Vendredi 9 avril 2021

« La Commune, c’était la joie, la fête : pour la première fois, ils ne sont plus la vile multitude mais enfin des êtres humains, libres, beaucoup vont vivre cette liberté et cette joie jusqu’à se faire tuer. »
Michèle Audin

Quand on parle des versaillais, c’est-à-dire le gouvernement officiel de la France qui s’est retiré dans la capitale monarchique de Louis XIV, il n’y a pas d’ambigüité sur le chef : c’est Adolphe Thiers. On peut décrire le rôle des hommes qui l’entourent notamment les 3 Jules  : Favre, Ferry et Grévy. Il y a aussi le Maréchal Patrice de Mac Mahon, duc de Magenta depuis qu’il s’était illustré lors de la bataille de Magenta. Il fut à côté de Napoléon III, le chef de l’armée qui a subi la piteuse défaite de Sedan. Mais il put s’illustrer, à nouveau, comme le vainqueur pathétique et sordide de la …reconquête de Paris ? par les versaillais. Il succéda comme président de la République à Adolphe Thiers avec l’espoir de rétablir la monarchie. Il présida du 24 mai 1873 au 30 janvier 1879. Il ne put remplir son objectif. La 3ème République, profitant des divisions entre les monarchistes et aussi des victoires électorales de ses partisans, s’imposa. L’un des 3 Jules devint président, ce fut Grévy.

Du côté de la Commune rien de tel. Il n’est pas possible de désigner un chef.

La revue « L’Histoire » a tenté de synthétiser le gouvernement de la commune par cette planche :


Dans cette représentation, Charles Delescluze est présenté comme le chef de file, mais certainement pas comme le chef de la Commune.

Karl Marx a affirmé que le chef qui a manqué à la Commune fut Auguste Blanqui (1805-1881). Il est représenté ci-dessus, mais il ne put participer à la Commune, car Adolphe Thiers en fin stratège le fit arrêter le 17 mars 1871.

<Wikipedia> raconte :

« Adolphe Thiers, chef du gouvernement, conscient de l’influence de Blanqui sur le mouvement social parisien, le fait arrêter le 17 mars 1871 alors que, malade, il se repose chez un ami médecin à Bretenoux, dans le Lot. Il est conduit à l’hôpital de Figeac, et de là à Cahors. Il ne peut participer aux événements de la Commune de Paris, déclenchée le 18 mars, insurrection contre le gouvernement de Thiers et contre les envahisseurs prussiens à laquelle participent beaucoup de blanquistes. Il ne peut communiquer avec personne, semble-t-il, et même pas être mis au courant des événements se tramant. ».

Après, l’écrasement de la Commune, il est ramené à Paris et jugé le 15 février 1872, et condamné, pour ses agissements antérieurs au 18 mars 1871, à la déportation, peine commuée en détention perpétuelle, eu égard à son état de santé. Pour se défendre, Blanqui a dit au juge :

« Je représente ici la République, traînée à la barre de votre tribunal par la monarchie. M. le commissaire du gouvernement a condamné la Révolution de 1789, celle de 1830, celle de 1848 et celle du 4 septembre [1870] : c’est au nom des idées monarchiques, du droit ancien en opposition au droit nouveau, comme il dit, que je suis jugé et que, sous la république, je vais être condamné ».

Il est interné à Clairvaux. Il est terriblement malade (œdème du cœur) en 1877 mais, malgré les pronostics médicaux, il parvient à survivre. Il sera tout au long de ces années défendu par Clemenceau. Il sera libéré quelques mois avant sa mort.

L’Histoire lui donnera le surnom de « l’enfermé », tant il passa d’années de sa vie en prison.

Il s’insurgea contre tous les pouvoirs Charles X, Louis Philippe, les républicains de IIème république, Napoléon III et aussi la République bourgeoise née après la défaite de Sedan.

Wikipedia cite sa défense lors du procès en Cour d’Assises en 1832

« Oui, Messieurs, c’est la guerre entre les riches et les pauvres : les riches l’ont voulu ainsi ; ils sont en effet les agresseurs. Seulement ils considèrent comme une action néfaste le fait que les pauvres opposent une résistance. Ils diraient volontiers, en parlant du peuple : cet animal est si féroce qu’il se défend quand il est attaqué. »

Louis Auguste Blanqui, est fondamentalement un révolutionnaire socialiste qui entend changer la société par l’insurrection et la violence. Il défend, pour l’essentiel, les mêmes idées que le mouvement socialiste du XIXe siècle et fait partie des socialistes non-marxistes. L’historien Michel Winock le classe comme l’un des fondateurs de l’extrême gauche française, qui s’oppose aux élections démocratiques, les considérant comme « bourgeoises », et qui aspire à l’« égalité sociale réelle ».

Je ne pense pas que s’il avait été à la tête de la Commune, le destin de ce mouvement aurait été modifié tant le déséquilibre des forces armées était en défaveur du mouvement. Sans compter qu’autour de Paris, la puissante armée prussienne était prête à bondir si cet exemple délétère d’une « révolution rouge » pour la quiétude du IIème Reich devait se développer sous ses yeux. Bismarck avait d’ailleurs proposé son aide à Thiers qui l’a prudemment écarté. Il valait mieux pour la suite que ce fusse des français qui massacrent d’autres français.

Dans la typologie avancée par « L’Histoire » les jacobins sont majoritaires. Ce sont ceux qui se réfèrent à la grande révolution et plutôt à la figure de Robespierre. Quand les choses iront au plus mal, ils créeront un Comité de Salut Public, comme celui créé en 1793 par la Convention. Cette décision créera une nette césure à l’intérieur des communards, les internationalistes s’y opposant. Les communards se diviseront alors en « majoritaires » et en « minoritaires ». Ce <Comité de Salut Public de 1871> composé de 5 membres est mis en place le 1er mai 1871. Malgré la courte durée avant l’écrasement, ce comité changera plusieurs fois de membres. Il n’aura aucune prise sur les évènements et ne sera d’aucune efficacité.

Les internationalistes ne sont pas homogènes non plus. D’ailleurs l’Internationale va exclure les anarchistes fidèles à Bakounine, peu de temps après.

Les communards sont ainsi divisés en courants de pensée qui divergeront beaucoup.

Mais ce qui est extraordinaire dans ce mouvement c’est la vitalité des échanges et de la discussion qui va animer le peuple de Paris dans son ensemble. Je veux dire le Peuple de Paris qui adhère à la Commune. Parce que tous les parisiens qui vivaient dans Paris pendant les mois de mars à mai 1871, n’étaient pas favorables à la commune. Et cela s’est vu après la semaine sanglante. La foule haineuse qui a torturé et assassiné Eugène Varlin ne venait pas seulement de Versailles, il y avait aussi des gens de Paris.

Mais celles et ceux qui croyaient en la Commune, se réunissaient, discutaient et refaisaient le monde.

Et notamment les femmes qui étaient entrées dans ce combat pleines d’espoir. La commune a répondu à certains de ces espoirs même si les femmes restaient exclues des élections et du pouvoir.

Cette parole libérée va se tenir dans le cadre de très nombreux clubs. <Ce site> essaie de dresser la liste des clubs de cette période.

Beaucoup de réunions se déroulaient dans les églises, parce que c’était des endroits propices pour réunir beaucoup de monde et pour parler.

J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt ce dialogue entre un membre de la fondation Jean Jaurès et l’historien Quentin Deluermoz à propos de de son dernier ouvrage « Commune(s) 1870-1871. Une traversée des mondes au XIXe siècle » (Seuil, 2020).

<Cet article> revient aussi assez longuement sur cet ouvrage.

La vision que Quentin Deluermoz développe est justement de se décaler par rapport aux principaux acteurs connus de la Commune pour examiner ce mouvement à travers trois prismes.

D’abord en le comparant à d’autres mouvements communaux qui l’ont précédé, comme par exemple la révolte des canuts à Lyon ou dans d’autres pays ou qui ont eu lieu, en même temps dans d’autres communes de France.

Pour finir, il étudie aussi les conséquences françaises et mondiales de La commune.

Mais le point central qui m’a particulièrement intéressé, c’est son analyse qu’il qualifie « au ras du sol ». Dans cette étude il va consulter les archives, des journaux intimes, des récits contemporains, des procès-verbaux de la Police ou de la Justice.

Ce qu’il tient à éviter, c’est les récits ultérieurs qui racontent les évènements à travers le filtre des dogmes qui sont apparus par la suite ou le filtre de souvenirs fantasmés ou simplement transformés par le temps.

Et puis ce qui l’intéresse c’est ce que « les communeux » et « les communeuses » ont vécu au cours de ces 72 jours.

Oui ! parce que les participants à ce mouvement se donnaient le nom de « communeux ». Ce sont leurs ennemis, les versaillais, qui leur ont donné le nom qu’ils voulaient péjoratif de « communards » qui rime avec bâtard, mouchard, cafard et d’autres termes aussi peu aimables. Ils ont finalement accepté de se désigner par ce mot, probablement par défi et fierté face à leurs ennemis.

Et ce que Quentin Deluermoz révèle à travers son analyse « au ras du sol », est la formidable vitalité des organisations de quartier qui tentent de trouver des solutions concrètes aux problèmes des parisiens modestes ou pauvres, de faire face à la situation de conflit et de pénurie qui perdure depuis le siège par les allemands  commencé en septembre 1870 puis l’attaque des versaillais, tout en refaisant le monde.

Dans un des entretiens qu’elle a accordé pour parler d’Eugène Varlin, Michèle Audin a eu cette réflexion sur la Commune

« Je ne sais pas ce qu’est « la » pensée communarde. Celle de Ferré ? Celle de Delescluze ? Celle de Frankel ? Celle de Theisz ? Ou encore celle de Nathalie Lemel, engagée dans la lutte avec l’Union des femmes ?
Ce qui rend l’histoire de la Commune passionnante, c’est toute cette diversité de pensées communardes.
De mon point de vue, le plus intéressant, c’est ce qui se dit dans les clubs – je pense notamment au Club Ambroise et à son journal Le Prolétaire. On y souhaite voir les élus venir écouter le peuple et lui rendre compte : la souveraineté populaire ne se délègue pas, le peuple est las des sauveurs, on trouve que les agents de la Commune sont trop payés, que les journalistes font trop de phrases, qu’ils veulent encadrer le peuple, on proteste contre la nomination des officiers par les autorités militaires de la Commune (tous les responsables doivent être élus)… C’est le « sous-comité » dont ce club est issu qui a brûlé la guillotine, un acte symbolique – au moment même où la Commune vote un décret qui prévoyait la possible exécution d’otages. Le développement des idées a été beaucoup étudié, notamment autour du centenaire de la Commune en 1971, en un temps où l’importance des partis communiste et socialiste faisait de l’héritage de la Commune un enjeu politique, mais on a peut-être un peu négligé ce qui se passait dans la vie et dans la tête des Parisiens engagés dans le mouvement.
La Commune, c’était la joie, la fête : pour la première fois, ils ne sont plus la vile multitude mais enfin des êtres humains, libres, beaucoup vont vivre cette liberté et cette joie jusqu’à se faire tuer. »

Un moment d’échange, de solidarité et d’invention pendant lequel, pendant 72 jours des gens simples, ont cru pouvoir devenir maître de leur vie et inventer un autre monde.

C’était cela aussi La Commune.

<1550>

Jeudi 8 avril 2021

« Tant qu’un homme pourra mourir de faim à la porte d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines. »
Eugène Varlin
Je m’aperçois, en cheminant dans cette série, que je ne connaissais vraiment pas grand-chose à la Commune.

Quand je m’empare d’un sujet et que j’essaie de l’approfondir un peu, je fais des rencontres.

Et dans mes rencontres avec les femmes et les hommes du passé qui ont fait la Commune, Eugène Varlin occupe une place particulière, comme celle d’un juste. Un juste qui est mort en martyr.

Hippolyte Lissagaray qui participa au combat de la commune mais qui est surtout connu comme le premier historien de la Commune puisqu’il écrivit une <Histoire de la Commune de 1871> dès 1876 disait d’Eugène Varlin que

« Toute sa vie est un exemple »

Quand on parle de lui, on dit « Eugène Varlin, l’ouvrier relieur ». C’est le titre du livre que Michèle Audin, la fille du mathématicien Maurice Audin, déjà évoquée lors du mot du jour du 26 mars, qu’elle lui a consacré.
Ce livre n’est pas une biographie mais le recueil de tous ses écrits retrouvés à ce jour : articles, proclamations, lettres.

Parmi ces textes, on cite souvent cette vision de la société dont j’ai extrait l’exergue :

« Consultez l’histoire et vous verrez que tout peuple comme toute organisation sociale qui se sont prévalus d’une injustice et n’ont pas voulu entendre la voix de l’austère équité sont entrés en décomposition ; c’est là ce qui nous console, dans notre temps de luxe et de misère, d’autorité et d’esclavage, d’ignorance et d’abaissement des caractères, de pervertissement du sens moral et de marasme, de pouvoir déduire des enseignements du passé que tant qu’un homme pourra mourir de faim à la porte d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines. »

Varlin est né en 1839 dans une famille de paysans pauvres de Claye-Souilly (Seine-et-Marne). Il va à l’école jusqu’à l’âge de 13 ans, puis fait un apprentissage à Paris où il devient ouvrier relieur. Il suit des cours du soir, participe aux premières grèves autorisées en 1864, devient membre et rapidement responsable de la toute jeune Association internationale des travailleurs (AIT), ce qui lui vaut trois mois de prison en 1868. Il mène une inlassable activité d’organisation des ouvriers à Paris et en province. Il est élu à la Commune en 1871 et participe activement à la défense de Paris pendant la Semaine sanglante et est assassiné le 28 mai 1871, dans des conditions atroces.

<Wikipedia> souligne aussi son ouverture au féminisme et son souci de l’égalité entre les hommes et les femmes

«  En 1864-1865, il anime la grève des ouvriers relieurs parisiens. Il devient président de la société d’épargne de crédit mutuel des relieurs qu’il a aidé à créer (partisan de l’égalité des sexes, il y fait entrer à un poste élevé Nathalie Lemel). En 1864 est créée l’Association internationale des travailleurs (AIT), souvent connue sous l’appellation de « Première Internationale ». Varlin y adhère en 1865 et participe, avec son frère Louis et Nathalie Lemel, à la première grève des relieurs. Il est délégué en 1865 à la conférence de l’AIT à Londres, puis en 1866 au premier congrès de l’AIT à Genève, où il défend contre la majorité des autres délégués le droit au travail des femmes. »

Nathalie Le Mel fut aussi une des femmes qui participa activement à la Commune.

Elle a été dans beaucoup des combats d’Eugène Varlin dont elle partageait le métier de relieuse.

Tous les deux avaient adhéré à l’AIT

Eugène Varlin n’était pas que dans le concept, il travaillait aussi dans le concret et les besoins immédiats des ouvriers :

À la même époque, il crée la Société de solidarité des ouvriers relieurs de Paris, dont les statuts évoquent la nécessité de « poursuivre l’amélioration constante des conditions d’existence des ouvriers relieurs en particulier, et, en général, des travailleurs de toutes les professions et de tous les pays, et d’amener les travailleurs à la possession de leurs instruments de travail. » Ses efforts contribuent à la création, le 14 novembre 1869, de la Fédération parisienne des sociétés ouvrières, qui plus tard passe à l’échelle nationale et devient ultérieurement la Confédération générale du travail.

Varlin participe à la création d’une coopérative, « La Ménagère », en 1867, et à l’ouverture, en 1868, d’un restaurant coopératif, « La Marmite ». Ce dernier compte 8 000 adhérents et ne ferme qu’après la Commune. »

Il était donc aussi à l’origine des prémices de la CGT.

Nathalie Le Mel jouera également un rôle essentiel dans l’organisation de « La Marmite » et des sociétés d’alimentation, de consommation et de production qu’Eugène Varlin voulait pour améliorer le sort des ouvrier et des pauvres.

L’historien moderne de la commune Jacques Rougerie écrit :

« Pendant toute la durée de l’insurrection, Varlin ne se consacrera qu’aux tâches concrètes ; il ne s’agit rien moins que de faire vivre et combattre Paris et cela peut tenir au moindre détail. »

Pendant la commune il sera nommé à la commission des finances. Il assure la liaison entre la Commune et les sociétés ouvrières.

<Le Maitron> publie un récit biographique assez détaillé.

Le journal <LES INROCKS> le décrit ainsi :

« Varlin milite sans relâche pour la réduction de la durée de la journée de travail, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la liberté de la presse et d’association, l’instruction laïque et obligatoire ou encore l’impôt progressif. « L’association n’a pas pour but d’organiser les travailleurs en vue de soutenir une lutte permanente contre les détenteurs de capitaux. Elle vise plus haut. Elle se propose de réaliser l’affranchissement complet du travail, en amenant les travailleurs à la possession de l’outillage social et les éléments naturels indispensables à la production. Loin de vouloir organiser la guerre, elle a la prétention d’établir la fraternité entre les hommes sans distinction de race, de couleur, ou de croyance », écrit-il. Sous la Commune, dont il fut délégué aux Finances et membre de la Commission de la Guerre, il prit notamment la décision de suspendre la vente des objets au Mont-de-Piété, cette institution de prêts sur gage qui finissait par ruiner les pauvres. »

Le 28 mai, reconnu et dénoncé par un prêtre rue Lafayette, il est arrêté par le lieutenant Sicre et amené à Montmartre, rue des Rosiers, où il est lynché, éborgné par la foule et, finalement, fusillé par les soldats près de l’endroit où avaient été fusillés les généraux Lecomte et Clément-Thomas. Précision sordide : Les ouvriers relieurs lui avaient offert une montre qui lui fut volée, après qu’il eut été massacré.

<Le Maîtron> précise que : « Dans un rapport à son colonel, le lieutenant Sicre avait déclaré :  » Parmi les objets trouvés sur lui [Varlin] se trouvaient : un portefeuille portant son nom, un porte-monnaie contenant 284 f 15, un canif, une montre en argent et la carte de visite du nommé  » Tridon « . Sicre s’appropria la montre — présent des ouvriers relieurs en 1864»

Voici la description que Louise Michel fait de son assassinat dans ses Mémoires :

« La Commune était morte, ensevelissant avec elle des milliers de héros inconnus. Ce dernier coup de canon à double charge énorme et lourd ! Nous sentions bien que c’était la fin ; mais tenaces comme on l’est dans la défaite, nous n’en convenions pas…

Ce même dimanche 28 mai, le maréchal Mac-Mahon fit afficher dans Paris désert : « Habitants de Paris, l’armée de la France est venue vous sauver ! Paris est délivré, nos soldats ont enlevé en quatre heures les dernières positions occupées par les insurgés.

Aujourd’hui la lutte est terminée, l’ordre, le travail, la sécurité vont renaître ».

Ce dimanche-là, du côté de la rue de Lafayette, fut arrêté Varlin : on lui lia les mains et son nom ayant attiré l’attention, il se trouva bientôt entouré par la foule étrange des mauvais jours. On le mit au milieu d’un piquet de soldats pour le conduire à la butte qui était l’abattoir. La foule grossissait, non pas celle que nous connaissions : houleuse, impressionnable, généreuse, mais la foule des défaites qui vient acclamer les vainqueurs et insulter les vaincus, la foule du vae victis éternel. La Commune était à terre, cette foule, elle, aidait aux égorgements.

On allait d’abord fusiller Varlin près d’un mur, au pied des buttes, mais une voix s’écria : « il faut le promener encore » ; d’autres criaient : « allons rue des Rosiers ».

Les soldats et l’officier obéirent ; Varlin, toujours les mains liées, gravit les buttes, sous l’insulte, les cris, les coups ; il y avait environ deux mille de ces misérables ; il marchait sans faiblir, la tête haute, le fusil d’un soldat partit sans commandement et termina son supplice, les autres suivirent. Les soldats se précipitèrent pour l’achever, il était mort.

Tout le Paris réactionnaire et badaud, celui qui se cache aux heures terribles, n’ayant plus rien à craindre vint voir le cadavre de Varlin. Mac Mahon, secouant sans cesse les huit cents et quelques cadavres qu’avait fait la Commune, légalisait aux yeux des aveugles la terreur et la mort. […] Combien eût été plus beau le bûcher qui, vivants, nous eût ensevelis, que cet immense charnier !

Combien de cendres semées aux quatre vents pour la liberté eussent moins terrifié les populations, que ces boucheries humaines ! Il fallait aux vieillards de Versailles ce bain de sang pour réchauffer leurs vieux corps tremblants. »

Wikipedia rapporte que pendant la Semaine sanglante, il avait tenté en vain de s’opposer à une exécution d’otages, rue Haxo.

<France Culture> donne la parole à l’historien de l’action culturelle Mathieu Menghini :

« Eugène Varlin, […] s’est instruit en autodidacte, s’intéressant à de nombreuses disciplines comme la géométrie, le latin, l’orthographe, la grammaire.

A force de fabriquer des livres, Eugène Varlin les a dévorés. On lui connaît une obédience doctrinale qui le situe du côté des communistes non-autoritaires, mais on pourrait mieux le définir par ses combats pour les droits des femmes, pour l’émancipation intellectuelle des travailleurs, pour leur instruction intégrale et polytechnique.

Eugène Varlin a contribué à former la classe ouvrière française, […], à établir parmi les ouvriers une conscience de classe. A une époque où Paris était déjà en train de se gentrifier, un des enjeux pour la classe ouvrière était d’améliorer concrètement leurs conditions matérielles, qui souvent se nourrissait mal tout en payant très cher. Avec sa collègue militante Nathalie Lemel, Eugène Varlin a établi des restaurants ouvriers coopératifs nommés « La Marmite ». Un lieu de vie, et de nourriture intellectuelle.

On raconte qu’une fois les estomacs sustentés, ces cantines ouvrières se transformaient en véritables foyers dans lesquels on rêvait la transformation du monde, entre femmes et hommes de divers courants doctrinaux. Certains artistes, favorables à l’auto-émancipation des travailleurs, venaient y entonner un air lyrique une fois leur spectacle terminé. »

Michèle Audin <parle> du premier article d’Eugène Varlin qu’elle a lu et qui lui a donné l’envie de réaliser son livre sur les écrits de cet homme singulier et épris de justice sociale :

« Il est clair, précis, rigoureux, il s’adresse directement à ses lecteurs et il pense aux lecteurs du futur, nous, qui lirons le journal relié. J’ai trouvé le style et les aspects humains de cet article, la dignité de ce jeune ouvrier, ce qu’il appelle dans un autre article « la timidité ordinaire du travailleur » et en même temps sa confiance en ses compétences, très séduisants. Je n’ai pas lu beaucoup d’articles où un ouvrier parle de ses connaissances et de son goût, avant de les appliquer au sujet. »

<1549>

 

Mardi 6 avril 2021

« Si nous réussissions à transformer radicalement le régime social, la révolution du 18 mars serait la plus efficace de celles qui ont eu lieu jusqu’à présent. »
Léo Frankel

Continuons à nous intéresser à quelques-uns des femmes et hommes qui ont fait la commune. Léo Frankel fut le seul élu étranger de la Commune de Paris et le plus jeune des communards internationalistes. Il y eut d’autres étrangers qui participèrent à la révolte du commune ; mais ils n’étaient pas élu et ne faisaient pas partie du Conseil de le Commune.

On peut citer, par exemple, Jaroslaw Dombrowski qui fut nommé commandant de la place de Paris puis par décision de Rossel, chargé de la direction des opérations sur la rive droite. Il fut blessé mortellement, le 23 mai, à la barricade de la rue Myrha et de la rue des Poissonniers dans le XVIIIe arrondissement.

J’avais évoqué lors du mot du jour de vendredi <Élisabeth Dmitrieff> qui était russe et qui jouera un rôle dans la vie de Léo Frankel.

Léo Frankel était hongrois.

Il était d’origine juive, son père était médecin. Il était né en 1844 à Budapest.

C’était un ouvrier qui avait suivi une formation d’orfèvre. Ce qui l’a amené à voyager. Il séjourne en Allemagne et en Angleterre avant de s’installer à Lyon en 1867 où il s’affilie à l’Association internationale des travailleurs.

Puis, il s’installe à Paris comme ouvrier-bijoutier et représente la section allemande de l’Association internationale des travailleurs (A.I.T.). Il est également correspondant de la Volksstimme de Vienne. Il sera assez vite convaincu par les thèses de Karl Marx.

Il est arrêté fin avril 1870, pour complot et appartenance à une société secrète c’est-à-dire l’A.I.T..

Durant son procès, je jeune hongrois martèle ses convictions :

« L’Association internationale n’a pas pour but une augmentation du salaire des travailleurs, mais bien l’abolition complète du salariat, qui n’est qu’un esclavage déguisé. »
Cité par « les Grands évènements de l’Histoire, la Commune de Paris » mars avril mai 2021

Il est libéré à la suite de la Proclamation de la République française du 4 septembre 1870 qui renverse le Second Empire. Il devient alors membre de la Garde nationale et reconstitue, avec Eugène Varlin, le Comité fédéral de l’Internationale pour Paris.

Il se présente aux élections à l’Assemblée nationale du 8 février 1871, en tant que socialiste révolutionnaire. Il échoue à se faire élire dans cette assemblée, qui nous le savons verra la victoire des monarchistes pacifistes, capitulards diront les communards.

Mais il sera élu au Conseil de la Commune de Paris le 26 mars 1871 dans le 13e arrondissement.

Il devient membre de la Commission du travail et de l’échange, puis de la Commission des finances.

Le 20 avril, il est nommé délégué au travail, à l’industrie et à l’échange. Il fait décréter des mesures sociales, comme l’interdiction du travail de nuit dans les boulangeries.

Il écrit à Karl Marx dans une lettre du 30 mars :

« Si nous réussissions à transformer radicalement le régime social, la révolution du 18 mars serait la plus efficace de celles qui ont eu lieu jusqu’à présent. Ce faisant nous arriverions à résoudre les problèmes cruciaux des révolutions sociales à venir. »
Cité par « les Grands évènements de l’Histoire, la Commune de Paris » mars avril mai 2021

Pendant la Semaine sanglante, il est blessé gravement sur une barricade de la rue du Faubourg-Saint-Antoine, à l’angle de la rue de Charonne.

Il est sauvé par Élisabeth Dmitrieff qui réussit à le faire échapper avec elle pour se réfugier en Suisse, à Genève. Les autorités françaises réclament son extradition, mais leurs homologues suisses s’y opposent.

Remis de ses blessures, il va en Angleterre rejoindre Karl Marx et l’Internationale.

Puis il passe en en Allemagne, en 1875, d’où il est expulsé, puis en Autriche où il est arrêté en octobre. Libéré en 1876, il se rend en Hongrie où il organise le Parti ouvrier notamment en rédigeant une partie de son programme.. En mars 1881, il est condamné à dix-huit mois de prison. Libéré en février 1883, il devient correcteur d’imprimerie et collabore à des revues socialistes.

En 1890, il revient en France et participe au Congrès fondateur de la Deuxième internationale.

Le site du <Maitron> nous apprend qu’en 1893 et 1894, il fut administrateur de la revue marxiste L’Ère Nouvelle . […]

Et aussi qu’il vivait de peu, et un rapport de police du 26 décembre 1891 précise :

« Sa mise est convenable et on le voit toujours coiffé d’un chapeau haut de forme, mais on prétend que sa chambre est misérablement meublée et que ses ressources paraissent bien modestes ; il fait souvent sa cuisine lui-même. »

Julien Chuzeville, historien du mouvement ouvrier lui a consacré un livre Léo Frankel, communard sans frontières publié en février 2021.

Il a été l’invité du < Cours de l’histoire de Xavier Mauduit>, émission très intéressante qui m’a poussé à écrire ce mot du jour.

Xavier Mauduit présente un autre extrait du procès du 2 juillet 1870 déjà évoqué :

«  il comparait devant la justice, lors du troisième procès intenté à l’Internationale. Il répond au président du tribunal que
« les capitalistes, à l’occasion d’une grève suscitée par leurs prétentions avides, soient les premiers à accuser l’Internationale de tout le mal, je n’y vois rien d’étonnant ».
Frankel joue de la métaphore :
« Ils agissent en ce point comme le loup de la fable qui se tenait au bord du ruisseau, et accusait de lui troubler son eau, l’agneau qui se désaltérait au-dessous de lui dans le courant. L’agneau eut beau se défendre, prétendant que l’eau ne pouvait pas remonter sa pente, toutes ses dénégations ne lui servirent de rien ; le loup cherchait seulement une occasion favorable pour le dévorer ».
Le président l’interroge : « L’agneau, c’est l’Internationale ? ».
Frankel répond du tac-au-tac : « Et, le loup, c’est le capitaliste ». Il faut se méfier des procès intentés aux militants politiques, car le tribunal devient une tribune où Frankel expose son programme »

Il meurt d’une pneumonie le 29 mars 1896 1896. Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise, entouré d’un drapeau rouge. Il avait, en effet, écrit quelques jours avant sa mort :

« Je meurs sans crainte.
Mon enterrement doit être aussi simple que celui des derniers crève-de-faim.
La seule distinction que je demande c’est d’envelopper mon corps dans un drapeau rouge, le drapeau du prolétariat international, pour l’émancipation duquel j’ai donné la meilleure part de ma vie et pour laquelle j’ai toujours été prêt à la sacrifier. »

En 1968, sa dépouille est transférée au cimetière national de Hongrie à Budapest.

Sa tombe parisienne est devenue depuis un cénotaphe (du grec ancien : kenotáphion, de kenós (« vide ») et táphos (« tombeau »)).

<Ce blog> nous apprend qu’il existe désormais une rue Leo-Frankel, dans le XIIIème arrondissement de Paris, à proximité de la Bibliothèque nationale de France,

<1548>

Jeudi 1 avril 2021

« S’il y a des miséreux dans la société, des gens sans asile, sans vêtements et sans pain, c’est que la société dans laquelle nous vivons est mal organisée. »
Louise Michel

Quand l’hebdomadaire « Le Un » a voulu consacrer un numéro à la commune, il a réalisé un hors-série sur Louise Michel avec ce titre « Louise Michel, l’égérie de la Commune ».

Ce <site> de la gauche radicale lyonnaise pose ce constat qui parait très juste :

« De tous les personnages de la Commune de Paris, Louise Michel est la première femme à avoir triomphé de la conspiration du silence et de l’oubli. »

Il existe des rues, des squares « Louise Michel » et même des Boulevards de ce nom, notamment à Gennevilliers et à Evry. Le nombre de collèges et de lycée « Louise Michel » me semble encore plus nombreux. Le nombre de livres qui lui ont été consacrés est aussi important.

Cette visibilité tranche avec les autres figures essentielles de la commune.

Elle est née en Haute Marne, mais dans un château, celui de Vroncourt, le 29 mai 1830, deux mois avant la révolution de 1830 qui aura lieu du 27 au 29 juillet 1830,
déjà une révolution des parisiens contre la réaction, incarnée par le roi Charles X.

Elle est née dans un château dans lequel sa mère était domestique au service des Demahis, famille de petite noblesse ouverte aux idéaux républicains.

Les biographes se disputent sur l’identité du père, mais une chose est certaine, c’était un des membres de la famille Demahis, le plus vraisemblable étant le fils des châtelains, Laurent qui sera éloigné du château après sa naissance.

Elle était donc fille naturelle.

Il faut rappeler que parmi les décisions de la commune se trouve la suppression de la catégorie « illégitime » pour les enfants nés hors mariage.

Louise sera élevée, près de sa mère, dans la famille de Laurent Demahis, qu’elle appelle ses grands-parents. Jusqu’à ses 20 ans, Louise porte le patronyme de son grand-père Étienne-Charles Demahis qui lui donne le goût d’une culture classique où domine l’héritage des Lumières, notamment Voltaire et Jean-Jacques Rousseau.

Selon <Wikipedia> :

« elle reçoit une instruction solide, une éducation libérale et semble avoir été heureuse, faisant preuve, très jeune, d’un tempérament altruiste. »

Finalement ses grands parents l’ont protégé et soutenu. Mais lorsqu’ils meurent en 1850, la famille des héritiers oblige Louise et sa mère à quitter le château et Louise doit abandonner le nom Demahis pour prendre celui de sa mère.

Elle poursuit des études pour devenir institutrice, en 1853, mais refuse de de prêter serment à Napoléon III, ce qui est nécessaire pour exercer dans l’école de l’empire. C’est pourquoi elle crée une école libre à Audeloncourt (Haute-Marne) puis dans d’autres communes avant de se rendre à Paris pour poursuive son activité d’enseignante et aussi de militante et même d’écrivain.

Elle intègre les milieux révolutionnaires, y rencontre Jules Vallès, Eugène Varlin, Raoul Rigault et Émile Eudes, et collabore à des journaux d’opposition comme Le Cri du peuple. En 1869, elle est secrétaire de la Société démocratique de moralisation, ayant pour but d’aider les ouvrières.

Elle est très active dans les milieux anarchistes et socialistes avant la Commune.

Et pendant la commune, elle joue un rôle de premier plan, elle est à la fois ambulancière, et combattante.

Elle se bat jusque dans la semaine sanglante. C’est pour faire libérer sa mère, qu’elle se rend Le 24 mai.

Pendant sa détention, elle assiste aux exécutions et voit mourir ses amis, parmi lesquels son ami Théophile Ferré exécuté en même temps que Louis Rossel.

Lorsqu’elle est interrogée pour la première fois par le conseil de guerre, elle déclare :

« Ce que je réclame de vous, c’est le poteau de Satory où, déjà, sont tombés nos frères ; il faut me retrancher de la société. On vous dit de le faire. Eh bien, on a raison. Puisqu’il semble que tout cœur qui bat pour la liberté n’a droit aujourd’hui qu’à un peu de plomb, j’en réclame ma part, moi »

Elle revendique les crimes et délits dont on l’accuse et réclame la mort au tribunal « Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi ».

La presse versaillaise la nomme « la Louve avide de sang ».

Pendant ses premières années à Paris, pendant qu’elle poursuivait l’ambition de devenir écrivain, elle a commencé un échange épistolaire régulier avec Victor Hugo. Et ce dernier lui dédiera un poème, <Viro Major> (« Plus qu’un homme »), dont je cite un extrait

« Ayant vu le massacre immense, le combat,
Le peuple sur sa croix, Paris sur son grabat,
La pitié formidable était dans tes paroles ;
Tu faisais ce que font les grandes âmes folles,
Et lasse de lutter, de rêver, de souffrir,
Tu disais : J’ai tué ! car tu voulais mourir. […]

Et ceux qui comme moi, te savent incapable
De tout ce qui n’est pas héroïsme et vertu,
Qui savent que si Dieu te disait : D’où viens-tu ?
Tu répondrais : Je viens de la nuit où l’on souffre ;
Dieu, je sors du devoir dont vous faites un gouffre !
Ceux qui savent tes vers mystérieux et doux,
Tes jours, tes nuits, tes soins, tes pleurs, donnés à tous,
Ton oubli de toi-même à secourir les autres,
Ta parole semblable aux flammes des apôtres ;
Ceux qui savent le toit sans feu, sans air, sans pain,
Le lit de sangle avec la table de sapin,
Ta bonté, ta fierté de femme populaire,
L’âpre attendrissement qui dort sous ta colère,
Ton long regard de haine à tous les inhumains,
Et les pieds des enfants réchauffés dans tes mains ;
Ceux-là, femme, devant ta majesté farouche,
Méditaient, et, malgré l’amer pli de ta bouche,
Malgré le maudisseur qui, s’acharnant sur toi,
Te jetait tous les cris indignés de la loi,
Malgré ta voix fatale et haute qui t’accuse,
Voyaient resplendir l’ange à travers la méduse. »

Elle sera finalement condamnée à la déportation en Nouvelle Calédonie, elle y restera 7 ans.

Ce ne seront pas pour elles des années perdues car là-bas aussi, elle va agir pour enseigner, pour s’instruire, pour dénoncer l’injustice. Wikipédia rapporte :

« Elle crée le journal Petites Affiches de la Nouvelle-Calédonie. Elle apprend une langue canaque et traduit dans une langue poétique plusieurs des mythes fondateurs des Kanaks, dont un mythe portant sur le déluge.
Elle édite en 1885 Légendes et chansons de gestes canaques. S’intéressant aux langues kanakes et, dans sa recherche de ce que pourrait être une langue universelle, à la langue pidgin qu’est le bichelamar, elle cherche à instruire les autochtones kanaks et, contrairement à certains communards qui s’associent à leur répression, elle prend leur défense lors de leur révolte de 1878. Elle obtient l’année suivante l’autorisation de s’installer à Nouméa et de reprendre son métier d’enseignante, d’abord auprès des enfants de déportés (notamment des Algériens de Nouvelle-Calédonie), de gardiens, puis dans les écoles de filles. Elle instruit les Canaques adultes le dimanche, inventant toute une pédagogie adaptée à leurs concepts et leur expérience. »

Elle reviendra en France et poursuivra sa quête de de justice et d’égalité.

Pendant les dix dernières années de sa vie, Louise Michel, devenue une grande figure révolutionnaire et anarchiste, multiplie les conférences à Paris et en province, accompagnées d’actions militantes et ce malgré sa fatigue ; en alternance, elle effectue des séjours à Londres en compagnie d’amis. Très surveillée par la police, elle est plusieurs fois arrêtée et emprisonnée. Condamnée à six ans d’incarcération, elle est libérée au bout de trois sur intervention de Clemenceau, pour revoir sa mère sur le point de mourir.

Elle meurt, le 9 janvier 1905 à Marseille.

Elle a beaucoup écrit, notamment ses mémoires

Beaucoup de ses phrases sont passées dans la postérité et sont régulièrement republiées par des hommes épris d’égalité. Je retiens <celle-ci> :

« S’il y a des miséreux dans la société, des gens sans asile, sans vêtements et sans pain, c’est que la société dans laquelle nous vivons est mal organisée. On ne peut pas admettre qu’il y ait encore des gens qui crèvent la faim quand d’autres ont des millions à dépenser en turpitudes. C’est cette pensée qui me révolte ! »

Elle était aussi totalement féministe. Le « Un » cite des extraits de ses mémoires :

« Si l’égalité entre les deux sexes était reconnue, ce serait une fameuse brèche dans la bêtise humaine. En attendant, la femme est toujours, comme le disait le vieux Molière, le potage de l’homme. »

« Les filles, élevées dans la niaiserie, sont désarmées tout exprès pour être mieux trompées »

« Partout, l’homme souffre dans cette société maudite ; mais nulle douleur n’est comparable à celle de la femme. »

« Dans la rue, elle est marchandise. Dans les couvents, les règlements broient son cerveau et son cœur. Dans le monde, elle ploie sous le dégoût. Dans son ménage, son fardeau l’écrase »

« Nous sommes une moitié de l’humanité, nous combattons avec tous les opprimés et nous garderons notre part de l’égalité qui est la seule justice. »

Laurent Joffrin, dans un article publié le 9 août 2019 : <Louise Michel, comme une rouge> cite un épisode de la fin de sa vie :

« On l’emprisonne puis on la libère. Un exalté, Lucas, lui tire deux balles dans la tête dont l’une restera fichée dans son crâne. Elle demande son acquittement et l’obtient. »

Il finit son article par cet adage simple écrit par elle pour ceux qui croient encore à l’avenir :

« Chacun cherche sa route, nous cherchons la nôtre et nous pensons que le jour où le règne de la liberté sera arrivé, le genre humain sera heureux. »

<1546>

Mardi 30 mars 2021

« Gustave Courbet, la Commune et la destruction de la colonne Vendôme.  »
Une histoire du temps de la commune

Le peintre Gustave Courbet est né en 1819. Il fut désigné comme le chef de file du courant réaliste.

Au temps des réseaux sociaux on a beaucoup parlé de lui en raison de la censure par Facebook de son tableau « L’origine du Monde » qui avait été publié par un Internaute. Le litige fut surmonté. Après une action en justice, un accord amiable a pu être trouvé entre Facebook et l’internaute : Frédéric Durand. C’est quand même une affaire qui a duré 8 ans.

Depuis on peut publier l’Origine du Monde sur Facebook. Il s’agit d’un tableau de 46,3 cm sur 55,4 cm exposé au Musée d’Orsay à qui il faut désormais ajouter le nom de Giscard d’Estaing.

France culture nous apprend que ce tableau peint en 1866 a toujours causé scandale. Récemment, le nom du modèle qui a servi pour peindre cette partie de l’anatomie féminine  a été révélé : il s’agit d’une jeune danseuse de l’opéra de Paris : Constance Quéniaux.

Mais ce mot du jour n’a pas pour objet de parler des qualités artistiques du peintre mais de son rôle dans la Commune de Paris et notamment l’accusation d’être responsable de la destruction de la colonne Vendôme avec la statue de Napoléon Ier qui la surplombait.

La colonne Vendôme avait été érigée en 1810 en hommage à la « Grande Armée » et à son chef Napoléon Bonaparte.

Gustave Courbet par son parcours était destiné à soutenir La Commune.

Courbet avait, par exemple, été l’ami de Pierre-Joseph Proudhon, le chantre du socialisme libertaire cher à Michel Onfray. En 1865, il a consacré une peinture à son ami « Proudhon et ses enfants » .

Ses idées républicaines et son gout de la liberté lui ont fait refuser la Légion d’honneur qui lui avait été proposée par Napoléon III.

<Wikipedia> nous apprend qu’il a adressé, le 23 juin 1870, une lettre au ministre des lettres, sciences et beaux-arts :

« J’ai cinquante ans et j’ai toujours vécu libre. Laissez-moi terminer mon existence libre : quand je serai mort, il faudra qu’on dise de moi : Celui-là n’a jamais appartenu à aucune école, à aucune église, à aucune institution, à aucune académie, surtout à aucun régime, si ce n’est le régime de la liberté »

Après la proclamation de la République le 4 septembre 1870, Gustave Courbet est nommé, le 6, par une délégation représentant les artistes de Paris, « président de la surveillance générale des musées français » : Courbet dirige alors un comité chargé de la sauvegarde des œuvres d’art conservées à Paris et dans les environs.

Cette mesure conservatoire est normale en temps de guerre, et alors que les troupes prussiennes approchent de la capitale.

Je cite encore Wikipedia :

«  Le 14, il s’occupe de protéger le musée de Versailles, puis les jours suivants le musée du Luxembourg, les salles du musée du Louvre, le Garde-Meuble. Le 16, débute le siège de Paris. […]

Après les élections complémentaires du 16 avril 1871, il est élu au conseil de la Commune par le 6e arrondissement et délégué aux Beaux-Arts. Le 17 avril 1871, il est élu président de la Fédération des artistes. Il fait alors blinder toutes les fenêtres du palais du Louvre pour en protéger les œuvres d’art, mais aussi l’Arc de Triomphe et la fontaine des Innocents. Il prend des mesures semblables à la manufacture des Gobelins, et fait même protéger la collection d’œuvres d’art d’Adolphe Thiers, dont notamment ses porcelaines de Chine. Il siège à la commission de l’Instruction publique […] avec Jules Vallès »

On constate donc que Gustave Courbet était plutôt enclin à protéger le patrimoine.

La responsabilité qu’on lui fera jouer dans la destruction de la colonne Vendôme est ambigüe et même erronée.

Il est vrai qu’il fait une proposition le 14 septembre 1870. Il rédige, ce jour, une note à l’attention du gouvernement de Défense nationale proposant de « déboulonner la colonne Vendôme » et suggère d’en récupérer une partie du métal pour la Monnaie.

Mais en revanche, il s’insurge en octobre contre le gouvernement qui souhaite abattre la colonne Vendôme, au profit d’une nouvelle statue en bronze à la gloire de Strasbourg, ville annexée : Courbet réaffirme que cette colonne doit être déplacée de la rue de la Paix vers les Invalides et qu’on doit en conserver les bas-reliefs par respect pour les soldats de la Grande Armée.

Et lorsqu’après un appel de Vallès publié le 4 avril dans Le Cri du peuple dans lequel il vilipende le monument, la Commune décide, le 12, sur une proposition de Félix Pyat, d’abattre et non de déboulonner la colonne Vendôme, Courbet ne vote pas cette démolition.

La démolition est prévue pour le 5 mai 1871, jour anniversaire de la mort de Napoléon, mais la situation militaire empêche de tenir ce délai. Finalement, la cérémonie a lieu le 16 mai 1871.

Dans La revue « L’Histoire », c’est l’historien Emmanuel Fureix qui raconte la destruction de la colonne vendôme:

« Abattre la colonne Vendôme revient à affirmer aux yeux de l’Europe entière la « république universelle » et la fraternité des peuples souverains. La place Vendôme est rebaptisée place de l’Internationale. L’iconoclasme devient alors le signal d’un nouvel ordre international à bâtir. […] L’abattage de la colonne vient aussi venger la mémoire des morts, celle de tous les soldats citoyens tombés au nom d’une cause jugée vaine.

Félix Pyat écrit : « La colonne représente la mort de 4 millions d’hommes sacrifiés au dieu de la guerre et à la gloire de trois invasions », et, le 16 mai, un citoyen présent place Vendôme lui fait écho : « On dit cette colonne de bronze, allons donc ! Elle est faite d’ossements humains. Aussi allons-nous assister à une chute d’os. »  »

Cette destruction devient une véritable cérémonie, une fête à laquelle les communards viennent en foule :

«  La colonne Vendôme n’est pas détruite à la sauvette, dans l’obscurité de la nuit : le déboulonnage est un spectacle, une fête de souveraineté offerte à la face du monde. Le chantier de démolition, complexe, est confié à un ingénieur, Paul Iribe, et, le 16 mai, environ 20 000 Parisiens se pressent pour assister au déboulonnage du « jean-foutre Bonaparte ». La Marseillaise et Le Chant du départ sont entonnés. Un cabestan cède, il faut s’y reprendre à deux fois mais, en fin d’après-midi, la colonne s’effondre en un « zigzag monstrueux », soulevant un « nuage de poussière » raconte Maxime Vuillaume. L’effigie de Napoléon chute sur un lit de fumier et de fagots, la tête détachée du tronc. Certains lui jettent des coups de pied et des crachats. « De près, que sa figure est vilaine et laide », écrit Élie Reclus. Mais « un gouvernement qui a le toupet de foutre en bas Napoléon, ça doit être un gouvernement fort ! » s’exclame un communard. Le piédestal est orné de quatre drapeaux rouges et des échelles permettent aux citoyens de se l’approprier. Dans tous ces gestes se lit le désir de se dire souverain. Se joue aussi une lente « reconquête de la ville par la ville », observée par l’historien Jacques Rougerie. »

La Commune a longtemps été associée à des actes de vandalisme. Mais cet iconoclasme doit se comprendre davantage comme un instrument de guerre contre Versailles.

« Hier, 26 floréal [16 mai 1871], l’arrêt de la justice du peuple a été exécuté. La colonne est tombée à cinq heures trois quarts. […] Il ne reste plus qu’un monceau de miettes : la colonne est broyée, le drapeau tricolore enseveli, le César, décapité, gît sur du fumier. »

Le journal communard Le Réveil du peuple

 Un désaccord plus important entre Courbet et la commune va conduire à sa démission :

« Courbet démissionne de ses fonctions le 24 mai 1871, protestant contre l’exécution par les Communards de son ami Gustave Chaudey qui, en tant que maire-adjoint, est accusé d’avoir fait tirer sur la foule le 22 janvier 1871 (fait qui n’a, en réalité, jamais été prouvé. » (Wikipedia)

Après la Semaine sanglante, il est arrêté le 7 juin 1871 et emprisonné à la Conciergerie puis à Mazas.

Dès le début de son incarcération, la presse lui reproche la destruction de la colonne ; Courbet rédige alors une série de lettres à différents élus dans lesquelles il « s’engage à la faire relever à ses frais, en vendant les 200 tableaux qui [lui] reste » : cette proposition, il va la regretter.

Il sera condamné à six mois de prison fermes et à 500 francs puis il devra encore régler 6 850 francs de frais de procédure.

Certains écrivains lui expriment des injures d’une grande violence. Ainsi, Alexandre Dumas fils écrira

« De quel accouplement fabuleux d’une limace et d’un paon, de quelles antithèses génésiaques, de quel suintement sébacé peut avoir été générée cette chose qu’on appelle Gustave Courbet ? Sous quelle cloche, à l’aide de quel fumier, par suite de quelle mixture de vin, de bière, de mucus corrosif et d’œdème flatulent a pu pousser cette courge sonore et poilue, ce ventre esthétique, incarnation du Moi imbécile et impuissant ».

En mai 1873, le nouveau président de la République, le maréchal de Mac Mahon, décide de faire reconstruire la colonne Vendôme aux frais de Courbet (soit 323 091,68 francs selon le devis établi). La loi sur le rétablissement de la colonne Vendôme aux frais de Courbet est votée le 30 mai 1873. Il est acculé à la ruine, ses biens mis sous séquestre, ses toiles confisquées.

Il s’exilera en Suisse où il mourra 4 ans plus tard.

Par solidarité avec ses compatriotes exilés de la Commune de Paris, Courbet refusa toujours de retourner en France avant une amnistie générale. Sa volonté fut respectée, et son corps fut inhumé à La Tour-de-Peilz le 3 janvier 1878, après sa mort survenue le 31 décembre 1877

Sa dépouille a été transférée en juin 1919 à Ornans. Il était né 100 ans avant, le 10 juin 1819 dans cette ville du département du Doubs.

<1545>

Lundi 29 mars 2021

« Malgré toutes les hontes de la Commune, j’aime mieux être avec ces vaincus qu’avec [leurs] vainqueurs. »
Louis Nathaniel Rossel

La commune fut l’histoire de femmes et d’hommes qui se sont retrouvés d’abord parce qu’ils n’acceptaient pas la défaite contre les troupes de Bismarck, ensuite parce qu’au sein d’eux et venant d’univers ou d’écoles de pensées différentes, une haute conscience des inégalités au sein de la société était présente.

Il me parait utile d’évoquer certaines de ces figures.

Dans le numéro de « L’histoire » de janvier 2021, plusieurs fois cité, l’historien Michel Winock a évoqué l’un d’eux « Louis Rossel : Portrait d’un rebelle ».

Son article commence ainsi :

« De tous les communards le colonel Louis Rossel est le plus flamboyant, le plus inattendu, le plus scandaleux aux yeux de ses pairs. Son adhésion à la révolution de 1871 a son origine directe dans la reddition, le 27 octobre 1870, du maréchal Bazaine à Metz, livrant aux Prussiens plus de 170 000 hommes et près de 1 600 canons. »

Michel Winock rapporte que trois jours plus tard il publie un article dans L’Indépendance belge :

« Metz est rendu : la plus honteuse capitulation que l’histoire militaire ait jamais enregistrée a mis aux mains des Allemands une forteresse intacte, gardée par une armée intacte, et dans cet éclatant désastre de l’honneur militaire français, aucune apparence même n’a été sauvée. »

Michel Winock nous révèle, à travers le jugement de Louis Rossel, une autre analyse de la défaite militaire française :

« Le capitaine Rossel avait tenté de tout mettre en œuvre pour éviter la capitulation. Mais il n’avait pas été en mesure de renverser l’avis majoritaire des généraux en place, réfractaires à la république et inspirés par la réaction politique plus que par la défense de la patrie. »

Dans cette vision, les officiers préféraient la défaite à se battre pour une France dirigée par la République. Dans un premier temps, ces officiers ont vu leur désir se réaliser : la défaite militaire a amené une majorité monarchiste à l’Assemblée. Ce sont les contradictions internes des monarchistes qui leur ont interdit une nouvelle restauration et ont finalement permis la naissance de la 3ème République.

Rossel est décidé à se battre jusqu’au bout contre l’envahisseur et propose ses services à Gambetta, qui dirige depuis octobre la délégation du gouvernement à Tours où il a reconstitué trois armées. Gambetta est un des membres du gouvernement qui souhaitait continuer la guerre. Il a de l’admiration pour l’homme politique et le tribun mais se désole de son incompétence en stratégie militaire. Il dit de lui :

« C’est un drapeau plutôt qu’un chef »

Alors, quand il apprend le 19 mars 1871, l’insurrection parisienne de la veille, Rossel décide de rejoindre ceux qui veulent continuer à se battre et d’abandonner ceux qui acceptent ou pire préfèrent la défaite.

Il envoie le 19 mars 1871 sa lettre de démission au ministre de la Guerre :

« J’ai l’honneur de vous informer que je me rends à Paris pour me mettre à la disposition des forces gouvernementales qui peuvent y être constituées. Instruit par une dépêche de Versailles rendue publique aujourd’hui qu’il y a deux partis en lutte dans le pays, je me range sans hésitation du côté de celui qui n’a pas signé la paix et qui ne compte pas dans ses rangs de généraux coupables de capitulation. »

Un ordre d’arrestation est immédiatement lancé contre lui, il est menacé du Conseil de guerre.

Rossel rejoint Paris le 20 mars.

Le général de De Gaulle avait une profonde admiration pour ce colonel.

Natacha Polony dans une courte vidéo d’hommage <De la Commune gardons le souvenir de Louis Rossel> commence son intervention par une anecdote : Michel Debré accompagnait le général de Gaulle dans une visite du fort d’Issy

Il faut savoir que la bataille du fort d’Issy est une de celle qui a été déterminante pour la victoire des Versaillais. Elle se déroule du 25 avril au 8 mai 1871 et se termine par la victoire des Versaillais qui se rendent maîtres du fort.

Et donc lors de la visite du fort d’Issy, Debré demanda à De Gaulle « Finalement que reste -il de la Commune ? » et le général lui répondit « Il reste le colonel Louis Rossel »

De Gaulle admirait bien sur le refus de la défaite et la volonté de trouver toutes les solutions pour continuer la lutte.

Contrairement à beaucoup de communards, Louis Nathaniel Rossel n’était pas anti-religieux : il est chrétien, protestant. Bien que né à Saint Brieuc où son père militaire aussi avait été affecté, il est issu d’une famille bourgeoise protestante nîmoise, et descendant de camisards cévenols.

Il n’a donc pas comme point commun l’anticléricalisme des autres communards. Mais il partage avec eux une autre aspiration que le refus de la défaite : il possède une fibre sociale très développée. Natacha Polony insiste sur ce point. En 1867, il se lie d’amitié avec Jean Macé, qui crée la Ligue de l’enseignement. Rossel commence l’enseignement de cours de grammaire aux classes défavorisées et s’engage pour l’école laïque. C’est ici qu’il a ses premiers véritables contacts avec des ouvriers. Il découvre la société de classes :

« Pourquoi, lorsque l’égalité est inscrite partout dans nos droits, lorsque l’égalité est un de nos premiers besoins, sommes-nous forcés de reconnaître qu’il y a dans l’État deux classes comme au temps du privilège, deux classes profondément distinctes et d’un autre côté profondément mêlées ? »

L’instruction lui paraît le premier remède.

Il est très brillant : admis à dix-huit ans à l’École polytechnique avec le n° 79 et en sortit 12e sur une promotion de 131.

Arrivé à Paris, on lui donne immédiatement un rôle de première importance dans l’organisation de l’armée de la commune.

Michel Winock écrit :

« Pendant la dizaine de jours où il dirige les forces armées de la Commune, Rossel fait preuve de remarquables qualités d’organisateur, de stratège, mais, simultanément, il ne comprend pas la nature de cette révolution parisienne. Il reste un soldat ; les fédérés, eux, sont des révolutionnaires, réfractaires au commandement central. Il y a un style Rossel – mélange de raideur et d’humour, de rigueur et d’insolence – qui, d’emblée, ne plaît pas à tout le monde. »

Mais il est exaspéré par le manque de discipline de ses soldats et le manque de rigueur du comité central de la garde nationale qui dirige Paris.

Après la prise du fort d’Issy par l’armée de Versailles le 8 mai, Rossel fait placarder le 9 sur les murs de Paris, et sans avertir la Commune, une affiche déclarant la perte du fort.

« Le drapeau tricolore flotte sur le fort d’Issy, abandonné hier par sa garnison. »

Puis il écrit une lettre de démission adressée à la Commune :

« Citoyens membres de la Commune, chargé par vous à titre provisoire de la délégation à la Guerre, je me sens incapable de porter plus longtemps la responsabilité d’un commandement où tout le monde délibère et où personne n’obéit. […] Sachant que la force d’un révolutionnaire ne consiste que dans la netteté de la situation, j’ai deux lignes à choisir : briser l’obstacle qui entrave mon action, ou me retirer. Je ne briserai pas l’obstacle ; car l’obstacle, c’est vous et votre faiblesse ; je ne veux pas attenter à la souveraineté publique. Je me retire, et j’ai l’honneur de vous demander une cellule à Mazas. »

Il va être arrêté par d’autre communards qui veulent le traduire en cour martiale. Mais il parvient à s’enfuir et à se cacher quelques temps.

Michel Winock raconte la suite :

« Il est arrêté sur une dénonciation, après la Semaine sanglante, le 7 juin 1871, et envoyé à Versailles où il est jugé par un conseil de guerre, pour avoir déserté et « porté les armes contre la France ». En dépit du soutien actif de ses parents, de ses avocats, d’une petite partie de la presse, d’une pétition de polytechniciens, Rossel est condamné à mort ; le 25 novembre, […] il est exécuté le 28 novembre malgré une campagne en sa faveur lancée notamment par Victor Hugo. […] Tout au long de sa détention, Louis Rossel n’a cessé d’écrire, laissant notamment un mémoire sur son rôle pendant la Commune. Il y expose ses idées politiques. A aucun moment il ne regrette son engagement. Il dit son estime pour un certain nombre de ses dirigeants, Jourde, Paschal Grousset, Delescluze, Varlin. Il rend hommage aux combattants de la Semaine sanglante, plus à l’aise derrière les barricades que dans les rangs d’une armée disciplinée. « Malgré toutes les hontes de la Commune, j’aime mieux être avec ces vaincus qu’avec [leurs] vainqueurs. » Républicain, il n’est pas socialiste, mais il a rencontré l’injustice sociale. Il a constaté l’état misérable de la population ouvrière : « Parmi les bataillons que j’avais l’honneur de commander, certains étaient affligeants à voir. […] En passant devant ces malheureux, je me disais : ces gens ont raison de se battre. Ils se battent pour que leurs enfants soient moins chétifs, moins scrofuleux, moins vicieux qu’ils ne sont eux-mêmes. »

Vous trouverez une biographie sur le site <Maitron> et aussi sur ce blog consacré aux protestants bretons.

Deux films furent consacrés à Rossel :

Enfin une chanson lui a été consacrée <La complainte de Rossel>

Louis Nathaniel Rossel est mort sous les balles des versaillais à 27 ans

<1544>

Vendredi 26 mars 2021

« On a d’un côté la légende noire des Versaillais pour qui les communards étaient des fous furieux et, de l’autre, la légende rouge pour la gauche qui en fait une récupération politique »
Michel Cordillot

Certains prétendent que le clivage droite, gauche est obsolète. On peut se demander par quel clivage, il est remplacé :

  • Ecologiste et climatosceptique ?
  • Identitaire et universaliste ?
  • Islamophobe et islamo gauchiste ?

Pourtant la mémoire de la Commune ravive totalement le clivage droite-gauche. La droite de l’ordre et la gauche de la justice sociale s’affrontent, chacun considérant que l’autre est le criminel. Il y eut des crimes des deux côtés, mais les versaillais ont tué davantage que les communards.

Les versaillais et les otages exécutés par les communards représentent moins de 1000 morts. Il semble qu’un consensus large accepte cette évaluation.

Mais pour les fédérés, on ne le sait pas.

Dans une chanson que je n’ai pas cité mercredi « Elle n’est pas morte», Eugène Pottier écrit :

« Les Versaillais ont massacré pour le moins cent mille hommes. »

C’est une belle chanson, mais sur ce point elle exagère beaucoup, il n’y a pas eu 100 000 morts.

Les estimations ont fluctué. <Wikipedia> raconte cette évolution :

« En 1876, le journaliste et polémiste socialiste Prosper-Olivier Lissagaray, ancien communard, estime de 17 000 à 20 000 le nombre des fusillés. En 1880, le journaliste et homme politique Camille Pelletan, membre du Parti radical-socialiste situe le nombre des victimes à 30 000. En 2014, l’historien britannique Robert Tombs revoit le bilan à la baisse et évalue entre 5 700 et 7 400 le nombre des morts, dont environ 1 400 fusillés. »

La mathématicienne et écrivaine Michèle Audin a publié cinq livres sur la Commune. Michèle Audin est la fille du mathématicien Maurice Audin mort sous la torture par l’armée française lors de la guerre d’Algérie et de la professeure de mathématiques Josette Audin.

Elle vient de publier « la semaine sanglante ». Elle s’est lancée dans une nouvelle évaluation. Elle explique sa méthode dans cet article du Monde du 18 mars 2021 : « On a trouvé des ossements de communards dans le sous-sol de Paris jusque dans les années 1920 »

Son estimation s’élève à plus de 15 000 morts.

Les communards ont aussi détruit des monuments de Paris, le plus grand nombre lors de la semaine sanglante. Ils ont démoli l’hôtel particulier de Thiers, le chef de leurs ennemis. Cet hôtel situé place Saint-Georges, fut détruit le 11 mai 1871, en représailles au bombardement de Paris par l’armée versaillaise

Ils ont aussi abattu, le 16 mai, la colonne de la place Vendôme qui était surmontée par la statue de Napoléon.

Et le palais des Tuileries, palais des rois et de l’empereur fut incendié lors de la semaine sanglante.

Et il y eut d’autres bâtiments incendiés comme l’Hôtel de Ville, le Palais de justice, dont cependant la Sainte-Chapelle et la Cour de cassation échappent aux flammes, le palais d’Orsay où siègent le Conseil d’État et la Cour des comptes, le palais de la Légion d’honneur, le Palais-Royal et d’autres encore.

Après ces rappels, revenons au clivage droite, gauche d’aujourd’hui !

<Le Figaro> essaie de rapporter, en toute neutralité, le débat qu’il y a eu au conseil de la commune de Paris en février :

« Elle a beau avoir 150 ans, la Commune de Paris suscite toujours les passions, et sa mémoire reste conflictuelle. En février, au Conseil de Paris, la mise au vote d’une subvention à l’association les Amis de la Commune, destinée aux événements imaginés par la mairie autour de cet anniversaire, a provoqué une passe d’arme entre la majorité et l’opposition. Tandis que Laurence Patrice, adjointe PC chargée de la mémoire, proposait de célébrer « la révolution la plus moderne » qui soit, elle s’est attirée les foudres de Rudolph Granier, élu LR dans le 18e arrondissement – lequel a estimé qu’on ne devait pas «danser au son des meurtres et des incendies».  »

Mais j’aime particulièrement la description que fait <cet article du monde> :

« Ce mercredi 3 février, le couvre-feu est déjà passé, le Conseil de Paris commencé la veille s’étire depuis des heures, et les élus n’ont qu’une envie : voter rapidement les dernières délibérations, puis rentrer. L’ordre du jour, quelques subventions et hommages, semble consensuel. Mais soudain, Rudolph Granier prend le micro et réveille l’hémicycle. Parmi les vingt-sept associations à subventionner, il en est une à laquelle son parti, Les Républicains (LR), ne veut pas accorder un centime : les Amies et amis de la Commune de Paris 1871. Cette association coprésidée par un ancien dirigeant communiste « glorifie les événements les plus violents de la Commune », peste-t-il.

M. Granier évoque « les incendies de la Commune qui ont ravagé des pans entiers de la capitale », et accuse la maire socialiste, Anne Hidalgo, d’« ânonner » à ce sujet « une série de contre-vérités historiques » dans le seul but de ressouder les socialistes, les communistes et les écologistes, en vue de son « projet présidentiel ». Celui-ci « rassemblera certainement moins de personnes que les dix millions de Français qui ont participé à la souscription nationale pour l’édification du Sacré-Cœur », ajoute l’élu LR.

Patrick Bloche, l’adjoint socialiste d’Anne Hidalgo, qui préside la séance, ponctue cette diatribe d’une phrase : « Ce qui me rassure, c’est que je crois au clivage entre la gauche et la droite, et vous l’avez illustré parfaitement, cent cinquante ans après la Commune. » Entre les deux camps, la joute verbale se poursuit près d’une heure. »

Un autre élu de droite, Antoine Beauquier, élu du 16e arrondissement ne veut pas qu’on transforme en héros :

« ceux qui prirent en otage et assassinèrent les dominicains d’Arcueil venus ramasser les blessés sous l’emblème de la Croix-Rouge »

Et il pose cette question à la municipalité de gauche :

« Pourrez-vous encore dénoncer les casseurs après avoir honoré en grande pompe ceux qui ont choisi de brûler les Tuileries, le Palais-Royal, le palais d’Orsay, les synagogues et notre hôtel de ville ? »

David Alphand (LR) lui dénonce une autre action de la commune qui le hérisse : « La confiscation des moyens de production. »

Bref, un vrai combat gauche-droite, comme au bon vieux temps.

<La Croix> qui relate aussi cette passe d’armes rapporte les paroles Laurence Patrice, adjointe chargée de la mémoire :

« Ce n’est pas une glorification mais un hommage à des femmes et des hommes qui portaient des valeurs dont les forces de gauche sont les héritières »

La commune de Paris célèbre, en effet < les figures de la Commune>

Et la Croix cite l’historienne Laure Godineau, qui publie « La Commune de 1871 expliquée en images » (Seuil) qui explique :

« Si l’événement reste mal connu, c’est en partie parce que la construction républicaine après 1871 en a voulu l’oubli : oubli de la guerre civile dans le cadre d’une réconciliation nationale ; oubli de l’insurrection alors que s’affirmait une République éloignée des idéaux des communards […] La Commune n’a pas été intégrée à notre histoire nationale et à notre mémoire collective, ce qui a laissé une grande place à des mémoires conflictuelles […] D’un côté, le souvenir d’un mouvement émancipateur, politiquement et socialement, et des milliers de morts de la répression ; de l’autre, des incendies et des otages. »

Et il est vrai que dans mes livres d’Histoire je n’ai pas beaucoup de souvenirs d’une histoire de la Commune.

Il faut rappeler, peut-être, qu’à côté d’Adolphe Thiers, il y avait dans le gouvernement des figures qui sont restés célèbres pour d’autres faits historiques. L’un des plus virulents soutien de Thiers était Jules Ferry. Il y avait aussi Jules Grévy qui évoque « un gouvernement factieux », Jules Favre « une poignée de scélérats » et Léon Gambetta qui approuva Thiers.

Le journal <La nouvelle République> qui relate aussi cet épisode évoque une autre pierre d’achoppement : la décision, en octobre, de classer comme monument historique la basilique du Sacré-Cœur, construite pour « expier les péchés » des communards qui avait provoqué l’ire de l’association des Amis de la Commune.

Et il cite l’historien Michel Cordillot autre spécialiste de la commune, coordinateur d’un ouvrage synthétique sur la Commune paru en janvier :

« La Commune est mal connue car elle est d’emblée prisonnière d’enjeux de mémoire. On a d’un côté la légende noire des Versaillais pour qui les communards étaient des fous furieux et, de l’autre, la légende rouge pour la gauche qui en fait une récupération politique […] en 1971, [lors de son centenaire] les affrontements étaient déjà terribles, y compris entre historiens […] Que faut-il alors retenir de cet événement ? L’expérience d’une république sociale, favorable à la démocratie directe, a permis notamment, et pour un bref moment, l’accès au pouvoir des milieux populaires – actuellement sous-représentés parmi les députés de l’Assemblée nationale – le droit de vote pour les femmes ou la laïcité dans l’enseignement, plus de trente ans avant la loi de 1905 concernant la séparation de l’Église et de l’État. Ce sont des mesures extrêmement modernes, qui font consensus aujourd’hui […] la Commune a posé le principe de l’accès au pouvoir des classes subalternes. Avant, ça relevait de l’utopie. Après, ça devient une réalité. Et ça marche ! »

Et <L’Humanité> d’ajouter :

« En 1871, pendant soixante-douze jours, Paris redevient la capitale mondiale du progrès et la citoyenneté. Mais de cela la droite ne veut parler. »

Le site des amies et amis de la Commune : https://www.commune1871.org/ association qui a servi de déclencheur à la bonne vieille dispute entre droite et gauche…

<1543>

Jeudi 25 mars 2021

« La grande mesure de la Commune, ce fut sa propre existence »
Karl Marx

Pierre Nora prétend que La Commune « n’a pas apporté grand-chose ». J’ai rapporté ces propos lundi.

Dans le numéro de la Revue « L’Histoire » de janvier 2021 que j’ai cité mardi, l’Historien Quentin Deluermoz dans son article « L’impossible République : Gouverner au ras du sol » ne dit pas autre chose :

« L’avis est largement partagé : le bilan concret de la Commune de Paris est mince. Le décret du 20 avril 1871 interdisant le travail de nuit des boulangers est au fond « la seule mesure véritablement socialiste de la Commune », regrettait déjà l’internationaliste Léo Frankel début mai. Les commentateurs et les historiens, qu’ils soient pour ou contre la Commune, ont ensuite évoqué un « brouillon » pour les idéologies à l’œuvre, voire une « ébauche maladroite », un système « balbutié ». »

Marx s’est beaucoup intéressé à cette révolution. Il a écrit « La guerre civile en France » terminé fin mai 1871, alors que la commune venait à peine d’être écrasée. Ce livre a été mis en ligne par nos amis canadiens au <format pdf>

Quentin Deluermoz rapporte les propos que Marx a tenu:

« La grande mesure de la Commune, ce fut sa propre existence ».

L’étonnant c’est en effet que cela a pu exister.

Même si en fin de compte cela a raté.

L’article de la Revue « L’Histoire » donne la liste des réformes que la Commune a entreprises :

  • Adoption du drapeau rouge, celui des « travailleurs », à la place du drapeau tricolore jugé trop « bourgeois ».
  • Remise générale des loyers des termes d’octobre 1870, janvier et avril 1871.
  • Suppression de la vente des objets déposés au Mont-de-Piété.
  • Abolition de la conscription.
  • École gratuite et obligatoire pour les filles et les garçons.
  • Séparation des Églises et de l’État, suppression du budget des cultes.
  • Interdiction du cumul, fixation du maximum des traitements à 6 000 francs par an.
  • Fixation des émoluments des membres de la Commune à 15 francs par jour.
  • Traitement des instituteurs et institutrices à 2 000 francs.
  • Suppression de la catégorie « illégitimes » pour les enfants nés hors mariage et reconnaissance des unions libres.
  • Suppression du travail de nuit dans les boulangeries.

On peut quand même noter des réformes très modernes qui vont être reprises un peu plus tard par la IIIème République :

  • L’école gratuite
  • La Séparation de l’église et de l’état
  • L’abolition de la bâtardise, c’est-à-dire du statut infamant et inférieur des enfants nés hors mariage

Ce n’est pas rien, d’avoir ainsi ouvert des voies vers une plus grande justice.

La Commune a aussi donné une bien plus grande place aux femmes que celle que leur accordait la société qui l’a combattue.

Quentin Deluermoz écrit : :

« En soixante-douze jours, le gouvernement de la Commune a soulevé de grands espoirs, mais son bilan est nuancé. »

Mais c’est très court 72 jours. Et puis cette période ne s’est pas passée dans la sérénité mais dans la violence et la guerre que les communards ont eut à affronter contre les versaillais.

La commune avait aussi d’autres projets quelle n’a pas même pas pu mettre en œuvre :

  • Réorganisation de la justice : gratuite et rendue par des jurys élus.
  • Attribution des ateliers abandonnés par les patrons « déserteurs » aux associations ouvrières.
  • Élection des fonctionnaires.
  • Un crédit industriel et ouvrier.

Quentin Deluermoz insiste sur deux points : l’enseignement et la libération de la parole.

L’enseignement devait être laïque :

« Ainsi de l’enseignement sous l’égide des municipalités : remplacement des congréganistes par des instituteurs laïques dans le IIIe arrondissement, multiplication des écoles de filles dans le XVIIe. Mieux : une autre conception pédagogique est alors défendue, celle de l’« éducation intégrale », à la fois professionnelle et intellectuelle. Les objectifs généraux de cette « éducation communale » sont fréquemment rappelés, comme sur cette affiche du IVe arrondissement : « Apprendre à l’enfant à aimer et à respecter ses semblables. Lui inspirer l’amour de la justice ; lui enseigner également qu’il doit s’instruire en vue de l’intérêt de tous. »

La libération de la parole est aussi un grand moment de modernité qui s’accompagne d’un mouvement anti-clérical qui deviendra le combat des radicaux de la IIIème république :

« La « République de Paris » est aussi un moment de libération de la parole. Critiques, attentes, projets, espoirs des Parisiens, notamment des plus fragiles, s’expriment d’une manière inédite. La multiplication des titres de presse, des placards, des affiches, en témoigne : « Nous voulons affranchir le prolétariat, que chacun vive de son travail ; plus de paresseux, plus de parasites, plus d’exploiteurs, plus d’exploités, vivre en travaillant ou mourir en combattant » (avis de la délégation communale du Ier arrondissement, 13 avril) ; « Montrons que nous sommes les dignes fils de 1789 » (appel d’un commandant de la Garde nationale, 20 mars).

Les clubs sont un autre lieu essentiel de cette parole libérée. Les participants y discutent tour à tour de la guerre, de la haine des curés et des propriétaires, de la fin de la misère, de l’harmonie espérée ou du souvenir du coup d’État de 1851. Un certain nombre de clubs se sont installés dans les églises. Dans le cadre d’un mouvement très anticlérical, les bâtiments sont parfois mis à mal. La signification de ces appropriations doit être bien comprise : il s’agit-rien de moins que remplacer l’exercice d’une parole divine, venue d’en haut, par celui d’une parole démocratique et populaire. Ce faisant, les communards sécularisent l’espace urbain et constituent, à partir de l’ancien, des lieux « autres » dans la ville.»

Il y a enfin une aspiration vers une démocratie plus directe et plus proche du terrain. Ainsi les bataillons de la Garde nationale élisent directement leur chef.

La commune prône aussi le mandat impératif, qui oblige les élus à rendre des comptes et les rend révocables à tout instant.

L’historien Jacques Rougerie qui a écrit de nombreux ouvrages sur la commune évoque la volonté « d’être son propre maître » et une « aspiration profonde du peuple de Paris, du moins d’une majorité […], à une démocratie vraie ».

Et pour en revenir à Marx, dans son ouvrage cité, il pensait que la commune était la prémisse de la révolution communiste, une première tentative de prise de pouvoir par la classe ouvrière.

La commune fut d’ailleurs la première à utiliser le drapeau rouge comme symbole.

Mais la pensée de Marx sur la Commune allait évoluer et probablement un peu en raison de sa confrontation avec certains d’entre eux.

D’abord plein de bonnes intentions à l’égard des vaincus, il se heurta bientôt à la part anarchiste d’un certain nombre de communards.

Dans la revue « L’histoire » Michel Cordillot raconte :

«  Au cours des mois qui suivent environ 2 000 communards rescapés arrivent à Londres, souvent dans le plus grand dénuement. Marx joue un rôle essentiel au sein du Comité d’aide aux réfugiés pour récolter des secours et leur trouver du travail. Mais, alors que les dissensions s’aggravent au sein de l’Internationale, il est pris à partie, parfois même accusé d’avoir détourné des fonds ou d’être un complice de Bismarck. Après la conférence de Londres (septembre 1871) et plus encore après le congrès de La Haye (septembre 1872) à l’issue duquel la rupture avec les anti-autoritaires est consommée, ses relations avec la plupart des anciens communards deviennent exécrables sur fond de désaccords politiques et stratégiques. Avec le transfert du Conseil général à New York, la longue agonie de l’Internationale commence, ce qui va permettre à Marx de prendre du recul pour mieux se consacrer à ses travaux théoriques. La lettre adressée par Engels à leur ami américain Friedrich Sorge à la mi-septembre 1874 reflète la lassitude que Marx et lui éprouvent : « L’émigration française est tout à fait divisée […]. Ces gens-là veulent tous vivre sans travailler vraiment, ont la tête pleine de prétendues inventions qui rapporteront des millions […]. La vie irrégulière qu’ils ont menée pendant la guerre, la Commune et l’exil a fait perdre tout sens moral à ces gens. »

Dix ans après la Commune, Marx voit la Commune avec un autre regard :

Dans une lettre citée par Cordillot et qu’il adresse à Ferdinand Domela Nieuwenhuis le 22 février 1881, il dresse d’abord ce constat :

« Outre qu’elle fut simplement la rébellion d’une ville dans des circonstances exceptionnelles, la majorité de la Commune n’était nullement socialiste et ne pouvait pas l’être. »

Et il ajoute :

« Avec un tout petit peu de bon sens, elle eût pu cependant obtenir de Versailles un compromis favorable à toute la masse du peuple, ce qui était la seule chose possible alors. »

Michel Cordillot suggère donc que Marx semble en être arrivé à la conclusion que la Commune n’avait pas été la révolution ouvrière ouvrant la voie à l’extinction du capitalisme telle qu’il l’avait imaginée.

Cela ne rend que plus pertinent le jugement précédent qu’il avait porté : « La grande mesure de la Commune, ce fut sa propre existence »

<1542>

Mercredi 24 mars 2021

« Ils se levèrent pour la Commune, en écoutant chanter Pottier. Ils faisaient vivre la Commune en écoutant chanter Clément »
Jean Ferrat

La commune est restée dans l’imaginaire des français et même au-delà. Elle l’est restée parce que de nombreux livres lui ont été consacrés depuis 150 ans.

Et aussi en raison d’un grand nombre de chants qui ont été composés pour la commune du temps de celle-ci ou qu’elle a inspirés depuis.

Ces chansons ont fait l’Histoire. L’émotion, la destinée et la force de ces chansons me font toujours vibrer.

Pour entrer dans ce monde, je vais commencer par la chanson que Jean Ferrat a composé pour les cent ans de la commune en 1971 : <La commune>

Cette chanson qui magnifie les femmes et les hommes qui ont participé à cet épisode « Comme un espoir mis en chantier ».

Dans cette chanson dont il a écrit la musique mais dont les paroles sont de Georges Coulonges, il y a ce refrain

« Il y a cent ans commun commune
Comme un espoir mis en chantier
Ils se levèrent pour la Commune
En écoutant chanter Pottier
Il y a cent ans commun commune
Comme une étoile au firmament
Ils faisaient vivre la Commune
En écoutant chanter Clément »

L’intégralité du texte se trouve derrière <ce lien>

Il est d’abord question d’«Eugène Pottier » l’auteur de « L’internationale » ce magnifique chant révolutionnaire qui a été chanté tant de fois par des millions d’êtres humains qui rêvaient et espéraient un monde meilleur et qui aussi a été souillé par des criminels qui ont trahi ces aspirations après la prise de pouvoir des bolcheviques et de leurs affidés :

« Ouvriers, Paysans, nous sommes
Le grand parti des travailleurs ;
La terre n’appartient qu’aux hommes,
L’oisif ira loger ailleurs.
Combien de nos chairs se repaissent !
Mais si les corbeaux, les vautours,
Un de ces matins disparaissent,
Le soleil brillera toujours !

C’est la lutte finale
Groupons-nous, et demain,
L’Internationale,
Sera le genre humain. »

L’intégralité du texte se trouve derrière <ce lien> et vous trouverez ici une interprétation passionnée de <Marc Ogeret>

« L’internationale » est une chanson de la Commune créée par Eugène Pottier qui était un communard, juste après la semaine sanglante. Lorsque la France déclare la guerre à la Prusse en juillet 1870, Pottier est signataire du manifeste de la section parisienne de l’Internationale dénonçant la guerre. Membre de la garde nationale, il participe aux combats durant le siège de Paris de 1870, puis il prend une part active à la Commune de Paris, dont il est élu membre pour le 2e arrondissement. Il siège à la commission des Services publics. Il participe aux combats de la Semaine sanglante. En juin 1871, caché dans Paris, il compose son poème L’Internationale et se réfugie en Angleterre. Condamné à mort par contumace le 17 mai 1873, il s’exile aux États-Unis, d’où il organise la solidarité pour les communards déportés.

Eugène Pottier était né en 1816 à Paris. Il est d’abord dessinateur sur étoffes et compose sa première chanson, Vive la Liberté, en 1830. Il participe à la Révolution de 1848.

Ruiné et à demi paralysé, il reviendra de son exil américain, après l’amnistie de 1880 et meurt le 6 novembre 1887 à Paris.

Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise (95e division) à Paris.

Mais il a écrit bien d’autres chansons. En 1870 : <Quand viendra t’elle ?> :

« La guerre est cruelle,
L’usurier pressant.
L’un suce ma moelle,
L’autre boit mon sang.
Ah ! je l’attends, je l’attends!
L’attendrai-je encor longtemps? »

L’intégralité du texte se trouve derrière <ce lien>

Et puis en 1880 avec une musique de Pierre Deteyger, une chanson toute entière dédiée à la Commune : <L’insurgé>

« En combattant pour la Commune
Il savait que la terre est Une,
Qu’on ne doit pas la diviser,
Que la nature est une source
Et le capital une bourse
Où tous ont le droit de puiser. »

L’intégralité du texte se trouve derrière <ce lien>

Et Ferrat cite en second « Jean Baptiste Clément » l’inoubliable auteur du « Temps des cerises » :

« Mais il est bien court, le temps des cerises
Où l’on s’en va deux, cueillir en rêvant
Des pendants d’oreilles…
Cerises d’amour aux roses pareilles,
Tombant sous la feuille en gouttes de sang…
Mais il est bien court, le temps des cerises,
Pendants de corail qu’on cueille en rêvant ! »

L’intégralité du texte se trouve derrière <ce lien>

« Le Temps des cerises » est une chanson intimement liée à l’épisode de la Commune dans l’imaginaire de toutes celles et ceux qui restent émus à l’évocation de cette tragédie. Mais cette chanson précède la commune. Les paroles furent écrites en 1866 par Jean Baptiste Clément et la musique composée par Antoine Renard en 1868.

Jean Baptiste Clément écrivit cette chanson en 1866, lors d’un voyage vers la Belgique. Sur la route des Flandres, il fit une halte à Conchy-Saint-Nicaise. Il fit escale dans la maison située près de l’estaminet du lieu-dit de la poste. La maison entourée de cerisiers anciens inspira l’auteur.

Des années plus tard, en 1882, Jean Baptiste Clément ajouta un couplet à sa chanson. Il la dédie à une ambulancière rencontrée lors de la Semaine sanglante, alors qu’il combattait en compagnie d’une vingtaine d’hommes :

« À la vaillante citoyenne Louise, l’ambulancière de la rue de la Fontaine-au-Roi, le dimanche 28 mai 1871. »

À la fin des paroles, il explicite cette dédicace :

« Puisque cette chanson a couru les rues, j’ai tenu à la dédier, à titre de souvenir et de sympathie, à une vaillante fille qui, elle aussi, a couru les rues à une époque où il fallait un grand dévouement et un fier courage ! Le fait suivant est de ceux qu’on n’oublie jamais : Le dimanche, 28 mai 1871 […]. Entre onze heures et midi, nous vîmes venir à nous une jeune fille de vingt à vingt-deux ans qui tenait un panier à la main. […] Malgré notre refus motivé de la garder avec nous, elle insista et ne voulut pas nous quitter. Du reste, cinq minutes plus tard, elle nous était utile. Deux de nos camarades tombaient, frappés, l’un, d’une balle dans l’épaule, l’autre au milieu du front… […] Nous sûmes seulement qu’elle s’appelait Louise et qu’elle était ouvrière. Naturellement, elle devait être avec les révoltés et les las-de-vivre. Qu’est-elle devenue ? A-t-elle été, avec tant d’autres, fusillée par les Versaillais ? N’était-ce pas à cette héroïne obscure que je devais dédier la chanson la plus populaire de toutes celles que contient ce volume ? »

Jean Baptiste Clément est né en 1836, dans une famille aisée à Boulogne-Billancourt.

Il quitte très jeune le foyer. Il exerce divers métiers manuels puis côtoie, à Paris, des journalistes, écrivant dans des journaux socialistes, notamment « Le Cri du peuple » de Jules Vallès, autre communard célèbre.

Après un séjour en Belgique pour se faire oublier de la police impériale il revient à Paris et collabore à divers journaux d’opposition au Second Empire, tels que « La Réforme » de Charles Delescluze important responsable de la Commune mort sur une barricade le 25 mai 1871. Jean Baptiste Clément est condamné pour avoir publié un journal non cautionné par l’empereur. Il est emprisonné jusqu’au soulèvement républicain du 4 septembre 1870. Membre de la Garde nationale, il participe aux différentes journées de contestation du Gouvernement de la Défense nationale le 31 octobre 1870 et le 22 janvier 1871. Le 26 mars 1871, il est élu au Conseil de la Commune par le XVIIIe arrondissement. Il est membre de la commission des Services publics et des Subsistances. Le 16 avril, il est nommé délégué à la fabrication des munitions, puis, le 21, à la commission de l’Enseignement. Il combat sur les barricades pendant la Semaine sanglante.

Et il écrit peu après une autre chanson très célèbre « La Semaine sanglante » :

« On traque, on enchaîne, on fusille
Tout ce qu’on ramasse au hasard :
La mère à côté de sa fille,
L’enfant dans les bras du vieillard.
Les châtiments du drapeau rouge
Sont remplacés par la terreur
De tous les chenapans de bouge,
Valets de rois et d’empereur.

Oui mais…
ça branle dans le manche,
Ces mauvais jours-là finiront.
Et gare à la revanche
Quand tous les pauvres s’y mettront ! »

L’intégralité du texte se trouve derrière <ce lien>

Jean-Baptiste Clément réussit à fuir Paris, gagne la Belgique et se réfugie à Londres, où il poursuit son combat. Il est condamné à mort par contumace en 1874. Pendant cette période de mai 1875 à novembre 1876, il se réfugie clandestinement chez ses parents à Montfermeil. En attendant l’amnistie, prononcée en 1879, il se promène dans les bois et pêche dans les étangs de Montfermeil. Il rentre à Paris après l’amnistie générale de 1880.

En 1885, il fonde le cercle d’études socialiste, l’Étincelle de Charleville et la Fédération socialiste des Ardennes qui participe en 1890 à la création du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire.

Il décède à l’âge de 66 ans le 23 février 1903 et sera inhumé au cimetière du Père-Lachaise.

Toute sa vie il est surveillé par la Sureté Nationale, son dossier aux archives de la Préfecture de Police fait environ 30 cm d’épaisseur. La surveillance de sa mémoire s’est continuée après sa mort, le dernier document du dossier est un programme de cabaret de 1963 organisant une soirée pour les soixante ans de sa mort.

Clément a aussi écrit <LE CAPITAINE « AU-MUR »> :

« — Qu’avez-vous fait ? — Voici deux listes
Avec les noms de cent coquins :
Femmes, enfants de communistes.
Fusillez-moi tous ces gredins !…
— Qu’avez-vous fait ? — Je suis la veuve
D’un officier mort au Bourget…
Eh ! tenez, en voici la preuve :
Regardez, s’il vous plaît…
— Oh ! moi je porte encore
Mon brassard tricolore.
Au mur !
Disait le capitaine,
La bouche pleine
Et buvant dur,
Au mur ! »

L’intégralité du texte se trouve derrière <ce lien>

Les photos de Clément et de Pottier sont l’œuvre de Félix Tournachon, dit « Nadar » qui lui aussi est enterré au cimetière du Père Lachaise,

Il y a encore beaucoup d’autres chansons de la commune.

Vous en trouverez sur cette magnifique page : Les plus belles chansons de la Commune de Paris> il y a d’autres chansons de Pottier, de Clément mais aussi d’Alexis Bouvier, Émile Dereux, Paul Brousse, Jules Jouy

Sur ce même site j’ai trouvé cette page très détaillée et instructive sur les <Mémoires de la Commune de 1871 dans l’Est parisien>

J’ai acheté ce disque de Marc Ogeret : « autour de la commune ».

Splendides interprétations de ces chansons qui ne peuvent que vous faire vibrer.

Beaucoup des chansons évoquées se trouvent sur ce disque mais qui commence par une perle que je ne connaissais pas : « Le Chant des ouvriers »

Et je finirai ce mot du jour sur les chansons autour de la commune comme j’ai commencé avec une offrande de Jean Ferrat « Les cerisiers » dont vous trouverez les paroles derrière <ce lien>. Cette chanson se trouve dans l’avant dernier album de Ferrat « Je ne suis qu’un cri » publié en 1985.

« J’ai souvent pensé c’est loin la vieillesse

Mais tout doucement la vieillesse vient
Petit à petit par délicatesse
Pour ne pas froisser le vieux musicien
Si je suis trompé par sa politesse
Si je crois parfois qu’elle est encore loin
Je voudrais surtout qu’avant m’apparaisse
Ce dont je rêvais quand j’étais gamin

Ah qu’il vienne au moins le temps des cerises
Avant de claquer sur mon tambourin
Avant que j’aie dû boucler mes valises
Et qu’on m’ait poussé dans le dernier train »

<1541>

Mardi 23 mars 2021

«La Commune de 1871 plonge ses racines dans la guerre franco-prussienne.»
Robert Baker

La Commune fut une guerre civile entre français sous l’œil satisfait des prussiens.

La France a connu de nombreuses guerres civiles, des guerres de religion, la guerre entre les nobles et les bourgeois de la révolution française et plus récemment la guerre civile entre résistants et collaborateurs.

La Commune dans l’imaginaire de la Gauche, issue du récit marxiste de cette insurrection, considère que ce fut avant tout une guerre de classes. La commune étant la première tentative de révolution communiste.

Mais les choses n’ont pas été aussi simple.

C’est tout un processus, issu de la défaite de la guerre de 1870 qui va conduire à cette déchirure.

Dans la revue « L’Histoire » de janvier 2021, entièrement consacrée à la Commune de Paris, l’historien Robert Baker essaie de répondre à la question « Pourquoi Paris se soulève le 18 mars 1871 ? »

Il explique d’abord que

« La Commune de 1871 plonge ses racines dans la guerre franco-prussienne. Le 4 septembre 1870, apprenant la défaite deux jours plus tôt de Napoléon III à Sedan, le peuple de Paris envahit le Palais-Bourbon, proclame la république et donne naissance à un gouvernement de la Défense nationale destiné à poursuivre la guerre. Mais les Prussiens sont bientôt aux portes de Paris, ville fortifiée, entourée de remparts depuis les années 1840. Le blocus de la capitale commence le 19 septembre 1870. Dès ce « siège de Paris » prend forme l’idée d’une « Commune ». En effet, tandis que le 7 octobre Gambetta, ministre de l’Intérieur, quitte Paris en ballon pour Tours afin d’y organiser la défense du territoire, le gouvernement provisoire, présidé par le gouverneur militaire de Paris, le général Trochu, et dirigé par les trois « Jules », Favre, Ferry et Simon, avec Ernest Picard, s’attire une critique de plus en plus violente de la part des porte-parole des milieux populaires, qui lui reprochent son inertie et sa modération. A côté de l’armée régulière et de la garde mobile, la principale force de Paris réside dans la Garde nationale, soit environ 200 000 hommes en armes, recrutés et organisés par quartier, élisant ses chefs. Depuis août 1870, ils appartiennent à toutes les classes sociales, et veulent en découdre. »

Mais les autorités et notamment le général Trochu n’autorisent pas la « sortie en masse » et la « guerre à outrance » réclamés par le peuple de Paris.

Elles ont certainement raison, la puissance de l’armée prussienne et de ses alliés ne pouvaient que conduire à une déroute de cette armée, certes de patriotes, mais amateurs.

Ainsi, le germe du conflit n’est pas un combat social, mais le refus de la défaite de la nation.

Après l’annonce de de la capitulation du maréchal Bazaine à Metz, les parisiens les plus engagés vont prendre d’assaut l’Hôtel de Ville, où siège le gouvernement, le 31 octobre 1870. Déjà l’intention est de constituer une Commune avec pour objectif de vaincre l’ennemi.

Ils ne réussiront pas, car il reste à ce moment suffisamment de gardes nationaux « légitimistes » pour défendre et délivrer le gouvernement.

Un nouvel accès de fièvre survient le 22 janvier 1871, quand ces réfractaires apprennent que le ministre des Affaires étrangères Jules Favre est allé à Versailles négocier, au nom du gouvernement provisoire, un armistice avec le chancelier allemand Bismarck.

Bismarck s’est, en effet, installé à Versailles parce que c’est dans la galerie des glaces du château de Versailles que le chancelier de l’Unité allemande va proclamer la création du second empire allemand le 18 janvier 1871.

Ce soulèvement qui aboutira à des morts a encore pour objectif d’éviter la capitulation.

Nouvelle défaite, le 28 janvier 1871 l’armistice est signé : Paris capitule.

Robert Baker précise :

« Les forts sont livrés à l’ennemi ; l’armée doit donner ses armes, à l’exception d’une dizaine de milliers de soldats destinés à assurer la police dans la capitale. Toutefois cet accord n’allait pas jusqu’au désarmement de la Garde nationale. Celle-ci ne dépose pas ses fusils et, surtout, les canons dont elle s’est dotée, une bonne part par souscription, restent entre ses mains. Le 1er mars, avant l’arrivée des Prussiens, les gardes nationaux mettent ces canons en sûreté. […] Tandis que l’indignation populaire est à son comble, on assiste alors à une nouvelle émigration qui suit celle d’avant le siège : 150 000 personnes environ, appartenant aux classes aisées, quittent la capitale. L’évolution sociologique de Paris va s’en ressentir au bénéfice des partisans de la Commune. »

La révolte reste, à ce stade, un refus de la défaite. En revanche, la fuite en deux épisodes avant le siège puis au début des troubles suivant l’armistice, de la bourgeoisie parisienne va modifier l’équilibre politique du peuple de Paris en le portant vers la gauche.

Probablement qu’il y aura à partir de ce moment un ressentiment du peuple populaire parisien à l’égard des « riches » qui acceptent la défaite.

Cependant, il faut savoir que les historiens nous donnent l’assurance que la France ne pouvait plus gagner la guerre en janvier 1871, surtout qu’elle n’arrivait à mobiliser aucun allié contre la Prusse.

Hier, il était question de la commémoration éventuelle de Napoléon Ier. En plus du désastre dans lequel il a mené la France à cause des multiples guerres qu’il a engagées et finalement perdues, il a aussi contribué à asseoir chez les autres nations européennes, l’image d’une France arrogante et guerrière qu’il n’y avait aucune raison à soutenir.

Bismarck a alors exigé, pour pouvoir discuter de la paix avec un gouvernement légitime, que des élections aient lieu.

Ce fut le cas, le 8 février 1871, avec comme résultat la victoire très nette des monarchistes. Mais Paris est profondément républicain : la ville a élu 36 républicains, dont Louis Blanc et Victor Hugo.

Ce Paris républicain craint une restauration.

L’assemblée, elle, se réunit à Bordeaux et Adolphe Thiers devient, à 73 ans, le 16 février, « chef de l’exécutif ».

Robert Baker écrit :

« L’Assemblée de Bordeaux, aux mains des monarchistes, des réactionnaires, de ceux qu’on appellera avec mépris les « ruraux », loin de rendre hommage à la résistance héroïque des Parisiens, manifeste d’emblée sa détestation de la ville patriote et révolutionnaire. »

Paris va s’organiser dans l’hostilité contre le gouvernement Thiers.

Une première organisation a été constituée le 4 septembre 1870 par une majorité de militants de l’Internationale des travailleurs fondée à Londres en 1864.

Une seconde fut constituée après l’armistice : le Comité central de la Garde nationale.

Robert Baker écrit :

« La Garde nationale se politisa fortement après l’armistice. Sa composition sociale avait sensiblement évolué avec le départ, avant et après le siège, des citoyens aisés et amis de l’ordre. […] Le 15 février 1871, […] les délégués de la Garde nationale issus de 18 arrondissements élisent un Comité central de la fédération de la Garde nationale, dont la première intention est d’empêcher toute tentative de désarmement par le gouvernement de Thiers. Dans les jours suivants, les canons acquis par la Garde nationale sont transférés à Montmartre et place des Vosges »

Le terme de fédération donnera naissance au nom de « fédérés ». Le mur du cimetière du père Lachaise devant lequel seront fusillés des communards porte désormais le nom du « mur des fédérés ».

Et dans ce climat de défaite que le gouvernement de Thiers assume et que les parisiens rejettent, la tension va augmenter en raison d’un certain nombre de décisions gouvernementales : J’en cite quelques-unes :

  • Le 15 février, la solde journalière des gardes nationaux (1,50 franc) est remise en question. Pour la toucher, il faudra faire la preuve de son indigence. Pour beaucoup c’est une abolition qui les prive de leurs seules ressources.
  • Le 7 mars, le régime normal du Mont-de-Piété est rétabli, au détriment des démunis qui avaient bénéficié pendant le siège d’un moratoire protégeant leurs objets déposés.
  • Le 10 mars, l’Assemblée prend la décision de transférer le siège du gouvernement à Versailles, à une quinzaine de kilomètres au sud-ouest de Paris. Paris n’est plus la capitale.
  • Le 13 mars, l’Assemblée décide la reprise du paiement des effets de commerce, la fin du moratoire des dettes commerciales qui va causer des faillites en chaîne. On estime à 150 000 le nombre des constats de faillite entre le 13 et le 17 mars.

Robert Baker analyse :

« Du même coup, l’opposition à l’Assemblée et au gouvernement de Thiers n’est plus le monopole des rangs populaires ; c’est la petite et la moyenne bourgeoisie qui sont touchées dans leurs moyens d’existence. Les révolutionnaires, jusque-là minoritaires, vont pouvoir compter sur une majorité de Parisiens des différentes classes sociales, excédés par les décisions prises à Bordeaux, après avoir été indignés par la capitulation. »

C’est donc une révolte qui ne va pas toucher que les masses populaires mais aussi des commerçants, des employés, des instituteurs.

Et …

« Dans la nuit du 17 au 18 mars, les troupes de l’armée régulière commandées par le général Vinoy tentent de reprendre les canons, rangés en plusieurs endroits, principalement à Montmartre. Mais l’opération, mal préparée, traîne en longueur : faire descendre une centaine de canons de la butte Montmartre n’est pas une mince affaire. A l’aube, le samedi 18 mars, quand Paris s’éveille, les canons n’ont pu être évacués, faute d’attelages suffisants. De proche en proche, une véritable journée insurrectionnelle commence, les tambours des fédérés battent le rappel, on entoure les soldats, on leur offre des vivres, on les couve. Le général Lecomte, qui commande les soldats du 88e de ligne, ordonne de faire feu ; les soldats refusent d’obtempérer. »

Et c’est ainsi que la Commune et la guerre civile démarrent.

Clemenceau qui est maire de Montmartre et député de Paris va tenter une médiation et essayer d’apaiser le conflit, mais échouera. Mais on comprend bien que tout au long de ce processus qui va mener à la guerre civile, la première raison du conflit se trouve dans la défaite militaire. Les revendications sociales n’apparaîtront que dans un second temps.

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