Mardi 23 novembre 2021

« Le Sabot de Vénus. »
Une fleur

Il existe tant de domaines dans lesquels je suis totalement ignorant. La botanique en fait partie.

Toutefois il reste toujours possible d’être capté par la beauté, par l’insolite, par l’intelligence de la nature.

C’est probablement un algorithme qui dans les méandres de ses raisonnements obscurs, m’a envoyé dans un flux d’actualité un titre parlant du « sabot de vénus ».

J’ignorais totalement de quoi il s’agissait.

Associé la déesse raffinée et sophistiquée de l’amour : « Vénus » et un sabot que « le Petit Robert » définit comme « une Chaussure paysanne faite généralement d’une seule pièce de bois évidée » me semblait constituer toute l’apparence de l’oxymore.

J’ai été intrigué et j’ai cliqué pour connaître la source de cette information qui m’avait été envoyée.

C’est ainsi que j’ai découvert l’Association : « Humanité et bio diversité »

C’est une association de protection de la nature et de la biodiversité qui a été créée en 1976.

Hubert Reeves était son président jusqu’en 2015, depuis il est président d’honneur.

Il avait succédé, en 2000, à Théodore Monod, au décès de ce dernier.

Aujourd’hui, elle est présidée par Bernard Chevassus-au-Louis qui est un biologiste et écologue français, normalien, élève de la Rue d’Ulm et qui a été directeur de recherche à lINRA.

Cette association est donc très sérieuse, et elle a un site : < https://www.humanite-biodiversite.fr/ >

Le message renvoyait vers <cette page du site> qui présente le sabot de Vénus.

J’ai appris ainsi que le sabot de Vénus était une fleur et plus précisément une orchidée.

Grâce à <Wikipedia> j »ai compris que les Orchidées ou Orchidacées (Orchidaceae), forment une grande famille de plantes comptant plus de 25 000 espèces et que la majorité des espèces se rencontrent dans les régions tropicales.

L’étymologie est un peu coquine et peut avoir quelques proximités avec Vénus. Car le nom provient de Orchis, qui est un mot latin dérivé du grec ancien órkhis.

Ce mot grec désigne un « testicule ». Wikipedia justifie cette filiation :

« En référence à la forme des tubercules souterrains de certaines orchidées terrestres des régions tempérées, lorsque ces tubercules sont jumelés. »

Le site < https://www.humanite-biodiversite.fr/ > donna la légende grecque qui lui vaut son nom

« La déesse Vénus découverte par un berger, s’enfuit en abandonnant un de ses sabots. Le berger voulût le ramasser mais le sabot disparût et à sa place poussa une orchidée : notre Sabot de Vénus. »

Selon les grecs on pouvait donc être déesse et porter des sabots.

Mais son nom provient probablement plus de l’observation de la fleur car :

« Ses fleurs ont la forme d’un petit sabot d’où elle tire son nom populaire. C’est en fait un « piège d’amour » dans lequel tombent les insectes (souvent une abeille sauvage du genre Andrena), d’où ils repartent couverts de pollen, avant d’aller visiter d’autres fleurs qui seront ainsi pollinisées. On l’appelle aussi Sabot de la Vierge ou Soulier de Notre-Dame. »

C’est aussi une plante rare qui est protégée au niveau national

« C’est une plante protégée au niveau français, mais aussi européen au titre de la Directive Natura 2000 et au niveau mondial au titre de la convention de Berne. Si vous la croisez dans la nature, prenez-la en photo mais ne la cueillez surtout pas, vous seriez en infraction. »

Elle est dans l’air du temps, elle n’a pas de genre ou plutôt elle est « en même temps » :

« Le Sabot de Vénus développe des fleurs hermaphrodites (à la fois mâle et femelle). Chaque fleur possède trois pétales et trois sépales. Les sépales, longs de 5 cm sont de forme lancéolée. Leur couleur varie entre brun rouge et brun chocolat. Généralement, cette espèce ne produit qu’une à deux fleurs par individu, très rarement trois. »

Elle est une des preuves que dans la nature la coopération est essentielle. Elle a besoin d’un champignon

« C’est une plante qui est très liée aux champignons ! Ainsi, les racines de la plante doivent s’associer avec les filaments d’un champignon permettant à l’orchidée de prélever l’eau et les sels minéraux dans le sol. Pour germer, les graines elles doivent être infectées par un autre champignon microscopique. »

Dans beaucoup de civilisations elle est considérée comme une plante médicinale :

« Le Sabot de Vénus fait également partie de la pharmacopée des indiens d’Amérique du Nord comme sédatif des états nerveux, de l’anxiété et du stress. Cette superbe orchidée soulagerait des troubles de l’insomnie et des dépressions, calme les tensions nerveuses et soulage des douleurs de la menstruation. En Europe, elle a surtout été utilisée comme plante hypnotique et sédative, d’où son nom anglais de Lady’s slipper. »

L’espèce fleurit de mai à juillet

Elle se trouve dans la nature en France, surtout dans les Alpes, plus rarement dans le Jura, la Côte d’Or, les Pyrénées et le Massif Central et presque dans tous les autres pays d’Europe et aussi en Amérique du Nord et en Asie.

Pour celles et ceux qui voudraient en planter dans leur jardin ou sur leur balcon, ce site <Le sabot de Vénus, une orchidée à la beauté raffinée> se veut très rassurant : « Nul besoin d’être « expert » pour cultiver le sabot de Vénus qui est, à de multiples égards, l’orchidée du débutant. »

Et j’ai trouvé cette belle vidéo dans laquelle une professionnelle nous dit : <Tout ce qu’il faut savoir sur les sabots de vénus>. C’est à la fois beau et instructif.

Voilà,  c’était un sujet nouveau de mot du jour.

Je ne suis pas devenu un spécialiste des sabots de vénus, mais j’ai appris de petites choses et je les ai partagées.

C’est ainsi que fonctionne le mot du jour.

Et puis après Beethoven et Maria Joao Pires, je ne me sentais pas en capacité de parler de sujets plus difficiles et parfois un peu déprimants.

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Mardi 17 novembre 2020

« La faiblesse […] qui contribue à rendre le monde supportable, c’est la faiblesse devant la beauté. »
Albert Camus, « Le premier homme », Page 111

Au début, le mot du jour se limitait à l’exergue.

C’était commode à écrire et rapide à lire.

J’ai eu quelques soucis car les mots de sagesse d’Einstein, de Socrate ou d’autres qu’on trouvait sur Internet, sans précision de leur source, étaient souvent faux et relevaient en fait d’inventions de quelque obscur écrivain qui se cachait derrière un nom célèbre pour écrire une formule qui lui tenait à cœur.

Mais dans « Le Premier homme » je dispose d’une source précise et comportant un certain nombre de ces formules qui révèlent une part de la vérité du comportement des hommes.

Il est encore question de la grand-mère dans cet extrait.

« Dans tous les cas, la grand-mère ne répondait jamais aux colères de son cadet. D’une part parce qu’elle savait que c’était inutile, d’autre part parce qu’elle avait toujours eu pour lui une faiblesse étrange, que Jacques, dès l’instant où il eut un peu de lecture, avait attribuée au fait qu’Ernest était infirme (alors qu’on a tant d’exemples où, contrairement au préjugé, les parents se détournent de l’enfant diminué) et qu’il comprit mieux beaucoup plus tard, un jour où, surprenant le regard clair de sa grand-mère, soudain adouci par une tendresse qu’il ne lui avait jamais vue, il se retourna et vit son oncle qui enfila la veste de son costume du dimanche.

Aminci, encore par l’étoffe sombre, le visage fin et jeune, rasé de frais, peigné soigneusement, portant exceptionnellement col frais, peigné soigneusement, portant exceptionnellement col frais et cravate, avec des allures de pâtre grec endimanché, Ernest lui apparut pour ce qu’il était, c’est-à-dire très beau.

Et, il comprit alors que la grand-mère aimait physiquement son fils, était amoureuse comme tout le monde de la grâce et de la force d’Ernest, et que sa faiblesse exceptionnelle devant lui était après tout fort commune, qu’elle nous amollit tous plus ou moins, et délicieusement d’ailleurs, et qu‘elle contribue à rendre le monde supportable, c’est la faiblesse devant la beauté. »
Page 111

Je crois que c’est juste, et que cette beauté ne se limite pas à la beauté éphémère de certains humains. Il peut s’agir aussi de la beauté d’une œuvre d’art ou de la beauté d’un paysage, de l’univers ou simplement d’une scène de laquelle la beauté jaillit et nourrit notre quête de vie.

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Vendredi 7 février 2020

« L’autre moitié du songe m’appartient »
Alicia Gallienne

Aujourd’hui, je vais me laisser la liberté d’interrompre ma série sur les mots et expressions nouvelles et les mots anciens qui sont revenus dans l’actualité.

Parce qu’aujourd’hui je voudrais parler d’Alicia.

Le grand acteur Guillaume Gallienne, anime chaque samedi sur France Inter, depuis septembre 2009, une émission :<Ça peut pas faire de mal> dans laquelle il lit des extraits d’œuvres littéraires

Sa première émission le 5 septembre 2009 était consacrée à Marcel Proust « Les pages comiques de la Recherche »

Puis de samedi en samedi d’autres écrivains ont été à l’honneur : Balzac, Cervantès, Tchekhov, Kafka et bien d’autres.

Mais il a décidé d’arrêter cette émission ce samedi 8 février 2020, il s’en est expliqué au micro de Léa Salamé : <le 3 février 2020>.

Pour sa dernière émission, il lira des textes et des poésies d’une auteure qui est morte comme tous les écrivains qu’il a lus tout au long de ses dix ans.

Mais cette auteure : Alicia est quand même un peu particulière.

D’abord c’est sa cousine.

Ensuite, Alicia Gallienne est morte alors qu’elle avait 20 ans.

Enfin, vous lirez dans <cet article de février 2009> de Libération :

« Jusqu’à 19 ans, jamais Gallienne n’avait pensé être comédien. A cet âge, il est en hypokhâgne et rêve d’être missionnaire. Ou avocat. Ou journaliste. Bref, n’importe quoi. La mort brutale de son adorée cousine Alicia bouleverse son regard sur la vie tandis que sa sexualité en éveil chamboule ses plans religieux. «On était très proches, elle était fascinante, incroyable. Sa mort, un 24 décembre, m’a réveillé : si je peux crever demain, alors je veux faire du théâtre.»

J’ai d’abord découvert son existence grâce à la revue de Presse de Claude Askolovitch du <31 janvier 2020> dans laquelle il parle de la beauté d’Alicia :

« Une jeune femme morte le 24 décembre 1990 d’une leucémie, qui treize ans plus tôt avait pris son petit frère, mais la cruauté n’est rien, car Alicia est devant nous Alicia dans la beauté de ses vingt ans, sa dernière année sur terre, les joues enfantines, les lèvres pleines photographiées par son dernier amour…

Elle écrivait depuis l’enfance et la nuit sortait dans des lieux à la mode, Régine le Palace et Castel, elle dinait en robe moulante chez Maxim’s et festoyait d’autant plus qu’elle savait la maladie… « Depuis toujours, écrit Pascale Nivelle dans un texte au diapason de la jeune fantôme, depuis toujours, elle tient à distance ses terreurs, les ponctions qui bleuissent ses clavicules, les piqures à toute heure, il lui arrive de se piquer en parlant, seringue plantée dans la cuisse sous une table de bistro, elle veut vivre plus que de raison, la nuit elle noircit ses cahiers de poèmes d’une écriture ronde, sans rature, j’écris pour être lue dit- elle à sa mère. »

Elle écrivait ceci pour conjurer sa peur.

« Faiblesse je te hais de toi même; vivre c’est accepter de tomber sous le poids de ce qui ne nous appartient pas. »

Elle écrivait cela en pensant à son frère

« Ne touchez pas à ma petite bête épaisse ma douleur

Ne touchez pas aux plus beaux yeux du monde que j’ai fermés longtemps pour ne plus les voir

Ne touchez plus à mon enfant perdu, il est quelque part implorant le silence

A toi mon caillou ma pièce d’or

A toi ma blessure enivrée ma lune à boire

Tu es la morsure douce au creux de ma main. 

Quand Alicia est morte, sa famille a gardé ses textes mais un jour sa maman a réalisé que les seuls mots de sa fille que l’on pouvait lire étaient sur sa tombe à Montparnasse. Alors, elle est allée voir son neveu, le comédien Guillaume Gallienne, que sa cousine vivante encourageait à vivre. Il est allé montrer ses poèmes chez Gallimard, une éditrice Sophie Naulleau s’est prise pour Alicia d’une de ses amitiés qui passent les frontières de la vie et le livre est là et Alicia vous attend ce matin, dans le magazine du Monde. »

Dans son entretien avec Léa Salamé, Guillaume Gallienne modifie un peu cette histoire. C’est lui qui est allé voir sa tante et l’a trouvée triste et affectée. A sa demande, elle lui expliqua qu’elle venait de se faire disputer par son frère qui lui reprochait de ne jamais avoir publié les magnifiques textes d’Alicia. Elle expliqua qu’elle avait essayé après 1990 mais que les maisons d’édition refusait en disant que cela ne les intéressait pas d’éditer un livre unique qui ne sera suivi d’aucun autre. Et c’est alors que la Mère d’Alicia a demandé à Guillaume Gallienne s’il ne pourrait pas intervenir auprès de son éditeur. Et c’est ce qu’il fit et il se trouva chez Gallimard des professionnels qui trouvèrent pertinent de publier cet ouvrage qui est paru hier le 6 février.

L’article du Monde auquel renvoie Claude Askolovitch a pour titre : < Alicia Gallienne, étoile filante de la poésie >

Ce très long article commence par une visite à la tombe d’Alicia :

« C’est une tombe toute blanche au cimetière du Montparnasse, non loin du cénotaphe de Baudelaire. Une alcôve de verdure grimpante, avec une grande croix sculptée et un quatrain gravé dans la pierre. « (…) Mon âme saura s’évader et se rendre (…). »

Morte à 20 ans d’une maladie du sang, Alicia Maria Claudia Gallienne a écrit des centaines de poèmes entre 1986 et 1990. « Qu’importe ce que je laisserai derrière moi, pourvu que la matière se souvienne de moi, pourvu que les mots qui m’habitent soient écrits quelque part et qu’ils me survivent », écrivait-elle à Sotogrande, dans la propriété de sa famille maternelle en Espagne.

Les quatre lignes inscrites sur sa tombe, déjà érodées par le temps, sont longtemps restées la seule trace visible de son œuvre. Quelques années encore et les mots se fondront dans le grain de la pierre. Envolés, comme la dernière image d’Alicia dans son cercueil, le visage serti dans la mantille blanche des mariées sévillanes. […]

Un après-midi de janvier, trente ans après la mise en bière, une longue femme brune s’avance vers la tombe, se recueille un instant devant la jeune poète disparue et l’objet qu’elle vient de déposer doucement sur la pierre. Ce livre de la collection « Blanche » de Gallimard, L’autre moitié du songe m’appartient, par Alicia Gallienne, qui sort ce 6 février, tient du miracle.

Sans la longue femme brune, Sophie Nauleau, écrivaine et éditrice, et sans le comédien et réalisateur Guillaume Gallienne, cousin d’Alicia, ce pavé de près de 400 pages, ovni dans le petit monde de la poésie, n’aurait jamais été imprimé. Et il n’aurait pas connu un tirage de 4 000 exemplaires, un chiffre très élevé pour de la poésie, genre littéraire loin de tous les classements de vente. »

Sophie Naulleau a écrit la préface du livre de poèmes.

Guillaume Gallienne raconte :

« Dans la famille, « on lisait parfois en pleurant quelques-uns de ses poèmes et on disait « le coin d’Alicia » pour désigner le secrétaire qui renfermait ses trésors. »

L’article se termine ainsi :

« Dans sa bulle aseptisée, sur son « lit de cristal », Alicia a écrit ses pensées au feutre noir, avec des étoiles, des points d’exclamation et d’interrogation. « J’ai toujours su ce qui m’attendait en venant ici. » En décembre 1990, elle remercie son amant « (…) Pour tous les moments où nous avons fait le bonheur à deux ! » Les pages suivantes sont restées blanches. »

Aujourd’hui, je voulais parler d’Alicia Gallienne.

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