : dix raisons de se réjouir de l’avenir».

Cette fois il s’agit de l’évolution de la violence dans l’Histoire de l’humanité.

Steve Pinker, d’origine canadienne, est professeur de psychologie cognitiviste à l’université Harvard et vient de publier un livre : « la Part d’ange en nous » (Les Arènes)qui a pour sous-titre : « Histoire de la violence et de son déclin »

C’est un livre de 1000 pages qui nous apprend que la violence ne fait que régresser depuis les premiers temps de l’humanité, qu’il s’agisse de la violence guerrière ou de la criminalité.

Laurent Joffrin l’a interviewé dans <Libération du 17 novembre 2017>.

Mais avant d’en venir à cet entretien, je vous conseille de regarder une TED Conférence que cet auteur a tenu où il tente de démonter le <le mythe de la violence>

C’est une conférence de 2007, ses références sont le Darfour et l’Irak, aujourd’hui on parlerait des Rohingyas
ou des syriens
mais il dirait la même chose même si cela semble illogique voire obscène quand on pense à ces massacres d’aujourd’hui, nous vivons dans l’époque la plus paisible depuis que notre espèce existe.

Et comme premier exemple pour s’en convaincre, il en appelle au livre saint de notre civilisation, « la Bible » qui devrait nous enseigner l’amour, la paix et qui est a priori la source de nos valeurs morales.

Et il cite le livre des Nombres au chapitre 31 Nombres 31

« Moïse leur dit: Avez-vous laissé la vie à toutes les femmes? Voici, ce sont elles qui, sur la parole de Balaam, ont entraîné les enfants d’Israël à l’infidélité envers l’Eternel, dans l’affaire de Peor; et alors éclata la plaie dans l’assemblée de l’Eternel. Maintenant, tuez tout mâle parmi les petits enfants, et tuez toute femme qui a connu un homme en couchant avec lui; 18mais laissez en vie pour vous toutes les filles qui n’ont point connu la couche d’un homme. »

Si le texte biblique n’est pas assez clair, Moïse dit simplement à ses hommes qui ont déjà tué tous les hommes parmi la troupe ennemie, de tuer tous les enfants mâles même les plus petits et de tuer toutes les femmes et filles non vierges et de violer les autres.

En dehors de la description probablement réaliste de la manière dont se passait la guerre au temps de Moïse, Steven Pinker cite une étude qui conclut que dans les pays occidentaux lorsque le taux d’homicide par an était de 100 morts pour 100 000 habitants au moyen âge, il est désormais à moins d’un mort pour 100 000. Il y a eu baisse de deux ordres de grandeurs entre le moyen-âge et notre période concernant le taux d’homicide.

Selon Pinker, le point de bascule est situé au début du 16ème siècle, donc à l’entrée dans la renaissance..

De la même manière si on se place sur les dernières décennies depuis 1950, la diminution des guerres inter étatiques et des guerres civiles est très importantes.

Alors il pose cette question : pourquoi l’impression est contraire ?

Il donne 4 raisons :

  • Parce que nous avons d’excellents journalistes et des moyens d’information qui nous renseignent de mieux en mieux.
  • Il y a aussi une illusion cognitive que connaissent les psychologues cognitif comme moi : Plus on est en capacité de se rappeler de quelque chose plus on lui attribue une probabilité forte.
  • Des titres alarmants accompagnés de photos montrant des situations affreuses marquent bien davantage notre esprit que les statistiques qui donnent le nombre de gens morts de vieillesse dans leur lit.
  • Il y a aussi une dynamique du marché : Personne n’a jamais attiré d’observateurs de défenseurs de donateurs en disant les choses vont de mieux en mieux..

On compare à nos standards du moment. Nous sommes scandalisés à juste titre qu’on mette à mort quelques individus par injection létale au bout de 15 ans de procédures. Il y a quelques centaines d’année on envoyait au bucher massivement après un procès de 10 minutes parce que ces individus avaient critiqué le roi.

Dans l’article de Libération il évoque le terrorisme qui est la forme de violence la plus spectaculaire et souvent la plus redoutée aujourd’hui. . Cette réalité vient-elle contredire votre diagnostic ?

Mais cette réalité ne contredit pas son diagnostic :

« Le terrorisme est un phénomène terrible. Mais son importance statistique est minime. Cela correspond d’ailleurs à sa définition : ce sont des actes peu nombreux destinés à produire un effet psychologique massif. Les terroristes visent avant tout à manipuler les médias pour attirer l’attention sur une cause particulière. Statistiquement, le terrorisme d’aujourd’hui est infiniment moins dangereux que la jalousie des maris qui assassinent leurs femmes, ou le mauvais fonctionnement de certains appareils ménagers qui causent des accidents domestiques. J’ajoute qu’en Europe, le terrorisme jihadiste, qu’on appelle parfois «hyperterrorisme», cause moins de victimes que les terrorismes des années 70, ceux de l’IRA, d’ETA ou des «années de plomb» en Italie. En fait, son effet psychologique est important parce que la population estime aujourd’hui que le seul niveau acceptable de violence politique se situe aux alentours de zéro, alors qu’on se résignait dans le passé à des niveaux très supérieurs. »

Il reconnait cependant que la sensibilité à la violence a augmenté alors que le nombre d’actes violents diminue :

« Parce que notre système de valeurs évolue. Nous accordons aujourd’hui à la vie humaine un prix très supérieur à celui du passé. C’est peut-être aussi parce que le nombre des accidents et des morts par maladie diminue lui aussi sans cesse. On meurt moins que par le passé de noyade, de chute inopinée, d’accident de voiture, d’incendies ou de maladie. Le monde est de plus en plus sûr, c’est un phénomène fondamental. Sauf bien sûr dans certains pays comme l’Irak ou la Syrie. Mais partout ailleurs, la sécurité de la vie quotidienne ne cesse de progresser. »

Maintenant nous pouvons continuer à critiquer le temps présent et trouver qu’il y a toujours trop de violences et de massacres, mais en reconnaissant que nous avons beaucoup progressé.

Je vous renvoie vers l’entretien de <Libération du 17 novembre 2017>.

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Jeudi 9 novembre 2017

« Comment une société fait-elle pour que ses membres acceptent l’inégalité ? »
Réflexions personnelles sur un sujet qui n’a rien perdu de son actualité.

Cette question constitue un problème fondamental pour une société inégalitaire, ce qui dans l’Histoire de l’humanité est quand même le cas le plus fréquent. L’idée d’esquisser ce sujet m’est venue après le mot du jour de lundi, où Luther a rejeté violemment les prétentions des paysans allemands d’obtenir une meilleure situation par rapport à leurs seigneurs. Dans le cadre modeste d’un mot du jour, cette question ne peut être qu’esquissée.

Parce qu’évidemment, l’être humain qui se constate en situation d’inégalité éprouve normalement un sentiment d’injustice. Sentiment d’injustice qui conduit assez naturellement à de la violence. Sauf s’il existe des mécanismes qui maîtrisent ou évitent la violence.

Le premier mécanisme inventé dans les sociétés est certainement la force.

Souvent ceux qui avaient les positions dominantes dans la société étaient les spécialistes du maniement des armes. Ils pouvaient ainsi agir par la contrainte en amont ou une répression sévère en aval pour déclencher un mécanisme de peur chez ceux qui subissent l’inégalité et les dissuader ainsi de toute rébellion.

Il est possible de citer l’exemple de Spartacus qui ne fut pas qu’un film mais une vraie histoire de révolte des esclaves à Rome vers -73 avant Jésus Christ. Quand les légions romaines furent enfin mobilisées, ils battirent les esclaves moins bien organisés. Les survivants, 6000 esclaves furent crucifiés et exposés tout au long de la Via Appia. Voir sur une des principales artères de Rome une croix environ tous les 10 mètres sur laquelle était supplicié un de ses congénères pouvait, en effet, avoir pour effet de décourager d’autres esclaves de suivre le même chemin.

Mais c’est une méthode barbare, couteuse et qui peut même se révéler hasardeuse, à partir du moment où les privilégiés sont peu nombreux et les pauvres très nombreux.

Les sociétés trouvèrent d’autres moyens beaucoup  plus efficaces, nécessitant un déploiement de force moindre et permettant une soumission volontaire. La religion permis ce prodige. Il n’y avait pas lieu de critiquer la répartition des richesses, c’était l’être suprême, Dieu qui l’avait voulu ainsi. Et puis la soumission volontaire et bienveillante permettrait d’être récompensé dans un autre monde ou une autre vie.

L’organisation la plus subtile qui fut mise en place est certainement celle des castes indiennes. Vous naissiez dans une famille qui appartenait à une caste, les castes étant hiérarchisées. Nul possibilité de sortir de cette caste. Mais des mythes permettaient d’expliquer d’abord qu’il existait la réincarnation et que vous passiez d’une vie à une autre vie. Et ainsi l’ordre du monde permettait de comprendre que si vous étiez dans une caste inférieure, c’est que dans votre vie antérieure vous n’aviez pas agi comme il faut selon les principes moraux édictés par ce même mythe. Aucune chance de se révolter, ce serait pire après votre mort vous vous réincarneriez certainement dans un animal et même dans les animaux il était possible de tomber plus bas. Notez que ce mythe permettait aussi de consoler un membre d’une caste inférieure victime d’un mauvais traitement d’un membre d’une caste supérieure. Il était consolé car il avait la certitude qu’en raison de son attitude cet homme vivrait bientôt dans un état inférieur.

Système absolument génial. La rébellion ne pouvait avoir que des conséquences désastreuses et la soumission ne pouvait que vous apporter du bonheur dans vos vies futures. Et nous savons combien il est difficile de penser différemment quand tout le monde croit un mythe. Raymond Aron avait eu cette belle formule qui m’a beaucoup guidé dans ma vie : « Les esprits capables d’affronter la désapprobation de leurs pairs demeurent toujours une élite, je veux dire un petit nombre.» Le monothéisme promet un autre monde, le système des castes d’autres vies. Dans un système monothéiste ou un système de caste, la démocratie libérale ne peut exister. Il faut un homme désigné par Dieu ou oint par Dieu ou encore une oligarchie qui organise et gouverne la société.

Mais nous n’en sommes plus là, dans nos sociétés modernes, sociétés démocratiques et libérales, les choses se passent autrement. Mais les inégalités existent toujours. Structurellement, on comprend bien que la démocratie décrète, dans ses fondements, l’égalité de chaque humain formant la société démocratique. Bien sûr les esprits subtils ont inventé de nouveaux concepts : l’égalité en droits et l’égalité sociale. L’égalité que promettait la démocratie libérale était la première pas la seconde. Les libéraux ont d’ailleurs un autre concept pour dénigrer ceux qui ont pour projet de réaliser l’égalité sociale : les égalitaristes qui prônent l’égalitarisme. La critique communiste avait pour analyser la même chose d’autres concepts celle de  l’égalité formelle et l’égalité réelle. L’égalité formelle était celle préconisée par les libéraux et correspondait à l’égalité en droits. L’égalité réelle qu’ils promettaient s’apparentait à l’égalitarisme fustigé par les libéraux. Cette histoire a mal fini, certes il y avait moins d’inégalité que dans les démocraties libérales, mais au prix d’une restriction insupportable des libertés sans pour autant apporter la vraie égalité en raison de la corruption et de la nouvelle élite appelée «nomenklatura» qui disposait d’avantages que le commun n’avait pas.

Mais dans nos démocraties libérales, comment a t’on fait pour faire accepter l’inégalité ?
Car expliquer que l’égalité en droits était respecté ne pouvaient suffire à calmer la soif d’égalité réelle du plus grand nombre. Et pourtant, grosso modo, cela a fonctionné jusqu’à présent sans dégénérer dans la violence, au moins de violence dans la durée.

Pour que les humains acceptent de vivre en commun et fassent société, il faut des mythes, des promesses, des lendemains qui chantent.

Je crois que la démocratie libérale mettait en avant une grande promesse et une règle qui a l’apparence de la justice.

La règle est celle de la méritocratie. J’ai réalisé une série de mots du jour, il y a un an, du 21 au 25 novembre 2016, qui interroge la réalité de l’application de cette règle qui selon la croyance libérale sélectionne les meilleurs pour diriger, gagner beaucoup d’argent, argent qui est aujourd’hui l’étalon de la réussite sociale.

Ce n’est pas que cette méritocratie soit un mythe, il y a eu dans nos sociétés un véritable ascenseur social pour des personnes issues de milieux modestes qui un peu par leur talent et beaucoup par leur travail ont su s’élever dans la hiérarchie sociale. Nous avons évoqué il y a peu de temps Albert Camus. Aujourd’hui encore le football autorise de tels phénomènes.

Mais les études sociales sérieuses notamment réalisées aux Etats-Unis montrent que ce qui prédomine, et ce phénomène s’accentue de nos jours, c’est que les enfants appartiennent grosso modo à la même classe sociale que leurs parents et même que leurs grands parents. Or il semble que l’intelligence ne soit pas génétique, c’est donc bien qu’il y a d’autres mécanismes en jeu.

Et c’est là qu’il y avait la grande promesse du progrès pour tous. Vous étiez peut être dans une catégorie sociale défavorisée, mais en étant sérieux et en faisant des efforts vous pouviez améliorer votre situation et surtout si vous éleviez sérieusement vos enfants et parveniez à leur inculquer le goût du travail et de la rigueur, ils seraient capable eux de faire un bond dans l’échelle sociale.

C’est cette grande promesse qui est en crise aujourd’hui. La globalisation, la concurrence des salariés, la cupidité du petit nombre qui accapare de plus en plus les richesses mondiales sont en train  de tuer ce pilier de la démocratie. La démocratie a pour échelle le local : l’Etat. Elle ne sait pas lutter contre l’économie et la financiarisation qui ont pour échelle le monde.

Si la croyance en cette grande promesse s’évanouit dans la réalité de l’explosion des inégalités et à l’assignation définitive de groupes humains de plus en plus important soit dans une situation défavorisée, soit stagnante je ne donne pas beaucoup d’avenir à la démocratie.

On reviendra peut être alors au règne de la force. Il est imaginable que grâce aux progrès des technologies, aux robots, aux drones espions et tueurs un très petit nombre aura assez de puissance pour mater le plus grand nombre, surtout s’ils ne vivent plus avec les gens du commun. Probablement qu’ils se croiront alors des sur-hommes qui selon les rêves des transhumanistes de la silicon valley pourront toujours améliorer leurs performances grâce à l’apport de l’intelligence artificielle directement implantée dans leur corps et aussi vivre l’amortalité.

On reviendra aussi peut être à la religion, celle qu’imagine Harari : le dataisme. Les algorithmes travaillant sur des big data nous conseilleront pour chaque décision. Aujourd’hui nous vivons déjà cette réalité pour le guidage de notre voiture à travers le GPS et demain, très rapidement je crois, nous n’aurons plus de médecin traitant mais des connecteurs et une intelligence artificielle qui avec les données collectées sur notre corps et en interrogeant d’immenses bases de données sauront beaucoup mieux faire un diagnostic et trouver la thérapie adéquate qu’un pauvre médecin avec un cerveau humain, bref notre semblable. Harari pense que c’est justement à cause de la promesse de la santé que nous nous laisserons faire et ne nous opposerons pas à cette évolution.

Mais vous vous rendez bien compte que dans un monde où l’intelligence artificielle sait mieux que n’importe quel humain ce qu’il convient de faire, la démocratie devient un anachronisme. Il n’y aura aucune intelligence à demander aux cerveaux humains comment organiser la cité, alors que l’intelligence artificielle y répondra plus vite et avec plus de pertinence.

Ce dataisme qui saura sans doute même convaincre qu’il est normal que les pauvres soient pauvres. Bref une vraie religion comme dans l’antique.

Et pendant ce temps, le progrès technologique et l’augmentation des humains sur terre se heurtent à une dure réalité, les ressources de la terre ne suffisent pas à notre système de développement économique actuel qui a besoin des ressources de plusieurs terres pour continuer. Ressources dont nous ne disposons pas.
Le pire n’est jamais sûr et Edgar Morin cite souvent le poète allemand Hölderlin «Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve.».

Mais pour cette fin il faut de la régulation, de la redistribution et un autre partage des richesses.

Ce que seule la Politique peut faire, car l’autorégulation de la cupidité ne fonctionne visiblement pas.

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Mercredi 8 novembre 2017

« Avec plus de 500 portraits, [Luther] est l’homme le plus représenté de son temps, devançant même les monarques ! »
Marion Deschamp dans un article dans la Revue Histoire (Hors série de septembre 2017)

Je vais finir, aujourd’hui, avec cette série de mots sur Luther.

Luther ne peut se résumer ni à son antisémitisme que j’ai évoqué hier, ni sa soumission à l’injustice du monde que j’ai rapportée lundi.

Mais Luther, ce croyant irréductible, a aussi écrit ces textes assez terrifiants, haineux et manquant beaucoup de l’amour qu’il prêchait par ailleurs.

Il y aurait encore tant de choses à raconter sur lui. Notamment son conflit avec le grand humaniste Erasme qui fut avant tout philosophe, humaniste et théologien né à Rotterdam dans le comté de Hollande, bien qu’aujourd’hui il soit surtout connu parce que son nom a été utilisé pour le célèbre programme «Erasmus» de l’Union européenne.

Probablement que dans le conflit entre le réformateur intraitable et l’humaniste pondéré nous serions aujourd’hui beaucoup plus proche d’Erasme.

Lucien Febvre dans son ouvrage de référence cite encore un écrit de Luther :

« Je hais Erasme du fond du cœur »
Martin Luther un destin page 82

Et un peu plus loin : « En ces matières, Erasme est bien plus ignorant que Lefèvre d’Etaples. Ce qui est de l’homme l’emporte en lui sur ce qui est de Dieu »

En titre de ce chapitre, Lucien Febvre cite l’accusation principale de Luther à l’encontre d’Erasme :

« Du bist nicht fromm !»

Tu n’es pas pieux. Voilà le grand reproche, Erasme n’était pas assez illuminé par la Foi ! Il s’intéressait trop à l’homme et à l’humanité.

En creux, cela dessine encore une fois Luther en croyant radical, absolu. Je n’utilise pas à dessein le terme « intégriste » qui serait décalé et utiliserait un terme d’aujourd’hui pour décrire un monde qui était si différent. Le terme exact pour qualifier cette erreur est «anachronisme».

Mais Luther a déclenché un mouvement d’une telle ampleur que probablement il n’avait pas imaginé et même pas voulu :

  • Il ne voulait pas le schisme avec l’église catholique, mais il l’a provoqué.
  • Il voulait convaincre, faire évoluer la théologie catholique. Il a provoqué les guerres de religion, la terrible guerre de trente ans.
  • Il pensait que l’alphabétisation générale servirait à l’unique but que chacun passe tout son temps disponible à lire et à commenter la Bible et les autres textes saints. Il ne pensait pas que cela permettrait aux ouvriers de lire Marx ou d’autres penseurs socialistes, par exemple.
  • De même la liberté de penser devait permettre à chacun de mieux interpréter la parole divine et non pas de blasphémer, de réaliser des caricatures du Christ et d’appeler à la révolte contre les classes possédantes.

Mais il a aussi provoqué cela.

Avant que je ne m’intéresse de plus près à son destin et à ce qu’il a vraiment écrit et professé, je le trouvais plutôt sympathique. Notamment dans son évolution entre le moine rigide, austère passant son temps et son énergie à se soumettre à des contraintes disciplinaires dans l’espérance de plaire à Dieu au vieux bourgeois gras, aimant la bonne chère, le vin et aussi le sexe.

Lucien Febvre cite une lettre à sa femme Catherine de Bore qui avait été nonne et qu’il a libéré de ses vœux puis épousé dans laquelle il reconnaît que l’âge l’a rendu impuissant et que s’il ne l’était pas, il lui ferait bien l’amour.

De multiples convives ont rapporté les « Tischreden », « ses propos de table » pleins de verves, d’outrance et de vulgarité.

Il fait ainsi plusieurs fois l’éloge de l’alcool et même plus… :

« Il y a des fois où il faut boire un coup de trop, et prendre ses débats et s’amuser, bref commettre quelque péché en haine et en mépris du diable.»

Pour boire et pratiquer les choses du sexe, il évoque le diable pour mieux s’en moquer :

« Au moment des épreuves spirituelles les plus graves, j’ai souvent saisi les seins et les tétons de ma Käthe, mais cela ne m’a pas aidé et n’a pas chassé mes mauvaises pensées .»

Ou encore :

« Oh ! si je pouvais enfin imaginer quelque énorme péché, pour décevoir le diable et qu’il comprenne que je reconnais aucun péché, que ma conscience ne m’en reproche aucun ! »

Il allait parfois si loin dans ses extravagances que son plus fidèle collaborateur Philippe Mélanchthon s’est écrié « Utinam Lutherus etiam taceret » Ah si Luther pouvait seulement se taire !.

Pour comprendre comment avec un tel homme à l’origine, les protestants ont pu devenir des « puritains » dénoncés pour leur rigidité par Ingmar Bergman et tant d’autres cinéastes ou écrivains ayant vécu en terre protestante, il faut comprendre que d’autres influences, d’autres hommes comme Calvin par exemple ont joué un rôle essentiel dans le développement du protestantisme

Mais Luther ce n’est pas qu’un vieil homme autoritaire, aimant boire et faire la fête.

Lucien Febvre écrit page 182 de son ouvrage :

« Il ignore l’avarice, et même l’économie. Il aime donner. Il se montre très simple, très accessible à tous. Peu à peu, il reçoit dans son logis des pensionnaires. Des privilégiés, […] et qui, à table du grand homme, ouvre les oreilles pour bien tout écouter. Souvent Luther se tait. Il s’assied sans mot dire. On respecte son silence, lourd de méditation et de rêverie. Souvent aussi, il parle. Et des propos épais sortent de sa bouche : grossier mais, car le maître a pour un certain genre d’ordures, pour la scatologie, un goût qui ne fait que s’affirmer davantage, à mesure que passent les années. Mais parfois aussi, de ce gros corps qui s’enlaidit, un autre homme se dégage et surgit. Un poète, qui dit sur la nature, sur la beauté des fleurs, le chant des oiseaux, le regard brillant et profond des bêtes, toutes sortes de choses fraîches et spontanées. »

Et je voudrais finir par la grande modernité de Luther. Je tire cet extrait d’un article du hors série Histoire publiée par la Vie consacrée à Luther :

« Luther est instrumentalisé dès sa mort en 1546. Un dispositif mémoriel se met en place, et son discours est recyclé à des fins politiques. Le réformateur y a lui-même contribué en pariant de son vivant sur une diffusion de son message par l’image. Avec plus de 500 portraits, c’est l’homme le plus représenté de son temps, devançant même les monarques ! Cette culture du souvenir, alimentée sous toutes les formes possibles, traduit une modernité dans la communication : Luther parlait au peuple, pas seulement aux élites. »

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Mardi 7 novembre 2017

« En premier lieu, il faut mettre le feu à leurs synagogues et à leurs écoles,et enterrer et couvrir de saletés ce qui n’aura pas brûlé,de sorte qu’aucun homme ne puisse jamais en retrouver la moindre pierre ou cendre. »
Martin Luther «Des Juifs et de leurs mensonges »

Luther a écrit, a beaucoup écrit.
Il a eu un rôle primordial dans l’émergence de la modernité occidentale.
Il a aussi par son combat de 1517 et les années suivantes, peut-être à son corps défendant, libéré la parole, les énergies et le dynamisme occidental.

Mais il va vivre bien au-delà de 1517, jusqu’en 1546. Et en 1543 il a écrit l’ouvrage de trop : « Des Juifs et de leurs mensonges »

Les protestants et les luthériens peuvent expliquer et défendre Luther contre beaucoup des controverses, mais là ils ne peuvent plus.

Les historiens expliquent toujours qu’au début, Luther était très compréhensif à l’égard des juifs.

Wikipedia rappelle qu’il avait écrit un essai en 1523 « Que Jésus-Christ est né juif  dans lequel il condamne le traitement inhumain des Juifs et presse les chrétiens de les traiter avec bienveillance.

Mais comme je l’ai écrit plusieurs fois, Luther était un homme de Foi, plus précisément un fondamentaliste, aujourd’hui on dirait un intégriste. Sa bienveillance à l’égard des juifs entraîne chez lui pour seul but de les convertir au christianisme.

Et Luther pense que si les Juifs entendent l’Évangile exprimé clairement, ils seront poussés naturellement à se convertir au christianisme. Et il écrit en 1523 :

« Si j’avais été un Juif, et avais vu de tels balourds et de tels crétins gouverner et professer la foi chrétienne, je serais plutôt devenu un cochon qu’un chrétien. Ils se sont conduits avec les Juifs comme s’ils étaient des chiens et non des êtres vivants ; ils n’ont fait guère plus que de les bafouer et saisir leurs biens. Quand ils les baptisent, ils ne leur montrent rien de la doctrine et de la vie chrétiennes, mais ne les soumettent qu’à des papisteries et des moineries […] Si les apôtres, qui aussi étaient juifs, s’étaient comportés avec nous, Gentils, comme nous Gentils nous nous comportons avec les Juifs, il n’y aurait eu aucun chrétien parmi les Gentils… Quand nous sommes enclins à nous vanter de notre situation de chrétiens, nous devons nous souvenir que nous ne sommes que des Gentils, alors que les Juifs sont de la lignée du Christ. Nous sommes des étrangers et de la famille par alliance ; ils sont de la famille par le sang, des cousins et des frères de notre Seigneur. En conséquence, si on doit se vanter de la chair et du sang, les Juifs sont actuellement plus près du Christ que nous-mêmes… Si nous voulons réellement les aider, nous devons être guidés dans notre approche vers eux non par la loi papale, mais par la loi de l’amour chrétien. Nous devons les recevoir cordialement et leur permettre de commercer et de travailler avec nous, de façon qu’ils aient l’occasion et l’opportunité de s’associer à nous, d’apprendre notre enseignement chrétien et d’être témoins de notre vie chrétienne. Si certains d’entre eux se comportent de façon entêtée, où est le problème ? Après tout, nous-mêmes, nous ne sommes pas tous de bons chrétiens. »

Bref, pour l’instant les chrétiens s’y sont mal pris, mais si les chrétiens se comportent bien, avec la foi de Luther et avec amour, nul doute que quasi tous les juifs se convertiront à la seule Foi, à la vérité, au christianisme.

Mais seulement cela ne s’est pas passé ainsi. Luther a compris que très peu de juifs accepteront de se convertir. Il le reconnait dès le début de son ouvrage « Des Juifs et de leurs mensonges » :

« Je me propose encore moins de convertir les Juifs, car c’est impossible. »

Cet ouvrage de 1543, dont la première phrase est :

« Je m’étais fait à l’idée de ne plus écrire à propos des Juifs ou contre eux. Mais depuis que j’ai appris que ce peuple méchant et détestable n’arrête pas de nous attirer à lui par la ruse, nous les Chrétiens, j’ai publié ce petit livre, afin d’avoir ma place parmi ceux qui s’opposent aux activités diaboliques des Juifs et qui recommandent aux Chrétiens de rester sur leur garde en ce qui les concerne. »

Et puis il parle d’eux comme «  une portée de vipères et enfants du diable » , « misérables, aveugles et stupides », « des fripons paresseux », « des meurtriers permanents », et « de la vermine » et les apparente à de la « gangrène ».

Son ouvrage est encore un ouvrage théologique où sur la base des textes bibliques, il entend démontrer qu’il a raison et que les juifs sont dans l’erreur, du point de vue de la Foi.

A partir de la page 119, il commence à décliner un plan d’action :

En premier lieu, il faut mettre le feu à leurs synagogues et à leurs écoles, et enterrer et couvrir de saletés ce qui n’aura pas brûlé, de sorte qu’aucun homme ne puisse jamais en retrouver la moindre pierre ou cendre. Cela doit être fait en l’honneur de Dieu et de la chrétienté, pour que Dieu puisse voir que nous sommes Chrétiens, et que nous ne fermons pas les yeux ou supportons sciemment ces mensonges, malédictions et blasphèmes publics contre son Fils et ses Chrétiens.

[…]

En second lieu, je recommande de raser et détruire les maisons des Juifs. Car ils poursuivent là les mêmes buts que dans leurs synagogues. Ils devraient plutôt être logés sous un abri ou dans une grange, comme les bohémiens.

[…]

En troisième lieu, je recommande de leur retirer leurs livres de prières et les écrits talmudiques, qui enseignent cette idolâtrie, ces mensonges, ces malédictions et ces blasphèmes.

[…]

En quatrième lieu, je recommande que leurs rabbins soient dorénavant interdits d’enseigner sous peine d’être frappés dans leur corps et dans leur vie ; car ils ont trahi le droit à cette fonction.

[…]

En cinquième lieu, je recommande d’abolir complètement les sauf-conduits sur les routes principales pour les Juifs. Car ils ne font pas d’affaires dans la campagne, étant donné que ce ne sont pas des seigneurs, des fonctionnaires, des commerçants, etc.

[…]

En sixième lieu, je recommande qu’on interdise l’usure aux Juifs, et que toutes leurs espèces et leur fortune en argent et en or leur soient confisquées et mises de côté en lieu sûr. La raison en est que, comme nous l’avons dit plus haut, ils n’ont pas d’autre moyen de gagner leur vie que l’usure et que, de cette manière, ils nous ont volé et dérobé tout ce qu’ils possèdent.

[…]

En septième lieu, je recommande de mettre entre les mains des jeunes et solides Juifs et Juives un fléau, une hache, une houe, une bêche, une quenouille, ou un fuseau, et de les laisser gagner leur pain à la sueur de leur front, comme il se doit pour les enfants d’Adam (Genèse 3 [: 19]). Il n’est pas normal qu’ils nous laissent trimer en suant, nous maudits Goyim, tandis qu’eux, le peuple saint, passent leur temps dans l’oisiveté derrière le poêle, festoyant et pétant et, par-dessus tout, blasphémant et se vantant de leur pouvoir sur les Chrétiens par l’utilisation de notre sueur. Non, il faut jeter dehors ces gredins paresseux par leur fond de culotte

Violent, grossier, criminel voici comment apparaissent aujourd’hui les propos écrits par Luther.

Et cela se poursuit sur des dizaines de pages dans lesquelles alternent des citations de la bible, des controverses théologiques et des insultes à l’égard du peuple juif.

Ce texte a été relativement peu publié, même si selon Wikipedia des groupes antisémites ou le ku klux klan ont donné une certaine publicité à cet écrit.

Mais bien sûr ce sont les nazis qui se sont emparés avec délice de ce texte.

L’Allemagne a eu deux pères fondateurs : Luther et Bismarck. Les outrances de Luther étaient pains bénis pour les nazis.

On voit à gauche, une affiche nazi.

Son commentaire : « Le combat d’Hitler et l’enseignement de Luther sont la bonne défense du peuple allemand »

Bien sûr, les racines de l’antisémitisme des nazis et de Luther ne sont pas les mêmes.

L’antisémitisme nazi est un antisémitisme génétique (pour ne pas dire raciale puisque les race n’existent pas). C’est pour cela qu’il y a génocide. Un juif même non croyant ne peut échapper à la haine des nazis.

L’antisémitisme de Luther n’est que d’origine religieux. Si le juif se convertit, Luther aurait probablement ajouté sincèrement, il devient un frère en foi et tout conflit est oublié.

Hier nous voyions Luther, dans sa croyance intransigeante faire une séparation nette entre deux mondes, notre monde réel et le second monde celui de la promesse de la religion.

Ici, Luther dans son délire antisémite montre la seconde faille des monothéismes : la certitude que sa croyance est la vérité.

« Le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes

Dans son univers mental, Luther ne peut concevoir que les juifs pensent différemment de lui, possèdent d’autres croyances. Dans son univers, ils se trompent !

Et fait aggravant, alors qu’il leur explique calmement et de manière didactique, selon lui, ils persistent dans l’erreur.

Dès lors ils deviennent méchants, détestables et on peut user de violence à leur égard.

<961>

Lundi 6 novembre 2017

«La rébellion est chose intolérable.»
Martin Luther,pendant la guerre des paysans

J’ai l’intuition que certains trouvent que j’exagère de consacrer autant de temps à Martin Luther. Car ils pensent que c’est de l’histoire ancienne.

Le croyez-vous vraiment ?

Boris Cyrulnik vient d’écrire un livre « Psychothérapie de Dieu », dans lequel il affirme :

« Aujourd’hui, sur la planète, 7 milliards d’êtres humains entrent plusieurs fois par jour en relation avec un Dieu qui les aide.
Ils sont mus par le désir d’offrir à Dieu et aux autres humains leur temps, leurs biens, leur travail et parfois leur corps pour éprouver le bonheur de donner du bonheur. »

C’est probablement mu par un fantasme quantophrénique, qu’il se sent obligé de citer un chiffre de 7 milliards, sans justifier comment il le détermine. Mais il dit une réalité, si nous autres européens largement agnostiques sommes sortis de la religion, il n’en va pas du tout de même pour les autres pays de la planète.

Et notamment aux Etats-Unis, il serait impossible à quelqu’un qui dirait qu’il ne croit pas en Dieu d’être élu Président. Les américains sont capables d’élire un Trump, mais incapable d’élire un incroyant assumé.

Les Etats-Unis sont un pays encore largement protestant, un pays très riche mais un pays très inégalitaire. Les croyants sont enclins à la charité, c’est-à-dire donner ce qu’ils jugent juste aux pauvres qu’ils ont choisis. La justice sociale n’est pas dans leur univers mental.

Je crois que la religion leur permet de vivre sereinement dans une société où l’injustice sociale est la norme. Et je pense pouvoir éclairer cette réalité à travers un exemple explicite de la vie de Luther.

Gérald Chaix, historien professeur à l’Université de Tours a écrit dans le numéro spécial de la revue Histoire : « Luther 1517, Le grand schisme » un article sur « la guerre des paysans » qui eut lieu en 1524-1525 en Allemagne.

« Tout commença en juin 1524, à Forchheim, au nord de Nuremberg, et dans le comté de Stühlingen au sud de la Forêt Noire. […] Suite à des abus, notamment fiscaux, les insurgés remettaient en cause les droits et les usages locaux. […] Au printemps 1525, les troubles avaient gagné toute la partie méridionale de l’Empire, de l’Alsace jusqu’au Tyrol et la région de Salzbourg, en passant par la Souabe supérieure et en s’étendant au nord vers la Franconie et la Thuringe.»

C’est une jacquerie pour reprendre le terme français dans laquelle les paysans se révoltaient contre leurs seigneurs parce qu’ils estimaient qu’ils subissaient trop de taxes et de corvées au profit des chefs féodaux.

Les paysans de Souabe ont notamment rédigés leurs revendications dans « douze articles ». L’article 3 réclamait notamment « la suppression du servage » ou l’article 5 « Le maintien des forêts communales », c’est-à-dire le refus de leur privatisation au profit des seigneurs.

Les auteurs de ces douze articles avaient mis résolument ces 12 articles sous la tutelle de la religion. L’article 12 disposait en effet :

« la Sainte Ecriture [est] la seule autorité que veulent suivre les paysans »

Mon objet, n’est pas de décrire précisément les péripéties de cette guerre des paysans, ni même de décrire plus précisément les revendications des paysans, mais de faire le lien entre ce soulèvement et Luther.

Si vous voulez en savoir davantage <Vous pouvez utilement lire ce qu’en dit Wikipedia>

Luther a déclenché un mouvement de liberté en prêchant que chaque chrétien peut accéder par lui-même au message biblique. C’était donc une invitation pour chacun à réfléchir par lui-même. Pour Luther cette réflexion était cependant très contrainte, contrainte par la foi et les commandements de Dieu. Mais certains ont voulu réfléchir sur les relations entre les paysans et leurs seigneurs et y ont constaté de grandes inégalités. Ancien partisan de Luther, Thomas Müntzer qui est un pasteur va prendre fait et cause pour les paysans et même prendre la tête de l’insurrection. Il souhaiterait mettre en place un ordre social équitable : suppression des privilèges, dissolution des ordres monastiques, abris pour les sans-logis, distribution de repas pour les pauvres.

Luther est directement confronté à la révolte, en Thuringe, les paysans voudraient qu’il agisse en tant que médiateur.

Ainsi il rédigea un opuscule : « Exhortation à la paix en réponse aux 12 articles des paysans de Souabe ». Dans cet écrit, il exhortait à l’apaisement mais surtout récusait aux paysans le droit de se soulever. Dans un raisonnement théologique il oppose la liberté spirituelle qui lui a permis de s’opposer au Pape à la soumission aux autorités temporelles, c’est-à-dire non religieuses. Il refusait notamment de tirer de l’évangile la suppression du servage.

Lucien Febvre résume dans son livre consacré à Luther (page 161), cet écrit de la manière suivante :

« L’Evangile ne justifie pas, mais condamne la révolte, Toute révolte. »

Son écrit se répandit à travers l’Allemagne mais ne ramena pas la paix. Au contraire l’insurrection, pris de l’ampleur. Et suite à cette aggravation, je cite à nouveau Gérald Chaix :

Luther se rendit à la cour de Weimar pour réclamer une intervention princière. L’Electeur y répugnait, mais il mourut le 5 mai 1525. Luther profita d’une réédition de l’Exhortation pour y ajouter quelques pages, achevées le 6 mai : « Contre les bandes criminelles et meurtrières des paysans : «C’est pourquoi, chers seigneurs, délivrez, sauvez, secourez, ayez miséricorde de ces pauvres gens. Poignardez, pourfendez et égorgez à qui mieux mieux […]. Si tout cela parait trop dur à quelqu’un, qu’il songe que la rébellion est chose intolérable, et qu’à tout moment il faut s’attendre à la destruction du monde. » »

Il fut fait selon les souhaits de Martin Luther et Gérald Chaix de préciser :

« En quatre batailles, les paysans furent écrasés : le 12 mai à) Böblingen, en Souabe, le 15 mai à Frankenhausen en Thuringe, un jour plus tard à Saverne, en Alsace, et le 2 juin à Königshofen, en Franconie. Le 27 mai 1525, Müntzer était exécuté. Au total, entre 70 000 et 100 000 révoltés perdirent la vie. »

Probablement que sans Luther, les princes auraient également écrasé cette révolte dans le sang. Mais Luther a utilisé de sa plume et de son magistère pour soutenir pleinement la répression. Il nous a facilité l’analyse historique, en écrivant sur du papier explicitement son opinion : « Poignardez, pourfendez et égorgez ». Alors qu’auparavant, le mouvement qu’il avait déclenché avait justement pour fonction de conduire les masses à s’interroger et à réfléchir par eux même. Et cette prédication a conduit les paysans à considérer que leurs revendications étaient légitimes.

Comment expliquez cela ? Comment justifiez cela ?

Les marxistes ont une explication claire : « Luther était intiment lié aux princes et à leurs protections, il a donc pris fait et cause pour ses amis de classe ». L’ami, le confident de Marx, Friedrich Engels a écrit un ouvrage sur la guerre des paysans que vous trouverez sur internet derrière ce <lien>.

J’en tire ce paragraphe

« Avec sa traduction de la Bible, Luther avait donné au mouvement plébéien une arme puissante. Dans la Bible, il avait opposé au christianisme féodalisé de l’époque l’humble christianisme des premiers siècles  à la société féodale en décomposition, le tableau d’une société qui ignorait la vaste et ingénieuse hiérarchie féodale. Les paysans avaient utilisé cet outil en tous sens contre les princes, la noblesse et le clergé. Maintenant, Luther le retournait contre eux et tirait de la Bible un véritable hymne aux autorités établies par Dieu, tel que n’en composa jamais aucun lèche-bottes de la monarchie absolue ! Le pouvoir princier de droit divin, l’obéissance passive, même le servage trouvèrent leur sanction dans la Bible. Ainsi se trouvaient reniées non seulement l’insurrection des paysans, mais toute la révolte de Luther contre les autorités spirituelles et temporelles. Ainsi étaient trahis, au profit des princes, non seulement le mouvement populaire, mais même le mouvement bourgeois. »

J’expliquerai, pour ma part, la position de Luther d’une manière plus simple et encore plus radicale.

Je prends acte que Luther est un croyant absolu dans sa Foi.

Nous avons déjà vu que son combat était un combat théologique, non un combat de morale.

Qu’applique t’il dans cet épisode ?

Je rejoins sur ce point Michel Onfray qui explique que les religions monothéistes ont théorisé l’existence de deux mondes, celui que nous connaissons et dans lequel nous vivons et l’autre monde dont nous ne savons rien sauf ce qu’en disent les religieux. Dans le monde que nous connaissons, nous savons que nous ne vivrons que quelques années, dans le monde mythique d’après la mort nous vivrons éternellement selon la croyance monothéiste.

Dès lors, le monde réel, celui que nous connaissons a beaucoup moins d’importance, une importance quasi négligeable.

Ici-bas nous devons vivre dans la soumission de l’ordre établi pour être récompensé dans l’autre.

Harari, l’auteur de « Sapiens » a eu cette formule saisissante : « Jamais vous ne convaincrez un singe de vous donner sa banane en lui promettant qu’elle lui sera rendue au centuple au ciel des singes»

Et si la première fonction de la religion n’était pas celle-ci : « Faire accepter l’injustice sur terre et enseigner l’esprit de soumission ? »

L’Histoire de Luther me semble particulièrement révélatrice de ce point de vue.

<960>

Jeudi 26 octobre 2017

« Les protestants »
Nom qui a été donné à ceux qui ont quitté l’église catholique pour suivre la Réforme.

Mais d’où vient le nom de protestant ? Pourquoi parle-t-on des protestants ?

Nous avons compris que Luther entendait réformer l’enseignement de L’Église catholique et que cette entreprise a mal tourné en raison de la réaction de la papauté et aussi un peu en raison  des intérêts des élites allemandes.

Il parait, dès lors, rationnel de parler de Réforme et de réformateurs. Ces termes sont utilisés, mais un autre s’est imposé davantage : « Les protestants ».

Dans ma ville natale, à Stiring-Wendel, comme dans la ville centre de l’agglomération Forbach il y a une église catholique et un temple protestant.

Les livres savants expliquent simplement que ce mot est apparu une première fois, lors de la Diète de Spire en 1529.

Le mot « Diète » a plusieurs significations et il peut désigner une assemblée politique. Il semblerait qu’une des plus anciennes assemblées ayant porté ce nom et ayant duré sur une longue période se soit trouvée en Suisse. La Diète du Canton de Valais a existé de 1301 jusqu’en 1848.

Et dans le Saint Empire Romain Germanique « La Diète d’Empire », officiellement Diaeta Imperii était une institution chargée de veiller sur les affaires générales et de trouver une solution aux différends qui pourraient s’élever entre les États confédérés.La Diète ne fut jamais un parlement dans le sens contemporain ; c’était plutôt l’assemblée des divers souverains que comptait l’Empire. Longtemps la Diète n’eut pas de siège fixe et ce sont 3 diètes qui se sont réunies successivement et ont traité du conflit qui était en train de naitre entre les partisans de Luther et les partisans du Pape dont faisait partie l’empereur Charles Quint.

Il y eut d’abord en 1521, la « Diète de Worms » qui traita de plusieurs sujets qui n’avait rien à voir avec les 95 thèses de Luther. Mais elle entendit aussi en audience les 17 et 18 avril Martin Luther qui avait déjà été condamné par les instances religieuses catholiques, mais qui selon un texte ratifié par Charles Quint, avait le droit de présenter sa défense devant la Diète avant d’être mis au ban de l’Empire. Luther resta ferme sur ses principes. Sa réponse à l’invitation que lui faisait Charles Quint d’abjurer est restée célèbre :

«À moins qu’on ne me convainque de mon erreur par des attestations de l’Écriture ou par des raisons évidentes — car je ne crois ni au pape ni aux conciles seuls puisqu’il est évident qu’ils se sont souvent trompés et contredits — je suis lié par les textes de l’Écriture que j’ai cités, et ma conscience est captive de la Parole de Dieu ; je ne peux ni ne veux me rétracter en rien, car il n’est ni sûr, ni honnête d’agir contre sa propre conscience.»

Un esprit fort droit dans ses bottes ! Dans ses sandales seraient probablement plus appropriées pour un moine.

Il remettait en cause l’autorité du Pape et réclamait le droit de juger par lui-même de ce qui convenait de faire et de penser à la seule lecture du texte biblique.

Bien sûr l’Église Catholique et son chef le Pape, comme l’Empereur son allié ne pouvait laisser cette rébellion en l’état et il y eut promulgation de l’édit de Worms qui condamna Luther et établit sa mise au ban de l’Empire. Mais son protecteur, le prince-électeur Frédéric III de Saxe, organisa l’exfiltration de Martin Luther pour le mettre en sécurité au château de la Wartbourg, à Eisenach, la ville qui vit naitre 164 années plus tard, le plus grand musicien de l’Histoire occidentale et fervent luthérien : Jean-Sébastien Bach.

Cette diète fut suivit par une autre en 1526, dans une autre ville : Spire (Speyer en allemand). Le mouvement réformateur ne s’était pas calmé après Worms, des princes continuaient à soutenir les idées de Luther et de nouveaux réformateurs vont se révéler, notamment Ulrich Zwingli et Thomas Müntzer qui va jouer un rôle important lors de la guerre des paysans sur laquelle nous reviendrons. Charles Quint ne participe pas à cette assemblée.

Et les grands princes de l’Empire décrètent une curieuse conception de la liberté religieuse pour nos esprits contemporains. Très simplement chaque Prince choisit la religion qui lui convient : la religion catholique ou les thèses réformatrices. Mais le Prince décide pour tout son Etat et toute sa population. Ainsi quand le Prince a décidé, tous ses sujets n’ont d’autres choix que d’adhérer à la même religion ou de quitter l’État du Prince.

Mais comme l’écrit Wikipedia :

L’historiographie considère que la Diète de Spire de 1526 constitue une ouverture non voulue par l’empereur Charles Quint dans la voie du libre choix des princes d’appliquer la religion de leur choix à leur territoire.

C’est pourquoi Charles Quint décida de réunir une seconde Diète à Spire en 1529 pour essayer de condamner les idées réformistes luthériennes, réinstaurer partout le culte catholique et la messe en latin et suspendre le compromis de la diète de 1526 et renforcer l’édit de Worms.

C’est cette prétention qui va entraîner le 19 avril 1529 la « protestation » de six princes et de quatorze villes.

Le 19 avril 1529 six princes : Jean de Saxe qui a succédé à Frédéric III le Sage décédé en 1525, Philippe de Hesse, Georges de Brandebourg-Ansbach, Wolfgang d’Anhalt-Köthen, Ernest de Brunswick-Lunebourg ainsi que 14 villes de l’empire (Strasbourg, Ulm, Nuremberg, Constance etc) déposent un acte de protestation devant l’empereur :

« Nous protestons devant Dieu, ainsi que devant tous les Hommes, que nous ne consentons ni n’adhérons au décret proposé dans toutes les choses qui sont contraires à Dieu, à sa sainte Parole, à notre bonne conscience, au salut de nos âmes »

L’empereur sera obligé de céder devant les Princes qui l’élisent.

Et c’est à la suite de cet acte de protestation que les réformés vont être appelés communément « Protestants ».

Mais on va tenter une explication plus savante en latin. Il sera alors expliqué que ce mot est la concaténation de deux mots latins pro (pour) et testare (témoigner) ce qui peut être décliné comme « professer sa foi »

<958>

Mercredi 25 octobre 2017

« Ce n’est pas de Luther qu’il s’agit, c’est de nous tous ; le pape ne tire pas le glaive contre un seul, il nous attaque tous. Ecoutez-moi, souvenez-vous que vous êtes germains »
Ulrich von Hutten

<Ulrich von Hutten> était un chevalier et aussi un polémiste qui soutint Martin Luther dès le début de son aventure de la Réforme.

Il faut savoir que sans qu’il ne l’ait excommunié le Pape a publié, en 1520, une bulle «  Exsurge Domine » condamnant ses opinions, livrant au feu ses ouvrages et lui laissant 60 jours pour se soumettre.

Mais Luther n’est pas un moine isolé, il va obtenir des soutiens en Allemagne et notamment celui de ce Ulrich von Hutten.

Je tire ce discours de la page 102 de l’ouvrage de Lucien Febvre <Martin Luther, un destin> :

[Hutten] mène alors contre Rome une campagne enragée. En avril 1520 à Mayence […] paraissent des écrits violents contre les romanistes :
« Ce n’est pas de Luther qu’il s’agit, c’est de nous tous ; le pape ne tire pas le glaive contre un seul, il nous attaque tous. Ecoutez-moi, souvenez-vous que vous êtes germains »

Hutten est parmi les soutiens de Luther, un des plus virulents, des plus intransigeants, refusant tout compromis avec le Pape et Rome. Mais il exprime ici un point essentiel, la Réforme, le combat de Luther sont intimement lié à l’Allemagne, l’Allemagne désunie en nombreux États mais voulant se libérer de la tutelle romaine et aussi de l’Empereur du Saint Empire Germanique qui était le représentant temporel du Pape, dans les terres germaines.

Et dans la suite de cette campagne, Luther va rédiger et publier toujours à Wittenberg en 1520 un ouvrage qu’il va simplement appeler « À la noblesse chrétienne de la nation allemande », dans lequel il va attaquer le Pape, la curie, Rome et demander au peuple de soutenir les réformes notamment celle qui consiste à permettre à chacun de lire la bible et de s’en nourrir sans faire appel aux prêtres ;

Et je cite Lucien Febvre page 104 :

Ainsi ce petit livre, écrit en allemand à l’usage de tout un peuple, qu’il se soit enlevé chez les libraires avec une rapidité inouïe; qu’en 6 jours, on en ait débité quatre mille exemplaires, chiffre sans précédent : rien d’étonnant. Il visait tout le monde, tout le monde l’acheta.
Quand il vint en Allemagne publier la bulle [Le représentant du Pape] pu noter : « Les neuf dixièmes de l’Allemagne crient : Vive Luther ! et tout en ne le suivant pas, le reste fait chorus pour crier : Mort à Rome ! »

Et le 1er novembre 1521, dans une lettre Luther écrit : (Febvre page 137)

« Je suis né pour mes Allemands et je les veux servir. »

Et à partir de 1525 Febvre fait remarquer que Luther n’écrit plus qu’en allemand  (page 181)

« Il renonce au latin, langue universelle, langue de l’élite. Ce n’est pas à la chrétienté qu’il s’adresse : à l’Allemagne seule, même pas, à la Saxe luthérienne. »

Les relations avec Rome et le Pape vont empirer, il faut dire que Luther est très intransigeant. Il est mis au ban de l’empire ce qui signifie que n’importe qui peut le mettre à mort impunément. Mais son protecteur, l’électeur de Saxe, Frédéric le Sage continue à le protéger. Et Aussitôt sa condamnation prononcée, l’électeur de Saxe Frédéric III le Sage, craignant qu’il ne lui arrive malheur ordonne à des hommes de confiance de l’enlever alors qu’il traverse la forêt de Thuringe le 4 mai 1521. Pour le mettre à l’abri dans le château de la Wartbourg.

Dans ce château, Luther demeure jusqu’au 6 mars 1522 sous le pseudonyme de chevalier Georges. Et c’est là qu’il va accomplir une autre tâche fondamentale le rattachant à l’Allemagne, il commence sa traduction de la Bible, en langue allemande.

On dit souvent que c’est la langue allemande qui a fait l’Allemagne. Mais cette langue n’était pas unique, de multiples patois coexistaient et c’est Luther qui va unifier cette langue, notamment par ce travail sur la bible il va créer une sorte de langue officielle. On parle désormais, pour désigner cette langue, de « la langue de Luther ».

La réforme de Luther est donc une réforme théologique.

Mais ce que nous apprenons ici, c’est qu’elle est aussi une révolte des allemands, sinon du peuple, au moins de l’élite et de la noblesse allemande contre l’hégémonie de Rome et de la papauté.

Et pendant ce temps, l’allié du Pape, l’empereur du Saint Empire Germanique, Charles Quint qui devrait rétablir l’ordre dans son empire et mettre à la raison Luther est paralysé. Il l’est parce qu’il est en guerre contre François 1er, le roi français, et qu’il ne dispose pas des ressources pour mener deux batailles à la fois. En outre, il soit ménager les nobles allemands qui soutiennent Luther et qui parallèlement sont ses électeurs.

La réforme va par la suite s’étendre rapidement à d’autres pays : la Suisse, les Pays bas et l’Angleterre qui dans sa réforme anglicane va se rapprocher du mouvement réformateur. Mais du point de vue de Luther elle est avant tout un combat du peuple allemand dont il se sent l’étendard.

A cela va s’ajouter, mais nous le verrons dans un autre mot du jour, un antisémitisme très virulent de Luther à la fin de sa vie.

Les nazis utiliseront dès lors la figure tutélaire de Luther pour cautionner leur système et leurs actes.

« Souvenez-vous que vous êtes germains » disait Ulrich von Hutten, le soutien de Luther.

<957>


Mardi 24 octobre 2017

« Une dispute qui termine mal ? »
Didier Poton de Xaintrailles, titre d’une conférence à la Rochelle à propos des 95 thèses de Luther.

Trouver l’exergue qui introduit ce que je souhaite partager dans le mot du jour est parfois compliqué. Pour aujourd’hui, j’ai trouvé le titre d’une conférence qui a eu lieu le 17 octobre 2017, dans une ville qui a été longtemps une place forte du protestantisme en France : La Rochelle. C’était une conférence de de Didier Poton de Xaintrailles, professeur émérite à l’université de la Rochelle, président du musée rochelais d’histoire.

Le titre de cette conférence : « 31 octobre 1517 : une dispute qui tourne mal ? »

Je n’ai pas trouvé de compte rendu, ni de vidéo sur cette conférence. Je n’en connais donc pas le contenu. Mais le titre de cette conférence correspond exactement à la conclusion que j’ai tiré du livre de Febvre sur Luther et des différents articles ou émission que j’ai écoutés sur ce sujet.

J’ai vu une émission qui me semble particulièrement pertinente sur ce sujet, sur la chaine de télévision catholique KTO et qui explicite ce que je vais raconter ici.

<Emission de KTO qui fait dialoguer un catholique et un Luthérien>

Le 31 octobre 1517, Luther a donc publié ses « 95 thèses », il y a 500 ans. Et on fixe à ce moment fondateur le début du mouvement réformateur.

Rappelons de manière simplifiée la version officielle :

Luther est scandalisé par « les indulgences » qui sont utilisées par les ecclésiastiques catholiques pour financer leurs dépenses somptuaires. « Les indulgences » sont en terminologie contemporaine une taxe payée par les catholiques, surtout riches, pour racheter leurs fautes morales ou contre la religion. Le terme faute était remplacée par « péché ». A cette époque, les gens étaient saisis d’effroi de ce qui pourrait arriver après leur mort : l’enfer, le purgatoire et les tourments etc. Donc ils étaient très enclins à accepter de payer. Et les spécialistes marketing de l’Église de l’époque ont alors même imaginé de faire payer pour des péchés futurs. Donc Martin Luther, religieux austère et rigoureux part en guerre contre ces abus et va clouer sur les portes du château de Wittenberg en Saxe ses 95 thèses contre les indulgences, le 31 octobre 1517. La Papauté ne va apprécier, il va s’en suivre des conflits et une scission dans l’Église catholique romaine (Rappelons qu’il y a eu une précédente scission avec l’Église d’Orient, historiquement de Constantinople dont est issu l’Église orthodoxe) et la création des églises protestantes ou réformées.

Fernand Braudel disait qu’en Histoire les choses sont toujours vrai à peu près. Mais cette version est à peu près fausse.

D’abord les historiens d’aujourd’hui doutent beaucoup du fait que ce long texte aurait été placardé sur les portes du château de Wittenberg, le 31 octobre 1517.

Ce qui est certain c’est que ce texte a été écrit par Luther et imprimé. Ce qui est aussi certain c’est qu’il a été envoyé à certaines autorités ecclésiastiques et universitaires.

Ensuite la vision morale de l’Histoire qu’on nous a apprise est largement fausse.

Luther ne s’est pas élevé contre l’Église catholique parce que les mœurs de cette dernière étaient moralement condamnables. Cette version « L’église catholique est corrompue et en contradiction avec son message christique, il faut remettre de la morale et de l’ordre dans tout ça », nous convient bien, à nous autres hommes modernes, parce que nous la comprenons.

Il faut savoir par exemple que Le Prince Electeur de Saxe, Frédéric III dit le « sage », qui sera le protecteur de Luther tout au long de la controverse était lui-même un utilisateur des indulgences, parce qu’elles lui permettaient de financer des reliques très prisées à l’époque et dont il a été un grand collectionneur.

La vérité c’est que cette controverse est totalement incompréhensible à la plupart d’entre nous. Je vais quand même essayer de vous l’expliquer, j’en appelle à votre indulgence.

La controverse déclenchée par Luther est d’essence théologique. Il est bien question des indulgences, mais non pour une question de morale, pour une question théologique.

C’est incompréhensible aujourd’hui pour les européens que nous sommes, peut-être pas pour le reste de l’Humanité qui est encore largement influencé par la religion.

A cette époque on s’entretuait pour ces questions !

Des questions aussi extraordinaires que :

  • Est-ce que l’hostie que l’on vous donne à l’Eglise symbolise le corps du Christ ou est-ce vraiment physiquement le corps du Christ ?
  • Que signifie exactement la Trinité, est-ce un seul être ou 3, existe-t-il une hiérarchie entre eux ?

A cette époque,  selon votre réponse vous pouviez être un homme respecté ou un hérétique qui devait être torturé puis brulé. Et s’il existait suffisamment de personnes pour défendre des réponses antagonistes, ces groupes se faisaient la guerre, une guerre totale.

Nous autres européens sécularisés ne comprenons pas cela même si l’actualité et d’autres religions que la chrétienne devraient nous interpeller.

Les religions monothéistes ont apporté quelques bienfaits à l’humanité, notamment les moines qui ont beaucoup travaillé, asséché des marais et réalisé d’autres choses utiles. Mais le fondement du monothéisme qui entraine la confusion entre « une croyance » et « la vérité unique » a une fabuleuse capacité à crétiniser ceux qui se laissent happer par ces mythes.

Le plus simplement possible je dirai que Luther prétendait que l’enseignement de l’église catholique se trompait en prétendant que c’est le comportement, les actes (il disait les œuvres) des croyants, notamment les mortifications (les jeûnes, se donner la discipline ce qui signifiait se fouetter soi-même ou se faire fouetter ce qui n’était pas vue comme une manifestation de masochisme mais une preuve de foi) permettaient de « se faire bien voir » par Dieu, « d’obtenir la grâce » selon le vocabulaire d’époque.

Selon lui, pour plaire à Dieu il fallait simplement avoir la Foi, croire très fort et la grâce de Dieu faisait le reste.

Alors bien sûr, les indulgences cela n’allait pas du tout puisque cette manière d’agir laissait entendre qu’un acte de la part du croyant : « payer » pouvait conduire à ce que Dieu sois content !

Ce qui est vrai, c’est que Luther n’avait pas pour intention de créer une nouvelle église. Ses 95 thèses étaient l’expression de son désaccord avec l’enseignement de l’Université qui essentiellement consacrait son enseignement à la théologie. Il voulait déclencher un débat, à l’époque on parlait de « dispute », pour débattre avec d’autres de ce qu’il avançait.

Mon propos d’aujourd’hui se moque totalement du contenu des 95 thèses qui sont 95 affirmations d’une vingtaine de mots chacune. En revanche, je vais vous citer, in extenso, l’introduction de ce texte historique :

«Par amour pour la vérité et dans le désir de la mettre en lumière, nous débattrons à Wittenberg des 95 thèses ci-après sous la présidence du Père Martin Luther, Maître ès Lettres et Docteur en Théologie, Professeur ordinaire en ce lieu. Nous demandons à ceux qui ne peuvent être ici présent en ne pourront par conséquent pas prendre part oralement au débat, de le faire par écrit. Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, Amen.»

Il s’agit pour prendre des termes modernes, d’un débat intellectuel, de la confrontation d’idées dans l’espace universitaire.

Luther eut deux surprises :

  • La première c’est ce que ce débat n’a pas eu lieu ;
  • La seconde, c’est que son texte a eu un écho énorme, notamment en Allemagne et que pour différentes raisons dont certaines politiques, il avait enclenché un mouvement qui allait secouer l’Occident et mener à des guerres.

Ce que je vous ai raconté dans ce mot du jour est vrai à peu près, mais c’est très vrai à peu près. En tout cas beaucoup plus que la thèse officielle apprise dans nos livres d’Histoire et que j’ai rappelé ci-avant.

<Et je vous renvoie vers cette émission de KTO citée précédemment>

Vous conviendrez que l’exergue sous forme de question « Une dispute qui termine mal ? » est particulièrement adapté à ce que j’ai développé dans cet article.

<956>.

Lundi 23 octobre 2017

« La Réforme »
Mouvement religieux né en 1517 en Allemagne et conduisant à la création des églises protestantes

2017 est une année pleine d’anniversaires et de commémorations. Le mot du jour du 13 octobre en a rappelé certains.

J’avais omis de citer l’anniversaire qui a motivé notre jeune président improbable et cultivé à inviter pour notre fête nationale le vieux président improbable et inculte des Etats-Unis. Il n’y a que le caractère improbable de leurs élections respectives qui permet de trouver un point commun entre ces deux hommes. Il y a cent ans les Etats-Unis entraient en guerre au côté des anglais et des français contre les allemands et les empires centraux. Ce point de départ de l’hégémonie militaire et économique américaine a continué tout au long du XXème siècle pendant lequel les américains se sont occupés des affaires européennes, un peu pour préserver leurs intérêts, beaucoup parce que nous autres européens nous nous sommes très mal comportés et avons entraîné le monde dans des guerres mondiales apocalyptiques et des totalitarismes meurtriers qu’ont été le nazisme et le communisme bolchévique.

Et justement, un autre centenaire est à commémorer, les cents ans de la révolution russe d’abord celle de février qui renversa le Tsar, puis la vraie, la tragique celle qui allait permettre aux bolcheviks de prendre le pouvoir, d’essayer de mettre en place un système productiviste alternatif au capitalisme, de nier les libertés, et d’assassiner des millions de leurs concitoyens pour s’écraser dans la déroute économique : la révolution d’octobre qui a eu lieu selon notre calendrier le 7 novembre 1917. Cette révolution aura duré moins de 75 ans puisqu’elle s’acheva avec la fin de l’Union Soviétique le 25 décembre 1991.

Mais j’entends parler cette semaine non d’une révolution (quelqu’un saurait-il m’expliquer pourquoi on utilise ce mot qui signifie tourner autour d’un astre pour revenir au même point pour qualifier des bouleversements politiques, cela signifierait-il que forcément les révolutions tournent en rond ?) mais de la Réforme.

On oppose souvent la révolution et la réforme. Mais la Réforme fut un bouleversement religieux, politique et même économique selon Max Weber qui écrivit : «  L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme  »

Selon l’excellent outil du <CNTRL> du CNRS le verbe « Réformer » est lié à la racine « former » et signifie « ramener à sa forme primitive », ce sens existerait depuis la fin du XIIème siècle.

La Réforme a 500 ans et s’inscrit dans le temps long, plus long que la révolution bolchevique.

Les humains aiment dater le début d’une période, d’un phénomène de temps long.

Et on date le début de la Réforme au 31 octobre 1517. Ce jour-là, un moine augustin, professeur de théologie à l’université de Wittembourg en Thuringe sur les terres du Prince électeur de Saxe, Martin Luther a rendu public et envoyé à certains interlocuteurs un document qui a gardé pour nom dans l’Histoire : « Les 95 thèses » contre les indulgences et le fonctionnement de l’église en vue de provoquer un débat théologique, une bataille d’idées à l’intérieur de l’Eglise Catholique. Par un concours de circonstances, des malentendus mais aussi des postures politiques et nationalistes ce débat d’idées va s’abimer dans des guerres, des affrontements et une rupture au sein de la chrétienté occidentale. Nous y reviendrons pendant quelques jours pour éclairer ce moment de l’Histoire européenne et mondiale, car les Etats Unis sont imprégnés par cette révolution luthérienne qui va générer le mouvement protestant.

Pour ce premier mot de la série, je vais m’intéresser au Monde « européen » dans lequel ce document de controverse théologique allait mener à une explosion de rivalités, de haines et aussi de dynamisme intellectuel, politique et économique.

Nous disons donc 1517.

Tous les élèves ayant fréquenté des classes d’Histoire de l’école française ont au minimum une date gravée dans leur mémoire : « 1515 » donc 2 ans avant 1517.

<1515>  donc François 1er, donc Chambord, donc la Renaissance dans sa flamboyance.

Luther (1483-1546) et François 1er (1494-1547) sont des contemporains, Luther un peu plus âgé, 11 ans quand François 1er naît. Mais à partir des 95 thèses et pendant tout le reste de la vie de Luther, la France n’eut qu’un seul roi, un roi catholique mais qui par sa politique aida grandement la diffusion du protestantisme en Europe et notamment au sein des Etats du Saint Empire Romain germanique où régnait son ennemi principal l’empereur Charles Quint.

1515, donc <la bataille de Marignan> en Italie à 16 km au sud-est de Milan. Pour les plus savants la bataille eut lieu les 13 et 14 septembre 1515 et opposa le roi de France François Ier et ses alliés vénitiens aux mercenaires suisses qui défendaient le duché de Milan.

Donc l’Italie …au cœur des rivalités européennes, siège de la papauté et de rivalités internes fortes entre Venise, Gènes, Milan et Rome.

Et Florence… <Laurent de Médicis dit le Magnifique> (1449-1492), donc un aîné pour Luther qui avait 9 ans quand Laurent le Magnifique est mort. Mais en 1513, le Pape qui est élu à Rome a pour nom Léon X, ce fut le Pape qui dirigeait l’Eglise catholique en 1517. Qui est Léon X en réalité ?

<Léon X> eut pour nom de baptême Giovanni Médicis, c’est le second fils de Laurent de Médicis. Il fut Pape de 1513 à 1521.

Léon X, comme tous les souverains européens et particulièrement italiens fut un grand protecteur des arts. Il fit notamment travailler pour lui Raphaël (1483-1520) né la même année que Luther. Il peignit le portrait de Léon X, que l’on peut admirer de nos jours à la galerie des Offices de Florence.

Léon X succéda au pape Jules II, le pape de Michel Ange (1475-1564) qui naquit donc avant Luther et mourra après. Jules II fut aussi le Pape qui entreprit l’édification de la <basilique Saint Pierre> qui fut financée en partie par les <Indulgences> qui jouèrent un rôle certain mais toutefois limité dans le combat théologique de Luther.

Le successeur de Léon X, Adrien VI ne régna qu’un peu plus d’un an. Il était originaire d’Utrecht ville des futurs Pays-Bas. Il est surtout connu comme étant le dernier pape non italien avant Jean-Paul II !

Et après ce Pape de transition, il y eut Clément VII (1523-1534) en pleine expansion du protestantisme, il était en réalité le fils illégitime de Julien de Médicis, frère de Laurent le Magnifique.

Pour rester avec les Médicis et Florence, nous devons rappeler que les Médicis seront renversés par la conquête française en 1494. Un frère dominicain du nom de Savonarole va alors jouer un rôle essentiel dans la cité des Médicis. Il rencontre le roi de France Charles VIII, négocie les conditions de la paix et évite le sac de la ville. Les Florentins sont autorisés par le roi de France à choisir leur propre mode de gouvernement. Savonarole devient alors dirigeant de la cité. Il institue un régime qu’il décrit comme une « République chrétienne et religieuse ».

Homme intransigeant, voulant lutter contre toute corruption il va instituer un pouvoir totalitaire, dans le sens qu’il veut tout contrôler de la vie des florentins même la vie intime. Il finira très mal puisqu’il mourut pendu et brûlé à Florence le 23 mai 1498, Luther avait 15 ans. Certains citent Savonarole comme un précurseur de Luther car il voulait lutter contre la corruption et les abus de l’Eglise, mais nous verrons que ce ne fut pas le combat principal de Luther.

Savonarole fut donc l’allié du roi de France et l’ennemi du Duché de Milan qui était au main de la famille Sforza, ce qui était encore le cas lorsqu’en 1515, à Marignan, François 1er vainquit les troupes alliées au duché de Milan.

Un autre grand ennemi de Savonarole était le pape Alexandre VI, pape de 1492 à 1503, de la famille romaine des Borgia, père de Lucrèce Borgia et César Borgia (1475-1507). Ce dernier est mort 10 ans avant les 95 thèses, il avait 8 ans à la naissance de Luther.

Qui dit César Borgia, pense à Machiavel (1469-1527) un autre contemporain de Luther, même s’il est un peu son aîné. Je n’ai vu nulle part que Luther aurait lu Machiavel, d’ailleurs <Le Prince> est paru en 1532. Mais dans le monde européen de Luther existait la pensée de Machiavel sur le pouvoir.

Revenons à François 1er et l’Italie, dans ce cas un autre nom illustre d’entre les illustres nous revient en mémoire : <Léonard de Vinci> (1452-1519), il est mort 2 ans après 1517, il faisait partie du panthéon culturel de l’Europe de Luther.

François 1er eut pour principal ennemi Charles Quint, pour lutter contre lui il se chercha des alliés. Et dans un épisode fameux <Le camp du Drap d’or> qui est le nom donné à la rencontre diplomatique du 7 au 24 juin 1520, dans un lieu situé dans le Nord de la France, près de Calais il rencontra le roi Henri VIII d’Angleterre. Cette rencontre n’aboutit pas à l’alliance souhaitée.

Mais Henry VIII de la famille Tudor (1491-1547) qui fut roi d’Angleterre et d’Irlande de 1509 à sa mort, fut aussi un grand contemporain de Luther. Il devint roi alors que Luther avait 26 ans. Ce dernier ne connut à partir de cet instant aucun autre roi d’Angleterre jusqu’à sa mort.

<Henry VIII> avait épousé Catherine d’Aragon mais souhaitait l’annulation de ce mariage pour épouser une des dames de compagnie de la reine : <Anne Boleyn>. Mais pour ce faire il avait besoin de l’appui du Pape, et Clément VII dont nous avons déjà parlé a refusé obstinément de céder à l’injonction du roi. C’est pourquoi Henry VIII entreprit, à sa façon, une réforme pour donner naissance à l’église anglicane dont le chef est le souverain britannique. Sans le mouvement lancé par Luther en Allemagne, probablement qu’Henry VIII n’aurait pas eu cette initiative qui s’inscrit immédiatement dans la Réforme.

Wikipédia affirme à propos d’Anne Boleyn que :

« Sa réputation d’être favorable à la réforme religieuse se répand dans toute l’Europe, elle est adulée par l’élite protestante ; même Martin Luther voit d’un bon œil son accession au trône. »

Vous savez que cette pauvre Anne Boleyn fut décapitée sur ordre de Henry VIII mais que leur fille fut reine d’Angleterre et que cette reine fut la Grande <Elisabeth 1ère> (Reine de 1558-1603), début de l’âge d’or de la Grande Bretagne. Elle consolida l’Eglise anglicane et l’inscrivit dans le protestantisme. Fort de cet héritage l’Acte d’établissement de 1701 exclura de la succession des rois d’Angleterre, les catholiques. Ce qui explique l’avènement comme roi d’Angleterre, du Prince électeur de Hanovre sous le nom de Georges 1er (roi de 1714 à 1727). Car à la mort de la reine Anne de Grande-Bretagne, si plus de 50 nobles avaient des liens de parenté plus étroits avec la reine Anne que lui, ils étaient tous catholiques. George était donc le plus proche parent protestant d’Anne. C’est ainsi que la maison allemande des Hanovre s’empara de la couronne britannique.

La couronne britannique a toujours ses racines allemandes. La reine Victoria fut la dernière des souverains de la Maison de Hanovre. Mais ayant épousé, en outre, un allemand : le prince Albert de Saxe-Cobourg-Gotha, lorsque Édouard VII, fils de la reine Victoria, monte sur le trône, il portera le nom de son père et la maison royale prend dès lors le nom de Saxe-Cobourg-Gotha. Et c’est en pleine première guerre mondiale, il y a 100 ans, en 1917, que ce nom trop clairement lié à l’ennemi allemand fut changé. Ainsi, cette dynastie toujours au pouvoir pris le nom d’un château, situé dans le Berkshire à l’ouest de Londres : le château de Windsor.

Ceci nous éloigne de Luther mais il fallait bien expliquer les conséquences de la décision de Henry VIII de créer l’église anglicane pour épouser Anne Boleyn et le lien avec le protestantisme issu de la Réforme luthérienne

Mais venons maintenant au cœur de la réforme luthérienne. Luther est allemand. Il est professeur à l’université de Wittemberg, en Thuringe. Le souverain de ce lieu, est en 1517, le Prince électeur de Saxe : Frédéric le Sage. Il est électeur de l’Empereur du Saint Empire Germanique. Car l’Allemagne a un semblant d’unité représentée par l’Empereur.(Le premier Reich, le deuxième sera celui créé par Bismarck pour Guillaume 1er, le troisième est tristement célèbre) .

En 1517, l’Empereur est Maximilien 1er de la maison des Habsbourg. Il va mourir en 1519 ouvrant une nouvelle période électorale incertaine dans laquelle vont s’affronter François 1er qui veut devenir empereur et le futur Charles Quint de la maison des Habsbourg. On sait que ce fut <Charles Quint> qui l’emporta mais la rivalité entre la France et la maison Habsbourg ne gagna qu’en intensité. Le début de la réforme après 1517 émergea dans un empire affaibli par un jeune empereur non encore aguerri, des Etats allemands souhaitant de plus en plus d’indépendance par rapport à l’Empereur et la Papauté et un roi de France qui trouva dans cette fracture en train de naître entre catholiques et protestants un germe fécond de division de nature à affaiblir son ennemi, voire le vaincre. Cette division allait cependant s’emparer quelques années après de la France s’abimant dans les guerres de religion.

Luther et la Réforme auraient été anéantis aussi sûrement que les tentatives précédentes de réformer l’Eglise et la papauté de <Jan Hus>ou de <John Wyclif> s’il n’avait pas pu bénéficier du soutien sans faille même s’il fut ambigüe de Frédéric le Sage et de cette rivalité fondamentale entre François 1er et Charles Quint.

Mais cette description du Monde de Luther et de la Réforme ne serait pas complète, si on ne rappelait pas 3 dates :

  • 1453 : L’empire Ottoman s’empare de Constantinople et met fin à l’Empire romain d’Orient. Luther naîtra 30 ans après.
  • 1492 : Luther a 9 ans et Christophe Collomb découvre l’Amérique. Les 95 thèses sont publiées le 31 octobre 1517, ce même mois d’Octobre 1517, à Séville, Fernand de Magellan commence les préparatifs du premier tour du monde. <Magellan>, (1480-1521) est un autre contemporain immédiat de Luther.
  • Et probablement la plus importante pour la réforme : 1451 : Le premier livre européen est imprimé par Gutenberg avec des caractères mobiles « la grammaire latine de Donatus ». Puis la première édition latine de la Bible est celle dite de la « Bible à quarante-deux lignes » en 1453 par Gutenberg. Des presses s’installent rapidement dans les grandes villes d’Europe : Cologne (1464), Bâle (1466), Rome (1467), Venise (1469), Paris (1470), Lyon (1473), Bruges (1474), Genève (1478), Londres (1480), Anvers (1481) et des centaines d’autres. En 1500, on comptait plus de 200 ateliers d’imprimerie dans la seule Allemagne. Sans l’invention de l’imprimerie, Luther et les Réformés n’auraient jamais pu diffuser leurs idées avec une telle puissance et vitesse.

Il faut bien arrêter cet exercice d’érudition présentant le monde où Luther a agi et proclamé ses thèses réformatrices. Mais je ferais une impasse trop importante si je ne citais un autre immense penseur de la culture européenne, contemporain de Luther, d’abord son allié puis son adversaire, l’humaniste hollandais <Erasme> (1467-1536)

Luther est le contraire d’un penseur isolé dans un coin obscur de Thuringe. Il nait et prêche dans un monde en plein mouvement, en plein dynamisme avec de grands artistes, de grands penseurs et de grands découvreurs. Un dernier : 10 ans avant la naissance de Luther, naissait Nicolas Copernic (1473 – 1543) qui défendra la théorie de l’héliocentrisme.

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Vendredi 13 octobre 2017

« Un anniversaire »
Retour annuel d’un jour marqué par un événement

Avant qu’homo sapiens puisse fêter un anniversaire, il a fallu qu’il invente plusieurs choses.

  • Il lui fallait d’abord la capacité de décrire le temps dans une période cyclique. Le cycle de l’année qui accompagne une rotation complète de la planète des homos sapiens autour de son étoile constitue la première pierre de cet édifice.
  • Il fallait ensuite être capable de décrire un cycle par petites périodes repérables et identifiées. Le jour, période pendant laquelle la terre tourne autour d’elle-même fut la seconde pierre.
  • Et la troisième pierre est constituée par la capacité à marquer un évènement dans le calendrier ainsi créé. Cette dernière faculté nécessitait la création de l’écriture.

L’étymologie illustre parfaitement le sens d’anniversaire. C’est encore un mot qui vient du latin anniversarius (« qui revient tous les ans »), formé de annus (« année »), et de versus participe passé du verbe vertere (« revenir »).

On fête l’anniversaire d’un évènement, cet évènement peut être une naissance.

Depuis quand fête t’on les anniversaires ?

On apprend sur cette page du CNRS que :

Plutarque raconte qu’après la bataille de Platée les guerriers morts ayant été enterrés sur le lieu du combat, les platéens s’étaient engagés à leur offrir chaque année le repas funèbre. En conséquence, au jour anniversaire, ils se rendaient en grande procession, conduits par leurs premiers magistrats, vers le tertre sous lequel reposaient les morts. (Fustel de Coulanges, La Cité antique,1864, p. 14.)

* Platée fut une bataille des guerres entre les grecs et les perses appelés guerres médiques et eut lieu en 479 avant JC.

Wikipedia fait référence à la bible pour montrer que dans ce livre des monothéismes, il est question d’anniversaire.

Ainsi dans l’Ancien Testament, un festin d’anniversaire est cité en Genèse 40, 20, dans l’histoire de Joseph :

« Et il arriva, le troisième jour, jour de la naissance du Pharaon, qu’il fit un festin à tous ses serviteurs ; et il éleva la tête du chef des échansons et la tête du chef des panetiers au milieu de ses serviteurs : il le rétablit dans son office d’échanson(…). Mais le chef des panetiers, il le pendit. »

Dans le Nouveau Testament, un festin d’anniversaire est cité en Marc 6, 21 quand la fille d’Hérodiade obtient la tête de Jean le Baptiste :

« Or vint un jour propice, quand Hérode, à l’anniversaire de sa naissance, fit un banquet pour les grands de sa cour, les officiers et les principaux personnages de la Galilée : – la fille d’Hérodiade entra et dansa, et plut tant à Hérode qu’il promit avec serment de lui donner ce qu’elle demanderait. Et elle de dire, endoctrinée par sa mère: ‘Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean le Baptiste.’ (…) il envoya décapiter Jean dans la prison. »

C’est l’histoire dont Oscar Wilde fit la pièce de théâtre « Salomé » et Richard Strauss un opéra. Mais, en France c’est à partir de la révolution et de l’institution du registre d’état civil que l’on a vraiment commencé pour le commun des mortels de connaître avec précision la date de naissance et qu’on a pu fêter l’anniversaire de chacun. Certains, diront mais avant le registre d’état civil, il y avait les registres des églises. Mais le registre des églises enregistrait le baptême, non la naissance. D’ailleurs, avant le registre d’état civil, le commun des mortels fêtait plutôt le jour du Saint dont il portait le prénom et qu’on appelle encore aujourd’hui «la fête». Le 13 octobre correspond à la Saint Édouard, c’est donc la fête de tous les Édouard.

2017, est une année particulièrement féconde en anniversaires d’évènements de dizaines, voire de centaines d’années :

  • Il y a quelques jours, on commémorait l’anniversaire des 50 ans de l’exécution du Che le 9 octobre 1967 à la Higuera, Bolivie
  • Et puis il y a la date anniversaire des 100 ans de la révolution bolchevique, la révolution d’octobre qui a eu lieu selon notre calendrier le 7 novembre 1917
  • Le 7 janvier 1957 a eu lieu le début de la bataille d’Alger.
  • Et puis nous fêterons aussi les 500 ans de la Réforme sur laquelle je reviendrai bientôt plus longuement.

J’ai trouvé taquin d’écrire ce mot sur « un anniversaire » le 13 octobre puisque c’est le jour où je suis né, en 1958.

Je partage cette caractéristique avec Margaret Thatcher (1925), mais aussi Yves Montand (1921) et Raymond Kopa (1931).

J’ai aussi eu la joie, lorsque j’étais à Bercy de travailler avec la pétillante et sympathique Chantal qui est née le même jour que moi, un peu plus tard et qui parfois lit ce mot.

Je souhaite donc un bon anniversaire à Chantal.

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