Mardi 30 mars 2021

« Gustave Courbet, la Commune et la destruction de la colonne Vendôme.  »
Une histoire du temps de la commune

Le peintre Gustave Courbet est né en 1819. Il fut désigné comme le chef de file du courant réaliste.

Au temps des réseaux sociaux on a beaucoup parlé de lui en raison de la censure par Facebook de son tableau « L’origine du Monde » qui avait été publié par un Internaute. Le litige fut surmonté. Après une action en justice, un accord amiable a pu être trouvé entre Facebook et l’internaute : Frédéric Durand. C’est quand même une affaire qui a duré 8 ans.

Depuis on peut publier l’Origine du Monde sur Facebook. Il s’agit d’un tableau de 46,3 cm sur 55,4 cm exposé au Musée d’Orsay à qui il faut désormais ajouter le nom de Giscard d’Estaing.

France culture nous apprend que ce tableau peint en 1866 a toujours causé scandale. Récemment, le nom du modèle qui a servi pour peindre cette partie de l’anatomie féminine  a été révélé : il s’agit d’une jeune danseuse de l’opéra de Paris : Constance Quéniaux.

Mais ce mot du jour n’a pas pour objet de parler des qualités artistiques du peintre mais de son rôle dans la Commune de Paris et notamment l’accusation d’être responsable de la destruction de la colonne Vendôme avec la statue de Napoléon Ier qui la surplombait.

La colonne Vendôme avait été érigée en 1810 en hommage à la « Grande Armée » et à son chef Napoléon Bonaparte.

Gustave Courbet par son parcours était destiné à soutenir La Commune.

Courbet avait, par exemple, été l’ami de Pierre-Joseph Proudhon, le chantre du socialisme libertaire cher à Michel Onfray. En 1865, il a consacré une peinture à son ami « Proudhon et ses enfants » .

Ses idées républicaines et son gout de la liberté lui ont fait refuser la Légion d’honneur qui lui avait été proposée par Napoléon III.

<Wikipedia> nous apprend qu’il a adressé, le 23 juin 1870, une lettre au ministre des lettres, sciences et beaux-arts :

« J’ai cinquante ans et j’ai toujours vécu libre. Laissez-moi terminer mon existence libre : quand je serai mort, il faudra qu’on dise de moi : Celui-là n’a jamais appartenu à aucune école, à aucune église, à aucune institution, à aucune académie, surtout à aucun régime, si ce n’est le régime de la liberté »

Après la proclamation de la République le 4 septembre 1870, Gustave Courbet est nommé, le 6, par une délégation représentant les artistes de Paris, « président de la surveillance générale des musées français » : Courbet dirige alors un comité chargé de la sauvegarde des œuvres d’art conservées à Paris et dans les environs.

Cette mesure conservatoire est normale en temps de guerre, et alors que les troupes prussiennes approchent de la capitale.

Je cite encore Wikipedia :

«  Le 14, il s’occupe de protéger le musée de Versailles, puis les jours suivants le musée du Luxembourg, les salles du musée du Louvre, le Garde-Meuble. Le 16, débute le siège de Paris. […]

Après les élections complémentaires du 16 avril 1871, il est élu au conseil de la Commune par le 6e arrondissement et délégué aux Beaux-Arts. Le 17 avril 1871, il est élu président de la Fédération des artistes. Il fait alors blinder toutes les fenêtres du palais du Louvre pour en protéger les œuvres d’art, mais aussi l’Arc de Triomphe et la fontaine des Innocents. Il prend des mesures semblables à la manufacture des Gobelins, et fait même protéger la collection d’œuvres d’art d’Adolphe Thiers, dont notamment ses porcelaines de Chine. Il siège à la commission de l’Instruction publique […] avec Jules Vallès »

On constate donc que Gustave Courbet était plutôt enclin à protéger le patrimoine.

La responsabilité qu’on lui fera jouer dans la destruction de la colonne Vendôme est ambigüe et même erronée.

Il est vrai qu’il fait une proposition le 14 septembre 1870. Il rédige, ce jour, une note à l’attention du gouvernement de Défense nationale proposant de « déboulonner la colonne Vendôme » et suggère d’en récupérer une partie du métal pour la Monnaie.

Mais en revanche, il s’insurge en octobre contre le gouvernement qui souhaite abattre la colonne Vendôme, au profit d’une nouvelle statue en bronze à la gloire de Strasbourg, ville annexée : Courbet réaffirme que cette colonne doit être déplacée de la rue de la Paix vers les Invalides et qu’on doit en conserver les bas-reliefs par respect pour les soldats de la Grande Armée.

Et lorsqu’après un appel de Vallès publié le 4 avril dans Le Cri du peuple dans lequel il vilipende le monument, la Commune décide, le 12, sur une proposition de Félix Pyat, d’abattre et non de déboulonner la colonne Vendôme, Courbet ne vote pas cette démolition.

La démolition est prévue pour le 5 mai 1871, jour anniversaire de la mort de Napoléon, mais la situation militaire empêche de tenir ce délai. Finalement, la cérémonie a lieu le 16 mai 1871.

Dans La revue « L’Histoire », c’est l’historien Emmanuel Fureix qui raconte la destruction de la colonne vendôme:

« Abattre la colonne Vendôme revient à affirmer aux yeux de l’Europe entière la « république universelle » et la fraternité des peuples souverains. La place Vendôme est rebaptisée place de l’Internationale. L’iconoclasme devient alors le signal d’un nouvel ordre international à bâtir. […] L’abattage de la colonne vient aussi venger la mémoire des morts, celle de tous les soldats citoyens tombés au nom d’une cause jugée vaine.

Félix Pyat écrit : « La colonne représente la mort de 4 millions d’hommes sacrifiés au dieu de la guerre et à la gloire de trois invasions », et, le 16 mai, un citoyen présent place Vendôme lui fait écho : « On dit cette colonne de bronze, allons donc ! Elle est faite d’ossements humains. Aussi allons-nous assister à une chute d’os. »  »

Cette destruction devient une véritable cérémonie, une fête à laquelle les communards viennent en foule :

«  La colonne Vendôme n’est pas détruite à la sauvette, dans l’obscurité de la nuit : le déboulonnage est un spectacle, une fête de souveraineté offerte à la face du monde. Le chantier de démolition, complexe, est confié à un ingénieur, Paul Iribe, et, le 16 mai, environ 20 000 Parisiens se pressent pour assister au déboulonnage du « jean-foutre Bonaparte ». La Marseillaise et Le Chant du départ sont entonnés. Un cabestan cède, il faut s’y reprendre à deux fois mais, en fin d’après-midi, la colonne s’effondre en un « zigzag monstrueux », soulevant un « nuage de poussière » raconte Maxime Vuillaume. L’effigie de Napoléon chute sur un lit de fumier et de fagots, la tête détachée du tronc. Certains lui jettent des coups de pied et des crachats. « De près, que sa figure est vilaine et laide », écrit Élie Reclus. Mais « un gouvernement qui a le toupet de foutre en bas Napoléon, ça doit être un gouvernement fort ! » s’exclame un communard. Le piédestal est orné de quatre drapeaux rouges et des échelles permettent aux citoyens de se l’approprier. Dans tous ces gestes se lit le désir de se dire souverain. Se joue aussi une lente « reconquête de la ville par la ville », observée par l’historien Jacques Rougerie. »

La Commune a longtemps été associée à des actes de vandalisme. Mais cet iconoclasme doit se comprendre davantage comme un instrument de guerre contre Versailles.

« Hier, 26 floréal [16 mai 1871], l’arrêt de la justice du peuple a été exécuté. La colonne est tombée à cinq heures trois quarts. […] Il ne reste plus qu’un monceau de miettes : la colonne est broyée, le drapeau tricolore enseveli, le César, décapité, gît sur du fumier. »

Le journal communard Le Réveil du peuple

 Un désaccord plus important entre Courbet et la commune va conduire à sa démission :

« Courbet démissionne de ses fonctions le 24 mai 1871, protestant contre l’exécution par les Communards de son ami Gustave Chaudey qui, en tant que maire-adjoint, est accusé d’avoir fait tirer sur la foule le 22 janvier 1871 (fait qui n’a, en réalité, jamais été prouvé. » (Wikipedia)

Après la Semaine sanglante, il est arrêté le 7 juin 1871 et emprisonné à la Conciergerie puis à Mazas.

Dès le début de son incarcération, la presse lui reproche la destruction de la colonne ; Courbet rédige alors une série de lettres à différents élus dans lesquelles il « s’engage à la faire relever à ses frais, en vendant les 200 tableaux qui [lui] reste » : cette proposition, il va la regretter.

Il sera condamné à six mois de prison fermes et à 500 francs puis il devra encore régler 6 850 francs de frais de procédure.

Certains écrivains lui expriment des injures d’une grande violence. Ainsi, Alexandre Dumas fils écrira

« De quel accouplement fabuleux d’une limace et d’un paon, de quelles antithèses génésiaques, de quel suintement sébacé peut avoir été générée cette chose qu’on appelle Gustave Courbet ? Sous quelle cloche, à l’aide de quel fumier, par suite de quelle mixture de vin, de bière, de mucus corrosif et d’œdème flatulent a pu pousser cette courge sonore et poilue, ce ventre esthétique, incarnation du Moi imbécile et impuissant ».

En mai 1873, le nouveau président de la République, le maréchal de Mac Mahon, décide de faire reconstruire la colonne Vendôme aux frais de Courbet (soit 323 091,68 francs selon le devis établi). La loi sur le rétablissement de la colonne Vendôme aux frais de Courbet est votée le 30 mai 1873. Il est acculé à la ruine, ses biens mis sous séquestre, ses toiles confisquées.

Il s’exilera en Suisse où il mourra 4 ans plus tard.

Par solidarité avec ses compatriotes exilés de la Commune de Paris, Courbet refusa toujours de retourner en France avant une amnistie générale. Sa volonté fut respectée, et son corps fut inhumé à La Tour-de-Peilz le 3 janvier 1878, après sa mort survenue le 31 décembre 1877

Sa dépouille a été transférée en juin 1919 à Ornans. Il était né 100 ans avant, le 10 juin 1819 dans cette ville du département du Doubs.

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Lundi 29 mars 2021

« Malgré toutes les hontes de la Commune, j’aime mieux être avec ces vaincus qu’avec [leurs] vainqueurs. »
Louis Nathaniel Rossel

La commune fut l’histoire de femmes et d’hommes qui se sont retrouvés d’abord parce qu’ils n’acceptaient pas la défaite contre les troupes de Bismarck, ensuite parce qu’au sein d’eux et venant d’univers ou d’écoles de pensées différentes, une haute conscience des inégalités au sein de la société était présente.

Il me parait utile d’évoquer certaines de ces figures.

Dans le numéro de « L’histoire » de janvier 2021, plusieurs fois cité, l’historien Michel Winock a évoqué l’un d’eux « Louis Rossel : Portrait d’un rebelle ».

Son article commence ainsi :

« De tous les communards le colonel Louis Rossel est le plus flamboyant, le plus inattendu, le plus scandaleux aux yeux de ses pairs. Son adhésion à la révolution de 1871 a son origine directe dans la reddition, le 27 octobre 1870, du maréchal Bazaine à Metz, livrant aux Prussiens plus de 170 000 hommes et près de 1 600 canons. »

Michel Winock rapporte que trois jours plus tard il publie un article dans L’Indépendance belge :

« Metz est rendu : la plus honteuse capitulation que l’histoire militaire ait jamais enregistrée a mis aux mains des Allemands une forteresse intacte, gardée par une armée intacte, et dans cet éclatant désastre de l’honneur militaire français, aucune apparence même n’a été sauvée. »

Michel Winock nous révèle, à travers le jugement de Louis Rossel, une autre analyse de la défaite militaire française :

« Le capitaine Rossel avait tenté de tout mettre en œuvre pour éviter la capitulation. Mais il n’avait pas été en mesure de renverser l’avis majoritaire des généraux en place, réfractaires à la république et inspirés par la réaction politique plus que par la défense de la patrie. »

Dans cette vision, les officiers préféraient la défaite à se battre pour une France dirigée par la République. Dans un premier temps, ces officiers ont vu leur désir se réaliser : la défaite militaire a amené une majorité monarchiste à l’Assemblée. Ce sont les contradictions internes des monarchistes qui leur ont interdit une nouvelle restauration et ont finalement permis la naissance de la 3ème République.

Rossel est décidé à se battre jusqu’au bout contre l’envahisseur et propose ses services à Gambetta, qui dirige depuis octobre la délégation du gouvernement à Tours où il a reconstitué trois armées. Gambetta est un des membres du gouvernement qui souhaitait continuer la guerre. Il a de l’admiration pour l’homme politique et le tribun mais se désole de son incompétence en stratégie militaire. Il dit de lui :

« C’est un drapeau plutôt qu’un chef »

Alors, quand il apprend le 19 mars 1871, l’insurrection parisienne de la veille, Rossel décide de rejoindre ceux qui veulent continuer à se battre et d’abandonner ceux qui acceptent ou pire préfèrent la défaite.

Il envoie le 19 mars 1871 sa lettre de démission au ministre de la Guerre :

« J’ai l’honneur de vous informer que je me rends à Paris pour me mettre à la disposition des forces gouvernementales qui peuvent y être constituées. Instruit par une dépêche de Versailles rendue publique aujourd’hui qu’il y a deux partis en lutte dans le pays, je me range sans hésitation du côté de celui qui n’a pas signé la paix et qui ne compte pas dans ses rangs de généraux coupables de capitulation. »

Un ordre d’arrestation est immédiatement lancé contre lui, il est menacé du Conseil de guerre.

Rossel rejoint Paris le 20 mars.

Le général de De Gaulle avait une profonde admiration pour ce colonel.

Natacha Polony dans une courte vidéo d’hommage <De la Commune gardons le souvenir de Louis Rossel> commence son intervention par une anecdote : Michel Debré accompagnait le général de Gaulle dans une visite du fort d’Issy

Il faut savoir que la bataille du fort d’Issy est une de celle qui a été déterminante pour la victoire des Versaillais. Elle se déroule du 25 avril au 8 mai 1871 et se termine par la victoire des Versaillais qui se rendent maîtres du fort.

Et donc lors de la visite du fort d’Issy, Debré demanda à De Gaulle « Finalement que reste -il de la Commune ? » et le général lui répondit « Il reste le colonel Louis Rossel »

De Gaulle admirait bien sur le refus de la défaite et la volonté de trouver toutes les solutions pour continuer la lutte.

Contrairement à beaucoup de communards, Louis Nathaniel Rossel n’était pas anti-religieux : il est chrétien, protestant. Bien que né à Saint Brieuc où son père militaire aussi avait été affecté, il est issu d’une famille bourgeoise protestante nîmoise, et descendant de camisards cévenols.

Il n’a donc pas comme point commun l’anticléricalisme des autres communards. Mais il partage avec eux une autre aspiration que le refus de la défaite : il possède une fibre sociale très développée. Natacha Polony insiste sur ce point. En 1867, il se lie d’amitié avec Jean Macé, qui crée la Ligue de l’enseignement. Rossel commence l’enseignement de cours de grammaire aux classes défavorisées et s’engage pour l’école laïque. C’est ici qu’il a ses premiers véritables contacts avec des ouvriers. Il découvre la société de classes :

« Pourquoi, lorsque l’égalité est inscrite partout dans nos droits, lorsque l’égalité est un de nos premiers besoins, sommes-nous forcés de reconnaître qu’il y a dans l’État deux classes comme au temps du privilège, deux classes profondément distinctes et d’un autre côté profondément mêlées ? »

L’instruction lui paraît le premier remède.

Il est très brillant : admis à dix-huit ans à l’École polytechnique avec le n° 79 et en sortit 12e sur une promotion de 131.

Arrivé à Paris, on lui donne immédiatement un rôle de première importance dans l’organisation de l’armée de la commune.

Michel Winock écrit :

« Pendant la dizaine de jours où il dirige les forces armées de la Commune, Rossel fait preuve de remarquables qualités d’organisateur, de stratège, mais, simultanément, il ne comprend pas la nature de cette révolution parisienne. Il reste un soldat ; les fédérés, eux, sont des révolutionnaires, réfractaires au commandement central. Il y a un style Rossel – mélange de raideur et d’humour, de rigueur et d’insolence – qui, d’emblée, ne plaît pas à tout le monde. »

Mais il est exaspéré par le manque de discipline de ses soldats et le manque de rigueur du comité central de la garde nationale qui dirige Paris.

Après la prise du fort d’Issy par l’armée de Versailles le 8 mai, Rossel fait placarder le 9 sur les murs de Paris, et sans avertir la Commune, une affiche déclarant la perte du fort.

« Le drapeau tricolore flotte sur le fort d’Issy, abandonné hier par sa garnison. »

Puis il écrit une lettre de démission adressée à la Commune :

« Citoyens membres de la Commune, chargé par vous à titre provisoire de la délégation à la Guerre, je me sens incapable de porter plus longtemps la responsabilité d’un commandement où tout le monde délibère et où personne n’obéit. […] Sachant que la force d’un révolutionnaire ne consiste que dans la netteté de la situation, j’ai deux lignes à choisir : briser l’obstacle qui entrave mon action, ou me retirer. Je ne briserai pas l’obstacle ; car l’obstacle, c’est vous et votre faiblesse ; je ne veux pas attenter à la souveraineté publique. Je me retire, et j’ai l’honneur de vous demander une cellule à Mazas. »

Il va être arrêté par d’autre communards qui veulent le traduire en cour martiale. Mais il parvient à s’enfuir et à se cacher quelques temps.

Michel Winock raconte la suite :

« Il est arrêté sur une dénonciation, après la Semaine sanglante, le 7 juin 1871, et envoyé à Versailles où il est jugé par un conseil de guerre, pour avoir déserté et « porté les armes contre la France ». En dépit du soutien actif de ses parents, de ses avocats, d’une petite partie de la presse, d’une pétition de polytechniciens, Rossel est condamné à mort ; le 25 novembre, […] il est exécuté le 28 novembre malgré une campagne en sa faveur lancée notamment par Victor Hugo. […] Tout au long de sa détention, Louis Rossel n’a cessé d’écrire, laissant notamment un mémoire sur son rôle pendant la Commune. Il y expose ses idées politiques. A aucun moment il ne regrette son engagement. Il dit son estime pour un certain nombre de ses dirigeants, Jourde, Paschal Grousset, Delescluze, Varlin. Il rend hommage aux combattants de la Semaine sanglante, plus à l’aise derrière les barricades que dans les rangs d’une armée disciplinée. « Malgré toutes les hontes de la Commune, j’aime mieux être avec ces vaincus qu’avec [leurs] vainqueurs. » Républicain, il n’est pas socialiste, mais il a rencontré l’injustice sociale. Il a constaté l’état misérable de la population ouvrière : « Parmi les bataillons que j’avais l’honneur de commander, certains étaient affligeants à voir. […] En passant devant ces malheureux, je me disais : ces gens ont raison de se battre. Ils se battent pour que leurs enfants soient moins chétifs, moins scrofuleux, moins vicieux qu’ils ne sont eux-mêmes. »

Vous trouverez une biographie sur le site <Maitron> et aussi sur ce blog consacré aux protestants bretons.

Deux films furent consacrés à Rossel :

Enfin une chanson lui a été consacrée <La complainte de Rossel>

Louis Nathaniel Rossel est mort sous les balles des versaillais à 27 ans

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Vendredi 26 mars 2021

« On a d’un côté la légende noire des Versaillais pour qui les communards étaient des fous furieux et, de l’autre, la légende rouge pour la gauche qui en fait une récupération politique »
Michel Cordillot

Certains prétendent que le clivage droite, gauche est obsolète. On peut se demander par quel clivage, il est remplacé :

  • Ecologiste et climatosceptique ?
  • Identitaire et universaliste ?
  • Islamophobe et islamo gauchiste ?

Pourtant la mémoire de la Commune ravive totalement le clivage droite-gauche. La droite de l’ordre et la gauche de la justice sociale s’affrontent, chacun considérant que l’autre est le criminel. Il y eut des crimes des deux côtés, mais les versaillais ont tué davantage que les communards.

Les versaillais et les otages exécutés par les communards représentent moins de 1000 morts. Il semble qu’un consensus large accepte cette évaluation.

Mais pour les fédérés, on ne le sait pas.

Dans une chanson que je n’ai pas cité mercredi « Elle n’est pas morte», Eugène Pottier écrit :

« Les Versaillais ont massacré pour le moins cent mille hommes. »

C’est une belle chanson, mais sur ce point elle exagère beaucoup, il n’y a pas eu 100 000 morts.

Les estimations ont fluctué. <Wikipedia> raconte cette évolution :

« En 1876, le journaliste et polémiste socialiste Prosper-Olivier Lissagaray, ancien communard, estime de 17 000 à 20 000 le nombre des fusillés. En 1880, le journaliste et homme politique Camille Pelletan, membre du Parti radical-socialiste situe le nombre des victimes à 30 000. En 2014, l’historien britannique Robert Tombs revoit le bilan à la baisse et évalue entre 5 700 et 7 400 le nombre des morts, dont environ 1 400 fusillés. »

La mathématicienne et écrivaine Michèle Audin a publié cinq livres sur la Commune. Michèle Audin est la fille du mathématicien Maurice Audin mort sous la torture par l’armée française lors de la guerre d’Algérie et de la professeure de mathématiques Josette Audin.

Elle vient de publier « la semaine sanglante ». Elle s’est lancée dans une nouvelle évaluation. Elle explique sa méthode dans cet article du Monde du 18 mars 2021 : « On a trouvé des ossements de communards dans le sous-sol de Paris jusque dans les années 1920 »

Son estimation s’élève à plus de 15 000 morts.

Les communards ont aussi détruit des monuments de Paris, le plus grand nombre lors de la semaine sanglante. Ils ont démoli l’hôtel particulier de Thiers, le chef de leurs ennemis. Cet hôtel situé place Saint-Georges, fut détruit le 11 mai 1871, en représailles au bombardement de Paris par l’armée versaillaise

Ils ont aussi abattu, le 16 mai, la colonne de la place Vendôme qui était surmontée par la statue de Napoléon.

Et le palais des Tuileries, palais des rois et de l’empereur fut incendié lors de la semaine sanglante.

Et il y eut d’autres bâtiments incendiés comme l’Hôtel de Ville, le Palais de justice, dont cependant la Sainte-Chapelle et la Cour de cassation échappent aux flammes, le palais d’Orsay où siègent le Conseil d’État et la Cour des comptes, le palais de la Légion d’honneur, le Palais-Royal et d’autres encore.

Après ces rappels, revenons au clivage droite, gauche d’aujourd’hui !

<Le Figaro> essaie de rapporter, en toute neutralité, le débat qu’il y a eu au conseil de la commune de Paris en février :

« Elle a beau avoir 150 ans, la Commune de Paris suscite toujours les passions, et sa mémoire reste conflictuelle. En février, au Conseil de Paris, la mise au vote d’une subvention à l’association les Amis de la Commune, destinée aux événements imaginés par la mairie autour de cet anniversaire, a provoqué une passe d’arme entre la majorité et l’opposition. Tandis que Laurence Patrice, adjointe PC chargée de la mémoire, proposait de célébrer « la révolution la plus moderne » qui soit, elle s’est attirée les foudres de Rudolph Granier, élu LR dans le 18e arrondissement – lequel a estimé qu’on ne devait pas «danser au son des meurtres et des incendies».  »

Mais j’aime particulièrement la description que fait <cet article du monde> :

« Ce mercredi 3 février, le couvre-feu est déjà passé, le Conseil de Paris commencé la veille s’étire depuis des heures, et les élus n’ont qu’une envie : voter rapidement les dernières délibérations, puis rentrer. L’ordre du jour, quelques subventions et hommages, semble consensuel. Mais soudain, Rudolph Granier prend le micro et réveille l’hémicycle. Parmi les vingt-sept associations à subventionner, il en est une à laquelle son parti, Les Républicains (LR), ne veut pas accorder un centime : les Amies et amis de la Commune de Paris 1871. Cette association coprésidée par un ancien dirigeant communiste « glorifie les événements les plus violents de la Commune », peste-t-il.

M. Granier évoque « les incendies de la Commune qui ont ravagé des pans entiers de la capitale », et accuse la maire socialiste, Anne Hidalgo, d’« ânonner » à ce sujet « une série de contre-vérités historiques » dans le seul but de ressouder les socialistes, les communistes et les écologistes, en vue de son « projet présidentiel ». Celui-ci « rassemblera certainement moins de personnes que les dix millions de Français qui ont participé à la souscription nationale pour l’édification du Sacré-Cœur », ajoute l’élu LR.

Patrick Bloche, l’adjoint socialiste d’Anne Hidalgo, qui préside la séance, ponctue cette diatribe d’une phrase : « Ce qui me rassure, c’est que je crois au clivage entre la gauche et la droite, et vous l’avez illustré parfaitement, cent cinquante ans après la Commune. » Entre les deux camps, la joute verbale se poursuit près d’une heure. »

Un autre élu de droite, Antoine Beauquier, élu du 16e arrondissement ne veut pas qu’on transforme en héros :

« ceux qui prirent en otage et assassinèrent les dominicains d’Arcueil venus ramasser les blessés sous l’emblème de la Croix-Rouge »

Et il pose cette question à la municipalité de gauche :

« Pourrez-vous encore dénoncer les casseurs après avoir honoré en grande pompe ceux qui ont choisi de brûler les Tuileries, le Palais-Royal, le palais d’Orsay, les synagogues et notre hôtel de ville ? »

David Alphand (LR) lui dénonce une autre action de la commune qui le hérisse : « La confiscation des moyens de production. »

Bref, un vrai combat gauche-droite, comme au bon vieux temps.

<La Croix> qui relate aussi cette passe d’armes rapporte les paroles Laurence Patrice, adjointe chargée de la mémoire :

« Ce n’est pas une glorification mais un hommage à des femmes et des hommes qui portaient des valeurs dont les forces de gauche sont les héritières »

La commune de Paris célèbre, en effet < les figures de la Commune>

Et la Croix cite l’historienne Laure Godineau, qui publie « La Commune de 1871 expliquée en images » (Seuil) qui explique :

« Si l’événement reste mal connu, c’est en partie parce que la construction républicaine après 1871 en a voulu l’oubli : oubli de la guerre civile dans le cadre d’une réconciliation nationale ; oubli de l’insurrection alors que s’affirmait une République éloignée des idéaux des communards […] La Commune n’a pas été intégrée à notre histoire nationale et à notre mémoire collective, ce qui a laissé une grande place à des mémoires conflictuelles […] D’un côté, le souvenir d’un mouvement émancipateur, politiquement et socialement, et des milliers de morts de la répression ; de l’autre, des incendies et des otages. »

Et il est vrai que dans mes livres d’Histoire je n’ai pas beaucoup de souvenirs d’une histoire de la Commune.

Il faut rappeler, peut-être, qu’à côté d’Adolphe Thiers, il y avait dans le gouvernement des figures qui sont restés célèbres pour d’autres faits historiques. L’un des plus virulents soutien de Thiers était Jules Ferry. Il y avait aussi Jules Grévy qui évoque « un gouvernement factieux », Jules Favre « une poignée de scélérats » et Léon Gambetta qui approuva Thiers.

Le journal <La nouvelle République> qui relate aussi cet épisode évoque une autre pierre d’achoppement : la décision, en octobre, de classer comme monument historique la basilique du Sacré-Cœur, construite pour « expier les péchés » des communards qui avait provoqué l’ire de l’association des Amis de la Commune.

Et il cite l’historien Michel Cordillot autre spécialiste de la commune, coordinateur d’un ouvrage synthétique sur la Commune paru en janvier :

« La Commune est mal connue car elle est d’emblée prisonnière d’enjeux de mémoire. On a d’un côté la légende noire des Versaillais pour qui les communards étaient des fous furieux et, de l’autre, la légende rouge pour la gauche qui en fait une récupération politique […] en 1971, [lors de son centenaire] les affrontements étaient déjà terribles, y compris entre historiens […] Que faut-il alors retenir de cet événement ? L’expérience d’une république sociale, favorable à la démocratie directe, a permis notamment, et pour un bref moment, l’accès au pouvoir des milieux populaires – actuellement sous-représentés parmi les députés de l’Assemblée nationale – le droit de vote pour les femmes ou la laïcité dans l’enseignement, plus de trente ans avant la loi de 1905 concernant la séparation de l’Église et de l’État. Ce sont des mesures extrêmement modernes, qui font consensus aujourd’hui […] la Commune a posé le principe de l’accès au pouvoir des classes subalternes. Avant, ça relevait de l’utopie. Après, ça devient une réalité. Et ça marche ! »

Et <L’Humanité> d’ajouter :

« En 1871, pendant soixante-douze jours, Paris redevient la capitale mondiale du progrès et la citoyenneté. Mais de cela la droite ne veut parler. »

Le site des amies et amis de la Commune : https://www.commune1871.org/ association qui a servi de déclencheur à la bonne vieille dispute entre droite et gauche…

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Jeudi 25 mars 2021

« La grande mesure de la Commune, ce fut sa propre existence »
Karl Marx

Pierre Nora prétend que La Commune « n’a pas apporté grand-chose ». J’ai rapporté ces propos lundi.

Dans le numéro de la Revue « L’Histoire » de janvier 2021 que j’ai cité mardi, l’Historien Quentin Deluermoz dans son article « L’impossible République : Gouverner au ras du sol » ne dit pas autre chose :

« L’avis est largement partagé : le bilan concret de la Commune de Paris est mince. Le décret du 20 avril 1871 interdisant le travail de nuit des boulangers est au fond « la seule mesure véritablement socialiste de la Commune », regrettait déjà l’internationaliste Léo Frankel début mai. Les commentateurs et les historiens, qu’ils soient pour ou contre la Commune, ont ensuite évoqué un « brouillon » pour les idéologies à l’œuvre, voire une « ébauche maladroite », un système « balbutié ». »

Marx s’est beaucoup intéressé à cette révolution. Il a écrit « La guerre civile en France » terminé fin mai 1871, alors que la commune venait à peine d’être écrasée. Ce livre a été mis en ligne par nos amis canadiens au <format pdf>

Quentin Deluermoz rapporte les propos que Marx a tenu:

« La grande mesure de la Commune, ce fut sa propre existence ».

L’étonnant c’est en effet que cela a pu exister.

Même si en fin de compte cela a raté.

L’article de la Revue « L’Histoire » donne la liste des réformes que la Commune a entreprises :

  • Adoption du drapeau rouge, celui des « travailleurs », à la place du drapeau tricolore jugé trop « bourgeois ».
  • Remise générale des loyers des termes d’octobre 1870, janvier et avril 1871.
  • Suppression de la vente des objets déposés au Mont-de-Piété.
  • Abolition de la conscription.
  • École gratuite et obligatoire pour les filles et les garçons.
  • Séparation des Églises et de l’État, suppression du budget des cultes.
  • Interdiction du cumul, fixation du maximum des traitements à 6 000 francs par an.
  • Fixation des émoluments des membres de la Commune à 15 francs par jour.
  • Traitement des instituteurs et institutrices à 2 000 francs.
  • Suppression de la catégorie « illégitimes » pour les enfants nés hors mariage et reconnaissance des unions libres.
  • Suppression du travail de nuit dans les boulangeries.

On peut quand même noter des réformes très modernes qui vont être reprises un peu plus tard par la IIIème République :

  • L’école gratuite
  • La Séparation de l’église et de l’état
  • L’abolition de la bâtardise, c’est-à-dire du statut infamant et inférieur des enfants nés hors mariage

Ce n’est pas rien, d’avoir ainsi ouvert des voies vers une plus grande justice.

La Commune a aussi donné une bien plus grande place aux femmes que celle que leur accordait la société qui l’a combattue.

Quentin Deluermoz écrit : :

« En soixante-douze jours, le gouvernement de la Commune a soulevé de grands espoirs, mais son bilan est nuancé. »

Mais c’est très court 72 jours. Et puis cette période ne s’est pas passée dans la sérénité mais dans la violence et la guerre que les communards ont eut à affronter contre les versaillais.

La commune avait aussi d’autres projets quelle n’a pas même pas pu mettre en œuvre :

  • Réorganisation de la justice : gratuite et rendue par des jurys élus.
  • Attribution des ateliers abandonnés par les patrons « déserteurs » aux associations ouvrières.
  • Élection des fonctionnaires.
  • Un crédit industriel et ouvrier.

Quentin Deluermoz insiste sur deux points : l’enseignement et la libération de la parole.

L’enseignement devait être laïque :

« Ainsi de l’enseignement sous l’égide des municipalités : remplacement des congréganistes par des instituteurs laïques dans le IIIe arrondissement, multiplication des écoles de filles dans le XVIIe. Mieux : une autre conception pédagogique est alors défendue, celle de l’« éducation intégrale », à la fois professionnelle et intellectuelle. Les objectifs généraux de cette « éducation communale » sont fréquemment rappelés, comme sur cette affiche du IVe arrondissement : « Apprendre à l’enfant à aimer et à respecter ses semblables. Lui inspirer l’amour de la justice ; lui enseigner également qu’il doit s’instruire en vue de l’intérêt de tous. »

La libération de la parole est aussi un grand moment de modernité qui s’accompagne d’un mouvement anti-clérical qui deviendra le combat des radicaux de la IIIème république :

« La « République de Paris » est aussi un moment de libération de la parole. Critiques, attentes, projets, espoirs des Parisiens, notamment des plus fragiles, s’expriment d’une manière inédite. La multiplication des titres de presse, des placards, des affiches, en témoigne : « Nous voulons affranchir le prolétariat, que chacun vive de son travail ; plus de paresseux, plus de parasites, plus d’exploiteurs, plus d’exploités, vivre en travaillant ou mourir en combattant » (avis de la délégation communale du Ier arrondissement, 13 avril) ; « Montrons que nous sommes les dignes fils de 1789 » (appel d’un commandant de la Garde nationale, 20 mars).

Les clubs sont un autre lieu essentiel de cette parole libérée. Les participants y discutent tour à tour de la guerre, de la haine des curés et des propriétaires, de la fin de la misère, de l’harmonie espérée ou du souvenir du coup d’État de 1851. Un certain nombre de clubs se sont installés dans les églises. Dans le cadre d’un mouvement très anticlérical, les bâtiments sont parfois mis à mal. La signification de ces appropriations doit être bien comprise : il s’agit-rien de moins que remplacer l’exercice d’une parole divine, venue d’en haut, par celui d’une parole démocratique et populaire. Ce faisant, les communards sécularisent l’espace urbain et constituent, à partir de l’ancien, des lieux « autres » dans la ville.»

Il y a enfin une aspiration vers une démocratie plus directe et plus proche du terrain. Ainsi les bataillons de la Garde nationale élisent directement leur chef.

La commune prône aussi le mandat impératif, qui oblige les élus à rendre des comptes et les rend révocables à tout instant.

L’historien Jacques Rougerie qui a écrit de nombreux ouvrages sur la commune évoque la volonté « d’être son propre maître » et une « aspiration profonde du peuple de Paris, du moins d’une majorité […], à une démocratie vraie ».

Et pour en revenir à Marx, dans son ouvrage cité, il pensait que la commune était la prémisse de la révolution communiste, une première tentative de prise de pouvoir par la classe ouvrière.

La commune fut d’ailleurs la première à utiliser le drapeau rouge comme symbole.

Mais la pensée de Marx sur la Commune allait évoluer et probablement un peu en raison de sa confrontation avec certains d’entre eux.

D’abord plein de bonnes intentions à l’égard des vaincus, il se heurta bientôt à la part anarchiste d’un certain nombre de communards.

Dans la revue « L’histoire » Michel Cordillot raconte :

«  Au cours des mois qui suivent environ 2 000 communards rescapés arrivent à Londres, souvent dans le plus grand dénuement. Marx joue un rôle essentiel au sein du Comité d’aide aux réfugiés pour récolter des secours et leur trouver du travail. Mais, alors que les dissensions s’aggravent au sein de l’Internationale, il est pris à partie, parfois même accusé d’avoir détourné des fonds ou d’être un complice de Bismarck. Après la conférence de Londres (septembre 1871) et plus encore après le congrès de La Haye (septembre 1872) à l’issue duquel la rupture avec les anti-autoritaires est consommée, ses relations avec la plupart des anciens communards deviennent exécrables sur fond de désaccords politiques et stratégiques. Avec le transfert du Conseil général à New York, la longue agonie de l’Internationale commence, ce qui va permettre à Marx de prendre du recul pour mieux se consacrer à ses travaux théoriques. La lettre adressée par Engels à leur ami américain Friedrich Sorge à la mi-septembre 1874 reflète la lassitude que Marx et lui éprouvent : « L’émigration française est tout à fait divisée […]. Ces gens-là veulent tous vivre sans travailler vraiment, ont la tête pleine de prétendues inventions qui rapporteront des millions […]. La vie irrégulière qu’ils ont menée pendant la guerre, la Commune et l’exil a fait perdre tout sens moral à ces gens. »

Dix ans après la Commune, Marx voit la Commune avec un autre regard :

Dans une lettre citée par Cordillot et qu’il adresse à Ferdinand Domela Nieuwenhuis le 22 février 1881, il dresse d’abord ce constat :

« Outre qu’elle fut simplement la rébellion d’une ville dans des circonstances exceptionnelles, la majorité de la Commune n’était nullement socialiste et ne pouvait pas l’être. »

Et il ajoute :

« Avec un tout petit peu de bon sens, elle eût pu cependant obtenir de Versailles un compromis favorable à toute la masse du peuple, ce qui était la seule chose possible alors. »

Michel Cordillot suggère donc que Marx semble en être arrivé à la conclusion que la Commune n’avait pas été la révolution ouvrière ouvrant la voie à l’extinction du capitalisme telle qu’il l’avait imaginée.

Cela ne rend que plus pertinent le jugement précédent qu’il avait porté : « La grande mesure de la Commune, ce fut sa propre existence »

<1542>

Mercredi 24 mars 2021

« Ils se levèrent pour la Commune, en écoutant chanter Pottier. Ils faisaient vivre la Commune en écoutant chanter Clément »
Jean Ferrat

La commune est restée dans l’imaginaire des français et même au-delà. Elle l’est restée parce que de nombreux livres lui ont été consacrés depuis 150 ans.

Et aussi en raison d’un grand nombre de chants qui ont été composés pour la commune du temps de celle-ci ou qu’elle a inspirés depuis.

Ces chansons ont fait l’Histoire. L’émotion, la destinée et la force de ces chansons me font toujours vibrer.

Pour entrer dans ce monde, je vais commencer par la chanson que Jean Ferrat a composé pour les cent ans de la commune en 1971 : <La commune>

Cette chanson qui magnifie les femmes et les hommes qui ont participé à cet épisode « Comme un espoir mis en chantier ».

Dans cette chanson dont il a écrit la musique mais dont les paroles sont de Georges Coulonges, il y a ce refrain

« Il y a cent ans commun commune
Comme un espoir mis en chantier
Ils se levèrent pour la Commune
En écoutant chanter Pottier
Il y a cent ans commun commune
Comme une étoile au firmament
Ils faisaient vivre la Commune
En écoutant chanter Clément »

L’intégralité du texte se trouve derrière <ce lien>

Il est d’abord question d’«Eugène Pottier » l’auteur de « L’internationale » ce magnifique chant révolutionnaire qui a été chanté tant de fois par des millions d’êtres humains qui rêvaient et espéraient un monde meilleur et qui aussi a été souillé par des criminels qui ont trahi ces aspirations après la prise de pouvoir des bolcheviques et de leurs affidés :

« Ouvriers, Paysans, nous sommes
Le grand parti des travailleurs ;
La terre n’appartient qu’aux hommes,
L’oisif ira loger ailleurs.
Combien de nos chairs se repaissent !
Mais si les corbeaux, les vautours,
Un de ces matins disparaissent,
Le soleil brillera toujours !

C’est la lutte finale
Groupons-nous, et demain,
L’Internationale,
Sera le genre humain. »

L’intégralité du texte se trouve derrière <ce lien> et vous trouverez ici une interprétation passionnée de <Marc Ogeret>

« L’internationale » est une chanson de la Commune créée par Eugène Pottier qui était un communard, juste après la semaine sanglante. Lorsque la France déclare la guerre à la Prusse en juillet 1870, Pottier est signataire du manifeste de la section parisienne de l’Internationale dénonçant la guerre. Membre de la garde nationale, il participe aux combats durant le siège de Paris de 1870, puis il prend une part active à la Commune de Paris, dont il est élu membre pour le 2e arrondissement. Il siège à la commission des Services publics. Il participe aux combats de la Semaine sanglante. En juin 1871, caché dans Paris, il compose son poème L’Internationale et se réfugie en Angleterre. Condamné à mort par contumace le 17 mai 1873, il s’exile aux États-Unis, d’où il organise la solidarité pour les communards déportés.

Eugène Pottier était né en 1816 à Paris. Il est d’abord dessinateur sur étoffes et compose sa première chanson, Vive la Liberté, en 1830. Il participe à la Révolution de 1848.

Ruiné et à demi paralysé, il reviendra de son exil américain, après l’amnistie de 1880 et meurt le 6 novembre 1887 à Paris.

Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise (95e division) à Paris.

Mais il a écrit bien d’autres chansons. En 1870 : <Quand viendra t’elle ?> :

« La guerre est cruelle,
L’usurier pressant.
L’un suce ma moelle,
L’autre boit mon sang.
Ah ! je l’attends, je l’attends!
L’attendrai-je encor longtemps? »

L’intégralité du texte se trouve derrière <ce lien>

Et puis en 1880 avec une musique de Pierre Deteyger, une chanson toute entière dédiée à la Commune : <L’insurgé>

« En combattant pour la Commune
Il savait que la terre est Une,
Qu’on ne doit pas la diviser,
Que la nature est une source
Et le capital une bourse
Où tous ont le droit de puiser. »

L’intégralité du texte se trouve derrière <ce lien>

Et Ferrat cite en second « Jean Baptiste Clément » l’inoubliable auteur du « Temps des cerises » :

« Mais il est bien court, le temps des cerises
Où l’on s’en va deux, cueillir en rêvant
Des pendants d’oreilles…
Cerises d’amour aux roses pareilles,
Tombant sous la feuille en gouttes de sang…
Mais il est bien court, le temps des cerises,
Pendants de corail qu’on cueille en rêvant ! »

L’intégralité du texte se trouve derrière <ce lien>

« Le Temps des cerises » est une chanson intimement liée à l’épisode de la Commune dans l’imaginaire de toutes celles et ceux qui restent émus à l’évocation de cette tragédie. Mais cette chanson précède la commune. Les paroles furent écrites en 1866 par Jean Baptiste Clément et la musique composée par Antoine Renard en 1868.

Jean Baptiste Clément écrivit cette chanson en 1866, lors d’un voyage vers la Belgique. Sur la route des Flandres, il fit une halte à Conchy-Saint-Nicaise. Il fit escale dans la maison située près de l’estaminet du lieu-dit de la poste. La maison entourée de cerisiers anciens inspira l’auteur.

Des années plus tard, en 1882, Jean Baptiste Clément ajouta un couplet à sa chanson. Il la dédie à une ambulancière rencontrée lors de la Semaine sanglante, alors qu’il combattait en compagnie d’une vingtaine d’hommes :

« À la vaillante citoyenne Louise, l’ambulancière de la rue de la Fontaine-au-Roi, le dimanche 28 mai 1871. »

À la fin des paroles, il explicite cette dédicace :

« Puisque cette chanson a couru les rues, j’ai tenu à la dédier, à titre de souvenir et de sympathie, à une vaillante fille qui, elle aussi, a couru les rues à une époque où il fallait un grand dévouement et un fier courage ! Le fait suivant est de ceux qu’on n’oublie jamais : Le dimanche, 28 mai 1871 […]. Entre onze heures et midi, nous vîmes venir à nous une jeune fille de vingt à vingt-deux ans qui tenait un panier à la main. […] Malgré notre refus motivé de la garder avec nous, elle insista et ne voulut pas nous quitter. Du reste, cinq minutes plus tard, elle nous était utile. Deux de nos camarades tombaient, frappés, l’un, d’une balle dans l’épaule, l’autre au milieu du front… […] Nous sûmes seulement qu’elle s’appelait Louise et qu’elle était ouvrière. Naturellement, elle devait être avec les révoltés et les las-de-vivre. Qu’est-elle devenue ? A-t-elle été, avec tant d’autres, fusillée par les Versaillais ? N’était-ce pas à cette héroïne obscure que je devais dédier la chanson la plus populaire de toutes celles que contient ce volume ? »

Jean Baptiste Clément est né en 1836, dans une famille aisée à Boulogne-Billancourt.

Il quitte très jeune le foyer. Il exerce divers métiers manuels puis côtoie, à Paris, des journalistes, écrivant dans des journaux socialistes, notamment « Le Cri du peuple » de Jules Vallès, autre communard célèbre.

Après un séjour en Belgique pour se faire oublier de la police impériale il revient à Paris et collabore à divers journaux d’opposition au Second Empire, tels que « La Réforme » de Charles Delescluze important responsable de la Commune mort sur une barricade le 25 mai 1871. Jean Baptiste Clément est condamné pour avoir publié un journal non cautionné par l’empereur. Il est emprisonné jusqu’au soulèvement républicain du 4 septembre 1870. Membre de la Garde nationale, il participe aux différentes journées de contestation du Gouvernement de la Défense nationale le 31 octobre 1870 et le 22 janvier 1871. Le 26 mars 1871, il est élu au Conseil de la Commune par le XVIIIe arrondissement. Il est membre de la commission des Services publics et des Subsistances. Le 16 avril, il est nommé délégué à la fabrication des munitions, puis, le 21, à la commission de l’Enseignement. Il combat sur les barricades pendant la Semaine sanglante.

Et il écrit peu après une autre chanson très célèbre « La Semaine sanglante » :

« On traque, on enchaîne, on fusille
Tout ce qu’on ramasse au hasard :
La mère à côté de sa fille,
L’enfant dans les bras du vieillard.
Les châtiments du drapeau rouge
Sont remplacés par la terreur
De tous les chenapans de bouge,
Valets de rois et d’empereur.

Oui mais…
ça branle dans le manche,
Ces mauvais jours-là finiront.
Et gare à la revanche
Quand tous les pauvres s’y mettront ! »

L’intégralité du texte se trouve derrière <ce lien>

Jean-Baptiste Clément réussit à fuir Paris, gagne la Belgique et se réfugie à Londres, où il poursuit son combat. Il est condamné à mort par contumace en 1874. Pendant cette période de mai 1875 à novembre 1876, il se réfugie clandestinement chez ses parents à Montfermeil. En attendant l’amnistie, prononcée en 1879, il se promène dans les bois et pêche dans les étangs de Montfermeil. Il rentre à Paris après l’amnistie générale de 1880.

En 1885, il fonde le cercle d’études socialiste, l’Étincelle de Charleville et la Fédération socialiste des Ardennes qui participe en 1890 à la création du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire.

Il décède à l’âge de 66 ans le 23 février 1903 et sera inhumé au cimetière du Père-Lachaise.

Toute sa vie il est surveillé par la Sureté Nationale, son dossier aux archives de la Préfecture de Police fait environ 30 cm d’épaisseur. La surveillance de sa mémoire s’est continuée après sa mort, le dernier document du dossier est un programme de cabaret de 1963 organisant une soirée pour les soixante ans de sa mort.

Clément a aussi écrit <LE CAPITAINE « AU-MUR »> :

« — Qu’avez-vous fait ? — Voici deux listes
Avec les noms de cent coquins :
Femmes, enfants de communistes.
Fusillez-moi tous ces gredins !…
— Qu’avez-vous fait ? — Je suis la veuve
D’un officier mort au Bourget…
Eh ! tenez, en voici la preuve :
Regardez, s’il vous plaît…
— Oh ! moi je porte encore
Mon brassard tricolore.
Au mur !
Disait le capitaine,
La bouche pleine
Et buvant dur,
Au mur ! »

L’intégralité du texte se trouve derrière <ce lien>

Les photos de Clément et de Pottier sont l’œuvre de Félix Tournachon, dit « Nadar » qui lui aussi est enterré au cimetière du Père Lachaise,

Il y a encore beaucoup d’autres chansons de la commune.

Vous en trouverez sur cette magnifique page : Les plus belles chansons de la Commune de Paris> il y a d’autres chansons de Pottier, de Clément mais aussi d’Alexis Bouvier, Émile Dereux, Paul Brousse, Jules Jouy

Sur ce même site j’ai trouvé cette page très détaillée et instructive sur les <Mémoires de la Commune de 1871 dans l’Est parisien>

J’ai acheté ce disque de Marc Ogeret : « autour de la commune ».

Splendides interprétations de ces chansons qui ne peuvent que vous faire vibrer.

Beaucoup des chansons évoquées se trouvent sur ce disque mais qui commence par une perle que je ne connaissais pas : « Le Chant des ouvriers »

Et je finirai ce mot du jour sur les chansons autour de la commune comme j’ai commencé avec une offrande de Jean Ferrat « Les cerisiers » dont vous trouverez les paroles derrière <ce lien>. Cette chanson se trouve dans l’avant dernier album de Ferrat « Je ne suis qu’un cri » publié en 1985.

« J’ai souvent pensé c’est loin la vieillesse

Mais tout doucement la vieillesse vient
Petit à petit par délicatesse
Pour ne pas froisser le vieux musicien
Si je suis trompé par sa politesse
Si je crois parfois qu’elle est encore loin
Je voudrais surtout qu’avant m’apparaisse
Ce dont je rêvais quand j’étais gamin

Ah qu’il vienne au moins le temps des cerises
Avant de claquer sur mon tambourin
Avant que j’aie dû boucler mes valises
Et qu’on m’ait poussé dans le dernier train »

<1541>

Mardi 23 mars 2021

«La Commune de 1871 plonge ses racines dans la guerre franco-prussienne.»
Robert Baker

La Commune fut une guerre civile entre français sous l’œil satisfait des prussiens.

La France a connu de nombreuses guerres civiles, des guerres de religion, la guerre entre les nobles et les bourgeois de la révolution française et plus récemment la guerre civile entre résistants et collaborateurs.

La Commune dans l’imaginaire de la Gauche, issue du récit marxiste de cette insurrection, considère que ce fut avant tout une guerre de classes. La commune étant la première tentative de révolution communiste.

Mais les choses n’ont pas été aussi simple.

C’est tout un processus, issu de la défaite de la guerre de 1870 qui va conduire à cette déchirure.

Dans la revue « L’Histoire » de janvier 2021, entièrement consacrée à la Commune de Paris, l’historien Robert Baker essaie de répondre à la question « Pourquoi Paris se soulève le 18 mars 1871 ? »

Il explique d’abord que

« La Commune de 1871 plonge ses racines dans la guerre franco-prussienne. Le 4 septembre 1870, apprenant la défaite deux jours plus tôt de Napoléon III à Sedan, le peuple de Paris envahit le Palais-Bourbon, proclame la république et donne naissance à un gouvernement de la Défense nationale destiné à poursuivre la guerre. Mais les Prussiens sont bientôt aux portes de Paris, ville fortifiée, entourée de remparts depuis les années 1840. Le blocus de la capitale commence le 19 septembre 1870. Dès ce « siège de Paris » prend forme l’idée d’une « Commune ». En effet, tandis que le 7 octobre Gambetta, ministre de l’Intérieur, quitte Paris en ballon pour Tours afin d’y organiser la défense du territoire, le gouvernement provisoire, présidé par le gouverneur militaire de Paris, le général Trochu, et dirigé par les trois « Jules », Favre, Ferry et Simon, avec Ernest Picard, s’attire une critique de plus en plus violente de la part des porte-parole des milieux populaires, qui lui reprochent son inertie et sa modération. A côté de l’armée régulière et de la garde mobile, la principale force de Paris réside dans la Garde nationale, soit environ 200 000 hommes en armes, recrutés et organisés par quartier, élisant ses chefs. Depuis août 1870, ils appartiennent à toutes les classes sociales, et veulent en découdre. »

Mais les autorités et notamment le général Trochu n’autorisent pas la « sortie en masse » et la « guerre à outrance » réclamés par le peuple de Paris.

Elles ont certainement raison, la puissance de l’armée prussienne et de ses alliés ne pouvaient que conduire à une déroute de cette armée, certes de patriotes, mais amateurs.

Ainsi, le germe du conflit n’est pas un combat social, mais le refus de la défaite de la nation.

Après l’annonce de de la capitulation du maréchal Bazaine à Metz, les parisiens les plus engagés vont prendre d’assaut l’Hôtel de Ville, où siège le gouvernement, le 31 octobre 1870. Déjà l’intention est de constituer une Commune avec pour objectif de vaincre l’ennemi.

Ils ne réussiront pas, car il reste à ce moment suffisamment de gardes nationaux « légitimistes » pour défendre et délivrer le gouvernement.

Un nouvel accès de fièvre survient le 22 janvier 1871, quand ces réfractaires apprennent que le ministre des Affaires étrangères Jules Favre est allé à Versailles négocier, au nom du gouvernement provisoire, un armistice avec le chancelier allemand Bismarck.

Bismarck s’est, en effet, installé à Versailles parce que c’est dans la galerie des glaces du château de Versailles que le chancelier de l’Unité allemande va proclamer la création du second empire allemand le 18 janvier 1871.

Ce soulèvement qui aboutira à des morts a encore pour objectif d’éviter la capitulation.

Nouvelle défaite, le 28 janvier 1871 l’armistice est signé : Paris capitule.

Robert Baker précise :

« Les forts sont livrés à l’ennemi ; l’armée doit donner ses armes, à l’exception d’une dizaine de milliers de soldats destinés à assurer la police dans la capitale. Toutefois cet accord n’allait pas jusqu’au désarmement de la Garde nationale. Celle-ci ne dépose pas ses fusils et, surtout, les canons dont elle s’est dotée, une bonne part par souscription, restent entre ses mains. Le 1er mars, avant l’arrivée des Prussiens, les gardes nationaux mettent ces canons en sûreté. […] Tandis que l’indignation populaire est à son comble, on assiste alors à une nouvelle émigration qui suit celle d’avant le siège : 150 000 personnes environ, appartenant aux classes aisées, quittent la capitale. L’évolution sociologique de Paris va s’en ressentir au bénéfice des partisans de la Commune. »

La révolte reste, à ce stade, un refus de la défaite. En revanche, la fuite en deux épisodes avant le siège puis au début des troubles suivant l’armistice, de la bourgeoisie parisienne va modifier l’équilibre politique du peuple de Paris en le portant vers la gauche.

Probablement qu’il y aura à partir de ce moment un ressentiment du peuple populaire parisien à l’égard des « riches » qui acceptent la défaite.

Cependant, il faut savoir que les historiens nous donnent l’assurance que la France ne pouvait plus gagner la guerre en janvier 1871, surtout qu’elle n’arrivait à mobiliser aucun allié contre la Prusse.

Hier, il était question de la commémoration éventuelle de Napoléon Ier. En plus du désastre dans lequel il a mené la France à cause des multiples guerres qu’il a engagées et finalement perdues, il a aussi contribué à asseoir chez les autres nations européennes, l’image d’une France arrogante et guerrière qu’il n’y avait aucune raison à soutenir.

Bismarck a alors exigé, pour pouvoir discuter de la paix avec un gouvernement légitime, que des élections aient lieu.

Ce fut le cas, le 8 février 1871, avec comme résultat la victoire très nette des monarchistes. Mais Paris est profondément républicain : la ville a élu 36 républicains, dont Louis Blanc et Victor Hugo.

Ce Paris républicain craint une restauration.

L’assemblée, elle, se réunit à Bordeaux et Adolphe Thiers devient, à 73 ans, le 16 février, « chef de l’exécutif ».

Robert Baker écrit :

« L’Assemblée de Bordeaux, aux mains des monarchistes, des réactionnaires, de ceux qu’on appellera avec mépris les « ruraux », loin de rendre hommage à la résistance héroïque des Parisiens, manifeste d’emblée sa détestation de la ville patriote et révolutionnaire. »

Paris va s’organiser dans l’hostilité contre le gouvernement Thiers.

Une première organisation a été constituée le 4 septembre 1870 par une majorité de militants de l’Internationale des travailleurs fondée à Londres en 1864.

Une seconde fut constituée après l’armistice : le Comité central de la Garde nationale.

Robert Baker écrit :

« La Garde nationale se politisa fortement après l’armistice. Sa composition sociale avait sensiblement évolué avec le départ, avant et après le siège, des citoyens aisés et amis de l’ordre. […] Le 15 février 1871, […] les délégués de la Garde nationale issus de 18 arrondissements élisent un Comité central de la fédération de la Garde nationale, dont la première intention est d’empêcher toute tentative de désarmement par le gouvernement de Thiers. Dans les jours suivants, les canons acquis par la Garde nationale sont transférés à Montmartre et place des Vosges »

Le terme de fédération donnera naissance au nom de « fédérés ». Le mur du cimetière du père Lachaise devant lequel seront fusillés des communards porte désormais le nom du « mur des fédérés ».

Et dans ce climat de défaite que le gouvernement de Thiers assume et que les parisiens rejettent, la tension va augmenter en raison d’un certain nombre de décisions gouvernementales : J’en cite quelques-unes :

  • Le 15 février, la solde journalière des gardes nationaux (1,50 franc) est remise en question. Pour la toucher, il faudra faire la preuve de son indigence. Pour beaucoup c’est une abolition qui les prive de leurs seules ressources.
  • Le 7 mars, le régime normal du Mont-de-Piété est rétabli, au détriment des démunis qui avaient bénéficié pendant le siège d’un moratoire protégeant leurs objets déposés.
  • Le 10 mars, l’Assemblée prend la décision de transférer le siège du gouvernement à Versailles, à une quinzaine de kilomètres au sud-ouest de Paris. Paris n’est plus la capitale.
  • Le 13 mars, l’Assemblée décide la reprise du paiement des effets de commerce, la fin du moratoire des dettes commerciales qui va causer des faillites en chaîne. On estime à 150 000 le nombre des constats de faillite entre le 13 et le 17 mars.

Robert Baker analyse :

« Du même coup, l’opposition à l’Assemblée et au gouvernement de Thiers n’est plus le monopole des rangs populaires ; c’est la petite et la moyenne bourgeoisie qui sont touchées dans leurs moyens d’existence. Les révolutionnaires, jusque-là minoritaires, vont pouvoir compter sur une majorité de Parisiens des différentes classes sociales, excédés par les décisions prises à Bordeaux, après avoir été indignés par la capitulation. »

C’est donc une révolte qui ne va pas toucher que les masses populaires mais aussi des commerçants, des employés, des instituteurs.

Et …

« Dans la nuit du 17 au 18 mars, les troupes de l’armée régulière commandées par le général Vinoy tentent de reprendre les canons, rangés en plusieurs endroits, principalement à Montmartre. Mais l’opération, mal préparée, traîne en longueur : faire descendre une centaine de canons de la butte Montmartre n’est pas une mince affaire. A l’aube, le samedi 18 mars, quand Paris s’éveille, les canons n’ont pu être évacués, faute d’attelages suffisants. De proche en proche, une véritable journée insurrectionnelle commence, les tambours des fédérés battent le rappel, on entoure les soldats, on leur offre des vivres, on les couve. Le général Lecomte, qui commande les soldats du 88e de ligne, ordonne de faire feu ; les soldats refusent d’obtempérer. »

Et c’est ainsi que la Commune et la guerre civile démarrent.

Clemenceau qui est maire de Montmartre et député de Paris va tenter une médiation et essayer d’apaiser le conflit, mais échouera. Mais on comprend bien que tout au long de ce processus qui va mener à la guerre civile, la première raison du conflit se trouve dans la défaite militaire. Les revendications sociales n’apparaîtront que dans un second temps.

<1540>

Lundi 22 mars 2021

« Oui [il faut commémorer] Napoléon, Non la commune »
Pierre Nora

Le 18 mars 1871, la population parisienne et les gardes nationaux refusèrent de rendre les canons, achetés avec l’argent d’une souscription publique, au gouvernement de la France dirigé par Adolphe Thiers, retranché à Versailles, et qui avait signé un armistice avec la Prusse et ses alliés allemands reconnaissant la défaite de la France, le 26 janvier 1871. Ce premier épisode sanglant constitue le début de cette période insurrectionnelle qu’on appela : « La Commune ».

La commune dura 72 jours, et s’acheva par la « Semaine sanglante » du 21 au 28 mai 1871, pendant laquelle l’armée du gouvernement de Versailles, sous le regard bienveillant des troupes prussiennes qui encerclaient toujours Paris suite à un siège qui débuta en septembre 1870, reprirent Paris, barricade après barricade, en fusillant et massacrant massivement les « communards »

C’était il y a 150 ans.

Le 5 mai 1821, « à 17 heures et 49 minutes », Napoléon Ier meurt à l’âge de 51 ans, sur l’île de Saint Hélène lors de son exil qui a fait suite à sa défaite militaire à Waterloo.

C’était il y a 200 ans.

Dans la France contemporaine qui s’est fait une spécialité des commémorations, ces deux anniversaires posent des problèmes au gouvernement actuel. Et pour une fois la COVID 19 ne joue pas un rôle prépondérant dans ces difficultés.

Pierre Nora, est un historien français important, membre de l’Académie française, connu pour ses travaux sur la composante mémorielle de l’Histoire.

Parmi ses œuvres on cite souvent l’ouvrage collectif qu’il a dirigé : « Les Lieux de mémoire », Gallimard

Il était donc assez rationnel de poser, à ce spécialiste des Mémoires françaises, la question de ces deux commémorations potentielles.

Ce sont Léa Salamé et Nicolas Demorand qui, sur France Inter, se sont chargés de lui poser cette question lors du <Grand entretien du 4 mars 2021>.

Il s’était visiblement prépare à la question puisqu’il a répondu immédiatement qu’il fallait commémorer Napoléon mais pas la Commune.

Il estime que « La polémique est ridicule » : autour de Napoléon.

« [Napoléon] a une dimension tellement historique, qui a eu sur l’Europe une conséquence si positive, il a apporté la révolution dans les pays qu’il a conquis, il a créé les institutions sous lesquelles nous vivons encore à beaucoup d’égard, […] c’est le personnage de l’imaginaire romantique français incarné. ».

Il reconnait cependant qu’il a une face sombre et notamment qu’il a eu tort à partir de 1806 de lancer la France dans la guerre.

Et donc il dit non à la commémoration de la commune :

« Parce qu’elle n’a pas apporté grand-chose ».

Et il ajoute qu’elle a perdu sa portée subversive quand Georges Pompidou est venu s’incliner devant le mur des fédérés en 1971 :

« Le fondé de pouvoir de la banque Rotschild qui venait mettre pied à terre devant les bords de la Commune ça voulait dire que la mémoire ouvrière était morte dans son inspiration révolutionnaire, elle ne faisait plus peur. »

Bref, pour Pierre Nora, la commune n’a pas à être commémoré parce qu’elle fait partie des vaincus de l’Histoire.

Cependant, nous devons quand même constater que Napoléon, malgré son prestige et les 5 cercueils qui entourent son corps sous le dôme des Invalides, fait aussi partie des vaincus de l’Histoire.

Il reste, en effet, l’imaginaire romantique. Mais il ne fait pas partie de ces souverains qui ont rendu leur pays plus fort à la fin de leur règne qu’il ne l’était à leur début.

J’avais évoqué la position que Lionel Jospin développait, à son propos, dans son livre de 2014 lors du mot du jour du <15 avril 2014> et qui portait pour exergue cette phrase de l’ancien premier ministre :

« [Je suis] Intrigué par le contraste entre le bilan de Napoléon, désastreux et la gloire qui s’attache à son nom avec cette récurrence de la tentation bonapartiste en France. »

Je n’ai pas le pouvoir de décider des anniversaires qui doivent être commémorés et de ceux qui n’ont pas cette vocation.

Mais dans les jours qui viennent, je vais parler de la « Commune» parce que je pense que cet épisode de l’Histoire de France mérite qu’on s’y arrête un peu pour l’évocation des évènements mais aussi pour la trace et l’imaginaire que ces 71 jours ont provoqué.

En attendant vous pouvez voir un remarquable film documentaire réalisé par Raphaël Meyssan qui raconte cette histoire autour de gravures d’époque.

Ce film a été diffusé sur ARTE .

Il a pour titre <Les damnés de la Commune>.

Raphael Meyssan d’abord écrit un roman graphique ayant le même titre <Les damnés de la commune en 3 tomes>

Je n’ai pas lu ces livres mais regardé avec beaucoup d’intérêt le résultat filmé de cette démarche.

ARTE présente cette réalisation de la manière suivante ;

« Raphaël Meyssan a adapté les trois tomes de son roman graphique éponyme, pour lequel il avait collecté des centaines de gravures dans les journaux et les livres de l’époque.
De cette patiente quête d’archives − huit ans de recherches −, le graphiste et réalisateur tire un film unique, à l’esthétique et au dispositif étonnants.
La caméra plonge au cœur de ces dessins magnifiques, émouvants et subtilement animés, puis zoome, scrute et caresse pour restituer cette tragique épopée dans le moindre de ses détails en une fresque prodigieuse.
À mi-chemin entre Les misérables de Victor Hugo et les bandes dessinées documentaires de Joe Sacco, Raphaël Meyssan compose, en incluant le récit de Victorine, une jeune révoltée, une narration limpide qui parvient, à destination de tous les publics, à rendre fluide le chaos de la Commune.  ».

<1539>

Lundi 15 février 2021

« Une relation sexuelle avec un enfant n’est jamais négociable. Jamais, Jamais !»
Marie-Pierre Porchy, ancienne juge des enfants

Sidération !

Sidération devant les chiffres.
10% des adultes disent avoir été victimes de viol ou d’agression sexuelle dans l’enfance.

Le collectif féministe contre le viol a élaboré une autre statistique, sur l’ensemble des agressions qui lui sont rapportées chaque année, 30% dénoncent des violences qui ont eu lieu avant les 11 ans de la victime.

Autrement dit : 1 enfant sur 10 est victime de violences sexuelles.

Quand vous êtes devant une classe de 30 enfants, en moyenne il y a 3 victimes.

78% des victimes sont du sexe féminin, ce qui veut dire que pour les filles c’est 1 fille sur 6 qui est victime.

Ces chiffres très sérieux ont été donnés lors de l’émission <les matins de France Culture du 19 janvier 2021> et aussi la Grande Librairie du 13 janvier 2021 dont l’intégralité de l’émission n’est plus en ligne au moment où j’écris mais dont vous trouverez un extrait derrière ce lien < L’inceste, la fin du silence ?>

Ces émissions ont fait suite à la sortie du livre de Camilla Kouchner « La Familia grande » dans lequel, elle dénonçait les agissements de son beau-père, c’est-à-dire le second mari de sa mère, Evelyne Pisier, Olivier Duhamel.

L’invité des Matins de France Culture, Édouard Durand, magistrat, membre du conseil scientifique de l’Observatoire national de l’enfance en danger et ancien membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a confirmé ces chiffres et ajouté

« Ce que l’on sait, c’est que le nombre de victimes de violence sexuelle, dont 60 % d’enfants, en France est effarant. […]  Et que le nombre de condamnation est extrêmement modeste. Et que ce nombre de condamnation a tendance à diminuer. Cela constitue, pour nous au Haut Conseil à l’Égalité, un système d’impunité des agresseurs. »

Le Figaro en se basant sur une étude de l’INED annonce des chiffres encore plus catastrophiques.

L’UNICEF analyse le phénomène sur la planète entière.

Il est difficile de croire ces chiffres.

Pourtant depuis la publication du livre, qui a été comme un électrochoc, des paroles se sont libérées. Et parmi celles et ceux qu’on connaît, il y en eut qui ont dit « moi aussi ».

Révélant ainsi plus justement la part de l’iceberg qui était caché à notre vue.

Et souvent, elles ou ils avaient parlé mais on ne les a pas cru.

On n’a pas cru à la parole des enfants. Mais comme le rapporte Edouard Durand, nous savons maintenant qu’il y a tant de crimes impunis dans ce domaine, que c’est en n’écoutant pas la parole des enfants, en ne la prenant pas en compte que le risque de commettre l’injustice est le plus élevé.

Indécence !

J’ai lu de ci de là et je me suis même disputé sur les réseaux sociaux avec des adeptes de cette thèse que Camilla Kouchner aurait écrit ce livre à un moment où les faits sont prescrits uniquement pour gagner de l’argent. Parce qu’étant donné les familles concernées, la réputation de l’accusé et l’emballement médiatique, le livre se vendrait très bien.

François Busnel a interviewé Camilla Kouchner, dans l’émission précitée et dont il existe un extrait de l’entretien <Ici>. Cet échange montre, si cela était nécessaire, la souffrance et la déchirure que l’inceste a constitué pour la fratrie et pour toute la famille.

Bien sûr, le fait que le père de la victime soit Bernard Kouchner, que l’accusé soit Olivier Duhamel , que la mère soit Evelyne Pisier et la tante Marie-France Pisier ne peut qu’avoir un écho médiatique et assurer une promotion du livre.

Mais comme le mouvement qui l’a suivi le montre, c’est parce que Camilla Kouchner a accepté ou plutôt a senti la nécessité de mettre cette affaire sur la place publique, qu’il a été possible de consacrer autant de temps à ce qu’Edouard Durand appelle « un crime généalogique » et que tant d’autres victimes ont cru possible de dévoiler leur vérité et rendre d’autant plus crédible à nos yeux l’ampleur de ce crime fait à l’enfance, à l’enfant qui est une personne vulnérable.

Et puis Guillaume Erner pose la bonne question :

« Si ce genre de livre existe, c’est parce que la justice ne passe pas comme elle devrait passer ?  »

La réponse du magistrat est sans nuance :

« Oui, bien sûr. Le Haut conseil à l’égalité, et particulièrement la Commission violences alerte les pouvoirs publics sur la nécessité de modifier la loi pour que les enfants soient mieux protégés contre les violences sexuelles et contre toutes les formes de violences.

Et que particulièrement la procédure judiciaire parvienne à mieux prendre en compte la souffrance des enfants pour interrompre le cycle de la violence. »

Colère !

Colère contre Alain Finkielkraut et tous ses semblables qui osent évoquer dans cette affaire d’inceste la question du consentement.

Il a beau avoir condamné l’acte d’Olivier Duhamel, il n’avait pas de «consentement» ou de «réciprocité» à évoquer.

Il s’agit d’autorité, d’emprise il ne peut être question de consentement.

C’est justement cette confusion, dans laquelle on prétend que dans une telle situation il est possible d’aller chercher le consentement de l’enfant, qu’il y a l’acceptation de l’inacceptable.

Dans la deuxième partie de la Grande Librairie du 13 janvier dont vous pouvez voir <ici> un extrait déjà cité, François Busnel avait invité :

  • Muriel Salmona qui est la présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie et qui a publié « Livre noir des violences sexuelles », aux éditions Dunod.
  • Marie-Pierre Porchy qui a été juge des enfants et qui est aujourd’hui retraitée. Elle avait publié en 2003, « Les silences de la loi »

Et aussi le philosophe Marc Crépon auteur de « La société à l’épreuve des affaires de mœurs. ».

Pour Marie-Pierre Porchy, dans un inceste : « Le consentement d’un enfant cela n’existe pas »

Et elle précise que judiciairement :

« Tout reste régi par une Loi qui oblige à démontrer, « violence, menace contrainte surprise ».

Ce qui a pour conséquence, en pratique, le plus souvent d’obliger l’enfant à démontrer le non consentement.

Or elle pose cette règle avec laquelle pour ma part je suis totalement en accord :

« Une relation sexuelle avec un enfant n’est jamais négociable. Jamais, Jamais ! »

Le père d’Albert Camus disait :  « Un homme ça s’empêche »

Dans le journal du dimanche la même Marie-Pierre Porchy dit :

« La loi demande à l’enfant victime d’inceste en quoi il était contraint, alors qu’il exécute ce qu’on lui demande simplement parce que c’est un enfant. Il ne dit ni oui ni non, mais il monte dans la chambre… Il faut éliminer cette notion de consentement pour que les enfants puissent se réparer dans le cadre de l’action judiciaire. L’agresseur, quand il reconnaît les faits, rejette en général la responsabilité sur la victime, qui se sent coupable de n’avoir pas dit non. Cette dynamique judiciaire perverse vient anéantir tout travail de reconstruction psychologique. Il faut tout revoir dans la loi, pas seulement un petit article sur les viols, et faire évoluer nos pratiques. »

Et je finirai pour ce premier mot du jour consacré au crime générationnel par l’incompréhension de l’auteure des « silences de la Loi » exprimée dans l’émission de la Grande Librairie

« Je ne comprends pas qu’aujourd’hui on ne peut pas arriver à écrire [dans la Loi] : une relation sexuelle avec un enfant est puni de … »

<1525>

Lundi 7 décembre 2020

« Tous les mots du jour sur De Gaulle que je n’écrirai pas. »
Un acte manqué mais écrit

L’année 2020 restera probablement dans l’Histoire comme celle où une grande partie de l’Humanité, pour lutter contre une pandémie, a fait appel à cette technique archaïque du confinement.

Ce confinement et la Covid19 auront beaucoup occupé notre temps de cerveau disponible et peut être même un peu plus…

Dans mon écriture du mot du jour, je n’ai pas échappé à cette pente qui a consisté à accorder une grande place à ces sujets.

Or, 2020 est proche de son terme et elle est aussi une année de trois grands anniversaires que je cite dans l’ordre chronologique inverse :

  • Le 60ème anniversaire de la mort d’Albert Camus
  • Le 130ème anniversaire de la naissance de Charles de Gaulle, mais aussi le 80ème anniversaire de l’appel du 18 juin et encore le 50ème anniversaire de sa mort.
  • Le 250ème anniversaire de la naissance de Ludwig van Beethoven

Je voulais consacrer une série de mots du jour à chacun de ces 3 grands hommes.

Régis Debray dit souvent :

« La culture, c’est le culte de nos grands morts »

La série sur Camus a été écrite. Mais je n’ai pas la possibilité et l’énergie d’écrire deux autres séries, d’ici la fin de l’année.

Il faut donc faire un choix. Ce choix sera d’écarter celui qui occupe une place de centriste, dans l’énumération chronologique citée ci-dessus.

Mais je vais quand même, sans développer, citer quelques questions que j’aurais aimé poser et certaines réflexions qui me viennent parfois, à l’écoute de certains propos d’hommes politiques ou de commentateurs.

Car en effet, quand on écoute aujourd’hui les représentants de tout l’échiquier politique, tous se réclament de l’héritage de De Gaulle et surtout on a l’impression que sous sa présidence nous vivions un âge d’or et dans un monde où tout n’était qu’ordre, luxe et volupté.

Il ne s’agit pas de contester la dimension historique de Charles De Gaulle et son rôle positif et éminent pour la France et encore ses qualités d’homme D’État.

Mais il s’agit de s’interroger si on n’en fait pas un peu trop ?

Et une autre question : Est-ce que vraiment vous auriez envie, si la possibilité technique était à votre portée, de revenir vivre dans la France de De Gaulle ?

J’aurais fait appel à Jacques Julliard pour reconnaître que «De Gaulle était un génie de l’incarnation», incarnation de l’État et de la France.

J’aurais beaucoup utilisé des chroniques de Thomas Legrand sur France Inter et La Croix, pour approfondir certains sujets :

Et soit j’aurais nuancé le propos de Julliard ou j’aurais écrit un autre mot du jour sur cette autre réalité :  «  De Gaulle et l’incarnation… le drame de ses successeurs »

Il aurait alors fallu, entre autres questions, reparler de ces institutions de la Vème république qui avait été faites pour De Gaulle. Le pouvoir disproportionné d’un seul homme en est le fruit. Encore faut-il se rappeler que De Gaulle avait institué, en quelque sorte, le référendum révocatoire. Il considérait que le Président de la République avait un lien fort et particulier avec le peuple qui pouvait justifier ce pouvoir. C’est pour cela qu’il a imposé la réforme de l’élection au suffrage universel du président. Mais dans l’esprit et dans la pratique de De Gaulle, il était nécessaire de retourner régulièrement devant le peuple, entre les élections, par la voie du référendum pour s’assurer que ce lien particulier existait toujours et en cas de désaveu, il fallait partir. C’est qu’il a fait.

Aucun de ses successeurs n’a eu ce cran.

Certains diront que cette manière de pratiquer le référendum n’est pas sain parce qu’il le pousse vers le plébiscite. C’est vrai, mais le pouvoir excessif du président de la république n’est pas sain non plus et le référendum révocatoire donnait au moins la possibilité de mettre fin au mandat quand le peuple n’avait plus confiance en son monarque républicain.

Un autre sujet qui me tient à cœur c’est que De Gaulle fut un des premiers adepte des fake news, ou pour parler français des infox.

Thomas Legrand parle de « Mythes et de mensonges de De Gaulle »

Parce que quand même il a prétendu que :

  • La France n’avait pas perdu la guerre en 1940
  • Qu’elle l’avait gagnée en 1945
  • Que la France était uniformément résistante sauf quelques cas très marginaux
  • Que le Régime de Vichy n’a jamais représenté la France
  • Que la France est restée une des grandes Nations qui influence les affaires du monde

C’est ce qui s’appelle un récit, en l’occurrence le récit gaulliste. Le récit comme pour les religions, n’a qu’un rapport ténu avec la réalité et la vérité mais constitue le fondement de la croyance. Or la croyance est essentielle pour que la société tienne ensemble. Le récit permet de croire à quelque chose qui nous dépasse et nous survit.

La revue « L’Histoire » avait aussi écrit sur ce sujet : « Le mensonge patriotique » qui permettra par ce fameux récit à ce que la France ne tombe pas dans la guerre civile à la sortie de la guerre.

A côté de ces mythes, il y a les mensonges comme celle de ‘Algérie Française et le fameux : « Je vous ai compris ».

J’aurais aussi souhaité m’interroger sur les sujets :

  • « De Gaulle et la liberté de l’information »

La presse écrite était à peu près libre, en revanche les sources principales d’information du plus grand nombre de français : la télévision et la radio étaient sévèrement encadrés. Il existait un ministre de l’Information. Les titres du journal de 20 heures étaient envoyés à ce ministre avant diffusion. Les membres de l’opposition n’étaient jamais invité à la télévision sauf pendant les campagnes électorales. Il faut se rappeler que la radio faisait partie de l’ORTF, c’est-à-dire de la même maison que la télévision et ne jouissait également que d’une liberté surveillée. Aucune radio privée ne pouvait émettre sur le sol français. D’où la notion de radio périphérique qui est une station de radio que l’on pouvait écouter en France jusqu’en 1981, mais dont l’émetteur ne se trouvait pas sur le sol français. On peut citer, parmi les plus connues, Europe 1, RTL et RMC, respectivement basées en Allemagne de l’Ouest, au Luxembourg et à Monaco.

  • « De Gaulle et la société française : le culte du chef, de la hiérarchie et du paternalisme »

C’était aussi une société bien plus machiste qu’aujourd’hui et en tout cas très corsetée. Mai 68 n’est pas sorti de nulle part, mais d’une société qui était devenu assez invivable pour de jeunes énergies et épris de liberté de mœurs, d’information.

Il y aurait aussi eu des réflexions sur « la corruption » à cette époque. On vante toujours l’honnêteté de Gaulle et très probablement à juste titre. Mais ce n’était pas le cas de plusieurs personnes de son entourage.

Et dans ce cadre il aurait fallu parler du « Service d’action civique » connu sous l’acronyme « SAC »

  • « De Gaulle et l’économie »

Dans ce domaine il eut fallu parler du PLAN, de la politique industrielle, de l’idée de la participation et aussi « que la politique de la France ne se faisait pas à la corbeille »

Et tant d’autres sujets qui serait venu au cours de l’écriture, le rapport compliqué avec les États-Unis et la Grande Bretagne, la réconciliation avec l’Allemagne, la décolonisation….

Voici la liste des articles de « La Croix » dans lesquels j’aurais puisés :

De Gaulle, un récit hors du commun – Aujourd’hui, la construction du mythe. De Gaulle, le mythe français (1/8)

De Gaulle : la participation, une timide troisième voie – Aujourd’hui, « la question sociale ». De Gaulle, le mythe français (2/8)

De Gaulle, le catholique – Aujourd’hui, sa foi, entretenue comme un jardin secret. De Gaulle, le mythe français (3/8)

De Gaulle et le Volatile – Aujourd’hui, ses prises de bec avec « Le Canard enchaîné ». De Gaulle, le mythe français (4/8)

De Gaulle… même Le Pen ! – Aujourd’hui, l’hommage opportuniste rendu par Marine Le Pen. De Gaulle, le mythe français (5/8)

De Gaulle et l’incarnation… le drame de ses successeurs…- Aujourd’hui, l’incarnation de la France. De Gaulle, le mythe français (6/8)

Les mythes (et mensonges) du général – Aujourd’hui, des coups de bluff magistraux. De Gaulle, le mythe français (7/8)

De Gaulle, l’homme qui pouvait – Aujourd’hui, la nostalgie d’un président en pleine puissance. De Gaulle, le mythe français (8/8)

Et puis les émissions de Thomas Legrand sur France Inter :

https://www.franceinter.fr/emissions/de-gaulle-2020/archives-27-06-2020-24-08-2020

La liste des émissions

En tout cas, pour moi la réponse à la question posée au début est claire : je ne souhaiterais pas revenir à l’époque de De Gaulle, et je trouve assez vain de vouloir aujourd’hui se réclamer du Gaullisme dans un monde qui a si profondément changé.

Le personnage et le rôle de De Gaulle reste dans l’Histoire absolument considérable et je reviendrai vers le livre de Daniel Cordier « Alias Caracalla » qui montre un homme exceptionnel face à des défis qui semblaient hors de portée et qu’il a surmonté grâce à sa force intérieure et son amour pour la France.

<1503>

Jeudi 26 novembre 2020

« Il y a des êtres qui justifient le monde, qui aident à vivre par leur seule présence. »
Albert Camus, « Le premier homme », Page 39

Et je finirai cette série de mots du jour sur Albert Camus en tirant, une dernière fois, « une pépite » du « premier homme ».

Elle s’adresse à de rares homo sapiens, Albert Camus est probablement l’un d’eux.

Cette phrase est extraite du chapitre 3 : « St Brieuc et Malan (J. G.) » et qui dans le manuscrit était accompagné de cette annotation : « chapitre à écrire et à supprimer. »

Jacques Cormery visite son vieil ami et maître Victor Malan, et dîne avec lui.

Cet épisode suit la découverte par Cormery de la tombe de son père dans le carré militaire de Saint Brieuc.

Dans la vraie vie Victor Malan, est probablement Jean Grenier. A dix-sept ans, élève au lycée d’Alger, Albert Camus eut comme professeur de philosophie Jean Grenier qui le poussera à l’écriture. Camus lui dédiera son premier livre : « L’envers et l’endroit. ».

Ils devinrent amis et entreprirent une correspondance qui a été publiée. Jean Grenier consacrera un livre à son ancien élève après sa mort, en 1968  : « Albert Camus, souvenirs »

Il lui parle de sa quête de recherche du père. Malan est plutôt dubitatif et lui objecte la difficulté de connaître même nos proches.

Jacques déclare son amitié à Malan

« Parce que je vous aime, dit calmement Cormery
Malan tira vers lui le saladier de fruits rafraichis et ne répondit rien
– Parce que, continua Cormery, lorsque j’étais très jeune, très sot et très seul, vous vous êtes tourné vers moi, et vous m’avez ouvert sans y paraître les portes de tout ce que j’aime en ce monde.
– Oh ! Vous êtes doué.
– Certainement. Mais aux plus doués il faut un initiateur. Celui que la vie un jour met sur votre chemin, celui-là doit être pour toujours aimé et respecté, même s’il n’est pas responsable. C’est là ma foi ! »
Page 38

Et un peu plus loin, ils entament une discussion sur la vie et la mort qui se conclut ainsi :

« – Il y a des êtres qui justifient le monde, qui aident à vivre par leur seule présence (Cormery)
– Oui, et ils meurent. (Malan)
Pendant leur silence, le vent souffla un peu plus fort autour de la maison. »
Page 39

Je ne sais pas à qui s’adresse cette phrase. A son ami ? à son père ? à d’autres ?

Mais je crois qu’on peut aujourd’hui la reprendre pour Albert Camus.

Jean Daniel qui était aussi ami de Camus a écrit :

« Reste que l’influence de Camus a été considérable mais que c’est pourtant aujourd’hui seulement que l’on en voit les traces. Le combat contre l’absolu, la révolte à l’échelle humaine, l’acceptation que l’homme doit faire son métier d’homme sans certitude de réussite et sans promesse de salut sont des idées qui nourrissent plus ou moins directement les œuvres de nombre de penseurs et d’essayistes de tous pays. »

Michel Onfray qui a écrit des ouvrages sur Sartre, Freud et Camus donne le jugement suivant dans un article d’un journal canadien <La Presse.CA> :

« Je tiens pour une impossibilité de séparer la vie et l’œuvre, la pensée et l’existence. Une philosophie ne m’intéresse que si le philosophe a tâché de la vivre et ne s’est pas contenté de rêver sa pensée. L’histoire de la philosophie est pleine de faussaires qui ont enseigné une chose et pratiqué l’inverse… […] De fait, si l’on tire le fil de la pelote Freud ou Sartre, par exemple, on ne trouve que des occasions de déception tant la création de leur légende par ces gens assoiffés de célébrité a conduit leur vie et leur œuvre. Avec Camus, on découvre une même cohérence, mais dans le sens inverse : la fidélité aux gens modestes, aux sans-voix qui constituent son milieu familial. Rien ne permet de prendre Camus en défaut de droiture, de moralité, de rectitude, pas un seul faux-pas, nulle bassesse… Catherine Camus, sa fille, me rapporte que de temps en temps, elle découvre encore des histoires concernant son père : toutes vont dans le même sens : une grandeur modeste, une discrétion vraie, une pudeur certaine. Camus a fait beaucoup de belles choses dont il ne s’est jamais vanté – aider concrètement des gens dans le besoin, intervenir pour libérer des prisonniers, solliciter des demandes de grâce pour une centaine de condamnés à mort du FLN par exemple […]

dire de Camus qu’il eut un trajet impeccable pendant la guerre, qu’il cherche à s’engager à deux reprises en 1939, qu’on le refuse parce qu’il est tuberculeux, qu’à Oran, il donne des cours à des enfants juifs privés de scolarité par le régime de Vichy, qu’il entre en résistance, rédige les Lettres à un ami allemand, publie des textes dans de revues clandestines, travaille à La peste, grand roman antifasciste, dirige Combat, journal clandestin, y écrit […]. Sartre n’a pas lutté contre les fascismes européens, il a légitimé tous les fascismes de gauche jusqu’à sa mort, Camus a combattu contre toutes les formes prises par la peine de mort. On peut préférer l’un à l’autre en dehors de toute détestation ou vénération … »

Et en conclusion je donnerai la parole à André Brink, l’auteur sud-africain, grande figure de la lutte contre l’apartheid et proche de Nelson Mandela a écrit :

« Camus le juste […]

Camus a fourni une définition du « héros » de notre temps à laquelle toute une génération a pu s’identifier de par le monde, de James Dean à Vladimir et Estragon, et de Vaclav Havel et Lech Walesa à Barack Obama : non pas l’homme qui conquiert ou qui triomphe, mais celui qui persiste. Yes, we can.

Il n’est pas étonnant que le « révolté » de Camus définisse sa conception de la dignité humaine, et des droits de l’homme : « Je me révolte, donc nous sommes. » Dans un monde qui a connu Auschwitz et le Rwanda, la Somalie et la Birmanie, « l’Homme révolté » est devenu une figure plus emblématique encore qu’à l’époque où Camus en brossa le portrait. La révolte d’une poignée de jeunes gens « égarés » dans « les Justes» finira par conduire à la chute des tsars ; et ironiquement – absurdement – leur chute rendra inévitable celle de leurs successeurs, partout dans le monde.

J’ai vu le carrefour de Sarajevo où fut assassiné l’archiduc François-Ferdinand. J’ai contemplé les ruines du mur de Berlin. J’ai vu Mandela, la tête haute, sortir de prison. Et je sais que chaque fois c’est une nouvelle fin, un nouveau commencement. Rien n’est jamais définitif. Mais cela ne saurait nous retenir d’exiger toujours plus. Camus est encore parmi nous.

A la fin des « Justes » figure un bref épisode qui est à mes yeux le plus grand moment de la pièce : Stepan – Stepan le dur, le pragmatique, l’impitoyable ! – raconte à Dora – Dora la douce, la féminine, l’émotive – les derniers instants de Yanek avant sa pendaison. Il est resté absolument immobile tandis qu’on lui lisait son arrêt de mort, à l’exception d’un geste infime: «Une fois seulement, il a secoué sa jambe pour enlever un peu de boue qui tachait sa chaussure.» Que peut-on imaginer de plus insignifiant, de plus dérisoire, de plus absurde ?

Et pourtant, c’est en débarrassant le monde d’une infime tache de boue, puis d’une autre, que l’on peut prouver que les hommes ne sont pas faits pour être souillés. Et que le monde n’est pas censé être un lieu de poussière et de boue, mais de pureté et de lumière.

Voilà pourquoi, dans ce monde sali, Camus nous demeure aussi indispensable qu’il le fut de son vivant.»

Il y a des êtres qui justifient le monde, qui aident à vivre par leur seule présence.

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