Jeudi 5 mars 2020

« Nous vivons là-bas dans un incroyable mélange de différentes cultures – française, africaine, asiatique, arabe, tous les coins du monde »
Kylian Mbappé de Bondy évoquant la banlieue dans laquelle il est né

Je suppose que même celles et ceux qui ne s’intéressent pas au football connaissent ou ont entendu parler de Kylian Mbappé ce jeune footballeur talentueux qui joue actuellement au Paris SG.

Il vient de publier un article sur un site très particulier que je ne fréquente pas : <The Players’ Tribune>.

The Players’ Tribune est une plateforme destinée à l’expression de sportifs professionnels sans l’intermédiaire des médias traditionnels. C’est un ancien joueur de baseball Derek Jeter qui a fondé ce site.

Si je ne vais jamais sur The Players’ Tribune, je suis, en revanche, régulièrement Pascal Boniface qui est le fondateur et directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Et exprime des avis très pertinent sur la géopolitique mondiale, les tensions internationales et les stratégies des États. Il est aussi l’auteur du livre « Planète football Géopolitique d’un empire » que j’avais cité lors du dernier mot du jour de la série consacrée au football.

Et c’est pascal Boniface qui a attiré mon attention sur l’article du jeune footballeur millionnaire. : « Kylian Mbappé, footballeur citoyen » :

« Kylian Mbappé vient de publier un texte important qui n’a pas été suffisamment remarqué. On reproche aux footballeurs de ne pas s’intéresser aux problèmes de société. Le Français le plus talentueux dans ce sport le fait, et cela ne suscite que peu de commentaires.

On présente souvent les footballeurs comme repliés sur eux-mêmes et leurs privilèges, égoïstes, coupés de la société… Il y a certes de très mauvais exemples d’excès souvent dus à une explosion des revenus et de la notoriété à un très jeune âge. Un jeune footballeur qui connaît le succès a une exposition médiatique sans commune mesure avec des responsables politiques ou figures du milieu culturel qui ont trois fois son âge.

Ce n’est pas toujours facile à gérer, mais notons qu’on est beaucoup plus sévère sur les déviances des sportifs que sur celles d’autres milieux. De nombreux footballeurs s’engagent bénévolement dans de nombreuses causes, généralement en les finançant sur leur propre argent. Beaucoup le font de façon discrète, à l’abri des médias. Il y a toujours la peur d’être instrumentalisé, il faut distinguer dans les multiples propositions, mais beaucoup ont envie de redonner à la société une partie de ce qu’ils en ont reçu. Ils sont fiers et heureux d’être utiles en dehors du terrain.  […]

C’est pour cela que l’initiative de Kylian Mbappé va plus loin et qu’il faut la saluer à sa juste mesure. Au moment où les unes des magazines, les débats sur les chaînes d’information permanente se multiplient avec pour point commun l’hostilité aux quartiers, aux banlieues vues comme « territoires ennemis » ou « perdus de la République », il frappe aussi fort que dans les filets adverses en revendiquant sa fierté d’être issu de ces territoires et en insistant sur tout le potentiel positif qu’ils contiennent, y compris sur le plan des valeurs, là où ils sont le plus critiqués. »

Allons donc sur ce site pour lire cette <lettre aux jeunes Kylian>

Il commence sa lettre par cette adresse :

« Aux enfants de Bondy,
Aux enfants d’Île-de-France,
Aux enfants des banlieues,

Je veux vous raconter une histoire. »

Bien sûr il parle de football. Il évoque les jours passés lors d’un stage à Chelsea le grand club londonien ou au Real de Madrid rencontrer Zidane et ses autres expériences de vie dans le football, ayant été repéré par les spécialistes, parce qu’il avait quelques talents et qu’il s’entraînait beaucoup..

Mais le plus important qu’il écrit c’est sur la banlieue, sur les valeurs, sur la vie, sur le côté lumineux de la banlieue :

« Mais en fait, vous n’avez pas besoin d’aimer le football pour écouter cette histoire. Parce que cette histoire n’est vraiment qu’à propos de rêves. À Bondy, dans le 93, dans les banlieues, il n’y a peut-être pas beaucoup d’argent, c’est vrai. Mais nous sommes des rêveurs. Nous sommes nés comme ça, je pense. Peut-être parce que rêver ne coûte pas grand-chose. En fait, c’est gratuit.

Nous vivons là-bas dans un incroyable mélange de différentes cultures – française, africaine, asiatique, arabe, tous les coins du monde.

Les gens en dehors de France parlent toujours des banlieues de façon négative mais quand vous n’êtes pas de là-bas, vous ne pouvez pas comprendre ce que c’est. Les gens parlent de délinquants comme s’ils avaient été inventés là-bas. Mais il y a des délinquants partout dans le monde. Il y a des gens qui galèrent partout dans le monde. La réalité est que quand j’étais petit, j’avais l’habitude de voir certains des gars les plus durs de mon quartier porter les courses de ma grand-mère. Vous ne voyez jamais ce côté-là de notre culture aux infos. Vous entendez toujours parler du mauvais, jamais du bon. »

Il a ce développement sur le fait de serrer la main de tous quand on vient saluer une connaissance qui se trouve dans un groupe :

« Il y a d’ailleurs une règle à Bondy que tout le monde connaît. Tu l’apprends quand tu es jeune. Si tu marches dans la rue et que tu croises un groupe de 15 personnes et tu ne connais qu’une seule de ces personnes, tu as deux options: soit tu les salues d’un signe de la main et tu continues ton chemin, soit tu vas les voir et tu serres la main des 15 personnes.

Si tu vas les voir et que tu ne serres la main que d’une personne, les autres 14 personnes ne t’oublieront jamais. Ils sauront quel genre de personne tu es.

C’est marrant parce que j’ai toujours gardé cette part de Bondy en moi. L’an dernier, par exemple, lors de la cérémonie des FIFA’s Best Awards, j’étais avec mes parents avant le début de la soirée et j’ai vu que José Mourinho était de l’autre côté de la salle. J’avais rencontré José avant mais là il était avec quatre ou cinq amis que je ne connaissais pas. Je me suis revu à Bondy. Je pensais, “Est-ce que je salue Mourinho d’un signe de la main ? Ou je vais le voir ?”

Et bien, je suis allé le voir pour le saluer et lui serrer la main et ensuite, naturellement, j’ai fait la même chose pour chacun de ses amis.

“Bonjour !” Poignée de mains.
“Bonjour !” Poignée de mains.
“Bonjour !” Poignée de mains.
“Bonjour !” Poignée de mains.

C’était amusant parce qu’on pouvait voir leur surprise sur leurs visages, genre, “Oh, il nous dit aussi bonjour ? Bonjour !”

Quand on les a quittés, mon père rigolait et il m’a dit, “Ça, ça vient de Bondy”. C’est comme un réflexe. C’est une philosophie de vie. À Bondy, on apprend des valeurs qui vont au-delà du football. Tu apprends à traiter tous les gens de la même façon, parce qu’on est tous dans le même bateau. On rêve tous du même rêve. »

Il parle de ses rêves quand il était enfant et bien sûr du football.

« Mes copains et moi, on n’espérait pas devenir footballeurs professionnels. On ne s’y attendait pas. On ne l’a pas planifié. On en rêvait. C’est différent. Certains enfants ont des posters de super héros sur les murs de leurs chambres. Les nôtres étaient couverts de footballeurs. […]

Parfois, les gens me demandent pourquoi tant de talents viennent des banlieues. Genre comme si il y avait quelque chose dans l’eau qu’on y boit, ou que nous nous entraînons d’une manière différente, comme Barcelone ou quelque chose comme ça. Mais non, si vous venez à l’AS Bondy, je suis désolé mais vous ne verrez qu’un club humble et familial. Des immeubles d’appartements et des terrains en synthétique. Mais je pense que le football est juste différent pour nous. C’est essentiel. C’est quotidien. C’est comme le pain et l’eau. »

Et il évoque la coupe du monde de Russie et fait ce constat qui ne peut que nous interpeller du point de vue de la sociologie du football, même celles et ceux qui ne s’y intéresse pas.

« Je trouve intéressant que parmi tous ceux d’entre nous qui ont soulevé la Coupe du Monde cet été là beaucoup ont grandi en banlieue. Les mélanges. Là-bas tu entends plein de langues différentes dans la rue.  »

Il termine ainsi sa lettre :

« Aux enfants de Bondy,
Aux enfants d’Île-de-France,
Aux enfants des banlieues,
Nous sommes la France.
Vous êtes la France.
Nous sommes les rêveurs fous.
Et, heureusement pour nous, rêver ne coûte pas grand-chose.
En fait, c’est gratuit.

Kylian de Bondy »

Pascal Boniface conclut son article par ces mots:

« Le 15 juillet 2018, Kylian Mbappé a contribué au rayonnement de la France dans le monde et à l’affirmation de son soft power. Le 28 février 2020, il a apporté sa contribution à l’apaisement de la société française en s’efforçant de changer le regard que les jeunes des cités ont sur eux-mêmes et celui que porte la France sur eux.

Kylian Mbappé fait de la politique avec un P majuscule, la vie dans la cité. Au moment où la jeunesse de banlieue est stigmatisée et déshumanisée par des commentateurs qui ne la traverse que pour se rendre à Roissy et qui n’y sont jamais allés, il lui redonne estime de soi et perspective d’avenir. Il revendique avec fierté ses origines qu’il ne trahit pas, mais qu’il honore.

Au moment où certains s’efforcent de creuser un fossé entre différentes catégories de Français, il contribue à le combler. Son sourire est la meilleure réponse à apporter aux grimaces des oiseaux de mauvais augure. »

Je vous renvoie vers sa longue lettre : <Lettre aux jeunes Kylian>

<1363>

Mercredi 4 mars 2020

« Il n’y a pas de socialisme en Amérique, parce qu’on n’a pas de prolétaires mais des capitalistes momentanément dans l’embarras. »
John Steinbeck

Cette phrase de John Steinbeck qu’il aurait prononcée dans les années 1930 a été citée par Christine Ockrent lors de son émission que j’ai déjà évoquée hier <Affaires étrangères>.

L’immense auteur des « Raisins de la Colère », « A l’est d’Eden », « Des souris et des hommes » voulait exprimer par cette phrase que les américains exploités n’avaient pas de conscience de classe. Ils ne considéraient pas qu’ils faisaient partie d’une même classe mais ils croyaient au récit du rêve américain qui prétendait que tout le monde avait la possibilité de devenir riche s’il travaillait beaucoup et savait saisir les opportunités qui lui étaient offerts.

John Steinbeck avait des amitiés socialistes et regrettait cette mentalité américaine.

Il y a eu quelques cas qui ont pu faire croire que ce mythe constituait une réalité atteignable par un grand nombre de personnes.

Aujourd’hui ce récit est de moins en moins vrai, ce qui explique probablement le succès qu’obtient Bernie Sanders.

<1362>

Mardi 3 mars 2020

« Mais le socialisme existe déjà […] c’est du socialisme pour les riches »
Bernie Sanders

Ce mardi correspond au super Tuesday des primaires américaines, en l’occurrence les primaires démocrates.

Je ne vais pas rentrer dans la complexité de ces primaires et rester à des principes simples.

Chaque Etat vote d’une manière ou d’une autre pour désigner des délégués qui représentent chacun un candidat à la convention démocrate qui aura lieu du 13 au 16 juillet, à Milwaukee dans l’État du Wisconsin.

Pour être certain d’être désigné comme le candidat démocrate, il faudra obtenir 1991 délégués. Si personne n’obtient cette majorité absolue, le processus de désignation est plus complexe et pour rester concret ne sera pas favorable à Bernie Sanders.

Car avant le vote de ce jour, il y a clairement un affrontement entre Joe Biden l’ancien vice-président d’Obama et le « démocrate socialiste » Bernie Sanders.

Il y a bien un troisième candidat qui pourrait jouer les trouble-fêtes et essayer d’acheter les primaires : le milliardaire Michael Bloomberg, 9ème fortune du monde, ancien maire républicain de New York, entre 2002 et 2013. Il utilise sa fortune pour essayer par tous les moyens à faire voter pour lui, mais pour l’instant il a été médiocre lors des débats organisés entre les principaux candidats démocrates.

Les autres candidats qui restent en lice semblent distancés.

Remarquons d’abord la confusion absolue de l’organisation politique américaine d’aujourd’hui. En France, l’élection présidentielle de 2017 a mis une certaine pagaille dans les partis politiques français.

Mais que dire des américains dont on vantait la simplicité : deux partis le Parti démocrate et le Parti républicain. On était dans un de ces partis de père en fils et de mère en fille. Il y avait quelques indépendants et de tous petits partis qui ne jouaient aucun rôle au niveau fédéral.

Michael Bloomberg qui se présente à l’investiture démocrate avait été élu maire de New York comme candidat républicain et avait battu le candidat démocrate Mark Green.

Donald Trump lui-même avait toujours soutenu les candidats démocrates et notamment les Clinton avant de se présenter comme candidat républicain contre la démocrate Hillary Clinton.

Bernie Sanders n’a jamais été démocrate, il est indépendant et depuis longtemps se prétend socialiste.

Il n’y a guère que Joe Biden qui est un vieux démocrate assumé et qui reste donc en cohérence.

Quand j’utilise le terme vieux, il est de circonstance pour ces élections américaines. Les Etats Unis nous avait habitué à Clinton, Bush junior et Obama respectivement 46 ans, 55 ans et 48 ans lors de leur entrée en fonction.

Donald Trump a 73 ans, Joe Biden 77 ans, Michael Bloomberg 78 ans et Bernie Sanders 78 ans. C’est une gérontocratie qui est à l’œuvre désormais aux Etats-Unis.

Il y a pourtant, un vieux qui entraîne l’enthousiasme des jeunes : Bernie Sanders.

Il veut une couverture maladie publique à la française, il veut une université gratuite pour les étudiants et il veut taxer sévèrement les hyper riches.

L’avis majoritaire est que quelqu’un qui se prétend socialiste n’a aucune chance de gagner les élections présidentielles aux Etats-Unis.

Pour l’instant il fait la course en tête, mais de peu 60 délégués pour Sanders 54 pour Biden. Pour l’instant seuls 155 délégués ont été distribués.

Le Super Tuesday en désignera 1 357. Ce chiffre montre l’ampleur du défi qui est à l’œuvre aujourd’hui.

Bernie Sanders domine les sondages dans les deux États les plus riches en délégués : la Californie (415 délégués) et le Texas (228). Pour recevoir des délégués, il faut impérativement qu’un candidat fasse plus de 15 %.

Les candidats modérés Pete Buttigieg qui s’est retiré le 1 mars 2020 et Amy Klobuchar, le 2 mars 2020 vont apporter leur soutien à Joe Biden.

Une sorte de coalition se constitue contre Bernie Sanders, tout sauf Bernie.

Hillary Clinton qui l’avait battu il y a 4 ans, mais n’avait pas pu compter sur une grande part des électeurs de Bernie qui l’avait attaqué tout au long de la primaire en la traitant de candidate de Wall Street, est très agressive avec lui.

Il faut savoir que Bernie Sanders qui est depuis longtemps dans la politique américaine a commencé à être connu et populaire au niveau fédéral après le mouvement Occupy Wall Street

Ainsi Hillary Clinton a dit :

« dans le film intitulé Hillary. « Il a été au Congrès pendant des années, il n’avait qu’un seul sénateur pour le soutenir. Personne ne l’aime, personne ne veut travailler avec lui, il n’a rien fait », assène l’ex-secrétaire d’État américaine. « J’ai vraiment de la peine pour les gens qui s’y laissent prendre. »

Pourtant Bernie Sanders dit des choses très justes. Ainsi, lors du débat télévisé opposant les prétendants démocrates à l’investiture présidentielle, à Las Vegas, lorsqu’on l’interpelle à propos d’un sondage selon lequel deux tiers des électeurs seraient « mal à l’aise avec un candidat socialiste à la présidence », il répond :

« Mais le socialisme existe déjà […] Quand Donald Trump reçoit 800 millions de dollars en réductions d’impôts et en subventions pour construire des condominiums de luxe, c’est du socialisme pour les riches ! Et nous devons subventionner les travailleurs de Walmart qui sont sous Medicaid et coupons alimentaires parce que la famille la plus riche d’Amérique [propriétaire de Walmart] paie des salaires de misère. C’est ça le socialisme pour les riches, a conclu Sanders. Je crois au socialisme démocratique pour les travailleurs. »

Le Monde Diplomatique qui cite cette réponse : <Le socialisme existe, pour les riches> reprend un article de 2014 du journaliste anglais Owen Jones qui détectait cette réalité au Royaume-Uni. Un article plus récent publié par le même journal dévoile aussi cette mécanique à l’œuvre en France <Christian de Brie : Le fléau de l’assistanat>.

C’est probablement ce que voulait dire le subconscient de notre jeune Président quand il s’est exclamé : «  Ça coute un pognon de dingue »

Bernie Sanders a certainement des défauts, mais pour une fois un candidat pointe le problème du gouffre des inégalités aux Etats-Unis, le peu de contribution des hyper riches au commun, le grande difficulté voire l’impossibilité des classes populaires de se faire soigner en cas de maladie grave ou simplement de faire des études dans de bonnes universités.

En outre, lui ne conteste pas les avertissements de la communauté scientifique.

Regardez comme il interroge l’administrateur de l’Agence de Protection de l’Environnement, Andrew Wheeler, nommé par Donald Trump.

Et puis il déclenche de l’enthousiasme et notamment parmi les jeunes.

Au sein du Parti Démocrate, deux visions s’affrontent.

  • La première est que l’élection de Trump constitue une anomalie, une erreur. Il faut un bon candidat non impopulaire comme Hillary Clinton, un peu empathique et modéré, rassurant tout le spectre des centristes démocrates et républicains et des indépendants et le mauvais rêve Trump s’évanouira. Biden est le représentant de cette vision.
  • La seconde est que l’élection de Trump n’est pas une anomalie, mais au contraire révèle une terrible fracture au sein du peuple américain qui est en colère. En colère parce qu’il a le sentiment de se « faire rouler ». Trump ayant pour thèse que les responsables sont les étrangers. Les démocrates qui soutiennent cette vision, considèrent que c’est Sanders qui est le meilleur candidat pour s’appuyer sur cette colère et faire des réformes profondes. Car dans cette thèse le problème vient essentiellement de l’inégalité des richesses et de l’accaparement des fruits de la croissance par une infime minorité.

Dans l’émission <Affaires étrangères> consacrée aux présidentielles américaines, un des invités Jeremy Ghez, professeur à HEC, spécialiste de la politique américaine défend la thèse que la rupture au sein de la démocratie américaine a explosé lors de la crise de 2008. Que la première réponse des américains a été d’élire un candidat improbable, un métis, Barack Obama. Déçus, ils ont essayé Trump. Dans cette logique de rupture rien ne s’oppose à ce qu’ils votent pour Sanders.

La Une de Libération de ce 3 mars 2020 affiche : « Bernie Sanders : Une autre Amérique est possible »

Il me semble que dans la situation où nous sommes et sans croire aux miracles, la meilleure chose qui pourrait arriver aux Etats-Unis c’est que la chance soit donnée à Bernie Sanders d’arriver au pouvoir suprême.

Il croit à la crise écologique.

Il pointe du doigt le problème des inégalités de patrimoine et de revenus.

Beaucoup, particulièrement au sein du Parti démocrate vont essayer de l’empêcher de devenir le candidat démocrate.

<Les supporteurs de Bernie Sanders ont peur que le parti « lui vole encore la nomination »>

S’il est désigné, il faudra qu’il affronte l’homme sans scrupule et bête de scène Donald Trump.

Robert Musil a écrit dans l’empire autrichien finissant « L’homme sans qualité ». Peut-être faudrait-il quelqu’un qui écrive le livre de l’Amérique de Trump : « L’homme sans vérité ».

Bernie Sanders pourra t’il battre Trump ?

Le journal canadien <L’actualité> affirme « Oui, Bernie Sanders peut gagner »

S’il gagne, pourra t’il appliquer son programme ?

C’est probablement des 3 points très compliqués (1° gagner l’investiture démocrate 2° gagner l’élection 3° Appliquer le programme) qu’il doit affronter, le plus compliqué des trois.

Pour le premier point, nous y verrons plus clair demain.

Il dispose de soutiens comme celui du maire de New York Bill Blasio ! Et aussi la charismatique « AOC » c’est-à-dire l’élue démocrate Alexandria Ocasio-Cortez qui avait fait l’objet du mot du jour du 1er avril 2019.

Un politologue américain Allan Lichtman, qui a étudié toutes les présidentielles américaines depuis 1860, et ne s’est jamais trompé dans ses pronostics. Dans un article du site The Hill, Lichtman rappelle la longue liste des candidats démocrates «modérés et expérimentés», finalement battus : Michael Dukakis (1988), Al Gore (2000), John Kerry (2004) et Hillary Clinton (2016). A l’inverse, les démocrates élus furent tous, sinon de dangereux extrémistes, au moins des candidats ne provenant pas de l’establishment démocrate, comme Jimmy Carter, Bill Clinton et Barack Obama. Côté républicain, l’establishment démocrate se réjouissait en 1980 que soit opposé à Carter un extrémiste nommé Reagan. Le démocrate modéré n’en ferait qu’une bouchée. On sait ce qu’il en fut. L’extrémiste pulvérisa Carter.

S’agissant de la dernière élection, celle de 2016, les «pundits» démocrates (on dirait en France, les éditocrates) n’imaginaient pas une seconde que puisse être élu un candidat climatosceptique, préconisant l’interdiction d’entrée sur le territoire des musulmans, la construction d’un mur de séparation sur la frontière mexicaine, ou la guerre commerciale avec la Chine. On sait, là aussi, ce qu’il advint.

C’est ce qu’écrit Daniel Schneidermann dans un article <L’hypothèse Sanders>

J’aimerai croire à l’hypothèse Sanders.

<1361>

Lundi 2 mars 2020

« On ne supporte pas d’attendre sur internet »
Xavier de la Porte

Le weekend end m’a permis de lire Intégralement le livre <4> d’Alexandre Laumonier dont j’ai parlé vendredi.

Ce livre est très détaillé et explique de manière précise cette course à la vitesse des traders haute fréquence.

Il explique aussi que la nature intervient dans ces communications. Ainsi lorsqu’il pleut les ondes radios sont ralenties. Ce qu’il traduit par cette belle phrase :

« Quand il pleut dans l’Ohio, la liquidité diminue dans le New Jersey ».

Dans le dernier mot du jour j’avais écrit :

« Mais avant de condamner, il faut comprendre pourquoi les hommes, dont nous faisons partie aspirent à cette vitesse. Mais cette réflexion attendra un autre mot du jour. »

Et c’est pourquoi je reviens au podcast de Xavier La Porte qui m’a fait découvrir cette histoire : <Le pylône qui valait 5 millions de dollars>

Xavier de la Porte interrogeait Alexandre Laumonier.

Et il a terminé son dialogue par cette réflexion et cet échange :

Xavier de la Porte :

« Est-ce que cela pourrait se ralentir. Sommes-nous condamnés à une accélération sans fin ? »

Alexandre Laumonier :

« Il faudrait trouver un cas où quelqu’un a décidé de ralentir. Je ne pense pas que cela soit arrivé. Il y a quand même une limite ultime : la vitesse de la lumière dans le vide. Le paradigme einsteinien reste d’actualité. Aux Etats-Unis ils sont à plus de 99% de la vitesse de la lumière pour la transmission des informations dans le trading de haute fréquence. C’est pour cela qu’is se battent pour des micros secondes. »

Xavier de la Porte :

« Ce qu’Alexandre Laumonier décrit c’est une tendance globale. Une sorte de pulsion humaine. Mais cela apporte une autre hypothèse.

Cette tendance à la vitesse, cette quête de la vitesse, elle n’est peut-être pas propre au trader à haute fréquence.

D’ailleurs, selon ce que j’ai pu voir, certains câbles, ont été cofinancés par des sociétés de trading mais aussi par d’autres qui n’ont rien à voir.

Et quand je pose la question à Alexandre Laumonier, il me parle spontanément d’Amazon. »

Alexandre Laumonier :

« Il y a tant d’ordres qui sont passés sur Amazon qu’il faut que les machines réagissent très vite. Et comme Amazon est dans le monde entier, il faut que ces informations transitent le plus vite possible. Je sais qu’Amazon est à une ou deux millisecondes près pour cela.

C’est parce qu’il y a tellement de gens sur le site qu’il faut que le système tourne à ces vitesses sinon vous allez cliquer et attendre 10 secondes une réponse. Dans le monde où on est, quand on clique on attend une ou deux secondes, s’il faut attendre 3 secondes on dit qu’il y a un bug, 4 secondes on dit que le site ne marche plus, au bout de 10 secondes on passe à autre chose. C’est pour cela qu’Amazon est à 2 millisecondes près. »

Xavier de la Porte :

« Le problème c’est que cette vitesse on la désire, tous.

On peut faire les atterrés, en trouvant fou que des sociétés de trading de haute fréquence dépensent des millions d’euros pour gagner des millisecondes mais ce ne sont pas les seuls. Et s’ils ne sont pas les seuls, c’est parce que collectivement nous ne supportons pas que ce qui pourrait aller vite, aille lentement.

Et c’est vrai que si on réfléchit à ce que c’est qu’un achat sur Amazon, on pourrait accepter quelques secondes entre l’ordre et sa réception.

En fait non, on ne le supporte pas. Et là ce ne sont plus les traders qui sont appâtés par le seul gain qui sont les commanditaires de la vitesse, là avec Amazon c’est nous qui sommes les commanditaires de cette vitesse, nous les consommateurs lambda.

Voilà, c’est un peu la leçon de morale du jour. »

Je pourrais m’en tirer en disant que je n’achète pas chez Amazon, ce qui est exact.

Mais hélas, je dois reconnaître ou plutôt me reconnaitre dans cette impatience derrière le clic et l’attente devant un site sur lequel je consulte ou achète.

Il est très simple de croire que la révolution n’est qu’à l’extérieur de nous, qu’il suffirait de faire dégager un certain nombre de « nuisibles » et « d’importuns » pour que tout aille mieux.

Ce n’est pas aussi simple une grande partie des problèmes se trouve à l’intérieur de nous, dans nos désirs sans limites, notre impatience…

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