Mardi 8 mars 2022

« J’espère que les Russes aiment aussi leurs enfants ! »
Sting

Certains parlent du retour de la guerre froide, d’autres disent que cela n’a rien à voir.

Les seconds pointent le fait qu’il n’y a plus deux systèmes économiques opposés qui se font face. Bien au contraire, non seulement ce sont des systèmes économiques qui sont proches, mais plus encore l’interdépendance entre la Russie et l’Occident est à un niveau tel qu’on ne peut pas sanctionner l’agresseur sans que l’Occident ne soit durement touché par les répercussions de ces sanctions qui lui reviennent en boomerang.

Certes… Mais ce sont ceux qui croient que seule l’économie guide le monde.

Or il y a aussi la politique, les valeurs, les récits.

« Poutine croit à un choc des civilisations entre l’Occident et la Russie ». Non seulement, il pense en termes de puissance comme Staline qui répondait : « Le Pape, combien de divisions ? », mais aussi en terme de valeur pour lui les démocraties sont faibles, n’ont pas d’autorité, ne défendent pas l’identité chrétienne de l’Europe et ont abandonné leur virilité au profit de combat pour l’égalité des LGBT qu’il réprouve absolument.

Et dans l’affrontement de ces deux systèmes, il y a bien une nouvelle guerre, qu’on espère que, froide qui s’installe.

En 1985, nous étions encore en pleine guerre froide. Le musicien britannique Gordon Matthew Thomas Sumner, plus connu sous le nom de « Sting » écrit une chanson qui s’intitule « Russians ».

Sting fait notamment référence à la doctrine de MAD (Mutual Assured Destruction = Destruction Réciproque Assurée) qui consiste à développer des armes nucléaires à grande échelle pour anéantir l’adversaire.

A partir de l’existence de ces armes les grandes puissances créent le concept de « dissuasion nucléaire » qui consiste à faire le pari que les adversaires n’entreront pas dans la guerre directe parce qu’ils savent qu’elle conduirait à la destruction réciproque assurée.

Un pari n’est jamais certain, il est possible de le perdre.

Sting dans sa chanson pose cette question angoissante :

« How can I save my little boy ? From Oppenheimer’s deadly toy ?
Comment sauver mon petit garçon ? Du jouet mortel d’Oppenheimer ? ».

Robert Oppenheimer (1904-1967) fut le directeur scientifique du « Projet Manhattan », c’est-à-dire l’laboration par les Etats-Unis de la bombe nucléaire. Par un raccourci, oubliant les autres éminents scientifique qui ont travaillé sur ce projet, il est régulièrement surnommé le « père de la bombe atomique »

La réponse à cette angoisse que propose Sting est :

«  I hope the Russians love their children too
J’espère que les Russes eux aussi aiment leurs enfants  ».

Cette chanson tout le monde l’a oublié et Sting ne la chantait plus. Elle était frappée d’obsolescence.

Mais samedi dernier, il a publié sur instragram une vidéo dans laquelle il interprète à nouveau cette chanson « Russians », pour apporter son soutien au peuple ukrainien et collecter des fonds pour les réfugiés.

Et il ajoute :

« Je n’ai que rarement chanté cette chanson au cours des nombreuses années qui se sont écoulées depuis qu’elle a été écrite, car je n’aurais jamais pensé qu’elle serait à nouveau pertinente. Mais, à la lumière de la décision sanglante et terriblement malavisée d’un homme d’envahir un voisin pacifique et non menaçant, la chanson est, une fois de plus, un plaidoyer pour notre humanité commune. Pour les courageux Ukrainiens qui luttent contre cette tyrannie brutale et aussi pour les nombreux Russes qui protestent contre cet outrage malgré la menace d’arrestation et d’emprisonnement – Nous, nous tous, aimons nos enfants. Arrêtez la guerre »

La réinterprétation de Sting de sa chanson « Russians » avec sa guitare et accompagné d’un violoncelle se trouve derrière ces liens : <Sting: «HELP UKRAINE» (2022) News of Ukraine> (Youtube) <Russians> (Instagram)>

Mais, on peut revenir à la première version : <Sting – Russians (Official Music Video)>

N’en déplaise à ceux qui prétendent que mes mots du jour sont trop longs, celui ne s’arrête pas là.

Car la chanson de Sting s’appuie sur une œuvre classique : « La romance du lieutenant Kijé » de Serge Prokofiev que vous pouvez entendre derrière ce lien : <Prokofiev Lieutenant Kijé Romance>

Un peu de culture suffit pour savoir que Serge Prokofiev, l’inoubliable compositeur de «Pierre et le loup» était un compositeur russe.

<Wikipedia> Le confirme :

« Sergueï Prokofiev (généralement appelé Serge Prokofiev en France) est un compositeur, un pianiste et un chef d’orchestre russe, né le 11 avril 1891 à Sontsivka (Empire russe) ».

Pas tout à fait…

Quand on regarde de plus près, on constatera que le village de Sontsivka se trouve en Ukraine.

Sur une carte qui donne les villes d’Ukraine dont les noms nous sont connus depuis que le tyran du Kremlin les martyrise, ce village n’est pas représenté. Il a fallu que je trouve d’autres ressources pour pouvoir le situer à l’ouest de Donetsk et au nord de Marioupol.

Selon la version anglaise de Wikipedia « Sontsivka » est une ville qui fait partie de l’Oblast de Donestsk, donc une des deux villes dont Poutine a déclaré l’indépendance dans le Donbass. Cette ville comptait 626 habitants en 2017.

Toujours selon l’encyclopédie en ligne 92,45% de la population parlait ukrainien et 7,42% russe. Dans ce pays russophone, ce village serait donc plutôt ukrainien.

Prokofiev avait fui avec sa famille la révolution soviétique. Mais il se languissait de sa patrie. Staline l’invitait à revenir et lui assurait sécurité et calme pour composer.

Il ne fut pas assassiné, ni déporté au goulag, mais la promesse de Staline fut, comme souvent, un mensonge. Il vécut très mal, souvent dans la misère et fut plus d’une fois persécuté.

C’est en 1933 que Prokofiev, âgé de 42 ans, revient en URSS. Sa première commande est la composition de la musique du film « Lieutenant Kijé  », adaptation cinématographique par Alexander Feinzimmer de la nouvelle éponyme de Yuri Tynianov.

A partir de cette musique de film, Prokofiev va par la suite en tirer une suite composée de 5 parties : La naissance de Kijé, la Romance, le mariage, la Troïka (c’est une danse) et, enfin, l’enterrement.

C’est la deuxième partie, la Romance qui sera le thème musical utilisé par Sting.

Le destin de Prokofiev sera étrangement mêlé à Staline, un des prédécesseurs de Poutine au Kremlin.

« Le 5 mars 1953, Serge Prokofiev, alors âgé de 61 ans, meurt d’une hémorragie cérébrale, une heure environ avant Joseph Staline. La Pravda, portant toute l’attention sur le « petit père des peuples », mettra six jours avant d’annoncer la mort du compositeur, les autorités faisant même pression sur sa famille pour qu’elle n’ébruite pas la nouvelle pendant cette période. Une quarantaine de personnes assistent, dans une totale discrétion, à ses funérailles, au cimetière de Novodevitchi près de Moscou »

Je me suis aussi intéressé à l’histoire du Lieutenant Kijé. <Wikipedia> la narre

« Celle-ci se passe dans l’Empire russe, sous le règne de Paul Ier. L’histoire débute en 1793 et se termine en 1801.

C’est l’histoire d’un homme qui n’existe pas, sauf pour l’administration impériale, à la suite d’une erreur de transcription d’un ordre du jour par un scribe de la chancellerie du régiment. Cette erreur était rendue possible en russe par une proximité orthographique et phonétique : au lieu de « podporoutchiki-jé (russe : Подпоручики же, « quant aux lieutenants ») Stiven, Rybine et Azantchéïev, ils sont nommés… », le scribe, distrait par l’entrée d’un officier dans son bureau, écrivit : « podporoutchik Kijé (russe : Подпоручик Киже, le lieutenant Kijé). »

Ainsi, par un caprice de la langue russe prend naissance un être fictif dont l’entourage de l’empereur n’osera jamais révéler l’inexistence. On en profite aussitôt pour attribuer à Kijé une faute que personne ne voulait endosser, une fausse alerte qui avait réveillé Sa Majesté. L’empereur ordonne l’exil de Kijé en Sibérie. L’institution militaire russe, respectant l’ordre à la lettre, envoie donc vers la Sibérie une escorte sans prisonnier. Par la suite, Paul Ier, sujet à des crises d’angoisse, se méfiant de son entourage, cherche à promouvoir des officiers non issus de la noblesse. Kijé, en tant que militaire modèle aux états de service parfaits, sans attaches ni « piston » d’aristocrates ou de personnages haut placés, est d’abord gracié, puis nommé capitaine, enfin colonel chef de régiment. Une maison lui est attribuée, ainsi que des serviteurs.

L’empereur ordonne ensuite qu’il se marie avec l’une de ses dames d’honneur.

Paul Ier finit par le nommer général, compte tenu des états de service irréprochables de ce militaire et de sa modestie : il n’a jamais demandé le moindre avancement ni contesté son autorité autocratique.

Lorsque l’empereur demande à voir son général, son entourage lui explique que le général Kijé vient de tomber malade. Bien que soigné par les meilleurs spécialistes, Kijé « meurt » trois jours plus tard. Sa mort est l’occasion de funérailles nationales grandioses, suivies par sa veuve ; l’empereur dira de son général : « Ce sont les meilleurs qui s’en vont ». »

Le Lieutenant Kijé n’existait pas.

Rappelons que pour Poutine, l’Ukraine n’existe pas non plus. Il pense probablement qu’un scribe, par erreur, a écrit qu’elle existait.

Voici les paroles de la chanson de Sting

Russians

En Europe et en Amérique, il y a un sentiment croissant d’hystérie
In Europe and America there’s a growing feeling of hysteria

Conditionné pour répondre à toutes les menaces
Conditioned to respond to all the threats

Dans les discours rhétoriques des Soviétiques
In the rhetorical speeches of the Soviets

Monsieur Khrouchtchev a dit : « Nous vous enterrerons »
Mister Krushchev said, « We will bury you »

Je ne souscris pas à ce point de vue
I don’t subscribe to this point of view

Ce serait une chose si ignorante à faire
It’d be such an ignorant thing to do

Si les Russes aussi aiment leurs enfants
If the Russians love their children too

Comment puis-je sauver mon petit garçon du jouet mortel d’Oppenheimer ?
How can I save my little boy from Oppenheimer’s deadly toy?

Il n’y a pas de monopole sur le bon sens
There is no monopoly on common sense

De part et d’autre de la clôture politique
On either side of the political fence

Nous partageons la même biologie, quelle que soit l’idéologie
We share the same biology, regardless of ideology

Croyez-moi quand je vous dis
Believe me when I say to you

J’espère que les Russes aiment aussi leurs enfants
I hope the Russians love their children too

Il n’y a pas de précédent historique
There is no historical precedent

Mettre les mots dans la bouche du président ?
To put the words in the mouth of the president ?

Il n’y a pas de guerre gagnable
There’s no such thing as a winnable war

C’est un mensonge auquel nous ne croyons plus
It’s a lie we don’t believe anymore

Monsieur Reagan dit : « Nous vous protégerons »
Mister Reagan says, « We will protect you »

Je ne souscris pas à ce point de vue
I don’t subscribe to this point of view

Croyez-moi quand je vous dis
Believe me when I say to you

J’espère que les Russes aiment aussi leurs enfants
I hope the Russians love their children too

Nous partageons la même biologie, quelle que soit l’idéologie
We share the same biology, regardless of ideology

Mais qu’est-ce qui pourrait nous sauver toi et moi
But what might save us, me and you

C’est si les russes aiment aussi leurs enfants
Is if the Russians love their children too
Sting

Il existe une interview de Sting en 2010 à la télévision Russe où il parle de cette chanson : Quand le présentateur de l’émission lui demande pourquoi il a écrit cette phrase : « I hope the Russians love their children too »

Sting explique que, dans les années 1980, un ami avait réussi à capter à partir d’un satellite le signal d’une chaine de télévision russe. Et ils ont regardé des émissions pour les enfants russes qui passaient le dimanche matin et Sting explique :

« Ce qui m’a frappé, c’est tout le soin , l’amour et l’attention qu’il y avait dans ces programmes. Donc clairement, les russes aiment leurs enfants. Et ça a été mon déclic : c’est pour ça qu’on ne s’est pas fait exploser : parce que l’Ouest comme les Soviétiques, on tenait à notre avenir qui sont nos enfants. ».

Pourvu qu’il en soit toujours ainsi…

L’idée de ce mot du jour m’a été donnée à travers les informations que j’ai lues ou vues sur <La télévision belge> et <France Bleu>

<1665>

Vendredi 4 mars 2022

« Babi Yar »
Poème de Evgueni Evtouchenko mis en musique par Dimitri Chostakovitch (13ème symphonie)

Finalement le mémorial de Babi Yar n’a pas été touché par le bombardement russe qui a endommagé la tour de la télévision de Kiev.

Car une tour de télévision a été érigé à côté de Babi Yar, ou Babyn Yar en ukrainien et qui signifie « ravin des vieilles femmes ».

Dans un article publié sur le site de « Science Po » qui raconte ce qui s’est passé en ce lieu, il y a un peu plus de 80 ans, on lit :

« Pendant des siècles, ce nom n’a désigné qu’une des petites vallées escarpées situées juste au nord-ouest de Kiev (Kyiv), opposant un obstacle naturel aux envahisseurs. Cette formation géologique consistait en neuf éperons rocheux se dirigeant vers l’est et l’ouest sur environ un kilomètre et présentant des versants abrupts d’une dizaine de mètres de dénivelée. »

Babi Yar qui se situe donc à Kiev, est le lieu du plus grand massacre par balles, mené par les Einsatzgruppen allemands en URSS.

En 36 heures, 33 771 Juifs furent assassinés par les nazis les 29 et 30 septembre 1941 aux abords du ravin de Babi Yar à Kiev.

Près de mille êtes humains massacrés chaque heure !

En Ukraine 1 millions et demi de juifs seront assassinés dont 80 % par la shoah par balle.

<Cette page de France 24> publié en septembre 2021, pour la commémoration des 80 ans de ce crime, évoque le massacre ainsi que le site mémoriel qui existe aujourd’hui.

En 1961, il n’y avait de monument à Babi Yar.

<Wikipedia> qui décrit aussi de manière détaillée cette plaie ouverte dans notre humanité rapporte :

« Les autorités soviétiques préfèrent occulter le caractère antisémite de cette action ; après la libération de Kiev le 6 novembre 1943, les victimes juives sont présentées comme des « citoyens soviétiques pacifiques » que l’on a assassinés. Dans l’URSS de Staline et de Khrouchtchev, la singularité de la souffrance juive ou arménienne doit être gommée, noyée dans un vécu partagé avec la totalité du peuple soviétique. Il existe donc peu de témoignages et de mémoires de ce massacre à la suite de la vague d’antisémitisme et de censure que fit déferler Staline dès 1948, la mémoire de l’anéantissement des Juifs officiellement effacée devint un thème tabou jusqu’à la Perestroïka. […]
Du temps de l’URSS, les rares monuments évoquaient des crimes contre les citoyens soviétiques. D’ailleurs, il a fallu attendre le poème d’Evgueni Evtouchenko en 1961 pour que ce massacre sorte de l’oubli. »

Ce mot du jour va surtout parler du poème d’Evgueni Evtouchenko et de sa mise en musique par Dimitri Chostakovitch.

Evgueni Evtouchenko, né en 1932 près d’Irkoutsk en Russie est mort en 2017 aux États-Unis. C’est un poète russe, qui fut aussi acteur, photographe et réalisateur de cinéma.

<Wikipedia> le présente ainsi :

« Représentant emblématique de la génération du dégel intellectuel après la mort de Staline, il fut l’une des premières voix humanistes à s’élever en Union soviétique pour défendre la liberté individuelle. »

En 1961, Evtouchenko n’avait pas encore 30 ans. C’est un ami qui l’a emmené à Babi Yar :

« Mon ami m’a conduit de haut en bas de ces ravins, collines et ruisseaux où, à l’époque, il était encore possible de trouver des os humains »,

L’histoire de ce qui s’était passé à Babi Yar en septembre 1941 n’était pas bien connue ; ce n’est que ce jour-là qu’Evtouchenko a pris connaissance des dizaines de milliers de Juifs que les nazis avaient tués.

Evtouchenko était abattu. Il a remarqué qu’il n’y avait pas de mémorial, aucun repère racontant cette histoire, datant cette exécution de masse inimaginable ou identifiant les morts. Le lendemain, assis seul dans sa chambre d’hôtel, il a écrit un poème intitulé « Babi Yar » sur des bouts de papier.

Le poème fut publié en septembre 1961 dans Literaturnaya Gazeta, suscitant l’indignation générale. Evtouchenko a reçu d’innombrables télégrammes et lettres de protestation de toute la Russie dans la mesure où il s’agissait du premier poème paru dans la presse soviétique dénonçant un antisémitisme durable et confrontant l’un des moments les plus sombres du pays.

Un jour, au début de 1962, Evtouchenko a reçu un appel de Chostakovitch (à qui il n’avait encore jamais parlé) lui demandant la permission de mettre « Babi Yar » en musique.

Il a accepté l’offre de ce musicien plus âgé et qu’il admirait.

Chostakovitch a alors avoué que la partition était déjà terminée et il lui a demandé de se rendre immédiatement chez lui.

Evtouchenko a écouté le compositeur jouer sa partition au piano, chantant ses mélodies incantatoires d’une voix hantée et éraillée.

Quand il est arrivé au vers « J’ai l’impression d’être Anne Frank », Chostakovitch pleurait. La musique qu’Evtouchenko a entendue ce jour-là capturait ce qu’il imaginait en écrivant ces mots :

« Ce fut une expérience extraordinaire, étrange. Grâce à un aperçu télépathique magique [Chostakovitch] semblait avoir tiré la mélodie de moi et l’avoir enregistrée en notations musicales…. Sa musique a rendu le poème plus important, plus significatif, plus puissant. Bref, c’était devenu un bien meilleur poème. »

Ni l’un, ni l’autre était juif, mais l’antisémitisme, très présent en Russie, les révulsait tous deux.

En mars 1962, Chostakovitch a conçu le poème comme une pièce en un mouvement pour voix basse, chœur d’hommes et orchestre.

C’est par cette œuvre bouleversante, saisissante que je suis entré dans le monde de Chostakovitch et que j’ai compris qu’il s’agissait d’un des plus grands compositeurs de l’Histoire.

C’est aussi avec cette œuvre que j’ai appris l’existence de Babi Yar et de ce qui s’y était passé.

Cette musique sera le premier mouvement de sa symphonie N° 13 qui portera le nom du poème « Babi Yar ».

C’est encore l’Art, la puissance du texte et la pulsation de la musique qui permet le mieux de décrire cette chose innommable, inconcevable, inracontable.

La symphonie 13 fut complétée par d’autres poèmes d’Evtouchenko

Mais c’est le premier mouvement qui va soulever les plus grandes difficultés, en raison du poème.

J’ai appris que même le grand chef et ami de Chostakovitch, Evgueni Mravinski, le seul sur terre que Karajan admettait être de son rang, n’a pas accepté d’assurer la première de cette œuvre qui fut finalement créé par Kirill Kondrachine.

Avant la création de la symphonie, Evtouchenko était sous le feu de fréquentes et violentes attaques pour avoir laissé entendre que seules des victimes juives étaient mortes à Babi Yar et que l’antisémitisme persistait en Union soviétique.

A l’époque le secrétaire général du Parti Communiste était Nikita Khrouchtchev. Lors d’une réception au Kremlin, Khrouchtchev s’est lancé dans une diatribe, disant à Evtouchenko qu’il avait tort d’avoir soulevé la question de Babi Yar et que la musique écrite par Chostakovitch n’était rien d’autre que du jazz qui lui donnait mal au ventre.

Après le remplacement, en dernière minute, de la basse qui a refusé de chanter, la première eut finalement lieu.

La loge officielle du gouvernement est restée vide tout au long du spectacle.

Le livret du programme ne comprenait pas les textes d’Evtouchenko

La totalité de la place à l’extérieur du grand hall du Conservatoire de Moscou a été bouclée par la police et un plan de télédiffusion du concert a été abandonné.

La Pravda ne publia aucun article sur le concert, signalant juste le concert par une phrase dans une rubrique de brèves.

Finalement, les autorités russes obligèrent les deux artistes à modifier le poème pour pouvoir continuer à jouer la symphonie. Aujourd’hui, la symphonie se joue avec le poème originel.

Chostakovitch a dit :

« Les gens savaient ce qu’il [s’était produit à Babi Yar, même avant le poème de Evtouchenko, mais ils ont décidé de se taire. Le texte de cette symphonie a brisé le silence. L’art détruit le silence »

L’Art détruit le silence !

J’ai pu révéler tous ces détails grâce à Phillip Huscher qui est musicologue et qui annote les programmes du Chicago Symphony Orchestra.

Voici le poème de Evgueni Evtouchenko :

« Au-dessus de Babi Yar, il n’y a pas de monument :
L’escarpement est comme une grosse pierre tombale.
J’ai peur,

Aujourd’hui je me sens
Aussi ancien que le peuple juif.
Je me sens comme si . . . me voilà Juif.

Me voilà errant dans l’Egypte ancienne.
Et me voilà pendu sur la croix, mourant,
Et je porte encore la marque des clous.

Me voilà . . . Dreyfus, c’est moi.
La canaille bourgeoise me dénonce et me juge !
Je suis derrière les grilles, je suis encerclé,

Persécuté, conspué, calomnié.
Et les belles dames, avec leurs franfreluches,
Gloussant, m’enfoncent leurs ombrelles dans la face.

Je me sens . . . me voilà, petit garçon à Bielostok.
Le sang coule, maculant le plancher.
Les meneurs dans la taverne passent aux actes.
Leurs haleines puent la vodka et l’oignon.
Un coup de botte me jette par terre ; prostré
En vain je demande grâce aux pogromistes.
Ils s’esclaffent : « Mort aux youpins ! Vive la Russie ! »
Un marchand de grain bat ma mère.

O, mon people russe, je sais
Qu’au fond du cœur tu es internationaliste,
Mais souvent, ceux—là dont les mains sont sales
Ont souillé ta bonne renommée.

Je sais que mon pays est bon.
Quelle infamie que, sans la moindre honte,
Les antisémites se soient proclamés
« L’Union du Peuple Russe ».

Me voilà . . . Anne Franck,
Translucide, telle une jeune pousse en avril,
Et j’aime et j’ai besoin non pas de mots,
Mais que nous nous regardions l’un l’autre.

Nous avons si peu à voir, à sentir !
Les feuilles et le ciel ne sont plus pour nous,
Mais nous pouvons encore beaucoup—
Nous embrasser tendrement dans cette sombre chambre!

« Quelqu’un vient !  »
« N’aie pas peur. Ce ne sont que les murmures
Du printemps qui arrive.
Viens à moi,
Donne-moi tes lèvres, vite !  »
« Ils cassent la porte! »
« Non ! C’est la glace qui rompt ! »

Au-dessus de Babi Yar bruit l’herbe sauvage,
Les arbres menaçants ressemblent à des juges.
Ici, en silence, tout hurle,
Et, me découvrant,
Je sens mes cheveux blanchir lentement.
Et je deviens un long cri silencieux

Au-dessus des milliers et milliers d’ensevelis.
Je suis chaque vieillard ici fusillé,
Je suis chaque enfant ici fusillé.
Rien en moi, jamais, ne pourra l’oublier.
Que « l’Internationale » retentisse
Quand pour toujours on aura enterré
Le dernier antisémite de la terre.

II n’y a pas de sang juif dans mon sang
Mais sur moi pèse la hideuse haine
De tous les antisémites comme si j’étais un Juif :
Et voilà pourquoi je suis un vrai Russe ! »
Evgueni Evtouchenko

J’ai trouvé <cette vidéo> dans laquelle Evgueni Evtouchenko dit son poème en russe. Je ne comprends pas la langue et pourtant l’émotion me saisit, quand je vois et entends ce vieil homme dire son poème écrit dans l’hostilité mais grâce à sa force intérieure et la lucidité de son émotion.

L’année dernière, pour les commémorations des 80 ans, un orchestre allemand et des chœurs ukrainiens sous la direction de Thomas Sanderling, sur le lieu de Bai Yar, interprètent <La 13ème symphonie de Chostakovitch « Babi Yar »> sur le poème d’Evgueni Evtouchenko. Pendant toute la durée du concert, sur deux écrans de chaque coté de l’orchestre, l’interminable liste des victimes défile.

<1663>

Lundi 21 février 2022

« PatKop la violoniste aux pieds nus. »
Un objet musical non identifié nommé Patricia Kopatchinskaja

Ce dimanche, Annie et moi, accompagnés de nos amis Joyce et Patrick, sommes allés à l’Auditorium pour écouter un concert d’œuvres d’Igor Stravinsky dirigés par le chef hongrois Ivan Fischer à la tête de l’orchestre qu’il a créé en 1983  et dont il est le Directeur musical depuis : « L’Orchestre du Festival de Budapest ».

Pour Ivan Fischer, il s’agissait d’un retour à Lyon, puisqu’il a été le directeur musical de l’Opéra de Lyon de 2001 à 2003.

Ivan Fischer avait aussi fait parler de lui parce qu’il s’est fait « vacciner en plein concert le 25 août 2021 » :

« Le geste, symbolique, a eu lieu lors d’un concert gratuit en plein air devant quelques milliers de personne à Budapest. Sur les vidéos on peut voir Iván Fischer diriger du bras droit pendant qu’un médecin lui administre une troisième dose de vaccin dans l’autre bras, à travers un trou ménagé exprès dans sa chemise. […] Le site du festival de Budapest explique qu’à travers cette mise-en-scène Iván Fischer « souhaite donner l’exemple et attirer l’attention du public sur l’importance de la lutte contre l’épidémie ». La Hongrie a en effet particulièrement souffert au printemps, affichant début mai « la pire mortalité du monde » d’après le journal Le Monde. Depuis, la situation sanitaire s’est améliorée mais reste délicate. »

C’est surtout un très grand chef et nous avions hâte de l’entendre dans ce concert dans lequel la seconde partie était consacrée au « Sacre du Printemps ».

Avant cela, il y avait une première partie dans laquelle après une autre œuvre orchestrale, « le concerto pour violon et orchestre » de Stravinski était au programme.

C’est une œuvre assez aride et difficile à jouer.

Avec Annie nous nous préparons toujours au concert en écoutant plusieurs fois les œuvres au programme.

Nous avions un peu de mal avec cette œuvre.

J’avais déjà entendu parler de la violoniste soliste : Patricia Kopatchinskaja, mais je ne l’avais jamais vu en concert, ni entendu par l’écoute d’un disque ou de la radio. J’avais lu des avis très contrastés. Par exemple, cet avis du journal canadien « La Presse »

« Des critiques et des mélomanes l’abhorrent, d’autres l’adorent. On lui reproche de trop grandes libertés avec la partition, trop d’exubérance dans le jeu, trop de singularité dans l’articulation ou les timbres, trop de feu dans les coups d’archet. On l’admire exactement pour les mêmes raisons. »

Donc nous voilà au concert. La première œuvre, «  Jeux de carte » me semblait un peu poussive, je n’entrais pas bien dans le concert, était ce de mon fait ou de celui du chef et de l’orchestre ?

Puis vint le concerto et la violoniste née à Chisinau en Moldavie en 1977, entra en scène.

Déjà sa tenue était singulière par rapport à toutes les autres solistes qu’il nous a été donné de voir à l’Auditorium.

Elle portait une robe que je qualifierai de folklorique, mais je ne sais pas de quelle région.

Et elle était pieds nus. On raconte qu’un jour elle avait oublié ses chaussures en montant sur scène. Et que ce jour là, elle avait ressenti les vibrations de l’orchestre comme jamais. Depuis elle réitère souvent cet oubli.

Alors, elle lève l’archet et prend à bras le corps cette œuvre rude et difficile et entraîne l’enthousiasme des musiciens et des auditeurs tout au long de son interprétation.

Elle saisit l’œuvre et fait partager sa vision avec une force et un dynamisme incroyable.

D’ailleurs vous pouvez avoir la perception de cette interprétation, puisqu’il existe sur internet une vidéo de ce concerto avec elle à <Francfort avec l’orchestre de la radio de cette ville dirigé Andrés Orozco-Estrada>

Époustouflant et unique !

Et alors les bis !

Elle a joué successivement avec deux membres de l’orchestre des danses populaires du compositeur hongrois Bartok et puis une œuvre qu’elle a décrit comme présentant le chaos de la globalisation dans laquelle elle joue du violon tout en chantant ou plutôt en lançant des cris et des grognements dans un acte théâtral aussi déroutant que prenant.

Après cela, l’orchestre du Festival de Budapest et Ivan Fischer, galvanisé par ce qu’il venait de vivre nous ont offert un Sacre du Printemps de toute beauté.

Et après ce déchainement de rythme et de violence et plusieurs rappels, l’orchestre s’est levé, a laissé ses instruments et sous la direction d’Ivan Fischer a chanté, a capella, l’ « Ave Maria de Stravinsky  » dans un moment extatique avec une qualité chorale incroyable.

Un concert qui fait du bien et dont on sort plein d’énergie et de joie.

Alors, j’ai voulu en savoir un peu plus sur « la violoniste aux pieds nus » qu’on appelle PatKop, pour éviter d’écorcher son patronyme compliqué : Kopatchinskaja

Alors j’ai écouté cette interprétation du <Concerto de Beethoven> avec Philippe Herreweghe, avec lequel elle l’a enregistré d’ailleurs. Et c’est vrai qu’elle prend quelque liberté avec la partition. Elle joue parfois d’autres notes que Beethoven a écrite. C’est choquant, mais c’est très convaincant.

Elle dit dans l’article du journal canadien précité :

« Bien sûr, affirme-t-elle d’emblée, je m’en tiens aux partitions écrites, mais je recherche d’abord l’esprit de l’œuvre… qui ne se trouve pas dans les pages. Je crois qu’il faut libérer l’esprit d’une œuvre, il faut le sortir de sa partition, qui peut devenir une prison. […]
 Il faut laisser cet esprit nous chevaucher, le laisser nous parler comme un guide qui se dévoile à notre époque, le laisser communiquer avec le public et les musiciens, et ainsi modeler notre façon de jouer l’œuvre ici et maintenant. »

Et elle dit encore :

« Si vous êtes scientifique et que vous vous intéressez à ce qui est connu, vous devenez professeur. Lorsque l’inconnu, le risque ou même la controverse ne vous font pas peur, vous devenez alors chercheur, ce qui s’apparente à un créateur en art. Ce qui m’intéresse se trouve de l’autre côté de la frontière, car je sais ce qui se trouve à l’intérieur. »

Bref, jouer une pièce de la même manière pendant des décennies ne présente pas grand intérêt pour elle.

Dans ce contexte, elle accepte les critiques :

« Il est bien de recevoir de bonnes et de mauvaises critiques, cela signifie que ceux qui ne nous aiment pas nous ont écoutés avec une certaine attention, qu’on les a touchés malgré tout. Quoi qu’ils pensent, les interprétations lisses et standardisées ne m’intéressent absolument pas. »

On trouve assez facilement des critiques défavorables sur le net, mais elles ne m’intéressent pas après le concert de ce dimanche.

Je pense qu’étant donné sa liberté d’interprétation, il semble possible qu’elle puisse « s’égarer » parfois.

Mais quand c’est réussi comme ce dimanche à Lyon, quelle plénitude.

<Le Monde> écrit :

« Loin de se limiter à des décharges strictement musicales, l’interprète galvanisante a décidé, très tôt, de ne renoncer à aucun des sens de son corps dans la recherche optimale de l’expression artistique. « J’ai besoin de tout ressentir avec ma peau », résume la violoniste qui a pris l’habitude de se produire pieds nus et de s’exposer telle quelle sur scène. […] « Plus j’avance en âge et plus je m’éloigne de tout ce qui m’a été appris, confie la musicienne de 44 ans. Les Japonais pensent qu’on change de personnalité une fois qu’on a atteint la moitié de sa vie, comme un serpent qui se débarrasse de sa peau, mais en tant qu’artiste qui se régénère, vous ne savez jamais où vous êtes vraiment vous-même.»

Elle a résumé lors d’un entretien accordé au Financial Times sa vision de liberté :

« Les gens accordent beaucoup d’importance à la perfection et aux surfaces bien lisses. Ils veulent voir un beau gâteau sur scène, prêt à être dégusté. Je n’apporte pas de gâteau. J’apporte les ingrédients et je les cuisine sur place. On doit prendre le risque que ça ne se passera pas bien – on a besoin des erreurs car elles nous font réfléchir et trouver de nouvelles façons de faire. »

Sur ce site consacré à la Moldavie elle raconte un peu l’Histoire de sa vie :

« Nous avons quitté la Moldavie avec mes parents dès l’ouverture des frontières en 1990. Je suis arrivée à Vienne, où j’ai passé une dizaine d’années. Je suis ensuite venue à Berne, car j’avais obtenu une bourse pour y étudier. J’ai toujours rêvé de baser ma vie dans une grande capitale, mais je suis tombée amoureuse à Berne, et j’y suis restée. Et comme je voyage sans cesse, Berne est le lieu idéal pour décompresser, recharger mes batteries.
[Que pouvez-vous dire de la Moldavie ?]
C’est intéressant de venir de nulle part, non ? ([…]
Plus prosaïquement, la Moldavie a connu tour à tour la domination des Roumains et des Russes, et les deux n’étaient pas mieux l’un que l’autre. Aujourd’hui, c’est un pays parmi les plus pauvres d’Europe : 80% des actifs travaillent à l’étranger. J’y retourne avec Terre des hommes , pour donner des concerts, organiser des concours pour jeunes violonistes. Dans ma famille, chaque génération a une fois tout perdu et s’est retrouvée avec une valise pour seul bien. J’en tire cette leçon : « Live now ! » « Vivez maintenant ! »

Elle a désormais la triple nationalité moldave, autrichienne et suisse.

« Le Figaro » parle en juin 2021 d’elle comme d’« un objet musical non identifié » et ajoute :

« Mais c’est surtout par sa profonde originalité musicale qu’elle frappe. Celle qui aime se comparer à un enfant qui invente constamment de nouveaux jeux avec les mêmes jouets, assimile la musique classique à un laboratoire et son parcours d’interprète à celui d’Alice au pays des merveilles.
En vraie funambule, elle pousse la musique dans ses ultimes retranchements expressifs »

Elle dispose bien sûr d’un site : https://www.patriciakopatchinskaja.com/

Et pour finir, je vous propose d’écouter ces 5 minutes magiques dans lesquelles avec d’autres musiciens et particulièrement le chef Teodor Currentzis, elle chante et joue en interprétant <John Dowland> compositeur anglais mort en 1626.

<1654>

Lundi 20 décembre 2021

« Je me suis cru moi-même wagnérien pendant un certain temps. Quelle était mon erreur et que j’étais loin du compte ! ! »
Camille Saint-Saëns

Camille Saint-Saëns a été un musicien encensé. Au cours de sa vie il était considéré comme le plus grand musicien français.
Mais vers la fin de sa vie, il fit l’objet de beaucoup de critiques et on l’affubla du nom de « réactionnaire ».
Et après sa mort on l’oublia.
Jacques Bonnaure dans le « Classica » de janvier 2021 cite Romain Rolland qui disait qu’on peut parler de musique pendant des heures sans mentionner son nom !

Plus tard le musicologue Lucien Rebatet écrivait :

« Aucune considération scholastique ne nous embarrasse plus pour dénombrer, dans les deux cent numéros [il en existe plutôt 600 !] de Saint Saëns, tout ce qui est allé au cimetière des partitions hors d’usage, encore plus attristant que celui des vieilles ferrailles. »

Heureusement, plus personne n’oserait s’exprimer comme Rebatet et on redécouvre ces dernières années le génie de Saint-Saëns dont les œuvres sont programmés au même titre que ceux de Debussy, Fauré et d’autres.

Qu’est-ce qu’on a reproché à Saint-Saëns pendant toutes ces années ?

C’est de ne pas avoir su chevaucher la monture de « la modernité ».

Et le premier moderne auquel il s’est attaqué fut Richard Wagner.

Au début, tout se passa bien entre eux. Camille Saint-Saëns connut Wagner dès 1859, lors du séjour parisien du compositeur allemand. Il a fait partie de son cercle de familiers. Il fut le premier à jouer des transcriptions de ses partitions. D’ailleurs Wagner était admiratif des talents que pouvaient manifester Saint Saëns pour jouer ses partitions au piano :

« Le maître de Bayreuth s’extasiait « sur la vélocité extraordinaire et la stupéfiante facilité de déchiffrer » de son jeune confrère. Aussi, chaque fois qu’il passait par Paris, le priait-il de venir chez lui (3, rue d’Aumale), afin de lui jouer certaines de ses partitions qu’il était incapable d’exécuter lui-même. »

Le séjour parisien de Wagner ne fut pas couronné de succès. Saint-Saëns défendait un compositeur très critiqué. Et il va continuer à admirer Wagner, en allant à Bayreuth en 1876 pour entendre la musique wagnérienne dans son temple.

À son retour, il rédige sept articles très documentés sur la Tétralogie. Sur <France Musique> on peut lire :

« Son pèlerinage à Bayreuth en 1876 lui inspire une série d’articles sur le projet lyrique titanesque de Wagner, et il devient l’un des grands défenseurs du compositeur allemand. »

Mais la révolution wagnérienne va tout emporter sur son passage. Quand le maître meurt en 1883 à Venise, tous les « cercles progressistes » ou qui se disent modernistes n’ont d’oreilles et d’admiration que pour Wagner.

C’est alors que Saint-Saëns va s’attaquer non pas à Wagner, mais aux Wagnériens.

Il faut aussi souligner que Saint-Saëns est un nationaliste, il s’est spontanément engagé dans l’armée française en 1870 et a douloureusement vécu la défaite contre la Prusse.

Il vivra aussi la montée vers la guerre 14-18 et la guerre elle-même.

Son hostilité contre les wagnériens est aussi une lutte contre l’hégémonie culturelle et surtout musicale allemande.

Je recite la page de <France Musique>

« Mais lorsqu’une hégémonie culturelle germanique commence à envahir l’horizon musical français, lorsqu’une « wagnérolâtrie » domine l’attention française au profit de ses propres compositeurs, Saint-Saëns se réveille de son rêve wagnérien : « Je me suis cru moi-même wagnérien pendant un certain temps. Quelle était mon erreur et que j’étais loin du compte ! ».

Mais si Saint-Saëns critique ouvertement le culte croissant de Richard Wagner et l’esprit nationaliste qui l’entoure, il ne renie pas pour autant le génie musical wagnérien : « La wagnéromanie est un ridicule excusable ; la wagnérophobie est une maladie » écrit-il en 1876 dans son ouvrage Regards sur mes contemporains.

En février 1871, la guerre franco-allemande gronde toujours. La défaite française ne saurait tarder, et arrive un sentiment français de frustration envers leur ennemi. La domination allemande dans la programmation musicale des concerts en France exaspère bon nombre de compositeurs français, éclipsés par la musique de Wagner mais aussi de Beethoven. Aux côtés du professeur de chant Romain Bussine, Camille Saint-Saëns décide ainsi de créer en 1871 la Société Nationale de Musique, afin de promouvoir le génie musical français longtemps ignoré face à la tradition germanique.»

Il synthétisera toutes ses critiques dans cet article : <L’illusion Wagnérienne> qui a été publié dans la Revue de Paris d’avril 1899.

Il fait d’abord une description de tous les écrits qui glorifient la musique de Wagner et pointent leur exagération, selon lui. Globalement il dit : certes la musique de Wagner est belle, mais il reproche au wagnérien de se lancer dans des explications fumeuses pour expliquer que toutes les innovations de Wagner sont géniales :

« Tant que les commentateurs se bornent à décrire les beautés des œuvres wagnériennes, sauf une tendance à la partialité et à l’hyperbole dont il n’y a pas lieu de s’étonner, on n’a rien à leur reprocher; mais, dès qu’ils entrent dans le vif de la question, dès qu’ils veulent nous expliquer en quoi le drame musical diffère du drame lyrique et celui-ci de l’opéra, pourquoi le drame musical doit être nécessairement symbolique et légendaire, comment il doit être pensé musicalement, comment il doit exister dans l’orchestre et non dans les voix, comment on ne saurait appliquer à un drame musical de la musique d’opéra, quelle est la nature essentielle du Leitmotiv, etc.; dès qu’ils veulent, en un mot, nous initier à toutes ces belles choses, un brouillard épais descend sur le style des mots étranges, des phrases incohérentes apparaissent tout à coup, comme des diables qui sortiraient de leur boîte bref, pour exprimer les choses par mots honorables, on n’y comprend plus rien du tout. »

Et il attaque :

« L’exégèse wagnérienne part d’un principe tout différent. Pour elle, Richard Wagner n’est pas seulement un génie, c’est un Messie : le Drame, la Musique étaient jusqu’à lui dans l’enfance et préparaient son avènement; les plus grands musiciens, Sébastien Bach, Mozart, Beethoven, n’étaient que des précurseurs. Il n’y a plus rien à faire en dehors de la voie qu’il a tracée, car il est la voie, la vérité et la vie il a révélé au monde l’évangile de l’Art parfait.

Dès lors il ne saurait plus être question de critique, mais de prosélytisme et d’apostolat ; et l’on s’explique aisément ce recommencement perpétuel, cette prédication que rien ne saurait lasser. Le Christ, Bouddha sont morts depuis longtemps, et l’on commente toujours leur doctrine, on écrit encore leur vie; cela durera autant que leur culte. Mais si, comme nous le croyons, le principe manque de justesse ; si Richard Wagner ne peut être qu’un grand génie comme Dante, comme Shakespeare (on peut s’en contenter), la fausseté du principe devra réagir sur les conséquences et il est assez naturel dans ce cas de voir les commentateurs s’aventurer parfois en des raisonnements incompréhensibles, sources de déductions délirantes. »

Je ne vais pas citer tout l’article. Pour résumer, il dit que Wagner a écrit de la très belle musique et il est le continuateur des maîtres qui l’ont précédé. Il considère que les wagnériens qui prétendent que leur idole a tout inventé, que seules ses œuvres méritent d’être écoutés, se trouvent en plein délire et il le leur dit.

L’élite musicale allemande ne pardonnera pas à Saint-Saëns ses critiques contre les wagnériens et l’hégémonie musicale allemande.

Lors d’une tournée en 1887 il joue à la Société philharmonique de Berlin :

«  Le public l’accueille par des huées, et le lendemain, la presse le traîne dans la boue sous prétexte qu’il a marqué hautement en France son antipathie pour les compositeurs d’outre-Rhin. Saint-Saëns dédaigne ces querelles de Teutons. Il ne capitulera pas. On l’attend à Cassel. Il s’y rendra quand même. Mais son impresario reçoit de l’intendant du grand théâtre de cette ville une lettre ainsi conçue: «Je considère la présence de M. Camille Saint-Saëns dans l’Institut que je dirige, aussi longtemps du moins que cet artiste persévérera dans son incompréhensible manque de tact vis-à-vis de l’art et de la musique de l’Allemagne, comme absolument incompatible avec la mission qui m’est confiée de protéger et de développer l’art allemand et je refuse, par suite, mon adhésion à un programme sur lequel figurerait le nom de M. Saint-Saëns». […] les directeurs des théâtres de Dresde et de Brème imitèrent l’exemple de leur collègue de Cassel. Force donc fut au maître de rentrer en France. »

Il faut convenir que Saint-Saëns ne fut pas que critique à l’égard des Wagnériens mais de tous les autres compositeurs, qui au début du XXème siècle, était en train de révolutionner la musique.

Il a ainsi écrit de Claude Debussy (cf. <ce site belge>)

« Claude Debussy n’a aucun style. Il a certes un nom harmonieux, mais s’il s’était appelé Martin, personne n’en aurait parlé. »

Et Claude Samuel raconte que lorsque Claude Debussy, à la veille de sa mort, fit savoir par la voix de son épouse, qu’il allait poser sa candidature à l’Institut, Saint-Saëns écrivit à son ami Gabriel Fauré :

« Je te conseille de voir les morceaux pour 2 pianos, Noir et Blanc, que vient de publier M. Debussy. C’est invraisemblable, et il faut à tout prix barrer la porte de l’Institut à un Monsieur capable d’atrocités pareilles ; c’est à mettre à côté des tableaux cubistes » !!!

Et la page de France Musique déjà cité renchérit :

« Il ne se gêne pas de faire connaitre dans la presse son avis souvent acerbe quant à la musique d’autres compositeurs français. Il critique ouvertement la musique de Debussy, de Franck, de Massenet, de Vincent d’Indy et même d’Igor Stravinsky. Lors de la célèbre création du Sacre du printemps de ce dernier, Saint-Saëns quitte la salle de concert après seulement quelques notes, considérant que Stravinski ne savait pas écrire pour le basson »

Les musiciens ne sont pas bienveillants entre eux. Le récit que la musique adoucirait les mœurs est une fable comme une autre.

D’ailleurs Debussy n’est pas en reste quand il affirme qu’une des œuvres les plus géniales jamais composées, la neuvième symphonie de Mahler :

« n’est rien d’autre qu’ un pneumatique géant juste bon à faire de la réclame pour Bibendum », emblème fraîchement créé par les pneus Michelin… »

Heureusement que le monde musical a su dépasser ces querelles du début du XXème siècle et reconnaître qu’il y avait de la place pour le génie de Wagner, de Mahler, de Debussy, de Stravinski et de Saint-Saëns.

Pour finir en musique, je propose ce mouvement de la première sonate pour violoncelle et piano de Saint-Saëns : <Andante de la sonate opus 32>

<1640>

Jeudi 16 décembre 2021

« J’ai réalisé le rêve impossible de ma jeunesse […] j’ai assez vécu pour laisser des œuvres qui ont une chance de survie. ! »
Camille Saint-Saëns

Le 16 décembre 1921, il y a exactement 100 ans, Camille Saint-Saëns meurt à 86 ans, dans l’hôtel Oasis d’Alger.

Ce fut un très grand compositeur.

Il a résumé lui-même sa contribution à l’histoire de la musique. Le 23 février 1901, il écrivit à son éditeur Durand :

« J’ai réalisé le rêve impossible de ma jeunesse, j’ai atteint mon objectif ; j’ai assez vécu pour laisser des œuvres qui ont une chance de survie. Vous ne pouvez pas écrire l’histoire de la musique de cette époque sans au moins les mentionner ! Je mourrai avec la conscience d’avoir bien rempli ma journée. Il ne faut pas être ingrat envers son destin. »

J’ai trouvé cet extrait sur le site des éditions Durand, dans <cette présentation>.

J’y ai trouvé aussi cet avis du compositeur Gabriel Fauré qui a écrit au moment de sa mort :

« De nombreuses voix ont proclamé Saint-Saëns le plus grand musicien de son temps. Pendant la première moitié de sa longue carrière, il fut cependant contemporain de Berlioz et de Gounod. Ne serait-il pas plus exact et non moins glorieux de le désigner comme le musicien le plus complet que nous ayons jamais eu, au point qu’on ne puisse trouver qu’un exemple similaire chez les grands maîtres d’autrefois ? Son savoir qui ne connaissait pas de limites, sa prestigieuse technique, sa claire et fine sensibilité, sa conscience, la variété et le nombre stupéfiant de ses œuvres, ne justifient-ils point ce titre qui le rend reconnaissable à tout jamais ? »

Il est vrai qu’il a vécu longtemps, bien qu’il soit écrit partout que depuis son enfance il avait une santé fragile. il avait notamment une faiblesse aux poumons. Il voyageait beaucoup pour des raisons professionnelles et musicales, mais aussi pour se trouver dans des pays où le soleil brillait. Il allait ainsi fréquemment à Alger et il y est allé une dernière fois pour y mourir.

Saint-Saëns a rencontré plusieurs fois et brutalement la mort dans sa vie.

Il est né le 9 octobre 1835 à Paris et son père employé au ministère de l’intérieur meurt en décembre 1835 emporté par la tuberculose, il n’a pas trois mois.

Saint-Saëns se marie en 1875, âgé de quarante ans, avec Marie-Laure Truffot (1855-1950), alors âgée de 19 ans. Elle est la fille d’un industriel, également maire du Cateau-Cambrésis. Le couple aura deux enfants, deux fils, dont l’aîné, André, meurt à deux ans et demi en tombant du balcon de l’appartement familial en mai 1878. Saint-Saëns en rend responsable sa femme qui, ne pouvant plus allaiter le second, Jean-François, s’éloigne en province pour le confier à une nourrice chez qui il meurt à son tour en juillet de la même année, probablement de pneumonie.

Après trois ans d’éloignement croissant, Saint-Saëns se sépare définitivement de son épouse en 1881, sans divorcer. Il n’aura aucune autre relation stable, ni d’autres enfants

Deux autres femmes joueront un rôle essentiel dans sa vie, sa mère et sa grand-tante Charlotte Masson. Il les appellera : « mes mamans ». Il écrira :

« A ma grand’tante, je dois les premiers principes de la musique et du piano, les premiers éléments de l’instruction en tout genre, à ma mère le goût du beau, le culte de nos grands classiques littéraires les nobles ambitions. »

Son père était originaire de Dieppe. Il aura avec cette ville une relation particulière et léguera une grande partie de ses archives à cette ville

C’est à la mort de sa mère, Clémence Saint-Saëns, âgée de 79 ans, qu’il commence à se rapprocher de sa famille paternelle et d’Ambroise Millet, conservateur du Musée de Dieppe. Son projet est de créer un musée « Camille Saint-Saëns ». Son projet deviendra réalité en Juillet 1890 avec l’inauguration du Musée Saint-Saëns à Dieppe.

La ville de Dieppe fête le centenaire avec une exposition et des manifestations et a créé un site dédié : https://www.saintsaensdieppe21.fr/

Saint-Saëns fut d’abord un enfant sur doué et un pianiste prodige. Encore enfant, il commence à composer.

A 10 ans, il donne son premier concert, le 6 mai 1846 et fait sensation avec le troisième concerto de Ludwig van Beethoven, et le concerto no 15 K.450 de Mozart. Il écrit et joue même sa propre cadence pour le concerto de Mozart.

Si on essaie de le situer par rapport aux autres compositeurs, français et autres cela donne le schéma suivant :

Il eut une relation privilégiée avec Franz Liszt. Ils se rencontrent pour la première fois à Paris, en 1854. « Diapason » dans son numéro de novembre 2021 écrit :

« Malgré leur différence d’âge, ils s’entendent à merveille et vont toujours se soutenir mutuellement car tous les deux, interprètes géniaux, se heurtent aux même difficultés à se faire reconnaître comme compositeurs.

Sans Liszt, le plus grand opéra de Saint Saëns n’aurait jamais exsté : c’est lui qui encourage son jeune collègue à le terminer et s’engage à le faire donner à Weimar, avant même d’en avoir entendu une note. De son côté, Saint Saëns organise à ses frais des concerts d’œuvres orchestrales de Liszt pour les faire connaître à Paris. Et s’inspirant du modèle lisztien, il introduit le poème symphonique en France et en compose quatre : Rouet d’Omphale, Phaêton, Jeunesse d’Hercule, Dans macabre »

Il faut absolument regarder la présentation extraordinairement pédagogique de Jean-François Zygel de la <Danse macabre de Saint Saëns>

Rossini de plus de quarante ans son ainé qui était le grand compositeur à Paris des années 1850, a aussi jeté un regard bienveillant et protecteur sur sa carrière. Dans une soirée, Rossini a fait jouer une œuvre de Saint-Saëns en prétendant l’avoir écrite. Après que le public se sit extasié sur cette œuvre, Rossini a révélé qu’elle n’était pas de lui mais du jeune compositeur présent dans la salle : Camille Saint-Saëns.

Cet épisode est rapporté dans ce documentaire d’ARTE : < Saint-Saëns l’insaisissable >

ARTE qui a aussi réalisé un documentaire sur <Le carnaval des animaux> œuvre qu’il refusera de faire jouer de son vivant et dont un extrait est <la musique officielle du festival de Cannes>
mais cela je l’ai déjà raconté dans le mot du jour <du 5 juillet 2021>.

Ce que j’ai appris récemment c’est qu’il fut, en 1908, le tout premier compositeur de renom à composer une musique spécialement pour un film : «  L’Assassinat du duc de Guise ».

Il eut de grandes amitiés et de belles relations avec d’autres compositeurs comme Gabriel Fauré. Il eut aussi des relations privilégiées avec ses ainés Berlioz et Gounod. Mais avec d’autres les relations furent plus compliquées, voire hostiles, mais nous verrons cela une prochaine fois.

La société des amis de Saint-Saëns dispose d’un site instructif : https://camille-saint-saens.org/

Pour la musique je vous envoie vers cette somptueuse interprétation de ce chef d’œuvre unique qu’est la symphonie N°3 avec orgue par <L’orchestre de la Radio bavaroise dirigé par Mariss Jansons>

Et puis pour aller vers des sentiers moins connus, tous les violoncellistes jouent le 1er concerto de violoncelle opus 33 et oublient le second opus 119, composé 30 ans après. Le voici interprété par la lumineuse Sol Gabetta avec l’Orchestre national de France sous la direction de Cristian Macelaru : <Extrait du concert donné le 26 novembre 2021 à la Philharmonie de Paris.>

Je finirai ce premier épisode par le jugement du chef d’orchestre François-Xavier Roth :

« L’œuvre de ce compositeur, souvent qualifié de conservateur ou académique, regorge de passages innovants. »

Et, si vous voulez un disque, pourquoi pas l’enregistrement de la symphonie avec orgue enregistré par notre Orchestre National de Lyon dirigé par Leonard Slatkin avec l’orgue Cavaillé Coll de l’Auditorium de Lyon

<1639>

Jeudi 2 décembre 2021

« L’utilisation de la thérapie par la musique dans la médecine en général et contre la douleur en particulier est une réalité qui va s’imposer de plus en plus »
Docteur Gabriel Sara

J’avais déjà évoqué l’extraordinaire effet de la musique sur les malades, par le mot du jour du 1er février 2021, <Le pansement Schubert> qui était un livre de la violoncelliste Claire Oppert racontant son expérience de musicienne auprès de malades auxquels elle faisait énormément de bien en jouant. Le pansement Schubert est devenu par la suite une étude clinique menée sur plusieurs mois, 120 soins réalisés en compagnie de l’instrument. A la clé, une réelle diminution de la douleur physique, un apaisement de l’angoisse et pour tous ces hommes et femmes en souffrance, le sentiment de tutoyer de nouveau la vie.

J’ai trouvé récemment, sur le site de la <Médiathèque de Meaux> une conversation lumineuse, d’une profondeur humaine exceptionnelle entre Véronique Lefebvre des Noëttes, docteure en médecine, psychiatre, gériatre et Claire Oppert, parlant de ce sujet.

Il existe des musiques pour de multiples usages :

  • Faire défiler une armée
  • Faire danser une foule
  • Déclencher une euphorie ou invitant à la tendresse
  • Unir un collectif de personnes autour d’un objectif exaltant. J’avais évoqué, par exemple, l’hymne du club de football de Liverpool « You’ll never walk alone »
  • Il est des musiques qui sont promptes à entretenir la colère et le ressentiment, pour que des foules puissent se déchainer contre un bouc émissaire qui peut être la police ou un autre symbole de l’autorité
  • Et puis il y a des musiques qui apaisent

Ce ne sont évidemment pas les mêmes musiques.

Pour ma part, j’ai depuis longtemps expérimenté ce pouvoir de la musique pour les diverses émotions qu’on peut traverser.

Je me souviens particulièrement de ce moment, dans la chambre de l’hôpital Mermoz de Lyon, après l’opération qui aurait dû me guérir de mon cancer, d’après les statistiques.

Pour la troisième fois, mon chirurgien m’informait qu’il ne m’était pas possible de quitter l’hôpital parce que la cicatrisation post opératoire n’était pas suffisante. Le séjour prévu était d’une semaine, je venais de finir la troisième dans cette chambre et l’angoisse de ne plus sortir m’a pris.

Je me souvenais, de manière irrationnelle, de mon oncle Louis qui disait : « on va à l’hôpital pour mourir ». Et c’était ce qui lui était arrivé.

Alors, avec le petit équipement que j’avais, j’ai écouté <Le quintette en ut de Schubert>

En moi, le calme est revenu, la paix, le silence. J’ai abordé la fin du séjour avec optimisme jusqu’à mon départ.

Tout le monde n’est sans doute pas sensible à la même musique et chacun doit expérimenter la musique qui peut l’aider, selon l’émotion du moment, probablement en plongeant dans ses souvenirs.

Dans le film « De son vivant », la musique est omniprésente. Le docteur Sara joue lui-même de la guitare. Les groupes de paroles des soignants se terminent toujours par des chansons. Les patients sont invités à participer à des séances musicales, des musiciens viennent même leur jouer de la musique dans leur chambre quand en sortir devient difficile.

Et dans l’entretien que le docteur Gabriel Sara a accordé au site de <Rose-up>, il raconte son expérience du Liban en guerre :

« La musique est une arme contre cette violence. Je l’ai vécu pendant la guerre au Liban. C’est resté dans ma peau. En 1978, j’étais interne à l’hôpital libanais de Beyrouth. Durant les phases de bombardements, on était une cible privilégiée. Une bombe par minute nous tombait dessus, parfois plus, et cela a duré cent jours. C’était effrayant. Dans ces moments-là, on se réfugiait au sous-sol en attendant que ça s’arrête. Je prenais alors ma guitare, dont je ne me séparais jamais, et je chantais. Les gens autour de moi commençaient à se lever et à danser. Ils dansaient sous les bombes ! C’était surréaliste, mais je crois que c’est un réflexe de survie partagé par tous les humains. »

Et il fait le parallèle avec la maladie, ici le cancer :

« Le cancer terrorise les malades, il les paralyse, les empêche de penser, de rêver d’être qui ils sont. La façon de gérer ça, c’est de refuser d’être terrorisé. »

Et le moyen qu’il a trouvé c’est la musique

Dans un autre <entretien>, il affirme sa conviction que la musique parfois est bien plus utile qu’une pilule :

« L’utilisation de la thérapie par la musique dans la médecine en général et contre la douleur en particulier est une réalité qui va s’imposer de plus en plus, au vu des données scientifiques et des études qui apportent les preuves irréfutables des bénéfices de la musique chez les malades.
Si en tant que médecin j’ai un moyen de soulager les douleurs d’un malade et de l’aider sans passer par les médicaments qui ont souvent des effets secondaires toxiques et qui sont très onéreux, pourquoi ne pas le faire ?
Le côté humain et les soins personnels apportés par cette thérapie sont inestimables et le côté humain du soutien au malade manifesté par la musique ne peut être remplacé par aucune pilule ! »

C’est pourquoi, il a fait en sorte de faire une grande place aux musicothérapeutes dans son service de l’hôpital Mount Sinaï Roosevelt de New York.

« Via les dons de la fondation Helen Sawaya, je finance les salaires de musicothérapeutes qui interviennent tous les jours dans mon service. La musique a un effet merveilleux. Elle vibre en nous, elle a quelque chose de vital. Elle est un langage universel et puis, elle permet d’exprimer des émotions qu’on subit sans pouvoir toujours les expliquer. Grâce à elle, les patients sont en position de reprendre ou de garder le contrôle. Comme Benjamin qui au départ rejette le musicothérapeute. Celui-ci lui dit que ce n’est pas grave et que d’ailleurs il est peut-être la seule personne dans l’hôpital à qui il peut dire non.
Quand on lui annonce un cancer, la terre s’ouvre sous les pieds du malade, il est précipité dans un vide vertigineux qu’il subit totalement. On lui dit quel examen faire, à quel moment il doit faire tel traitement. Il n’a plus la maîtrise de rien. Le musicothérapeute est là pour que le malade sente qu’il est un être autonome. Il peut refuser ou accepter la musique, et choisir la chanson. Il peut aussi jouer d’un instrument car on en met à disposition. Le patient découvre qu’il a encore du pouvoir. C’est de l’ « empowerment » et c’est crucial ! »

Et il est intarissable sur les études qu’il a menées et leurs résultats positifs :

« Les exemples sont multiples et quotidiens, non seulement sur la douleur mais aussi sur la détresse d’un malade en général.
Prenons le cas des nouveau-nés d’un ou deux jours qui n’ont aucune connaissance ni notion de musique. Quand nos thérapeutes vont en salles de soins intensifs où ces nourrissons sont hospitalisés, le médecin voit immédiatement sur les écrans qui les surveillent, l’impact extraordinaire de la musique sur le pouls, la respiration, la tension de ces enfants. C’est extrêmement impressionnant de voir ralentir un pouls trop rapide, se calmer une respiration saccadée ou baisser une tension trop élevée rien qu’au contact de la musique. Nous le constatons tous les jours dans les services de néonatologie.

En ce qui concerne les adultes, la thérapie par la musique a des effets certains d’amélioration sur le seuil de la douleur et sur la nausée causée par la chimiothérapie. Le bénéfice émotionnel en est également énorme. La musique est un moyen de communication universel à travers les cultures et les langues. Elle exprime une émotion sans avoir besoin de mots. Souvent traumatisés, les malades n’arrivent pas à mettre des mots sur ce qu’ils ressentent. Par le biais de la thérapie par la musique, ils arrivent à se décharger du poids de leurs émotions. Une communication intense s’installe entre le thérapeute et le malade sans qu’ils ne parlent forcément la même langue.

On constate aussi les effets positifs et apaisants de la thérapie par la musique sur les infirmières et les personnels soignants car eux-mêmes bénéficient régulièrement de ces sessions. […]

Actuellement j’en conduis une commencée il y a trois ans déjà. Il s’agit d’évaluer si, grâce à la musique, on peut extuber les malades plus rapidement. C’est toujours un grand challenge le moment de retirer l’aide respiratoire à un patient. Autant il déteste ce tube qui le gêne, autant il a peur qu’on le lui retire. L’angoisse de l’asphyxie chez le malade peut d’ailleurs le rendre incapable de respirer seul ! Avec la musique, on peut travailler sur cette anxiété et la réduire. Et peut-être même extuber plus tôt. […] Avec cette étude j’espère montrer d’abord que c’est un bien être pour le malade, mais aussi prouver à l’administration qu’investir dans la musicothérapie peut leur permettre de faire des économies. »

Le docteur Gabriel Sara écrit un livre «Music and Medicine: Integrative Models in the Treatment of Pain» dans lequel il a consigné ses études et ses constats des bénéfices de la musique.

Il n’est pas nécessaire d’être malade pour se rendre compte des bienfaits de la musique et tout ce qu’elle peut nous apporter pour notre bien être, pour gérer nos émotions, pour vivre.

<1633>

Lundi 22 novembre 2021

« Si on est connecté à quelque chose de vrai, comme la musique, l’art, la science, la philosophie, le paysage, la nature, alors nous sommes nous-mêmes. »
Maria Joao Pires

Le 25 février 2021, j’écrivais un mot du jour assez désabusé : « Avant nous allions à l’Auditorium de Lyon »

Heureusement que nous pouvons désormais y retourner.

Et samedi, il s’est passé un moment rare, un moment d’éternité : un concert de Maria Joao Pires.

Le chroniqueur culturel lyonnais Luc Hernandez a commenté : « Maria Joao Pires donne un récital en état de grâce »

Et sur Twitter le même écrit :

« On était au concert de la divine Maria Joao Pires hier soir et on ne s’en est pas encore tout à fait remis… Compte-rendu en apesanteur. »

Le concert a commencé par la <13ème sonate de Schubert>. Dans la série que j’avais consacré à Schubert j’avais déjà témoigné de la relation si étroite que Maria Joao Pires entretenait avec Schubert.

Elle avait confié, en avril 2021, à Laure Mézan, à l’occasion de son récital au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence.

« C’est un compagnon de toujours, je m’identifie beaucoup à lui, il y a une facilité de compréhension de son expression (…) une grande acceptation de la souffrance humaine qui le mène à une légèreté, une simplicité chantante et dansante ».

Après, il y eut la suite Bergamasque de Debussy dans laquelle se trouve <clair de lune>, pièce pour laquelle Luc Hernandez écrit :

<un Clair de lune si poétique qu’on croirait l’en­tendre pour la première fois>

Et puis il y eut la seconde partie.

C’était l’ultime sonate de piano de Beethoven la N°32 opus 111. C’était avec elle que j’avais terminé ma série de mots du jour sur Beethoven : <une fraternité universelle>.

Je rappelais ce qu’avait dit Romain Rolland :

« Beethoven a su atteindre « le sourire de Bouddha » dans l’Opus 111. »

J’expliquais que je pensais que ce jugement s’appliquait surtout au second mouvement pour lequel de manière factuelle nous sommes en présence de variations. Mais du point de vue du mélomane et de l’humain, nous sommes en présence d’une immense méditation qui passe par toutes les diversités et richesses des sentiments et l’exploration intime bouleversante de notre humanité.

Et je citais Alfred Brendel :

« L’opus 111 est à la fois une confession qui vient clore les sonates et un prélude au silence. »

Car il s’agit bien de silence, le silence qui constitue l’aboutissement de l’œuvre mais aussi le silence intérieur sans lequel cette œuvre ultime ne peut pas être pleinement accueilli.

En 2016, dans un article du quotidien canadien <Le DEVOIR> Maria-Joao Pires disait qu’il fallait avoir conscience de son corps et porter l’attention à sa respiration. Elle ajoutait

« Les gens passent leur vie à être en dehors d’eux-mêmes, en dehors de leur corps. Ils ne sont pas présents. Leurs pensées sont ailleurs »

Son interprétation fut un moment de grâce.

Mais nos mots sont si pauvres pour exprimer l’ineffable.

Alors je reviendrai aux mots utilisés par cette artiste exceptionnelle.

Elle est née il y a 77 ans à Lisbonne et a commencé très tôt le piano.

Mais elle a attendu très longtemps avant d’oser interpréter cette sonate. Elle a parlé de « sa relation » avec cette sonate avec Alain Lompech sur le site <Pianiste> en février 2021

« D’ailleurs, j’ai travaillé très tard l’opus 111 dans ma vie. Je la connaissais bien sûr depuis longtemps, mais c’était un rêve, c’était un grand plan de la travailler un jour. J’avais un de mes professeurs, quand j’étais toute jeune, au Portugal avant de partir pour l’Allemagne… C’était mon professeur de composition, une personne que j’adorais vraiment, elle était authentique, honnête, avait un caractère vrai et cherchait toujours une vérité dans les choses. Elle m’écoutait jouer, mais ne me donnait pas de cours de piano. Quand j’avais 16 ans, je lui ai dit que je voulais travailler l’Opus 111, j’avais déjà joué pas mal de sonates de Beethoven, une dizaine, et elle m’a dit qu’elle me le déconseillait, qu’il fallait que j’attende, que je n’étais pas prête à la comprendre vraiment. Elle ne m’aurait pas empêchée de la jouer, mais je ne l’ai même pas déchiffrée… […] Puis j’ai eu 50 ans ; c’était le moment de m’y mettre, mais je ne voulais pas le faire comme ça entre deux choses, il me fallait le temps, l’espace pour me poser. En fait, les années ont passé, passé et quand j’ai eu 70 ans, je me suis dit que c’était maintenant ou jamais. Ça a été un vrai événement dans ma vie. Il y a certaines œuvres qu’on connaît très bien mais qu’on n’a jamais jouées et quand on passe à l’acte, c’est l’impact physique qui surprend et fait chaque fois comprendre la différence entre jouer et écouter, même s’il y a une écoute vivante qui peut être très proche de cette sensation. Certaines personnes sont capables d’écouter vraiment, de ressentir physiquement la musique. Quand j’ai joué, c’est un impact très fort tant cette œuvre était attendue, attendue… ça a été comme une révélation à un âge avancé. »

La maturité, l’intériorité lui permettent de créer une relation d’une grande intensité avec le public. Elle dit dans l’article précité du « Pianiste » :

« Quand je suis sur scène, je sens une… je cherche le mot… empathie, c’est ça, une empathie du public pour moi et de moi pour lui, comme s’ils étaient des amis. J’ai cette affection spontanée et naturelle pour lui. »

Beaucoup de pianistes courent après les concours et les prix pour se faire connaître et atteindre la notoriété. Dans <ce journal Belge> elle affirme son opposition de fond aux concours :

« Je suis probablement la personne la plus anti-concours qui soit car l’art est aux antipodes de la compétition. Là où il y a compétition, il n’y a pas d’art ; là où il y a art, il n’y a pas de compétition. J’aide les élèves qui veulent s’y préparer – chacun doit faire son expérience et parvenir à son but par le moyen qu’il choisit – mais je leur dis toujours que si j’étais eux, je n’irais pas. Je leur dis : « Ça va vous faire du mal ». »

Et dans ce même article elle finit, philosophe :

« Avoir confiance en notre destin. Avoir confiance en la vie, c’est être humble, voir ce qui est beau, ce qui est bien, ce qu’on aime faire et si quelqu’un a besoin de nous. Et laisser les choses arriver sans croire que nous pouvons décider de tout.

[…] Bien sûr. La question est de savoir à quoi on est connecté : aux bonnes ou aux moins bonnes choses ? Si on est connecté à quelque chose de vrai, comme la musique, l’art, la science, la philosophie, le paysage, la nature, alors nous sommes nous-mêmes. ».

On trouve sur Internet <cette vidéo de 2016> dans laquelle Maria Joao Pires joue l’arietta de l’opus 111..

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Mardi 26 octobre 2021

« Je suis un modeste musicien. »
Bernard Haitink

Et de manière unanime, le 22 octobre 2021, les sites de tous les plus grands orchestres symphoniques du monde ont affiché en page d’accueil la même information : Le chef d’orchestre néerlandais Bernard Haitink est mort le 21 octobre 2021

En commençant par l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, dont il fut le chef pendant 25 ans.

Mais aussi l’Orchestre Philharmonique de Berlin, l’Orchestre Philharmonique de Vienne, le Chicago Symphony Orchestra, le Boston Symphony Orchestra, l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde.

Les plus grands !

Et aussi le London Philharmonic Orchestra dont il fut chef principal pendant 12 ans.

Il est mort de vieillesse, à l’âge de 92 ans. <La Croix> écrit :

« «  Je suis un modeste musicien », martelait Bernard Haitink si l’on s’aventurait à évoquer son impressionnante carrière. Pourtant, c’est bien l’un des plus grands chefs d’orchestre de l’histoire qui est mort jeudi 21 octobre à Londres. »

Il s’était arrêté de diriger il y a deux ans. Parce que cet homme humble avait déclaré :

« Je ne veux pas qu’on dise de moi : il est gentil mais il devrait s’arrêter là ! »

Il a ainsi décidé et réalisé son dernier concert dans la salle du Festival de Lucerne avec l’Orchestre Philharmonique de Vienne le 6 septembre 2019.

Il dirigea le 4ème concerto de piano de Beethoven avec le pianiste Emmanuel Ax, puis l’immense 7ème symphonie de Bruckner.

Ce concert peut être écouté sur le site de France Musique < L’ultime concert de Bernard Haitink>.

Il y a aussi <cette vidéo> qui montre les deux dernières minutes de scène de cet immense chef d’orchestre qui d’un geste de la main gauche arrête la musique, remercie l’orchestre, remercie le public qui l’applaudit debout, puis prend sa canne et prend la main d’une femme qui l’attend en bas de l’estrade pour s’en aller tranquillement et prendre une retraite pour 2 ans, à 90 ans.

<TELERAMA> rapporte à propos de la musique de l’Autrichien Anton Bruckner (1824-1896)

« le chef d’orchestre néerlandais Bernard Haitink considérait qu’« essayer de l’expliquer, c’est déjà se tromper. » La musique, pensait-il, ça se sent et ça se vit à l’intérieur de soi. Alors à quoi bon intellectualiser sa passion pour ce compositeur ? « C’est curieux de voir comment je me sens inexplicablement si proche de lui. »

Loin des autocrates du pupitre, il fut à l’instar de Claudio Abbado, de 4 ans son cadet, un musicien parmi les musiciens.

<Le Monde> écrit :

« Chef d’orchestre d’une grande discrétion, au point d’avoir parfois été traité de « sphinx », Bernard Haitink, […] restera comme l’une des plus grandes baguettes de la seconde moitié du XXe siècle. »

Quand je me suis éveillé à la musique avec mon ami Bertrand G. dans les années 1970, nous écoutions, beaucoup la <Tribune des critiques de disques> de France Musique.

Nous étions très influencés par ces critiques, notamment Antoine Goléa qui rejetait systématiquement les interprétations de Haitink, le traitant d’apprenti, d’élève mais pas de chef d’orchestre.

Certes, Bernard Haitink a muri au cours des années et perfectionné son art, mais aujourd’hui l’ensemble de la communauté musicale reconnait que même les enregistrements de ses débuts sont d’une qualité remarquable.

Entretemps Bertrand et moi avons compris qu’il fallait se méfier des experts, de tous les experts dans tous les domaines et particulièrement dans le domaine musical.

La question à se poser : est-ce que cette interprétation me touche, me fait vibrer, me fait du bien ?

Bernard Haitink est né en 1929 à Amsterdam et apprend le violon à 9 ans.

Selon son propre jugement, il n’est pas très bon

Mais ses parents l’emmènent aux concerts du Concertgebouw où il découvre des chefs comme Willem Mengelberg, Bruno Walter ou Otto Klemperer et apprend à aimer l’orchestre symphonique.

Sa carrière musicale commence au sein de l’Orchestre de la radio néerlandaise, dont il intègre, à 25 ans, le pupitre des violons. Il exprimera longtemps une culpabilité car il se convaincra qu’il ne doit sa carrière qu’à l’éviction de ses camarades juifs, contraints au départ du Conservatoire d’Amsterdam à cause des lois nazies.

<La Croix> rapporte ses propos :

« C’est horrible à dire, mais s’il n’y avait pas eu les abominations de l’Occupation nazie, je n’aurais jamais été chef d’orchestre. Il y aurait eu des chefs beaucoup plus talentueux que moi. »

Il va se tourner rapidement vers la direction d’orchestre.

Le Monde écrit :

« En 1954, il est lauréat d’un concours de direction organisé par la radio, dont le président du jury, Ferdinand Leitner, devient alors son mentor. L’année suivante, le jeune homme est promu au rang de second chef de l’Orchestre de la radio avant d’en devenir le chef principal en 1957. Il a, dans l’intervalle, remplacé au pied levé le grand Carlo Maria Giulini à la tête de l’Orchestre du Concertgebouw, le 7 novembre 1956. »

Un concours de circonstance, le directeur musical de l’orchestre du Concertgebouw décède et son talent vont le conduire à être nommé premier chef de cet orchestre prestigieux à 34 ans, ce qui était très jeune, surtout de ce temps-là. Cette jeunesse inhabituelle suscitera la méfiance et le dénigrement de certains critiques et musicologues

Mais Bernard Haitink, travaille, approfondit et réalisera ce que le Monde appelle :

«  Une aventure musicale d’un quart de siècle, parmi les plus passionnantes de l’histoire musicale, jusqu’en 1988. »

Poussé par l’éditeur néerlandais Philips, il va entreprendre une des premières intégrales de la musique de Mahler. Il entreprendra d’autres intégrales : Bruckner, Brahms, Beethoven, Tchaikovski.

Il sera le premier chef occidental à pénétrer tout l’univers de Chostakovich et réalisera une intégrale de référence avec ses deux orchestres du Concertgebouw et du London Philharmonic.

L’histoire avec le Concertgebouw lui apportera des déceptions.

Le Monde relate :

Les dernières années « En 1983, Bernard Haitink met sa démission dans la balance et fait reculer le gouvernement hollandais qui s’apprêtait à mettre en œuvre un plan d’économies qui menaçait vingt-trois des musiciens de l’orchestre. Conséquence directe : son contrat n’est pas renouvelé en 1988. »

Il ne sera même pas invité pour fêter le centenaire de l’institution qu’il a dirigé pendant un quart de cette période.

Il se sentira blessé et restera plusieurs années sans revenir diriger au Concertgebouw.

Mais d’autres institutions et orchestre lui ouvriront les bras, ceux que j’ai déjà cité en début d’articles mais aussi des institutions d’opéra comme le Festival de Glyndebourne et le Royal Opera House Covent Garden de Londres dont il présidera les destinées de 1987 à 2002.

Après 2002, il décidera de reprendre quasi exclusivement le chemin des concerts symphoniques.

En France, il dirige l’Orchestre national de France et ARTE a mis en ligne une vidéo dans laquelle Bernard Haitink dirige l’Orchestre National de France dans Mozart et Bruckner.

<TELERAMA> écrira à propos de ce concert  :

« Lors d’un concert en 2015 à l’auditorium de la Maison de la Radio à Paris, diffusé sur France Musique, il éblouit les spectateurs et auditeurs : ses gestes sont précis et secs. Rien de grandiloquent. Avec lui, l’émotion que procure la musique doit être intériorisée. Son regard est franc, presque sévère. Mais on note quelques sourires et regards complices à l’égard des musiciens, ainsi qu’un air satisfait lorsque la musique adoucit ses traits.  »

Vendredi matin sur France Musique, le musicologue Christian Merlin lui rendait hommage, le qualifiant de « modèle de sobriété » :

« Sa direction n’était parasitée par aucun geste inutile, ses gestes étaient dictés par la nécessité musicale et le souci d’aider l’orchestre. Son conseil aux jeunes chefs : « Je leur suggère d’être moins obsédés par leur image et de faire davantage confiance aux musiciens. » »

Pendant ses dernières années, il a souvent dirigé un autre orchestre londonien prestigieux : le London Symphony Orchestra. C’est avec cet orchestre qu’Annie, Florence et moi avons eu la grâce de l’entendre et de le voir le 30 mai 2017, lors d’un concert à la Philharmonie de Paris pendant lequel il a dirigé la 9ème symphonie de Bruckner.

Bernard Haitink laisse dernière lui plus de 450 enregistrements, de Beethoven, Mahler, Bruckner, R Strauss, Debussy, Brahms ou encore Chostakovitch.

<La Croix> écrit à juste titre

« Il laisse de magnifiques enregistrements en héritage. Tout est à écouter. »

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Lundi 2 août 2021

« C’est toujours un rêve quand la poésie tombe dans les filets de la musique. »
Angélique Ionatos

C’était un matin de juillet 2019, je somnolais encore, quand une voix m’a réveillé. C’était une voix grave de contralto, solaire, envoûtante, âpre et sensuelle.

Angélique Ionatos chantait un poème de Sappho de Mytilene de l’île de Lesbos, écrit il y a 2500 ans qu’elle avait mis en musique.

J’ai écrit immédiatement un mot du jour : « « Anthe Amerghissan (J’ai vu cueillant des fleurs) »

Dans ce mot du jour je parlais surtout de Sappho de Mytilene, la première lesbienne revendiquée que l’Histoire a retenue. C’était insupportable à l’Église catholique. Sur ordre du Pape Grégoire VII qui fut l’évêque de Rome de 1073 à 1085, on détruisit les poèmes de Sappho qu’on connaissait. Il n’y a que des fragments qui ont pu être sauvés grâce à quelques rebelles qui les avaient recopiés.

Toutes les religions monothéistes quand elles se sont enfermées dans leur croyance, en proclamant que c’était la vérité, ont manifesté cette intolérance et ont voulu détruire tout ce qui s’éloignait de ce qu’il prétendait être la vérité.

C’est ainsi, en 2019, que j’ai appris l’existence de cette femme, de cet artiste irradiant la lumière et l’émotion.

Il était déjà bien tard dans l’horloge de la vie.

Le dernier de ses 18 albums était sorti en 2015 « Reste la lumière » et elle n’avait pas pu donner un dernier concert au Triton, un club des Lilas, dans la banlieue de Paris, le 6 avril 2018. Le concert fut annulé en souhaitant prompt rétablissement à Angélique.

Ce souhait ne se réalisa pas. En butinant sur Internet sur d’autres sujets, je suis tombé, il y a quelques jours, sur cette page sur le site de France Musique : « La chanteuse grecque Angélique Ionatos est morte ».

On pouvait lire :

«  Angélique Ionatos était l’une des plus grandes voix de la Grèce en exil. Elle s’est éteinte aux Lilas mercredi 7 juillet.
Il est des pays dont l’histoire dramatique donne naissance à des exilés magnifiques. C’est le cas de la Grèce, où naît, en 1954, Angelikí Ionátou, plus connue sous son nom francophone, Angélique Ionatos. »

Le directeur, de sa dernière salle de spectacle « Le Triton », Jean-Pierre Vivante, fut le premier à annoncer, sur les réseaux, la disparition de « l’immense artiste, l’incroyable chanteuse, guitariste, musicienne, compositrice, la femme libre, lumineuse, drôle et grave ».

Alors depuis cette nouvelle, j’ai écouté et réécouté les disques que j’avais achetés depuis ma découverte de 2019, j’ai lu et j’ai écouté deux émissions :

<Cette interview vidéo réalisée par Qobuz en 2012> suite à son spectacle «Et les rêves prendront leur revanche. »

Et puis cette interview audio dans l’émission « A voix nue » sur France Culture, en 2016, dans laquelle celui qui l’interroge est Stéphane Manchematin

<Ici les 5 émissions sont regroupées>. Le tout dure un peu plus de 2 heures 20. C’est cette version que j’ai écoutée.

<Sur le site de France Culture> vous trouverez les 5 émissions séparées

Elle est née, en 1954 à Athènes. Son père est marin, il n’est pas souvent présent, mais elle raconte que lorsqu’il était là, c’était un enchantement.

Elle vit donc, le plus souvent, uniquement avec sa mère et son frère Phitos. Sa mère se sent très seule et elle parle aux objets dit-elle. Mais cette femme simple chante beaucoup et dit des poésies.

A la question, pourquoi le chant ? Elle répond :

« Ma mère chantait tout le temps […] Et le soir quand on ne savait pas quoi faire on chantait à trois avec mon frère. Le chant a été tissé dans ma vie depuis que je suis née. Je ne me suis jamais demandé pourquoi je chantais. »

Au début de l’entretien d’A voix Nue Stéphane Manchematin la définit comme  «  chanteuse, compositrice et guitariste » et elle ajoute je me considère avant tout comme « musicienne ».

Il est vrai que c’est une fabuleuse guitariste. Elle dit :

« Je suis assez solitaire et la guitare est mon amie j’en joue tout le temps. »

Dans les chansons qu’elle compose, les introductions et l’accompagnement sont d’une richesse et d’une complexité ébouriffante. Nous sommes loin de ces chanteurs qui s’accompagnent avec 2 ou 3 accords.

Son grand talent est de mettre en musique des poésies écrites par d’autres.

A 15 ans, une grande rupture aura lieu dans sa vie : ses parents fuient la Grèce dans laquelle la dictature des colonels vient de commencer.

Ses parents choisissent un pays francophone et dans un premier temps choisissent la Belgique « Parce que c’était un pays plus petit qui leur faisait moins peur »

Ils s’installent à Liège et comme tous les grecs antifascistes, ils ont une affection particulière pour Míkis Theodorákis.

Expulsé en 1970 et accueilli à Paris par Melina Mercouri et Costa-Gavras, Míkis Theodorákis s’est lancé dans une tournée mondiale qui fit escale au conservatoire de Liège. Toute la famille Ionatos était présente dans la salle où la diaspora grecque acclamait les exhortations du héros tout en versant des torrents de larmes.

Et Angélique Ionatos a cette formule :

« Je me suis dit : si la musique a ce pouvoir-là, je veux être musicienne »

Finalement la famille décide de s’installer en France.

Et à 18 ans, en 1972, Angélique Ionatos enregistre son premier disque avec la collaboration de son frère Photis « Résurrection » qui est couronné par le prix de l’Académie Charles-Cros. Dans ce premier disque toutes les chansons sont en français, dont cette merveille : « Y a-t-il de la place au ciel pour les poètes. »

Mais après ce disque elle décide de chanter en grec, les poètes grecs.

Son frère avec qui elle entretenait une relation fusionnelle, refuse absolument cette voie. Il lui prédit qu’elle va chanter devant des salles vides. Ils vont être en froid pendant plusieurs années, jusqu’à ce que Photis se rende à l’évidence que cela marche et qu’Angélique arrive à capter un public.

Elle va donc chanter les poètes grecs et particulièrement Odysséas Elýtis (1911-1996) qui se verra décerner le Prix Nobel de littérature en 1979.

Elle veut mettre en musique, son recueil « Marie des Brumes » elle demande l’autorisation au poète qui la lui refuse. Alors elle prend l’avion et se rend à son domicile à Athènes et arrive à le convaincre. Elle sollicitera encore beaucoup d’autorisations qui lui seront toujours accordées.

J’ai acheté le disque « Marie des Brumes » pour 4,99 euros sur Qobuz. C’est magnifique.

On peut entendre, par exemple <To Tragoudi Tis Marias Néfélis (Chanson de Marie des brumes)>

Dans les deux émissions évoquées elle explique son rapport avec la poésie et l’art.

Dans A voix nue :

« Quand je lis l’histoire de mon pays depuis l’antiquité, c’est à travers l’art que l’on sait ce que les gens ont fait, c’est ce qui reste. L’architecture, la peinture, la sculpture, la littérature, la poésie. »

Son rapport à la poésie est particulièrement forte. Elle cite un poète grecque qui a dit :

« La poésie a inventé le monde et le monde l’a oublié »

Pour elle la poésie même est grecque. En Grèce on appelle Dieu : « Le poète du monde »

Elle dit :

« C’est la poésie qui m’a donné envie de faire de la musique. Ma mère n’arrêtait pas de me dire des poèmes. […]
Pour moi la poésie est vitale. Elle est présente tout le temps. Je ne connais pas un jour sans poésie dans ma tête. [Je me demande souvent] Comment un homme a pu écrire cela ?
Les poètes sont des êtres à part. »

Et elle cite Elýtis :

« La poésie existe pour que la mort n’ait pas le dernier mot »

Dans l’interview Qobuz, elle dit la même chose autrement

« Les poètes sont indispensables à la vie et au rêve.
La poésie est la part dont on est privé quand on se trouve dans le malheur.
La poésie est indispensable pour vivre. […]
Étant le premier art, si on prive l’être humain de poésie, on le prive de son âme.
Donc on le prive de ses rêves, de son imaginaire, de son futur et de sa mémoire. […]

L’intervieweur insiste que la beauté du spectacle vient bien sûr de la poésie mais aussi de la musique d’Angélique Ionatos et rappelle un propos qu’elle lui a tenu précédemment

« C’est toujours un rêve quand la poésie tombe dans les filets de la musique »

Et elle répond :

« Je crois que je suis musicienne jusqu’au bout de l’âme. Mais je ne sais pas si je serais devenu musicienne si je n’avais pas cet amour pour la poésie. […] Ma musique est indissociable de la poésie, parce que je ne peux pas faire de la musique sans rien dire. Pourtant il y a une énorme part instrumentale dans ce que je compose.»

Elle dit aussi que la poésie et la musique se tricote ensemble et :

« SI la poésie est l’art qui me donne le goût de la vie, la musique est pour moi l’art qui fait oublier la mort »

Et elle explique pourquoi elle a voulu chanter en grec alors qu’elle vivait en France et chantait dans les salles de spectacle français et avoue son amour pour cette langue :

« Privée de ma patrie, la vraie patrie, la seule qu’on ne pouvait pas me prendre, c’était ma langue. C’est pour cela que j’ai pris la décision de ne chanter qu’en grec, parce que c’est la seule chose qu’on ne pouvait pas me prendre. […]
« Grecque me fut donnée ma langue » comme disait Elytis. C’est un cadeau immense. Je suis tellement heureuse d’être née grecque.
Cette langue n’arrêtera jamais de me révéler ses miracles. C’est une langue insondable. C’est une langue qui est belle à entendre. […] C’est une langue qui a un équilibre entre les voyelles et les consommes qui est extraordinaire. C’est le sort de l’immigré d’avoir sa langue comme patrie. […]
Cette langue est la plus belle langue du monde. Tous les mots ont leur étymologie. On sait pour chaque mot d’où il vient. […] »

Angélique Ionatos cite dans cette réponse Odysseus Elytis dont la phrase complète est : «Grecque me fut donnée ma langue ; humble ma maison sur les sables d’Homère. Mon seul souci ma langue sur les sables d’Homère.»

Et elle explique que ce n’est pas un problème pour les spectateurs d’entendre cette langue qu’ils ne connaissent pas :

« Je traduis toujours les textes dans le programme donné aux spectateurs.
Et puis pour moi la musique dépasse le langage. Il m’arrive d’écouter des chansons de peuples dont je ne parle pas langue et d’être bouleversé.
Cela veut dire qu’il y a quelque chose d’inhérent à la musique qui touche un autre endroit dans notre cerveau. Et on ressent ce que l’autre veut dire, même si on ne comprend pas le mot à mot. C’est cela qui est fabuleux dans la musique. J’adore Xenakis, le classique, le flamenco, la musique populaire, la musique des pygmées. »

Elle a aussi chanté en espagnole pour mettre en musique des poèmes de Pablo Neruda ou encore des poèmes de Frida Kahlo.

Elle était en colère pour tout ce qui a été fait à la Grèce. L’abandon de l’Europe devant la crise des migrants mais surtout les privations qu’on a imposé à sa patrie. Elle dit :

« Quand à Athènes, un vieil homme m’interpelle et me demande un euro pour manger, je suis en colère. Dans mon enfance je n’ai jamais vu quelqu’un fouiller dans les poubelles. Je hais l’Europe. Ce serait bien qu’on sorte de l’Europe. On vous laisse le nom, car Europe vient du grec. […] Je sens que le peuple grec est humiliée.[…] C’est un pays pillé. ».

Et a ajouté

« Je ne peux pas concevoir qu’un artiste ne veut pas témoigner de son temps »

Elle a vécu l’essentiel de sa vie en France. C’est d’ailleurs en France et en Belgique qu’elle a eu le plus de succès bien plus qu’en Grèce. Mais quand elle allait en Grèce elle utilisait le verbe « rentrer ». Je rentre en Grèce. Pour elle, avoir des racines est essentiel dans la vie. Elle dit

« Je suis toujours fascinée par la beauté de la Grèce. C’est quelque chose qui jusque ma mort me fascinera. J’ai vu des paysages en Grèce que je ne verrai nulle part ailleurs. Je deviens un peu stupide de dire : c’est le plus beau pays du monde, c’est la plus belle lumière du monde. Mais je ne peux pas faire autrement, je l’aime.»

J’ai aimé particulièrement deux hommages celui de TELERAMA : « La chanteuse Angélique Ionatos s’est éteinte, sa tragique lumière subsiste » .
Et aussi l’hommage trouvé sur le site Esprit Nomade : « Le chant de l’olive noire » :

« Angélique lonatos est cette belle voix grecque altière et au souffle immense, parfumée par toutes les vagues de la mer Méditerranée, et qui nous a conduits dans la forêt des hommes.
Traductrice de poètes à l’ombre immense comme Elytis, Cavafy, Ritsos, Séféris, elle a favorisé l’envol des mots par la force entêtante de ses propres musiques.
Restituant le choc élémentaire des paroles, elle a tressé des chants d’amour qui nous reviennent vague par vague, transformant « en morceaux de pierre les dires des dieux ». »

Elle aimait donc passionnément la Grèce, ses paysages, sa lumière.

Et en Grèce, elle aimait particulièrement l’ile de Lesbos. L’ile de Sapho de Méthylène et aussi de la famille de son cher poète Odysséas Elýtis :

« C’est une île d’une beauté que je ne peux pas décrire. C’est là qu’il y a ma maison avec les 10 millions d’oliviers et quelques dizaines de milliers de réfugiés désormais. C’est là que je veux vieillir»

Ce souhait d’Angélique Ionatos ne se réalisera pas. Elle est morte dans un EHPAD des Lilas « des suites d’une longue maladie » a écrit son fils.

J’ai lu qu’elle y aurait passé les trois dernières années de sa vie, donc depuis 2019, selon cette information.

Elle avait 67 ans.

Mais ses dernières volontés ont été respectées : Ces cendres ont été dispersés en Grèce, sur sa terre natale.

Il nous reste ses magnifiques chansons et ses disques.
<Hélios, hymne au soleil>
<Le coquelicot>
<J’ai habité un pays>

Et puis plus rare des chansons françaises composées par d’autres :<Le funambule (Caussimon)>
<Le clown (Esposito)>

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Lundi 5 juillet 2021

« La musique officielle du festival de Cannes. »
Camille Saint-Saëns

Le festival international de film de Cannes va débuter demain, le 6 juillet 2021.

Initialement prévu du 12 au 23 mai 2020, le festival 2020 a été annulé en raison de la pandémie de la Covid-19

Et comme les années précédentes, avant la diffusion de chaque film dans la salle du palais des Festivals une musique sera jouée: <Cette musique>

Musique pétillante, scintillante, qui incite à la rêverie.

C’est une musique de Camille Saint Saëns. C’est un des morceaux d’une de ses œuvres les plus connues : « Le Carnaval des animaux ».

Et ce morceau s’appelle <aquarium>

<France Musique> explique le lien de cette musique avec le cinéma.

Nous apprenons ainsi que Terrence Malick, a utilisé cette musique dans son film « Les Moissons du Ciel ».

Et, c’est après avoir vu ce film que Gilles Jacob, l’ancien délégué général et président du Festival de Cannes a choisi cette musique comme identité sonore du Festival de Cannes depuis 1990.

Alan Menken, compositeur de la musique du film « La Belle et la Bête » des studios Disney sortie en 1991 s’est inspiré de l’aquarium de Saint-Saëns.D’autres ont utilisé ou se sont inspirés de cette petite pièce magique, par exemple le célèbre Ennio Morricone.

Max Dozolme l’animateur de France Musique décrit

«  Une musique composée en 1886 et qui évoque le ballet des poissons avec ces notes de piano comme des bulles et surtout un procédé totalement magique de Camille Saint-Saëns : chaque note du thème joué par les violons et la flûte dans les aiguës est répétée par un glass-harmonica au son cristallin, comme pour évoquer le scintillement de l’eau et des écailles de ces animaux muets…»

Camille Saint-Saëns est mort, il y a 100 ans en 1921.

Plus précisément le 16 décembre 1921. Je rendrai plus longuement hommage à ce musicien un peu oublié et qui a écrit des œuvres splendides.

Vous pourrez voir « aquarium » joué par les sœurs Labèque et l’orchestre philharmonique de Berlin dirigé par Simon Rattle derrière ce lien <Aquarium joué par la Philharmonie de Berlin>

France Musique propose un arrangement pour deux pianos : <L’aquarium de Saint Saens arrangé pour deux pianos>

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