Vendredi 7 avril 2017

Vendredi 7 avril 2017
« Le wagon plombé »
Stefan Zweig : Dernier récit du livre <Les très Riches Heures de l’Humanité>
Dimanche prochain nous serons le 9 avril 2017.
Le mot du jour du 15 mars rappelait que le 15 mars 1917, le tsar de Russie Nicolas II avait abdiqué au profit de son frère, le grand-duc Michel qui avait décliné l’honneur. La Russie allait devenir pour quelques mois une République démocratique. C’est l’aboutissement de la révolution de Février (calendrier russe) qui a commencé le 8 mars (23 février) 1917.
Et ce qui va se passer, le 9 avril 1917 entre la Suisse et la Russie est l’objet du dernier récit de l’ouvrage « Les très riches Heures de l’Humanité » de Stefan Zweig :  « Le Wagon plombé ».
Stefan Zweig est un immense écrivain autrichien, pacifiste et humaniste qui a vécu la première guerre mondiale puis la montée du nazisme comme une tragédie personnelle qui l’a conduit au Suicide au Brésil le 22 février 1942 à l’âge de 60 ans. Il est l’auteur étranger le plus lu en France. ​ Il travaille durant plus de vingt ans à son recueil de nouvelles <Les Très Riches Heures de l’humanité> qui retracent les douze événements de l’histoire mondiale les plus marquants à ses yeux.
La première de ses nouvelles est la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453 et la dernière « Le Wagon plombé »
Voici comment commence ce récit :
« Le wagon plombé
Lénine, 9 avril 1917
L’homme qui habite chez le cordonnier
La Suisse, petit havre de paix, contre lequel se brisent de tous côtés le raz-de-marée de la guerre mondiale, ne cesse d’être en ces années 1915, 1916, 1917 et 1918 la scène d’un passionnant roman d’espionnage. Dans les hôtels de luxe, les employés des puissances ennemies se croisent froidement, comme s’ils ne s’étaient jamais rencontrés, alors que, un an auparavant, ils jouaient encore amicalement au bridge et s’invitaient les uns chez les autres.[…]
Tout est signalé, tout est surveillé ; à peine un allemand – quelque soit son rang – est-il arrivé à Zurich qu’on le sait déjà à l’ambassade ennemie à Berne, et une heure plus tard Paris. […]
Seul un homme fait l’objet de peu de rapports en ces jours-là, peut-être parce qu’il est trop insignifiant et qu’au lieu de descendre dans les grands hôtels, être assis dans les cafés, d’assister aux manifestations de propagande, il habite, complètement retiré, avec sa femme chez un cordonnier. […]
Ce petit homme trapu est discret et vit de façon aussi discrète que possible. Il évite la société, les habitants de la maison croisent rarement le regard perçant et sombre de ses yeux légèrement bridés, il reçoit très peu de visites. Mais régulièrement, jour après jour, il se rend à neuf heures du matin à la bibliothèque et il reste assis la jusqu’à ce qu’elle ferme à midi. À 12h10 exactement il est à nouveau chez lui, à une heure moins dix il quitte la maison pour être de nouveau le premier à la bibliothèque, et il y reste jusqu’à six heures du soir. Or les informateurs ne prêtent attention qu’aux gens qui parlent beaucoup, ils ne savent pas que lorsqu’il s’agit de révolutionner le monde, les plus dangereux sont toujours les individus solitaires qui lisent beaucoup et s’instruisent ; c’est pourquoi ils n’écrivent pas de rapport sur l’homme insignifiant qui habite chez le cordonnier. […]
Mais personne n’accorde importance à ce petit homme au front sévère, il n’y a pas trois douzaines de personnes à Zurich qui jugent utile de retenir le nom de ce Vladimir Illitch Oulianov, […] Lénine.
Un jour, le 15 mars 1917, le bibliothécaire de la bibliothèque de Zurich s’étonne. L’aiguille marque neuf heures et la place occupée chaque jour par le plus ponctuel de tous les usagers est vide. 9h30, 10 heures : le lecteur infatigable ne vient pas, il ne viendra plus. En effet, sur le chemin de la bibliothèque un ami russe l’a abordé ou plutôt assailli en lui annonçant que la révolution a éclaté en Russie. […]. »
Stefan Zweig explique alors le désir de Lénine de regagner la Russie, mais sa difficulté de traverser la France ou l’Italie pays allié de la Russie qui l’arrêterait en tant que révolutionnaire ou de traverser l’Allemagne pays ennemie de la Russie qui l’arrêterait en tant que ressortissant de l’ennemi.
Mais l’Allemagne va accepter que ce révolutionnaire qui pourra déstabiliser la Russie passe sur son territoire pour regagner son pays natal. Et Lénine, en fin stratège qu’il est, ne demandera pas au ministre plénipotentiaire allemand l’autorisation de traverser le territoire allemand mais lui donnera les conditions dans lesquelles il acceptera de passer par l’Allemagne pour regagner la Russie.
Le négociateur de Lénine sera Fritz Platten, un Suisse alors membre du parti socialiste ouvrier zurichois. Les conditions du « transfert » de Lénine en Russie seront :

Fritz Platten accompagnera les « émigrés » russes et sera le seul interlocuteur des autorités allemandes lors du voyage,

Le droit d’exterritorialité sera reconnu au wagon et l’identité de ses occupants ne sera pas contrôlée,

Le transit sera effectué sans interruption et personne ne pourra descendre de la voiture.

L’Allemagne est pressée, le 5 avril 1917, les Etats-Unis ont déclaré la guerre à l’Allemagne.
Le 6 avril, Fritz Platten, reçoit cette réponse : « Affaire réglée dans le sens souhaité »
Et je redonne la plume à Stefan Zweig :
« Le 9 avril 1917, à 2h30, un petit groupe de gens mal habillés, portant des valises [se dirige] vers la gare de Zurich. Ils sont en tout 32, on comptant les femmes et les enfants. En ce qui concerne les hommes, seuls les noms de Lénine, de Zinoviev et de Radek sont passés à la postérité. […]
Leur arrivée à la gare ne fait nullement sensation. Aucun reporter n’est venu, aucun photographe. […]
À 3h10, le contrôleur donne le signal. Et le train se met en route pour Gottmadingen, la gare frontière allemande. 3h10 : à partir de cet instant la pendule du monde tourne différemment.
Le train au wagon plombé
Des millions de projectiles destructeurs ont été lancés au cours de cette guerre mondiale, les ingénieurs ont imaginé les engins balistiques les plus puissants, les plus violents, à la portée la plus grande. Mais dans l’histoire contemporaine aucun projectile n’eut plus de portée et ne fut plus décisif que ce train, chargé des révolutionnaires les plus dangereux les plus résolus du siècle, et qui, une fois franchie la frontière suisse, file à travers l’Allemagne pour gagner Saint-Pétersbourg où il fera voler en éclats l’ordre du monde. »
Et Stefan Zweig termine ainsi son texte :
« Lorsque le train pénètre dans la gare de Finlande à Saint Pétersbourg, l’immense place devant la gare est remplie de dizaines de milliers d’ouvriers, des gardes d’honneur de toutes les armes attend celui qui revient d’exil, l’internationale retentit. Et au moment où Vladimir Ilitch Oulianov s’avance sur la place, l’homme qui avant-hier encore habitait chez le cordonnier est aussitôt saisi par des centaines de bras et hissé sur une automobile blindée. Des toits des maisons et de la forteresse, des projecteurs sont braqués sur lui et du haut de l’automobile blindée, il adresse son premier discours au peuple. Les rues frémissent : les « dix jours  qui ébranlèrent le monde » vont bientôt commencer. Le projectile a atteint son but, et il va détruire un empire, un monde. »
On connaît la suite : l’insurrection est lancée dans la nuit du 6 novembre au 7 novembre 1917 (24 et 25 octobre du calendrier julien russe), les bolcheviks sous la direction de Lénine vont s’emparer du pouvoir et créer l’URSS.
L’Allemagne a fait le bon choix de laisser passer le wagon plombé : Les bolcheviks signent l’armistice avec l’Allemagne dès le 15 décembre 1917 et le 3 mars 1918, les bolcheviks signent le traité de Brest-Litovsk qui ampute la Russie de 26 % de sa population, 27 % de sa surface cultivée, 75 % de sa production d’acier et de fer.
Les Bolcheviks et le Léninisme resteront au pouvoir moins d’un siècle. Mikhaïl Gorbatchev démissionnera de la présidence de l’Union soviétique le 25 décembre 1991 et la dissolution de l’Union Soviétique sera effective le 26 décembre 1991, 74 ans après 1917.
Des millions de morts furent la conséquence de ce rêve fou et totalitaire.
Et que devinrent les autres voyageurs du wagon plombé ?
Karl Radek,  deviendra commissaire à la propagande et sera fusillé en 1939.
Zinoviev, qui dirigea le Kominten sera fusillé en 1936.
Quant à Fritz Platten, il sera fusillé en 1942
PS : Il faut cependant noter que la date du 9 avril donnée par Stefan Zweig pour le début de ce voyage est controversée, il apparait certain que Lénine est revenu en Russie en avril 1917,
Dès son retour il a écrit les thèses d’avril, il fallait donc qu’il soit en Russie ce mois.
Sur ce site, il est affirmé que Lénine est rentré en Russie le 3 avril.
Mais en raison du récit de Stefan Zweig, la date du 9 avril 1917 reste dans l’Histoire.

Mercredi 15 mars 2017

Mercredi 15 mars 2017
« La science c’est ce qu’un vieux apprend à un jeune.
La technologie , c’est ce qu’un jeune apprend à un vieux. »
Michel Serres, dans l’interview de KTO

Lors de l’émission : Emmanuelle Dancourt a demandé à Michel Serres une citation.

Michel Serres a alors répondu ceci :

« A force d’avoir des relations avec mes étudiants que j’ai beaucoup aimé respectueusement, avec mes enfants, mes petits-enfants, je me suis aperçu de la phrase suivante que je vous livre :

Qu’est-ce la science ?

La science c’est ce qu’un vieux apprend à un jeune

Qu’est-ce que la technologie ?

C’est ce qu’un jeune apprend à un vieux.

Voilà ma citation !

Vous avez remarqué ? c’est tout à fait ça !

Nous sommes aujourd’hui dans une période très intéressante où le couple pédagogique, enseignant-enseigné est en train de se modifier finement par ce que je viens de vous dire.

Quand j’ai besoin d’avoir des éclaircissements sur la mécanique quantique, à laquelle je ne comprends rien, je demande à un vieux scientifique.

Mais quand j’ai un problème avec mon ordinateur j’appelle qui ?

Oh ! J’appelle mon petit-fils. »

Et le petit fils donne la solution au vieux philosophe…

Ce mot du jour est court, je peux donc ajouter une date mémorable : le 15 mars 1917, il y a exactement 100 ans, le tsar de Russie Nicolas II abdique au profit de son frère, le grand-duc Michel. Mais celui-ci décline l’honneur. C’en est fini de la dynastie des Romanov. La Russie devient pour quelques mois une République démocratique. C’est l’aboutissement de la révolution de Février (calendrier russe) qui a commencé le 8 mars (23 février) 1917.

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Vendredi 10 mars 2017

Vendredi 10 mars 2017
« Steve Job a fini par reconnaître que le logo de la pomme croquée d’Apple faisait référence à la pomme empoisonnée avec laquelle Alan Türing avait mis fin à ses jours »
Michel Serres

J’ai écrit que j’ai acquis le livre « Darwin, Bonaparte et le samaritain » et j’ai donc pu vous en parler directement et non seulement à travers l’interview ou des articles qui lui sont consacrés. J’ai fait de même avec le livre sur Hergé et Tintin. En revanche, je n’ai pas fait de même avec le troisième ouvrage.

Le dernier livre de Michel Serres évoqué lors de l’entretien KTO est « La légende des anges », publié en 1993 et republié le 12/10/2016.

Les anges sont porteurs de messages, de nouvelles. C’est pour cela que Michel Serres utilise ce vecteur pour « raconter » notre monde de communication et de réseaux ou des milliers de messages sont transportés chaque jour.

Michel Serres désigne 3 anges :

<Hermès> qui dans la mythologie grecque est le dieu de l’Olympe chargé de porter les messages des dieux. Il correspond au Mercure des Romains.

<Gabriel> Gabriel est quant à lui le porteur de messages des 3 religions monothéistes . Il semble qu’il apparaisse d’abord, dans la Bible hébraïque dans le livre de Daniel où il apparaît au prophète Daniel pour que ce dernier puisse annoncer ses prophéties.

Dans le Nouveau Testament, il annonce à Zacharie que sa femme Elisabeth aura un fils qu’il appellera Jean, puis il annonce la naissance de Jésus à la Vierge Marie : c’est l’Annonciation des chrétiens.

Enfin dans l’Islam, c’est encore l’ange Gabriel qui révèle les versets du Coran à Mahomet dans la grotte de Hira.

Mais de manière plus surprenante le troisième ange de Michel Serres est <Alan Turing>

J’ai fait référence la première fois à Alan Turing, lors du mot du jour du 31/12/2013, il s’agissait du mot du jour N° 212 et celui qui a exprimé ce regret était Chris Grayling Ministre de la Justice britannique :

«Son apport a été décisif pour briser le code Enigma, contribuer à mettre fin à la guerre et sauver des milliers des vies Sa vie a plus tard été assombrie par sa condamnation pour homosexualité, condamnation que nous considérerions aujourd’hui comme injuste et discriminatoire, et qui est désormais annulée.»

La reine d’Angleterre avait accordé, enfin, le 24 décembre 2013, une grâce posthume à Alan Turing, 59 ans après sa mort.

Alan Turing est resté dans l’histoire comme l’homme qui a mis au point la machine électromécanique ayant servi à « casser » le code « Enigma » utilisé par les sous-marins allemands pendant la Seconde Guerre mondiale.

Cette invention avait donné un avantage considérable aux Alliés face à l’Allemagne nazie.

Certains considèrent même que Turing est le père de l’informatique moderne parce qu’il est parvenu à définir les critères de l’intelligence artificielle.

Malgré son apport immense à la victoire des alliés, il a été condamné pour homosexualité. Il a été contraint à subir une castration chimique en 1952.

Il est donc assez normal que Michel Serres qui avait pour objet de décrire le monde de réseaux d’aujourd’hui, de mettre en lumière celui qui est un des inventeurs de l’informatique.

Et Michel Serres lors de l’interview avec Emmanuelle Dancourt reprend l’aveu tardif du créateur d’Apple que le fameux logo est un hommage à Alan Türing.

<Le site de France Info reprend cette thèse> :

« D’abord, le logo est une pomme car c’est le nom de la marque, en anglais. […]

Mais pourquoi la pomme est-elle croquée? En fait, c’est un hommage à l’anglais Alan Turing, génial mathématicien, qui pendant la Seconde Guerre mondiale, a réussi à décrypter le code secret des nazis, généré par leur fameuse machine Enigma. Sans Turing, les Alliés auraient perdu la bataille de l’Atlantique, et peut-être la guerre contre le nazisme. Turing est un héros immense. On considère qu’il a inventé l’ordinateur et l’informatique. Oui, mais il était gay, et à l’époque c’était un délit. La justice britannique le condamna à la castration chimique. Officiellement, il fut inculpé « d’indécence manifeste et de perversion sexuelle « . Désespéré, humilié, il préféra se suicider en 1954, à 42 ans, en mordant dans une pomme empoisonnée au cyanure, comme Blanche-Neige, qu’il adorait.

En fondant Apple, Jobs et Wozniak lui rendirent cet hommage. Leur pomme (arc-en-ciel, signe du mouvement gay) porte la mortelle morsure. […]

Au passage, savez-vous pourquoi les ordinateurs portables Apple ont ils été baptisés « MacIntoch » (plutôt que s’appeler poétiquement D630 ou H-50-NF comme leurs concurrents) ? Parce que Jef Raskin, l’ingénieur d’Apple, qui a créé le premier modèle de Mac au début des années 80, adorait les pommes, et sa variété préférée était la MacIntosh… »

<Mais ce site donne une autre version> :

« Selon la légende, la pomme croquée serait un hommage au célèbre mathématicien anglais Alan Turing. […] Les fondateurs d’Apple se seraient donc inspirés de cette histoire pour honorer l’homme qui les a rendus milliardaires. Pourtant bien que cette version, plutôt favorable en termes d’image de marque, n’ait jamais été réfutée par la société, il semble que la réalité soit bien différente. Ainsi, selon Rob Janoff, le designer à l’origine du logo, la morsure dans la pomme serait seulement là pour montrer qu’il s’agit bien d’une pomme et non d’une cerise. La taille du croc donnant ainsi l’échelle du fruit. De plus, croquer une pomme est un geste universel, compréhensible par tous. Enfin, les couleurs arc-en-ciel de la pomme ne seraient pas un clin d’œil au drapeau gay, mais plutôt une référence au moniteur couleur qui équipaient à l’époque les produits Apple. »

<Toujours est-il que le parlement britannique vient de voter une loi Alan Türing>

Par cette loi à qui on a donné le nom du mathématicien de génie des dizaines de milliers d’homosexuels, condamnés à une époque où leurs mœurs constituaient un délit, ont obtenu une grâce du gouvernement britannique. L’agence de presse britannique estime que la loi concerne 100 000 hommes condamnés entre 1885 et 2003, lorsque les dernières lois hostiles à l’homosexualité ont été abrogées. Parmi eux figure notamment Oscar Wilde (1854-1900), condamné en 1895.

Dans l’entretien de KTO, Michel Serres fustigeait cette morbide habitude… qui consiste à orner nos places de statues de chefs de guerre et de généraux responsables de carnage et de massacre, alors qu’il y a si peu de statue des vrais grands hommes comme Alan Türing ou aussi de grandes femmes comme <Emilie du Chatelet> par exemple

Un film <Imitation Game> sorti en 2014 a tenté de retracer l’histoire d’Alan Türing.

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Jeudi 9 mars 2017

Jeudi 9 mars 2017
« De la manière de négocier avec les souverains »
François de Callières (1645-1717)

Ce qu’il y a de remarquable avec des hommes comme Michel Serres, c’est qu’ils ouvrent votre esprit et vous font connaître d’autres esprits féconds.

Je ne connaissais pas François de Callières, mais à partir du moment où j’ai appris à le connaître grâce à la lecture des pages 124 à 127 de son ouvrage sur une Philosophie de l’Histoire, une rapide recherche sur le « côté lumineux » d’Internet montre alors que cet homme compte et a compté dans l’histoire des idées et des relations internationales.

Michel Serres présente François de Callières comme symbole du deuxième héros de l’âge doux, le négociateur (le premier étant le médecin symbolisé par le samaritain).

Je cite donc simplement Michel Serres :

« Louis XIV ne cessa de faire la guerre, plus de 300 000 morts; à peine si son règne ensoleillé connus quelques mois de paix. De ces années la France sortit épuisée, exsangue, ruinée ; ledit grand siècle coûta un prix exorbitant. […]

Avant Louis XIV, Richelieu fonda l’Académie française. Nous conservons la liste de ceux qui occupèrent, tour à tour, les 40 fauteuils. Quelques gloires incontestables s’y noient parmi mille noms oubliés. Longtemps pris pour un auteur médiocre, l’un de ces académiciens de l’ombre écrit, dans son œuvre précise, le déséquilibre vie-mort, thème de ce livre et tente de l’inverser. Conseiller auprès de ce roi mortifère, François de Callières publia en effet, en 1716, année qui suivit la mort du monarque qui précéda la sienne propre, un livre décisif : « de la manière de négocier avec les souverains », texte qui sombra dans l’oubli pendant deux siècles avant de connaître, à partir de 1917, une résurrection imprévue. Je tiens désormais son auteur comme l’un des grands penseurs de ce temps et du nôtre, d’autant qu’il partage avec Vauban le mérite de prendre à rebours les usages pugnaces du roi.

Il n’eut pas le courage ou la possibilité, pendant un règne où régnaient, aux frontières, le bruit et la fureur, de publier ce livre paisible, qui resurgit à une date où la première guerre mondiale développait son inutile boucherie et avant que le traité de Versailles ne devînt le contrat léonin dont les conséquences néfastes entraînèrent les années suivantes à une guerre pire et se font encore sentir aujourd’hui.

À partir de 1917, donc en plein conflit, traduit en de nombreuses langues et mis au programme de maintes universités, même des écoles de commerce soucieuses d’enseigner la négociation. Cet ouvrage parcourt la planète, de la Chine au Portugal et du Japon à la Pologne. Considéré désormais comme un  classique, traduit en anglais, par exemple, par le secrétaire de Sir Winston Churchill, l’ouvrage de François de carrière eut pour lecteurs assidus et admirateurs de hauts personnages de la politique ou de l’économie, comme Thomas Jefferson ou John Galbraith. Dans un livre récent, mon ami et collègue Amin Maalouf le remit en scène devant nos yeux et, pour mon bonheur, me l’enseigna.

À distance immense de Machiavel, avant, ou de Clausewitz après lui, François de Callières voit d’abord, son pays d’un œil lucide : notre nation est si belliqueuse, écrit-il, qu’elle ne connaît presque point d’autre gloire ni d’autres honneurs que ceux qui s’acquièrent par la profession des armes…, avant de définir le but du négociateur : éviter au maximum les conflits. »

Cette sentence de François de Callières me fait penser à un échange que j’ai eu un jour avec des jeunes Allemands.

Un ami, m’avait emmené à Sarrebruck rencontrer un groupe de jeunes Allemands. Et nous discutions des relations entre la France et l’Allemagne. Ces jeunes allemands décrivaient notre pays, la France, comme un des pays les plus belliqueux qu’il n’y eut jamais sur la terre et notamment en Europe, au cours des siècles. Je fus étonné, car mes cours d’histoire parlant de la guerre de 1870 de la première et la seconde guerre mondiale m’ont toujours conduit à penser que s’il y avait un fauteur de guerre en Europe c’était l’Allemagne ou la Prusse. Cette discussion m’avait troublé et je repartis vers les livres d’Histoire. C’était évidemment ces jeunes Allemands qui avaient raison.

Au cours des siècles, Louis XIV comme Napoléon ou la révolution sont particulièrement dans cette logique, la France a attaqué systématiquement tous les pays d’Europe pour asseoir sa suprématie, pour accroître son territoire. La France est la nation de la guerre par excellence.

Michel Serres cite encore François de Callières :

« Tout prince chrétien, doit avoir pour maxime principale de n’employer la voie des armes, pour soutenir et faire valoir ses droits, qu’après avoir tenté et épuisé celle de la raison et de la persuasion. Mieux encore, son livre comporte des pages qui décrivent quasi  expressément la manière adoptée par ceux qui construisirent, passé la seconde guerre mondiale, notre Europe pacifiée. Existe-t-il meilleure preuve de génie qu’une telle prophétie ? Après François de Callières, Edgar Faure allait disant que la guerre coûte toujours plus cher que la paix, même acquise à n’importe quel prix. […]

Certains experts anglo-saxons disent de François de Callières qu’il inventa le soft power. Preuve en est ce texte dont les pages, conseillant le doux tout court et comment y parvenir, restèrent inouïes pendant deux siècles assourdis par le bruit des conflits, jusqu’à ce que ces derniers deviennent absurdes et monstrueux. Pour cette innovation héroïque, je salue François de Callières, initiateur de l’Europe actuelle et de mon petit livre, comme le deuxième héros de l’âge doux : le négociateur après le médecin, Schuman et Adenauer après Schweitzer et Monod. Je proclame cet homme de l’ombre comme l’une des gloires de l’Académie et de la France. […]

Je rêve que, dans un Panthéon réaménagé, soient transportées les cendres du grand homme et qu’avant ma mort je puisse fleurir sa statue érigée entre les Invalides et le Quai d’Orsay, après que l’on aurait fabriqué des cymbales et des casseroles avec les métaux fondus à partir des statues médiocres de Louis XIV sur la place desdites Victoires ou de Foch au Trocadéro. Nous agrémenterions la fête d’une musique accompagnée du son de ces percussions. »

Comme je l’ai écrit au début de cette chronique, on trouve sur Internet énormément de pages consacrées à cet homme qui devrait être illustre selon Michel Serres.

Il dispose bien sûr d’une page très documentée sur <Wikipedia>

<L’extraordinaire bibliothèque en ligne Gallica, permet de lire l’ouvrage cité>

<Sur le site de l’Académie française, il est possible de lire le discours de réception, prononcé le 7. Février 1689, par François de Callières>.

Ainsi un nouvel homme remarquable entre dans notre panthéon de la connaissance grâce à Michel Serres.

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Mardi 7 mars 2017

Mardi 7 mars 2017
« Le premier âge est plus long qu’on ne le croit ;
Le deuxième pire qu’on ne le pense ;
Le dernier meilleur qu’on ne le dit. »
Michel Serres, « darwin, Bonaparte et le samaritain »

Le 3ème temps de la philosophie de l’Histoire de Michel Serres parle du temps actuel et il rappelle que cela fait plus de 70 ans que l’Occident est en paix.

Mon frère Gérard va avoir 70 ans cette année et il n’a jamais connu la guerre.

Un jour Michel Serres est venu devant ses élèves et a montré cette photo de Bush, Blair et Aznar pris en 2003 aux Acores :

Et il a demandé qu’est-ce que cette photo a d’unique dans l’Histoire de l’Humanité ?

Les étudiants ne savaient pas quoi répondre !

Alors Michel Serres a dit :

« Ces 3 hommes vont déclarer la guerre [A l’Irak] et ils n’ont jamais connu la guerre personnellement.

Il n’est jamais arrivé dans l’Histoire de l’Humanité que des responsables d’Etat déclarent la guerre sans jamais l’avoir connue. »

Vous trouverez un article récent en espagnol sur cette rencontre et duquel j’ai tiré cette photo et un article de l’époque en français.

Vous direz, ce propos est paradoxal : ces 3 déclarent la guerre et Michel Serres dit que nous sommes en paix.

C’est à dire que le continent européen qui a produit les plus grands massacres de l’âge de la guerre est en paix et que s’il y a encore des zones de violence dans le monde elles sont sans mesure avec ce qui existait dans l’âge de la guerre.

Et puis surtout, il y a eu une évolution extraordinaire des mentalités. Et il cite cet exemple et échange avec des amis à Stanford :

« Après l’attentat du 11 septembre 2001, j’ai pris, pour San Francisco, le premier avion disponible. [en arrivant] je fus invité chez des amis de la Silicon Valley à un dîner où se trouvaient plusieurs personnes de langues, de religions et de cultures diverses. La conversation roula sur les kamikazes dont les avions venaient de détruire une tour de Manhattan ; alors que l’un d’entre nous s’étonnait qu’ils fissent la queue pour se sacrifier, je cite de mémoire :

« Mourir pour sa patrie est un si digne sort
Qu’on briguerait en foule une si belle mort. »

Mais qui a écrit ces horreurs ? m’interrogèrent de concert les invités –  je récite simplement une tirade d’Horace, la plus belle tragédie de Corneille, répondis-je.

J’ajoutai aussitôt le refrain de notre célèbre chant du départ :

« La république nous appelle
Sachons vaincre ou sachons périr,
Un Français doit vivre pour elle,
Pour elle un Français doit mourir.

[..] Demander par sondage ce que la population de nos pays pense désormais de cet héroïsme. L’immense majorité répondra et je l’approuve qu’elle n’a plus d’ennemis et que c’est une pure folie d’appartenir à un groupe qui exige le sacrifice de la vie. Malgré tous ses défauts, l’Europe que, au sortir de la seconde guerre mondiale, la génération qui précède la mienne fonda est peut-être la première communauté humaine dans toute l’histoire si orientée vers la paix qu’elle ne demandera jamais la vie de ses enfants. » (page 52)

Lors d’une autre intervention, Michel Serres fit remarquer que si nous trouvons les décapitations de DAESH si horrible, si contraire à la civilisation, dans notre beau pays on a décapité jusqu’en <1977>. Et avant la seconde guerre mondiale, les décapitations étaient publiques, c’étaient des spectacles auxquels on amenait même les enfants. Nous le faisions et maintenant cela nous fait horreur. Quelle évolution !

C’est pourquoi, Michel Serres parle de l’«âge doux» pour traduire le mot anglais « soft ».

Pour l’«âge de la guerre» Michel Serres avait décrit trois raisons évoquées pour justifier le conflit :

  • l’hégémonie territoriale,
  • religieuse
  • et économique.

Et l’âge du doux se décline aussi de trois manières, portant sur la vie et l’esprit :

  • médicale,
  • pacifique
  • et numérique.

C’est le médecin qui est l’emblème de cette époque, c’est pourquoi il donne le nom de samaritain à cet âge. Cet homme qui selon la parabole s’est penchée sur un blessé pour lui venir en aide. Il décrit notre époque comme celle de la compassion où on soigne, où les progrès de la science ont permis de faire reculer les limites de la mort et de la douleur.

L’autre aspect de cet âge du doux est la paix, la création de l’ONU et surtout de l’Union européenne. Car comme le dit Michel Serres :

« En 1870, La France vaincue par la Prusse n’avait qu’une idée en tête : se venger. »

Je l’ai déjà écrit, et je partage ce destin avec d’autres personnes originaires de Moselle ou d’Alsace, mon arrière-grand-père : Jean-Pierre Klam avait 22 ans et était soldat français.

En 1918, l’Allemagne vaincue par la France et les alliés n’avait qu’une idée en tête : se venger. Mon grand-père Félix Klam né en 1874, était soldat allemand.

En 1940, mon père avait 21 ans, il fut incorporé dans l’armée française. Et au bout de l’horreur des morts, des génocides, d’Hiroshima, des hommes ont dit : il ne faut plus se venger, il faut construire ensemble.

Et c’est comme ça que mon frère, né 2 ans après la fin de la guerre n’a pas eu le même destin que ses ascendants : âge de la paix, âge doux.

Le numérique pour Michel Serres contribue aussi à l’âge doux, parce qu’il substitue à un monde hiérarchique un monde de réseau et qu’il met à disposition de beaucoup un savoir qui était limité à certains.

Il n’est pas dupe des défis du monde, sur les inégalités, les tensions économiques, la pression sur les ressources et surtout notre rapport au monde et au vivant que notre avidité peut souiller à un point tel que la vie humaine deviendra difficile ou même disparaîtra.

Mais il rappelle que contrairement à toute attente, les statistiques montrent que la majorité des humains pratiquent l’entraide plutôt que la concurrence et le destin du monde n’est pas écrit.

C’est une philosophie de l’optimisme et de la lucidité à laquelle nous invite Michel Serres.

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Lundi 6 mars 2017

Lundi 6 mars 2017
« Une nuit de Paris réparera cela. »
Napoléon, propos qui lui sont attribués après le carnage de la bataille d’Eylau (1807)

Après avoir parlé, du premier âge, l’âge de l’évolution du vivant jusqu’aux humains, le grand récit, Michel Serres décrit un deuxième âge. C’est l’âge de la guerre.

Après avoir entendu l’entretien dont je vous ai parlé dès le mot du jour du 27 février 2017 : <Michel Serres – 3 déc. 2016 – KTOTV>, j’ai acquis le livre lui-même et suis donc en mesure de parler directement de cet ouvrage.

Dans cette deuxième partie, Michel Serres parle d’abord de lui puis cite une suite d’évènements : (à partir de la page 44 du livre) :

« Mon âge propre commence en 1930. Fils d’un paysan marinier gazé à Verdun et rescapé de l’atroce boucherie de 14-18, je descends d’autre part de la seule jeune fille qui ait pu se marier, parmi ses amies de collège, puisque les fiancés possibles et les époux réels dormaient, alignés, dans les immenses cimetières militaires, ou, inconnus, sous la glèbe ordinaire. Né dans le sud-ouest de la France, mon premier souvenir date de la guerre civile d’Espagne, dont nous recevions les réfugiés qui racontaient les abominations qu’ils venaient de subir. […]

Depuis leur création en 1776, les États-Unis ont été en guerre 222 années sur les 239 de leur existence, soit 93 % de leur temps […]. Globalement et suivant l’évaluation de l’histoire mondiale, calculée, anciennement déjà, par Ivan Bloch, entre l’année 1496 av. J.-C. et l’an 1861 de notre ère, il y eut 227 années de paix et 3130 années de guerre. Moins de 10 % de ces 3357 années consacrées à la paix, c’est-à-dire à la vie – à peu près le même chiffre que celui des États-Unis.

[…] Ces estimations ne pouvaient prévoir que les deux guerres mondiales du siècle dernier, plus dix crimes d’État, feraient, en effet, baisser encore ce pourcentage. Jusqu’au point culminant d’Hiroshima, qui fuit, un moment, craindre notre propre éradication ou celle de la planète entière […] . Voici donc des millénaires qu’une mort, subie, certes, mais produite de nos mains, règne sur nous et ne cesse de nous menacer : non seulement notre mort propre, inévitable, mais une autre, collective, vers laquelle, hélas, nous ne cessions de courir, avec une cécité constante. »

La guerre de tous contre tous était perpétuelle. Cette proportion c’est en effet, encore accentué lors de la première moitié du XXème siècle qui a été le pire de l’Histoire de la violence qui a culminé avec le bombardement de Dresde qui porte le triste nom du plus grand bombardement de l’Histoire puis les bombes atomiques de Hiroshima et de Nagasaki.

A ces massacres issues des guerres entre les Etats et les nations il faut ajouter les victimes internes des totalitarismes : du nazisme, du stalinisme et du maoïsme.

Pour caractériser cette terrible époque de plus de 3000 ans de guerre, Michel Serres a choisi Bonaparte. Il raconte qu’au soir :

« de la journée d’Eylau, escortés par ses généraux, Napoléon traversa le champ de bataille jonchée de cadavres par milliers et eut ce mot terrible : « une nuit de Paris réparera cela. ».

Ce propos que rapporte Michel Serres avait déjà été transcrit dans la Revue des deux Mondes en 1915.

En effet, cette revue rendue célèbre par la collaboration très rémunératrice de Pénélope Fillon existait déjà en 1915.

Un certain Docteur Émile Laurent, écrivit en 1891 un livre appelé <L’amour morbide> et dans l’introduction de ce livre <repris ici> il écrivait cette même citation :

« Au lendemain d’une sanglante bataille, au milieu d’une vaste plaine semée de morts et de mourants, Napoléon Ier fit cette réflexion : « Une nuit de Paris réparera tout cela. » »

Mais Wikipedia ne décrit pas la même chose sur la page consacrée à la bataille d’Eylau :

« Napoléon, très affecté par les pertes subies, et contrairement à son habitude, restera huit jours sur le champ de bataille pour superviser les secours aux blessés. Il se retire le soir même de la bataille au château de Finckenstein non loin de Preußisch Eylau. Il déclare alors :

« Cette boucherie passerait l’envie à tous les princes de la terre de faire la guerre. » »

Et l’excellent site consacré à l’histoire <Herodote> rapporte que 6 jours après la bataille, Napoléon 1er écrit à l’impératrice Joséphine :

«Je suis toujours à Eylau. Ce pays est couvert de morts et de blessés. Ce n’est pas la plus belle partie de la guerre. L’on souffre et l’âme est oppressée de voir tant de victimes»

On ne sait donc pas avec certitude que Napoléon aurait bien tenu ces propos obscènes à la bataille d’Eylau qui opposa son armée à l’armée russe. Et finalement peu importe, il est certain que pendant des siècles les hommes ont magnifié la guerre et ont minimisé l’horreur et la violence sur les champs de bataille.

Michel Serres rappelle d’ailleurs que :

« Les Français vouèrent aux guerres napoléoniennes et à la révolution de 1789, 1 500 000 morts alors que la première guerre mondiale, entre 14 et 18 pourtant considérés comme une boucherie, leur coûta seulement 1 350 000 victimes. »

Et partout, sur nos Places des statues célèbrent des généraux le sabre levé avec le récit de leurs exploits. Des avenues et des rues portent leurs noms alors qu’ils sont, avant toute chose, des hommes de la mort, qui ont poussé leurs hommes à s’entretuer avec d’autres hommes.

Terrible âge que cet âge de la guerre.

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Vendredi 3 mars 2017

Vendredi 3 mars 2017
« L’âge du monde »
Pascal Richet

Michel Serres dit :

« Nos anciens avaient 4000 années comme passé, jusqu’à Abraham à peu près, nos contemporains ont un passé de plus de 13 milliards d’années. Et cela change tout »

Nous avons compris l’importance de dater. Et l’âge du monde est un sujet passionnant. Je ne parle même pas de la détermination de l’âge de la terre ou de l’univers par les méthodes scientifiques les plus modernes, mais de la perception, par les hommes, de l’âge du monde aux différentes époques historiques.

Lors de mes études d’Histoire à Lyon, en 2003, il m’a été conseillé d’acheter un livre qui fait autorité : « L’âge du monde –  A la découverte de l’immensité du temps » de Pascal Richet qui fait le point sur cette question. Ce livre est donc dans ma bibliothèque et si je l’ai feuilleté, je ne l’ai pas encore lu de manière approfondie.

<Wikipedia> rappelle que si les grecs considéraient le temps comme infini et plaçaient la Terre comme faisant partie d’un cycle cosmique éternel, les trois religions monothéistes (juive, chrétienne et musulmane) ont introduit un temps limité démarrant avec une création du monde.

Ainsi dans ces 3 religions, l’âge du monde oscillait entre 3000 et 6000 ans.

Et les humains pendant des siècles ont inscrit leur univers, leur temporalité, dans cette petite période.

En 1650, l’archevêque James Ussher fait remonter la Genèse précisément au 23 octobre 4004 av. J.-C., à neuf heures du soir précisément.

Près de cinquante ans plus tard, le grand Isaac Newton l’estime à 3998 ans av. J.-C. en se servant de la précession des équinoxes pour caler l’âge des phénomènes bibliques avec des observations astronomiques babyloniennes ou des légendes des Grecs.

Cette chronologie d’Ussher fera autorité jusqu’au début du XXe siècle, la version officielle de la Bible affirmant que la Terre et l’humanité furent créées par la Trinité en 4004 av. J.-C

Mais au cours des siècles, il y eut des esprits libres qui ont étudié et compris que cette version issue de la lecture des textes sacrés était erronée.

Et c’est au XVIIIème siècle que différents intellectuels vont tenter par des méthodes scientifiques de déterminer l’âge de la terre

C’est l’astronome Edmond Halley (1656-1742) qui au bout de ses analyses scientifiques va affirmer que la terre est beaucoup plus vieille qu’on ne le pense.

Un peu plus tard, Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829), à partir de la rotation des océans, propose une datation de 4 milliards d’années. Et ce n’est qu’en 1896 que Becquerel découvre la radioactivité, découverte qui permettra de déterminer l’âge de la terre qu’on connaît aujourd’hui : 4,54 milliards d’années.

<Vous trouverez ici une étude de 6 pages publiée par le CNRS présentant la démarche scientifique arrivant à cette conclusion>

Mais le plus grand nombre resta figé dans ses croyances et la version biblique de la création.

Aujourd’hui encore et particulièrement aux Etats-Unis les partisans du créationnisme sont nombreux.

<Ainsi le vice-président actuel des Etats-Unis est ouvertement créationniste>

Et parmi ces créationnistes, il en est une grande part qui continue à prétendre que l’âge du monde est celui qui est déduit des généalogies des textes sacrés.

On a même donné un nom à ce dogme : « Le créationnisme Jeune-Terre » qui interprète la Bible comme un livre de sciences naturelles et d’histoire, véhiculant la croyance selon laquelle le récit de la création de l’univers tel que fourni par les textes religieux, donne une description littéralement et scientifiquement exacte de l’origine de l’Univers.

Vous trouverez sur internet de nombreux sites qui continuent à essayer de nier les découvertes scientifiques et de continuer à rester calé sur quelques milliers d’années.

Et, il y aussi des tentatives de rendre compatible les religions monothéistes et la science.

<Ici on trouve une tentative de rendre compatible la Torah et les études scientifiques>

<Ici une tentative identique de la part de chrétiens>

<De telles tentatives existent aussi dans le monde de l’Islam>

Toujours est-il que la perception de l’immensité de l’âge du monde est récente et qu’il existe encore beaucoup d’humains qui semblent en douter.

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Jeudi 2 mars 2017

Jeudi 2 mars 2017
«Le Grand Récit »
Michel Serres

L’Histoire commence avec l’écriture. Voilà un consensus général qui réunit tous les Historiens.

C’est ce que nous avons appris à l’école.

Michel Serres part de ce constat :

«Pour faire une philosophie de l’Histoire, il faut avoir une bonne définition de l’Histoire. Or tous les historiens sont d’accord pour dire que l’Histoire commence avec l’écriture. C’est l’invention de l’écriture qui constitue le commencement de cette discipline. »

Avant l’Histoire, il y a la période qui précède l’Histoire et à laquelle on a donné naturellement le nom de Préhistoire. Mais pour Michel Serres, les choses ne sont pas aussi claires.

«La plupart des historiens célèbrent, avec raison d’ailleurs, la mémoire, ils disent que l’Histoire est la mémoire collective des hommes. […]

Je trouve, quant à moi, que l’Histoire qui commence avec l’écriture peut se définir par une série d’oublis.

Et les oublis sont les suivants :

Si l’Histoire commence avec l’écriture, [qu’est-ce que cela signifie] pour les civilisations et les cultures sans écriture ?

Ce sont des hommes comme nous, ce sont des cultures comme les nôtres, avec des religions, quelquefois des comptages, quelquefois des sciences mais pas d’écriture. Ils seraient donc « Sans Histoire » ? Cette décision-là, de couper l’humanité entre ceux qui ont l’écriture et ceux qui n’en ont pas, fait que nous considérerons donc que ces gens-là sont en dehors de l’Histoire. Et c’est quand même assez grave de dire qu’ils sont préhistoriques alors qu’ils sont nos contemporains. Voilà le premier oubli.

Cet oubli est compensé par une science humaine au sens technique mais aussi  humaniste qui est l’ethnologie qui s’occupe justement des populations sans écriture et pallie l’oubli de l’Histoire.

Mais si on remonte, que s’est-il passé lorsque les hommes ont émergé à l’Humanité elle-même ? On a longtemps oublié ces hommes. Mais une science humaine, au sens technique et humaniste, pallie cet oubli-là. Cette science, c’est la Préhistoire. La Préhistoire s’occupe de nos ancêtres en tant que personne et culture, antérieurement à l’écriture.

J’ai ainsi remonté de condition en condition. Et je remonte au moment où l’Homme est devenu homo sapiens sapiens et je vais au-delà vers les hominidés, puis nos ancêtres communs avec les bonobos et les singes. […] On s’aperçoit alors qu’on plonge dans une nouvelle discipline, une nouvelle science qui pallie les oublis des autres sciences, il s’agit d’une science qui selon Darwin étudie l’évolution de la totalité du vivant. Et là on remonte à plus de 3 milliards d’années jusqu’au premier être vivant, la première molécule qui a su se dupliquer. C’est aussi de l’Histoire.

D’ailleurs cette discipline on l’a bien nommé : « L’histoire naturelle » qui pallie les autres oublis.

Mais voyons un peu…

Cette molécule qui s’est dupliqué, elle était elle-même dans une mer de molécules qui ne se dupliquaient pas et qui était non du domaine du vivant mais du domaine de l’inerte. […]

Ces molécules qui ont jailli de la soupe primitive de molécules qui ne se dupliquaient pas, ont jailli parce qu’elles ont bénéficié d’un habitat favorable à cette activité et à cette existence. Et cet habitat, c’est la planète.

Et cette planète n’a pas d’histoire ?

Et bien si, elle a une histoire. La Géophysique s’occupe de cette Histoire.

Et ainsi de suite on peut remonter de la géophysique au système solaire qui lui aussi à une Histoire. Et du système solaire on remonte à la galaxie et de la galaxie on remonte au big bang etc.

Mais pourquoi dites-vous que vous parlez d’Histoire, puisque l’Histoire commence avec l’écriture ?

Nous y sommes, c’est maintenant qu’il faut bien réfléchir.

Toutes les sciences dont j’ai parlé, que ce soit la géophysique, que ce soit l’Histoire naturelle, la cosmologie, l’astronomie, comment ont-elles fait pour arriver au résultat dont j’ai parlé ?

Réponse : Toutes ont su, à un moment, dater leurs objets !

Et une des grandes découvertes de toutes ces sciences c’est cette datation. Toutes les sciences savent dater.

L’Histoire naturelle sait dater, l’apparition d’une espèce, la disparition d’une espèce. […].

Comment ces sciences font-elles pour dater leurs objets ?

C’est très simple : parce qu’elles découvrent des traces et que ces traces sont considérées comme une écriture et qu’il est question de la décoder. […]

Par exemple une roche volcanique était liquide au moment de l’éruption et lorsqu’elle se solidifie, elle conserve, en son sein, la trace du magnétisme de l’époque. Donc on peut lire sur la roche l’état du magnétisme de l’époque de sa création donc de l’époque en question.»

Michel Serres explique très bien que l’écriture est un code qui permet de transmettre une information. Pour pouvoir comprendre et assimiler cette information, il faut connaître ce code et donc savoir décoder.

Les traces que ces différentes sciences arrivent donc à décoder sont une écriture !

«Toutes les sciences s’adonnent justement à cet exercice-là, lire des traces et donc lire une écriture qu’il s’agit de décoder..

Quand on dit que l’Histoire commence avec l’écriture, alors les vivants ont une Histoire, alors les civilisations sans écriture ont une Histoire, alors la planète a une Histoire, la galaxie a une Histoire, l’Univers entier a une Histoire qui commence avec le big bang.

Une fois que ces sciences ont daté leurs objets, ces objets peuvent s’aligner dans une suite chronologique telle que je l’ai appelée le grand récit.

C’est-à-dire qu’à partir du big bang on peut raconter comment s’est développé l’Univers, puis comment en refroidissant il a donné des étoiles, puis des planètes, des vivants, des espèces de faune et de flore jusqu’à l’Homme. Cela fait donc un grand récit.

Ce grand récit a une particularité qui le rapproche de l’Histoire. C’est le suivant : c’est que les savants qui datent leur objet, ils ne croient pas à quelques finalités qui soient.

Cette Histoire dès qu’on la regarde en aval, il n’y a pas de finalité, on ne peut pas le prévoir.

Mais quand on regarde en amont on peut expliquer comment cela s’est passé. […]»

Pour expliciter cette manière de faire, Michel Serres prend l’exemple de l’élection de Trump qu’aucun politicien n’a prévu. Mais maintenant que l’évènement est arrivé, tous les analystes vont trouver les causes, voire les multiples causes qui ont conduit à ce résultat

«Cette encyclopédie qui relie toutes les sciences dans une datation continue, chronologique est un récit littéraire.

Quand je raconte une Histoire à mes petits-enfants et quand je les vois le soir et que je leur dit où en étions-nous hier ? Ils me répondent nous en étions à : « Et alors … ».

Qu’est ce qui va se passer ? Il n’y a pas de finalité à mon affaire.

La grande Histoire est ainsi ce récit, ce grand récit qui nous vient du début de notre univers jusqu’à nous.»

Et si des historiens veulent encore protester en disant à Michel Serres que tout ceci est un peu éloigné de la réalité humaine, il leur répondra que ce n’est pas exact.

«Notre être organique multi cellulaire et notre ADN est formé de molécules très anciennes. Notre corps est composé essentiellement de 4 ou 5 atomes qui ont été créés il y a très longtemps dans le début de l’évolution de l’Univers. Nous sommes donc tous un composé de ce grand récit

Et si vous voulez en savoir encore plus vous avez cette belle émission de France Culture dont le titre est justement « Le grand récit »

C’est la première partie de son livre sur la philosophie de l’Histoire. Il aurait pu l’appeler le Grand récit, mais il a voulu donner le nom d’un personnage et il a choisi Darwin qui est celui qui nous a révélé l’évolution des espèces.

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Mercredi 1er mars 2017

Mercredi 1er mars 2017
« Une philosophie de l’Histoire »
Michel Serres

Le premier livre abordé dans l’interview d’EmmanuelleDancourt a pour titre : « Darwin, Bonaparte et le samaritain, une philosophie de l’Histoire »

Michel Serres divise son livre en 3 temps, chaque temps étant symbolisé par un nom ; deux personnages historiques Darwin qui a révélé l’évolution des espèces, Bonaparte qui était un homme de guerre et un personnage de fiction, personnage de la culture chrétienne qui apparait dans une parabole que le Christ aurait raconté selon les évangiles : le samaritain, plus connu avec un adjectif : « le bon samaritain ».

Mais pourquoi faire une philosophie de l’Histoire ?

Dans ma jeunesse je m’étais intéressé à un livre de Raymond Aron : « Introduction à la philosophie de l’histoire » dans lequel il s’intéressait aux limites de l’objectivité historique et menait une réfutation du positivisme qui était la pensée dominante. Raymond Aron avait ainsi dans les années 1970 dit de Giscard d’Estaing :

« Cet homme ne sait pas que l’Histoire est tragique »

Car depuis la philosophie des Lumière, on avait considéré que la science apporterait le progrès et donc que l’Histoire ne pouvait aller que vers un avenir meilleur.

Par des voies différentes et des objectifs différenciés, au XIXème siècle, des grands esprits comme Friedrich Hegel, Auguste Comte et Karl Marx avaient tous une vision de l’Histoire qui allait vers plus de lumière, de liberté pour l’homme et d’organisation bénéfique de la société.

Michel Serres comme toujours s’y prend différemment pour réaliser une philosophie de l’Histoire qui lui est propre et qui change forcément notre regard sur l’Histoire, notre Histoire.

Pourquoi faire une philosophie de l’Histoire ?

Il aborde ce sujet de manière encore plus explicite que dans l’interview de KTO, dans une conférence où il présente ce seul livre : « Darwin, Bonaparte et le samaritain » :

« Après les attentats j’ai entendu des voix politiques ou médiatiques dirent : l’Histoire nous rattrape. Comme si l’Histoire n’était jamais faite que d’attentats, de violences et de rapports de force. Vivons-nous vraiment un temps de l’Histoire hyper violent ? Tout le monde a l’air de le penser et tout le monde a l’air de le dire. Si sur notre ordinateur, nous tapons sur un moteur de recherche : cause de mortalité dans le monde et que nous consultons les sites les plus sérieux qui donnent ce type de dénombrement nous constaterons que le nombre de morts par violence est très largement minoritaire.

Jamais le monde n’a été aussi paisible. C’est la première question celle de la violence.

La seconde question qui se pose est notre conduite envers le monde. »

Il raconte que récemment, il marchait dans le bois de Vincennes.

« Et dans ces heures de la terminaison de l’après-midi, levant les yeux j’ai été foudroyé d’admiration devant la beauté du coucher du soleil. Il y avait une harmonie de bleu et de rose dans les nuages qui à travers le feuillage, qui était déjà devenu jaune, était d’une surprenante beauté. Je suis resté en extase un moment et baissant les yeux je me suis aperçu qu’il y avait beaucoup de monde autour de moi et que personne n’y attachait aucune attention. Alors j’ai arrêté une ou deux personnes pour leur dire : Vous avez vu cet extraordinaire coucher de soleil ? »

Alors la première personne m’a répondu : « Merde ! Je n’ai pas mon appareil photo ! »

Et la seconde m’a dit : « Ha Ha vous êtes bien poète vous ! » et… elle a passé vite son chemin.

Et il ajoute :

« Par conséquent personne n’y faisait attention. Et je me suis rendu compte qu’il y avait là une photographie intéressante de notre rapport au monde. C’est-à-dire que nous, habitants des villes, nous n’avons plus jamais l’habitude de regarder le monde.

Les philosophes appellent les hommes : « des êtres au monde » Eh bien ce n’est pas vrai ! Nous ne sommes pas dans le monde, nous ne voyons pas le monde. Et par conséquent si le monde est aujourd’hui en perdition aussi bien pour les espèces vivantes que pour le climat, c’est peut-être que nous n’y faisons pas attention. »

Ainsi pour rédiger mon livre [sur la philosophie de l’Histoire] j’avais deux préoccupations c’était :

· Les questions de violence et

· Notre rapport au monde. […] »

Et il conclut :

« Faire une philosophie de l’Histoire est aujourd’hui important [parce que] nous le savons et nous le vivons vraiment, aujourd’hui nous traversons un moment de transformation tout à fait extraordinaire. Les transformations viennent de toute part et sont très rapides. Et dans ce type de situation instable, il est intéressant de faire le point sur où nous en sommes et où nous allons. Comment lire, comme voir lucidement le contemporain. Les questions politiques qui nous agitent ne peuvent pas se comprendre sans au préalable une philosophie de l’Histoire. »

Ceci est un début, demain Michel Serres nous expliquera que pour faire une philosophie de l’Histoire, il faut définir ce qu’est l’Histoire.

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Mercredi 8 février 2017

« La cinquième République »
(1958 – ?) Régime politique actuel de la France

Le régime politique de la France, voulu par le Général de Gaulle et mis en place par lui, est un régime singulier.

En effet, les constitutionnalistes distinguent deux types de démocraties libérales :

  • Le régime présidentiel ;
  • Le régime parlementaire ;

Le régime présidentiel par excellence est le système existant aux Etats-Unis. Les spécialistes parlent d’une séparation rigide des pouvoirs.

Le Président est élu et désigne son gouvernement avec lequel il forme l’exécutif. Les membres du gouvernement doivent cependant se soumettre à une procédure constitutionnelle d’approbation de leur nomination par le Sénat américain.

Evidemment les représentants et les sénateurs sont élus au suffrage direct et sont totalement indépendants du président.

Je veux dire que la notion « de majorité présidentielle » bien connue sous notre 5ème république constituerait une incongruité aux Etats-Unis.

La séparation est rigide parce que l’exécutif n’a aucun moyen de contraindre le législatif et réciproquement.

Ce qui signifie que pour faire des lois et des réformes fondamentales il faut que le Président et le législateur se mettent d’accord et fassent des compromis.

Cela fonctionne assez mal, Obama a dû faire énormément de concessions pour faire passer sa réforme de l’obamacare.

Le régime parlementaire qui est dominant en Europe et qui est aussi le régime du Japon procède essentiellement du parlement c’est-à-dire de l’élection de la chambre basse du Parlement.

Des partis ayant à leur tête un chef parfaitement identifié se présentent avec un programme devant les électeurs. Des députés des différents partis sont élus à la chambre. Si un seul parti a la majorité absolue, le chef de l’Etat qui est souvent un monarque mais qui peut être un Président sans réel pouvoir nomme, premier ministre, le chef du parti majoritaire et le tour est joué.

Si aucun parti n’obtient la majorité absolue, il nomme le chef du parti arrivé en tête avec pour mission de discuter avec les autres partis pour constituer une majorité parlementaire. Pratiquement, systématiquement les partis se mettent d’accord sur un programme gouvernemental. Le gouvernement est alors constitué et doit obtenir la confiance du Parlement.

On parle de séparation souple parce que le parlement peut renverser le gouvernement, le gouvernement pouvant aussi dissoudre le parlement pour de nouvelles élections.

Ce type de régime permet aussi de créer de grandes coalitions capables de réformer leur pays.

Rien de tel en France.

La 3ème République était parlementaire comme la 4ème. De Gaulle reprochait à ces régimes parlementaires en France d’être trop instables, il fallait changer tout le temps de gouvernement.

D’où ce régime hybride de la 5ème république qui est avant tout un régime parlementaire dans la mesure où le Parlement doit accorder sa confiance au gouvernement et peut le renverser et réciproquement le Parlement peut être dissous, mais dissous par le Président qui lui ne peut pas être renversé, ce qui crée une inégalité forte entre l’exécutif et le législatif.

Et puis d’autres incongruités existent.

Nous avons récemment beaucoup débattu du 49-3 avec lequel l’exécutif contraint, sous peine de dissolution, le parlement de se soumettre à la volonté du gouvernement. Il y a aussi l’article 16, mais passons…

Du temps du Général de Gaulle, il y avait deux choses fondamentales : Il était intègre et s’il fixait les grandes lignes politiques il laissait son premier ministre gouverner.

Et même une troisième : Régulièrement il proposait un référendum pour lequel il annonçait que si le peuple français montrait son désaccord avec la proposition qu’il lui soumettait, il démissionnerait.

Mes bons professeurs de Droit répétaient que cela transformait le référendum en plébiscite et que le plébiscite c’était le mal !

Dans le concept on devait certainement les suivre.

Mais en pratique, à cause du pouvoir exorbitant du Président de la République en France, cette respiration démocratique permettait au moins au peuple de révoquer le monarque présidentiel. Ce qu’il a fait en 1969 en disant « Non » à la réforme du Sénat et la création des Régions proposés par le Général de Gaulle.

Aujourd’hui, le référendum est tombé en désuétude, les trois derniers présidents n’ont jamais utilisé cette possibilité constitutionnelle.

Et depuis, le Général de Gaulle, aucun président qui a utilisé l’outil du référendum, n’a promis sa démission en cas de rejet !

Et puis, la 5ème république a été victime d’abord d’un putsch constitutionnel puis d’une trahison.

Le putsch constitutionnel a été réalisé par le général lui-même qui a révisé la constitution en ne respectant pas les règles permettant cette révision et il a imposé l’élection du Président au suffrage universel en passant directement par le référendum ce qui n’était pas prévu.

En tout cas ce changement a rapidement, après Pompidou en tout cas, rendu les hommes politiques français fous, ils voulaient tous devenir président.

Et puis, Jospin a trahi. Il a trahi la Gauche et Mendés-France parce que la Gauche est viscéralement attachée au régime parlementaire et n’aime pas l’homme providentiel.

Or Jospin a par deux réformes encore davantage éloigné la 5ème république de la logique d’un régime parlementaire.

La première réforme a été d’aligner la durée du mandat présidentiel sur celui des parlementaires : 5 ans.

Mais la vraie trahison est la deuxième mesure : contrairement à ce qui se serait passé s’il avait laissé faire les institutions, il a imposé que les élections présidentielles se fassent avant les élections législatives.

Et ainsi les élections législatives sont devenues l’accessoire de l’élection présidentielle.

C’est une immense bêtise.

Et maintenant on y a ajouté des primaires.

Alors prenons l’exemple de l’Allemagne ou de l’Angleterre ou de l’Italie…

Dans chacun de ces pays, les électeurs votent 1 fois et le parlement est élu puis par le processus normal un chancelier ou premier ministre est désigné et un gouvernement se met en place avec une coalition parlementaire. En un vote les électeurs créent les conditions suffisantes pour que la démocratie représentative fonctionne.

En France, pour un électeur de gauche ou de droite il faut 6 votes, parce qu’en plus la France a cette particularité du vote uninominal à deux tours, pour arriver à ce qu’il existe un pouvoir exécutif et un pouvoir législatif en état de marche, en passant par les primaires.

Pour celles et ceux qui sautent la primaire il faut quand même 4 votes pour un seul en Allemagne, en Angleterre etc…

Aux Etats Unis, il y a des primaires, mais à un tour pour chaque état et puis le même jour les américains élisent le Président et la moitié du Congrès. 2 ans plus tard l’autre moitié est renouvelée.

Ainsi François Fillon a été désigné par une primaire sur un programme très particulier qui lui est propre. Il l’a fait dans son coin avec quelques collaborateurs et probablement sa femme puisqu’elle participait sans cesse à son activité politique.

Mais voilà, s’il existe un problème qui conduirait à le remplacer, comment fait-on ?

On prend le second évidemment, mais le second n’a pas du tout le même programme. Cela ne va pas du tout.

Supposons qu’il arrive la même chose en Allemagne : Madame Merkel est empêchée. Pas de problème, la CDU désigne un autre, avec le même programme de la CDU, peut-être quelques nuances mais fondamentalement le même programme.

Et puis, si la CDU n’a pas la majorité elle discute avec d’autres même avec le SPD et ils font un panachage des deux programmes et le mettent en œuvre.

Avec le système d’élection débile à deux tours que nous avons, nous pensons que les thèses du président élus sont majoritaires : c’est totalement faux : en 2002 Chirac c’était moins de 20 % du corps électoral. On se souvient du second tour … Mais les français comme des moutons et avec le système électoral ont élu une assemblée conforme aux vœux du Président qui a gouverné avec les gens qui était d’accord avec lui au premier tour : 1/5ème de la France !

5 ans plus tard Sarkozy a fait beaucoup mieux 31,18% des voix. Mais il n’en reste pas moins qu’il s’agit de moins d’un tiers des électeurs. Valéry Giscard d’Estaing avait cette formule qu’il fallait que 2 français sur 3 soient d’accord avec la ligne politique du gouvernement.

Avec un tel système et une si petite portion de soutien, on ne peut pas réformer la France.

Et puis cela rend les candidats incroyablement égocentriques.

Vous avez lu cette exigence du candidat Macron ? :

«  tous les candidats investis s’engageront à défendre le plan de transformation proposé en signant le contrat avec la Nation évoqué par Emmanuel Macron. »

Bref, il n’y a qu’une tête pensante, les députés ne sont là que pour la suivre.

Et avec ce candidat il n’y a même pas de programme précis, celui qui veut devenir parlementaire doit signer un chèque en blanc.

Il y aurait encore tant de dérives à dénoncer qui proviennent directement de cette organisation bancale, n’existant nulle part ailleurs.

Mais les français sont des veaux, comme disait De Gaulle, ils ne veulent surtout pas changer l’élection du Président de la République au suffrage universel.

Au moins pourrait-on faire coïncider les élections présidentielles et législatives et restreindre la possibilité de dissoudre l’Assemblée.

En tout cas le Président de la République joue un rôle trop important, du point de vue organisationnel, dans notre pays et nous ne trouverons plus des femmes ou des hommes capables de faire de cette fonction, telle qu’elle existe actuellement, quelque chose de positif pour la France.

C’est ma conviction !

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