Lundi 3 décembre 2018

« Grigory Sokolov »
Un pianiste exceptionnel

Annie et moi sommes allés, comme chaque année, au concert que donne annuellement Grigory Sokolov à Lyon.

Cette année c’était le 8 novembre et je n’en ai pas fait un mot du jour le lendemain, parce que le 9 novembre je commençais mon itinérance intellectuelle et historique sur la guerre 14-18, sa fin et ses conséquences.

Cette itinérance étant terminé, je peux revenir à cet artiste.

Souvent on lit « le meilleur » pour parler d’un sportif ou d’un artiste, dans un domaine. Quand j’étais plus jeune, il m’arrivait aussi de tomber dans cette faiblesse de la compétition à tous les niveaux.

Aujourd’hui, il me semble que notamment dans le monde de l’art, il n’y a pas à faire de classement mais simplement à ressentir ou à comprendre ce qu’un artiste peut apporter.

Un artiste peut apporter le divertissement et ce n’est pas rien de divertir.

Dans d’autres domaines et dans la musique particulièrement et sur un piano singulièrement, l’artiste peut rechercher la performance.

<Par exemple vous pouvez voir Yuja Wang jouer la célèbre marche turque de Mozart arrangée d’une manière époustouflante.>

C’est une incontestable performance qui d’ailleurs ravit le public et le divertit aussi un peu.

Grigory Sokolov ne fait ni l’un, ni l’autre.

Dans le monde des pianistes il existe une autre typologie :

  • Les cogneurs ;
  • Et les autres ceux qui ont un toucher aérien, souple, magique, je ne sais comment les définir. Mais ce ne sont pas cogneurs.

Dans ce domaine, les cogneurs ne sont pas forcément des hommes, il existe des cogneuses.

Je peux vous donner l’exemple d’une pianiste très célèbre, je vous avoue que je ne comprends pas pourquoi, qui « cogne » un prélude de Rachmaninov : <Valentina Lisitsa – Prélude opus 23 N° 5 de Rachmaninov>.

Grigory Sokolov appartient au second type, ceux qui ne cognent pas. Cette même œuvre de Rachmaninov jouée par lui <donne cela>. Ce n’est pas une vidéo, il existe <une vidéo> dans laquelle on le voit « toucher » le piano, mais le son est assez mauvais.

Cette œuvre de Rachmaninov est surtout une œuvre très technique et brillante, il ne faut pas en attendre trop d’émotions, mais il y a quand même un monde entre l’exécution de Valentina Lisitsa et l’interprétation de Sokolov, un éléphant et un oiseau.

Lorsqu’il y a quelques années, après avoir lu certains articles sur lui, nous sommes allés la première fois l’écouter à l’Auditorium, la salle était à moitié pleine. Mais chaque année, probablement par le bouche à oreille, la salle se remplit davantage, cette année elle était pleine.

Grigory Sokolov est probablement un peu timide, peut-être même un peu autiste. Il rentre sur scène discrètement et rapidement. Il exige un éclairage minimum. Il passe toujours derrière le piano, pour que l’instrument le protège du public, il salue une fois, se met au piano et joue tout de suite. Et c’est le miracle. Cet homme fait parler son piano, la musique vous touche alors au plus profond de votre humanité, de votre âme si on se laisse aller au lyrisme.

Et même quand il joue un bis, une œuvre technique et brillante comme ce morceau de Couperin, il y met une légèreté et un sens de l’ineffable qui n’appartient qu’à lui : <Grigory Sokolov – Couperin – Le tic-toc-choc ou Les maillotins>

Je ne suis pas seul à penser et éprouver cela, le critique <Christian Merlin> écrit :

« Il y a un mystère Sokolov. On ne vous parle pas seulement de l’homme, de son côté autiste, qui apprend par coeur les horaires de train et les codes-barres, et ritualise son entrée en scène comme ses saluts. On vous parle bel et bien du pianiste. Une fois de plus, le récital que Grigory Sokolov a donné au Théâtre des Champs-Élysées[…] fut un moment hors de l’espace et du temps. Un moment passé à se demander: «Comment fait-il?»

Question que les pianistes présents dans la salle se posaient constamment, tentant par exemple de comprendre son jeu de pédale: sans avoir l’air d’y toucher, Sokolov alterne résonance et son étouffé sur une même note, comme s’il tirait les registres d’un orgue. Et tout cela avec des marteaux sur des cordes! Il y a sa souplesse de poignet aussi, cet art du trille où l’on a l’impression que même le nombre de battements est calculé. Cette façon de murmurer tout en jouant au fond du clavier, ou de tonner sans être brutal. En un mot, la maîtrise absolue, surhumaine, de quelqu’un qui travaillait encore sur scène une demi-heure avant le début du concert, empêchant le public arrivé en avance d’entrer, et serait capable de démonter et de remonter le piano pièce par pièce.

[…] il nous a tout simplement hypnotisé, nous faisant perdre le sens de l’orientation dans le temps, comme une image de l’éternité. Six bis, dont deux miraculeux intermezzi de Brahms, nous ont laissé écrasés par cette recherche d’absolu. »

Comme l’écrit Christian Merlin, à la fin de son concert, il joue de nombreux bis souvent plus de 5 et des bis qui sont souvent une œuvre à part entière. Ainsi à Lyon après avoir interprété les 4 impromptus opus 142 de Schubert, son premier bis fut un autre impromptu de l’autre série celle opus 90.

Et quand Sokolov joue Schubert cela donne un moment d’extase : <Grigory Sokolov – Schubert Impromptu Nr. 2 Es-Dur>

Un critique suisse parle du : « Triomphe du dépouillement pour un pianiste qui vit dans son monde, comme hanté par une mission hors normes. »

Grigory Sokolov, décide d’un programme unique pour une année, programme qu’il approfondit sans cesse et avec lequel il va faire tous ces concerts agrémentés de nombreux bis qui eux seront différents.

Ainsi le programme joué à Lyon le 8 novembre sera aussi joué entre autre

  • Le 5 Décembre 2018 à la Philharmonie du Luxembourg
  • Le 8 Décembre 2018 au Théâtre des Champs-Elysées à Paris
  • Le 6 mars 2019 au Palau de la Música Catalana à Barcelone
  • Le 10 mars 2019 à l’Auditorium Rainier III à Monte Carlo

Il finira le 29 mai 2019 à Milan

Pour les toulousains, c’est trop tard car c’était le lundi 4 juin 2018

Et pour une dernière pièce la <Gigue de la 1ère Partita de Bach>

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Vendredi 7 septembre 2018

« Meine Zeit wird kommen » (Mon temps viendra) »
Gustav Mahler

Bernstein fut un formidable interprète de Mahler. Mais sa relation avec Mahler fut bien plus profonde. Et il me paraît naturel de finir cette série sur Léonard Bernstein en associant ces deux noms : «Gustav Mahler» et «Léonard Bernstein».

Ils ont tellement de points communs…

Et le premier étant évidemment qu’ils étaient tous deux d’exceptionnels chefs d’orchestre reconnus parmi les plus grands par tous les critiques et musiciens et qu’en parallèle ils étaient compositeurs et voulaient avant tout s’imposer comme tel, et que dans ce domaine les critiques étaient beaucoup moins favorables.

Mahler, comme musicien juif fut banni totalement des concerts dans le monde nazi donc à Berlin et à Vienne, et cet ostracisme continua bien au-delà de la fin officielle du nazisme.

Dans le reste du monde, entre sa mort en 1911 et les années 1960, il n’était pratiquement pas joué. Seul son disciple Bruno Walter, et quelques grands chefs comme Otto Klemperer ou Jasha Horenstein parvinrent parfois à imposer aux responsables des salles de concert une de ses symphonies. Il y avait une exception aux Pays-Bas avec l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam et Willem Mengelberg.

Peu avant de mourir, Gustav Mahler avait eu cette phrase en parlant de son œuvre de compositeur : « Mon temps viendra ! »

Une statistique récente a montré que le compositeur le plus souvent joué de nos jours, par les plus grands orchestres symphoniques, est Gustav Mahler.

Gustav Mahler avait donc raison, son temps allait venir et il est venu.

Et je fais le pari que le compositeur Bernstein poursuivra une trajectoire parallèle et que son temps viendra aussi et qu’il est déjà en train de venir comme le prouve le succès de son œuvre « Mass » qui n’avait plus été joué pendant de nombreuses années et dont on redécouvre aujourd’hui l’incroyable richesse et beauté.

Bernstein ne fut pas le seul à défendre l’œuvre de Mahler dans les années 1960, mais il fut le premier qui enregistra toutes les symphonies de Mahler avec son Orchestre Philharmonique de New York de 1960 à 1967 pour CBS.

Un autre évènement donna une grande notoriété à Mahler ce fut « Mort à Venise » de Lucchino Visconti qui débute avec l’adagietto de la 5ème symphonie de Mahler.

Vous trouverez derrière <Ce lien> ce morceau interprété par Bernstein avec l’Orchestre Philharmonique de Vienne.

Mais si on creuse un peu on peut déceler bien d’autres points communs entre Bernstein et Mahler.

Tous les deux étaient juifs.

Les parents de Léonard Bernstein, des juifs ukrainiens débarquent à Ellis Island au même moment que Gustav Mahler, un peu avant 1910.

Car Gustav Mahler après avoir révolutionné la musique à Vienne et s’être fait quelques ennemis est venu à New York diriger au Metropolitan Opéra un peu avant de mourir. Bernstein a fait le chemin inverse révolutionnant d’abord la musique à New York avec le philharmonique de New York avant de venir briller à Vienne avec l’Orchestre Philharmonique de Vienne, l’orchestre que Mahler avait amené vers des sommets de qualité inconnus, au début du XXème siècle.

Quand Bernstein débarque en 1966 à Vienne, le Philharmonique n’avait plus joué Mahler depuis l’Anschluss en 1938. Les archives de l’Orchestre Philharmonique de Vienne sont désormais ouvertes, on sait qu’avant l’anschluss une proportion importante de musiciens de l’orchestre avaient adhéré au Parti Nazi autrichien, alors qu’il était officiellement interdit à ce moment. Une fois les nazis au pouvoir, les juifs sont chassés de l’orchestre et les nazis deviennent largement majoritaires. Après la guerre, il n’y eut quasi aucune épuration en Autriche ni à l’Orchestre. Dans ce dernier cas c’était pour préserver la fameuse tradition viennoise ce qui a eu pour conséquence aussi de préserver « la tradition antisémite ».

C’est dans cette atmosphère hostile que Bernstein est venu à Vienne surmonter les réticences et même les haines pour refaire de l’Orchestre Philharmonique de Vienne un orchestre mahlérien. Il a entendu, lors des premières répétitions des musiciens dirent à voix basse « musique de merde ».

Il va affronter les démons, les vrais, les nazis cachés dans les replis de l’histoire. Il va les débusquer avec son sourire, son énergie et sa formidable intelligence de l’autre, et il va les faire plier par amour de la musique.

Il va les convaincre que Mahler fait partie de leur tradition et que c’est une trahison de ne plus le jouer.

Il va en résulter des concerts, des disques, des vidéos qui sont autant de réussites et de diamants éternels.

Et Bernstein au bout de son combat victorieux a pu déclarer :

«  La ville est si belle et si pleine de traditions. Tout le monde ici vit pour la musique, en particulier l’opéra, et je semble être le nouveau héros. Ce qu’ils appellent « la vague de Bernstein » qui a submergé Vienne et produit un étrange résultat ; tout à coup, il est à la mode d’être juif.. »

Tout ceci est développé dans cette remarquable émission de France Musique : <Léonard Bernstein : A nous deux Vienne !>

Mahler et Bernstein avait aussi en commun un goût pour l’humour noir, le théâtre, le folklore…

Dans l’œuvre des deux compositeurs on retrouve la même fascination pour l’innocence de l’enfance la même obsession du paradis qu’il soit terrestre ou céleste. Léonard Bernstein dans une des émissions consacrées à Mahler a dit :

«  Quand Mahler est triste, il est dans une détresse totale, rien ne peut le réconforter, c’est comme un enfant qui pleure. Et quand il est heureux il est heureux comme un enfant sans retenue. C’est là une des clefs de l’énigme Mahler, il est comme un enfant ! »

Et il signifie ainsi que lui était probablement aussi comme cela.

Renaud Machart a écrit dans sa biographie de Bernstein :

« Bernstein s’est identifié de manière quasi obsessionnelle à Gustav Mahler. Les raisons de cette identification sont multiples […]
L’identification quasi gémellaire que Bernstein ressentait quand il dirigeait la musique de Mahler est frappante dans la plupart de ses déclarations orales ou écrites. Au risque de faire sourire certains, il n’hésitait pas à dire, en ces moments d’exaltation dont il était coutumier, qu’il se sentait comme la réincarnation du Viennois »
Page 106-107

En plus d’être un formidable interprète de Mahler, il revenait à ses talents de pédagogue pour parler de Mahler et le défendre avec des mots.

Dans son émission « Young People’s Concerts » l’une d’entre elle a pour titre : «  Qui était Gustav Mahler ? » et vous pouvez la voir sur le site d’ARTE jusqu’au 25 novembre 2018.

Il a enregistré d’autres vidéos où il fait partager sa passion pour Gustav Mahler comme ce dvd : «  the Little Drummer Boy: An Essay on Gustav Mahler by and With Leonard Bernstein »

Lui qui disait : « On ne vend pas la musique, on la partage »

France Musique a également consacré une émission passionnante sur cette relation entre un génie mort en 1911 et un autre né en 1918 : <Léonard Bernstein : Une vie avec Mahler>

Je ne résiste pas à vous donner aussi ce lien vers le final de la 2ème symphonie « Résurrection » qu’il dirige à Londres dans un moment d’extase.

Bernstein s’est fait inhumer avec une copie de poche de la partition de la 5e symphonie de Mahler et aussi un exemplaire du conte Alice au pays des merveilles !


<Goodbye Lenny !>

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Jeudi 6 septembre 2018

« Un petit démon »
Léonard Bernstein parlant de sa sexualité

C’est dans le documentaire diffusé par ARTE et que j’ai évoqué lundi, que j’ai appris que Bernstein avait eu cette expression en parlant de lui.

Dans le documentaire, ce propos est d’ailleurs ambigüe car un auditeur non averti pourrait penser qu’il parle de son homosexualité, voire de sa bisexualité parce qu’il était question de cela au moment où cette phrase a été rapportée.

Il n’en n’est rien, Bernstein assumait son homosexualité.

Je n’ai lu qu’une fois explicitement, dans un article français, la réalité qui se cachait derrière cette expression « un petit démon ». Peut-être que la biographie anglaise, non traduite en français, de Meryle Secrest : « Leonard Bernstein, a life » est plus explicite, mais dans la biographie française qui fait autorité, celle de Renaud Machart chez « Actes Sud » le sujet est abordé de manière très elliptique dans un petit paragraphe à la page 17 d’un ouvrage qui en comporte plus de 200 :

« Il y eut, toujours, le goût des hommes, qu’il n’a jamais caché alentour et à sa femme Felicia, d’une grande beauté et d’une fine élégance, avec laquelle il allait former en 1951, l’un des couples les plus sémillants d’Amérique. Le musicien était véritablement attaché à sa famille et à ses trois enfants, Jamie, Alexander et Nina. Il lui fallait sûrement, pour accepter vraiment cette manière de mise sous surveillance de sa propre liberté, des échappées vers l’autre part de lui-même. Décrit par beaucoup comme un prédateur sexuel, celui qui n’hésitait pas à parler aux musiciens de « battement pelvien », voulait aussi être père poule […]

Tous ceux qui l’ont connu parlent de l’énergie incroyable de l’homme, de sa présence physique. Bernstein donnait l’accolade mais plus souvent embrassait volontiers sur la bouche, femmes comme hommes. Sa réaction au moindre soupçon de résistance était d’embrasser encore plus fort, écrit le critique John Rockwell. »

Il faut être attentif, au détour d’une phrase il est possible de comprendre. Dans le mot du jour de lundi, je citais un journaliste dans le magazine Diapason de juillet/août 2018, qui parle de sa culpabilité après la mort de son épouse et ajoute :

« Rien ne l’apaise. Le monde est plein de jolis garçons qu’il consomme sans respirer… ».

Alors tout cela est noyé dans un discours exalté et enthousiaste :

« Diriger c’est comme faire l’amour : nous tous, moi au pupitre, les musiciens et les chanteurs à leur place, nous faisons l’amour chaque fois que nous jouons. Mes musiciens sont mes amants. J’en ai beaucoup c’est vrai… Mille amants en même temps ! »

Magazine Répertoire de septembre 1998, page 13

Evidemment que ce discours représente une réalité virtuelle, un monde de rêves et d’images.

Le problème est que dans ce domaine, Leonard Bernstein ne savait pas faire la part du virtuel et de la réalité. Il était donc un consommateur compulsif de jeunes et beaux hommes rencontrés dans les orchestres, sur les scènes de spectacle. Bien sûr il était si charismatique, si beau, si séducteur, si convaincant que personne ne lui résistait. Pouvons-nous en être si sûrs, qu’ils étaient tous consentants ?

La raison et l’expérience doivent nous contraindre à répondre non. Mais personne ne résistait à Leonard Bernstein.

Aujourd’hui, il est probable qu’un tel comportement ne serait plus possible et il aurait de gros ennuis.

Après l’affaire Weinstein, le monde de la musique classique a été éclaboussé, des chefs d’orchestre très connus ont été mis en cause.

L’opéra de New York, le Metropolitan Opera, a suspendu son chef d’orchestre historique, James Levine, car plusieurs hommes, dont certains étaient mineurs au moment des faits, l’ont accusé de harcèlement et de viol.

Norman Lebrecht est un écrivain, et critique d’art, il a écrit un article : < Did Leonard Bernstein have a James Levine problem ?>, « Leonard Bernstein avait-il un problème du même type que James Levine ? »

Après avoir accepté d’écrire que Bernstein a certainement poursuivi des jeunes hommes toute sa vie d’adulte, il arrive à la conclusion que toute ressemblance entre Levine et Bernstein est purement superficielle et la raison qu’il donne est que la différence entre Bernstein et Levine est que Bernstein était, pour la plus grande partie de sa vie, physiquement attrayant et intellectuellement convaincant.

Certes Leonard Bernstein était nettement plus séduisant et beau que James Levine. Mais on peut ne pas vouloir accepter les avances sexuelles même de quelqu’un de beau et on peut même ne pas désirer avoir des relations homosexuelles quand on est hétéro sexuel et je m’empresse d’écrire que le contraire est tout aussi vrai.

Le site de France Musique est revenu sur l’affaire Levine et a aussi évoqué des sujets de harcèlement dans le monde musique suédois et plutôt que de suivre les arguments de Norman Lebrecht je préfère le constat de Sofi Jeannin qui avance le problème du « culte du génie » pour lequel « on excuse encore des comportements et des excès »

Tout ceci n’enlève pas le talent, la magie de ses interprétations et le génie d’une grande part de ses œuvres, ainsi que la part d’humanisme qu’il portait et défendait.

Cela conduit à constater la complexité du personnage et ne pas occulter sa part d’ombre.

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Mercredi 5 septembre 2018

« Grâce à [la musique], nous pouvons encore nous sentir unis et, j’en suis sûr, si nous voulons vraiment être des hommes, il est indispensable que nous soyons unis »
Léonard Bernstein.

Léonard Bernstein était un humaniste, un progressiste, un homme de paix.

Dans le magazine « Répertoire des disques compacts » de septembre 1998 on lit ces propos de Lenny :

« La musique, l’art en général, est le seul langage humain qui permette à l’homme de se retrouver non seulement comme individu, mais aussi et surtout comme un être humain qui vit et qui doit vivre dans la fraternité de ses semblables. La musique est le langage le plus profond de l’homme. Grâce à elle, nous pouvons encore nous sentir unis et, j’en suis sûr, si nous voulons vraiment être des hommes, il est indispensable que nous soyons unis ».

Dans ce même journal on apprend que Léonard Bernstein songeait à écrire un grand opéra dramatique sur la shoah qui devait représenter l’histoire des cinquante dernières années, à partir de la deuxième Guerre Mondiale, et mettre en scène en plusieurs langues , divers lieux et villes désolés par la barbarie nazie, mais aussi insuffler l’espérance d’un monde meilleur :

« Nous devons édifier un monde nouveau et il ne suffit pas pour cela de détruire l’ancien : il faut réussir à améliorer ce monde ci et nous devons tous contribuer à cet effort. […] J’éprouve un grand soulagement quand je vois s’effondrer un régime totalitaire et le pouvoir de ces dictateurs qui privent un peuple de sa liberté en se camouflant derrière de nobles idéaux et de bonnes intentions.»

Il dénonce le maccarthysme, cette chasse à l’homme menée par les autorités américaines dans les années 1950 contre tous ceux qu’elles soupçonnaient d’être communistes, dans son opérette « Candide » selon le texte de Voltaire.

Bernstein désapprouve ouvertement la guerre engagée par les États-Unis au Vietnam, soutient l’intégration des minorités ainsi que le mouvement des droits civiques.

L’humanisme et l’engagement de Bernstein inquiètent les services de renseignement intérieur. Aujourd’hui, on sait que le dossier que le FBI possédait contre lui comptait plus de 650 pages.

Vous pouvez écouter la journaliste Nathalie Moller raconter cette histoire en 5 minutes.

Ou encore lire cette page sur le site de France Musique <Pourquoi Leonard Bernstein était-il surveillé par le FBI ?>

J’en tire les extraits suivants :

« En 1951, le nom de Bernstein apparaît pour la première fois dans le Security Index, la fameuse liste des personnes jugées dangereuses par les services de renseignement américains. Deux ans plus tard, le compositeur se voit refuser le renouvellement de son passeport et frôle même la détention…

Pour récupérer son passeport, Bernstein doit jurer sur l’honneur qu’il ne fait pas et n’a jamais fait partie d’une quelconque organisation communiste. Voilà notre compositeur pris au piège de la folie maccarthyste et victime de la ‘chasse aux sorcières’.

Autre engagement, autre fait qui dérange. Le 14 janvier 1970, Bernstein et sa femme Félicia organisent une soirée de soutien aux Black Panthers, un mouvement afro-américain qui, du fait de son caractère révolutionnaire, a été désigné comme principale menace pour la sécurité intérieure par John Edgar Hoover, le directeur du FBI. A ses yeux, Bernstein cumule les provocations… »

Et puis il y a l’épisode de « Mass » dont nous avons déjà parlé. Nous savons donc que Jacqueline Kennedy avait commandé à son ami ‘Lenny’ une œuvre pour l’inauguration du Kennedy Center of Performing Arts, un lieu de culture ainsi nommé en hommage à son défunt mari, le président John F. Kennedy.

Pour écrire cette œuvre, Bernstein demande l’aide d’un prêtre catholique, Philip Berrigan. Un choix qui lui coûtera bien cher… Car Philip Berrigan est un militant pacifiste particulièrement actif, farouchement opposé à la guerre du Viet Nam et qui, entre deux allers-retours en prison, subit lui aussi la surveillance accrue du FBI. Berrigan et Bernstein réunis ? Il n’en faut pas plus pour rendre le FBI parano.

Et si Bernstein avait glissé des messages anti-gouvernementaux dans son texte latin ? Et s’il avait demandé à ses interprètes d’injurier le président Nixon en plein spectacle ? Réunion de crise à la Maison Blanche : Richard Nixon ne doit pas assister au concert, et il serait bien qu’une critique négative de l’œuvre soit publiée dès le lendemain, dans le New York Times.

La mauvaise critique sera publiée, le président Nixon ne viendra pas à la cérémonie.

Dans l’émission de France Musique : <Léonard Bernstein, radical chic. Vraiment ?> Vous entendrez un enregistrement de Nixon et de ses conseillers qui discutent de cet évènement avant qu’il n’ait lieu. Vous remarquerez la vulgarité de Nixon qui n’a rien à envier à celle de Donald Trump.

Radical chic renvoie vers un évènement et un article de journal qui affecteront beaucoup Bernstein et son épouse.

Nous avons évoqué la soirée de soutien aux Black Panthers organisé par les Bernstein dans leur appartement de New York

« Radical chic », par ces mots le journaliste Tom Wolfe qualifiait Bernstein dans un article publié dans les colonnes du New York Magazine en juin 1970. Article venimeux et accusateur qui allait faire beaucoup de mal à Lenny et à son entourage…

Juin 1970, en pleine révolution des Black Panthers, guerre du Vietnam et assassinats des Kennedy et Martin Luther King, le journaliste et écrivain Tom Wolfe publie un article sur Bernstein intitulé Radical Chic : That Party at Lenny ‘s. Le jeune journaliste se paye, le grand chef international, le compositeur national et le grand bourgeois parvenu  qui se revendique homme de gauche  Leonard Bernstein. Un texte archi brillant mais venimeux dont l’impact a été dramatique.

Lenny  dupe de ses bons sentiments affirme Wolfe. Rappelons que Tom Wolfe, mort en 2018 n’est pas que célèbre en raison de cet article, mais aussi parce qu’il est l’auteur du «bûcher des vanités.».

La fille de Bernstein, Jamie, révèle :

« C’est un texte très bien écrit, c’est très malin, très ironique, c’est un très bon écrivain, mais il causé des dommages incalculables à ma famille. Il ne s’est pas rendu compte à quel point il avait pu faire du mal. »

Et je finirai ce mot consacré à l’humanisme et aux combats politiques de Bernstein par son hymne à la liberté qu’il imposa en changeant, dans l’ode à la joie de Schiller qui finit la neuvième symphonie de Beethoven, le mot « Freude » c’est-à-dire « joie » par le mot « Freiheit » qui signifie en allemand « Liberté ».

La chute du mur de Berlin le 9 Novembre 1989 moins d’un an avant sa mort lui donna beaucoup de joie et un immense espoir. :

« Je vis un moment historique, incomparable avec tous les autres de ma longue, longue existence »

Bernstein accepta spontanément l’invitation à diriger deux représentations de la 9e symphonie de Beethoven, pour célébrer la liberté. Deux concerts, chacun ayant lieu dans une partie de la ville divisée pendant 28 années : à la Philharmonie de Berlin Ouest le 23 Décembre, et Berlin Est le 25 Décembre 1989. Il apparût naturel que la liberté nouvelle de l’Allemagne de l’Est soit célébrée par cette symphonie.

« Je suis sûr que Beethoven nous aurait donné sa bénédiction. »

Ajouta-t-il.

A cette occasion, Léonard Bernstein, conduisit un orchestre et chœur composés de musiciens venant des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, de France, et de l’Union soviétique.

L’orchestre de la radio bavaroise et son chœur fut ainsi rejoint par le London Symphony, le New York Philharmonic, l’Orchestre de Paris, le Staatskapelle Dresden, l’Orchestre du Théâtre Kirov à Stalingrad …

<Vous trouverez la vidéo d’un de ces concerts derrière ce lien>

Un disque existe aussi


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Mardi 4 septembre 2018

«En apprenant aux autres, j’apprends d’eux»
Leonard Bernstein

Bernstein était interprète et compositeur, mais c’était surtout un exceptionnel pédagogue.

ARTE a diffusé plusieurs épisodes tirés de l’émission emblématique  : « Young People Concerts » :

Deux semaines après sa nomination en tant que directeur musical de la Philharmonie de New-York, Bernstein enregistre son premier concert des Jeunes le 18 Janvier 1958.Cette tradition existait avant sa venue, mais c’est grâce à son talent que cette émission va connaître un immense succès et qu’aujourd’hui encore on les rediffuse pour en montrer la qualité et la richesse de l’enseignement produit.

Entre la première émission qui eut lieu au Carnegie Hall de New York, jusque la dernière le 26 mars 1972 au Lincoln Center de New York 14 ans et 53 émissions ont passées.

Il s’agissait d’abord d’une leçon de musique réalisée dans une immense salle de concert remplie entièrement de jeunes et de leurs parents, avec l’Orchestre Philharmonique de New York. Séance diffusée en prime time sur une chaîne de grande écoute la CBS

Une de ces émissions que je vous recommande est consacrée au sujet suivant : <Les modes>

Il commence par expliquer ce qu’est le mode majeur et mineur puis il décline d’autres modes plus anciens :

  • Le mode Dorien
  • Le mode Phrygien
  • Le mode Lydien
  • Le mode Mixolydien
  • Etc.

Et en illustrant ces différentes tonalités musicales par des morceaux classiques mais aussi des œuvres pop ou rock comme les Beatles ou Tandyn Almer, il rend ces théories compliquées très simples. Pour ce faire, il utilise termes simples, ludiques et accessibles à des publics profanes. Car Bernstein s’intéresse à tout : opéra, jazz, rock’n roll ou encore musiques latines. Il ne crée aucune hiérarchie entre les genres musicaux.

Essayez, vous verrez qu’on apprend énormément à l’écouter, c’est un véritable voyage dans l’histoire de la musique.

Cette série de « leçons » a abordé des sujets comme qu’est-ce qu’une mélodie ? Que signifie la musique? Qu’est-ce que l’orchestration ?

Avant cette série d’émissions, il participa déjà en 1954 à une autre émission pédagogique appelée Omnibus. Jusqu’en 1961, Bernstein participa une dizaine de fois à Omnibus avec des sujets comme «Pourquoi un orchestre a besoin d’un chef?» ou «Pourquoi la musique moderne est-elle aussi étrange?». Libération avait en 1995 publié un article plein d’éloges sur ces émissions.

Arte a diffusé deux autres émissions des « Young People Concerts <Qui était Gustav Mahler ?> et <Un quiz musical>. Toutes ces émissions sont disponible jusque fin novembre 2018.

C’est dans le magazine « Classica » de novembre 2012 que j’ai trouvé l’exergue de ce mot du jour.

« Enseigner, c’est surtout avoir le don des mots pour le dire, le don de susciter le silence et l’empathie, donner envie d’en savoir plus. Ces qualités, que Bernstein possédait comme peu, seront immédiatement profitables à son métier de chef d’orchestre. D’ailleurs Bernstein considérait que diriger était une manière d’enseigner : « En apprenant aux autres, j’apprends d’eux », aimait-il à répéter. »

Léonard Bernstein prétendait que ses talents de pédagogue étaient un héritage de son père :

« J’ai soudain compris que mon instinct de pédagogue, j’en avais hérité de mon père et de tous mes professeurs qui m’ont appris comment on enseigne. Cet instinct presque rabbinique pour instruire, expliquer, formuler, trouvait un véritable paradis dans le monde électronique de la télévision. »

Dans l’entretien qu’il avait accordé à Judith Karp dans le magazine «Musiques» de septembre 1979, il était encore plus explicite :

«Je suis un enseignant. Un rabbin caché. Voilà pourquoi peut être je fais autant de gestes au pupitre. Je cherche désespérément à communiquer.»

France musique a consacré une émission à ce talent unique : <Leonard Bernstein et l’enseignement : l’histoire d’une vie>

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Lundi 3 septembre 2018

« Le déchirement d’un génie : Leonard Bernstein »
Documentaire réalisé par Thomas von Steinaecker et présenté par Arte

J’ai écrit une introduction avant le sujet de ce mot du jour. Mais pour ne pas alourdir excessivement cet article, je l’ai finalement retirée et mise en commentaire.

Le 25 août 1918, naissait à Lawrence, dans le Massachusetts (Etats-Unis), Léonard Bernstein dont on fête les 100 ans de la naissance. Or Léonard Bernstein est un personnage considérable du monde des arts et de la musique en particulier.

J’avais déjà consacré, un premier mot le 7 mai 2018 à Bernstein et à son œuvre éclectique, visionnaire et géniale : « Mass »(1)

Lors de ce mot du jour, j’annonçais :

« C’était un homme charismatique, plein de fougue et d’excès, j’y reviendrai dans un mot du jour ultérieur, plus proche de sa date anniversaire. »

Je vais donc respecter cette promesse et évoquer cet homme talentueux, séducteur, pédagogue, humaniste et possédant aussi sa part d’ombre. Cela m’occupera toute cette semaine.

La grande cantatrice allemande Christa Ludwig qui a beaucoup travaillé avec le musicien, comme avec Herbert von Karajan a dit en toute simplicité :

«Léonard Bernstein ne faisait pas de la musique, il était la musique!»

(Propos rapportés par le Figaro du 18 mars 2018)

Et elle ajoutait :

« On estimait Karajan, on aimait Bernstein »

Car en effet si Karajan et Bernstein ont souvent été comparés, seul Bernstein avait cette dimension que Karajan ne possédait pas : il était compositeur.

Et Bernstein a aussi tenté et souvent réalisé d’aimer toutes les musiques. Finalement la seule musique qu’il a vraiment rejetée fut la « musique classique contemporaine atonale », c’est-à-dire celle dont Pierre Boulez était le chantre comme Karl Heinz Stockhausen.

Celles et ceux que je connais et qui lisent ce blog me semblent en phase avec cette vision de Bernstein de préférer les Beatles, les Pink Floyd à Stockhausen, Nono et consorts.

Il disait lui-même :

« J’éprouve beaucoup plus de plaisir à suivre les aventures musicales de Simon et Garfunkel ou du groupe qui chante « Along Comes Mary » qu’à écouter la majorité des œuvres de la communauté des compositeurs d’avant-garde »

Beaucoup d’articles et d’émissions de télévision ont été consacrés à Léonard Bernstein ces dernières semaines.

France musique lui a consacré de nombreuses émissions et notamment une série <Un été avec Bernstein> réalisée par Emmanuelle Franc que j’ai écouté intégralement.

Cependant, pour ce premier article, je vais surtout faire référence à un documentaire diffusé par Arte et que vous pourrez visualiser jusqu’au 16/11/2018 derrière ce lien <Le déchirement d’un génie>.

C’est d’ailleurs le titre de ce documentaire que j’ai choisi comme exergue de ce premier article. Ce documentaire fait notamment intervenir les 3 enfants de Léonard Bernstein.

Avant d’en venir à l’explication de ce déchirement qui se situe selon moi à deux niveaux, quelques mots sur le début de la carrière du musicien.

Il n’est pas né dans une famille de musicien. Et Sam Bernstein, son père a même voulu empêcher son fils de devenir musicien, il souhaitait qu’il devienne rabbin. Léonard négocie : il pourrait devenir professeur de musique et entrer à Harvard. C’est d’ailleurs là qu’il fait ses premières grandes rencontres, avec Aaron Copland et Dimitri Mitropoulos. Le jeune homme fait ses humanités et passe ses nuits à animer les fêtes en jouant du boogie woogie !

Vous trouverez plus de précisions dans cette émission de France Musique : <Les débuts de Léonard Bernstein : Un étudiant brillant, forcément brillant !>.

L’Histoire raconte que tout commença à l’âge de 10 ans avec le piano de la tante Clara  :

« Et puis un beau jour, l’année de mes 10 ans, ma tante Clara a dû quitter Boston où nous habitions. Elle ne savait pas quoi faire de quelques meubles encombrants parmi lesquels un énorme piano droit sculpté. On l’a donc entreposé chez nous avec des chaises rembourrées. Je l’ai vu, j’en suis tombé éperdument amoureux et je le suis toujours. »

10 ans c’est tard pour devenir un virtuose mais Léonard ou Lenny, comme tout le monde l’appelle, mis les bouchées doubles : il était talentueux et il travailla beaucoup et devint rapidement un incroyable musicien remarqué par des grands chefs d’orchestre installés aux Etats-Unis, tous d’origine européenne. Car ceci a une grande importance, Léonard Bernstein devint le premier grand chef d’orchestre né américain.

Il travailla beaucoup et su embrasser les opportunités notamment une qu’il raconte lui-même :

« J’étais sur le point de me noyer [au sens figuré, il n’avait pas de ressources] ce 25 août lorsque je reçu un appel téléphonique […] d’Artur Rozinski que je n’avais jamais rencontré. […] C’était un chef d’orchestre célèbre […] il me demanda de venir le voir. ».

Il se rend donc dans une ferme à Stockbridge où résidait Rozinski :

« Il m’entraîna vers une meule de foin où nous nous assîmes et me dit « comme vous le savez (je n’en savais rien) je viens d’être nommé directeur du Philharmonique de New York [et ajouta] j’ai besoin d’un chef assistant. Je ne suis pas sûr de mon choix. Alors j’ai demandé à Dieu qui je devais choisir et Dieu a dit : prenez Bernstein ! Aussi vous au-je appelé. Prenez-vous le job ? »

Authentique !

Donc Bernstein accepta et explique que son « Job » consistait à étudier les partitions et à se trouver prêt pour le cas où Rodzinski ou un chef invité serait dans l’incapacité de diriger pour les remplacer en répétitions ou au concert.

Bref une doublure. Bien sûr cela n’arrive quasi jamais :

« Je crois que pendant quinze ans, personne n’est jamais tombé malade à New York. »

Mais Bernstein étudiait toutes les partitions. Et un jour Bruno Walter, l’un des plus grands chefs de l’Histoire de la musique est tombé malade et Rodzinski n’avait pas la disponibilité de le remplacer ce fut donc à Bernstein de le faire.

Voici ce qu’on peut lire à ce propos :

« Or, le 14 Novembre 1943, le chef d’orchestre Bruno Walter qui doit assurer le concert tombe malade. C’est au tour de Lenny de jouer l’après-midi même. Il n’a pas le temps de répéter, il n’a jamais dirigé ce programme. Tétanisé, il passe au Drugstore en face du Carnegie Hall prendre un café. Il explique au pharmacien pourquoi il se sent si mal. Celui-ci lui donne une pilule pour avoir de l’énergie, une autre pour être calme… »

J’ai mis les deux pilules dans ma poche et je me souviens qu’avant de monter sur scène, je les ai prises et je les ai jetées aussi loin que j’ai pu à l’autre bout des coulisses du Carnegie Hall. Et j’y suis allé. Je ne me souviens de rien entre ce moment et la fin du concert. »

Pour en savoir plus sur ces débuts, écoutez l’émission de France musique : <Léonard Bernstein : De la vie de bohème au miracle >

Vous trouverez aussi sur le site de France Musique une copie de l’affiche de ce concert avec le nom de Bruno Walter barré et celui de Léonard Bernstein rajouté.

Ce n’est que le haut de l’affiche, car le morceau essentiel de ce concert était une partition horriblement difficile : Le Don Quichotte de Richard Strauss.

Ce fut un triomphe !

<Vous trouverez, ici une interprétation somptueuse avec le rival Karajan et l’irremplaçable Rostropovitch>

Et pour en savoir plus sur la rivalité et aussi le respect mutuel entre ces deux artistes vous pourrez écouter l’émission sur France Musique : <Léonard Bernstein et Herbert von Karajan : le duel>

Mais revenons au « déchirement ».

Le premier déchirement que Bernstein connut était celui d’être à la fois interprète et compositeur. Par raison et pour la postérité, il voulait surtout être compositeur.

Mais dans le documentaire d’Arte, sa fille Jamie dit « La direction était une véritable drogue pour lui !»

Bernstein explique lui-même que la composition est un exercice dur et solitaire, la récompense vient souvent très tard et parfois même pas du tout. Alors que l’interprétation est un exercice que l’on réalise en équipe et la récompense arrive beaucoup plus vite par les applaudissements du public.

Il a essayé plusieurs fois d’arrêter la direction pour se consacrer à la composition et chaque fois il a craqué. Quand finalement, notamment parce que son médecin lui a dit qu’il s’agissait d’une histoire de vie ou de mort il a décidé de faire son dernier concert à Boston le 19 août 1990, la vie ne lui a plus été accordée que pour quelques semaines, il est décédé le 14 octobre 1990.

Un disque a gardé le témoignage sonore de ce dernier moment d’extase.

La reconnaissance du public, des critiques et du monde musical était aussi particulièrement déséquilibrée : Des concerts de louange pour l’interprète, un scepticisme peu bienveillant, voire une hostilité manifeste à l’égard du compositeur, sauf pour les œuvres qu’il a écrite pour Broadway et notamment <West Side Story>, bien entendu.

Et nous arrivons eu second déchirement : sa bisexualité.

Il a des amours homosexuels depuis sa jeunesse mais il rencontre la belle actrice chilienne née à Costa Rica : Félicia Montaleagre en 1946, ils se marient en 1951 et auront 3 enfants.

En 1951, quelques mois seulement après leur mariage, Félicia écrit à Lenny :

« Tu es homosexuel et cela ne changera sans doute jamais […] Je suis prête à t’accepter tel que tu es […] car je t’aime passionnément ».

C’est une relation assez unique et une hauteur d’âme de la part de Felicia remarquable à une époque où l’homosexualité était encore peu admise. Et Félicia écrit aussi :

« Notre mariage n’est pas fondé sur la passion mais sur une tendresse et un respect mutuel ».

Et Lenny écrit en 1957 :

« Les principales nouvelles c’est que je t’aime et que tu me manques, plus que je n’aurai jamais su »

Pendant 25 années l’épouse a toléré les relations extra-conjugales de son mari tant que celles-ci « restent discrètes ».

Et puis voici la fin de l’Histoire telle que la relate le magazine Diapason de juillet/août 2018 :

« Quand après un quart de siècle et trois enfants, ressurgit le dieu primordial sous les traits du jeune musicologue Tom Cothran, l’ogre jamais rassasié abandonne le domicile conjugal. Quelques mois plus tard, Felicia tombe malade. Cancer du poumon. Lenny lâche Tom et rentre à la maison, où Felicia s’éteint le 16 juin 1978. Il ne dort plus : tout est de sa faute. Dieu l’a puni. Whisky, médicaments, rien ne l’apaise. Le monde est plein de jolis garçons qu’il consomme sans respirer… ».

« de jolis garçons qu’il consomme sans respirer », je reviendrai sur cette addiction jeudi.

Il ne cessera cependant de parler et d’évoquer son épouse pendant les 14 ans qui lui restent à vivre.

Il lui dédiera des œuvres ou des interprétations comme ce Requiem de Mozart du 6 juillet 1988 qui a été enregistré par DG et dont vous trouverez la version vidéo sur cette page de la Philharmonie de Paris ainsi qu’un commentaire qui exprime l’émotion de cette interprétation

(1) Depuis que j’ai écrit le mot sur « Mass> J’ai trouvé sur Youtube, une version théâtrale jouée par des artistes de l’Université de Yale.

<1100>

Mercredi 9 mai 2018

« La musique est dans tout. Un hymne sort du monde »
Victor Hugo, « Les contemplations »

Mon ami Gérald est en Vendée et il est allé dans une crêperie.

Je n’ai pas l’habitude d’écrire des faits surtout depuis le mot du jour du 9 octobre 2017 :

«L’homme médiocre parle des personnes,
L’homme moyen parle des faits,
L’homme de culture parle des idées »
Citation attribuée quelquefois à Jules Romain d’autre fois à Eleanor Roosevelt

Mais dans le cas particulier du mot d’aujourd’hui, il me faut une introduction.

Donc Gérald est dans une crêperie et prend une photo qu’il m’envoie.

Cette photo reproduit la phrase suivante « La musique c’est du bruit qui pense » Victor Hugo

Et il pose la question : « As-tu déjà fait un mot du jour sur cette réflexion affichée dans une crêperie de Noirmoutier ? ». La réponse est négative, mais je trouvais l’idée intéressante après « Mass » de Bernstein :  pourquoi ne pas écrire un mot du jour sur la musique issue du grand Victor Hugo ?

Bien sûr, il faut vérifier.

Sur Internet on trouve beaucoup de sites qui publient cette citation mais jamais en donnant une source sérieuse et vérifiable.

<Même le site du Figaro> cite cette phrase en donnant pour source « / Fragments »

Sur d’autres il y a mention « Les contemplations. »

Il y a en France des personnes passionnées de poésie, jusqu’à créer des sites entièrement dévoués à cet art.

J’ai trouvé celui-ci : http://www.poesie-francaise.fr/

Et ce site permet même de faire une recherche de poèmes à partir d’un mot. Alors j’ai cherché : « La musique »

Le moteur de recherche renvoie 67 poésies dont 9 de Victor Hugo.

1 « Sagesse  » – Recueil : Les rayons et les ombres (1840).

2 « Que la musique date du seizième siècle  » – Recueil : Les rayons et les ombres (1840).

3 « Littérature  » – Recueil : Les quatre vents de l’esprit (1881).

4 « Psyché  » – Recueil : Les chansons des rues et des bois (1865).

5 « À un riche  » – Recueil : Les voix intérieures (1837).

6 « Georges et Jeanne  » – Recueil : L’art d’être grand-père (1877).

7 « Écrit sur la plinthe d’un bas-relief antique  » – Recueil : Les contemplations (1856).

8 « Melancholia « . – Recueil : Les contemplations (1856).

9 « Bièvre « – Recueil : Les feuilles d’automne (1831).

J’ai vérifié, l’expression dite ne se trouvait dans aucun de ces poèmes.

J’ai continué mes recherches pour finalement trouver un blog qui avait déjà fait des recherches sur cette citation. Et l’auteur écrit :

« « La musique, c’est du bruit qui pense ». Cette célèbre formule, très galvaudée, et sans doute un peu facile, est généreusement attribuée à Victor Hugo. On ne prête qu’aux riches !

La plupart de ceux qui reprennent (en chœur !) cette formule se contentent de nommer l’auteur, dont la réputation suffit à apporter la garantie d’une profondeur géniale. Aucune source n’est généralement précisée. Un ou deux sites prétendent qu’il s’agit d’une citation extraite des Contemplations, ce qui est faux.

D’autres avancent que l’aphorisme est tiré des fragments réunis dans Tas de pierres, un ouvrage posthume. C’est un ouvrage curieux que ce Tas de pierres, consultable sur le site Gallica : ce sont de simples notes manuscrites jetées sur des bouts de papier. Personnellement, je n’y ai pas retrouvé notre citation. La belle formule reste introuvable. Selon Sébastien Mounié (L’école aujourd’hui – élémentaire de janvier 2012), on peut s’interroger sur l’existence même de cette phrase sous la plume de Victor Hugo, en l’absence de toute référence vérifiable. Il pourrait s’agir d’une formule inventée, ou seulement transmise oralement. La citation pseudo hugolienne rendrait « clairement hommage à la musique symphonique de l’époque, à la force évocatrice des idées et des émotions se dégageant d’une mélodie. » Pourquoi pas… »

Mais il me fallait un mot du jour pour le lendemain du 8 mai et il n’était pas question de mettre une citation non labellisée. Je suis donc revenu vers les poèmes trouvés et j’ai préféré le 7 qui est extrait des contemplations :

Titre : Écrit sur la plinthe d’un bas-relief antique

Poète : Victor Hugo (1802-1885)

Recueil : Les contemplations (1856).

À MADEMOISELLE LOUISE B.

La musique est dans tout. Un hymne sort du monde.

Rumeur de la galère aux flancs lavés par l’onde,

Bruits des villes, pitié de la sœur pour la sœur,

Passion des amants jeunes et beaux, douceur,

Des vieux époux usés ensemble par la vie,

Fanfare de la plaine émaillée et ravie,

Mots échangés le soir sur les seuils fraternels,

Sombre tressaillements des chênes éternels,

Vous êtes l’harmonie et la musique même !

Vous êtes les soupirs qui font le chant suprême !

Pour notre âme, les jours, la vie et les saisons,

Les songes de nos cœurs, les plis des horizons,

L’aube et ses pleurs, le soir et ses grands incendies,

Flottent dans un réseau de vagues mélodies ;

Une voix dans les champs nous parle, une autre voix

Dit à l’homme autre chose et chante dans les bois.

Par moment, un troupeau bêle, une cloche tinte.

Quand par l’ombre, la nuit, la colline est atteinte,

De toutes parts on voit danser et resplendir,

Dans le ciel étoilé du zénith au nadir,

Dans la voix des oiseaux, dans le cri des cigales,

Le groupe éblouissant des notes inégales.

Toujours avec notre âme un doux bruit s’accoupla ;

La nature nous dit : « Chante ! » et c’est pour cela

Qu’un statuaire ancien sculpta sur cette pierre

Un pâtre sur sa flûte abaissant sa paupière.
Juin 1833.

Oui la musique est dans tout, mais il faut savoir ouvrir ses oreilles et encore plus son cœur pour l’entendre.

<1066>

Lundi 7 mai 2018

« Mass »
Léonard Bernstein (1918-1990)

Léonard Bernstein est né le 25 août 1918. C’est encore un peu tôt pour fêter son centième anniversaire, mais les circonstances font que je voudrais aujourd’hui vous parler d’une œuvre qui à mon avis est absolument géniale : « Mass ».

Et j’ai découvert qu’ARTE a retransmis le remarquable concert qui avait eu lieu à la Philharmonie de Paris le 22 mars 2018 et qu’il est possible de voir et d’écouter ce spectacle en replay pendant quelques mois.

Donc pour tous celles et ceux qui sont pressés et aiment aller à l’essentiel :

Voici le lien vers le site de la Philharmonie : <Live.philharmoniedeparis.fr – Bernstein : MASS>

La Philharmonie ne permet plus de voir qu’un extrait. Si vous voulez voir l’intégralité il se trouve après une page de publicité derrière ce lien <Bernstein : MASS à la Philharmonie de Paris>.

Le programme de la Philharmonie introduit cette œuvre de la manière suivante :

« Mass de Bernstein est une des partitions les plus foisonnantes de l’histoire de la musique, passant dans l’instant de l’expérimentation ludique à une comédie musicale, d’une fanfare à un gospel. Cette grande messe est un objet musical peu identifié qui mêle jazz, rock, classique aux sons de batteries, de guitares électriques, de synthétiseurs, portée par une liberté de ton donnant l’impression d’un happening sans limites.  »

ARTE la présente ainsi : «

« Œuvre aussi grandiose qu’iconoclaste, […] cette messe pas comme les autres se situe à la frontière de l’oratorio et de la comédie musicale. »

ARTE annonce que la vidéo sera disponible jusqu’au 21/03/2020, ce qui m’étonne mais donne à chacun le temps de visionner cette « OVNI ». (Œuvre Vocale Non Identifié)

Si vous souhaitez en savoir un peu plus et me donner le temps de tenter d’expliquer pourquoi, cette œuvre assez méconnue jusqu’ici, est exceptionnelle, je vous invite à lire la suite de ce mot du jour.

J’ai découvert cette œuvre il y a environ quinze ans par l’enregistrement qu’en a fait le compositeur lui-même à la suite de sa création en 1971.

Il faut d’abord parler de Léonard Bernstein.

Il est né dans le Massachusetts, de parents juifs ukrainiens. <TELERAMA> nous apprend que son père voulait en faire un rabbin. Mais la musique le saisit d’abord comme interprète puis comme compositeur.

Il devint, bien sûr, mondialement célèbre en composant la musique de la comédie musicale « West Side Story »

C’était un homme charismatique, plein de fougue et d’excès, j’y reviendrai dans un mot du jour ultérieur, plus proche de sa date anniversaire.

Mais c’était un musicien extraordinaire. La grande cantatrice allemande Christa Ludwig qui a beaucoup travaillé avec le musicien dit en toute simplicité :

«Leonard Bernstein ne faisait pas de la musique, il était la musique!»
(Propos rapportés par le Figaro du 18 mars 2018)

Lors de sa disparition subite, le 14 octobre 1990, des suites d’une crise cardiaque, le New York Times titrait : « Music’s Monarch, Dies » (Le seigneur de la musique est mort).

Il était surtout très éclectique et s’intéressait à toutes les musiques, le jazz, le rock.

Et <France Musique> nous apprend que dans une émission diffusée en 1967 sur CBS, Inside Pop – The Rock Revolution, Léonard Bernstein a osé cette comparaison :

« Les Beatles sont les Schubert de notre temps »

Je ne partage pas cette vision …

D’ailleurs je pense que les mélomanes spécialisés dans la musique classique auront plus de mal à entrer en résonance avec « Mass » que ceux qui se sentent plus proches du jazz et du rock. Il n’est pas rare que des musiciens de rock aient introduit dans leurs spectacles des morceaux de musique classique, le contraire est quasi inexistant. Léonard Bernstein l’a fait pour la première fois, à ma connaissance

Mais si les habitués de la musique classique auront du mal, il est aussi possible que les croyants catholiques aient du mal : car Mass n’est pas une messe, mais un « oratorio scénique » pour chanteurs, musiciens et danseurs qui se base sur le texte liturgique catholique mais pour en faire une chose très différente : une interrogation sur la spiritualité, une interpellation très vive de Dieu.

<Le site Qobuz> explique :

« Difficile de classer Mass de Bernstein, créée en 1971. Il ne s’agit pas vraiment d’une messe à proprement parler, […] et l’argument pourrait être celui d’une sorte de service divin qui tournerait au vinaigre avant de retrouver, finalement, la paix universelle. Au début, tout le monde semble d’accord, puis les « musiciens de rue » commencent à questionner la nécessité, voire même l’existence, d’un dieu. La cacophonie qui s’installe jusqu’à l’Élévation catastrophique est finalement apaisée après que le serviteur de la messe rassemble tous les esprits autour de la divinité et un dernier « allez en paix ». Bernstein a rassemblé dans sa partition tous les éléments possibles et imaginables de la musique du XXe siècle : jazz band, blues, ensemble de rock, Broadway, expressionnisme, dodécaphonisme, modernisme qui n’est pas sans rappeler Britten, musique de rue, fanfare, voix classiques mêlées aux voix de rock et de jazz et aux récitations du Gospel : une véritable Tour de Babel qu’il n’est pas nécessairement facile de rassembler autour d’un même souffle. »

Mais revenant au commencement. Léonard Bernstein, de nombreux signes le montrent est profondément ancré dans la tradition juive et hébraïque. Par exemple dans ses œuvres plus académiques : ses symphonies, la première est consacrée au grand prophète juif « Jérémie » et la troisième porte pour titre « Kaddish », la prière juive par excellence.

Donc cela peut sembler une incongruité que Jacqueline Kennedy demande à Léonard Bernstein de consacrer une œuvre « religieuse » en l’honneur du président assassiné, premier président et il me semble toujours seul président des États-Unis catholique. Car il faut quand même rappeler qu’au centre de cette liturgie catholique, plus précisément dans le « Credo » se trouve cet acte de Foi « Je crois en l’Église, une, sainte, catholique et apostolique.  » prompte à éloigner tous ceux qui ne partagent pas cette croyance

Et c’est ainsi que « Mass » est né et a été interprété pour la première fois au John F. Kennedy Center for the Performing Arts, le 8 septembre 1971

Il faut noter que Léonard Bernstein fut très ami avec la famille Kennedy.

Bernstein s’entoura d’un groupe de collaborateurs dont certains illustres pour créer cette pièce de théâtre pour chanteurs, comédiens et danseurs comme par exemple Alvin Ailey, Gordon Davidson, Roger LM. Stevens. Les textes complémentaires au texte liturgique furent écrits par Léonard Bernstein lui-même mais aussi en partie par Stephen Lawrence Schwartz.

MASS commence par un Kyrie sur le texte traditionnel dans une musique très moderne et assez chaotique mais très vite remplacé par un chant de l’officiant qui joue un rôle central dans cette pièce.

Le livret qui accompagne l’enregistrement de Bernstein écrit :

« Il existe pour accéder à cette œuvre une clé qui réside dans les toutes premières paroles chantées par le célébrant : « Chantez au Seigneur un chant simple ».

Vous pouvez entendre dans la version de Bernstein ce « Simple song »

« Mass était probablement « un chant simple » pour Léonard Bernstein, cet homme au génie créateur le plus complexe que l’Amérique ait jamais produit. Il voulait s’exprimer sur la nécessité pour chacun de nous de posséder et de cultiver une vie spirituelle au sein de notre vie de tous les jours. »

<Le site de la Cité de la Musique donne aussi des clés> :

« 1971 : les États-Unis sont en pleine guerre du Vietnam et Leonard Bernstein compose sa messe. Pour l’anecdote, le chef du FBI aux États-Unis, J. Edgar Hoover, envoya un message au procureur général du président Richard Nixon pour l’informer que cette œuvre, programmée pour l’ouverture du nouveau centre d’arts et concerts de Washington – le Centre Kennedy – pouvait contenir un texte subversif. Faisait-on allusion au texte « Dona Nobis Pacem » ? Toujours est-il que Richard Nixon n’est pas venu à la première.

Mass est une œuvre complètement liée à son époque. […] On sent, d’un côté, le désespoir de ceux dont les repères moraux et religieux ont été bousculés, mais aussi l’optimisme de ceux qui cherchent un nouveau chemin spirituel. […]

Les véritables intentions de Bernstein étaient d’une part d’ouvrir la messe catholique à un œcuménisme spirituel et musical, d’autre part de protester contre l’indifférence de Dieu face aux horreurs de la guerre en cours au Viêtnam.

La crise de foi du jeune célébrant qui, après le « Dona nobis pacem », jette violemment par terre les sacrements et, vêtements liturgiques et linge de l’autel arrachés, saute sur l’autel et commence à danser, exprime l’inquiétude et la rage de la génération soixante-huitarde. Dans le contexte socio-politique de l’époque, il était évident que la contestation du jeune célébrant ne concernait pas seulement Dieu et le formalisme liturgique, mais aussi les responsables de la guerre du Viêtnam, le président Nixon en tête qui, à l’occasion de la création de Mass, laissa volontiers sa place à la veuve du président assassiné, Jacqueline, désormais épouse d’Onassis. »

Le Monde est très élogieux sur l’interprétation qui a été produite à la philharmonie de Paris : « « Mass », de Bernstein, une œuvre pop, classique et hippie »

Les deux acteurs principaux de cette réussite sont « Jubilant Sykes » qui incarne le « célébrant et le chef d’orchestre anglais « Wayne Marshall ».

Le replay d’ARTE n’est plus actif, mais vous pouvez trouver des extraits : <ICI> ou <ICI>

Et si vous avez besoin d’un aperçu plus court (2mn) écoutez cet extrait du Gloria dans une autre interprétation au Prom’s de Londres : « Mass – Gloria – BBC Proms 2012 ».

Je pense cependant que toutes ces versions, très bonnes du point de vue musicales, restent un peu statiques par rapport à la version initiale dont la chorégraphie était l’œuvre  d’Alvin Ailey. J’ai trouvé des extraits d’un spectacle sur un  site entièrement consacré à léonard Bernstein, je pense que l’organisation scénique est plus proche de ce qu’avait imaginé Bernstein et Ailey : <Trailer de Mass>

<1065>

Lundi 26 mars 2018

« Claude de France »
Achille Claude Debussy

Le 25 mars 1918, mourait Claude Debussy. Tous les journaux lui rendent hommage.

Le Figaro titre : « Il y a 100 ans, la mort du génial compositeur Claude Debussy »

Le Monde : « Claude Debussy, ce moderne méconnu »

La Croix : « Debussy, un moderne mort il y a cent ans »

Ou encore la voix du Nord : « Centenaire de Claude Debussy, père de la musique des «sens» »

Dans un autre article du Monde : « Debussy, le musicien de toutes les guerres », nous apprenons :

« Le 25 mars 1918, à 6 h 50, le premier obus de la journée tombe sur Paris. Un autre suit, puis un deuxième, un troisième. « Le gros canon boche n’est plus qu’un ennuyeux personnage de faits divers », commente Le Figaro. Vers 22 heures, Claude Debussy pousse son dernier soupir, terrassé par un cancer, à l’âge de 55 ans. La nouvelle est rapportée dans les journaux, qui consacrent l’essentiel de leurs maigres pages à la bataille qui fait rage en Picardie. L’hommage prend un tour antigermanique. « C’est la musique de Debussy qui nous a délivrés du prestige maléfique de Wagner, assure Louis Laloy, à une heure où nos meilleurs artistes en étaient victimes. » »

Mais c’est probablement la page d’hommage du site « Culturebox » qui est la plus intéressante parce qu’elle présente des vidéos remarquables par exemple celle où Boulez explique la modernité du ballet « Jeux » ou une vidéo d’animation qui présente « Pelleas et Mélisande » et aussi parce qu’il donne la parole au grand pianiste Philippe Cassard qui a écrit un livre sur Debussy qui vient d’être publié :

« Au départ admirateur du génie de Richard Wagner, Claude Debussy se révolte rapidement contre l’ornière romantique et la musique allemande. « Quelle était la vague en 1885 à Paris? C’était Wagner, Wagner, Wagner, tous les compositeurs succombaient à cette espèce de tsunami wagnérien. « Le Prélude à l’après-midi d’un faune » était « la réponse d’un compositeur français à l’invasion sonore allemande […] C’est intime, c’est lyrique, avec beaucoup de poésie et de délicatesse […] Il est né le 22 août 1862 à Saint-Germain-en-Laye, à l’ouest de Paris, au sein d’une famille de petits commerçants. Alors qu’on ne discutait pas culture en famille, on l’a confié à la belle-mère de Verlaine », la pianiste Antoinette Mauté, elle-même élève de Chopin. »

On constate donc que s’il n’est pas né dans une famille d’artiste, il a rapidement été baigné dans un univers culturel particulier

Il est vrai comme l’écrit ce site qu’on compare Debussy non pas à d’autres musiciens mais à plutôt à d’autres artistes de son époque, notamment les Impressionnistes et les Symbolistes. « Prélude » est une interprétation musicale très libre d’un poème de Stéphane Mallarmé, tandis que « Fêtes galantes » et le célébrissime « Clair de Lune » sont à l’origine des poèmes de Paul Verlaine. Bertrand Dermoncourt qui a été nommé conseiller artistique pour le centenaire de Debussy par Emmanuel Macron explique :

« C’est un peu le Claude Monet de la musique (…) car ses œuvres sont très proches de la nature », comme « La mer » Ce sont les mêmes impressions qu’on peut retrouver dans les tableaux de Monet, de petites touches qui créent des ambiances. […] Il annonce toute la musique du 20e siècle, tous les compositeurs après se réclament de lui»

Emmanuel Macron qui a dit cette phrase énigmatique « On a tous en nous quelque chose de Johnny », surtout depuis qu’on en sait davantage sur la grande propension de cet artiste de vouloir pratiquer l’évitement fiscal et le refus de se soumettre au droit français concernant l’héritage, joue aussi du piano et a fait part, dans une déclaration transmise à l’AFP, de son admiration pour le maître de musique français :

« J’accorde une place toute particulière aux Préludes pour piano, dont on ne finit jamais de sonder la nouveauté radicale ».

Certainement Debussy fut un compositeur de piano tout à fait étonnant, avec de petites pièces ciselées, toute en poésie et en finesse.

Parmi les préludes évoqués par le Président de la République, il y a cette délicieuse pièce « La Fille aux cheveux de lin »

D’abord pour votre culture et développer votre capacité de jugement, je vous invite à regarder cette pitrerie : « Lang Lang joue La fille aux cheveux de lin »
Cet acteur de théâtre du nom de Lang Lang que certains prétendent pianiste fait semblant d’interpréter l’œuvre de Debussy.

Ici, beaucoup plus mal enregistré, vous écouterez un vrai pianiste, Arturo Benedetti Michelangeli jouer cette œuvre avec grâce et musicalité

Vous pouvez aussi écouter une belle interprétation à la harpe par Sasha Boldachev

<Le quatuor à cordes opus 10> est aussi un chef d’œuvre de la musique, le lien vous emmène vers une interprétation du 1er mouvement par le Jerusalem Quartet.

Et encore une œuvre moins connue que j’aime particulièrement <Danse sacrée et profane pour Harpe et orchestre à cordes>

Et puis aussi cette œuvre surprenante, pleine de poésie <Syrinx> pour flûte solo jouée par Emmanuel Pahud.

Enfin le chef d’œuvre, unique, absolu, celui dans lequel Claude Debussy atteint au sublime : son opéra « Pélléas et Mélisande » dans une interprétation de l’Opéra de Lyon sous la direction de John Eliot Gardiner.

Il aimait signer ses partitions du nom de « Claude de France » et il est vrai qu’il est par essence le musicien français comme le décrit superbement Wikipedia que je cite :

« D’une audace imprévisible, mais d’une sûreté de goût absolue, harmoniste inclassable et dramaturge subtil, Debussy est comme Rameau auquel il a rendu hommage dans ses Images pour piano, un compositeur d’esprit très français (il signait d’ailleurs certaines de ses partitions Claude de France). Mais grâce à la révolution qu’il opère dans l’histoire de la musique, à travers les ponts qu’il lance en direction des autres arts et des multiples sensations qu’ils éveillent (les sons et les parfums, les mots et les couleurs), il fait accéder sans doute mieux qu’aucun autre la musique française à l’universalité : celle du corps, de la nature et de l’espace. »

<Vous trouverez ici un site entièrement consacré à l’œuvre de Claude Debussy>

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Lundi 29 janvier 2018

« Faire de la musique ensemble »
Réflexions personnelles sur un week-end musicale et sur la musique en général.

Qu’écrire comme mot du jour pour le lundi quand on a passé le week-end à l’auditorium de Lyon pour écouter de la musique, samedi soir, dimanche à 16 heures et même le mercredi précédent où j’ai eu la chance d’assister entre 20 heures et 22 heures 30 à la répétition du concert de samedi ?

Parler des émotions et de musiciens qui jouent ensemble et créent de la beauté.

J’avais déjà consacré un mot du jour à une artiste exceptionnelle : Hillary Hahn, le 19 mai 2017.

Et c’est une autre soliste exceptionnelle, la violoncelliste Sol Gabetta qui s’est associée au chef Alan Gilbert pour réaliser un concert d’une qualité rare.

Il y a un domaine où le « c’était mieux avant » est manifestement totalement faux, c’est la qualité des musiciens classiques et des orchestres.

Les orchestres d’aujourd’hui sont techniquement bien meilleurs que ceux d’hier. L’Orchestre de Lyon n’échappe pas à cette règle.

Bien sûr il faut un catalyseur.

Souvent on pose la question, mais à quoi cela sert un chef d’orchestre ?

Celles et ceux qui se sont trouvés à l’Auditorium samedi et ont entendu l’Orchestre de Lyon, son engagement, la profondeur de la respiration musicale, la chaleur des cordes, la qualité des bois et l’éclat des cuivres, ne se posent pas la question, un grand chef d’orchestre sert à ce que l’Orchestre se dépasse et sonne comme il n’a jamais sonné.

Ce fut le cas de la magnifique 3ème symphonie de Brahms dirigé par Alan Gilbert.

Le troisième mouvement de cette œuvre doit être connu par le plus grand nombre car elle a souvent été utilisé hors des circuits classiques par exemple dans le film « Aimez-vous Brahms » d’Anatole Litvak., et aussi dans la chanson de Serge Gainsbourg, Baby Alone in Babylone, par Yves Montand pour Quand tu dors près de moi, par Frank Sinatra pour Take My Love.

Alan Gilbert fut le directeur du New York Philharmonic pendant 9 ans.

Les mélomanes du monde entier connaissent la qualité des orchestres états-uniens et distinguent ceux qu’on appelle les fameux Big Five (les Cinq Grands): Chicago, New York, Cleveland, Boston, Philadelphie. Depuis quelques années le Los Angeles Philharmonic tente d’entrer dans ce cercle fermé.

Avant Alan Gilbert , ce poste au New York Philharmonic fut occupé par Gustav Mahler, Arturo Toscanini, Bruno Walter, Léonard Bernstein, Pierre Boulez, Lorin Maazel. Même si vous n’êtes pas très connaisseur vous devriez être impressionné. Aucun chef n’a jamais été nommé sur ce poste sans avoir été précédé d’une solide réputation.

Alan Gilbert était pour les mélomanes du monde entier, un total inconnu au moment de sa nomination en 2009, à 42 ans.

Tout au plus savait-on que ses deux parents avaient été musiciens dans l’Orchestre et au moment de sa nomination, sa mère était toujours membre de l’orchestre. Il est probable que c’est la première fois de l’Histoire de la musique que le directeur musical d’un des plus grand orchestre symphonique du monde dirige sa mère.

Mais ceux qui l’ont choisi, ne se sont pas trompés.

Après cette symphonie, la solaire Sol Gabetta a interprété le très difficile concerto N°1 de Martinu avec une aisance et une flamboyance qui laisse pantois.

Et puis, dimanche l’immense soliste Sol Gabetta et le grand chef d’orchestre sont descendus de leur podium, pour interpréter avec 4 autres musiciens de l’Orchestre un autre chef d’œuvre le premier sextuor de Brahms.

Encore une œuvre qui a été utilisé comme musique de film dans Les Amants de Louis Malle.

Ils ont alors simplement fait de la musique ensemble, et le chef d’orchestre a pris modestement la place de second altiste.

La répétition s’était déroulée dans cette même ambiance que je décrirai par cette phrase : faire de la musique ensemble.

Il y a une précision que je n’ai pas donnée jusqu’ici c’est que la violon solo de l’orchestre de Lyon est Jennifer Gilbert, la sœur d’Alan Gilbert.

Quelques liens :

Vous trouverez derrière ce lien, la 3ème symphonie de Brahms interprétée par Alan Gilbert et le New York Philharmonic

<Le troisième mouvement du sextuor à cordes de Brahms>

<Ici vous trouverez un court extrait du concerto de Martinu par Sol Gabetta à la Philharmonie de Berlin>

Ce concert à Berlin a été enregistré et il est possible d’acquérir le CD du live :


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