Jeudi 8 octobre 2015

«Le temps de travail est protecteur à plusieurs titres
– il se mesure de manière objective
– il permet de séparer la vie professionnelle de la vie personnelle.
– le limiter, c’est protéger la santé.»
Pascal Lokiec, professeur de droit social à l’université Paris Ouest-Nanterre-La Défense

Il semblerait que la grande question du moment en France est celle «du carcan des 35 heures».

Je veux bien comprendre qu’il y a de ci de là des problèmes d’organisation.

Mais enfin, les réflexions de Daniel Cohen et d’autres montrent à l’évidence que nous avons un problème général d’emploi correctement rémunéré pour tous, dans tous les pays développés.

Alors il existe des pays, peut-être ont-ils raison, qui préfèrent des jobs très mal payés (Allemagne, USA, GB) que pas de job du tout et des allocations chômages coûteuses (France).

Mais s’il n’y a pas assez d’emplois pour tout le monde, j’ai du mal à comprendre que la solution est de faire travailler davantage celles et ceux qui ont déjà un emploi.

<Notons, qu’en Suède la municipalité de Göteborg expérimente la journée de 6 heures et la semaine de 30 heures avec pour objectif d’augmenter la productivité>

Mais ce n’est pas de cet aspect de la durée du travail que je souhaite vous entretenir aujourd’hui mais de la référence même au temps de travail comme mesure du travail.

Parce que la tentation, « la modernité » conduit toujours davantage à considérer que le temps de travail constitue une mesure archaïque du travail. C’est particulièrement vrai dans le monde numérique.

On est passé d’une économie de «main d’œuvre» à une économie de «cerveau d’œuvre» et le cerveau n’arrête pas de réfléchir. On réfléchit tout le temps.

Par quoi veut-on alors le remplacer ?

Certains parlent de «charge de travail» à laquelle l’employé doit faire face.

Plus généralisé est le management par objectif qui permet aussi de s’émanciper largement du temps de travail. Au début, cette convention « Tu as un objectif à atteindre, mais tu t’organises comme tu l’entends » constitue un hymne à la liberté, à l’ingéniosité et peut être même à la capacité de travailler moins si on « se débrouille très bien ». Et puis un objectif, en principe c’est objectif et rationnel.

Mais vous comprendrez bien que la quantification de l’objectif, comme la charge de travail, peut constituer un piège qui pour celui qui s’astreint ou même est contraint, sous peine de perdre son emploi, d’atteindre son objectif, peut dégénérer dans une explosion perverse de la durée consacrée au travail.

Pascal Lokiec, professeur de droit social à l’université Paris Ouest-Nanterre-La Défense invité à l’émission du grain à moudre du 15/09/2015 rappelle qu’en réalité seul le temps de travail, la durée qu’on consacre au travail constitue une mesure objective.

Il explique :

« Il faut être très vigilant quand on entend dire que demain le temps de travail ne sera plus la mesure du travail. Le temps de travail est protecteur à plusieurs titres :
D’abord il se mesure de manière objective
La charge de travail qu’on veut parfois substituer au temps de travail est très subjective
Ensuite le temps de travail permet de séparer la vie professionnelle de la vie personnelle.
Et enfin limiter le temps de travail c’est protéger la santé.»

C’est pourquoi la durée de travail reste un critère déterminant.

L’émission était consacrée à un rapport sur le droit du travail du DRH d’Orange à Myriam El Khomri consacré aux impacts du numérique sur la vie au travail.

Parmi les propositions, une redéfinition du salariat et une réflexion sur le temps de travail.

[…] Elles sont censées alimenter le projet de loi que la ministre du Travail présentera, au plus tôt, d’ici la fin de l’année.

Est-il nécessaire de légiférer sur le sujet ?

Ce qui est sûr, c’est que l’arrivée du numérique a profondément modifié notre rapport au travail. Au sein de l’entreprise en brouillant la frontière entre vie professionnelle et vie privée, au point de remettre en cause la notion –centrale- de temps de travail. Mais aussi en dehors, en favorisant l’émergence de nouveaux entrepreneurs, des travailleurs indépendants, plus autonomes mais aussi plus précaires puisque n’étant pas sécurisé par un contrat. Comment accompagner ces bouleversements sans renier les fondements du droit du travail ?

Sur ces sujets, Mediapart a déniché une intervention du PDG d’Air France qui se lance dans des réflexions «très libres et très ouvertes».

<Ici vous trouverez la video de cette intervention lors des entretiens de Royaumont en décembre 2014>

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Mercredi 19 novembre 2014

Mercredi 19 novembre 2014
« L’Europe, c’est
7% de la population mondiale
25% de la production mondiale,
et 50% des transferts sociaux mondiaux »
Angela Merkel
Dans le numéro du 13 novembre 2014 « du Point », Nicolas Baverez rappelle ce propos de Merkel et il ajoute que, selon elle, cela résume le problème fondamental de l’Europe.
Et Nicolas Baverez applique le même calcul à la France :
la France compte 66 millions d’habitants, soit environ 1% de la population mondiale.
Son PIB est de 2 750 milliards de dollars, soit 3,7% du PIB de la planète.
Son Etat providence redistribue 670 milliards d’euros soit 15% des 4 500 milliards de dépenses sociales mondiales.
Remarquons que si pour l’Europe le coefficient multiplicateur entre le PIB et les transferts est de 2 (25% à 50%) en France il est de plus de 4 ( de 3,7 à 15%).
Baverez considère cette situation insoutenable.
A mon analyse, il me semble en effet que dans une économie ouverte cela doit certainement poser de grandes difficultés et la soutenabilité de ce déséquilibre pose question.
Maintenant ce sont ces transferts sociaux massifs qui caractérisent le modèle européen et le différencie du reste du monde.  C’est un système  moins dur que les autres.
Le drame est comme l’avait souligné le regretté Olivier Ferrand de terra nova, c’est que le système social est ce qui caractérise l’Europe par rapport aux autres ensembles économiques mais ne fait pas partie de la compétence de l’Union Européenne. Ce qui a été mis en commun c’est le marché unique et la libre concurrence qui ne constitue pas une singularité des Etats européens.
Autrement dit : le point commun des européens n’est pas mis en commun.
Vous trouverez derrière ce lien :  l’article du Point écrit par Nicholas Baverez qui cite ces chiffres et fait l’analyse de cette situation.
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Vendredi 12 septembre 2014

« Pour que les hommes se reconnaissent et se garantissent mutuellement des droits, ils faut qu’ils s’aiment et que pour une raison quelconque ils tiennent les uns aux autres et à une même société dont ils fassent partie. »
Emile Durkheim, de la division du travail social (écrit en 1893)

Émile Durkheim (1858-1917) est un des fondateurs et des plus brillants maître de la sociologie.

Je crois qu’il dit quelque chose de fondamental : pour que l’Etat providence puisse pleinement se déployer il faut qu’il existe ce que Durkheim dit.

Cette constatation a été rappelée dans la conclusion du livre publié en 2014 aux éditions de la Découverte sous la direction de François Dubet : « Inégalités et justice sociale »

François Dubet, sociologue moderne, directeur d’études à l’EHESS était l’invité de l’émission de France Culture La Grande Table du 30/06/2014 qui avait pour thème : « Est ce que toutes les inégalités se valent. »

François Dubet insiste beaucoup sur le fait que la seule dénonciation globale des inégalités sociales ne suffit pas, car toutes les inégalités ne se « valent » pas : certaines sont visibles, d’autres moins, certaines sont perçues comme injustes, d’autres non. Il faut donc pouvoir décrire et mesurer les inégalités sociales, mais aussi savoir ce que nous en faisons et comment elles affectent plus ou moins profondément la vie et l’action des individus.

Et il pose les questions suivantes :

« Que nous font les inégalités dans notre expérience de vie ? Comment se crée une économie morale autour des inégalités ? Comment les inégalités produisent de l’action ? »

Et il finit par un constat :

« Pour vouloir l’égalité des autres, il faut s’en sentir responsable car la seule dénonciation des inégalités ne suffit pas à vouloir leur égalité. »

La conclusion de l’ouvrage qu’il a dirigé a pour titre, « le chainon manquant : la solidarité ».

L’état providence et la formidable redistribution qu’elle sous-tend oblige la solidarité entre l’ensemble des humains qui y participe.

Et Dubet rappelle alors cette réflexion, constatation du grand sociologue Durkheim.

Force est de constater que les grandes avancées sociales et de redistribution se sont déployées dans les Etats européens au sortie des deux guerres mondiales où l’appartenance à une même société faisait très largement consensus.

L’esprit de solidarité s’est largement émoussé et Durkheim nous donne la clé.

Les ultras riches mais aussi les élites mondialisées ainsi que les fragments de la population qui se sont réfugiés, pour de multiples raisons, dans l’identité communautaire ne tiennent plus à la même société qui trace les frontières de la redistribution. Et bien sûr nous qui n’appartenons à aucun de ces groupes, avons aussi de plus en plus de mal à aimer les populations de ces groupes et de considérer que nous faisons partie d’une même société.

Et si nous ne faisons plus partie de la même société, comment se reconnaître mutuellement des droits et une solidarité du niveau auquel est parvenu notre système social ?

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