Mardi, le 03/11/2015

Mardi, le 03/11/2015
« Je ne m’étais jamais posé de questions : je me sens français, c’est tout. Ou plutôt je me sentais français. »
Farid, habitant d’origine musulmane de Hénin Beaumont
Dans « En France  » de Florence Aubenas, pages 25 à 30, 15 juin 2012
[…] On est dimanche 10 juin à Hénin-Beaumont, dans le bassin minier du Pas-de-Calais, au premier tour des législatives où se présente – entre autres – Marine Le Pen, la patronne du Front national.
Et Rachida trouve l’ambiance étrange, elle ne peut pas s’en empêcher, sans trop savoir pourquoi. [Quand elle rentre chez elle] La table est dressée avec attention, il y a son mari, ses enfants, quelques amis aussi. Tous ont des boulots solides, les hommes comme les femmes, Mohamed à la tête d’un cabinet d’assurances, Nacéra, qui est professeure ou Said, ingénieur. Les enfants font du théâtre, fréquentent les clubs de sport.
[…]
Farid, un autre voisin, près du lac, a mis un certain temps à réaliser que l’« Arabe » d’Hénin- Beaumont, montré du doigt pendant toute la campagne, désigné dans les tracts du FN et dont chacun commente la « dangerosité », c’est lui aussi.
Il s’est regardé dans la salle de bains, lunettes d’écaille, raie sur le côté, les rides précoces du type qui travaille tard.
Il a dit à sa femme en pointant sa propre image dans le miroir : « Tu crois que je vais finir par avoir peur de ce bougnoule en face de moi ? » Ils ont ri et pensé à leur vie dont il n’y a pas grand-chose à dire et tant mieux, une vie rangée et invisible comme celle des gens à l’aise.
Brusquement, ils ont eu l’impression que toute cette quiétude venait d’être balancée sur la place publique, exposée.
« Je ne m’étais jamais posé de questions : je me sens français, c’est tout, dit Farid. Ou plutôt je me sentais français. » Leurs parents venaient de la mine, comme tout le monde ici.
[…]
Déjà, à l’époque, « les houillères vivaient de l’immigration, mais pas tellement venue du Maghreb », explique Jean-François Larosière, professeur à la retraite et militant syndical.
« On en comptait peut-être trois ou quatre élèves par classe contre une douzaine d’enfants ‘polonais’. » Les mines fournissaient tout, même travail, même toit, même identité.
Et à la question « d’où viens-tu ? », il n’y avait qu’une seule réponse qui vaille : annoncer le numéro de la fosse où chacun s’enfonçait au petit jour, avec sa lampe et son casque.
Au milieu des villages miniers, Hénin-Beaumont, 25 000 habitants aujourd’hui, était la belle ville du canton, trois cinémas, autant de lycées, des cafés et des dancings réputés, le plus grand Auchan d’Europe qui vient de fêter ses quarante ans. […]
La nostalgie a sans doute embelli le passé, fait oublier, par exemple, que les mineurs algériens étaient désignés par des numéros, pas par leur nom. Il n’empêche.
[…] A quel moment le temps s’est-il mis à marcher à l’envers ? Quand a-t-on commencé à entendre claquer le mot « Arabe » comme un reproche, à relever qui l’était et qui ne l’était pas, autrement que pour blaguer ou pour les matchs de foot ? Il y a quelques années, Mustapha a eu le cœur brisé quand son fils lui a appris qu’une boîte de nuit, près de Béthune, lui avait refusé l’entrée.
Le gamin a lancé à son père : « Votre jeunesse était plus belle que la nôtre. »
[…] La famille de Mériem, qui voulait faire construire, s’est vu conseiller par une commerçante compatissante : « Dépêchez-vous, si Marine Le Pen passe, les gens comme vous n’auront plus rien du tout. »[…]
Vers Arleux, une large bande rurale derrière Douai, des parents ont confié aux professeurs que leurs gamins placardaient des Hitler en poster sur les murs de leur chambre.
Certains élèves, dans des établissements d’Hénin-Beaumont, revendiquent la « mode Marine Le Pen », qui consiste essentiellement à rouler des yeux fâchés, écouter de la musique électro et graver « Bougnoules » sur les tables de classe en clamant : « Ici, on est connu mondialement pour voter FN. » Peu à peu, la campagne a fini par tout envahir, les maisons, les esprits.
[…] Chez Rachida, dans la villa blanche du Bord des eaux, le résultat du vote vient de tomber. Marine Le Pen arrive en tête sur la circonscription, avec plus de 40 %, frôlant les 50 sur la ville même d’Hénin- Beaumont.
Une invitée murmure juste : « On ne mérite pas ça », et puis plus rien.

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Lundi 2 novembre 2015

« Ce qui était une fatalité pour nous est devenu le rêve de nos enfants. »
Un ouvrier en CDI parlant de ses enfants.
Dans « En France  » de Florence Aubenas, pages 185 à 188, 6 mai 2013
C’est en écoutant Florence Aubenas dans l’émission <Répliques> que j’ai eu envie de lire son livre <En France>.
Comme beaucoup, j’ai appris l’existence de Florence Aubenas lorsqu’elle a été kidnappée et retenue en otage en Irak en 2005. Depuis j’ai appris à connaître la remarquable journaliste qu’elle est. Comme le préconisait le journaliste suisse, Serge Michel, créateur du Bondy Blog, elle va sur le terrain, en immersion, pour réaliser ses reportages.
Elle avait publié un premier travail de reportage en France <Le quai de Ouistreham>, livre qu’elle a écrit après avoir, pendant six mois, essayé de « vivre la vie » des plus démunis, ceux et surtout celles qui tentent de s’en sortir en enchaînant des travaux précaires (femme de ménage par exemple) et du temps partiel. Elle a mené cette enquête à Caen. C’est un des emplois qu’elle a occupé : nettoyer un quai qui a donné le titre du livre.
Son livre <En France> est constitué d’une série de reportages pour «Le Monde». Elle a parcouru la France, les villages et les gens de France et a simplement rapporté ce qui se passait en France ailleurs que dans les riches métropoles , là où il devient de plus en plus difficile ou compliqué de vivre.
Je vous avais proposé une semaine de mots du jour, sur une émission et un livre de Daniel Cohen. C’était alors une réflexion érudite, argumentée, conceptuelle du monde économique dans lequel nous vivons et ensuite des questions sur l’avenir qui se prépare.
Je vous propose cette fois, 5 mots du jour, non d’érudition conceptuelle mais de reportages, de la vie vue à hauteur d’homme, comment les choses se passent et se disent dans le quotidien de cette économie en crise, parmi celles et ceux qui en sont les victimes
Je vous en proposerai quelques extraits qui expliquent la phrase que j’ai choisie comme mot du jour :
« Le rendez-vous est fixé sur le parking d’un fast-food juste à l’entrée de Montbéliard (Doubs), à quelques mètres de la grille de l’usine Peugeot. Une vingtaine de personnes attendent la camionnette qui les conduira jusqu’aux ateliers de la première équipe. Dans le froid du ciel s’étirent des nuages noirs et roses. Il doit être 4 h 30 du matin. […]
 David […] a déjà bossé dans la restauration, les espaces verts, une usine de contreplaqué, le triage des cerises. Contrats précaires, à chaque fois. Ce coup-ci, il a décroché Peugeot, ou plus exactement une mission de quatre mois en atelier par le biais d’une boîte d’intérim, qui recrute pour un sous-traitant qui travaille pour Peugeot. Peugeot ! Il répète le nom, soufflé lui-même par sa chance.
Le père de David bosse là depuis toujours. Lui se retrouve dans le même atelier, père et fils côte à côte, mais séparés par un gouffre : le contrat de travail. « Mon père, c’est un embauché », résume David. « Tous nos vieux sont des embauchés », tranche un blond d’une voix assez forte pour couvrir la musique qui sort de son portable. Il s’étonne qu’on ne connaisse pas le mot : « Ça veut dire qu’ils ont un contrat de travail à durée indéterminée. » Eux sont intérimaires, tous. Eux sont jeunes, tous sauf un grand maigre qui doit avoir la cinquantaine. Dans le groupe, ils se mettent à sourire, pas revanchards pour un sou, attendris au contraire par ces pères dont ils parlent comme si c’étaient eux les enfants, des créatures innocentes à protéger d’un monde mutant.
Quelqu’un lance : « Vous imaginez nos vieux à la case chômage, comme nous ? » Rires. Et le blond, à nouveau, un peu bravache : « Ils n’y arriveraient pas. »
 Le contrat est devenu l’unité de valeur, et le CDI, la valeur suprême. Les deux tiers des salariés qui entrent à Pôle emploi ne demandent plus un métier mais « un CDI ». Pour les employeurs, c’est l’inverse : 49 % des offres proposent de l’intérim, 30 % des CDD. L’explosion date du début des années 2000, où les entreprises ont commencé à gérer les variations de production avec un « matelas d’intérim »   […]
Tout le monde est intérimaire dans la famille […], sauf le père, ça va de soi. L’autre jour, ils en ont parlé à table. Le père a dit : « Il faut aborder ouvertement ce qui se passe : quelle boîte peut dire où en sera le carnet de commandes dans six mois ? C’est malheureux, mais s’il faut en passer par là pour sauver le reste… » Tout le monde a rigolé. « Qu’est-ce qui t’arrive, papa ? Tu parles comme à la télé. » […]
 
En général, on apprend le vendredi pour le lundi que le contrat ne sera pas renouvelé et, afin de maintenir la motivation jusqu’à la dernière heure, on délivre un certificat de bons services nécessaire pour un nouvel intérim.  […]
A la grille de l’usine, le bus des « embauchés » est déjà là. Un type à l’avant est en train de caler sa gamelle dans son sac. En 1975, quand lui a été recruté, « le terme ouvrier à la chaîne était synonyme d' »esclave moderne ». Aujourd’hui, on nous appelle « privilégiés » ». Il a fini par y croire. « Ce qui était une fatalité pour nous est devenu le rêve de nos enfants. »
Son fils est juste derrière, sur le parking du fast-food. Il monte dans la camionnette des intérimaires en faisant le V de la victoire, suivi des autres qui font pareil, pendant que le blond filme la scène sur son portable. Il est 4 h 58 quand le véhicule démarre, soulevant en gerbes éclatantes les flaques laissées par l’orage. »
N’hésitez pas à acheter ce petit livre, il coûte 6,90 €.

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Jeudi 29 octobre 2015

«Le bondy blog»
Media en ligne créé par Serge Michel

C’était le 27 octobre 2005, un jeudi, il y a 10 ans : deux jeunes fuyant la police à Clichy sous Bois, Zyed Benna et Bouna Traoré, pris de panique, vont se réfugier dans un transformateur électrique et y mourir électrocuté.

Pourquoi fuyaient-ils ?

Les raisons ne sont pas claires comme l’explique cet article du monde joint: <Le dernier jour de Bouna Traoré et Zyed Benna>

Le plus vraisemblable est qu’ils n’avaient rien à se reprocher, mais qu’ils se méfiaient des policiers et qu’ils ne voulaient pas être arrêtés de peur d’être disputés par leurs parents.

Et la mort insensée de ces deux enfants (15 ans et 17 ans) va déclencher de terribles émeutes dans la banlieue alentour qui amèneront à ce que le couvre-feu soit déclaré dans certaines villes et que les médias anglo-saxons annoncent au monde qu’il y avait des scènes de guerre à Paris.

C’est dans ces conditions, qu’un journaliste suisse, Serge Michel, récent lauréat du prix Albert-Londres (2001) pour son travail en Iran, envoyé par son journal suisse « L’Hebdo » vient enquêter. Il va s’immerger, pendant 3 mois, dans la ville voisine de Clichy, Bondy et va créer le Bondy Blog, media en ligne qui existe toujours aujourd’hui et qui a pour objectif de raconter les quartiers populaires et de faire entendre leur voix dans le grand débat national.

Serge Petit en est parti, ce média poursuit aujourd’hui un partenariat avec Libération.

L’Obs a récemment interviewé Serge Michel pour revenir sur ces évènements et plus largement sur la banlieue de Paris et le rapport entre les médias et ces territoires.

Et Le regard distant du journaliste suisse nous fait découvrir un point de vue très critique et perturbant.

[Quand je suis arrivé à Bondy à l’automne 2005] « Pour moi, c’étaient ces zones un peu grises, un peu tristes, que je traversais en TGV depuis Genève avant d’arriver à la gare de Lyon. Et le plus curieux, c’est que cette méconnaissance semblait partagée. Pour un reportage à Bagdad ou à Kaboul, on obtient ou on prépare une pile épaisse d’articles qui donnent des idées sur les personnes à voir, les sujets à traiter. Là, sur Bondy, je n’ai rien trouvé, au mieux deux papiers du Parisien sur l’inauguration de la bibliothèque ou un coupage de ruban à la mairie. »

[Il décide d’ouvrir un bureau permanent trois mois durant à  Bondy]

« On a cherché un mode de traitement pertinent. L’idée d’une correspondance dans la durée, d’une immersion s’est imposée. En venant au journal, le matin, j’avais entendu un son sur les émeutes de la Radio suisse romande […]. Je connaissais bien la journaliste. C’était LA reporter de guerre de la RSR. Deux ou trois semaines plus tôt elle intervenait en direct de Beyrouth. Une reporter de guerre dans les banlieues françaises, ça m’a frappé, et ça m’a fait réfléchir. C’est sans doute cela qui m’a donné envie de couvrir le sujet d’une autre façon. Plus comme un correspondant que comme un envoyé spécial. »

[…] « On s’est concentré sur des portraits, des récits de vie ; on a raconté le quotidien, les kebabs, les transports, le foot ; on a essayé de comprendre qui sont ceux qui bossent et ceux qui ne bossent pas – tous ces papiers que vous ne pouvez faire qu’avec du temps, et qui permettent de comprendre un peu mieux les racines du malaise. Notre chance, c’était d’être présents sur place le matin, le soir et les week-ends, les moments où les banlieues-dortoirs vivent, et où les journalistes, paradoxalement, ne sont pas présents.

[…] Je crois que la situation des banlieues, sur le fond, intéressait peu les rédactions. Une anecdote : entre mon arrivée à la gare de Lyon et mon départ en RER pour Bondy, je suis passé par les locaux d’une grande rédaction pour qui j’avais travaillé au Moyen-Orient et dans les Balkans. Je connaissais toute l’équipe du service Etranger.  Ils m’ont dit : « Ah Serge, qu’est-ce que tu fais là ? ». Je leur ai dit : « Je vais en banlieue », et ils m’ont tous regardé avec des regards atterrés, du genre « mon pauvre ! ». Pour un grand reporter français, la banlieue, c’est ce que l’on traverse quand on va prendre un avion à Roissy pour aller faire son métier.

Bagdad, c’est noble, et Bondy, c’est pour les types qui ont raté leur carrière et végètent au service Société. »

Pourtant le Bondy blog a connu un joli succès. Dix ans plus tard, il est toujours là…

« Disons qu’il a toujours été encadré par des journalistes professionnels, et que cela a aidé. La direction de l’Hebdo avait accepté que l’expérience dure trois mois. A l’approche de la date butoir, en février 2006, elle souhaitait passer à autre chose. De mon côté, je sentais qu’il y avait quelque chose d’important qui s’était mis en branle. J’ai proposé, qu’au lieu de fermer, on prenne une dizaine de jeunes de Bondy et qu’on les forme. Entre temps, le Seuil m’avait contacté pour tirer un livre des billets publiés en ligne, et avec les à-valoir du livre, on a pu payer le séjour des futurs Bondy-bloggers à Lausanne et leur transmettre les clés.

Enfin pas toutes les clés, puisque justement, plusieurs journalistes ont continué de s’investir avec une équipe d’encadrement locale. » […]

« Je pense que la France est assez unique dans la place centrale qu’occupe Paris, et dans la création tout autour d’une ceinture qui lui est à ce point étrangère.

Pour moi, la banlieue, c’est un peu Berlin-est. Pas beaucoup de lumière, pas beaucoup de travail, pas grand-chose dans les magasins et des gens dont la vie est plus difficile qu’intra-muros.

Paris, au contraire, c’est Berlin-ouest : la fête, l’argent, la légèreté… Ça peut paraître caricatural, mais cette frontière que représente le périphérique, je ne connais rien de similaire dans des pays développés. On ne retrouve pas ça à Londres, par exemple.»

Nommé N°2 du Monde, il raconte ses frustrations dans ce journal qui n’a en outre recruté aucun Bondy-Blogger, contrairement à TF1, France Inter, Canal + ou France 2. […et il ajoute]

« La France a un système très rodé de reproduction de ses élites, je n’invente rien sur le sujet, et être journaliste en France, contrairement à d’autres pays, notamment la Suisse, c’est appartenir à une élite.

La France, au-delà de ses proclamations d’égalité, c’est aussi une société attachée à ses privilèges, marquée par l’histoire du colonialisme, qui peine à s’ouvrir à l’autre. Et, oui, le banlieusard, dans cette configuration, reste un allogène.

Derrière les proclamations, le beur, le noir, pour beaucoup de journalistes français restent avant tout des sujets. Des collègues, non. Les rédactions font preuve d’une imperméabilité très forte aux gens venus d’ailleurs.»

Si vous voulez en savoir davantage sur cette expérience : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bondy_Blog

Et bien sûr le lien vers le bondy Blog : https://www.bondyblog.fr/

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Jeudi 1 octobre 2015

«Un gouvernement se constitue non pour distribuer des portefeuilles, […] mais pour faire aboutir une réforme, une amélioration qu’on estime dans l’intérêt du pays.
Et c’est cela qui doit déterminer les alliances. »
Pierre Mendès-France

<Parmi ces émissions de Radioscopie rediffusées par France Inter, j’ai été particulièrement intéressé par celle où Jacques Chancel avait reçu en décembre 1973 : Pierre Mendès France : <Ne plus gouverner c’est encore choisir>

Pierre Mendès-France ne fut que quelques mois au pouvoir en tant que président du conseil entre avril 1954 et février 1955, mais on en parle encore comme d’une référence.

Il appartenait au parti radical-socialiste, il s’est toujours présenté comme un homme de gauche mais beaucoup de politiques de droite comme de gauche, le reconnaissent comme un modèle.

Michel Rocard s’est toujours réclamé de lui.

Il me semble que le gouvernement actuel de la France qui se réclame de la gauche et du réalisme économique et politique devrait s’en inspirer.

Toute l’émission est passionnante, tant cet homme parle de vérité et d’intelligence. Mais je mets l’accent sur trois développements

Jacques Chancel lui lance :

« Un homme politique au Pouvoir n’a pas le temps d’approfondir, il a trop de responsabilité. »

Et Mendès-France de répondre :

« C’est pourquoi il doit toujours travailler quand il n’est pas au pouvoir. Il doit arriver au pouvoir préparé. Dire quand j’y serai il sera toujours temps de décider, cela c’est une erreur »

Après avoir rappelé l’importance des Partis politiques dans une démocratie, il explique :

« Ce qui est critiquable c’est quand l’intérêt d’un parti passe au-dessus de l’intérêt général.
Les dirigeants d’un Parti au moment de prendre une décision au lieu de prendre en compte en priorité l’intérêt de la nation font prévaloir l’intérêt de leur formation politique, parce qu’il y a des élections prochaines ou qu’il y a une manœuvre parlementaire à réaliser.
C’est cela que j’ai critiqué non pas l’existence des partis. »


« Ce qui est fondamental c’est que les hommes dans le cadre d’une action gouvernementale se soient mis d’accord préalablement sur ce qu’ils allaient faire.
Un gouvernement se constitue non pour distribuer des portefeuilles, non pas pour favoriser telle opération à l’horizon mais pour faire aboutir une réforme une amélioration qu’on estime dans l’intérêt du pays.
Et c’est cela qui doit déterminer les alliances. Si des hommes sont d’accord pour faire quelque chose, il n’y a pas de raison d’en exclure certains.
Si des hommes ne sont pas d’accord pour faire quelque chose je trouve que c’est une escroquerie de les réunir. Parce qu’arriver au gouvernement ils s’annulent, ils se paralysent.
Le critère déterminant c’est ce qu’on veut faire ensemble.

C’est pourquoi depuis longtemps l’idée d’un programme de gouvernement m’a paru absolument essentiel. »

Je pense que tous ces propos et tous ces conseils restent très actuels.

Mais il me semble qu’on s’en éloigne parfois ou même souvent.

Être préparé quand on arrive au pouvoir. Je pense que ce fut le cas en 1988 quand Michel Rocard pris la tête du gouvernement.

Fut-ce le cas en 2012 ?

Préférer l’intérêt de la nation à l’intérêt du Parti.

Il me semble avoir lu que des stratèges du PS bien que considérant qu’Alain Juppé serait préférable comme Président à Nicolas Sarkozy, souhaitent tout faire pour privilégier la victoire aux primaires de l’ancien Président car le Président actuel pense qu’il dispose de plus de chance de gagner contre l’un que contre l’autre.

Si tel est le cas, on ne suit pas le conseil de Pierre Mendès-France.

Enfin le dernier développement qui constitue encore une évidence : pour bien gouverner il faut mettre ensemble des gens qui sont d’accord sur l’essentiel et se mettre dans le cadre d’un programme de gouvernement que tout le monde aura accepté.

Force est de constater que ce n’est pas le cas.

On élit un président sur ses promesses.

Une fois au pouvoir l’élu fait ce qu’il peut au gré des événements et des lobbys.

Et si on trouve dans les deux camps des personnes qui seraient capable de gouverner ensemble, chacun des camps se trouvent très divisés sur ce qu’il y a à faire, et Mendès de dire «Si des hommes ne sont pas d’accord pour faire quelque chose je trouve que c’est une escroquerie de les réunir»

Le gouvernement de l’Allemagne est beaucoup plus proche de ce que décrit Pierre Mendès-France.

Certains diront, c’est à cause de la 5ème République et de l’élection du Président au suffrage universel.

Il est vrai que sur ce point Pierre Mendès-France était totalement opposé à l’élection du président au suffrage universel et cela dès le début.

On comprend mieux pourquoi la France a du mal à faire des réformes et les hommes au pouvoir à se faire réélire.

Sur la page de Radio France, sur laquelle cette émission est republiée, il y a une courte biographie de ce grand politique, surnommé PMF, né en 1907 et mort le 18 octobre 1982 :

Sa carrière en quelques lignes :
Il s’initie à la vie politique dès 1924 dans les mouvements étudiants d’opposition à l’extrême-droite puis est élu député de l’Eure en 1932, à 25 ans.
Radical-socialiste, il participe à la coalition du Front Populaire. Il est membre de l’éphémère second gouvernement Blum en mars et avril 1938.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, après avoir été incarcéré par le régime de Vichy, il parvient à rejoindre la Résistance et s’engage dans les Forces Aériennes Françaises Libres. Il est commissaire aux Finances puis ministre de l’Économie nationale dans le gouvernement provisoire du Général de Gaulle de septembre 1943 à avril 1945.

Nommé Président du Conseil par le Président René Coty, en juin 1954, il cumule cette fonction avec celle de Ministre des Affaires Étrangères .
S’il parvient à conclure la paix en Indochine, à préparer l’indépendance de la Tunisie et à amorcer celle du Maroc, ses tentatives de réforme en Algérie entraînent la chute de son gouvernement, cible à la fois de ses adversaires colonialistes et de ses soutiens politiques habituels anti-colonialistes. Il quitte alors la présidence du gouvernement en février 1955, après avoir été renversé par l’Assemblée Nationale sur la question très sensible de l’Algérie française.
Ministre d’État sans portefeuille du gouvernement Guy Mollet en 1956, il démissionne au bout de quelques mois en raison de son désaccord avec la politique du Cabinet Mollet menée en Algérie.
Il vote contre l’investiture de Charles de Gaulle à la présidence du Conseil en juin 1958, puis abandonne tous ses mandats locaux après sa défaite aux élections législatives du mois de novembre de la même année.
Élu député de la 2e circonscription de l’Isère en 1967, puis battu l’année suivante, il forme un « ticket » avec Gaston Defferre lors de la campagne présidentielle de 1969.

Bien qu’il n’ait dirigé le gouvernement de la France que pendant un peu plus de sept mois, il constitue une importante figure morale pour une partie de la gauche en France. Au-delà, il demeure une référence pour la classe politique française, incarnant le symbole d’une conception exigeante de la politique.

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Mercredi 8 Juillet 2015

Mercredi 8 Juillet 2015
« Pour qu’il y ait une démocratie il faut qu’existe
un sentiment d’appartenance communautaire suffisamment puissant pour entraîner la minorité à accepter la loi de la majorité !  »
Philippe Séguin
Discours du 5 mai 1992 de Philippe Séguin sur la ratification du traité de Maastricht
On nous dit que la démocratie l’a emporté en Grèce parce que les Grecs ont voté Non à l’Austérité. Très bien ! Cela étant on ne sait pas très bien à quoi ils ont dit Oui.
Daniel Cohn Bendit a proposé que Merkel fasse la même chose en Allemagne et demande si les allemands veulent continuer à aider la Grèce. Selon lui la réponse serait Non à 80%.
Peut-être exagère t’il sur le score, mais je ne pense pas qu’il se trompe sur le résultat. En tout cas, ce serait démocratique aussi. Si les allemands votent NON et les Grecs votent NON, comment on continue ?
C’est quoi la démocratie ?
Mon ami Fabien qui défend beaucoup la position grecque, opinion sur laquelle je ne le soutiens qu’à moitié m’a donné un conseil que j’approuve totalement, relire les discours de Philippe Seguin à l’occasion du traité de Maastricht.
Rappelons que c’est en 1992 que les français approuvèrent par référendum le traité de Maastricht. Les principales personnalités politiques françaises : Mitterrand, Rocard, Chirac, Balladur était pour le Oui. Un homme à Droite avait alors pris l’étendard du Non : Philippe Seguin. Il montra en cette occasion et en d’autres sa stature d’Homme d’Etat.
Hélas, sauf au moment de cette discussion sur le traité de Maastricht, il ne s’imposa jamais comme le leader de son Parti, il ne s’opposa pas à Chirac et ce ne fut pas lui qui porta les couleurs de la Droite après la retraite de Jacques Chirac. Il mourut d’ailleurs, le 7 janvier 2010, alors que le successeur de Jacques Chirac ne se trouvait qu’à mi-mandat.
Philippe Meyer eut cette description de cet homme de qualité : «Et chaque fois que vous vous rapprochez du rubicond et qu’on espère que vous allez enfin le franchir, vous sortez votre canne à pêche»
Mais le 5 mai 1992, Philippe Séguin, prononça un discours remarquable à l’Assemblée nationale française, dans lequel il mettait en garde contre les dangers d’une ratification du nouveau traité européen.
Sa relecture vaut le détour, Fabien a raison. A l’époque j’avais voté OUI, les arguments de Seguin surtout à l’aune de ce qui se passe aujourd’hui sont pourtant très forts.
Avec d’abord cette vérité : il y a démocratie quand il existe un sentiment suffisamment puissant pour entraîner la minorité à accepter la loi de la majorité !
Philippe Seguin disait il y a 23 ans entre autre :
«[…] Bref, quand, du fait de l’application des accords de Maastricht, notamment en ce qui concerne la monnaie unique, le coût de la dénonciation sera devenu exorbitant, le piège sera refermé et, demain, aucune majorité parlementaire, quelles que soient les circonstances, ne pourra raisonnablement revenir sur ce qui aura été fait.  […]
Mais jusqu’où est-il permis d’imposer au peuple, sous couvert de technicité, des choix politiques majeurs qui relèvent de lui et de lui seul ? Jusqu’où la dissimulation peut-elle être l’instrument d’une politique ?[…]
De Gaulle disait : « La démocratie pour moi se confond exactement avec la souveraineté nationale. » On ne saurait mieux souligner que pour qu’il y ait une démocratie il faut qu’existe un sentiment d’appartenance communautaire suffisamment puissant pour entraîner la minorité à accepter la loi de la majorité ! Et la nation c’est précisément ce par quoi ce sentiment existe. Or la nation cela ne s’invente ni ne se décrète pas plus que la souveraineté !
 […] Pour qu’il y ait une citoyenneté européenne, il faudrait qu’il y ait une nation européenne. Alors oui, il est possible d’enfermer les habitants des pays de la Communauté dans un corset de normes juridiques, de leur imposer des procédures, des règles, des interdits, de créer si on le veut de nouvelles catégories d’assujettis. Mais on ne peut créer par un traité une nouvelle citoyenneté. […] Mais qu’on y prenne garde : c’est lorsque le sentiment national est bafoué que la voie s’ouvre aux dérives nationalistes et à tous les extrémismes ! […]
On nous dit que la monnaie unique est la clé de l’emploi. On nous annonce triomphalement qu’elle créera des millions d’emplois nouveaux, jusqu’à cinq millions, selon M. Delors, trois ou quatre, selon le Président de la République. Mais que vaut ce genre de prédiction, alors que, depuis des années, le chômage augmente en même temps que s’accélère la construction de l’Europe technocratique ? Par quel miracle la monnaie unique pourrait-elle renverser cette tendance ? Oublierait-on que certaines simulations sur les effets de l’union monétaire sont particulièrement inquiétantes pour la France puisqu’elles font craindre encore plus de chômage dans les années à venir ? […]
Dès lors, le processus de l’union économique et monétaire mérite trois commentaires.
En premier lieu, il renouvelle le choix d’une politique qu’on pourrait qualifier de “monétarienne”, qui est synonyme de taux d’intérêt réels élevés, donc de frein à l’investissement et à l’emploi et d’austérité salariale. […]
Maastricht, c’est ensuite la suppression de toute politique alternative, puisque la création d’un système européen de banque centrale, indépendant des gouvernements mais sous influence du Mark, revient en quelque sorte à donner une valeur constitutionnelle à cette politique de change et à ses conséquences monétaires.
Quant à ceux qui voudraient croire qu’une politique budgétaire autonome demeurerait possible, je les renvoie au texte du traité, qui prévoit le respect de normes budgétaires tellement contraignantes qu’elles imposeront à un gouvernement confronté à une récession d’augmenter les taux d’imposition pour compenser la baisse des recettes fiscales et maintenir à tout prix le déficit budgétaire à moins de 3% du PIB.
Enfin, et je souhaite insister sur ce point, la normalisation de la politique économique française implique à très court terme la révision à la baisse de notre système de protection sociale, qui va rapidement se révéler un obstacle rédhibitoire, tant pour l’harmonisation que pour la fameuse “convergence” des économies.[…]
Or, si l’on veut, comme l’affirme le traité, imposer une monnaie unique à tous les pays membres, un effort colossal devra être consenti pour réduire les écarts actuels, qui sont immenses, un effort colossal sans commune mesure avec ce que nous réclame présentement Jacques Delors pour doter ses fonds de cohésion.[…]
Dans tous les cas, la monnaie unique, c’est l’Europe à plusieurs vitesses : à trois vitesses si on la fait à six puisqu’il y aurait alors une Europe du Nord, une Europe du Sud et une Europe de l’Est. A deux vitesses si on la fait à douze puisqu’on continuerait à exclure les pays de l’Est. Et, dans tous les cas, la monnaie unique, c’est une nouvelle division entre les nantis que nous sommes et les autres, c’est-à-dire les pays de l’Europe centrale et orientale.
Il y a quelque chose de pourri dans un pays où le rentier est plus célébré que l’entrepreneur, où la détention du patrimoine est mieux récompensée que le service rendu à la collectivité.
Ce que cache la politique des comptes nationaux, ce que cache l’obsession des équilibres comptables, c’est bien le conservatisme le plus profond, c’est bien le renoncement à effectuer des choix politiques clairs dont les arbitrages budgétaires ne sont que la traduction. […]
Encore faut-il que, chez les hommes d’Etat, le visionnaire l’emporte encore un peu sur le gestionnaire, l’idéal sur le cynisme et la hauteur de vue sur l’étroitesse d’esprit. Car pour donner l’exemple aux autres, il convient d’être soi-même exemplaire. Il faut, pour que la France soit à la hauteur de sa mission, qu’elle soit, chez elle, fidèle à ses propres valeurs.
Et la France n’est pas la France quand elle n’est plus capable, comme aujourd’hui, de partager équitablement les profits entre le travail, le capital et la rente, quand elle conserve une fiscalité à la fois injuste et inefficace, quand elle se résigne à voir régresser la solidarité et la promotion sociale, quand elle laisse se déliter ce qu’autrefois on appelait fièrement le creuset français et qui était au cœur du projet républicain.»
Il y aurait tant de choses à souligner dans cet extrait que j’ai tiré du discours mais ce constat : «ce que cache l’obsession des équilibres comptables, c’est bien le conservatisme le plus profond» est d’une clairvoyance rare.
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Jeudi 25 Juin 2015

Jeudi 25 Juin 2015
« On reconnaît un discours de M. Jaurès à ce que tous les verbes sont au futur… »
Georges Clemenceau
Voilà ce que son vieil adversaire disait de Jaurès : tous les verbes sont au futur dans ses discours.
C’est cela qu’on attend d’un homme politique : qu’il nous décrive le futur, qu’il nous mène vers demain, bref qu’il donne du sens.
Tout ce qui est absent aujourd’hui.
Vous trouverez la source de ce mot du jour derrière ce lien : On reconnaît un discours de M. Jaurès à ce que tous les verbes sont au futur
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Mercredi 3 juin 2015

« En France, vous avez un art très rare qui est de fabriquer des religions sans dieu. Vous n’avez pas de roi mais un président qui ressemble à un roi, vous n’avez pas de religion d’Etat mais vous avez le Panthéon ».
Kamel Daoud

Kamel Daoud, né en Algérie, est un écrivain et journaliste algérien d’expression française. Selon Wikipedia

«S’il écrit en français et non en arabe, c’est, dit-il, parce que la langue arabe est piégée par le sacré, par les idéologies dominantes. On a fétichisé, politisé, idéologisé cette langue.»

Depuis 1994, il écrit au Quotidien d’Oran, il est aussi parfois chroniqueur dans des journaux français comme Le Point.

Il a acquis aussi un surplus de notoriété en écrivant un roman «Meursault, contre-enquête » sur lequel je reviendrai plus loin. C’est pour ce roman qu’il avait été invité le 13 décembre 2014, dans l’émission « On n’est pas couché sur France 2 ».

ll a parlé de son rapport à l’islam.

« Je persiste à le croire : si on ne tranche pas dans le monde dit arabe la question de Dieu, on ne va pas réhabiliter l’homme, on ne va pas avancer. La question religieuse devient vitale dans le monde arabe. Il faut qu’on la tranche, il faut qu’on la réfléchisse pour pouvoir avancer. »

Et suite à cette émission un imam salafiste, Abdelfattah Hamadache Zeraoui, a appelé à son « exécution », écrivant que « si la charia islamique était appliquée en Algérie, la sanction serait la mort pour apostasie et hérésie ». « Il a mis le Coran en doute ainsi que l’islam sacré ; il a blessé les musulmans dans leur dignité et a fait des louanges à l’Occident et aux sionistes. Il s’est attaqué à la langue arabe, écrit Abdelfattah Hamadache Zeraoui. (…) Nous appelons le régime algérien à le condamner à mort publiquement, à cause de sa guerre contre Dieu, son Prophète, son Livre, les musulmans et leurs pays. »

C’est cet homme qui était l’invité de France Inter du 27 mai 2015. <En France vous avez l’art de fabriquer des religions sans dieu>

C’est souvent l’œil extérieur qui sait porter le regard le plus pertinent sur une situation ou une société. Interrogé par un auditeur sur l’autocensure de certains intellectuels ou pratiquée dans les médias français sur la question de l’islamisme par peur de représailles ou lâcheté intellectuelle, il a eu ce propos :

« L’islamisme est le nouveau totalitarisme de notre siècle donc il pèse par la peur, par l’oppression, par la violence, par le meurtre. En Algérie, la dernière polémique visait une étudiante exclue parce qu’elle portait une jupe trop courte. En France, on a le contraire, une jupe trop longue. C’est assez symptomatique du siècle et de ces « maladies ». En France, j’ai été frappé du fait que vous n’arrivez pas à redéfinir facilement les choses : qu’est-ce que la liberté, qu’est-ce que dessiner, qu’est-ce que la laïcité. Vous avez une élite qui jacasse beaucoup mais qui est incapable de définir la liberté pour un écolier de 15 ans. Je pense que vous avez besoin d’un dictionnaire. Vous avez une collection de tabous extraordinaires. Je me sens beaucoup plus libre paradoxalement quand j’exerce mon droit d’intellectuel en Algérie qu’ici ».

Et puis il a ajouté ce qui est le mot du jour d’aujourd’hui.

Enfin il a eu ce rapprochement audacieux :

«Il y a finalement peu de différences entre les islamistes qui me menacent dans mon pays et la montée du Front national en France. D’ailleurs, le mot « salafiste » veut dire « souche »».

Kamel Daoud est devenu plus célèbre en France, en octobre 2013 quand sort son roman «Meursault, contre-enquête»

Il a loupé le prix Goncourt d’une voix : 4 contre 5 à Lydie Salvayrepour pour son roman « Pas pleurer »

Ce livre est une réponse à «l’Étranger» d’Albert Camus

L’Étranger d’Albert Camus, roman de 1942, met en scène un personnage-narrateur nommé Meursault, vivant à Alger en Algérie française. Dans la première partie du roman, il enterre sa mère, qu’il a internée à l’hospice de Marengo et il assiste aux funérailles, sans avoir l’air d’être triste, il ne veut pas simuler un chagrin qu’il ne ressent pas.

Par la suite il est mêlé à une dispute entre son voisin et sa maîtresse qui est arabe. Quelques jours après en se promenant sur la plage avec son voisin il croise deux Arabes, dont le frère de la maîtresse. Une bagarre éclate. Plus tard, Meursault, seul sur la plage accablée de chaleur et de soleil, rencontre à nouveau l’un des Arabes, qui, à sa vue, sort un couteau. Meursault tire sur l’homme, puis tire quatre autres coups de feu sur le corps.

Dans la seconde moitié du roman, Meursault est arrêté et questionné. Ses propos sincères et naïfs mettent son avocat mal à l’aise. Il ne manifeste aucun regret. Lors du procès, on l’interroge davantage sur son comportement lors de l’enterrement de sa mère que sur le meurtre. Meursault se sent exclu du procès. Il dit avoir commis son acte à cause du soleil, ce qui déclenche l’hilarité de l’audience. La sentence tombe : il est condamné à la guillotine. Meursault voit l’aumônier, mais quand celui-ci lui dit qu’il priera pour lui, il déclenche sa colère. Avant son exécution, Meursault finit par trouver la paix dans la sérénité de la nuit.

Camus décrit Meursault comme un étranger au Monde, il ne donnera jamais de nom à l’Arabe victime de Meursault.

Kamel Daoud écrit son roman en prenant pour narrateur le frère de « l’Arabe » tué par Meursault et le sort donc de l’anonymat.

Wikipedia nous apprend qu’en Algérie, le livre est l’objet d’un malentendu :

« Sans l’avoir lu, de nombreuses personnes ont pensé que c’était une attaque de L’Étranger, mais moi je n’étais pas dans cet esprit-là. […] Je me suis emparé de L’Étranger parce que Camus est un homme qui interroge le monde. J’ai voulu m’inscrire dans cette continuation. […] J’ai surtout voulu rendre un puissant hommage à La Chute, tant j’aime ce livre. »

Kamel Daoud est en tout cas un homme passionnant, et ce qu’il dit de la France est si juste :

Nous nous disons républicains mais nous sommes des monarchistes qui révoquons notre roi tous les 5 ans et des laïcs qui allons voter le dimanche dans notre maison laïque sacrée de l’École. Enfin nous disposons d’un Temple : Le Panthéon où notre roi décide quels sont les saints laïcs que nous pourrons vénérer.

Pour toutes les autres nations, nous autres français ne pouvons apparaître que bizarres et contradictoires.

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Mardi 5 mai 2015

Mardi 5 mai 2015
«Le principe essentiel de cette progressivité est la notion d’acceptabilité (en fonction des genres, des situations d’énonciations, des effets recherchés et produits), notion qui permet à la fois le lien avec le socle et l’approche communicationnelle développée en langues vivantes»
Repères de progressivité sur l’étude de la langue
Programme du collège qui vient de paraître
Nicolas Boileau écrivait en 1674, dans  L’Art poétique «Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément.»
Il semble que des «facétieux» du Ministre de l’Education nationale ne soient pas de cet avis. Car le mot du jour est un extrait du programme du cycle 4 produit récemment par le Ministère, programme que vous trouverez en pièce jointe et que j’ai téléchargé à l’adresse suivante : http://cache.media.education.gouv.fr/file/CSP/04/3/Programme_C4_adopte_412043.pdf
Le cycle 3 de la scolarité s’achève avec la première année du collège. Le cycle 4 est donc celui du collège moins la première année.
A priori, au début l’objectif était fixé, dans une lettre au Président du Conseil supérieur des programmes datée du 4 décembre 2013, par le Ministre de l’éducation nationale qui a demandé au Conseil de formuler des propositions de programmes pour l’école élémentaire et le collège : « La refonte des programmes de la scolarité obligatoire doit être un chantier essentiel au service de cette mobilisation pour la refondation de l’école de la République. » Selon les termes de cette saisine, il est notamment attendu des projets de programmes qu’ils soient : « plus simples et plus lisibles pour que chacun sache bien ce que les élèves doivent apprendre ».
Je cite d’autres extraits :
Pour les langues étrangères et régionales : «Dans la continuité d’orientations notionnelles des programmes antérieurs la visée générale peut être caractérisée comme aller de soi et de l’ici vers l’autre et l’ailleurs.»
La course à pied devient : « Créer de la vitesse, l’utiliser pour réaliser une performance mesurée, dans un milieu standardisé.[…]
Se repérer dans l’espace athlétique et accepter les déséquilibres provoqués.
S’organiser pour construire une continuité spatiotemporelle d’actions.
Optimiser les trajectoires, les forces exercées et les vitesses produites, anticiper les actions à venir pour agrandir l’espace et raccourcir le temps»
La natation, souvent repris dans des articles de presse : « Se déplacer de façon autonome, plus longtemps, plus vite, dans un milieu aquatique profond standardisé.»
C’est certainement profond, mais ce n’est pas un langage standard.
Très naïf, je pensais que la pédagogie représentait cet effort de rendre simple des choses compliquées, force est de constater que nous sommes ici dans l’exact contraire.
Certains pour défendre ce jargon essaye d’expliquer qu’il faut bien manipuler un langage « précis » pour expliquer ces notions techniques.
D’autres articles parlent de cette pensée structurante et novatrice :
Je me répète, mais je pense vraiment que la personne qui a allégé son esprit de ces concepts complexes, en les formulant, doit se sentir beaucoup mieux après.

Mercredi 29 avril 2015

« la première liberté, c’est la sécurité (?).
Nous inversons la proposition : pour nous, la première sécurité est la liberté. »
Pierre Mauroy, Mars 1981 (donc avant la victoire de François Mitterrand le 10 mai 1981)

L’expression complète de Mauroy est

« Pour la droite, la première liberté, c’est la sécurité. Nous inversons la proposition : pour nous, la première sécurité est la liberté. »

Sous le titre <« La sécurité est la première des libertés. » Ou l’inverse ?> Rue 89 a publié, le 23/04/2015, un article dont je cite ci-après quelques extraits :

« En 1981, quand Alain Peyrefitte faisait de la sécurité la première des libertés, Pierre Mauroy inversait la proposition. Depuis, la gauche, à commencer par Manuel Valls, a adopté cette posture hier affichée par le FN.

De la bouche d’un gaulliste à celle d’un Premier ministre socialiste. En passant par une affiche de Jean-Marie Le Pen, Marion Maréchal-Le Pen dans les bras, pour les régionales en Paca, en 1992. « La sécurité, première des libertés » est une formule qui a fait du chemin, avant d’être reprise par Manuel Valls le 13 avril, dans l’hémicycle, pour défendre le controversé projet de loi sur le renseignement. […]

Associée à la droite et l’extrême droite jusqu’aux années 90, l’expression n’est aujourd’hui plus du tout discriminante et constitue, comme le notait Libération en 2013 après une sortie d’Estrosi sur le sujet, « un poncif du débat public » depuis vingt ans. […]   ainsi, au gaulliste Alain Peyrefitte, qui répète que « la sécurité est la première des libertés » lors de l’examen de sa loi « Sécurité et Liberté », le socialiste Pierre Mauroy rétorque, en mars 1981 : « Pour la droite, la première liberté, c’est la sécurité. Nous inversons la proposition : pour nous, la première sécurité est la liberté. »

La loi portée par Peyrefitte, alors garde des Sceaux, comprenait, selon ses détracteurs, 95 fois le mot « sécurité » et 5 fois le mot « liberté ». Ce débat – passionné – est généralement utilisé pour dater le début du débat « sécuritaire ». Ce mot entre d’ailleurs dans le vocabulaire au début des années 80. A l’époque, la gauche, vent debout contre la droite « liberticide », demande son abrogation lorsqu’elle arrive au pouvoir. C’était un engagement de campagne de Mitterrand (n° 52).

Là, comme dans tant d’autres domaines, la frontière entre la droite et les socialistes va tendre à s’estomper.

[…] la déclaration de politique générale de Jospin, le 19 juin 1997,  affirmait : « La sécurité, garante de la liberté, est un droit fondamental de la personne humaine. » […]

Pour justifier cette pirouette sémantique, la gauche fait appel à la fameuse Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, texte révolutionnaire s’il en est, qui fait figurer la « sûreté » parmi les droits naturels et imprescriptibles de l’homme dans son article 2 : « Art. 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. »

Mais sécurité n’est pas sûreté. L’ancien ministre de la Justice socialiste Robert Badinter le rappelle dans un entretien au Monde, en janvier 2004 : « Ce qui est consacré dans la Déclaration des droits de l’homme, c’est la sûreté, c’est-à-dire l’assurance, pour le citoyen, que le pouvoir de l’Etat ne s’exercera pas sur lui de façon arbitraire et excessive. Le droit à la sûreté, c’est la garantie des libertés individuelles du citoyen. »

[…] Bref, pas très malin pour les socialistes. D’ailleurs, les meilleures critiques de la formule, ce sont eux-mêmes, les socialistes. Ainsi, Jean-Jacques Urvoas, président PS de la commission des Lois, a un jour (lointain) écrit sur son blog : « C’est l’occasion pour moi de dire que je ne comprends pas le slogan répété à satiété selon lequel « la sécurité serait la première des libertés ». […] Si je suis de gauche, c’est d’abord parce que je veux vivre dans un pays libre ! […] Et s’il faut conjuguer la sécurité avec notre devise républicaine, alors affirmons que  » la sécurité est la garantie de l’égalité « . Voilà le combat historique de la gauche ! »

[…] Manuel Valls lui-même, dans son livre « Sécurité : la gauche peut tout changer » (éditions du Moment), sorti en avril 2011, écrivait que « l’opposition affichée systématiquement entre sécurité et liberté [lui paraissait] toujours un peu creuse. » Tout en moquant : « Ceux qui tentent d’échapper à ce piège idéologique en affirmant, rapidement, que la sécurité est la première des libertés. »

Je trouve cet article particulièrement rafraichissant dans ses rappels historiques et aussi dans sa capacité à mettre nos gouvernants face à leurs incohérences et contradictions.

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Vendredi 17 avril 2015

Vendredi 17 avril 2015
« Que les idiots disent des idioties, c’est comme les pommiers qui produisent des pommes, c’est dans la nature.
Le problème, c’est qu’il y ait des lecteurs pour les prendre au sérieux. »
Simon Leys

Simon Leys, nom de plume de Pierre Ryckmans, est un écrivain belge, né en 1935 et mort le 11 août 2014 en Australie.

Sa grande œuvre fut de dénoncer la Chine maoïste, son grand combat fut celui contre les intellectuels maoïstes qui étaient très nombreux à l’époque et qui ont tenté par tous les moyens de le dénigrer.

Il a eu cette phrase, mot du jour d’aujourd’hui, dans une émission Apostrophes de Bernard Pivot de 1983 où il dit que le plus grave ce n’est pas que des gens qui ont le pouvoir médiatique ou littéraire,  énonce des contre-vérités mais le plus grave c’est qu’il existe de nombreuses personnes qui les croient et considèrent que c’est la vérité.

En 1971, sous le pseudonyme de Simon Leys, il publia un essai, «Les Habits neufs du président Mao», dénonciation de la Révolution culturelle chinoise. Il sera immédiatement la cible d’une grande partie des intellectuels parisiens dont beaucoup étaient maoïstes.Il sera attaqué  par la revue «Tel Quel» dont Philippe Sollers est un des principaux animateurs et également le journal «Le Monde».

A l’époque, il était assez isolé, soutenu cependant par des intellectuels comme Jean-François Revel et René Étiemble.

Ils étaient peu nombreux à avoir raison devant la cohorte de ceux qui considéraient la Chine de Mao comme un eldorado de la pensée et de l’accomplissement humain.Sartre, Foucault, Barthes, Kristeva étaient dans le camp des idiots.

J’ai choisi cette phrase comme mot du jour, parce que nous sommes le 17 avril 2015 et qu’il y a 40 ans : le 17 avril 1975, alliés de la Chine, les Khmers rouges entraient dans Phnom Penh.<Et vous lirez dans cet article de 2012 de l’Express le même aveuglement d’intellectuels, souvent les mêmes maoïstes, face aux -crimes des khmers rouges>

Les estimations des victimes varient entre 740 000 et 2 200 000 morts sur une population d’un peu moins de 8 000 000 habitants.Vous lirez les noms de ces intellectuels qui ont dit des idioties : Noam Chomsky, Jean Lacouture, Vergés, Serge July et bien d’autres.

Le Monde et la plupart des organes de presse, y compris Le Nouvel Observateur seront du mauvais côté.

La Une de Libération, le 17 avril 1975 s’intitule «Le drapeau de la résistance flotte sur Phnom Penh»
et quelques jours après «7 jours de fête pour une libération

Simon Leys, avait raison à l’époque contre beaucoup.

La question qu’il est légitime de se poser : quelles sont les idioties d’aujourd’hui ? et qui sont les Simon Leys ?

Les idiots devraient être plus faciles à reconnaître : on les voit souvent et ils parlent avec l’assurance de la vérité révélée.

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