Vendredi 7 juin 2019

« La salle de bain, les perturbateurs endocriniens et Yuka »
Expérience sur des produits que nous utilisons

Il y a quelques années, j’avais des problèmes de gencives. J’étais très naturellement allé voir un professionnel, c’est-à-dire un dentiste.

Ce dentiste m’a conseillé de prendre une pâte gingivale bien connue, me semble t’il : « Arthrodont. »

J’utilise ce produit depuis plusieurs années.

Mais ce n’est que tout récemment que j’ai enfin cherché à savoir si ce produit était bon.

Cela fait pourtant longtemps, 2013, que le magazine <Que Choisir> nous avait informés :

« Des perturbateurs dans la salle de bains […]

Alors qu’on ne s’est jamais autant préoccupé du contenu de nos assiettes, nous sommes beaucoup moins attentifs aux effets indésirables des cosmétiques sur notre santé. Pourtant, les laboratoires y incorporent de nombreux composants chimiques : conservateurs, antioxydants, émollients, filtres solaires, etc., aux effets encore mal maîtrisés. Or, les quantités de ces produits que nous nous appliquons sur la peau au cours de notre vie sont loin d’être négligeables. Si l’on additionne le nombre de cosmétiques qu’une femme peut utiliser dans une journée, du lait de toilette au mascara en passant par la crème hydratante, le rouge à lèvres, le gel douche, le shampooing, la laque ou le fond de teint, on arrive souvent à plus de dix produits… qui contiennent plusieurs centaines de substances chimiques ! Et les hommes ne sont pas en reste. Il y a beau temps que leur consommation ne se résume plus aux produits de rasage et d’hygiène.

Depuis des années, de nombreux chercheurs, organismes et associations tirent la sonnette d’alarme sur les perturbateurs endocriniens (parabènes, filtres solaires, etc.). Ces substances chimiques ou naturelles sont capables de produire des effets nocifs sur l’organisme, même à très faibles doses. »

Pendant longtemps nous pensions que si un produit était dangereux, les autorités sanitaires ne permettraient pas qu’il soit commercialisé.

Quelques scandales plus tard et conscient du poids des lobbys, nous savons aujourd’hui que les autorités réagissent souvent bien trop tard.

Revenons à mon dentifrice et regardons la composition :

Nous voyons qu’il y a un paragraphe : « Excipient à effet notoire »

C’est sympa d’attirer notre attention.

Imprudent que j’étais, je n’avais jamais regardé cette composition de près.

On voit donc qu’il y a du « parahydroxybenzoate de propyle ». Quand on fait quelque recherche sur internet, on s’aperçoit qu’il a des synonymes :

le « 4-Hydroxybenzoate de propyle » « E 216 » et surtout le « le propylparabène »

Cette dernière appellation attire davantage le regard parce qu’il est question de « parabène » qui est connu comme un perturbateur endocrinien.

D’ailleurs, l’article de Que choisir cité ci-avant le cite..

On peut lire la version officielle dans <Wikipedia> :

« Beaucoup de consommateurs s’inquiètent et réagissent à la présence de ce produit dans plus de 400 médicaments, alors que l’on ne connait pas encore précisément l’impact de l’absorption de ce produit dans le corps.

Risques connus : Allergène mineur.

Risques soumis à études :

impact négatif sur le système endocrinien ;
risque cancérigène lié à la perturbation endocrinienne ;
impact négatif sur la fertilité masculine ;
reprotoxique.

À part l’effet allergène, les autres risques ne sont pas confirmés chez l’homme et n’en sont qu’à l’état de test, les risques importants ne sont pas inexistants mais les chances qu’ils soient réels sont suffisamment faibles pour ne pas interdire le produit dans l’alimentaire, le pharmaceutique et la cosmétique. »

« Les risques importants ne sont pas inexistants mais les chances qu’ils soient réels sont suffisamment faibles pour ne pas interdire le produit dans l’alimentaire, le pharmaceutique et la cosmétique ». Cela est écrit en termes mesurés. L’hypothèse que cette phrase ait été écrite par un lobbyiste, n’est pas à exclure.

Mais de mon point de vue, pourquoi prendre un risque pour un dentifrice surtout s’il en existe qui ne présente pas ce danger ?

En pratique je n’ai pas fait cette démarche analytique compliquée, mais j’ai utilisé une application que j’avais téléchargé sur mon smartphone : « Yuka ».

Je l’avais dans un premier temps surtout téléchargé pour l’alimentation.

En un temps record cette application après avoir scanné le code barre donne des informations sur la composition du produit : graisse saturée, sel, sucre, additifs etc.

Je me demande si cette application n’est pas encore plus utile pour le produits de salle de bains.

Il existe d’autres applications

L’application par un système de pondération, note de 0 à 100.

Mon dentifrice a reçu la note de 14.

Et le qualificatif de « Mauvais », ce qui est le cas quand la note est inférieure à 25.

En première ligne apparait immédiatement le fameux «  propylparabène ».

Mais l’application donne plus d’information si on clique sur le produit en cause.

Je donne une copie d’écran du début de l’analyse.


A la fin de l’article, il y a plusieurs liens vers des sites qui développent ces analyses.

Pour ma part j’ai jeté ce dentifrice et j’en utilise d’autres.

Et je scanne tous les produits de ma salle de bains.

Chacun est libre de faire comme cela lui paraît bien. Yuka dispose aussi d’un <site>

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Mercredi 22 mai 2019

« Si bien que s’il existe une éthique en tant qu’être humain.C’est d’être digne de ce don sublime d’être vivant. »
Alain Damasio

Le 13 mai 2019, Michelle a écrit à Annie et à moi un courriel, dans lequel, sans autre précision elle a écrit :

«J’ai envie de partager ce texte d’Alain Damasio.
Bel aujourd’hui »

Voici ce texte :

« Celle qui bruisse

Le vivant n’est pas une propriété, un bien qu’on pourrait acquérir ou protéger.
C’est un milieu, c’est un chant qui nous traverse dans lequel nous sommes immergés, fondus ou électrisés.
Si bien que s’il existe une éthique en tant qu’être humain.
C’est d’être digne de ce don sublime d’être vivant.
Et d’en incarner, d’en déployer autant que faire se peut les puissances.
Qu’est-ce qu’une puissance ?
Une puissance de vie !
C’est le volume de liens, de relations qu’un être est capable de tisser et d’entrelacer sans se porter atteinte.
Ou encore c’est la gamme chromatique des affects dont nous sommes capables
Vivre revient alors à accroitre notre capacité à être affecté.
Donc notre spectre ou notre amplitude à être touché, changé, ému.
Contracter une sensation, contempler, habiter un instant ou un lieu.
Ce sont des liens élus.

A l’inverse, faire face à des stimulus et y répondre sans cesse pollue notre disponibilité.
L’économie de l’attention ne nous affecte pas, elle nous infecte.
Elle encrasse ces filtres subtils sans lesquels il n’est pas de discrimination saine entre les liens qui libèrent et ceux qui aliènent.
Nos puissances de vivre relèvent d’un art du lien qui est déjà en soi une politique.
Celle de l’écoute et de l’accueil, de l’hospitalité au neuf qui surgit
Si bien qu’il devient crucial d’aller à la rencontre.
A la rencontre aussi bien d’un enfant, d’un groupe, d’une femme que de choses plus étranges…
Comme rencontrer une musique qui trouble, un livre intranquille, un chat qui ne s’apprivoise pas, une falaise.
Côtoyer un arbousier en novembre.
Epouser la logique d’une machine.
Rencontrer une lumière, la mer, un jeu vidéo, une heure de la journée, la neige.
Faire terreau pour que les liens vivent.
Des liens amicaux ou amoureux.
Collectifs et communautaires bien sûr.

Mais au-delà, et avec plus d’attention encore, les liens avec le dehors, le pas de chez nous.
L’autre soi !
Avec l’étranger d’où qu’il vienne.
Et plus loin encore, hors de l’humain qui nous rassure, les liens avec la forêt, le maquis, la terre,
avec le végétal comme avec l’animal, les autres espèces et les autres formes de vie.

Se composer avec, les accepter, nouer avec elles, s’emberlificoter.
C’est un alliage et c’est une alliance.
Peut-être n’est-il qu’une seule révolte au fond : contre les parties mortes en nous.
Cette mort active dans nos perceptions saturées de pensées qu’on mécanise.
Nos sensations éteintes.
Être du vif.
Relever du vif.

Devenir moins celui qui brûle que celle qui bruisse
Amener au point de fusion et de puissance
Pour en offrir l’incandescence à ceux qu’on aime. »

<Alain Damasio> est né le 1er août 1969 à Lyon. C’est un écrivain de science-fiction.

Je ne le connaissais pas, avant de faire des recherches sur lui, après le message de Michelle.

Il est connu pour son ouvrage <La Horde du Contrevent>, qui remporte le grand prix de l’Imaginaire en 2006.

Il vient de publier un nouveau roman « Les furtifs», c’est la raison pour laquelle Augustin Trapenard l’a invité dans son émission <Boomerang du 13 mai 2019>.

Augustin Trapenard présente ce dernier opus ainsi :

«  Un roman plus ambitieux que jamais, « Les furtifs ». À travers le portrait futuriste et glaçant d’une société régie par la finance, l’hyper connexion, et l’auto aliénation c’est d’aujourd’hui qu’il nous parle. […] il dresse le portrait d’une société dans laquelle la finance et la technologie ont pris le pas sur l’humain et le vivant. »

Il parle bien sûr de son livre qui décrit un monde dans lequel la finance achète tout et où les humains sont enfermés dans les traces qu’ils laissent sur la toile. Il a inventé un concept : «Le techno-cocon» et il ajoute que le techno-cocon est une prison. La technique numérique nous entoure comme un cocon qui nous capture.

Il imagine aussi que nos grandes villes qui sont endettées font faillite et sont rachetées par des multinationales. Ainsi Nestlé a fait de Lyon NestLyon, Paris est devenu Paris-LVMH, et Orange, la ville où débute l’histoire, s’appelle toujours Orange… parce que l’opérateur téléphonique l’a rachetée.

Dans ces « villes libérées », l’impôt, « optionnel », permet d’acquérir des niveaux de citoyenneté : standard, premium ou privilège. Certaines avenues, certains parcs sont réservés aux citoyens privilège. La consommation et la publicité sont partout ; les individus, connectés, « bagués » comme des pigeons et traçables en permanence. Ceux qui sortent des rails voient leur note personnelle dégradée, ou un drone les taser. Les milices privées pourchassent l’enseignement gratuit des « proferrants », au motif qu’il viole le droit commercial.

Vous pouvez aussi lire <cet article> sur le livre les Furtifs et écouter cette autre émission de France Culture : <La Méthode scientifique du 18/04/2019>.

Et à la fin de l’émission, Augustin Trapenard offre une carte blanche de 3 minutes à Alain Damasio qui remplit ce temps par ce texte qu’il lit, texte inédit qu’a envoyé Michelle pour que nous puissions le partager

J’ai choisi comme exergue de ce mot du jour l’extrait suivant :

« Si bien que s’il existe une éthique en tant qu’être humain.
C’est d’être digne de ce don sublime d’être vivant. »

Mais j’ai beaucoup hésité.

Que pensez-vous de ?

« Vivre revient alors à accroitre notre capacité à être affecté.
Donc notre spectre ou notre amplitude à être touché, changé, ému. »

Ou encore :

« L’économie de l’attention ne nous affecte pas, elle nous infecte.
Elle encrasse ces filtres subtils sans lesquels il n’est pas de discrimination saine entre les liens qui libèrent et ceux qui aliènent. »

Et cette fin remarquable :

« Devenir moins celui qui brûle que celle qui bruisse
Amener au point de fusion et de puissance
Pour en offrir l’incandescence à ceux qu’on aime. »

Merci à Alain Damasio pour ce texte incandescent.

Merci à Michelle pour ce partage.

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Vendredi 22 mars 2019

« Vagabonds du monde, nous avons perdu un sage. Hackers pour le droit, nous sommes un de moins. Parents, nous avons perdu un enfant. Pleurons » »

Les deux premiers mots du jour de la semaine concernait le Web et notamment son inventeur d’il y a 30 ans : Tim Berners-Lee. Pour finir cette semaine je veux évoquer un autre mythe du Web.

Aaron Schwartz est connu par tous celles et ceux qui ont une culture numérique et se sont intéressés au début du Web.

C’était un génie il est né le 8 novembre 1986 et il s’est donné la mort à 26 ans parce que le monde était contre son idéalisme de partage des connaissances et de coopération.

Il était à la fois technicien de l’informatique, inventeur et penseur politique. Il écrivait beaucoup. Un livre paru en 2017 en France : « Celui qui pourrait changer le monde » rassemble ses principaux textes qui reflètent son engagement intellectuel sur des enjeux sociétaux dont le droit d’auteur, la liberté d’accès des connaissances et des savoirs dont les publications scientifiques ou la transparence en politique.

La préface de ce livre de Lawrence Lessig, professeur de Harvard, autre grand penseur d’Internet que j’ai déjà évoqué plusieurs fois.

D’abord en parlant de son célèbre article de 2000 «The code is Law», «le code est Loi». Et aussi par le mot du jour du <23 juin 2017> où il exprimait qu’«Aujourd’hui dans toutes les grandes démocraties, nous avons le sentiment que le système a failli»

Lawrence Lessig était particulièrement admiratif de ce jeune homme.

Wikipédia nous apprend que malgré son jeune âge et bien qu’il n’ait pas les diplômes requis, Lawrence Lessig le nomme chercheur dans le centre de recherche le « Safra Center for Ethics » axé sur la corruption institutionnelle de l’université Harvard. Au début de leur relation, le juriste était comme un professeur pour Aaron, « mais à la fin, c’était lui mon mentor et moi son élève… ».

Lawrence Lessig le présente de la manière suivante :

« Aaron a appris plus de choses que la plupart d’entre nous n’en apprendront jamais et il a élaboré plus de choses que la plupart d’entre nous n’en élaboreront jamais. […] Peu d’entre nous auront jamais une influence, ne serait-ce que vaguement comparable, à celle qu’a eue ce garçon ».

Wikipedia nous rapporte ses actions selon son âge :

  • À 12 ans, il crée The Info Network, une encyclopédie éditée par les internautes, qui repose sur un principe de collaboration ouvert aux internautes comme Wikipédia10.
  • À 13 ans, il reçoit l’ArsDigita Prize, qui récompense les jeunes gens ayant créé des sites non commerciaux « utiles, éducatifs et collaboratifs ». Le titre lui donne droit à un voyage au MIT, où il rencontre des personnalités importantes du web. Cette même année, sa rencontre avec le juriste et théoricien du droit de l’internet, Lawrence Lessig lors d’une conférence TED fut le point de départ d’une longue collaboration.
  • À 14 ans, il participe à l’élaboration de la spécification 1.0 du format RSS, une technologie permettant de recevoir en direct les mises à jour de sites web.
  • À 15 ans, il contribue au développement informatique de la licence Creative Commons, alternative aux licences du droit d’auteur standard. Dans cette perspective de l’accès libre du droit d’auteur, Aaron Swartz était particulièrement admiratif de Tim Berners-Lee, l’un des principaux créateurs du World Wide Web, du fait de son initiative de laisser sa création libre et gratuite pour qu’elle puisse bénéficier à un large public.

Je vous laisse lire tous les détails sur Wikipedia et d’autres liens que je donnerais à la fin de ce mot du jour. Je résume simplement.

Ce que le monde de l’économie lui reprochait c’est qu’il trouvait la propriété intellectuelle moins importante que le partage forcément gratuit des connaissances. Car lui n’était absolument pas intéressé par l’argent.

Alors, il a fait des choses que la Loi américaine ne permettait pas

Durant son jeune âge, il expérimente ce principe de liberté d’accès des contenus encyclopédiques en utilisant les collections numériques de la bibliothèque du Congrès américain. Utilisant une partie de ses économies pour acquérir les droits des collections numériques, il organise la publication sur le Web des archives des millions de documents sur l’histoire et la culture américaine pour les rendre disponibles en ligne, gratuitement.

Le 19 juillet 2011, il est accusé d’avoir téléchargé 4,8 millions d’articles scientifiques disponibles sur le site de JSTOR qui est une bibliothèque numérique de publications universitaires payantes. Ce n’est pas l’organisation JSTOR qui a pas pris l’initiative de la démarche judiciaire, mais le procureur des États-Unis Carmen Ortiz qui a engagé des poursuites contre Aaron Swartz dans le but de le faire arrêter. La Justice américaine ne pouvait tolérer cet acte qui constituait une révolution dans le fonctionnement de l’économie de la connaissance.

Après la révélation de ses agissements, Aaron Swartz retourne les disques durs contenant les articles, en promettant de ne pas les diffuser. JSTOR décide alors de ne pas entamer de poursuites judiciaires. Néanmoins le bureau du procureur maintient cependant ses poursuites. Le MIT, traditionnel soutien de l’internet libre, choisit de ne pas soutenir Swartz.

Le 11 janvier 2013, Aaron Swartz s’est pendu dans son appartement de Brooklyn. Son procès fédéral en lien avec ces accusations de fraude électronique devait débuter le mois suivant. En cas de condamnation, il encourait une peine d’emprisonnement pouvant atteindre 35 ans et une amende s’élevant jusqu’à 1 million de dollars.

Lors du mot du jour du mardi j’ai donné le lien vers une émission de France Culture : <Qui a trahi le Web ?>. Parmi les intervenants, Hervé Gardette avait invité Flore Vasseur  auteure du livre : <Ce qu’il reste de nos rêves>.

La <Grande Librairie> a également invité Flore Vasseur pour parler de ce livre, ainsi que <La Librairie Mollat>.

Ce livre est consacré à Aaron Schwartz.

<Le site Le lanceur> parle de ce livre avec ces termes : « Aaron Swartz, lanceur d’alerte sublimé par les mots de Flore Vasseur ». Il donne aussi la parole à Flore Vasseur :

« Aaron était le meilleur d’entre nous.

Il était adoubé par ses pairs, chéri par sa famille et avait assemblé les moyens de sa liberté – la création de REDDIT, 6e site au monde, l’a rendu millionnaire.

Et même lui n’a pas tenu.

À travers ce récit, je pense à celles et ceux qui doutent et s’interrogent sur l’effondrement que nous sommes en train de vivre et les inégalités, la corruption morale qui le sous-tend. Car c’est mon cas depuis le 11 Septembre. Ce doute, cette colère s’incarnent en plein d’endroits, les Gilets Jaunes mais aussi les artistes, les lanceurs d’alerte, les activistes qui se lèvent et agissent. Et cela ne date pas d’hier. Le « système » a passé son temps à nous diviser en faisant passer tous ces gens-là, nous au fond qui doutons, qui ne voulons pas nous conformer, obéir ou accepter, pour des ringards, des anarchistes, des complotistes. Si nous sommes dangereux, c’est uniquement à l’égard d’un système qui veut que rien ne change.

Comme Aaron Swartz l’a été, dangereux, en son temps. Ce qu’il n’a pu comprendre, c’est que nous ne sommes pas seuls, que cela passe par nous mais que nous ne sommes pas tout. Il y a une force incroyable à tirer de l’humilité qui consiste à croire que chacun est un maillon dans la chaîne des changements à opérer.

Snowden dit la même chose : il faut poser sa brique et accepter que cela ne soit que ça. »

Et voici les liens promis :

D’abord une page de « France Culture » : < Aaron Swartz : « Celui qui pourrait changer le monde »> avec des liens vers d’autres pages et émissions

Puis un article de « SLATE » : <Aaron Swartz, les mystères d’un idéaliste>, un très long article publié juste après sa mort en mars 2013

« LE MONDE » me donne l’opportunité de proposer deux articles : <Aaron Swartz, itinéraire d’un enfant du Net> qui présente un documentaire qui lui ait consacré

Cet article cite aussi son père Robert Schwarz :

« Jobs et Wozniak ont lancé Apple en créant des boîtiers pour téléphoner gratuitement en piratant les réseaux. Bill Gates a lancé Microsoft en utilisant les ordinateurs de la fac, ce qui était strictement interdit. La seule différence entre Jobs, Gates et Aaaon, c’est que lui voulait rendre le monde meilleur, pas gagner de l’argent. »

<L’esprit d’Aaron Swartz plane toujours sur le Web> article qui a été publié en 2017.

Et enfin, un article de « Usbek et Rica » le magazine trimestriel qui « explore le futur » et qui constitue une lecture très stimulante : <Aaron Swartz, martyr éternel de l’Internet libre> aussi consacré au livre de Flore Vasseur.

Et je voudrais finir par une photo publiée justement par usbeketrica, elle date de 2001. Aaron Schwarz a 15 ans et il parle au grand Lawrence Lessig qui a 40 ans.


Qu’est ce qui mieux que cette photo qui montre ce moment d’échange entre un professeur reconnu de 40 ans avec un jeune de 15 ans permet de comprendre l’extraordinaire intelligence de ce brillant jeune homme que le monde des rapaces et de l’argent a conduit au suicide.

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Mardi 19 mars 2019

« [Le web] a été détourné par des escrocs et des trolls, qui l’ont utilisé pour manipuler le reste des internautes à travers le monde  »
Tim Berners-Lee

Je reviens sur le développement du Web, la toile mondiale inventée par Tim Berners-Lee.

Et pour ce faire je vais m’appuyer sur la seconde partie de l’article du Monde cité hier :<Les 30 ans du web de l’utopie à un capitalisme de surveillance>

Et aussi une émission de France Culture Le Grain à moudre du 11 mars :
<Qui a trahi le Web ?>. Parmi les intervenants, Hervé Gardette avait invité Flore Vasseur  auteure du livre :  <Ce qu’il reste de nos rêves>

Revenons au  début Tim Berners-Lee a donc conçu cette immense machinerie de connexion et de mise à disposition d’information et de savoir sur un ordinateur Next.

Ici, il faut peut-être revenir à l’histoire de l’informatique et à ce personnage mythique et controversé, créateur d’Apple avec Steve Wozniak et Ronald Wayne : Steve Jobs.  Ce dernier avait recruté un directeur général John Sculley, avec pour mission de développer l’entreprise. John Sculley s’est rapidement opposé à  Steve Jobs qui a été éjecté de l’entreprise en septembre 1985. Immédiatement Steve, Jobs a créé une nouvelle entreprise NeXT et organisé l’invention d’un ordinateur encore plus performant que ceux créés par Apple. Et c’est sur cet ordinateur révolutionnaire pour l’époque que Tim Berners-Lee put créer les bases du Web. NeXt ne fut pas une entreprise très rentable et ayant un fort développement, ses produits étaient réservés à une élite. Mais La stratégie de John Sculley pour Apple aboutit à un échec et conduisit cette entreprise au bord de la faillite. Steve Jobs reprit les rênes de la marque à la pomme, début 1997. Apple racheta NeXT et devint l’entreprise performante que l’on connaît grâce aux intuitions géniales et à la stratégie menée par Jobs. Les puristes diront qu’il fallut aussi un coup de pouce du vieil ennemi de Steve Jobs, Bill Gates, le patron de Microsoft. Mais ce n’est pas notre propos d’aujourd’hui.

Dans l’émission de France Culture, on apprend que Tim Berners-Lee a déclaré au New York Times :

« Il est devenu évident  que le web n’est pas à la hauteur des espérances qu’il suscitait à ses débuts. Conçu comme un outil ouvert, collaboratif et émancipateur, il a été détourné par des escrocs et des trolls, qui l’ont utilisé pour manipuler le reste des internautes à travers le monde ».

Comme je l’avais rapporté hier, Tim Berners-Lee a tenu à ce que le nouvel outil qu’il avait découvert soit versé dans le domaine public. Il souhaitait que le Web devienne « un espace universel » où n’importe qui, en n’importe quel lieu, peut aller chercher librement des ressources, cela « gratuitement » et « sans permission ».

Il pressent qu’un des plus vieux rêves de l’humanité – rassembler toute la connaissance connue dans un espace que tous puissent explorer, une utopie qui remonte à la bibliothèque d’Alexandrie (fondée par Ptolémée en 288 av. J.-C.) et passe par l’imprimerie de Johannes Gutenberg (1400-1468) – devient possible, à la croisée du Web et d’Internet, et pense qu’il doit être offert au monde.
Une immense Toile qui se tisse

Par la suite, Tim Berners-Lee a quitté le CERN pour fonder, en 1994, avec l’appui du Laboratory for Computer Science du Massachusetts Institute of Technology (MIT), le World Wide Web Consortium (W3C). Organisme à but non lucratif, le W3C se consacre les années suivantes au développement de standards ouverts et gratuits qu’il va élaborer et partager avec les entreprises informatiques afin d’« assurer la croissance à long terme » du Web mondial naissant.

En l’an 2001, date de la création de Wikipedia, l’usage des sites est facilité par de nombreuses améliorations créées par le W3C (interfaces simples, RSS, mots-clés, tags, etc.) qui permettent plus d’interactivité et la production rapide de contenus. C’est l’époque où se créent les blogs, les Web services et les premiers réseaux sociaux – ce qu’on appellera le Web 2.0.

L’article du Monde précise :

« Il met en avant plusieurs idées révolutionnaires. Décentralisation : il n’y a pas de poste de contrôle central du Web. Universalité : pour que quiconque puisse publier sur le Web, tous les ordinateurs doivent parler les mêmes langues. Transparence : le code, comme les normes, ne sont pas écrits par un groupe d’experts, mais développés et enrichis au vu de tous, jusqu’à atteindre un consensus. Son leitmotiv : « Un seul Web partout et pour tous. » Ses principes : accessibilité, développement gratuit, acceptation d’un code d’éthique et de déontologie – « respect, professionnalisme, équité et sensibilité à l’égard de nos nombreuses forces et différences, y compris dans les situations de haute pression et d’urgence ».

Dans les années 1990, les penseurs du Web avaient peur de l’intervention des États. Pour la Chine, cette question reste plus que jamais d’actualité.

En 1996, John Perry Barlow va ainsi faire une déclaration qui va faire date la « Déclaration d’indépendance du cyberespace ».

« Gouvernements du monde industriel, géants fatigués de chair et d’acier, je viens du cyberespace, nouvelle demeure de l’esprit. (…) Vous n’avez aucun droit de souveraineté sur nos lieux de rencontre. (…) Nous créons un monde où chacun, où qu’il se trouve, peut exprimer ses idées, si singulières qu’elles puissent être, sans craindre d’être réduit au silence ou à une norme. (…) »

Mais en 1996, il y a aussi les futurs poids lourds de l’industrie numérique qui entrent en scène Amazon, Microsoft, Internet Explorer de Microsoft devient le navigateur dominant du Web, bientôt concurrencé par Google et son moteur de recherche.

Et finalement ce sont les grandes entreprises mondialisées et numériques qui vont prendre ce pouvoir que John Perry Barlow voulait refuser aux Etats.

Tim Berners-Lee, s’est dit « dévasté » par l’affaire Cambridge Analytica, quand Facebook a transmis les données personnelles de 80 millions d’« amis » à une société d’analyse alors mandatée par le futur président américain Donald Trump . Dans une lettre ouverte saluant le 28e anniversaire du Web, en 2017, il avertissait :

« Nos données personnelles sont désormais « conservées dans des silos propriétaires, loin de nous » et « nous n’avons plus de contrôle direct sur elles ». »

Et le Monde de raconter :

« Tim Berners-Lee déchante, sa créature lui a échappé. Il ne s’y résout pas. Il a lancé en novembre 2018, avec la Web Foundation, la campagne #fortheweb en vue de proposer « un nouveau contrat pour un Web libre et ouvert », et travaille au projet Solid, qui « vise à changer radicalement le mode de fonctionnement actuel des applications Web ». Berners-Lee n’est pas le seul à s’inquiéter. Un autre pionnier du monde numérique, le chercheur en intelligence artificielle (IA) Jaron Lanier, est plus radical encore.

En mai 2018, il publie Ten Arguments for Deleting Your Social Media Accounts Right Now (« dix arguments pour fermer immédiatement vos comptes sur les réseaux sociaux », Bodley Head, non traduit). Il dresse ce réquisitoire grinçant contre Facebook :

« Pourquoi les gens doivent-ils être bombardés de messages de guerre psychologique bizarres avant les élections ou après une fusillade dans une école ? Pourquoi tout un chacun doit-il être soumis à des techniques de modification du comportement provoquant chez lui une dépendance simplement parce qu’il veut regarder des photos de ses amis et de sa famille ? » […]

Le lanceur d’alerte français Guillaume Chaslot, un informaticien qui a travaillé trois ans chez Google et dix mois sur l’algorithme de YouTube, dit, lui aussi, des choses graves.

« La démocratie a été oubliée en chemin par le Web », confie-t-il au Monde. Il a observé de l’intérieur comment l’extraordinaire média social qu’est YouTube, avec ses 1,8 milliard d’utilisateurs connectés en 2018, a dérapé dès qu’il s’est politisé. Avec l’aide de l’outil exploratoire qu’il a cofondé, Algo Transparency, Chaslot s’est aperçu que plus de 80 % des vidéos politiques recommandées par YouTube pendant la campagne électorale américaine étaient favorables à Trump.

Il devient concevable de manipuler une élection avec des campagnes ciblées et passionnelles sur le Web[…]

Au-delà des atteintes à la démocratie du fait de la viralité tapageuse des fausses nouvelles, le Web, dominé par les géants informatiques et le capitalisme de plates-formes, suit une autre pente fatale : il fonctionne sur un nouveau modèle économique qui s’appuie sur l’extraction et l’exploitation massive de nos données personnelles à des fins commerciales.

Cette économie du big data et des algorithmes, basée sur l’accompagnement permanent, la manipulation et la prédiction des comportements individuels, l’ex-professeure d’administration de la Harvard Business School Shoshana Zuboff l’appelle le « capitalisme de surveillance » (The Age of Surveillance Capitalism, 704 pages, Public Affairs, 2019, non traduit), et en fait une analyse implacable et pionnière.

Ce nouveau capitalisme, « issu, dit-elle, de l’accouplement clandestin entre l’énorme pouvoir du numérique, avec l’indifférence radicale et le narcissisme intrinsèque du capitalisme financier, et de la vision néolibérale », se fonde sur une idée forte : vendre, heure après heure, en temps réel, « l’accès à toute notre vie », tous nos comportements, en captant et décryptant nos épanchements sur les réseaux sociaux, en analysant et accompagnant toutes nos activités numériques par le biais de Google Maps, Google Agenda, Google Actualités, sans oublier les capteurs des objets connectés – c’est-à-dire au prix d’« une surveillance généralisée de notre quotidienneté ».

Ce véritable casse mondial sur nos vies privées s’est fait, constate l’économiste, sans rencontrer beaucoup de résistance, appuyé sur des « parodies de contrats » en ligne, fondés sur des chantages au service.

Cette appropriation, cette marchandisation et cette connaissance fine de l’autre lui fait dire que nous ne sommes pas dans le contrôle total des comportements « à la Big Brother », mais à la « Big Other » : « Big Other est un régime institutionnel, omniprésent, qui enregistre, modifie, commercialise l’expérience quotidienne, du grille-pain au corps biologique, de la communication à la pensée, de manière à établir de nouveaux chemins vers les bénéfices et les profits » (Journal of Information Technology, vol. 30, 2015).

C’est la nouvelle loi du capitalisme numérique, qui a fait du Web rêvé par Tim Berners-Lee un immense magasin en ligne, une gigantesque Matrix commerciale où nous évoluons, connectés, géolocalisés, recommandés, déchiffrés par les algorithmes, tous nos désirs les plus intimes traqués, flattés, devancés et assouvis. »

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Lundi 18 mars 2019

« Vague mais prometteur »
Mike Sendall à Tim Berners-Lee, quand ce dernier lui apporta un document décrivant le Web en mars 1989

Le Web est né il y a 30 ans.

Tout le monde accepte de reconnaitre l’informaticien britannique Tim Berners-Lee qui travaillait à l’époque au CERN, comme son inventeur.

Le CERN (Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire) est une organisation européenne située près de Genève et qui a été créé par 11 gouvernements européens. Il s’agit donc d’une organisation administrative et hiérarchique. C’est pourquoi Tim Berners-Lee avait un supérieur hiérarchique du nom de Mike Sendall. Et c’est pourquoi ce remarquable inventeur déposa, sur le bureau de son chef, un document donnant les bases du World Wide Web (WWW), appelé désormais le Web, pour obtenir son avis et validation. Sendall qualifia alors le travail de Tim Berners-Lee de :

« Vague, mais prometteur ».

A ce moment, je ne peux m’empêcher de rapporter ce « joke » (plaisanterie en français) que j’ai entendu de la bouche de Michel Serres : Une jeune fille incrédule demanda à sa mère : « – Maman tu m’as bien dit que vous n’aviez pas d’ordinateur à la maison quand tu avais mon âge. – Oui ma chérie ! – Mais alors comment faisiez-vous pour aller sur le Web ? »

Si vous n’êtes pas à l’aise avec tous ces concepts, un rappel s’impose.

Internet n’est pas le Web, il est le réseau qui permet le Web, mais il est aussi le support du courrier électronique, de la messagerie instantanée, du pair-à-pair. Donc confondre le World Wide Web et Internet constitue une erreur. Internet est le réseau informatique mondial accessible au public. C’est un réseau de réseaux, à commutation de paquets, sans centre névralgique, composé de millions de réseaux aussi bien publics que privés, universitaires, commerciaux et gouvernementaux, eux-mêmes regroupés en réseaux autonomes.

Internet existait déjà quand Tim Berners-Lee a inventé le Web.

Le terme d’origine américaine « Internet » est dérivé du concept d’internetting (en français : « interconnecter des réseaux ») dont la première utilisation documentée remonte à octobre 1972 par Robert E. Kahn, à Washington.

Les origines exactes du terme « Internet » restent à déterminer. Toutefois, c’est le 1er janvier 1983 que le nom « Internet », déjà en usage pour désigner l’ensemble d’ARPANET et de plusieurs réseaux informatiques, est devenu officiel.

Wikipedia vous expliquera cela très bien et vous contera l’histoire d’Arpanet qui est l’ancêtre d’internet et qui a été mis au point par des chercheurs américains pour leurs propres besoins et les besoins de l’armée.

Sur le réseau mondial il a donc été possible de créer le World Wide Web (WWW), littéralement la « toile (d’araignée) à l’échelle mondiale ». Le Web permet de consulter, avec un navigateur, des pages accessibles sur des sites. L’image de la toile d’araignée vient des hyperliens qui lient les pages web entre elles. Il crée donc les hyperliens, le langage html, le concept de serveur http, l’adresse IP. Bref, tout ce qui vous permet de venir sur ce blog et de lire les articles que je rédige à partir de mon ordinateur personnel, dans mon appartement après avoir moi-même navigué sur le Web pour trouver toutes les informations qui me sont nécessaires pour alimenter et éclaircir mon propos.

<Le Monde> décrit cet échange et ce qui s’en suivit de la manière suivante :

« Le 12 mars 1989, l’informaticien britannique Tim Berners-Lee dépose sur le bureau de son chef de service, Mike Sendall, un topo de quelques pages intitulé « Gestion de l’information : une proposition ». Il y décrit sommairement les moyens de consulter directement l’énorme base de données du CERN, le laboratoire de physique nucléaire européen, stockée sur plusieurs ordinateurs, en allant chercher à son gré, grâce à des liens hypertextes, toute l’information disponible.

Les bases techniques d’une circulation souple dans les données numérisées sont jetées : le Web est inventé. « Vague, mais prometteur », lui répond Sendall.

Dans l’année, Berners-Lee conçoit le protocole « http », pour localiser et lier les documents informatisés, le « html », pour créer de nouvelles pages, l’« URL », l’adresse unique qui permet d’identifier une ressource. Puis il crée le premier serveur Web sur le réseau interne du CERN, affiché sur un outil « navigateur » qu’il nomme « worldwideweb ». Rapidement, les chercheurs du CERN s’en emparent.

Depuis, l’humanité est entrée dans l’âge de l’information et de la connexion instantanée, tissant la vertigineuse « Toile » mondiale – tout en donnant un immense pouvoir sur nos existences aux géants du numérique. […]

En avril 1993, Tim Berners-Lee obtient du prestigieux laboratoire européen qu’il enregistre le nouvel outil dans le domaine public, publie son code source et l’ouvre au « réseau des réseaux » mondial en gestation, l’Internet. Il est persuadé que le « véritable potentiel » du Web ne peut être libéré que s’il devient « un espace universel » où n’importe qui, en n’importe quel lieu, peut aller chercher librement des ressources, cela « gratuitement » et « sans permission ».

Il pressent qu’un des plus vieux rêves de l’humanité – rassembler toute la connaissance connue dans un espace que tous puissent explorer, une utopie qui remonte à la bibliothèque d’Alexandrie (fondée par Ptolémée en 288 av. J.-C.) et passe par l’imprimerie de Johannes Gutenberg (1400-1468) – devient possible, à la croisée du Web et d’Internet, et pense qu’il doit être offert au monde. »

Mais le CERN étant une vraie administration, Tim Berners-Lee n’avait pas qu’un chef mais aussi une superviseuse : Peggie Rimmer. Et <Libération> l’a interrogée à l’occasion du trentième anniversaire du Web.

«  Peggie Rimmer a passé une grande partie de sa carrière au Cern, «La Mecque de la physique des particules». Cette fille de mineur, pionnière parmi les femmes dans une discipline qui n’en compte aujourd’hui encore que 10%, a supervisé le jeune Tim Berners-Lee dans les années qui ont précédé son invention révolutionnaire, le «Word wide web». Avec humour, elle revient sur la genèse du Web, qui fête cette semaine ses 30 ans.

Ma petite équipe s’appelait le Read Out Architecture (RA), on le voit mentionné sur le schéma en forme d’arbre généalogique que Tim a dessiné dans son document devenu célèbre : «Projet de Management de l’Information», qui deviendrait la base du Web. Au Cern, nous étions passés d’expériences réunissant 10 personnes à des groupes de quelques centaines de personnes, et bien sûr, ces personnes utilisaient 10 à 15 ordinateurs, tous différents. Notre tâche consistait à écrire un logiciel pour lire et stocker des données extraites des détecteurs. Cela impliquait notamment de définir des standards, des règles communes. Ce terrain était vraiment fertile pour accueillir l’idée de Tim, qui n’était pas tant liée au champ de la physique qu’au monde de l’informatique. C’est lui qui a choisi de nous rejoindre, donc j’imagine qu’il a senti que ce serait un bon endroit pour lui… Il avait des idées incroyables et il était très sympathique.

Au département, nous avions des réunions hebdomadaires. Pendant les interventions de Tim, au bout de quelques minutes, nous n’avions plus la moindre idée de ce qu’il racontait. Au début, on a cru que c’était à cause de son débit de parole, et nous écrivions sur des petits bouts de papier : «Va plus lentement, Tim.» C’est simple, la seule fois où je l’ai vu parler distinctement, c’est quand je l’ai vu jouer, un Noël, dans une pièce de théâtre. Mais la vitesse n’était pas le seul facteur. Aujourd’hui, quand il parle du Web, on peut deviner de quoi il s’agit, parce qu’on sait déjà à quoi ça ressemble, mais à l’époque… on se disait juste : mais de quoi il parle ?

[…] Ma plus grande contribution, pour ne pas dire l’unique, ça a été de dire à Tim que ses idées ne passeraient pas le seuil du laboratoire s’il ne prenait pas la peine de construire en dessous des règles, des définitions, des standards sur lesquels tout le monde pourrait se mettre d’accord pour utiliser son système. Il fallait, lui ai-je dit, que ces règles soient claires comme le cristal pour que, par exemple, quelqu’un à Vladivostok qui ne parle pas anglais puisse les implémenter facilement. Il n’était pas vraiment ravi. Mais quelque temps après, il a écrit les spécifications du HTML, du HTTP et de l’URL, qui se sont révélés suffisamment bonnes pour qu’aujourd’hui encore, ils soient fonctionnels. »

C’est ce qu’on appelle un génie ! Et c’est la jeune fille du « joke » qui l’explique le mieux : quand un  génie invente, il change le monde et l’appréhension que l’on a du monde. On a du mal à s’imaginer le monde d’avant cette invention.

Mais Tim Berners-Lee était un idéaliste, il n’aime ce que le web est devenu.

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Mardi 22 janvier 2019

« Les blancs ont la montre, nous avons le temps. »
Proverbe africain cité par Courrier International du 20 décembre 2018 au 9 janvier 2019

Avant la pause de noël, j’avais entrepris une réflexion sur le temps qui passe, à l’aune d’une phrase que ma grand-mère prononçait régulièrement à la sortie de Noël : « Bientôt Pâques ».

Après la pause, le mot du jour d’hier était centré sur l’attente qui est encore une réflexion sur le temps.

Pendant cette période, mon ami Jean-François de Dijon m’a envoyé par courrier un numéro de « Courrier International » qui portait comme titre sur sa page de couverture : « Le temps passe-t-il trop vite ? » avec le souhait que ces articles de la presse internationale fécondent ma réflexion et puissent, peut-être, alimenter le mot du jour.

Je crois que ce numéro est venu au bon moment et je vais donc partager avec vous ces connaissances ou ces spéculations sur ce « temps » qui obsède homo sapiens pour l’occuper, pour le retenir, pour l’allonger et au-delà, le plus important pour moi : le remplir.

Le premier article que je souhaite partager a été publié dans le journal espagnol « El Independiente » et pour titre : « Pourquoi nous sommes devenus impatients ». J’ai cependant préféré utilisé comme exergue, un proverbe africain également cité par le journal parce que cette phrase me parait plus poétique et que la montre est certainement une des raisons de cette impatience. Alors quand on parle de montre connectée et que l’on y voit que les innombrables services que ce tout petit objet peut rendre, il ne faudrait pas négliger aussi les conséquences de la « servitude volontaire » qu’elle impose et imposera à ses utilisateurs qui deviendront peut être des esclaves modernes de l’impatience et du flux des données et de l’information qui comme une avalanche nous submerge.

L’article commence par la description d’un fait, lorsque le journaliste appelle la chercheuse Amparo Lasén, cette dernière est en pleine dispute avec son fils qui lui reproche d’avoir oublié son portable à la maison ce qui ne lui a pas permis de la joindre pendant deux heures.

Cette tyrannie a été évoquée plusieurs fois par le mot du jour et particulièrement lorsque j’ai évoqué cette phrase écrite par Philip Roth :
« Qu’est-ce qui s’était passé depuis dix ans pour qu’il y ait soudain tant de choses à dire, à dire de si urgent que çà ne pouvait pas attendre ? »

Une pression diffuse et pourtant omniprésente nous impose non seulement dans le monde professionnel mais aussi dans le cercle familial et amical d’être accessible en permanence. Si nous n’y prenons garde nous sommes dans les deux rôles celui qui irrite la personne qui ne parvient pas à nous joindre mais aussi de celui à qui il paraît insupportable de devoir attendre une réponse de quelqu’un qui n’est pas joignable,

Oui ! Qu’est ce qui s’est passé ?

Amparo Lasén est professeure de sociologie de l’université Complutense de Madrid et sa spécialité est de répondre à la question : comment l’ère numérique nous transforme ?

Elle étudie notamment l’impact des téléphones portables sur notre vie quotidienne et conclut, comme Philip Roth, que notre capacité à attendre s’est dégradée de façon ahurissante ces dix dernières années, depuis que nous avons un téléphone portable dans la poche.

Mais notre dépendance envers le mobile n’est pas le seul symptôme de cette dégradation. En réalité, le temps comme valeur marchande est un concept relativement récent.

Francesc Núñez, directeur du mastère en humanités de l’université ouverte de Catalogne (UOC) explique :

« Avant l’industrialisation, le temps n’était pas perçu comme quelque chose de monnayable »

J’ai fait une recherche pour essayer de découvrir qui a inventé cette formule que chacun ânonne aujourd’hui comme s’il s’agissait d’une vérité scientifique : « Le temps c’est de l’argent ». Il semble qu’il s’agisse de Benjamin Franklin, donc un des fondateurs des Etats-Unis d’Amérique (1706 – 1790) ce qui situe bien cette phrase au début de la révolution industrielle.

Francesc Núñez ajoute :

« Internet fait voler en éclats notre manière de vivre le temps. Avec Google et les réseaux sociaux on a l’impression de s’affranchir de l’espace et du temps. N’importe quelle action peut être réalisée à tout moment, nous oublions que nous n’avons pas la maîtrise du temps. [avec Whatsapp, Twitter, Instagram, Facebook] nous avons énormément multiplié nos relations avec notre entourage en vue de faire des choses, mais tant d’immédiateté comporte le risque d’une insatisfaction constante. »

Et quand des spécialistes des sciences cognitives comme le Professeur Jordi Vallverdu de l’Université autonome de Barcelone décryptent ce qu’ils ont compris cela donne cela :

« Les likes agissent sur la neurochimie du cerveau. Sur les réseaux sociaux nous sommes comme ces rats de laboratoire qui courent après les récompenses. […] à chaque like nous avons une montée de dopamine et cela crée une dépendance. […] A mesure que le numérique s’est immiscé dans notre vie sociale, il a de plus en plus faussé notre perception de l’espace et du temps. »

Grâce à cet article, j’ai appris un nouveau concept : le « Fomo »

« L’abondance de divertissements disponibles à l’ère numérique donne lieu à ce que les spécialistes appellent le « Fomo » (fear of missing out) la peur de passer à côté de quelque chose d’important ».

Il semblerait comme le révèle cet article et je l’ai lu également dans d’autres articles que la capacité d’attention des jeunes générations diminue énormément par rapport à leurs ainés. L’article évoque une moyenne de 12 secondes.

Pour ma part, je reste très prudent par rapport à ce type d’information, je ne suis pas sûr qu’on mesure toute la complexité de la mutation qui est en train de se réaliser. Car il me semble que sur des jeux vidéo stratégiques des jeunes gamers sont capables d’une concentration très prolongée. En tout cas, il se passe quelque chose au niveau de l’attention, probablement que certains éprouvent de grandes difficultés de se concentrer sur des textes écrits qui demandent de longue période concentration. Mais parler simplement d’une capacité d’attention de 12 secondes, quel que soit le sujet de l’attention, me semble un peu court, comme aurait dit Cyrano.

En revanche, si on n’en revient au mot du jour d’hier le « savoir attendre » a clairement diminué, alors que comme le dit Amparo Lasén :

« C’était autrefois une qualité associé à la maturité ».

Et elle continue sur ce sujet en tirant les conséquences sur les relations sociales :

« Nous faisons culpabiliser les autres de nos propres urgences. »

Et Fransesc Nunez ajoute :

« Nous finissons par nous imaginer que le temps n’existe pas pour les autres, et nous exigeons d’eux qu’ils s’adaptent à nos besoins. Mais le fait que je sois pressé ne veut pas dire que je doive obliger l’autre à s’occuper de moi toutes affaires cessantes ».

L’article donne la conclusion à Jordi Vallverdu :

« Pour ne pas perdre le contrôle de notre temps, nous devrions arrêter de répondre à tout et réduire le nombre d’heures où nous sommes connectés. Au restaurant, on ne prend pas tous les plats de la carte. Il faudrait faire de même avec l’information : on n’a pas à tout avaler pour la simple raison que cela apparaît sur les réseaux. ».

Et j’ajouterai simplement que notre temps est limité, il est donc indispensable de choisir, de sélectionner ce qui le remplira pour notre équilibre personnel, ce qui nous nourrit vraiment et simplement nous fait du bien. Et je crois fermement que parmi ce que nous pouvons et devrions écarter il n’y a pas seulement la frénésie du flux d’informations numériques mais bien d’autres accapareurs de temps inutiles et malfaisants.

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Mardi 18 septembre 2018

« Une immersion dans l’art et la musique »
Exposition consacrée à Gustav Klimt et d’autres viennois à l’atelier des lumières

Ce week-end nous étions à Paris pour assister à la Philharmonie de Paris à une interprétation d’anthologie de la 3ème Symphonie de Mahler par le Boston Symphony Orchestra sous la direction de son chef Andris Nelsons.

Et dimanche matin, nous en avons profité pour aller à l’exposition Klimt, plus précisément l’exposition immersive et interactive sur l’œuvre de Gustav Klimt.

Je pourrai bien sûr analyser et décrire le fabuleux concert auquel nous avons assisté Annie, Florence et moi. Mais ce concert est terminé, il s’agit d’un moment passé et auquel vous n’aurez jamais accès, puisque la machine à remonter le temps n’a pas encore été inventé.

En revanche, l’exposition à laquelle nous sommes allés est toujours ouverte. Et même, en raison de son succès, a été prolongé de fin novembre jusqu’au 6 janvier 2019.

Cette exposition, c’est d’abord un lieu : « L’atelier des lumières » qui se situe dans le 11ème arrondissement de Paris, 38 rue Saint Maur.

Il s’agit d’une ancienne fonderie de 3300 m² qui a été reconverti en espace culture numérique située dans le XIe arrondissement de Paris

Son nom était « La fonderie du Chemin-Vert » car située près de la rue du Chemin Vert. Elle avait été fondée en 1835 pour répondre aux besoins de la marine et du chemin de fer pour des pièces en fonte de grande qualité. L’usine occupait alors un terrain de 3 126 m2 et employait 60 personnes. L’usine produisait des moulages de toutes pièces en fonte de fer sur plans et sur modèles jusqu’à 10 000 kg.

L’affaire fait faillite et en 1935, la société est dissoute, 100 ans après sa création. Le terrain et les immeubles sont vendus aux actuels propriétaires et abritera une entreprise spécialisée dans la fabrication et la vente de machines-outils.

Ce lieu a été investi par le même groupe de créateur et d’artistes, « Culturespace » qui avait déjà créé « Les carrières de lumières aux Baux de Provence. »

J’avais aussi eu la chance avec Annie, grâce à Marcel et Josiane, de visiter ce lieu naturel d’une beauté majestueuse situé aux Baux de Provence. Dans ce cas aussi, c’était au lendemain de la Première Guerre Mondiale, que le déclin de la pierre de construction s’était amorcé et que de nouveaux matériaux de construction faisant leur apparition, l’acier, le béton. les carrières de pierre allaient perdre leur destin industriel.

C’est dans les années 1960 que Jean Cocteau, envouté par la beauté des lieux décide d’y tourner « Le Testament d’Orphée ».

Et c’est, dans ce lieu des carrières de Baux de Provence, qu’en 2012 un groupe d’artistes : Gianfranco Iannuzzi, Renato Gatto et Massimiliano Siccardi, sous le nom de Culturespaces vont créer un concept novateur AMIEX® (Art & Music Immersive Experience).

Des esprits retors et blasés diront qu’il s’agit d’un banal son et lumière se basant sur des œuvres picturales accompagnées de musique.

Oui c’est cela, mais c’est aussi très beau et permet d’entrer dans l’art avec des moyens modernes et numériques.

Tout cela est expliqué sur <Le site de l’Atelier des Lumières>.

Voici une vue de cet espace vierge de toute projection.


Et voici ce que cela donne avec les projections des tableaux de Klimt. Vous n’avez évidemment pas le son.

Mais vous pourrez en avoir un aperçu sur cette <Page consacrée à l’exposition Klimt>


Culturespaces a voulu pour l’ouverture de l’Atelier des Lumières présenter un parcours immersif autour des représentants majeurs de la scène artistique viennoise avec au centre Gustav Klimt, mais aussi Egon Schiele et Friedensreich Hundertwasser. Leurs œuvres s’animent en musique sur l’immense espace de projection de l’ancienne fonderie.


Annie et moi avons aimé et nous ne sommes pas les seuls :

Culture Box présente : <L’Atelier des Lumières, nouveau lieu d’exposition à Paris, ouvre avec Klimt> :

« A l’aide de 140 vidéoprojecteurs et au son des valses et autres musiques de la Vienne de la fin XIXe siècle, les œuvres du peintre autrichien s’animent et habillent les 3.300 m² de surface de projection de ce nouveau lieu baptisé Atelier des Lumières, situé dans le XIe arrondissement. C’est « la plus grande installation numérique de ce type dans le monde », assure Bruno Monnier, le président de Culturespaces, la société privée en charge du lieu qui ouvre au public ce vendredi avec cette première exposition.

Pendant les 35 minutes de projection, le sol et les murs de cette ancienne fonderie se couvrent des œuvres, permettant aux visiteurs de voyager dans la Sécession viennoise, ce courant artistique autrichien dont Gustav Klimt est la figure de proue.

[…]. La bande-son venue tout droit de l’époque de Klimt contribue à l’immersion : Strauss, Chopin, Mahler… »

Le Parisien déclare : <A l’Atelier des Lumières : plein les yeux avec Klimt> :

« C’est à voir. Ça en jette, mais on ne trouve pas les mots. Certains parlent du « premier musée numérique ». Faux, un musée conserve des « vraies » œuvres en permanence. Ou à la limite, il en existe un au Japon, qui propose des reproductions de peintures dans leur cadre, sur un écran plasma. Rien de tel ici. Le contenu des projections Klimt dans ce nouvel espace, l’Atelier des Lumières, qui ouvre vendredi dans une ancienne fonderie du XIe arrondissement à Paris, tiendrait dans un disque dur. Culturespaces, la société très sérieuse qui le gère, parle plus raisonnablement de « premier centre d’art numérique » dans la capitale.

On entre dans le noir pour une projection de 40 minutes, et si l’on veut, deux autres expositions « immersives » plus courtes. D’abord Klimt *, le grand peintre de la Sécession Viennoise au début du XXe siècle, inventeur de formes nouvelles, de nus étranges couverts d’or, de femmes aussi attirantes et inquiétantes que dans un film de David Lynch.

Au sol, aux plafonds, aux murs, les couleurs explosent »

Et ce même journal précise :

« C’est de la culture plaisir. Et même à Paris, comme le souligne Bruno Monnier, patron de Culturespaces, « les musées ne touchent que 50 % de la population au grand maximum. Beaucoup de gens n’osent pas en pousser la porte. Peut-être que ceux qui ont peur d’y aller seront moins intimidés par un espace comme celui-ci ».

Soyons clairs : ce n’est pas une expo, aucun tableau n’est cadré comme au musée. Un ballet plutôt, plus de 3000 images mises en mouvement par 140 vidéoprojecteurs laser. La salle des miroirs, où la projection se poursuit sous vos pieds, sur l’eau d’un ancien bassin de la fonderie, à l’infini, offre un léger vertige.

[…] Car si l’on vient à l’Atelier des Lumières pour Klimt, on a été soufflé par le show donné dans la petite salle par le collectif Poetic_Ai, qui utilise l’intelligence artificielle dans un processus de création visuelle, à travers un algorithme qui compose une œuvre digitale et contemplative. Un noir et blanc sidérant, une musique plein les oreilles, une expérience vraiment spéciale. »

Et même le site de « Côté Maison » parle de cet évènement avec enthousiasme : <L’Atelier des Lumières, lieu d’exposition monumental> :

« Entre prouesse technologique et histoire de l’art revisitée, l’Atelier des Lumières démultiplie les émotions. Dans une ancienne fonderie du XIXe siècle, le premier centre d’art numérique à Paris est né. Chaque exposition est une aventure sensorielle unique. […]

Sous la réalisation de Gianfranco Iannuzzi, Renato Gatto et Massimiliano Siccardi, avec la collaboration musicale de Luca Longobardi, dès les premières notes la technologie s’efface. L’aventure sensorielle se teinte d’émotion esthétique. Un exercice du regard inédit accompagne l’histoire de l’art d’une nouvelle soif d’apprendre.. »

C’est bien mon ressenti, dans cet espace dans lequel on peut se déplacer et rester aussi longtemps qu’on souhaite, la technologie s’efface et la beauté s’impose.

Il y a des avis divergents

L’essayiste et romancière Cécile Guilbert a produit un article très critique dans le journal La Croix : <La guerre à mort de la culture contre l’art> :

« puisque seule l’approbation de tout a droit de cité dans cette inlassable zone d’activité frénétique qu’est aujourd’hui « la culture », cette industrie appliquée aux Beaux-Arts, ce bazar mondial que le génial polémiste viennois Karl Kraus définissait déjà en son temps comme « le mal rapporté au système des valeurs esthétiques ». […]

Regarder, c’est toujours penser. […]

D’où mon interrogation sur la prolifération contemporaine croissante d’« installations », de « dispositifs », d’« événements » culturels à propos desquels même le mot exposition ne convient plus tant ils semblent n’avoir pour finalité que de nous en mettre justement « plein la vue », c’est-à-dire – CQFD – nous dissuader de penser. Démesure et monumentalité des formats, des lieux d’expos, des coûts et des prix, n’est-ce pas là d’ailleurs le propre d’un certain art dit contemporain, entreprise d’intimidation et de terreur habile à compenser l’anéantissement des facultés sensibles par l’ironie de ses gros jouets pour milliardaires ?

[…] débauche techniciste et pillage des peintres du passé forment une doublette d’enfer pour vider l’art de tout contenu et de tout sens. […]

Car si le surgissement de toute œuvre d’art digne de ce nom s’avère un événement – celui de sa présence, de son aura –, sa mise en scène événementielle en configure à coup sûr le tombeau. Or c’est précisément ce à quoi n’a jamais pensé Culturespaces, entreprise issue d’Havas et filiale d’Engie (ex-Lyonnaise des eaux devenue GDF-Suez), à savoir l’entrepreneur privé d’ingénierie culturelle à l’origine de ce « barnum Klimt » et dont le « business model » est si prometteur qu’il opère déjà dans une dizaine de monuments et de musées français tandis qu’un système de franchises est prévu à l’étranger…

Système rentable, système parfait, croissance et dividendes garantis, mais aussi honte et désolation éprouvées au spectacle sans cesse amplifié de l’étouffement de l’art par la culture, au nom de la culture comme bras armé de l’économie politique dont se constate l’essor planétaire toujours plus meurtrier. »

Attaque brillante, qui a du contenu et dont certains arguments me touchent…. l’étouffement de l’art par la culture.

Le <Billet culturel de Mathilde Serrell> sur France Culture qui reprend ces arguments de Cécile Guilbert et en ajoute même un autre :

« Souligner qu’afin de toucher un public familial, les nus les plus provocateurs d’Egon Schiele ne figurent pas dans la sélection. »

nuance quand même le propos sous forme de question :

« Mais l’objectif annoncé est de s’adresser en plus des 50% de la population que peuvent toucher les musées, aux 25% de gens qui n’y vont jamais. Freinés par la barrière de l’établissement culturel. On aurait donc avec ce format de diffusion numérique une sorte d’expérience collective d’art qui ne serait pas une exposition mais un divertissement culturel. Et alors ? Pourquoi pas ?  »

A vous de voir.

Mais même une invitation comme celle-ci : « J’ai vu un truc super, vous devriez aller le voir aussi » renferme en elle, de la complexité et des questionnements.

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Mardi 27 mars 2018

« Nier la mort »
Tentative de certains humains à l’aide d’outils numériques et d’intelligence artificielle

C’est le journal <Les Echos> dans son édition du 5 mars 2018 qui l’écrit : « L’intelligence artificielle commence à faire parler les morts »

C’est ainsi qu’un américain et qu’une russe ont programmé des « chatbots » à partir d’anciennes conversations avec leurs proches décédés :

John James Vlahos est mort d’un cancer en février 2017. Son fils, James, continue pourtant de discuter avec lui via Facebook Messenger. Il a intégré sur le réseau social une intelligence artificielle (IA) de sa confection, le « dadbot ». Pour le programmer, ce journaliste américain a profité des derniers mois de vie de son père pour enregistrer leurs conversations. Sa passion pour le football américain, les origines grecques de sa famille, l’histoire de son premier chien… Les souvenirs de John James Vlahos, comme son sens de l’humour et sa façon de lui demander « How the hell are you ? », lui survivent désormais artificiellement dans le « dadbot », sollicitable à chaque instant, comme n’importe quel contact Facebook.

Et une femme russe a eu une idée analogue, elle habite San Fransisco. Cela reste donc une histoire américaine :

« Alors qu’elle pleurait son meilleur ami, décédé brutalement dans un accident de voiture,  Eugenia Kuyda a tenté de l’immortaliser dans une IA baptisée « Replika ». Ce robot conversationnel, qu’elle a mis en route en 2016, s’est nourri des milliers de messages que les deux amis s’échangeaient en ligne. »

C’est un sociologue Patrick Baudry auteur de « La Place des morts, enjeux et rites » (L’Harmattan, 2006) qui dit :

« Avec ces technologies, on fait comme si la personne pouvait encore être là. C’est une tendance assez logique de notre culture contemporaine dans ses relations à la mort et aux morts ».

Perdre un être cher, c’est se retrouver face à une absence radicale, irréversible. James Vlahos et Eugenia Kuyda ont tous deux bricolé des « chatbots » pour se soustraire à cette réalité insupportable. Patrick Baudry explique :

« On a tous un penchant naturel à nier qu’une personne est partie […].

Mais là où, jadis, des rites funéraires accompagnaient la mort d’une personne, où les conventions sociales nous imposaient d’entrer en deuil et d’en sortir, notre société contemporaine laisse chacun se débrouiller à sa manière, et même rapproche de plus en plus le vivant et le mort. Bientôt, dans les entreprises de pompes funèbres, on proposera des hologrammes ! »

Les Echos donnent aussi la parole à une psychologue spécialiste du deuil : Véra Fakhry :

«  Après une période de choc liée au décès, la phase suivante est de rechercher la personne décédée. On va croire qu’on la croise dans la rue, on va relire ses messages… Cette phase est normale la première année, mais si elle continue, elle devient pathologique »

Le réseau social Facebook avait déjà semé les germes de cette immortalité artificielle. En effet des profils de personnes défuntes, changées en mémorial sur Facebook, sont quotidiennement inondés de messages.

James Vlahos  se fixe pourtant une limite à ce jeu bizarre :

« Pour moi, il y a une limite morbide à ne pas dépasser. Il ne faut pas essayer de créer quelque chose de trop réaliste »

Mais il avoue cependant :

« Essayer d’améliorer ‘dadbot’ tous les jours ».

Il comprend que son invention virtuelle ne remplacera jamais son père mais il voit dans cette technologie un bon moyen de « se souvenir de lui » et de transmettre ce souvenir à ses enfants.

Il est toujours compliqué de faire son deuil, mais être à la limite de nier la mort et se créer une illusion virtuelle simulant la présence de l’absent, me parait une réponse inappropriée et peu sage.

Il est à craindre cependant que dans l’avenir, des entreprises avides de business nouveaux proposent de telles béquilles virtuelles pour simuler la continuation de la présence d’un être cher en profitant de la détresse de celles et ceux qui sont dans le deuil.

Parfois, je viens à me demander si la religion n’est tout compte fait pas une solution plus sage que ces délires numériques.

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Mercredi 21 mars 2018

« S’il y a bien un producteur de fake news à contrôler c’est l’Etat. Et l’Etat de son propre pays »
Emmanuel Todd

Emmanuel Macron a annoncé le 3 janvier, lors de ses vœux à la Presse, qu’un « texte de loi » allait être déposé « prochainement » pour lutter contre les fausses infos sur internet en « période électorale ».

Il estime avoir été victime de campagnes de désinformation sur Internet lorsqu’il était candidat à l’Elysée. D’après le chef de L’État, cette Loi serait nécessaire pour protéger la vie démocratique

Il semble que, comme sur les autres sujets, il veut aller très vite. Plusieurs Media affirment que la Loi est prête.

Est-ce vraiment une bonne idée, et devant un problème réel penser que la meilleure réponse est une Loi ?

C’est justement la question que pose l’Express : « Une loi sur les « fake news » est-elle utile ? » qui rappelle qu’il existe déjà des lois :

La volonté de légiférer sur les fake news n’est pas tout à fait nouvelle. La loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse permet de poursuivre les auteurs d’injure ou diffamation [soit le fait d’imputer un fait qui nuise à l’honneur d’un individu]. Elle sanctionne également ceux qui tentent de « troubler la paix publique » en faisant de la désinformation.

Depuis les années 2000, le code pénal, lui, permet de condamner une personne qui diffuse des fausses informations dans le but de faire croire à un attentat (article 322-14), ou de compromettre la sécurité d’un vol ou d’un avion (article 224-8). Le code monétaire et financier punit les fake news dont l’objectif est d’influencer le cours en bourse d’une entreprise. Enfin, le code électoral, à l’article L97, indique que quiconque a « surpris ou détourné » des suffrages en relayant des fausses nouvelles dans le contexte d’une élection encourt une peine d’emprisonnement.

Emmanuel Todd a de nouveau commis une petite provocation lors d’un entretien accordé à l’Obs et publié le 11 mars 2018 : « Le principal producteur de fake news, c’est l’Etat »

A la question de savoir ce qu’il pense de ce projet de Loi, Emmanuel Todd Répond :

«Je suis très inquiet. Ce qui me frappe dans la période actuelle, alors que nous sommes censés vivre l’apothéose de la démocratie libérale après l’effondrement des totalitarismes, c’est le rétrécissement des espaces d’expression et de la liberté de pensée. La liberté, depuis le Moyen Age, s’est d’abord définie contre l’Église et puis contre L’État.

Dire que L’État va assurer la liberté d’expression, c’est un oxymore historique !

Et je suis plus particulièrement inquiet pour la France, en tant qu’historien, parce qu’elle est ambivalente dans son rapport à la liberté: elle est à la fois l’une des trois nations qui ont construit la démocratie libérale, avec l’Angleterre et les Etats-Unis, et le pays de l’absolutisme de Louis XIV, de Napoléon Ier et Napoléon III, de Pétain et de l’ORTF.

Or nous sommes en train de vivre une désintégration des partis et de la représentation politique. Les groupes culturels et idéologiques antagonistes qui assuraient un pluralisme structurel de l’information (le PC, l’Église, le socialisme modéré, le gaullisme…) ont implosé. Le pluralisme n’est donc plus assuré et les médias représentent de plus en plus une masse indistincte. Typiquement le genre de situation dans laquelle l’Etat peut émerger comme une machine autonome et se mettre au-dessus de la société, pour la contrôler.

La séparation des pouvoirs est de moins en moins assurée. La menace que je vois se dessiner ce n’est donc pas celle des fake news, mais celle de l’autoritarisme de l’État et son autonomisation en tant qu’agent de contrôle de l’opinion. Il sera d’autant plus autoritaire sur le plan de l’information qu’il s’avère impuissant sur le plan économique: la société est bloquée, avec son taux de chômage tournant autour de 10%, et de plus en plus fragmentée en groupes qui se renferment sur eux-mêmes (les Corses, les habitants de Neuilly, autant que les musulmans). »

Et lorsque le journaliste cherche à détourner Emmanuel Todd de l’Etat vers la responsabilité des GAFAM, il conteste et revient vers l’État :

« Que les Gafam ne paient pas les impôts qu’ils devraient, qu’ils aient des stratégies monopolistes, oui, bien sûr. Mais je ne crois pas que ces moyens d’échange entre individus, par ailleurs extraordinaires quant à leur capacité à faire circuler l’information, soient les puissances occultes qu’on nous décrit. Ce que je sais en revanche, c’est qu’il y a des pays où l’accès à internet est contrôlé, comme la Chine, un Etat semi ou post-totalitaire où la police est reine.

Attirer l’attention sur les Gafam, c’est détourner l’attention de l’acteur majeur et producteur principal de fake news dans l’histoire, qu’est l’Etat. Parce que nous sommes en économie de marché, les Français surestiment le libéralisme intrinsèque de leur société et ils sous-estiment la puissance de désinformation de l’Etat. La guerre d’Irak a pourtant commencé par des fake news qui venaient de l’Etat américain sur les armes de destruction massive en Irak, avec Colin Powell qui agitait son petit flacon devant le conseil de sécurité de l’ONU…

C’est l’État qui a la puissance financière, l’avantage de la continuité, le monopole de la violence légitime: s’il y a bien un producteur de fake news à contrôler c’est l’État. Et l’État de son propre pays, pas les États extérieurs. Le principe fondateur de la démocratie libérale, c’est, en effet, que si la collectivité doit assurer la sécurité du citoyen, le citoyen doit être protégé contre son propre Etat.

En outre, les fausses nouvelles, les délires et les rumeurs mensongères, c’est l’éternité de la vie démocratique. Et l’idée même de la démocratie libérale, c’est de faire le pari que les hommes ne sont pas pour toujours des enfants. Contrôler l’information, c’est infantiliser le citoyen.

Au fond, ce débat évoque des classes dirigeantes en grande détresse intellectuelle. Comme elles ne comprennent plus la réalité qu’elles ont elles-mêmes créée, le comportement des électorats, Trump, le Brexit…, elles veulent interdire. Non content d’avoir le monopole de la violence légitime, l’Etat voudrait s’assurer le monopole des fake news. »

<Edward Plenel est sur ce même registre : La liberté n’a pas besoin que l’Etat s’en mêle> et le patron de Mediapart de rappeler :

« Que Nicolas Sarkozy avait accusé Mediapart de « faux et usage de faux » après la publication de révélations sur le financement de sa campagne électorale de 2007. Ces révélations étaient sorties entre les deux tours de la présidentielles de 2012, mais Edwy Plenel se défend de toute « gestion partisane de nos informations ». Il souligne que, malgré ses accusations, Nicolas Sarkozy avait choisi de ne pas poursuivre Mediapart en justice, « à la loyale », ce qui aurait permis au pure player d’apporter des éléments de preuves pour étayer ce qu’ils avaient publié.

Un « contournement » que faciliterait la nouvelle loi, selon le fondateur de Mediapart.  Il s’inquiète du risque de pression politique et partisane du pouvoir exécutif sur d’éventuelles poursuites judiciaires, qui stopperait la diffusion de révélations pendant la période de campagne électorale. »

Probablement que cette loi sur les fake news est une fausse bonne idée qui risque d’avoir plus d’effet pervers que d’effet positif.

Il est certain comme le fait remarquer Emmanuel Todd qu’au cours de l’Histoire, dans tous les pays du monde, le plus grand producteur de fake news fut l’État à l’égard de ses nationaux.

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Mardi 13 février 2018

« Le smartphone permet à ses utilisateurs compulsifs de devenir une synthèse des 3 singes de la sagesse, ils ne regardent plus, ils n’écoutent plus et ne parlent plus.»
Dessin de Durol ?

Nous savons que les trois singes (celui qui ne regarde pas, celui qui n’écoute pas, celui qui ne parle pas), appelés aussi les singes de la sagesse est un symbole d’origine asiatique.

C’est un thème originaire de la Chine de Confucius et qui a été repris par les autres civilisations comme la civilisation japonaise.

J’ai trouvé sur les réseaux sociaux ce dessin qui m’apparait à la fois drôle, et révélateur.


A l’origine, ces 3 singes exprimaient une vision de sagesse : « Ne pas voir le Mal, ne pas entendre le Mal, ne pas dire le Mal». À celui qui suit cette maxime, il n’arriverait que du bien.

Mais une autre signification a aussi été donnée à ce symbole : « ne pas vouloir voir ce qui pourrait poser problème, ne rien vouloir dire de ce qu’on sait pour ne pas prendre de risque et ne pas vouloir entendre pour pouvoir faire « comme si on ne savait pas. »

Le smartphone permet une nouvelle vision : celle de l’homme qui s’isole tellement dans son monde virtuel que ses sens de la communication du réel sont annihilés.

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