Mercredi 12 décembre 2018

«Giletjaunologue !»
Julien Damon

« Logue » vient Du grec ancien λόγος, logos (« étude »).

Dès lors, quand on ajoute « logue » à un mot on comprend qu’il s’agit de quelqu’un qui étudie ce que le mot désigne.

Toutefois, l’étude des mots, proprement dits, n’est pas faite par un « motologue ». Etudier les mots c’est la « sémantique ». En général c’est un « linguiste » qui étudie la sémantique.

En revanche :

  • Le météorologue étudie la météo
  • Le criminologue étudie le crime et les criminels
  • Le vulcanologue étudie les volcans
  • Le politologue étudie la politique.

Quelquefois c’est un peu plus compliqué. Ainsi on ne dit pas « vinologue » pour spécialiste du vin mais « œnologue » du grec ancien οἶνος, oînos (« vin »).

C’est qu’il faut faire savant.

Dans le même esprit, tout le monde comprend que le cancérologue est un spécialiste du cancer. Mais on préfère aujourd’hui le terme d’oncologue, De « onco »- (« tumeur », lui-même du grec ὄγκος, onkos, (« tas, masse »)

Toutes ces précisions ont été abondamment copiées dans Wikipedia.

Revenons au politologue, parmi eux, lorsque j’étais jeune il existait une catégorie à part qui s’appelaient les « kremlinologues ».

C’est à dire c’était des spécialistes du Kremlin qui était le palais qui abritait le gouvernement soviétique. C’était donc des spécialistes de la politique soviétique.

Alexandre Adler fut l’un d’eux :

« Je l’utilisai d’abord pour résoudre les énigmes policières de l’histoire soviétique qui m’avait obsédé, non sans quelques succès qui jalonnèrent ma première carrière kremlinologique à Libération. »
(Alexandre Adler, Au fil des jours cruels, 1992-2002, 2003, p.1984)

Je l’ai un jour entendu expliquer ce qu’il faisait en tant que kremlinologue.

Il ne savait rien, les luttes de pouvoir et d’influence chez les responsables soviétiques étaient totalement secrètes et personne ne savait ce qui se passait.

Alors le plus infime détail était analysé : l’absence de tel responsable à telle cérémonie, la place respective des uns et des autres sur une tribune, lorsque tel responsable parlait à l’oreille d’un autre responsable lors d’une cérémonie àlaquelle le kremlinologue pouvait assister.

A partir de ces détails, le kremlinologue tissait des hypothèses, élaborait des théories, osait des prévisions.

Prévisions le plus souvent démenties par les faits

Tout ceci a occupé un grand nombre de gens et leurs analyses étaient abondamment relayées par les journaux occidentaux.

C’est probablement à cette pseudo science de kremlinologie que Julien Damon a pensé pour inventer le concept de cette nouvelle spécialité
le : « Giletjaunologue »

Julien Damon est professeur associé à Sciences Po et conseiller scientifique de l’Ecole Nationale Supérieure de Sécurité Sociale. Il est présenté comme un sociologue des inégalités.

Il a écrit plusieurs ouvrages :

Et il a été invité à l’émission la Grande Table du 3 décembre 2018 : « « Gilets jaunes » : quelles réponses à quelles questions ? »

Et c’est lors de cette émission, qu’il a, en l’appliquant d’abord à lui-même puis à Emmanuel Todd et à d’autres experts auto-désignés, créé cette spécialité de « Giletjaunologue ».

Donc des experts à qui on demande d’expliquer qui sont les gilets jaunes, quelles sont leurs exactes revendications et quels sont leurs objectifs.

Ils n’en savent rien mais ils parlent quand même comme les kremlinologues d’antan.

Car, on ne sait pas très bien qui ils sont, à part une collection d’individus mécontents.

On ne sait pas ce qu’ils pensent puisqu’ils expriment des revendications multiples, diverses, parfois irréalistes et surtout contradictoires.

On ne peut pas leur parler, sauf à des individus qui se représentent eux même. Les gilets jaunes ? Quel numéro de téléphone ? aurait dit Henry Kissinger, puisqu’ils refusent de se désigner des représentants.

Mais nous avons des spécialistes, des experts qui savent décrypter et nous expliquer ce que veulent les gilets jaunes et comment les contenter : ce sont des « Giletjaunologues ».

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Vendredi 28 septembre 2018

« L’idéologie des droits de l’homme porte en elle une logique illimitée »
Pierre Manent et Jean-Claude Michéa

Je n’achète pas souvent le Figaro, mais quand j’ai appris que le journal du 19 septembre 2018 faisait dialoguer Pierre Manent, grand intellectuel libéral né en 1949 et Jean-Claude Michéa penseur de gauche né en 1950 pour parler de l’idéologie des droits de l’homme, je l’ai fait en toute simplicité.

L’idéologie des droits de l’homme est une pensée très positive dans notre système des valeurs.

C’est un champ illimité de progression des droits individuels contre les corporations, les religions, les Etats et toutes ces organisations qui ont toujours contraints les individus.

Ce fut depuis la philosophie des Lumières une évolution bénéfique. Certains pensent que nous sommes allés trop loin.

Pierre Manent a écrit : « La loi naturelle et les droits de l’homme » paru en mars 2018. <France Culture a consacré une page> et plusieurs émissions à ce livre et ce thème.

Jean-Claude Michéa a écrit : « Le loup dans la Bergerie » paru le 19 septembre 2018 <France Culture a consacré une page> et des émissions à ce livre.et ce thème.

J’en ai écouté une plus précisément <La Grande Table du 18 septembre> où Jean-Claude Michéa a développé son questionnement sur l’idéologie des droits de l’homme.

Il dit par exemple :

« Seule la liberté peut limiter la liberté. Sur le papier, c’est  magnifique. (…) Mais arrive un moment où tout peut être considéré comme une nuisance. »

Et il a raconté une histoire vraie et je pense pertinent de commencer la réflexion par ce conflit de deux « droits de l’homme ».

J’ai trouvé un article sur le site France 3 Rhône Alpes Auvergne qui donnait plus de précision et confirmait les dires de Jean-Claude Michéa.

Voici l’histoire :

Un couple de citadins originaire de la Loire s’est installé dans le paisible village de Lacapelle-Viescamp, dans le Cantal. Il est incommodé par l’odeur des vaches et du fumier. Les citadins portent l’affaire devant le juge. Après un premier jugement dont l’article ne dit rien, la Cour d’appel de Riom donne raison aux citadins et condamne le paysan à éloigner les vaches et les ouvrages de stockage du fumier à 50 mètres du voisin. Autrement dit, cette ferme, construite en 1802 et située à 35 mètres des plaignants, doit déménager.

Les citadins invoquent le droit individuel de ne pas être incommodé sur leur lieu de vie privée.

Ils entrent en conflit avec un agriculteur issu d’une lignée d’agriculteurs qui exploitent cette ferme depuis 1802.

Nous avons déjà entendu parler de ces conflits de citadins qui se plaignent du bruit des cloches de l’église du village ou aussi des cloches des vaches.

<Il y avait aussi ce couple de parisiens qui voulait porter plainte contre le chant des cigales > ou encore ceux-là qui ont <interpellé le maire parce qu’il ne luttait pas contre les cigales par des insecticides>. Dans aucun de ces cas la justice n’a donné raison aux plaignants.

Que la décision de justice conduise à faire déménager une ferme constitue une étape supplémentaire.

Vous savez, même si cela en irrite certains, que les hommes moyens parlent des faits. Pour ma part, il me semble qu’il faut dépasser les faits et réfléchir à ce qu’ils signifient, quels sens leur donner, quelles conséquences pour notre vie en société, les uns avec les autres. Car il y a l’odeur de la ferme, le bruit des cigales mais surtout il y a toutes ces prétentions qui commencent par cette affirmation : «j’ai droit à… »

Jean-Claude Michéa explique :

« Le slogan du libéralisme et notamment de gauche, c’est mon corps, c’est mon choix et ça ne vous regarde pas. Mon temps, c’est mon choix, ça ne vous regarde pas. Mon argent, c’est mon choix, ça ne vous regarde pas. C’est vrai dans certaines limites parce que sinon on est dans un système totalitaire.

Mais à partir de quel moment, l’usage que je vais faire de mon temps, de mon corps, de mon argent, va détruire la vie commune ?

Prenons l’exemple du dimanche : le libéral dit : ‘je ne vous empêche pas de travailler le dimanche, si vous voulez vous reposer le dimanche, c’est votre problème, moi j’ai envie de travailler. En quoi ça vous regarde, je ne gêne personne. Je ne nuis à personne.

Mais au fur et à mesure que dimanche devient un jour comme les autres, tous les rythmes collectifs se désynchronisent.

La vie sportive, familiale et associative deviennent de plus en plus complexes à mettre en œuvre, et on s’aperçoit au bout de quelque temps que toutes ces décisions présentées comme privées finissent par modifier la vie commune, la re-sculpter. Si vous n’avez pas fait ces choix, vous allez être confrontés à des difficultés et des problèmes presque insurmontables. »

Dans l’article du <Figaro> Pierre Manent expose son opposition entre la Loi naturelle et les droits de l’homme :

« La philosophie des droits humains postule que nous disposons d’un pouvoir légitime et illimité sur tous les aspects de la condition et de la nature humaine. Je pense le contraire. Aussi vastes que soient les capacités humaines, elles restent liées à la condition et à la nature de l’homme. Celui-ci est l’être « intermédiaire » qui se cherche entre la bête et le dieu – entre les êtres qui sont en deçà de la loi et ceux qui sont au-delà de la loi. Il est donc voué à une vie politique, c’est-à-dire à une vie de liberté sous la loi. Ici intervient décisivement la notion ou plutôt le fait de la nature humaine. […] Nous tendons par nature à une vie commune réglée par la raison pratique. La loi naturelle, c’est l’ensemble des principes et critères qui guident cette raison commune. […] Notre liberté habite une nature qui nous donne à la fois l’impulsion, le but et la limite. Nous rejetons aujourd’hui avec impatience et dédain ces déterminations naturelles et prétendons à une liberté sans règle ni raison. »

Aucun de ces deux penseurs ne rejette les droits de l’homme, mais en revanche ils considèrent qu’en appeler exclusivement aux droits individuels constitue une impasse. Pierre Manent dit, une société dont la Loi serait exclusivement la somme des désirs individuels de ses membres est une société assez peu désirable. Car il me semble comme lui que ce qui importe c’est de faire société, de vivre ensemble.

Jean-Claude Michea préfère à la Loi naturelle, la « common decency » concept inventé par Orwell :

« La disposition morale, c’est-à-dire le sentiment, disait Orwell, qu’il y a des choses qui ne se font pas est effectivement présente dans toutes les sociétés humaines. Marcel Mauss l’avait déjà établi dans « l‘Essai sur le don », en montrant que le lien social primaire repose partout et toujours sur la triple obligation de « donner, recevoir et rendre ». […] Simon Leys considérait par exemple la tradition confucéenne comme une forme spécifiquement chinoise de la « common decency » »

Pour Michéa le grand responsable de cette évolution délétère est l’idéologie libérale et la marchandisation du monde :

« L’ennui c’est qu’il est devenu presque impossible, aujourd’hui de s’opposer aux dérives les plus folles de cette idéologie libérale (à partir du moment, en effet où tout comportement – faute de critères éthiques partagés- peut devenir objet de plainte, elle invite inévitablement à voir le mal partout et donc à remplacer tout débat par un appel aux tribunaux) sans remettre simultanément en question la dynamique du capitalisme lui-même. Un système économique dans lequel un bien n’est pas produit en raison de son utilité réelle ou de ses qualités propres mais, avant tout parce qu’il permet au capital déjà accumulé de s’accumuler encore plus ne peut, en effet, connaître écrivait Marx – ni frontière géographique ni aucune limite morale ou naturelle. […] Il est clair qu’une forme de société qui tend ainsi à noyer toutes les valeurs morales dans les « eaux glacées du calcul égoïste » est forcément incapable de fixer d’elle-même la moindre limite à ses propres débordements. Sous ce rapport, l’idée d’un libéralisme « conservateur » n’est donc qu’un oxymore. »

Pierre Manent est en accord avec le diagnostic, mais il continue à ne pas faire porter le poids de la faute sur le libéralisme dont il raconte l’histoire et tout ce qu’il a apporté en terme de liberté, de développement et de progrès pour les sociétés d’aujourd’hui. Il explique :

« L’imaginaire de la croissance illimitée où Jean-Claude Michéa voit à juste titre un des ressorts du charme maléfique qui emporte maintenant, avec l’Occident, l’humanité tout entière, n’est pas propre au libéralisme […] Après la Révolution française, une fois la révolution industrielle et la révolution démocratique entrées en phase, le libéralisme n’est plus qu’un facteur parmi d’autres et rarement le plus fort. L’Industrie, le Socialisme, l’Etat administratif, la Science, d’autres instances encore, furent tour à tour convoqués pour servir d’instrument à cette démesure de la raison organisatrice qui marqua tellement les deux derniers siècles. »

Et j’aime beaucoup la conclusion de Pierre Manent :

« Nous sommes en train de faire sur nous-mêmes une expérience morale ou métaphysique particulièrement cruelle. Au lieu de chercher les voies d’une éducation commune et de construire des institutions qui protègent, nourrissent et raffinent des expériences partagées, nous nous imposons une désintitutionnalisation toujours plus complète des contenus de notre vie. Qu’espérons nous donc de l’émancipation finale quand il ne restera plus sur la place publique que l’individu avec ses droits, pauvre homme séparé des hommes et des biens qui donnent son sens à la vie humaine ? »

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Mercredi 23 mai 2018

«Mai-68 : La brèche n’est pas refermée»
Edgar Morin.

Il y a les mentors de Mai 68, hier nous évoquions Jean-Paul Sartre. <Le Nouvel Obs> cite Herbert Marcuse (1898 -1979), sociologue marxiste, américain d’origine allemande qui dénonçait tant le bloc occidental que l’URSS. Je garde de lui cette phrase qui m’avait marqué quand j’étais jeune, « ce qui est pornographique ce n’est pas une femme qui montre son pubis mais le fait de mettre dans les vitrines des biens que des gens qui passent ne peuvent pas acheter. En 1964, il écrit « L’Homme unidimensionnel » (One Dimensional Man) qui paraît en France en 1968 et devient un peu l’incarnation théorique de la nouvelle révolte étudiante. En 1968, il voyage en Europe, et tient de multiples conférences et discussions avec les étudiants. (source Wikipedia).

Il y a aussi Louis Althusser. En 1968, Louis Althusser (1918-1990) est le gourou de la rue d’Ulm, et une figure majeure de la pensée marxiste mais flirtant avec la dépression avant de sombrer dans la folie.

L’article du nouvel obs cite aussi le philosophe et sociologue Henri Lefebvre (1901-1991) qui contrairement aux deux précédents m’était complétement inconnu. L’hebdomadaire ajoute : « Métro, boulot, dodo. – Le mot n’est pas de lui, mais ce slogan repris par les étudiants de 68 pourrait suffire à résumer le travail critique engagé Henri Lefebvre, inspirateur aujourd’hui un peu oublié de la révolte de Mai.

Mais selon cet article, ou plutôt ma compréhension de l’article, il semblerait que le plus grand inspirateur de Mai 68 soit Guy Debord, (1931-1994). Auteur en 1967 de «la Société du spectacle » que le nouvel obs décrit ainsi :

« Dans une nuée de formules ciselées, parfois poétiques, souvent obscures, il y critique tant la bureaucratie soviétique que le capitalisme occidental, englués selon lui dans la même illusion : le « spectacle ». Celui-ci ne saurait se résumer à l’extension tentaculaire de la publicité ou des médias de masse ; Debord le définit comme « le règne autocratique de l’économie marchande ayant accédé à un statut de souveraineté irresponsable, et l’ensemble des nouvelles techniques de gouvernement qui accompagnent ce règne ».

Il fonde « l’Internationale situationniste » :

« qui se donne pour but ultime de mettre fin à la séparation entre l’art et la vie. Pour s’en dégager, il propose dès 1957 de « construire des situations », c’est-à-dire « un ensemble d’impressions déterminant la qualité d’un moment ». Il s’agit d' »entraîner le spectateur à l’activité », aux prémices d’une révolution qui bousculera les vies rabougries, passives et aliénées auxquelles condamne la réalité « spectaculaire » – le modèle politique des « situs » se rapproche du conseillisme, de l’autogestion. »

<Une conférence à la Bibliothèque nationale de France approfondissant ce concept de société du spectacle>

Et puis il y avait Edgar Morin « Témoin enthousiaste de Mai 1968 ». En 1968 Edgar Morin avait 46 ans et ressemblait à cette photo..

il analysait et décryptait à chaud dans des articles du Monde les évènements. A partir de ces articles il a écrit avec Claude Lefort et Cornelius Castoriadis « Mai 68, La Brèche » chez Fayard.

Ouvrage enrichi en 1988 par une nouvelle édition suivie de «Vingt ans après », éd. Complexe. 50 ans après l’Obs a réinterrogé Edgar Morin qui a désormais 96 ans. Le titre de l’article est « La brèche n’est pas refermée »

C’est cet article, publié le 23 mars 2018, que je partage aujourd’hui avec vous.

Lorsque les évènement de mai se sont déclenchés, il n’était pas totalement décontenancé car il avait détecté l’émergence d’une nouvelle classe d’âge adolescente :

« J’avais en tout cas diagnostiqué dès la fin des années 1950 qu’une nouvelle classe, la classe d’âge adolescente, s’était constituée après-guerre. Venue s’intercaler entre le cocon de l’enfance et le moment de l’insertion dans l’âge adulte, elle a acquis ses rites, son vocabulaire, son habillement, ses lieux de rassemblement, sa musique, et a développé des aspirations propres : alors que la civilisation des Trente Glorieuses prétendait apporter le bien-être par le confort matériel, les adolescents ressentaient la vacuité de cette promesse. Ils étaient à la recherche d’une forme d’authenticité personnelle, rêvaient de fraternité, de vie communautaire et en même temps d’autonomie individuelle.

Et ce décalage, ce malaise, qui ont pris corps sur grand écran avec les personnages incarnés par James Dean et Marlon Brando au milieu des années 1950, ont engendré des formes de rébellion. Il ne faut pas oublier que, le 22 juin 1963, lors du grand concert organisé place de la Nation par le magazine « Salut les copains », qui avait drainé une foule immense d’adolescents venus communier avec leurs idoles dont Johnny Hallyday, l’exaltation de la fête a suscité des débordements, grilles d’arbre arrachées, voitures renversées. »

Le phénomène « yéyé », ainsi que je l’ai baptisé dans un article que j’ai écrit pour « le Monde » après ce rassemblement alors inédit de 200.000 jeunes, révélait une soudaine violence. Derrière les vedettes plus ou moins canalisées dans le show-business que promouvait Daniel Filipacchi, le créateur de « Salut les copains », les banlieues ont vu proliférer les groupes de rock des « blousons noirs » en révolte. ».

Lorsque le journaliste s’insurge en disant cette évidence : « Mais ce ne sont pas les blousons noirs qui ont fait Mai-68… ». Edgar Morin réplique :

« Evidemment non. A partir de 1965, la classe adolescente s’est constitué une intelligentsia chez les étudiants, et d’abord à l’université de Berkeley, en Californie, où de jeunes contestataires ont théorisé et exprimé clairement leurs aspirations à une autre vie, en rupture avec celle, « unidimensionnelle » – pour citer leur mentor, Marcuse –, des adultes.

Or, début 68, par une sorte de contagion due à la mondialisation de l’information, des révoltes étudiantes ont éclaté dans des pays aux systèmes politiques et sociaux aussi différents que les Etats-Unis, le Mexique, l’Egypte ou la Pologne. Le point commun entre tous ces mouvements, c’était le rejet de l’autorité du monde adulte, qu’elle soit professorale, familiale, gouvernementale, institutionnelle, dictatoriale. Et j’ai compris que la France serait la prochaine sur la liste lorsque, en mars 1968, le philosophe et sociologue Henri Lefebvre, qui était alors professeur à Nanterre, m’a demandé d’assurer quelques cours à sa place.

En arrivant sur le campus, je n’avais aucune idée de l’agitation qui y régnait depuis quelques semaines ; quand j’ai voulu commencer mon cours, des étudiants présents dans l’amphi se sont mis à crier « Grève ! ». J’ai proposé de voter pour ou contre la tenue du cours, et le « pour » l’a emporté. Deux mécontents ont alors scandé : « Morin, flic ! » J’avais donc identifié des signes avant-coureurs. Pour autant, je n’avais nullement imaginé la tournure qu’allaient prendre les événements en France. »

Il parle aussi qu’au milieu de toutes les révoltes étudiantes dans le monde en 68, il y a une exception française car c’est la seule qui ait débordé l’université pour investir tous les champs de la société et provoquer une crise politique majeure.

« Mai-68 est un événement complexe, mélange de nécessité – le contexte universitaire international – et de hasard. Dans ce pays à l’économie florissante qu’est la France des années 1960, où l’ordre gaulliste semble avoir étouffé le débat politique, se produit un phénomène assez imprévisible de contagion en chaîne, de Nanterre au Quartier latin, puis du Quartier latin aux universités de province, des étudiants aux artistes et intellectuels, enfin de ces milieux privilégiés aux masses populaires.

Plusieurs facteurs ont joué. En France, les étudiants étaient moins isolés dans la société que ne l’étaient leurs homologues étrangers. L’influence des intellectuels était chez nous bien plus forte. Surtout, un événement décisif se produit début mai à la Sorbonne, lorsque cette révolte née dans un esprit principalement libertaire, l’esprit du Mouvement du 22 Mars de Nanterre animé par le génial petit stratège qu’était Dany Cohn-Bendit, est ralliée par des groupuscules trotskistes et maoïstes.

Les militants politisés disent alors aux étudiants : « Vos aspirations, votre quête de liberté, de fraternité, nous allons les réaliser par notre révolution. » Dès lors, les étudiants révoltés font des appels pressants à la classe supposée révolutionnaire qu’est la classe ouvrière. Et, malgré les réticences des dirigeants syndicalistes et communistes, le mouvement parvient à sortir de l’université pour s’agréger les revendications sociales et politiques de millions de Français, qui vont faire grève dans les usines puis dans les bureaux.

Dans cet effet boule de neige, l’imaginaire joue un rôle essentiel. En passant des manifestations, des slogans et des affiches aux barricades, on passe du jeu, de la kermesse, à l’affrontement violent. Alors se réveille une mémoire historique, celle des insurrections du passé, y compris le soulèvement relativement récent de Paris en août 1944. On réactive la tradition insurrectionnelle de la France, qui a toujours mêlé les âges et les conditions sociales. »

Et puis il répond directement à la « révolution introuvable » de Raymond Aron :

« Après la fin des événements, l’idée que Mai-68 aurait été une insurrection ratée a été propagée aussi bien par la droite, qui se vantait de l’avoir empêchée, que par l’extrême gauche, qui a voulu y voir une répétition générale de la révolution à venir. Or penser Mai-68 comme un épisode révolutionnaire classique, c’est passer à côté de sa vérité.

Avec mes amis Cornelius Castoriadis et Claude Lefort, dans un livre que nous avons publié quelques semaines après les événements (1), nous avons au contraire avancé l’idée que Mai-68 avait été une brèche sous la ligne de flottaison de l’ordre social, par laquelle se sont engouffrées des valeurs, des aspirations, des idées nouvelles, appelées à transformer en profondeur notre civilisation. Avec Mai, rien ne change et tout change. L’ordre politique, social, économique est rétabli dès le mois de juin, mais un processus s’est enclenché qui va bouleverser l’esprit du temps et les sensibilités.

La première traînée de Mai-68, la plus visible, c’est la montée en puissance de ce qu’on a appelé le gauchisme, qui a tenu une place essentielle au sein de la jeunesse intellectuelle de la première moitié des années 1970. Ces militants trotskistes d’une part, maoïstes de l’autre, étaient alternativement excités et modérés par une partie de l’intelligentsia française, derrière Jean-Paul Sartre et Maurice Clavel.

A la différence de l’Allemagne et de l’Italie, il n’y a pas eu en France de minorité qui se soit lancée dans le terrorisme, mais des jeunes maoïstes sont par exemple allés en usine découvrir la condition ouvrière et propager la bonne parole. Reste qu’en 1977 le marxisme-léninisme connaît chez nous un collapsus brutal, lorsque l’épisode grotesque de la Bande des Quatre ternit le mythe maoïste, que le régime idéalisé de Hô Chi Minh au Vietnam révèle son visage dictatorial, que le message des dissidents soviétiques commence enfin à se faire entendre.

Dès lors, on a pu mieux mesurer l’importance de dynamiques sociales plus profondes, et durables, qui se sont enclenchées autour de 68 : l’émancipation des femmes, l’émergence d’une culture de la différence – celle des homosexuels ou, sur un tout autre plan, celle des néo-régionalistes –, le goût de l’expérience, individuelle ou communautaire, l’émergence aussi d’une conscience écologique, la mise en question du progrès scientifique.

Toutes ces dynamiques, filles de Mai, ont eu tendance à transformer l’euphorie de la civilisation du bien-être en problématisation. La presse féminine, qui vendait du bonheur, s’est mise à poser le problème du vieillissement, de l’abandon. Au cinéma, la fin des films n’a plus été systématiquement heureuse. L’air du temps a changé : on a vu une poussée conjointe du désir et de l’inquiétude, le doute critique a succédé à la croyance majoritaire dans le progrès technique et social des années 1950 et 1960, les malaises croissants ont cherché ou trouvé leurs remèdes dans l’antipsychiatrie, le yogisme, le bouddhisme zen

Cette évolution des mentalités, conjuguée aux effets du choc pétrolier de 1973, a fini par détruire la tranquille assurance des officiels de la pensée et de la politique, qui croyaient qu’après 1945 la meilleure des sociétés possibles s’était enfin installée, et qu’elle ne pouvait que progresser dans ses bienfaits. »

Edgar Morin parle aussi de ce que Mai 68 lui a apporté personnellement :

« Est-ce que vous aussi, en tant que penseur et en tant qu’homme, avez été changé par Mai-68?

Ces événements m’ont marqué, indéniablement. Sur le moment, en observant les manifestations, j’ai été témoin d’un instant unique. D’un seul coup, dans les rues, les gens qui ne se connaissaient pas se sont mis à se parler. C’était une extase de l’histoire, comme j’en ai vécu deux autres, en juin 36 puis, surtout, à la Libération de Paris.

Même s’ils n’ont duré qu’un instant, même s’ils n’ont pas été suivis de tous les effets attendus, ces moments ont existé. Et le souvenir de l’extase, de la communion, reste bien vivant en moi. D’autant que j’ai eu la chance de regoûter à cette atmosphère l’année suivante en Californie, quand j’ai été invité à travailler plusieurs mois au Salk Institute for Biological Studies de San Diego. La Californie vivait alors les derniers mois d’une floraison magnifique, un Mai-68 qui a duré quatre ans, de 1967 à 1970. La fête ne s’arrêtait jamais. La vie et les idées se mêlaient. J’ai fréquenté des intellectuels dont j’ai appris beaucoup de choses, tout en passant avec eux des soirées à danser et à fumer de la marijuana.

J’ai écrit, alors : « A 48 ans, j’apprends à vivre », ce qui m’a évidemment valu des moqueries. Mais de fait, c’est à ce moment-là que je me suis autorisé à prendre la parole dans mes écrits, à exprimer des opinions et des interrogations personnelles – j’ai alors osé publier « le Vif du sujet », une longue méditation rédigée des années plus tôt, puis un Journal de Californie où je mêlais de même idées et expériences personnelles. Et cette ambiance, ces échanges incessants, ont aussi profondément influencé ma réflexion : c’est en Californie que je me suis définitivement convaincu de la nécessité de décloisonner les disciplines, de relier les savoirs pour penser la complexité. »

Et aujourd’hui à 96 ans Edgar Morin arrive à la conclusion que j’ai mis en exergue de ce mot du jour : « Cette brèche ne s’est pas refermée » :

[La brèche est] toujours plus béante. Le problème civilisationnel mis en évidence par Mai-68 s’est aggravé, s’est durci : le rejet d’une civilisation qui prétend apporter aux hommes le bien-être, mais ne parvient pas à combler leurs aspirations profondes, est au cœur de nos difficultés contemporaines, collectives et individuelles. Consacré par la chute du communisme puis la mondialisation, le dogme néolibéral apparu dans les années 1970 a beau se présenter comme une réalité incontournable, sans alternative, c’est en fait la nouvelle idéologie, qui masque sous le calcul les vraies réalités humaines, qui impose à nos vies ses contraintes économiques et chronométriques.

Nous avons besoin d’autre chose. Nous résistons chacun à notre façon : dans nos amitiés, nos amours parfois clandestines, nos jeux, nos « bonnes bouffes », nos danses, nous essayons d’arracher des bouts de poésie, cette poésie qui s’affichait sur les murs en Mai-68. N’oublions pas le sens de ces graffitis, « Sous les pavés, la plage », « Jouir sans entraves » : ils expriment l’aspiration à vivre poétiquement, c’est-à-dire dans la ferveur, l’intensité, la communion, loin de la vie sociale de plus en plus prosaïsée du monde adulte.

[…]

Au cours du dernier demi-siècle, les conquêtes des individualismes ont en effet contribué à dégrader les solidarités de nos sociétés. Au fur et à mesure que s’accroissait leur autonomie, les individus se sont retrouvés toujours plus compartimentés, isolés. C’est le grand défi actuel pour notre civilisation : tout en préservant l’autonomie individuelle, elle doit trouver un moyen d’insuffler un renouveau communautaire. Cela ne passera ni par une révolution marxiste-léniniste ni même sans doute par une explosion généralisée comme celle de 68.

Mais ce besoin révolutionnant renaîtra nécessairement suivant d’autres modalités. Il me semble d’ailleurs voir poindre, depuis quelques années, un phénomène qui répond en partie à ce besoin : l’essor des mouvements associatifs prônant des formes nouvelles de solidarité est une façon de retrouver les aspirations exprimées par Mai-68.

Je pense aux ZAD, à Nuit debout, aux associations anticorruption, à celles qui réclament la taxation des transactions financières, mais aussi aux écoquartiers, à l’agroécologie, à l’économie sociale et solidaire… Les milliers d’initiatives pour le mieux-vivre qui se multiplient en France et dans le monde, ce nouveau bouillonnement que ne voient ni les administrations ni les partis, c’est le regain de 68 sous de nouvelles formes et dans de nouvelles conditions. »

J’ai cité la quasi l’intégralité de cet article, car je n’ai rien trouvé de plus intelligent, pour l’instant, sur ce que signifiait Mai 1968 et sur ce qui reste aujourd’hui de cette aspiration à d’autres projets et d’autres valeurs.

Et en 1968, le 23 mai était un jeudi et plus précisément le Jeudi de l’Ascension. Philippe Sollers, devant les écrivains occupant la Société des gens de lettres, proclame: «Toute révolution ne peut être que marxiste-léniniste.»

La CGT approuve la décision d’interdiction de séjour prise à l’encontre de Cohn-Bendit. Les étudiants allemands prévoient de se réunir à Sarrebruck avec l’intéressé, et les Français à Strasbourg pour organiser le retour en force de Cohn-Bendit par le pont de l’Europe entre Kehl et Strasbourg.

A 21h30, des barricades se lèvent sur le boulevard Saint-Michel, grilles d’arbres, bancs arrachés, panneaux de signalisation, palissades, détritus, cette fois, il ne s’agit pas de tenir les barrages mais d’y mettre le feu pour retarder l’avancée des policiers. Des flammes montent de la chaussée jusqu’aux premiers étages, le dernier appel au calme d’Alain Geismar se perd en fumée. On abat des arbres, les forces de l’ordre mettront trois heures pour reprendre le boulevard.

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Jeudi 19 avril 2018

« Sperme rouge »
Nouvelle initiative de chinois communistes et zélés

Il ne faut pas se limiter à parler de la France sinon nous risquons le nombrilisme. Nous pouvons nous intéresser aussi à l’Empire du Milieu. La Chine n’en finit pas de nous surprendre et pas forcément en bien.

Il y a peu de temps, le Président Xi Jinping est parvenu a faire accepter qu’il pouvait ne plus y avoir de limites à sa reconduction en tant que Président de Chine, alors que ses prédécesseurs avaient décidé de ne plus faire que deux mandats pour éviter la dérive du culte de la personnalité maoïste.

Beaucoup plus inquiétant encore : le développement de l’application Crédit Sésame qui a pour finalité d’évaluer le crédit social individuel de chaque citoyen chinois. Le score de chacun est basé sur des facteurs, comme la loyauté envers le gouvernement chinois, la fidélité aux marques chinoises, à partir de ses interactions sur les médias sociaux et des achats effectués en ligne. Avoir un score élevé permet un accès plus facile à des prêts, simplifie l’accès à l’emploi et donne priorité lors de démarches administratives. Un faible score, ou le fait d’être associé à quelqu’un avec un score faible peut avoir une série de conséquences négatives : la baisse de la vitesse de l’internet, l’accès plus difficile à des offres d’emploi, des prêts ou des démarches administratives.

<Le Monde du 9 avril> nous fait part dans un article d’une nouvelle initiative de membres du Parti Communiste particulièrement zélés.

Cet article nous apprend que la Chine dispose de 23 banques de sperme chinoises dont l’« Hôpital n° 3 de l’université de Pékin ».

Cette institution a innové et via la messagerie chinoise, WeChat, mercredi 4 avril a précisé qu’elle voulait :

Des donneurs dotés « de la plus haute qualité idéologique ». Ceux-ci doivent « défendre le rôle dirigeant du parti, faire preuve de loyauté envers la cause du parti et être des citoyens honnêtes, respectueux de la loi, et libres de tout problème politique ».

<Le FIGARO> qui reprend cette information précise que les chauves et « d’autres caractéristiques » sont également exclus :

« L’annonce, qui s’adresse aux hommes de 20 à 45 ans, précise par ailleurs que les donneurs potentiels souffrant d’une maladie génétique ou infectieuse seront écartés. Ceux présentant des signes de surpoids, de daltonisme…et même de calvitie sont également priés de passer leur chemin. »

Le Figaro précise que :

« Cette publicité a été lancée alors que les banques de spermes peineraient à attirer suffisamment de donneurs. La demande pour des inséminations artificielles aurait en effet augmenté depuis que les familles ont été autorisées- il y a un peu plus de deux ans – à avoir deux enfants, explique un article paru dans la presse officielle en 2016. »

<Le site des inrocks> publie aussi un article sur ce sujet.

Malgré tout l’encadrement et la normalisation du Parti les réseaux sociaux chinois gardent une capacité certaine de réagir et le Monde nous apprend que :

« Le message publicitaire a toutefois été effacé vendredi après une volée de quolibets sur les réseaux sociaux chinois autour de ce « sperme rouge » au fort relent d’eugénisme. »

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Mardi 21 novembre 2017

« La part d’ange en nous. Histoire de la violence et de son déclin »
Steven Pinker

Ce n’est pas la première fois que je m’intéresse à des scientifiques ou des études qui montrent que monde va dans le bon sens dans beaucoup de domaines.

Ainsi dans le mot du jour du 7 mars 2017 qui se situe dans la série consacrée à Michel Serres, ce dernier écrivait : « Le premier âge est plus long qu’on ne le croit ; Le deuxième pire qu’on ne le pense ; Le dernier meilleur qu’on ne le dit. », Michel Serres, « darwin, Bonaparte et le samaritain »

Plus explicite encore, le mot du jour du 19 décembre 2016 où j’évoquais un livre de Johan Norberg «Ten Reasons to Look Forward to the Future Progrès : dix raisons de se réjouir de l’avenir».

Cette fois il s’agit de l’évolution de la violence dans l’Histoire de l’humanité.

Steve Pinker, d’origine canadienne, est professeur de psychologie cognitiviste à l’université Harvard et vient de publier un livre : « la Part d’ange en nous » (Les Arènes)qui a pour sous-titre : « Histoire de la violence et de son déclin »

C’est un livre de 1000 pages qui nous apprend que la violence ne fait que régresser depuis les premiers temps de l’humanité, qu’il s’agisse de la violence guerrière ou de la criminalité.

Laurent Joffrin l’a interviewé dans <Libération du 17 novembre 2017>.

Mais avant d’en venir à cet entretien, je vous conseille de regarder une TED Conférence que cet auteur a tenu où il tente de démonter le <le mythe de la violence>

C’est une conférence de 2007, ses références sont le Darfour et l’Irak, aujourd’hui on parlerait des Rohingyas
ou des syriens
mais il dirait la même chose même si cela semble illogique voire obscène quand on pense à ces massacres d’aujourd’hui, nous vivons dans l’époque la plus paisible depuis que notre espèce existe.

Et comme premier exemple pour s’en convaincre, il en appelle au livre saint de notre civilisation, « la Bible » qui devrait nous enseigner l’amour, la paix et qui est a priori la source de nos valeurs morales.

Et il cite le livre des Nombres au chapitre 31 Nombres 31

« Moïse leur dit: Avez-vous laissé la vie à toutes les femmes? Voici, ce sont elles qui, sur la parole de Balaam, ont entraîné les enfants d’Israël à l’infidélité envers l’Eternel, dans l’affaire de Peor; et alors éclata la plaie dans l’assemblée de l’Eternel. Maintenant, tuez tout mâle parmi les petits enfants, et tuez toute femme qui a connu un homme en couchant avec lui; 18mais laissez en vie pour vous toutes les filles qui n’ont point connu la couche d’un homme. »

Si le texte biblique n’est pas assez clair, Moïse dit simplement à ses hommes qui ont déjà tué tous les hommes parmi la troupe ennemie, de tuer tous les enfants mâles même les plus petits et de tuer toutes les femmes et filles non vierges et de violer les autres.

En dehors de la description probablement réaliste de la manière dont se passait la guerre au temps de Moïse, Steven Pinker cite une étude qui conclut que dans les pays occidentaux lorsque le taux d’homicide par an était de 100 morts pour 100 000 habitants au moyen âge, il est désormais à moins d’un mort pour 100 000. Il y a eu baisse de deux ordres de grandeurs entre le moyen-âge et notre période concernant le taux d’homicide.

Selon Pinker, le point de bascule est situé au début du 16ème siècle, donc à l’entrée dans la renaissance..

De la même manière si on se place sur les dernières décennies depuis 1950, la diminution des guerres inter étatiques et des guerres civiles est très importantes.

Alors il pose cette question : pourquoi l’impression est contraire ?

Il donne 4 raisons :

  • Parce que nous avons d’excellents journalistes et des moyens d’information qui nous renseignent de mieux en mieux.
  • Il y a aussi une illusion cognitive que connaissent les psychologues cognitif comme moi : Plus on est en capacité de se rappeler de quelque chose plus on lui attribue une probabilité forte.
  • Des titres alarmants accompagnés de photos montrant des situations affreuses marquent bien davantage notre esprit que les statistiques qui donnent le nombre de gens morts de vieillesse dans leur lit.
  • Il y a aussi une dynamique du marché : Personne n’a jamais attiré d’observateurs de défenseurs de donateurs en disant les choses vont de mieux en mieux..

On compare à nos standards du moment. Nous sommes scandalisés à juste titre qu’on mette à mort quelques individus par injection létale au bout de 15 ans de procédures. Il y a quelques centaines d’année on envoyait au bucher massivement après un procès de 10 minutes parce que ces individus avaient critiqué le roi.

Dans l’article de Libération il évoque le terrorisme qui est la forme de violence la plus spectaculaire et souvent la plus redoutée aujourd’hui. . Cette réalité vient-elle contredire votre diagnostic ?

Mais cette réalité ne contredit pas son diagnostic :

« Le terrorisme est un phénomène terrible. Mais son importance statistique est minime. Cela correspond d’ailleurs à sa définition : ce sont des actes peu nombreux destinés à produire un effet psychologique massif. Les terroristes visent avant tout à manipuler les médias pour attirer l’attention sur une cause particulière. Statistiquement, le terrorisme d’aujourd’hui est infiniment moins dangereux que la jalousie des maris qui assassinent leurs femmes, ou le mauvais fonctionnement de certains appareils ménagers qui causent des accidents domestiques. J’ajoute qu’en Europe, le terrorisme jihadiste, qu’on appelle parfois «hyperterrorisme», cause moins de victimes que les terrorismes des années 70, ceux de l’IRA, d’ETA ou des «années de plomb» en Italie. En fait, son effet psychologique est important parce que la population estime aujourd’hui que le seul niveau acceptable de violence politique se situe aux alentours de zéro, alors qu’on se résignait dans le passé à des niveaux très supérieurs. »

Il reconnait cependant que la sensibilité à la violence a augmenté alors que le nombre d’actes violents diminue :

« Parce que notre système de valeurs évolue. Nous accordons aujourd’hui à la vie humaine un prix très supérieur à celui du passé. C’est peut-être aussi parce que le nombre des accidents et des morts par maladie diminue lui aussi sans cesse. On meurt moins que par le passé de noyade, de chute inopinée, d’accident de voiture, d’incendies ou de maladie. Le monde est de plus en plus sûr, c’est un phénomène fondamental. Sauf bien sûr dans certains pays comme l’Irak ou la Syrie. Mais partout ailleurs, la sécurité de la vie quotidienne ne cesse de progresser. »

Maintenant nous pouvons continuer à critiquer le temps présent et trouver qu’il y a toujours trop de violences et de massacres, mais en reconnaissant que nous avons beaucoup progressé.

Je vous renvoie vers l’entretien de <Libération du 17 novembre 2017>.

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Jeudi 5 octobre 2017

«L’anxiété démographique des pays de l’Europe centrale».
Ivan Krastev

L’évolution des pays d’Europe centrale qui ont intégré l’Union européenne nous inquiète. Ces pays qui mettent à leur tête des responsables qui comme Viktor Orban sont des adeptes de la « démocratie illibérale » ou des gouvernants qui comme en Pologne entendent changer les livres d’Histoire, se révèle en outre xénophobes.

Brice Couturier qui continue à s’interroger sur les cultures du monde en sortant de la seule préoccupation franco-française, a commis une chronique sur ce sujet.

Il explique que notamment ces petites nations, traumatisées par une histoire tragique, avaient intégré l’Union européenne pour s’arrimer solidement à une alliance d’Etats démocratiques et intégrer un bloc commercial prospère et solidaire. A l’époque où elles ont fait ce choix, elles venaient d’échapper à plus de quatre décennies de dépendance envers l’empire soviétique et elles se félicitaient d’avoir récupéré leur souveraineté nationale.

Elles ignoraient le « trilemme d’incompatibilité de Rodrik »….

Et Brice Couturier de nous expliquer la théorie de cet économiste de Harvard :

« vous ne pouvez pas avoir en même temps ces trois choses : la démocratie, la souveraineté nationale et une intégration économique poussée. Il y en aura toujours une qui sera sacrifiée. C’est exactement la logique qui a poussé les Anglais au Brexit : de leur expérience de l’Union européenne, ils ont conclu que l’intégration dans l’UE était incompatible soit avec leur souveraineté soit avec leur démocratie et ils sont partis dans l’idée de récupérer l’une et l’autre. »

Mais ce qui m’a surtout intéressé c’est le livre d’Ivan Krastev dans lequel il développe ce concept de l’anxiété démographique des pays de l’Europe Centrale :

Le politologue bulgare, mais pan-européen Ivan Krastev vient de publier un nouveau livre qui s’inspire de cette thèse pour expliquer pourquoi les Etats-membres d’Europe centrale sont en train de se détacher de l’UE.

Le titre en anglais « After Europe », en allemand, c’est encore pire « Europadämmerung », « le Crépuscule de l’Europe »…

Pour Krastev, les peuples d’Europe centrale connaissent ce qu’il appelle une « anxiété démographique ».

Depuis 1989 et l’ouverture de leurs frontières, la Pologne a vu partir vers l’Ouest 2 millions et demi de ses habitants, partis chercher des emplois mieux rémunérés. 3 millions et demi de Roumains. La population de la minuscule Lituanie est passée de 3 millions et demi à 2 millions 900 000. 10 % de la population bulgare a quitté le pays.

Or, ce sont des pays qui connaissent des taux de fécondité très faibles, très éloignés du niveau de maintien de leur population : 1,3 en Pologne, en Bulgarie, 1,4 en Hongrie ou en Slovaquie.

« Qui lira encore de la poésie bulgare dans cent ans ? », se demande Krastev lui-même.

Les jeunes diplômés, en particulier, choisissent Londres ou Francfort.

La partie de la population qui n’est pas mobile, qui ne possède pas les diplômes qui lui permettrait de profiter de l’ouverture ressent très mal cette situation. C’est elle qui constitue l’électorat du PiS, au pouvoir en Pologne, du FIDESZ au pouvoir en Hongrie.

Sentir que le monde dont on vient est en train de s’effondrer crée rarement des pensées positives. Et c’est probablement ce qui arrive aux polonais, aux hongrois, aux bulgares.

Et Brice Couturier continue de rapporter les développements de Krastev :

« Dans ces pays, la crise des migrants a constitué un tournant et un immense traumatisme.

Elle les a ramenés à leur déclin démographique et a relancé leur « anxiété démographique ».

Viktor Orban, le dirigeant hongrois, a déclaré « la question historique à laquelle nous sommes confrontés, c’est de savoir si l’Europe va demeurer le continent des Européens ». Les centre-Européens, selon Krastev, se sentent « trahis » par l’UE, qui ne comprend pas leur anxiété et les traite de populistes.

Et il conclut sur de sombres prophéties : la désintégration de l’Union européenne serait inéluctable… »

<Lien vers l’émission de Brice Couturier>

On peut ne pas approuver les dérives de ces pays de l’Europe centrale. Mais si on veut trouver des solutions, il est nécessaire de comprendre ce qui se passe au sein de ces peuples.

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Jeudi 31 août 2017

« Je crois que le tourisme est une des modalités de destruction de la vie intérieure. »
Marin de Viry

Pour continuer la réflexion sur le tourisme de masse, je partage avec vous cet article du Figaro < Marin de Viry: «Comment le tourisme de masse a tué le voyage»>

Le Figaro nous apprend que Marin de Viry est écrivain et critique littéraire et qu’il est l’auteur d’un essai sur le tourisme de masse: <Tous touristes (Café Voltaire, Flammarion, 2010)>.

Probablement qu’il est rassurant de considérer que son propos est provocateur. Il peut aussi être accusé d’élitisme, car selon lui tant qu’un petit nombre d’aristocrates pouvaient s’adonner à ce loisir, les choses étaient acceptables. Ce serait donc les conquêtes sociales qui seraient en cause.

Son regard me semble quand même intéressant : il reparle du divertissement pascalien et bien sûr, en creux, du paraître et de la superficialité.

Marin de Viry explique notamment :

« Le tourisme n’a plus rien à voir avec ses racines. Quand il est né au XVIIIe siècle, c’était l’expérience personnelle d’un homme de «condition», un voyage initiatique au cours duquel il devait confronter son honneur – c’est-à-dire le petit nombre de principes qui lui avaient été inculqués – à des mondes qui n’étaient pas les siens. Il s’agissait de voir justement si ces principes résisteraient, s’ils étaient universels. Un moyen d’atteindre l’âge d’homme, en somme. Le voyage, c’était alors le risque, les accidents, les rencontres, les sidérations, autant de modalités d’un choc attendu, espéré, entre le spectacle du monde et la façon dont l’individu avait conçu ce monde à l’intérieur de sa culture originelle.

Au XIXe, tout change: le bourgeois veut se raccrocher à l’aristocrate du XVIIIe à travers le voyage, qui devient alors une forme de mimétisme statutaire. Le bourgeois du XIXe siècle voyage pour pouvoir dire «j’y étais». C’est ce qui fait dire à Flaubert lorsqu’il voyage avec Maxime Du Camp en Égypte: mais qu’est-ce que je fais ici ? […]

Avec l’époque contemporaine, on a une totale rupture du tourisme avec ses racines intellectuelles. Même chez ceux qui aujourd’hui veulent renouer avec le voyage, pour s’opposer au tourisme de masse, il n’y a plus de profonde résonance, de profond besoin, car le monde est connu, et le perfectionnement de leur personne ne passe plus forcément par le voyage. Là où le voyage était un besoin, au XVIIIe, pour devenir un homme, se former, parachever son âme et son intelligence, il devient quelque chose de statutaire au XIXe, puis une simple façon de «s’éclater» aujourd’hui. C’est devenu une modalité de la fête permanente, laquelle est devenue banale. Le monde est ennuyeux parce qu’il est le réceptacle de la fête, devenue banale. »

A la question, dans notre monde globalisé, est-il encore possible de voyager? Il répond :

«Toute la question est de savoir s’il reste des destinations ouvertes à la curiosité. Or, plus elles sont organisées, balisées par le marketing touristique de la destination, moins elles sont ouvertes à la curiosité. […]

Je vais être néo-marxiste, mais je crois que c’est le salariat, plus que la démocratisation, qui change tout. Les congés payés font partie du deal entre celui qui a besoin de la force de travail et celui qui la fournit. À quoi s’ajoute la festivisation, qui est d’abord la haine de la vie quotidienne. Et il est convenu que la destination doit être la plus exotique possible, car la banalité de la vie quotidienne, du travail, est à fuir absolument. Au fur et à mesure de l’expansion du monde occidental, la fête se substitue à la banalité, et la banalité devient un repoussoir. Il n’y a pas d’idée plus hostile à la modernité que le pain quotidien.

Autour de ce deal s’organise une industrie qui prend les gens comme ils sont, individualisés, atomisés, incultes, pas curieux, désirant vivre dans le régime de la distraction, au sens pascalien du terme, c’est-à-dire le désir d’être hors de soi. Le tourisme contemporain est l’accomplissement du divertissement pascalien, c’est-à-dire le désir d’être hors de soi plutôt que celui de s’accomplir. […]

Il nous donne, selon lui, le nom de l’inventeur du tourisme de masse, un puritain et en déduit le côté religieux du tourisme :

« C’est Thomas Cook qui invente le tourisme de masse. Cet entrepreneur de confession baptiste organise, en juillet 1841 le premier voyage collectif en train, à un shilling par tête de Leiceister à Loughborough, pour 500 militants d’une ligue de vertu antialcoolique. C’est la première fois qu’on rassemble des gens dans une gare, qu’on les compte, qu’on vérifie s’ils sont bien sur la liste, qu’on déroule un programme. Les racines religieuses puritaines ne sont pas anodines. Il y a comme un air de pèlerinage, de communion collective, dans le tourisme de masse. Le tourisme est très religieux. Et il y a en effet quelque chose de sacré au fait de pouvoir disposer de la géographie du monde pour sortir de soi. S’éclater à Cuba, c’est une messe ! »

Marin de Viry devient alors plus philosophe dans ses réflexions. J’en ai extrait l’exergue de ce mot du jour. Exergue qui aurait aussi pu être : « L’industrie du tourisme ne veut pas que ses clients abdiquent leur raison devant la beauté, mais qu’ils payent pour le plaisir. »

«Nous sommes dans la culture de l’éclate, de la distraction permanente, sans aucune possibilité de retour sur soi. Le monde moderne est une «conspiration contre toute espèce de vie intérieure», écrivait Bernanos. Je crois que le tourisme est une des modalités de destruction de la vie intérieure.

Prenons l’exemple du «syndrome de Stendhal». Stendhal s’est senti mal à force de voir trop de belles choses à Rome et à Florence. Trop de beauté crée un état de sidération, puis de délire confusionnel: en Italie, on est souvent submergé par le superflu. C’est l’expérience limite de la vie intérieure: la beauté vous fait perdre la raison. C’est exactement le contraire que vise l’industrie touristique, qui cherche à vendre la beauté par appartements, en petites doses sécables d’effusions esthétiques marchandisées. Elle ne veut pas que ses clients abdiquent leur raison devant la beauté, mais qu’ils payent pour le plaisir. Immense différence. »

Le journaliste se réfère alors à Michel Houellebecq qui décrit une France muséale, paradis touristique, vaste hôtel pour touristes chinois pour demander si c’est le destin de la France ?

«[…] Je ne suis pas totalement dégoûté par le scénario de Houellebecq. C’est une France apaisée, bucolique. On retournerait tous à la campagne pour accueillir des cohortes d’Asiatiques et de Californiens. On leur expliquerait ce qu’est une église romane, une cathédrale, une mairie de la IIIème République, un beffroi. Ce serait abandonner notre destin pour se lover dans un scénario tendanciel dégradé mais agréablement aménagé, et nous deviendrions un pays vitrifié plutôt qu’un pays vivant. Nous aurions été détruits par la mondialisation, mais notre capital culturel nous sauverait de l’humiliation totale: on nous garantirait des places de médiateurs culturels sur le marché mondial. Si on pense que Dieu n’a pas voulu la France, ou que l’histoire n’a pas besoin de nous, on peut trouver ça acceptable. »

C’est un avis ! Il bouscule un peu, c’est en cela qu’il peut être utile.

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Mercredi 30 août 2017

« Le tourisme de masse »
Conséquence de la démocratisation des congés et de l’augmentation du niveau de vie dans le monde.

Un des moyens les plus commodes pour occuper son temps libre et notamment les vacances est de faire du tourisme.

Le tourisme est désormais une industrie extrêmement importante au niveau mondial et pour certains pays la première.

<Cet article du Parisien> nous apprend qu’en 2016, le nombre de touristes a progressé de 4% au niveau mondial, atteignant 1,2 milliard de visiteurs, grâce à la croissance du nombre de voyageurs provenant d’Asie (+8%).

L’Europe reste la région du monde la plus visitée, avec 620 millions de touristes, mais le nombre de visiteurs y a moins progressé (+2%) que l’année précédente en raison des craintes liées à la sécurité dans certains pays. Mais les résultats européens sont « très mitigés », certaines destinations ayant « un taux de croissance à deux chiffres et d’autres un taux plat » précise l’Organisation mondiale du Tourisme (OMT).

Et en 2017, le tourisme mondial devrait continuer à croître de 3 à 4%, estime l’OMT. Le tourisme représente 10% du PIB mondial, 7% du commerce international et 30% des exportations de services, selon l’OMT. Un emploi sur 11 dans le monde provient du tourisme, si l’on tient compte des emplois directs, indirects et induits.

En France, le tourisme générait 7,1 % du PIB en 2015.

C’est donc une très bonne activité : elle donne de l’emploi, elle est a priori pacifique, elle permet de connaître d’autres pays autrement qu’en les envahissant par la guerre. Les allemands sont ainsi infiniment plus sympathiques depuis qu’ils viennent avec leur deutsch mark et maintenant leurs euros plutôt qu’avec leurs panzers.

Mais il y a pourtant un problème : le tourisme de masse.

  • Peut-être que les destinations qui en valent la peine sont limitées. C’est une hypothèse.
  • Le mimétisme constitue cependant un axe fort du comportement des humains qui aiment bien faire ce que font leurs voisins.
  • Et puis, il faut accueillir les touristes et donc les industries touristiques investissent à cette fin. Et lorsqu’ils ont créé les infrastructures adéquates, ils font ce qu’il faut pour rentabiliser leurs investissements et inciter les vacanciers à venir. Et cela marche bien. Ce qui a pour conséquence d’envoyer de plus en plus de vacanciers dans les endroits où les infrastructures se sont déployées en grand nombre.

Toujours est-il que ce tourisme de masse pose beaucoup de soucis notamment aux autochtones qui ne se gênent pour le dire, pour protester et même pour manifester leur hostilité aux vacanciers, à Barcelone, à Venise, au Portugal.

Le Monde explique ainsi que <l’Espagne dit son ras le bol du tourisme de masse> :

Le journal montre par exemple un graffiti au parc Güell, à Barcelone, le 10 août :

« Touriste : ton voyage de luxe, ma misère quotidienne »

Puis pose la question :

« L’Espagne est-elle atteinte de « tourismophobie » ? Alors que leur pays s’apprête à battre de nouveaux records – il a déjà accueilli plus de 36 millions de visiteurs (11,6 % de plus qu’en 2016) et devrait dépasser les 80 millions avant la fin de l’année –, les Espagnols s’interrogent sur les méfaits induits par un secteur qui représente 11,2 % du produit intérieur brut (PIB) et qui fait vivre 2,5 millions de personnes. »

Il faut dire que certains vacanciers sont particulièrement atteints du syndrome : « Pour occuper mon temps libre, je fais n’importe quoi »

« L’hôpital universitaire de Palma de Majorque, Son Espases, est ainsi devenu une référence mondiale dans une spécialité assez particulière : soigner des vacanciers blessés lors d’un balconing, une pratique qui consiste à sauter d’un balcon à un autre, ou dans une piscine. Le profil des quarante-six personnes soignées par l’établissement entre 2010 et 2015 ? D’après un rapport publié en mars : jeune (environ 24 ans), majoritairement britannique (60,8 %) et complètement ivre.

Dernière victime en date, un Irlandais de 27 ans qui s’est jeté de sa chambre d’hôtel de San Antonio (Ibiza) début juillet. Le balconing aurait déjà causé la mort de trois touristes à Majorque depuis le début de l’été, selon les autorités locales.

Il y a aussi les booze cruises (les « croisières arrosées ») pour lesquelles on peut embarquer depuis la plage de Magaluf (Majorque) et qui offrent trois heures de musique et de boissons non-stop sur des bateaux bondés pour 55 euros… »

Alors il y a des réactions et une saine colère !

« Fin juillet, quatre personnes encagoulées ont subitement obligé un bus touristique de Barcelone à s’arrêter : elles ont crevé les pneus du véhicule avant de peindre sur son pare-brise le slogan « Le tourisme tue les quartiers ». L’attaque a été revendiquée par le collectif Arran, le mouvement de jeunesse du parti d’extrême gauche indépendantiste CUP.

Ses militants dénoncent « un modèle de tourisme qui génère des bénéfices pour très peu de personnes et aggrave les conditions de vie de la majorité ». Ils ont aussi lancé des confettis aux clients d’un restaurant du port de Palma de Majorque et collé des centaines de stickers sur des véhicules de location contre le « tourisme qui tue Majorque ». »

Et si cette industrie donne de l’emploi, il s’agit surtout de jobs de m… :

« Le secteur emploie 13 % de la population active en Espagne, et jusqu’à 20 % en Catalogne. Mais il requiert surtout une main-d’œuvre peu chère et temporaire, donnant l’impression d’un « pays de serveurs » comme le dénonce régulièrement la presse ibérique. « La précarisation des emplois touristiques est de plus en plus problématique », affirme un rapport de l’université Loyola Andalucia publié en avril. »

Dans la même veine, le journal <Sud-Ouest> publie un article : « Stop au tourisme massif, nous voulons des quartiers pour vivre ! ».

Et la <Dépêche>, le journal de Toulouse explique que les capacités d’accueil espagnoles frisent la cote d’alerte et notamment que le phénomène Airbnb fait flamber le prix du mètre carré pour les habitants locaux qui ont de plus en plus de difficultés pour se loger et notamment loger les jeunes qui quittent la maison parentale.

<Le Journal La Croix essaye d’esquisser des solutions> : aux Baux de Provence, au Portugal, en Corse, en Ligurie. Les solutions préconisées peuvent se résumer : étaler la saison de tourisme, encadrer strictement la circulation automobile, développer des circuits contraignants et des transports en commun compétitifs, mettre en place des interdictions.

Certaines initiatives sont à souligner ainsi à Lisbonne :

«Le mur est peint en jaune. D’une couleur commune à Lisbonne, il passerait totalement inaperçu si un petit panneau d’interdiction original n’attirait l’attention des passants. « Pipi ici, non ! », lit-on sur le bandeau qui barre le petit personnage en train de se soulager. « Nous avons fait recouvrir le mur d’enceinte du centre de santé de notre quartier d’une peinture hydrofuge. Le liquide retourne dans les jambes de l’impétrant. C’est très efficace », expose calmement [une fonctionnaire de la ville] »

Le journal évoque aussi les villages des Cinque Terre, en Ligurie où des générations de paysans ont façonné les versants montagneux pour cultiver la terre en terrasses où sont plantées vignes, oliviers et citronniers. Toutes les terrasses sont soutenues par des murets en pierre sèche qui constituent le trait identitaire des Cinque Terre. Depuis son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco en 1997, ce lieu est visité chaque année par plus de 2 millions de vacanciers. Le tourisme est devenu la première source de revenus, avec tous les risques que cela engendre pour l’environnement et les activités traditionnelles. Un responsable exprime clairement la contradiction de ce type de tourisme :  « C’est l’histoire du serpent qui se mord la queue parce que le tourisme amène prospérité et dégradation […]. Le vrai désarroi des autochtones c’est la masse de croisiéristes qui n’ont pas le sens de l’écologie. Mais grâce au soutien des communes nous sommes les premiers en Italie à avoir pris des mesures originales pour préserver un site fragile. »

J’ai également écouté avec intérêt une émission de France Culture qui m’a paru équilibrée entre la dénonciation de dérives insupportables et la préservation d’une industrie soucieuse de maîtrise et de bien être pour tous : <Faut-il réguler le tourisme de masse ?>

Pour répondre à cette question, l’émission avait invité Josette Sicsic, directrice de l’observatoire Touriscopie et rédactrice en chef du journal mensuel Touriscopie et Jean Viard, sociologue et directeur de recherches au CNRS au CEVIPOF.

La réponse courte à la question, faut-il réguler, étant bien sûr : OUI. Car sinon on donnera raison à Jean Mistler  :

«Le tourisme est l’industrie qui consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux, dans des endroits qui seraient mieux sans eux »

Mais n’est ce pas déjà le cas dans les lieux où le tourisme de masse explose ?

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Mardi 29 août 2017

« Le Ministre du temps libre »
Création éphémère de François Mitterrand lors de son accession au pouvoir.

Le temps libre constitue une question sérieuse.

En 1981, quand François Mitterrand est élu président, nous sommes alors dans le monde de l’utopie et du rêve, il crée un Ministère du temps libre. Le Ministre qui héritera de ce poste s’appelait André Henry. C’était un ancien instituteur né en 1934 dans les Vosges qui fut responsable syndical d’abord dans le Syndicat national des instituteurs, puis dans la Fédération de l’Éducation nationale.

Ce Ministère avait sous sa responsabilité deux secrétaires d’état : l’un chargé de la Jeunesse et des Sports et l’autre du Tourisme.

Résumons, il y a d’abord « du temps libre » et puis des conséquences : « Le sport » et le « tourisme ».

Tout ceci ne durera pas. En mars 1983, Mitterrand et son premier Ministre Pierre Mauroy décident d’un plan de rigueur, l’économie française n’a pas su faire face à l’utopie et aux rêves dans un monde ouvert et surtout aux désirs infinis de consommation pour l’essentiel de produits venant de l’étranger.

En avril 1983, le ministère du temps libre était supprimé. Il existe pourtant encore une trace de ce ministère éphémère : c’est celui des chèques vacances qui ont été créés à ce moment là. Toutefois, sa suppression ne peut qu’apparaître judicieuse à notre regard libertaire : que l’Etat songe à  organiser notre temps libre ne peut que nous heurter !

Cependant avec ou sans ministère, le temps libre reste une vraie question.

Que faisons-nous de notre temps libre ?

Parce que nous en avons beaucoup.

J’avais déjà consacré le mot du jour du 4 septembre 2014 à ce sujet : « Nous vivons dans une société du temps libre »

Je donnais la parole au sociologue Jean Viard qui nous expliquait qu’en 1914, un homme vivait en moyenne 500.000 heures, il dormait 200 000 heures, il travaillait 200 000 heures et il lui restait 100 000 heures pour faire autre chose. 
En 1914, il disposait donc de 20% de temps libre à occuper. A cette époque, les activités religieuses occupaient encore une grande place dans ce temps disponible.

Aujourd’hui, nous vivons en moyenne 700 000 heures (80 ans) et nous travaillons (si nous avons un emploi) 63 000 heures. On travaille donc à peu près 10% de notre vie. Les européens travaillent de 10 à 12%, les américains travaillent plutôt 16%. Désormais nos activités religieuses et peut être même spirituelles me semblent assez limitées dans le temps.

C’est très compliqué d’occuper autant de temps, surtout si on ne suit pas le conseil de Pascal que j’ai cité lors du mot du jour consacré au « divertissement Pascalien » : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre ».

Alors il faut jouer, regarder la télévision, surfer sur internet, jardiner, voyager, visiter, bref s’occuper l’esprit pour qu’il y ait toujours quelque chose qui chasse l’ennui.

Et puis, dans les rencontres il faut pouvoir dire quelque chose après « bonjour ».

Pour beaucoup, le redémarrage de la Ligue 1 constitue une aubaine : les derniers résultats de l’OL, de l’OM ou du PSG, l’arrivée de tel ou tel joueur contre un prix exorbitant quel que soit son art de manipuler un ballon de cuir constituent un moyen commode de lutter contre le silence.

Mais raconter ses vacances est aussi un excellent sujet qui peut être échangé assez facilement, avec quasi n’importe qui et sans trop d’implication personnelle.

Sujet de conversation donc idéal.

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Lundi 28 août 2017

« Les vacances »
Période pendant laquelle les gens qui ont du travail arrêtent de travailler.

Il me semble pertinent après cette longue trêve estivale d’évoquer les vacances.

Commençons d’abord par l’étymologie. Comme souvent ce mot vient du latin : « vacare ». Le wiktionnaire nous apprend qu’il s’agit de l’infinitif du verbe « vaco » qui a pour traduction : « Être vide, inoccupé, vacant, être sans maître, être sans emploi. »

<Dans ce dictionnaire spécialisé en latin> on ajoute à « inoccupé » le terme « être oisif », une connotation morale !

Quand on consulte le dictionnaire du CNRS : http://www.cnrtl.fr/etymologie/vacances, les rédacteurs de cet ouvrage font remonter le mot français au XIVème siècle : «  1305-07 « état d’une charge qui est sans titulaire » (Recueil de lettres anglo-françaises, éd. Tanquerey, p. 93»; puis plus précisément au XIXème siècle : « 1884 « caractère de ce qui est disponible » (Huysmans, À rebours, p. 288: la vacance de son esprit). »

Tout ceci nous ramène au concept de « ne rien faire » que j’avais développé lors du mot de jour de rentrée de 2015 : « L’art difficile de ne presque rien faire ».

La lecture du Canard Enchaîné du 9 août 2017 nous apprend que l’inénarrable Président des Etats-Unis actuel exprime un avis tranché sur les vacances :

« Ne prenez pas de vacances. Quel intérêt ? Si vous n’aimez pas votre travail, vous avez le mauvais boulot ».

Mais le canard enchaîné nous rassure, le pitre grotesque que les Etats-Uniens ont élu Président est en réalité un « glandeur », car en ce début d’août 2017 Donald Trump avait quitté son lieu de travail de la Maison Blanche pour 17 jours au profit d’une de ses luxueuses résidences de vacances : le Trump National Golf Club de Bedminster. Et le Washington Post a recensé le nombre de jours de congé qu’il a pris depuis le début de son mandat : 53 jours. Le Canard enchaîné explique que l’américain moyen n’a droit qu’à 10 jours par an en moyenne.

Mais si on peut croire le biographe de Trump, nous serons bientôt débarrassés de cet <histrion>, car comme <Le Point> le relate l’écrivain américain Tony Schwartz qui est l’auteur des mémoires du milliardaire, The Art of the Deal (1987) est persuadé que l’affaire russe aura raison de la présidence du 45e président des États-Unis et que ce dernier démissionnera dès l’automne. Le 21 décembre, nous serons à la fin de l’automne et nous examinerons si cette prédiction hardie s’est révélée exacte.

Les vacances sont donc une période pendant laquelle une personne cesse ses activités habituelles.

Wikipedia nous rend plus savant :

« Le concept des vacances est lié à l’apparition des civilisations urbaines, contrairement au monde agricole, qui à cause du climat, ne dicte pas un rythme de travail continu tout au long de l’année. Au Moyen Âge, il existait déjà en Europe de l’Ouest des « vacances » qui correspondaient à la période des moissons en été où les universités fermaient pour permettre à tous d’aller travailler aux champs.

Au XIXe siècle, les vacances se répandent dans toute l’aristocratie et la bourgeoisie d’Europe occidentale. Elles correspondaient donc à la période où les classes supérieures de la société quittaient leurs demeures principales (elles les laissaient vacantes) pour rejoindre des résidences secondaires, profiter de la nature […] ou des bienfaits du climat marin ou montagnard pour la santé.

Les Britanniques, dont l’économie était la plus florissante au monde, ont été les premiers à se tourner vers les stations balnéaires, d’abord sur leurs côtes, puis de l’autre côté de la Manche (à Deauville, Dinard, etc.) puis enfin dans le sud de la France, sur la Côte d’Azur (la Promenade des Anglais à Nice doit son nom aux nombreuses résidences où les Britanniques venaient passer les mois d’hiver) mais aussi à Biarritz. »

L’encyclopédie en ligne nous apprend surtout que la durée des vacances est très différente selon les pays :

« À Hong Kong, Singapour et Taïwan, les vacances sont de sept jours par an. […]. En France, le nombre théorique de jours de congés payés annuels est de 25 (cinq semaines). En 2008, c’est légèrement moins que la moyenne de l’Union européenne (25,2 jours). La durée des congés payés atteint 30 jours en Allemagne et au Danemark, 33 jours en Suède »

Cette petite énumération montre, encore une fois, la différence entre l’Europe et le reste du monde. Elle me fait penser à cette réflexion qu’un ministre allemand a partagé un jour avec un homologue asiatique : « Et en Europe nous sommes tellement riches que nous pouvons même payer des gens à ne pas travailler ! ». Il pensait certainement aux retraites, aux congés maternité, aux congés maladies mais aussi au temps incroyablement long par rapport à la moyenne mondiale de nos congés européens de l’ouest.

La question légitime que nous pouvons poser est celle de savoir, dans l’univers d’une globalisation qui tend à ramener le plus grand nombre vers une moyenne, si les standards européens se généraliseront ou si au contraire l’Europe va tendre vers ceux du reste du monde.

La durée et je dirai la sérénité des vacances sont liées en grande partie au salariat et au droit du travail. L’idée qu’il est envisageable de sortir du salariat pour entrer dans une logique indépendante, d’auto-entrepreneur ou de multiples contrats de mini jobs ou encore de contrats de projet ou de CDI de chantier pourrait avoir pour effet de rendre le temps libre moins serein et aussi de diminuer la durée de vacances réelle.

Mais comment occupe t’on son temps libre ?

Cela pourrait être le sujet des mots du jour suivant.

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