Mardi 26 juin 2018

« Peut-on encore aimer le football ? »
Robert Redeker

Cet article est le 11ème de la série consacrée au football. Il me semble amusant de s’arrêter à 11 qui est le nombre de joueurs d’une équipe qui joue un match de football selon les règles prévues.

J’aurais pu aborder encore beaucoup d’autres sujets.

Parce exemple parler de la science du football comme cet article du Monde <Le foot est plus qu’un art c’est une science> qui est accessible aux abonnés et dans lequel on apprend que les deux plus grandes bases de données d’articles scientifiques, Scopus (propriété d’Elsevier) et Web of Science (propriété de Clarivate Analytics), recensent respectivement 20 120 et 18 870 publications avec le terme « soccer » (le nom du football aux Etats-Unis) dans leur titre ou résumé. Le plus vieil article remonte à 1932 dans Scopus, avec une étude sur l’évaluation du foot à l’école.

Et aussi cette vidéo de 3mn qui fait partie d’une série publiée également par <le Monde> et qui révèle que le football est le sport collectif le plus imprévisible. Un économiste David Sally qui a beaucoup étudié ce sujet a pu déterminer que dans le football le favori ne gagne en fin de compte qu’une fois sur deux. C’est presque comme une partie de pile ou face.

Sur les mêmes bases au base ball le favori l’emporte 3 fois sur 5 et au basket 2 fois sur 3. Selon David Sally la raison principale est que le football est un sport où les scores sont faibles. Entre 1901 et 2012, 17% des matches se sont achevés sur le score de 1-0. Et c’est probablement pour cela qu’il faut injecter autant de moyens financiers dans une équipe pour espérer faire diminuer de manière substantielle l’imprévisibilité du résultat.

J’aurais aussi pu évoquer tous ces livres qui ont paru sur le football, ces derniers mois en profitant de l’opportunité de la compétition actuelle qui mobilise tellement de supporters.

Si on va sur le site de la FNAC et qu’on recherche les livres parus en 2018, il en sort des dizaines, dont voici une partie :


Et bien sûr, il y a des livres plus anciens dont j’ai déjà évoqué certains.

J’ai ainsi lu l’ouvrage du philosophe Jean-Claude Michéa : « le plus beau but était une passe ». Ce titre est une des répliques du film que le grand Ken Loach a consacré à Eric Cantona : « Looking for Eric » et c’est la réponse que le footballeur a répliqué à la question : quel était votre plus beau but ?

Dans ce livre, Jean Claude Michéa explique :

« Contrairement aux anciennes forme de domination politique ; qui laissaient généralement subsister en dehors d’elles des pans entiers de la vie individuelle et sociale, le système capitaliste ne peut maintenir son emprise sur les peuples qu’en pliant progressivement à ses lois l’ensemble des institutions, des activités et des manières de vivre qui lui échappaient encore.

Il aurait donc été étonnant qu’un phénomène culturel aussi massif et aussi internationalisé que le football puisse échapper indéfiniment à ce processus de vampirisation. Et, de fait, comme chacun peut le constater aujourd’hui, ce sport est devenu, en quelques décennies, l’un des rouages les plus importants de l’industrie mondiale du divertissement – à la fois source de profits fabuleux et instrument efficace du soft power (puisque c’est ainsi que les théoriciens libéraux de la « gouvernance démocratique mondiale » ont rebaptisé le « vieil opium du peuple ». »

Bref, le football n’est que la continuation de la marchandisation générale du monde.

Même Alain Finkielkraut, qui il est vrai a toujours affirmé son amour du foot, a consacré deux émissions à ce sujet.

Le 9 septembre 2017 « Peut-on encore aimer le football ? », puis le 16 juin 2018 « Football, amour et désamour » où il a invité Vincent Duluc, journaliste de l’équipe et Robert Redeker, écrivain et agrégé de philosophie qui vient de faire paraître un livre « Peut on encore aimer le football ?» qui reprend le titre de la première émission de Finkielkraut et que vous voyez dans les ouvrages reproduits ci-dessus. C’est ce titre que j’ai choisi comme exergue à ce dernier mot du jour de la série.

Dans son livre Robert Redeker écrit

« Que dit-on d’un régime politique qui cadenasse l’information jusqu’à ce qu’elle devienne unidimensionnelle, qui fait en sorte qu’à longueur de page, d’heures d’antenne radio et télédiffusées, le même sujet soit traité avec un constance qui finit par donner la nausée, que la géographie y tienne lieu d’esprit critique, que les intellectuels y soient tellement asservis qu’ils ne trouvent rien de mieux à faire que de s’épancher urbi et orbi en analyses de café des sports dont le premier supporter venu serait capable. Le jugement tombe sans appel : il s’agit d’un régime totalitaire.

Tous les 4 ans, pendant un mois, nos journaux, nos médias, nos intellectuels à travers leur monotonie ressemblent à ceux de l’ex-RDA de sinistre mémoire. Le foot, le foot, et encore le foot . Présence totale qui ne manque pas de rappeler la presse communiste : le parti, le parti, le parti. »

Et puis pour finir vraiment, je voudrais revenir à la visite d’Emmanuel Macron à l’équipe de France de football à Clairefontaine. Pendant cette visite il a eu ce jugement :

«Une compétition est réussie quand elle est gagnée»

Montrant bien que pour lui ce sont les gagnants que l’on doit admirer et honorer.

C’est une philosophie de vie, c’est une morale.

Une morale que je ne partage pas.

Et le football encore m’aide à l’expliquer.

L’équipe de France de 1982 a perdu à Séville contre l’Allemagne. Je crois que tous ceux qui aiment le foot gardent beaucoup d’affection pour cette équipe de perdants.

Et l’équipe de 1986 qui avait battu le champion du monde sortant italien en 1/8ème finale. En ¼ de finale elle a rencontré l’équipe de Brésil de Socratés que j’ai déjà évoqué lors du mot du jour de vendredi. Certains historiens du football disent que ce fut le plus beau match de l’Histoire du football, tous disent que ce fut l’un des plus beaux. Et ce fut l’Argentine qui gagna la coupe du monde, l’Argentine de Maradona qui se qualifia grâce à la tricherie de ce dernier marquant un but avec la main contre l’Angleterre.

L’équipe de France de Platini et l’équipe du Brésil de Socratés furent des équipes de perdants, mais des perdants magnifiques.

Heureusement, M Macron que le monde de nos souvenirs et de nos célébrations n’est pas qu’un monde de gagnants. Il serait beaucoup moins beau, avec moins d’émotion, d’intelligence, de saveur, plus uniforme, plus triste.

« Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois… » disait Albert Camus.

C’est avec cette phrase que cette série a débuté…

<1096>

Lundi 25 juin 2018

« Quel sport est plus laid, plus balourd et moins gracieux que le football ? »
Pierre Desproges

Nous avons jusqu’ici constaté qu’historiquement le football a comme ancêtre des jeux de ballons très brutaux comme la soule ou le calcio florentin.

Depuis la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle, ce jeu de balle au pied s’est un peu civilisé et s’est organisé autour de règles visant à diminuer la violence et augmenter la technique.

De sorte que la quête d’Eduardo Galeano qui se décrit comme «un mendiant de bon football» et implorant «Une belle action, pour l’amour de Dieu !» puisse acquérir quelque légitimité.

Nous avons aussi évoqué des tricheries qui ont émaillé l’histoire de ce sport et surtout les dérives du business football.

Pourtant globalement, le ton était plutôt bienveillant.

Mais il existe des personnes qui détestent ce sport, et je pense qu’il faut leur donner la parole aussi.

Il y a d’abord ceux comme le chanteur Renaud qui s’en prennent aux spectateurs et surtout aux hooligans. Il le fait dans sa chanson « Miss Maggie » qui avant d’être une chanson anti Margaret Thatcher est d’abord une chanson féministe et une des strophes est celle-ci

« Femme je t’aime parce que
lorsque le sport devient la guerre
y a pas de gonzesse ou si peu
dans les hordes de supporters
Ces fanatiques, fous-furieux
abreuvés de haine et de bière
déifiant les crétins en bleu,
insultant les salauds en vert
Y a pas de gonzesse hooligan,
imbécile et meurtrière
y’en a pas même en Grande-Bretagne
à part bien sûr madame Thatcher »

Et puis il y a Umberto Eco qui dans son recueil de nouvelles : « Comment voyager avec un saumon » a écrit dans le chapitre ayant pour titre « Comment ne pas parler de foot »

« Je n’ai rien contre le foot.   Je ne vais pas au stade pour les mêmes raisons qui font que je n’irais jamais dormir la nuit dans les passages souterrains de la Gare Centrale de Milan (ou me balader à Central Park à New York après six heures du soir), mais il m’arrive de regarder un beau match à la télé, avec intérêt et plaisir car je reconnais et apprécie tous les mérites de ce noble jeu.   Je ne hais pas le foot.   Je hais les passionnés de foot.

Comprenez-moi bien.   Je nourris envers les tifosi un sentiment identique à celui des partisans de la Ligue Lombarde envers les immigrés extra-communautaires : « Je ne suis pas raciste, à condition qu’ils restent chez eux. »   Par chez eux, j’entends leur lieu de réunion en semaine (bar, famille, club) et les stades le dimanche où je me fiche de ce qu’il peut arriver, où ce n’est pas plus mal si les hooligans déboulent, car la lecture de ces faits divers me divertit, et puisque ce sont des jeux du cirque, autant que le sang coule.

Je n’aime pas le tifoso parce qu’il a une caractéristique étrange : il ne comprend pas pourquoi vous ne l’êtes pas, et s’obstine à vous parler comme si vous l’étiez.  «

Mais Pierre Desproges dans ses chroniques de la haine ordinaire a exprimé un rejet plus global sur le football, dans sa chronique du 16 juin 1986 :

« Voici bientôt quatre longues semaines que les gens normaux,  je j’entends les gens issus de la norme, avec deux bras et deux jambes pour signifier qu’ils existent, subissent à longueur d’antenne les dégradantes contorsions manchotes des hordes encaleçonnées sudoripares qui se disputent sur gazon l’honneur minuscule d’être champions la balle au pied. »

A ce stade il faut peut-être préciser qu’une glande sudoripare est une glande située sous la peau qui sécrète la sueur.

Rappelons qu’en 1986, il y avait aussi une coupe du monde et elle se déroulait au Mexique. Pierre Desproges continue :

« Voilà bien la différence entre le singe et le footballeur. Le premier a trop de mains ou pas assez de pieds pour s’abaisser à jouer au football.

Le football. Quel sport est plus laid, plus balourd et moins gracieux que le football ?

Quelle harmonie, quelle élégance l’esthète de base pourrait-il bien découvrir dans les trottinements patauds de vingt-deux handicapés velus qui poussent des balles comme on pousse un étron, en ahanant des râles vulgaires de bœufs éteints.

Quel bâtard en rut de quel corniaud branlé oserait manifester publiquement sa libido en s’enlaçant frénétiquement comme ils le font par paquets de huit, à grands coups de pattes grasses et mouillées, en ululant des gutturalités simiesques à choquer un rocker d’usine?

Quelle brute glacée, quel monstre décérébré de quel ordre noir oserait rire sur des cadavres comme nous le vîmes en vérité, certain soir du Heysel où vos idoles, calamiteux goalistes extatiques, ont exulté de joie folle au milieu de quarante morts piétinés, tout ça parce que la baballe était dans les bois?

Je vous hais, footballeurs. Vous ne m’avez fait vibrer qu’une fois : le jour où j’ai appris que vous aviez attrapé la chiasse mexicaine en suçant des frites aztèques. J’eusse aimé que les amibes vous coupassent les pattes jusqu’à la fin du tournoi. Mais Dieu n’a pas voulu. Ça ne m’a pas surpris de sa part. Il est des vôtres. Il est comme vous. Il est partout, tout le temps, quoi qu’on fasse et où qu’on se planque, on ne peut y échapper.

Quand j’étais petit garçon, je me suis cru longtemps anormal parce que je vous repoussais déjà. Je refusais systématiquement de jouer au foot, à l’école ou dans la rue. On me disait : « Ah, la fille! » ou bien : « Tiens, il est malade », tellement l’idée d’anormalité est solidement solidaire de la non-footballité.

Je vous emmerde. Je n’ai jamais été malade. »

Chroniques de la haine ordinaire / Éditions du Seuil, Points, Warner / 16/06/1986

On peut, on a le droit de ne pas aimer le football. Et on doit même pouvoir le dire.

Et celles et ceux qui l’aiment doivent pouvoir l’entendre.

<1095>

Jeudi 21 juin 2018

« Le calcio florentin »
Autre ancêtre du football

Dans les 3 précédents mots du jour, nous nous situions dans les temps du moyen-âge et de l’antiquité. Peu de sources nous permettaient de décrire avec certitude les règles et les conditions de jeu.

Tel n’est pas le cas du dernier jeu que je présenterai dans ce panorama des jeux de ballon qui ont annoncé le football.

C’est mon butinage et mes lectures récentes qui m’ont fait comprendre que si on nomme le championnat de football italien, « Le calcio » c’est pour des raisons historiques.

Le nom complet est : « Calcio Storico Fiorentino ». Il a été inventé au moyen-âge et s’est épanoui à la Renaissance essentiellement dans la ville de Florence.

<Wikipedia> ramène aussi ce jeu à une filiation avec l’ « harpastum » dont il fut question lors du mot de mardi et qui était pratiqué par les légionnaires de l’Empire romain.

C’est donc un sport collectif florentin de la Renaissance qui avait disparu au cours du XVIIIe siècle, mais qui fut relancé à Florence dans les années 1930.

Cette fois les règles sont beaucoup plus claires puisqu’en 1580, le Comte Jean de Bardi di Vernio écrivit le « Discours sur le jeu de calcio florentin » qui restera sans doute comme la première publication des règles écrites sur le football. Giovanni Bardi, comte de Vernio, (né en 1534 et mort en 1612 à Florence) était un écrivain, compositeur de musique et critique d’art italien de la Renaissance. L’art, le sport, le jeu n’étaient pas incompatibles à Florence.

Donc nous savons que la compétition voit s’affronter deux équipes de 27 joueurs : des gardiens, des attaquants, des tireurs. L’objectif est d’aller marquer une « caccia »: mettre le ballon dans les filets d’en face. Il faut marquer plus de buts que l’adversaire.

Depuis 1930, une compétition opposant 4 quartiers de la ville de Florence est à nouveau organisée. Elle se déroule désormais chaque année à la mi-juin sur la piazza Santa Croce.

Le Nouvel Obs est allé enquêter et explique :

« Il y a une part de tactique. Pour libérer la voie aux tireurs, les attaquants s’affrontent dans des combats en un contre un. Ils peuvent se plaquer ou se taper dessus. C’est un mélange de rugby, de lutte et de boxe. »

Historiquement ce n’est pas comme « le mob football anglais » et la « soule française » un jeu du peuple, mais plutôt de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie :

Le livre « Le Dieu football » qui m’accompagne dans cette plongée aux origines écrit :

« Se déroulant sur la place du marché florentine, il était pratiqué par l’aristocratie avec un ballon gonflé. C’était une bataille rude entre deux masses constituées de 27 joueurs : il y avait beaucoup d’os fracturés et de sang. Les parties étaient des célébrations rituelles disputées durant les noces royales ou l’arrivée d’hôtes de marque. Elles avaient lieu sur la merveilleuse place de Santa Croce qui mesure approximativement 90 mètres de long et 45 mètres de large, soit à peu près les dimensions du football d’aujourd’hui. Les joueurs avaient le droit d’utiliser leurs mains et leurs pieds pour faire avancer la balle.

[…] Seuls les membres de la haute société pouvaient y participer, jusqu’à ce que la bourgeoisie aisée permît aux marchands et aux employés de banque d’y jouer. Des costumes riches et colorés, des combats âpres, de nombreux blessés à la fin de la partie, telles étaient les caractéristiques essentielles de ce dur amusement. »

Philippe Villemus ajoute ce jugement que certains des lecteurs d’origine italienne trouveront injuste, voire injustifiable :

« Le football italien d’aujourd’hui, intraitable en défense, en a hérité sa légendaire rugosité ! »

Il semble que ce sport fait partie de l’identité florentine. <Wikipedia> décrit le match le plus célèbre de ce jeu qui a été joué le 17 février 1530 :

«  Les Florentins, profitant du pillage de Rome effectué par les forces armées impériales en 1527, chassèrent les Médicis de leur ville et proclamèrent la création de la République florentine. Cela ne plut pas au pape Clément VII, qui demanda une intervention à l’empereur, qui assiégea donc la ville à partir de l’été 1529.

Les Florentins, quoique affaiblis par le manque de nourriture provoqué par le siège de leur ville, ne renoncèrent pas aux festivités de Carnaval ; ils organisèrent un match sur la piazza Santa Croce qui, de par sa position, était bien visible par les troupes ennemies, campées sur les collines aux alentours. Pour se moquer davantage d’eux, des musiciens jouèrent sur le toit de l’église Santa Croce, de façon à donner aux soldats une idée plus claire du déroulement du jeu. Un boulet fut tiré par les soldats, mais il rata son but, tombant loin de l’église sans faire de dégâts, sous les huées de la foule.

On ne sait pas qui gagna cette partie, probablement parce qu’elle est restée dans la mémoire collective des florentins en tant qu’effort collectif contre l’ennemi et non un vrai match. Malgré le courage démontré par les Florentins, la ville fut contrainte de céder face au siège et de se rendre au pouvoir des Médicis. »

Mais comme les autres ancêtres du football et du rugby et à l’exception notable du « Kemari » japonais évoqué lundi, ce sport était d’une rare violence comme le décrit cet article : « Le Calcio storico : trop petit pour qu’on l’appelle la guerre et trop cruel pour être un jeu »

Vous pouvez aussi voir <cette vidéo> qui présente le calcio florentin.

On constate donc bien que le monde moderne est moins violent physiquement que le monde ancien comme plusieurs penseurs qui ont été cité dans les mots du jour l’ont relaté.

Après cela, et tout le monde le sait, ce furent les anglais qui inventèrent le football moderne

Le 26 octobre 1863, des représentants des divers clubs anglais se réunirent à la taverne des francs-maçons. Ils adoptèrent les règles de Cambridge et fondèrent la Football Association (FA). En décembre, les tenants du rugby se séparèrent.

Et la Fédération internationale de football association (désignée par l’acronyme FIFA) fut fondée le 21 mai 1904 à Paris.

Il est vrai que les anglais inventèrent la plupart des jeux collectifs modernes, alors que les français inventèrent les compétitions sportives.

Ainsi si Pierre de Coubertin fut à l’origine des jeux olympiques modernes, c’est aussi un français Jules Rimet, président de la fédération internationale de 1920 à 1954 qui créa en 1924 la Coupe du monde, dont le premier tournoi eut lieu en Uruguay qui gagna la compétition.

La coupe remis au vainqueur pris d’ailleurs le nom de Coupe Jules Rimet. Une règle traditionnelle à l’époque fixait que la nation qui gagnerait trois fois la compétition conserverait définitivement le trophée. C’est ce qui arriva en 1970 et le Brésil après cette victoire et celles de 1958 et 1962 est désormais propriétaire de ce trophée qui a été remplacé par l’actuel en 1974. La règle consécutive à trois victoires n’existe plus.

<Le ballon d’or> qui récompense chaque année le meilleur footballeur jouant en Europe est aussi une invention française : c’est le journal France Football qui le créa en 1956.

Ainsi va la rivalité entre les français et les anglais.

L’emblématique capitaine de l’équipe française de rugby des années 80, Jean-Pierre Rives aurait dit :

« Pour intéresser les anglais à la guerre, il faut leur expliquer que c’est du sport, pour intéresser les français au sport il faut leur dire que c’est la guerre ».

Demain nous reviendrons au football actuel et y porterons le regard critique de François Ruffin.

<1093>

Mercredi 20 juin 2018

«Le mob football anglais et la soule française»
Ancêtres du football

Après l’antiquité des grecs et des romains nous en arrivons au moyen-âge. (Page 51 à 58 du livre « Le Dieu football – Ses origines – ses rites – ses symboles »)

Et nous allons nous intéresser à l’Angleterre et à la France.

En introduisant ce sujet deux caractéristiques communes me frappent :

  • D’abord ces jeux sont d’une grande violence ;
  • Ensuite, les autorités religieuses et seigneuriales ont tenté de les interdire.

Commençons par l’Angleterre :

Le jeu de ballon commença à se répandre en Angleterre sous le nom générique de « mob football » (« football du peuple »).

Au XI e siècle, il s’appelait à l’origine « fute balle » , « foote balle » ou encore « foeth-ball » , ou simplement « football » . […]

Il existait, bien sûr, plusieurs variantes de ces jeux de ballon.

La première, appelée hurling at goal (« lancer au but »), était pratiquée sur des terrains de taille réduite par des équipes de 30 à 50 footballeurs.

L’objectif était de « dribbler » ( dribble veut dire « pousser » en anglais) la balle de cuir vers le but adverse.

La seconde variante, hurling in the country (« lancer dans la campagne »), était réellement une bataille sanglante dans les champs entre deux villages.Elle était pratiquée lors des fêtes, en particulier en juin pour célébrer le retour de l’été et surtout du soleil.

La partie s’arrêtait lorsqu’une des deux équipes avait transporté la balle dans le camp ennemi par tous les moyens nécessaires.

L’auteur prétend que la première description du football en Angleterre aurait été faite par Sir Fitz Stephen (1174-1183). Il existait à Londres un festival annuel appelé Shrove Tuesday (l’équivalent de mardi gras). Et lors de cette fête :

« Après déjeuner tous les jeunes de la cité sortaient dans les champs pour participer aux jeux de balle.
Les élèves de chaque école avaient leur propre balle ; les ouvriers des ateliers portaient aussi leur balle.
Les citoyens âgés, les pères et les riches arrivaient à cheval pour regarder leurs cadets s’affronter, et pour revivre leur propre jeunesse par procuration : on pouvait voir leur passion s’extérioriser tandis qu’ils regardaient le spectacle ; ils étaient captivés par les ébats des adolescents insouciants.»

Philippe Villemus continue sa description :

« L’Angleterre se prenait de passion pour les jeux chaotiques de Shrove qui réunissaient les villages et les villes des environs de Londres.
Les masses compactes de joueurs des deux équipes se disputaient avec acharnement le ballon en vessie de porc pour le porter aux marqueurs situés aux extrémités de la ville. […]
Des versions plus civilisées de ce jeu, quoique toujours très rudes, étaient jouées dans les écoles aristocratiques.
Il est fait référence, dans l’histoire du collège d’Eton, en 1519, à des élèves frappant des ballons pleins de foin.
Eton développa une version du football appelée field game (« jeu de terrain »), codifiée au milieu du XIX e siècle, intermédiaire entre le rugby et le football. Toujours pratiqué, le field game a évolué séparément des autres sports. »

Il semble qu’au début, ces différents jeux de balle n’étaient pas du goût des aristocrates mais étaient réservés au peuple.

Dans Le Roi Lear , Shakespeare fait dire à un des personnages, en parlant de Oswald : « You, base football player ». (« Toi, vil footballeur »). »

Mais ce qui semble évident c’est que ces jeux étaient brutaux et en outre étaient de nature à déclencher des émeutes. C’est probablement pour ces raisons que des interdictions vont se multiplier, Philippe Villemus en cite plusieurs :

En 1314, le maire de Londres :

« En raison des grands désordres causés dans la cité par des rageries de grosse pelote de pee dans les prés du peuple, et que cela peut faire naître beaucoup de maux que Dieu condamne, nous condamnons et interdisons au nom du roi, sous peine d’emprisonnement, qu’à l’avenir ce jeu soit pratiqué dans la cité.» L’interdiction s’étala du XIII e siècle jusqu’à 1617.

En 1365, le roi Édouard III:

« Aux Shérifs de Londres.
Ordre de faire proclamer que tout homme sain de corps de ladite cité lors des jours de fête, quand il en a le loisir, doit utiliser dans ses sports des arcs et des flèches ou des frondes et des arbalètes.
Il leur est interdit, sous peine d’emprisonnement, de se mêler à des lancers de pierre, troncs d’arbres, poids, à des jeux de balle à la main ou au pied, ou autre vains jeux sans utilité, comme le peuple du royaume, noble et simple, a utilisé jusqu’ici ledit art dans leurs sports quand avec l’aide de Dieu va au-devant de l’honneur du royaume et l’avantage du roi dans ses actions de guerre. »

En 1388, le roi Richard II :

« Domestiques et travailleurs doivent avoir des arcs et des flèches et s’en servir les dimanches et jours de fête et abandonner tous les jeux de balle que ce soit à la main comme à pied.»

Et enfin un livre est cité : « L’anatomie des abus » de Stubbs en 1583 :

« L’un de ces passe-temps diaboliques usités même le dimanche, jeu sanguinaire et meurtrier plutôt que sport amical.
Ne cherche-t-on pas à écraser le nez de son adversaire sur une pierre ? Ce ne sont que jambes rompues et yeux arrachés.
Nul ne s’en tire sans blessures et celui qui en a causé le plus est le roi du jeu. »

Et il est à noter, à cette autre époque où la religion était très présente :

« Pendant près de 300 ans, le football fut interdit le dimanche. »

Aujourd’hui rien ne saurait priver les anglais du football le dimanche. Autre temps, autres mœurs !

Mais aucune interdiction, aucune prohibition ne parvint à arrêter cette passion des britanniques pour le jeu de ballon. Et l’auteur ose cette explication qui semble pleine de bon sens :

« Sa popularité devait dépasser les interdictions, les édits et les sommations qui en prohibaient la pratique, puisqu’il fallait les renouveler sans cesse. »

Pour faire la transition, Philippe Villemus pose que Le football britannique du Moyen âge ressemblait à s’y méprendre à la « soule médiévale française ».

L’auteur parle de soule médiévale française pour immédiatement préciser que : « La soule se développa au Moyen Âge, aussi bien dans les îles britanniques qu’en France. En Irlande, la soule proviendrait d’un vieux rite solaire celtique. Ce rite celtique trouve des affinités avec d’autres rites primitifs dans lesquels un disque ou un objet globulaire symbolisent le soleil, source de vie. »

Pour rester dans la continuité des mots du jour précédents qui pour le premier opposait le Tsu chu chinois et le Kemari japonais, et celui d’hier qui opposait un jeu grec et un jeu romain, je trouve plaisant et commode d’opposer, aujourd’hui, un jeu anglais et un jeu français.

Mais il semble que la situation médiévale était plus compliquée et que les régions, les royaumes n’étaient pas étanches et que des coutumes passaient aisément de l’un à l’autre.

« La soule est un dérivé de l’ haspartum introduit par les légions romaines.
À l’époque gallo-romaine, on l’appelait ludos-soularum .
Le mot a deux origines possibles : soit sol (soleil), soit soles (sandales).
Pour certains, soule vient du latin solea qui veut dire pied.
Cela laisserait à penser que ce jeu, d’où aussi le mot « football », se pratiquait plutôt avec les pieds.
Le choulet , ou ballon, était une balle en cuir bourrée de son ou de foin, ou une vessie de bœuf gonflée d’air ; la balle était aussi en bois ou en osier.
La soule est mentionnée dans un édit de Philippe V le Long, en 1319.
La soule , ou choule ou cholle , est le prédécesseur à la fois du rugby, du football, du football américain et du football gaélique. »

Alfred Wahl a écrit un autre livre chez Gallimard consacré au football : « la balle au pied ».

Dans celui-ci on peut lire :

« Dans l’Europe médiévale, les jeux de balle avaient un caractère populaire et rude. Ils étaient pratiqués, conformément à la tradition, sans règles écrites. À l’intérieur de ce modèle, il existait d’innombrables variantes. […]
L’organisation de la soule était informelle. Les pratiques souples, non fondées sur des règles écrites et légitimées d’après la seule coutume, évoluaient lentement.
Le nombre de participants n’était pas fixé, ni la durée du jeu, ni même les limites précises de l’espace. »

Philippe Villemus continue :

« Le football et le rugby se disputent les origines de la soule, qui était plus un combat furieux qu’un jeu divertissant. Le coup d’envoi de la partie était donné devant l’église du village.
On présentait, au coup d’envoi, le ballon au soleil ou on le jetait en l’air vers l’astre solaire, comme pour l’invoquer ou rechercher sa bénédiction.
Ensuite, tous les coups étaient permis ou presque.
Les joueurs se jetaient les uns sur les autres, se mordaient, se cognaient dessus, se donnaient des coups de pieds, en hurlant et courant dans tous les sens.
Le but du jeu était de porter la balle dans un endroit précis. »

Et il cite encore Alfred Wahl :

« Les interdictions prononcées par les autorités attestent la brutalité d’un jeu dont les acteurs laissaient des éclopés sur le terrain et quelquefois des morts.»

Ce que confirme Philippe Villemus :

« Les rencontres étaient extrêmement violentes, et l’on conserve des lettres de rémission du XIV e siècle accordant le pardon à des maladroits qui avaient fendu la tête d’un adversaire au lieu de frapper le ballon ! Il faut dire que parfois on utilisait, pour s’emparer du ballon, de bâtons recourbés à l’image de notre moderne hockey ! Comme en Angleterre, Philippe le Bel, en 1292, Philippe V, en 1319, et Charles V en 1369, interdirent le jeu de soule par décret. »

Mais dans un monde de brutes, il y eut quand même une exception en Ecosse :

« À Inveresk, en Écosse, on a retrouvé les traces d’un jeu de balle pratiqué par les femmes, cette fois. C’est un des seuls témoignages connus du Moyen Âge qui permettait aux femmes de pratiquer ce jeu.
Une des deux équipes était constituée de femmes mariées, l’autre de célibataires. Il s’agit sans doute d’un rite lié à la fécondité et ayant pour but de conjurer la stérilité. Le football féminin est donc beaucoup plus ancien qu’on ne le croit. »

Les nobles jouaient rarement à la soule, mais nous apprenons que le roi Henri II y joua avec Ronsard : « Le Roi ne faisait partie où Ronsard ne fut toujours appelé de son côté

Et un poème de Ronsard contient ces vers :

« Faire d’un pied léger et broyer les sablons, Et bondir par les prés et l’enflure des ballons. Ore un ballon poussé vers une verte place.»
Les amours de Marie, XVI e siècle

Malgré les nombreuses interdictions :

« La fièvre du football se développa, aussi bien dans le peuple que chez les nobles et les clercs.
À Sens, on joua même au ballon dans une église.
À Auxerre, on sait que jusqu’au XVII e siècle, on jouait un jeu de ballon dans la cathédrale.
Les chanoines et les choristes s’y livraient un farouche combat pour la conquête du ballon. »

Rabelais, dans Gargantua , au chapitre XXIII, évoque aussi la soule :

« Se desportaient es près et joueaient à la balle, à la paume, à la pile trigone, galamment s’exerçant les corps comme ils avaient les âmes auparavant exercé.».

Tous ces jeux de ballon qu’on présente comme les ancêtres du football, dans des ouvrages consacrées au football, sont autant les ancêtres du rugby que du football et ressemble davantage à ce que j’appellerais de la bagarre.

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Vendredi 15 juin 2018

«Le football n’est pas une question de vie ou de mort, c’est quelque chose de bien plus important que cela.»
Bill Shankly, (1913-1981) entraîneur de Liverpool de 1959 à 1974

Liverpool est avec Manchester United le plus grand club de football anglais.

Bill Shankly (1913-1981) fut un de ses plus célèbres entraineurs.

Il était connu pour ses aphorismes sur le football :

«Quand vous êtes premier, vous êtes premier. Quand vous êtes deuxième, vous n’êtes rien.»

«Dans un club de foot, il y a une sainte trinité: les joueurs, les entraîneurs, les supporters. Les dirigeants ne sont là que pour signer des chèques.»

« La pression, c’est travailler à la mine. La pression, c’est être au chômage. La pression, c’est essayer d’éviter de se faire virer pour 50 shillings par semaine. Cela n’a rien à voir avec la Coupe d’Europe ou la finale de la Cup. Ça, c’est la récompense ! »

Mais il semble que pour les véritables passionnés de football en Angleterre la phrase la plus célèbre concernant le football est celle mise en exergue.

Il semble que la phrase exacte serait celle-ci :

«Certaines personnes pensent que le football est une question de vie ou de mort. Je n’aime pas cette attitude. Je peux leur assurer que c’est beaucoup plus sérieux que cela.»

Un article de Slate du 31 août 2013 fait l’histoire de cette phrase et raconte :

« Finalement, la version la plus facilement trouvable de la phrase a été prononcée par Shankly en avril 1981, six mois avant sa mort, lors d’une interview pour la chaîne de télévision Granada TV : »

«Tout ce que j’ai, je le dois au football. Vous obtenez seulement de ce jeu ce que vous y investissez. Je m’y suis donc jeté corps et âme, à tel point que ma famille en a souffert.
– Avez-vous le moindre regret?
– Je le regrette beaucoup. Quelqu’un m’a un jour dit: « Pour vous, le football est une question de vie et de mort. ». J’ai répondu: « Ecoutez, c’est bien plus important que cela. » Et ma famille en a souffert, elle a été négligée.»

Il semblerait selon l’article que cette phrase a en réalité pour origine des entraineurs américains de football américain.

Mais le journaliste de Slate Jean-Marie Pottier analyse de manière plus approfondie le sens de cette phrase :

« Reste le principal débat: celui sur le sens de cette citation. Depuis la mort de son auteur, elle a souvent été réfutée: comment le football pourrait-il être encore plus important que la vie et la mort? Plus important que la vie d’un joueur, que le meurtre d’un arbitre, qu’une guerre, que le 11-Septembre?

L’aphorisme paraissait d’autant plus décalé [que] deux autres coachs mythiques de l’époque, Matt Busby et Jock Stein (qui lui ont été associés dans un beau documentaire) ont vu le foot les meurtrir dans leur chair: le premier a été grièvement blessé dans la catastrophe aérienne de Munich, en 1958, le second est mort d’une crise cardiaque sur le banc, lors d’un match qualificatif pour la Coupe du monde en 1985.

Quant au club de Liverpool, il fut, après la mort de Shankly, au cœur des deux grands drames du football des années 80: le Heysel en 1985 (39 morts à la suite d’une charge de supporters anglais sur une tribune) et Hillsborough en 1989 (96 morts dans un mouvement de foule). Dans son autobiographie, l’ailier des Reds John Barnes jugeait que cette dernière catastrophe faisait sonner la phrase de Shankly «encore plus faux»:

Les évènements du 15 avril 1989 à Hillsborough m’ont fait réaliser ce qui est vraiment important dans la vie. […] Le football a perdu sa signification obsessionnelle; il n’avait pas à être tout et l’aboutissement de tout. Comment pouvait-il l’être quand 96 personnes sont mortes, quand des parents ont perdu un enfant et des enfants un parent? La phrase de Bill Shankly selon laquelle « le football n’est pas une question de vie ou de mort, c’est bien plus important que cela » sonnait encore plus faux après Hillsborough. Le football est un jeu, une quête glorieuse, mais comment pourrait-il être plus important que la vie elle-même?»

Barnes n’est pas le seul à s’être servi de la phrase de Shankly comme d’un repoussoir: elle est régulièrement citée par les journalistes dès qu’un problème de violence envahit le football. Mais sans doute l’ont-ils comprise de travers: son auteur n’a pas asséné que «le football n’est pas qu’une question de vie ou de mort», mais «n’est pas une question».

Nuance de taille. Au Heysel comme à Hillsborough, le football était justement devenu une question de vie ou de mort, et rien d’autre, rendant le jeu dérisoire: des gens y sont passés de la vie à la mort lors d’un match de football. La phrase de Shankly, elle, écarte ce moment où l’on bascule entre vie et mort (voire entre victoire et défaite: il est d’ailleurs l’entraîneur le plus célèbre de Liverpool alors que c’est pourtant son successeur qui a de loin le palmarès le plus fourni) au profit de tout le reste.

De la façon, «bien plus importante», dont le football occupe une vie entière, au quotidien, dans les moments les plus intimes et infimes. Jour après jour, entraînement après entraînement, match après match, saison après saison.

Dans sa fameuse interview de 1981, Shankly, socialiste convaincu, échangeait ainsi sur sa vision du football avec l’ancien Premier ministre travailliste Harold Wilson:

«WILSON: C’est une religion aussi, n’est-ce pas?
SHANKLY: Je le pense, oui.
WILSON: Une façon de vivre.
SHANKLY: C’est une bonne expression, Sir Harold. Une façon de vivre. Tellement important que cela en devient incroyable.»

Le football n’est donc en effet pas une question de vie ou de mort. Lorsqu’il devient question de mort, il devient dérisoire.

Mais pour beaucoup c’est une question essentielle qui occupe tout l’espace de la vie disponible.

On peut certes juger cela excessif, déraisonnable mais cela correspond au quotidien d’un grand nombre de personnes et notamment des supporters des clubs anglais : Manchester United, Liverpool, Arsenal, Chelsea…

On dit toujours qu’un anglais quand il se présente ne parle pas comme un français du métier qu’il exerce mais du club de football dont il est le supporter.

Je ne juge pas, je constate.

Le football est quelque chose de très important pour un grand nombre de personnes.

En montant sur un piédestal et en me réfugiant derrière ma prétention d’obsession intellectuelle et artistique je dirais : « Le football occupe leurs journées, mais ne la remplit pas».

Mais en descendant de ce piédestal et en redevenant humble, comme il sied à quelqu’un qui a la tentation de comprendre le monde, je dois reconnaître que : « Le football remplit leurs journées ».

Et qui suis-je pour juger ?

Même si je peux éprouver un regret, en constatant comme Eduardo Galeano que derrière cette passion dévorante de gens que je ne permets pas de juger, des personnes cupides tirent les ficelles et profitent de l’importance que le football représente dans la vie de ces passionnés pour en tirer des profits indécents.


Vous voyez ci-dessus la porte du stade de Liverpool qui a pour nom « Shankly Gate »
Cette porte est surmontée du titre du chant que les supporters de Liverpool entonnent pour encourager leur équipe : « You’ll never walk alone ».

Derrière <ce lien> vous trouverez une des nombreuses vidéo qui vous montrent le peuple des supporters d’Anfield chanter leur hymne.

Ces supporters communient ensemble et son unis par une cause qui les dépasse.
Exactement comme une communauté religieuse rassemblée par une ferveur mystique.
La vidéo n’est certainement qu’un pâle reflet de ce qui se vit et se passe dans le stade.

En tout cas cela explique mieux que par des mots ce que j’ai écrit ci-avant.

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Jeudi 14 juin 2018

«Un vide stupéfiant : l’Histoire officielle ignore le football.»
Eduardo Galeano dans « Football, ombre et lumière »

Quand je décide d’écrire une série de mots comme celle en cours, je ne pars jamais de rien : je dispose d’informations, de connaissances, de lectures, de vidéos me permettant de savoir que je peux écrire des articles ayant quelque consistance.

Mais très souvent, au cours de mes recherches, je découvre des auteurs, des inspirateurs qui m’apportent des compréhensions nouvelles.

Il en est ainsi d’Eduardo Hughes Galeano que je ne connaissais pas. Il est né en 1940 à Montevideo et mort en 2015 dans la même ville. C’est un écrivain, journaliste et dramaturge uruguayen, célèbre pour avoir écrit « Les Veines ouvertes de l’Amérique latine. » qui est un acte d’accusation contre l’exploitation de l’Amérique latine par les puissances étrangères depuis le XVe siècle.

Il était un militant de gauche qui a été emprisonné par la dictature militaire de 1973 en Uruguay, par la suite il a dû s’exiler. Il a aussi fait partie des dix-neuf personnalités qui ont proposé et signé le manifeste de Porto Alegre.

Dès qu’on creuse un peu le sujet du football d’une manière analytique, de son rôle dans la société, de sa géopolitique on tombe immanquablement sur la citation de l’ouvrage qu’il a écrit « Football, ombre et lumière », paru en espagnol en 1995 avant d’être traduit trois ans plus tard en français.

Et lorsque France Inter dans son émission de ce dimanche 10 juin « Le grand face à face » invite Vincent Duluc de l’Equipe pour parler de la Coupe du Monde en Russie, c’est encore l’ouvrage de Galeano qui est cité comme exemple de compréhension de ce que représente le football et son évolution.

Galeano a écrit sur la 4ème page de couverture de son ouvrage :

« Pendant des années, je me suis senti défié par le sujet, la mémoire et la réalité du football, et j’ai eu l’intention d’écrire quelque chose qui fût digne de cette grande messe païenne, qui est capable de parler tant de langages différents et qui peut déchaîner tant de passions universelles »

J’ai emprunté le livre de Jean-Claude Michéa : « Les intellectuels le peuple et le ballon rond »  qui est un hommage au livre de Galeano.

Michéa écrit :

« Au train où vont les choses, on peut donc se demander si la FIFA ne finira pas, un jour, par autoriser les clubs les plus riches (le fameux « G14 ») à recruter à la mi-temps d’un match clé, les meilleurs joueurs de l’équipe adverse, dans le but louable de sécuriser par un résultat encore plus prévisible, leurs investissements financiers et leur cotation en bourse. D’un autre côté, peut-être parce qu’«avec le danger croît aussi ce qui sauve », il est réconfortant de constater que, depuis l’époque où Galeano écrivait son livre, un certain nombre de travaux universitaires sont parus, qui témoignent enfin d’une compréhension intelligente de l’univers du football et de la culture populaire qui est associée. »

Car c’est bien ce que décrit Galeano un jeu populaire pour le peuple mais qui est devenu de plus en plus dévoyé en raison des puissances de l’argent.

Lui-même aimait jouer au football même s’il reconnait qu’il n’était bon joueur que dans ses rêves :

« Comme tous les Uruguayens, j’ai voulu être footballeur. Je jouais très bien, j’étais une vraie merveille, mais seulement la nuit, quand je dormais : pendant la journée, j’étais la pire jambe de bois qu’on ait vue sur les terrains de mon pays. »

Il faut rappeler que l’Uruguay fut le premier pays qui gagna la coupe du monde en 1930 et la gagna une seconde fois au Brésil en 1950 déclenchant le désespoir du peuple brésilien.

Le journaliste Antoine de Gaudemar avait, dans un article du 12 février 1998, offert cette description du livre dans libération :

« Eduardo Galeano est depuis toujours un fou de foot. Mais il a mis longtemps à le reconnaître, à assumer son identité de supporter: un supporter un peu particulier, sans port d’attache, sans tribune, seulement en quête d’un «miracle» sur gazon, où qu’il se produise et d’où qu’il vienne. Toute sa vie, au hasard de ses voyages, il est allé de par les stades, tel «un mendiant de bon football», implorant, «chapeau dans les mains»: «Une belle action, pour l’amour de Dieu !».

En 1995, âgé de 55 ans, après s’être senti toute sa vie «défié par le sujet», mais sans doute comblé par sa moisson, il décide de «faire avec les mains» ce qu’il n’a «jamais été capable de faire avec les pieds»: écrire sur le football «quelque chose qui fût digne de cette grande messe païenne», «demander aux mots ce que la balle, si désirée, (lui) avait refusé».

Traduit à la veille du prochain championnat du monde, le Football ombre et lumière est ainsi composé d’une centaine de courts textes, n’excédant pas deux pages. Chacun d’eux est consacré à l’un des multiples aspects du jeu: origines, règles, histoires de clubs, souvenirs de matches et de gestes parfaits, portraits de joueurs de génie, buts d’anthologie, mais aussi l’envers du décor, la corruption, le racisme, l’idolâtrie, les fins de carrière misérables, l’oubli.

Ecrits comme des nouvelles, […] ces textes révèlent toute l’étendue de la planète foot, mi-ombre mi-soleil, car l’histoire du football «est un voyage triste, du plaisir au devoir». Sous la domination de l’argent et de la technocratie, ce sport s’est transformé en industrie, le jeu en spectacle: heureusement, on voit encore sur les terrains «un chenapan effronté qui s’écarte du livret» et qui, pour le simple plaisir du corps, «se jette dans l’aventure interdite de la liberté». […]

A la fois anecdotique et érudit, l’ouvrage d’Eduardo Galeano forme un kaléidoscope. Il est comme une mémoire fragmentée et reconstituée, à la mesure du «vide stupéfiant» qui règne autour de ce sport, tant «l’histoire officielle ignore le football», ce nouvel opium des peuples. C’est vrai, accorde Eduardo Galeano, que le football ressemble à Dieu «par la dévotion qu’ont pour lui de nombreux croyants et par la méfiance de nombreux intellectuels à son égard» »

Antoine de Gaudemar évoque le voyage triste dont l’extrait plus complet est le suivant :

« L’histoire du football est un voyage triste, du plaisir au devoir. À mesure que le sport s’est transformé en industrie, il a banni la beauté qui naît de la joie de jouer pour jouer. En ce monde de fin de siècle, le football professionnel condamne ce qui est inutile, et est inutile ce qui n’est pas rentable. Il ne permet à personne cette folie qui pousse l’homme à redevenir enfant un instant, en jouant comme un enfant joue avec un ballon de baudruche et comme un chat avec une pelote de laine : danseur qui évolue avec une balle aussi légère que la baudruche qui s’envole et que la pelote qui roule, jouant sans savoir qu’il joue, sans raison, sans chronomètre et sans arbitre.

Le jeu est devenu spectacle, avec peu de protagonistes et beaucoup de spectateurs, football à voir, et le spectacle est devenu l’une des affaires les plus lucratives du monde, qu’on ne monte pas pour jouer mais pour empêcher qu’on ne joue. La technocratie du sport professionnel a peu à peu imposé un football de pure vitesse et de grande force, qui renonce à la joie, atrophie la fantaisie et proscrit l’audace. »

La conclusion du livre a pour titre : « La fin du match » :

« Roule la balle, le monde roule. On soupçonne le soleil d’être un ballon de feu, qui travaille le jour et fait des rebonds la nuit dans le ciel, pendant que la lune travaille, bien que la science ait des doutes à ce sujet. En revanche, il est prouvé, et de façon tout à fait certaine, que le monde tourne autour de la balle qui tourne : la finale du Mondial 94 fut regardée par plus de deux milliards de personnes, le public le plus nombreux de tous ceux qui se sont réunis tout au long de l’histoire de la planète. La passion la mieux partagée : nombre des adorateurs du ballon rond jouent avec lui dans les stades ou les terrains vagues, et un bien plus grand nombre encore prennent place à l’orchestre, devant le téléviseur, pour assister, en se rongeant les ongles, au spectacle offert par vingt-deux messieurs en short qui poursuivent la balle et lui prouvent leur amour en lui donnant des coups de pied.

À la fin du Mondial 94, tous les garçons qui naquirent au Brésil s’appelèrent Romario, et la pelouse du stade de Los Angeles fut vendue par petits morceaux, comme une pizza, à vingt dollars la portion. Folie digne d’une meilleure cause ? Négoce vulgaire et inculte? Usine à trucs manipulée par ses propriétaires ? Je suis de ceux qui pensent que le football peut-être cela, mais qu’il est également bien plus que ça, comme fête pour les yeux qui le regardent et comme allégresse du corps qui le pratique. Un journaliste demanda à la théologienne allemande Dorothée Solle :

Comment expliqueriez-vous à un enfant ce qu’est le bonheur ?

– Je ne le lui expliquerais pas, répondit-elle. Je lui lancerais un ballon pour qu’il joue avec.

Le football professionnel fait tout son possible pour castrer cette énergie de bonheur, mais elle survit en dépit de tout. Et c’est peut-être pour cela que le football sera toujours étonnant.

Comme dit mon ami Angel Ruocco, c’est ce qu’il a de meilleur : son opiniâtre capacité de créer la surprise. Les technocrates ont beau le programmer jusque dans ses moindres détails, les puissants ont beau le manipuler, le football veut toujours être l’art de l’imprévu. L’impossible saute là où on l’attend le moins, le nain donne une bonne leçon au géant et un Noir maigrelet et bancal rend fou l’athlète sculpté en Grèce.

Un vide stupéfiant : l’Histoire officielle ignore le football. Les textes de l’histoire contemporaine ne le mentionnent pas, même en passant, dans des pays où il a été et est toujours un signe primordial d’identité collective. Je joue, donc je suis : la façon de jouer est une façon d’être, qui révèle le profil particulier de chaque communauté et affirme son droit à la différence. Dis-moi comment tu joues et je te dirai qui tu es : il y a bien longtemps qu’on joue au football de différentes façons, qui sont les différentes expressions de la personnalité de chaque pays, et la sauvegarde de cette diversité me semble aujourd’hui plus nécessaire que jamais.

Nous vivons au temps de l’uniformisation obligatoire, dans le football et en toute chose. Jamais le monde n’a été aussi inégal dans les possibilités qu’il offre et aussi niveleur dans les coutumes qu’il impose : en ce monde fin de siècle, celui qui ne meurt pas de faim meurt d’ennui. »

<Alternatives Economiques> qui évoque aussi ce livre conclut de la manière suivante :

« Admirateur [des grands footballeurs], Eduardo Galeano souligne combien le football nourrit et se nourrit des enjeux sociaux et sociétaux les plus forts : inégalités, racisme, pauvreté, libéralisme exacerbé, revanche sociale, la victoire et la défaite, etc. La puissance symbolique d’un sport qui reste le « grand oublié de l’histoire officielle ». »

Voilà un exemple de complexité où le bonheur de jouer avec un ballon côtoie un voyage triste au milieu d’organisations corrompues et de financiers cupides. Car le football fait partie de nos sociétés et représente une part de notre Histoire.

Rappelons que les scènes de joie sur les Champs Élysées en 1998, après la victoire de la France en coupe du monde n’avaient qu’un évènement équivalent en terme de foule en liesse : La libération de Paris et la victoire de la seconde guerre mondiale. Si on ne perçoit pas cette dimension, on passe à côté d’un élément de compréhension de la société telle qu’elle est. Et cela même si on n’aimerait pas le football, ce qui n’est pas mon cas ou si on est désabusé par les dérives financières de ce sport, ce que je partage.

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Mardi 5 juin 2018

« Le burn out parental »
Moïra Mikolajczak et Isabelle Roskam

Le mot du jour d’hier sur « l’ode à la fatigue » m’a conduit à revenir vers un article assez ancien que j’avais lu il y a plus d’un an mais dont je n’avais pas encore fait un mot du jour. C’était un article écrit par la journaliste Louise Tourret et publié sur Slate le 23.01.2017 : « L’autre burn-out : celui des parents à la maison »

La journaliste avait écrit son article suite à la découverte d’un livre de deux auteures belges, Moïra Mikolajczak et Isabelle Roskam, toutes les deux docteures en psychologie, « Le burn out parental. L’éviter et s’en sortir » publié chez Odile Jacob.

Louise Tourret pense ne pas être en brun-out mais elle reconnaît une lassitude régulière, une fatigue : « un domaine que j’explore avec beaucoup de constance » et des interrogations «suis-je à la hauteur?».

Le burn-out parental est un sujet qui depuis 2010, est devenu l’objet de nombreux livres comme « Mère épuisée » de Stéphanie Allénou (éditions Les Liens qui Libèrent) en 2011 ou « Le Burn out parental » de Liliane Holstein.

Et Louise Tourret parle de son expérience personnelle :

« La parentalité et sa conception évoluent avec le temps. En élevant mes propres enfants et en fréquentant mes parents, je me demande comment notre société est passée des questions relativement simples abordées par Laurence Pernoud avec J’élève mon enfant ou le docteur Spock avec Comment soigner son enfant à des livres censés rassurer les parents qui disent «je me réveille en pleurs tellement je n’y arrive pas».

J’ai interrogé la psychanalyste Sarah Chiche, pour un ouvrage sur les inégalités face à la parentalité (Mères, Libérez-vous, Plon, 2012), elle m’avait confié recevoir de plus en plus patientes que leur rôle de parent faisait craquer:

«Des femmes qui arrivent en thérapie car très soumises à la pression attachée au rôle de parent. À force d’injonctions, elles ne savent plus ce qui relève du devoir moral et de l’amour, ce sentiment d’amour et d’attachement que l’on construit avec son enfant. C’est comme si le devoir moral d’être une bonne mère recouvrait tout. L’injonction à être une bonne mère ou même une mère suffisamment bonne, envahit la vie psychique de certaines femmes et finit par les mettre en difficulté.»

Il semble que le burn-out parental atteint toutes les couches de la société et encore davantage les catégories diplômées:

Ainsi Moïra Mikolajczak a déclaré à la journaliste

«Au départ, nous pensions que le burn-out touchait davantage les milieux défavorisés dans lesquels, on le sait, les individus sont plus susceptibles d’être sujets aux troubles psychiatriques de manière générale (anxiété ou dépression). Mais, au regard des milliers de cas que nous avons étudiés (3000 participants à une enquête en ligne auxquels s’ajouter des entretiens), nous avons constaté que les parents qui avaient fait le plus d’années d’études plus ils étaient sujets au burn-out parental. Il est apparu qu’au niveau personnel, ce qui rendait les personnes vulnérables, c’est de vouloir être un parent parfait et d’être perfectionniste en général. Ce perfectionnisme est parfois à mettre en lien avec les histoires personnelles comme d’avoir eu soi-même des parents parfaits ou défaillants.»

Louis Tourret constate qu’en outre les conseils parentaux ne cessent de se contredire et c’est source de stress.

Elle cite aussi le sociologue Vincent de Gaulejac :

«Depuis les années 1980, de nouvelles formes de management, qui mettent les salariés sous tension; se sont généralisées. Pour résumer tous passe par des objectifs, le plus souvent chiffrés, à réaliser en un temps donné. Les conséquences, on les connaît tous, elle sont aujourd’hui désignée comme ça: maladies psychologiques ou sociales, épuisement professionnel ou… burn out. […]

Cela fait trente ans que je travaille sur l’épuisement professionnel et je constate aujourd’hui que les normes managériales ont pénétrées la famille. C’est en vérité un modèle social qui s’impose dans toutes les sphères de la société: il faudrait être performant dans tous les domaines. C’est la nouvelle norme. […]

Or, quelles sont les exigences attachées à la fonction de parent dans notre type de société en 2017? Ce n’est pas (plus) seulement de faire en sorte que son enfant soit en bonne santé grâce (à mon sens) à une alimentation correcte, une hygiène convenable et un suivi médical régulier ou que votre enfant soit scolarisé ou mette le nez dehors régulièrement. Non, il faudrait en plus absolument qu’il/elle obtienne de bons résultats scolaires, «c’est une source de stress, une pression qui a envahi l’école et donc la famille».

Et, […] les objectifs sont multiples:

Le mercredi devient le jour le plus horrible de la semaine: il faut assurer l’accompagnement aux activités extra scolaires (sport, musique, activités artistiques, les cours particuliers, le soutien scolaire). Mais pourquoi court-on autant sinon pour satisfaire une exigence sociale? Car on se sent coupable dès que l’enfant ne réussit pas – ou de ne pas tout faire pour qu’il réussisse et ce dans tous les domaines. Et donc les parents deviennent comme ces employés soumis au mangement par objectif et à l’évaluation standardisés… il perdent le sens de leur éducation !»

Je vous renvoie vers l’article : « L’autre burn-out : celui des parents à la maison »

Il y aussi cet article <Les 10 signes qui montrent que vous êtes en burn-out parental>

Ou encore cet article du site Psychologies.com <Mères épuisées, gare au burn-out>.

J’ai même trouvé un site entièrement consacré à ce sujet : https://www.burnoutparental.com/

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Lundi 4 juin 2018

« Ode à la fatigue »
Eric Fiat

Et Zinedine Zidane, seul entraîneur de football ayant remporté trois fois de suite la ligue des champions de football est venu, devant les journalistes sportifs incrédules, annoncer qu’il arrêtait son travail d’entraîneur du Real de Madrid.

Des centaines de journalistes, de commentateurs ont analysé ce choix, les raisons de ce choix, savoir si c’était une bonne décision.

Pendant sa conférence de presse les journalistes ont posé des questions et il a répondu simplement :

« Je ne suis pas fatigué d’entraîner, je suis fatigué d’une manière plus… globale

Je suis fatigué, a t’il dit.

Peut-on encore dire qu’on est fatigué ?

Tous les « winners » de la terre, ne sont jamais fatigués. Par exemple Emmanuel Macron, non seulement dort peu mais en outre n’est jamais fatigué.

La fatigue est une faiblesse, peut-être une maladie. Il faut la soigner avec des médicaments, des drogues…

C’est encore la revue de presse de Claude Askolovitch du 1er juin 2018 qui mentionne un dossier d’un journal du Sud :

« [Ces drogues] qui nient la fatigue et qui détruisent la vie, et elles sont le dossier de La Provence ce matin. Ces nouvelles drogues de synthèse, NPS (nouveaux produits de synthèse), aussi glaçantes que Zidane est solaire, qui prennent la forme de bonbons et portent les noms de fêtes, Yucatan fire, Spice, Buddha blues, sont les petits cailloux d’un voyage au bout de la nuit. Elles tuent en France et ont tué en Provence l’été dernier, c’est arrivé là-bas… Et voilà pourquoi le journal s’en saisit.

C’est un dossier pédagogique, pour des adultes qui doivent apprendre ; des molécules chimiques sont inventés par les laboratoires dans les années 50 pour comprendre le fonctionnement du cerveau. Elles sont désormais triturées et produites en chine, commercialisées sur internet, sans cesse renouvelées, elles sont des bombes chimiques. »

La revue « Psychologie » a donné la parole à un acupuncteur, Maurice Tran Dinh Can, qui dit : « Accepter sa fatigue n’est pas un aveu de faiblesse »

Dans cet article, cet acupuncteur explique :

« Nous vivons dans une société de production, de consommation et de performance. Ce qui signifie que nous sommes conditionnés depuis notre naissance pour être – ou du moins pour paraître – actifs et battants. Du coup, nous nous dépensons sans compter et sans nous écouter pour être reconnus et avoir notre place dans la société.

Le message est clair : il faut être productif, sous peine d’être socialement exclu. Nous n’avons ni le droit au repos, ni le droit à la fatigue. Notre société nous a déprogrammés – alors que la nature a mis des millions d’années à élaborer un programme d’équilibre interne que respectent toutes les autres espèces – et nous a reprogrammés en imposant des critères et des valeurs qui sont à l’opposé de notre bien-être.

Je suis persuadé que ce conflit entre ces deux impératifs – l’un naturel, l’autre culturel – est à la source de notre mal de vivre. Celui-ci s’exprime par des tensions internes très fortes qui se répercutent sur notre organisme »

Le philosophe, Eric Fiat, responsable du master d’éthique à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, va plus loin et explique :

« Vous êtes fatigué ? Tant mieux ! Car [la fatigue] a beau être un mal dont souffrent beaucoup de nos contemporains, la fatigue peut être bénéfique par son enseignement.  Elle nous révèle de très belles choses sur nous-mêmes, sur les autres et sur le monde. Écouter sa fatigue c’est apprendre l’humilité, le courage et la rêverie. »

Il a écrit un livre qui vient de paraître « Ode à la fatigue » chez Payot en mai 2018.

Il a été interviewé par le journal suisse : « Le Temps »

« C’est un fait, de plus en plus de nos contemporains se plaignent d’être fatigués, d’où l’idée de cette réflexion. Mais je ne dirais pas que la fatigue soit un mal propre à notre époque. Premièrement parce que ce n’est pas toujours un mal. A côté des mauvaises fatigues, celles qui nous font ressentir l’existence davantage comme un fardeau que comme un cadeau, celles qui nous privent de ce qui nous paraît le plus propre à nous-mêmes, celles qui nous aliènent, celles qui nous accablent, celles qui créent en nous une sorte de lassitude d’être ce que l’on est, il demeure de bonnes fatigues. Celle du sportif vainqueur, des amoureux qui se sont aimés toute la nuit, de celui qui a l’impression du travail bien fait ou du devoir accompli… »

Il en appelle à Jonathan Crary qui a écrit « Le capitalisme à l’assaut du sommeil » et dont j’avais fait le mot du jour <du 26 septembre 2014> et explique qu’aussi notre fatigue est en grande partie à cause d’une certaine organisation du travail, de l’accélération de la vie, la sollicitation permanente qui nous vient de nos téléphones et ordinateurs…

« Tout cela fait que l’espace du calme, l’espace du retrait, l’espace du silence se réduisent un peu comme peau de chagrin. »

Et il cite un autre auteur, le sociologue Hartmut Rosa qui parle de « l’accélération du monde »

Et il en revient à La Fontaine :

« Pour ma part, j’aurais envie de dire de la fatigue des hommes d’aujourd’hui ce que disait La Fontaine de la peste des animaux d’hier: «Un mal qui répand la terreur […], la Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom) […] Faisait aux animaux la guerre. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.» En effet, quand on pousse un peu nos contemporains dans leurs retranchements, même ceux qui apparemment réussissent, sont performants comme l’époque veut qu’ils soient, assez vite ils disent qu’ils sont crevés ou exténués. »

Il ne fait pas la distinction entre la fatigue physique et la fatigue morale :

« Je ne pense pas qu’il y ait de la fatigue physique d’un côté et une fatigue morale de l’autre. Opposer la lassitude du corps à celle de l’âme, ce serait rallier le camp de ces philosophes dualistes, lesquels affirmaient la séparabilité du corps et de l’âme, et je ne suis pas du tout dualiste. Il n’est pas de lassitude longue de l’âme qui ne finisse par engendrer une fatigue du corps, et il n’est pas une longue fatigue du corps qui ne finisse par engendrer une lassitude de l’âme. […]

On est dans une époque qui cultive les idéaux de performance, d’indépendance, d’autonomie, de maîtrise. Je ne dis pas que ces idéaux ne soient pas de beaux idéaux, mais la fatigue les menace. Parce que, quand on est très fatigué, on est moins autonome, on est moins indépendant, on est moins maître de soi. Or c’est justement parce que notre époque pense que l’homme doit légitimer sa place dans le monde en prouvant ses performances que notre époque craint la fatigue plus que d’autres. Pour beaucoup de nos contemporains, l’avouer est un aveu de faiblesse ou d’échec. Ce que je ne crois pas. »

[…] De toute façon, ça ne sert à rien de lutter contre, car elles auront toujours le dernier mot. La Fontaine, dans sa fable Le chêne et le roseau, nous apprend que lorsque le vent puissant arrive, le roseau plie mais ne rompt pas, alors que le chêne qui lutte contre le vent qui vient va finalement être déraciné. Eh bien, plutôt que de lutter contre la fatigue, comme le ferait le chêne, acceptons qu’elle nous fasse plier, comme ferait le roseau. Soyons plutôt roseau que chêne. Puisque nous ne pouvons pas lutter, écoutons ce qu’elle a à nous dire, les leçons qu’elle a à nous apporter. »

Et c’est alors qu’il parle des vertus de la fatigue :

« La première est l’humilité. La fatigue m’apprend que je ne suis pas un dieu, je ne suis pas un ange, je ne suis pas un héros, je ne suis pas une machine. L’humilité, ce n’est pas l’humiliation. L’humble, c’est celui qui s’estime à sa juste mesure, il ne se surestime pas, mais ne se sous-estime pas non plus. La deuxième leçon, c’est le courage, parce qu’on sait bien que le courage, ce n’est pas l’absence de peur: le courage, c’est le fait de surmonter la peur. De même, je dirais que le courage, ce n’est pas l’absence de fatigue. Un être courageux, c’est un être capable de la dépasser. Enfin, cette dernière nous apprend la rêverie. […]

La fatigue, ce n’est ni la pleine lumière de la conscience ni l’obscurité de l’inconscience, mais un état un peu flottant. Cet état introduit un rapport plus souple, plus fin, plus tendre à soi-même, aux autres et au monde. La rêverie est une attention précédée d’un abandon, c’est une vigilance précédée d’un laisser-aller, c’est une caresse du monde. Donc celui qui admet sa fatigue a finalement un rapport beaucoup plus tendre à lui-même, aux autres et au monde que s’il tentait de lutter tel un héros contre elle. »

La fatigue est une caresse du monde

Et puis dans ce monde, il semble interdit ou incongru de vieillir :

« On trouvait normal qu’en vieillissant on se mette un peu en retrait. Or aujourd’hui, il faudrait pour bien vieillir ne pas vieillir. Comme l’octogénaire qui ferait du jogging, qui serait surbooké et qui aurait une activité physique, sexuelle, intellectuelle comparable à celle des hommes de 20 ans. La fatigue, c’est une petite vieillesse. Quand on est épuisé, même quand on est très jeune, c’est comme si on était un peu vieux, c’est-à-dire qu’il y a quelque chose qui devient plus difficile dans le rapport à soi, aux autres et au monde. Le mot vient moins vite, la jambe ne bouge pas bien, le souvenir disparaît. Or notre société a tendance à considérer la fatigue comme un mal, de même que la vieillesse. […] »

Et enfin il en appelle à l’art, à Rembrandt :

« Il y a au Louvre un tableau de Rembrandt qui aide, je crois, à faire cet éloge de la fatigue. Il s’agit de Saint Mathieu et l’ange. On y voit deux visages l’un à côté de l’autre, et étonnamment la lumière ne vient pas du visage de l’ange, mais du vieux saint fatigué et plein de rides. Et je crois que cette belle lumière ne serait pas venue de ce visage s’il avait lutté contre sa fatigue. On voit sur son visage qu’il a fait le dur métier d’exister, qu’il en est fatigué et qu’en même temps il a essayé de faire de son mieux. Et ce beau visage contient une magnifique lumière qui peut-être nous invite à nous réconcilier avec nos fatigues qui ne sont pas forcément mauvaises. Les assumer, c’est faire de même avec son humanité, sa finitude – notre contingence.

A vrai dire, il n’y a guère que les morts qui ne soient plus fatigués… »

Il avait été invité par la Grande table le 25 mai 2018: « La fatigue, un mal contemporain ».

France Culture lui a consacré une page de son site : « Les trois leçons de l’Ode à la fatigue d’Eric Fiat »

En décembre 2017, Adèle Van Reeth avait consacré quatre épisodes de son émission « Les Chemins de la philosophie » à la fatigue. Le 20 décembre, c’était la 3ème émission et elle avait pour titre « Ode à la fatigue ».

Je n’aurais pas écrit ce mot du jour si je n’éprouvais pas moi-même la fatigue, « la fatigue d’une manière plus globale » comme le dit, si justement, Zinedine Zidane.

Mais grâce à Éric Fiat j’ai appris que c’est une caresse du monde et qu’elle est leçon d’humilité.

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Vendredi 1 juin 2018

« Your Money or Your Life
Votre vie ou votre argent»
Vicki Robin et Joe Dominguez

Claude Askolovitch a commencé sa revue de presse de France Inter du 18 mai 2018 par ces informations :

« Une rêverie de fin de semaine que la fatigue nous inspire avec ce titre dans Society, « Prends l’oseille et tire-toi ».
C’est le slogan de jeunes gens aux États-Unis, qui travaillent dans la « tech », et qui accumulent et économisent pour pouvoir arrêter le plus vite possible, comme Jeremy, ingénieur chez Microsoft, qui a tout compris de la vie en découvrant une île des philippines où il pouvait vivre, calculs faits, pour 8 000 dollars par an. Lui qui en gagnait 350 000, il a vendu sa grande maison et sa voiture, et travaillé d’arrache-pied. Dix ans plus tard, la quille, à 38 ans !
Mais il y a mieux. Emmy Pattee, qui est sortie du travail à 26 ans… Elle était dans la communication dans la Silicon Valley et se nourrissait de riz et de haricots dans sa chambre, dans la maison des parents de son copain… Mais elle est libre ?
Et c’est une tendance aux Amériques, plus encore un mouvement, avec son égérie, Vicki Robin, 72 ans, qui a cessé de travailler il y a un demi-siècle et vit de ses rentes.  Elle a investi ses sous dans la marijuana.
Mais  l’ennui guette nos jeunes retraités, et les statistiques sont implacables, prendre sa retraite avant 62 ans est mauvais pour l’espérance de vie. »

Pour en savoir un peu plus, je suis allé sur le site de <Society>, mais je n’ai pas trouvé l’article, ni même un extrait.

Heureusement, il existe le site Pressreader.

Et j’ai retrouvé l’article publié le 18 mai, par le magazine Society, il a pour titre « Riches à 30 ans »

Et on en apprend un peu plus sur ce fameux Jeremy Jacobson qui vit sur une île. Il déclare :

« Depuis la fin de l’université, je travaillais 60 heures par semaine minimum, recevais des mails jusque tard dans la nuit et mon téléphone sonnait constamment, même le week-end », revit-il. Le prix à payer pour empocher ses 135 000 dollars annuels, primes non incluses. Et une somme désormais plutôt avantageuse pour tirer parti de ces vacances tant attendues. Les premiers jours, Jeremy enchaîne les cocktails tropicaux, les excursions et les « crevettes géantes ». Les jours suivants, il se lance palmes aux pieds dans d’interminables discussions sur le « sens de la vie » avec son moniteur de plongée. Et enfin, il décide qu’il ne veut plus rentrer chez lui. Il fait le calcul. Il ne lui faudrait que 8 000 dollars par an pour s’assurer une existence paisible sur cette île d’à peine dix kilomètres carrés. Encore mieux: selon les formules mathématiques couchées sur papier, il pourrait mener cette existence en n’ayant plus à travailler. « Je découvrais une nouvelle manière de vivre », se souvient-il. Quelques mois plus tard, Jeremy vend sa grande maison en banlieue de Seattle, refourgue sa berline, s’installe dans un studio et ne se déplace plus qu’à vélo. Surtout, il travaille d’arrache-pied. En vue: une promotion rapide et encore plus d’argent sur son compte en banque. Cela arrive au milieu de l’année 2012. Jeremy fête ses 38 ans et envoie le message suivant à 4 000 destinataires, tous employés de Microsoft: « J’arrête tout. À bientôt. » « Tout le monde pensait que je partais en secret chez un concurrent. Mais non. J’étais enfin libre, pour toujours. »

Et il est alors question de Vicki Robin qui est américaine et née le 6 juillet 1945. Elle est auteure d’un best seller avec Joe Dominguez« Your Money or Your Life » donc «votre vie ou votre argent »

Et l’article de Society lui donne la parole :

«  la plateforme participative Reddit, plus de 400 000 personnes débattent quotidiennement depuis plus d’un an sur la manière de prendre leur retraite avant 40 ans, et même, pour beaucoup, avant 30 ans. Elles viennent de partout dans le monde, même si c’est très américain. » Pour communiquer, ces personnes se sont donné un nom: le mouvement « FIRE », pour « Financial Independence Retire Early ». En clair, il s’agit de trouver le meilleur moyen de mettre assez d’argent de côté pour sortir du marché du travail, sans jamais avoir à y revenir. Tout ça le plus rapidement possible. »

Et ce magazine d’ajouter : «  À 72 ans, Vicki Robin est considérée comme la « Ève de Adam et Ève » de cette « sous-culture », dont elle a établi les bases: se libérer de la société de consommation, ne plus être « victime d’un job qui vous aspire tout entier ni esclave du salaire ».

Et Vicki Robin d’ajouter :

« Personne ne veut se lever tous les matins pour aller s’asseoir dans un box au milieu d’un open space, se connecter sur un ordinateur et travailler à l’heure comme une personne louée pour une durée déterminée. Ce n’est pas une vie enrichissante, ça n’a même aucun sens de faire ça ! »

Cette dame n’agit donc plus ainsi depuis bientôt 50 ans. À la place, elle investit son argent dans la marijuana et quelques fermes locales depuis le ponton de sa maison perchée au-dessus du Puget Sound, dans l’état de Washington.

Et le magazine de donner d’autres exemples de jeunes qui cherchent à sortir le plus vite possible du marché du travail.

Je trouve le titre de l’article trompeur : « riche à trente ans ». Car finalement à l’aune de nos footballeurs vedettes ou même je pense des génies de la silicon valley, ces « aspirants retraités jeunes », donnés en exemple par l’article, ont des revenus très confortables mais pas mirobolants. Jérémy cité précédemment touche donc annuellement 135 000 dollars plus des primes, une autre personne citée « Emma Pattee » gagne 79 000 dollars annuels

Et Emma Pattee explique :

« L’époque n’a pas grand-chose à offrir à ma génération. Les robots feront bientôt le boulot à notre place, et comme l’a prouvé la crise de 2008, tout est trop fragile pour s’y adonner sérieusement. »

Et l’article de citer encore Russell Romney, 21 ans, fraîchement diplômé de l’université de l’idaho, actuellement ingénieur informatique, il considère que le niveau de bonheur ne fait que s’effondrer depuis des années, et peu importe le nombre de voitures possédées ou la rémunération. « C’est bien la preuve que le rêve américain, partagé par toutes les sociétés occidentales, est complètement absurde. Il n’aurait jamais dû être valide. » Alors pour Russell, c’est décidé : il mettra un terme à sa carrière professionnelle « à 35 ans maximum ».

Si je comprends bien et le livre de Vicki semble aller dans ce sens, il ne s’agit pas de devenir multi-milliardaire mais d’être très rigoureux sur ses dépenses, de chasser l’accessoire pour ne garder que le principal dans la consommation. Il vaut mieux commencer avec un petit pécule et puis ensuite on fait quelques investissements intelligents, des affaires comme la marijuana et le travail devient du passé.

Vicky Robin développe ces idées sur son site : <https://vickirobin.com/>

J’ai aussi trouvé un site canadien en langue française qui fait référence à Vicky Robin et qui a pris pour nom <modestmillionaires>.

L’exergue de ce site est « Atteindre l’indépendance financière avec la simplicité »

Une petite introduction sur la page d’accueil explique : «  Nous sommes de jeunes parents dans la début trentaine vivant au Québec et ce blogue documente notre cheminement simple vers l’indépendance financière d’ici 2025. »

Alors tout n’est pas simple pour ces personnes et c’est encore Vicki Robin qui analyse :

« Ces gens-là gagnent quatre ou cinq décennies de temps libre. Très bien. Mais très peu ont réfléchi à comment les occuper […] Ils sont heureux d’avoir hacké la société. Mais ils n’ont pas pensé au reste. »

Ainsi selon le magazine Society : Une fois leur pari remporté, beaucoup tombent en dépression. Une récente étude de l’université Cornell, aux États-unis, a même fait un lien entre retraite avancée et mort précoce. L’arrêt du travail en dessous de 62 ans augmenterait les risques de décès prématuré de presque 20%.

Emma Pattee:

« L’entourage de nombreuses personnes est lié à leur travail. Leur statut social vient de là, leurs activités aussi, leurs amitiés également. Une fois débarrassés de tout cela, certains se retrouvent face à l’ennui. Et l’être humain n’est pas fait pour être tout seul. »

La jeune femme l’avoue, d’ailleurs: depuis quelques mois, elle a l’impression d’avoir quelque peu « trahi » ses amis retraités. Et se sent comme « le vilain petit canard » de la bande. Qu’a-t-elle donc fait? Elle souffle, à voix basse: « Je ne supportais plus cette solitude, moi non plus. Alors j’ai repris un job, à mi-temps. »

Certains diront peut être : l’esprit de mai 68 souffle encore…

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Mercredi 30 mai 2018

« Mai-68 : Derrière les discours révolutionnaires se profilait une société hyperlibérale. »
Luc Ferry

Parmi les pourfendeurs de mai 68, Luc Ferry est un de ceux qui en a le plus conceptualisé les conséquences négatives. Il voit sous l’apparence d’une volonté collective une aspiration individualiste au plaisir.

Rappelons qu’en mai 68 quand les manifestants voulaient protester contre l’expulsion de Daniel Cohn Bendit leur slogan était :

« Nous sommes tous des juifs allemands »

Et lorsque les terribles attentats ont frappé Charlie puis Paris. Le slogan a été :

« Je suis Charlie ou Je suis Paris »

Pourtant, en mai 1968 Luc Ferry n’était pas un adepte de l’autorité et du conservatisme. Il raconte qu’il avait 17 ans et avait quitté le lycée depuis la troisième, ne supportait pas l’autorité, le côté caserne du bahut de son enfance. Il préparait son bac en candidat libre, grâce au télé-enseignement.

Mais en 1985, il a publié avec Alain Renaut « La pensée 68 » qui constitue une charge sévère contre Mai-68.

Selon ces deux auteurs « La pensée 68 » est un courant philosophique et intellectuel français qui a tenté d’avoir un rayonnement mondial. Et ils donnent des noms à ces intellectuels qui ont propagé cette pensée 68 : Michel Foucault, Louis Althusser, Jacques Derrida, Jacques Lacan, Pierre Bourdieu, Gilles Deleuze.

Il s’agit d’un livre érudit qui fait appel à l’histoire de la philosophie et qui pour un inculte de mon genre semble assez indigeste.

Toutefois, ils prétendent que cette pensée a poussé les occidentaux vers un individualisme forcené qui a conduit à une société hyper libérale.

« Les sixties philosophantes, ont amorcé et accompagné le procès de désagrégation du Moi qui conduit vers la conscience cool et désinvolte des années quatre-vingt… »

Le sous-titre de leur livre est « Essai sur l’anti-humanisme contemporain ».

La pensée 68 serait donc un anti-humanisme, privilégiant probablement le consommateur au profit de l’humaniste.

L’Obs est allé l’interroger Luc Ferry récemment pour savoir si son opinion a évolué sur le mouvement de mai, 33 ans après. Cet article a été publié le 15 avril 2018 et je vais en partager quelques extraits.

Il considère que l’évolution depuis 1985 a validé la thèse du livre :

« Nous disions en substance que Mai-68 n’avait pas été une révolution politique, mais sociétale, et que, derrière les discours révolutionnaires, c’était une société hyperlibérale qui se profilait.

Je reprenais au fond à Marcuse la notion de « désublimation répressive » : il fallait que les valeurs et les autorités traditionnelles fussent déconstruites, pour ainsi dire liquéfiées, pour que nous puissions entrer dans l’ère de la consommation de masse. Car rien ne freine autant la consommation que la sublimation et les valeurs traditionnelles. »

Les soixante-huitards entonnaient un discours marxiste-léniniste en béton armé, avec le fameux « élections pièges à con », mais sous l’apparence d’une visée collective et révolutionnaire c’est l’aspiration individualiste au plaisir et à la consommation qui faisait irruption comme jamais. Du reste, les slogans le disaient assez : « jouir sans entraves », « sous les pavés la plage », « il est interdit d’interdire », « vivre sans temps mort », etc.

La preuve ? Le système politique n’a pas changé d’un iota, nous sommes toujours dans la Constitution de 58. C’est le sociétal qui a changé, et en grande partie grâce à la droite libérale. C’est Giscard qui accorde le droit de vote à 18 ans, consacrant ainsi la victoire du jeunisme, c’est lui qui instaure l’égalité homme-femme dans le Code de la famille, c’est lui encore qui demande à Simone Veil une loi sur l’avortement, toutes réformes qui sont à l’évidence des héritages de 68…

Quant aux soixante-huitards, à quelques très rares exceptions près, ils vont se reconvertir dans la pub, le cinéma, l’entreprise, voire au Sénat, dans l’inspection générale et dans la social-démocratie bon teint, quand ce n’est pas au Medef, bref, dans les lieux d’argent et de pouvoir…

Il récuse le fait d’être un moraliste et de se placer dans une posture de condamnation de mai 68 et ne prétend qu’à l’analyse :

«J’essaie de comprendre ce qui s’est passé, voilà tout, et ce qui s’est passé était inscrit dans la logique du capitalisme si intelligemment analysée par Schumpeter : nous avons vécu un XXe siècle de déconstruction des autorités et des valeurs traditionnelles, une déconstruction qui était indispensable à l’essor de la consommation. Si nos enfants avaient les valeurs de nos arrière-grands-parents, ils ne seraient pas livrés comme ils le sont aujourd’hui à la consommation de masse. Désublimation, donc, mais répressive en ce sens qu’elle les ouvrait à ces fameux « temps de cerveau humain disponible » dont parlait l’ancien patron de TF1. »

Pour lui l’espérance de Mai-68 a été trahie mais le germe de la contradiction se trouvait déjà au sein des valeurs défendus dans ce mouvement :

« Ce ne sont pas des travers, c’est sa logique de fond, celle de l’innovation destructrice. Les soixante-huitards ont été les cocus de l’histoire. Ils voulaient changer le monde, créer une société anticapitaliste, sans classes, sans exploitation ni aliénation, et ils ont accouché du monde libéral dans lequel ils vivent maintenant comme des poissons dans l’eau. Même chose dans l’art contemporain : les artistes sont de gauche, mais les acheteurs de droite et au bout du compte le bohème et le bourgeois se sont réconciliés dans la figure de l’innovation destructrice… »

Il accepte quand même de trouver des apports positifs de Mai-68

« […], il est évident que la déconstruction des autorités traditionnelles a forcément des effets d’émancipation que je suis le premier à approuver : l’émancipation des femmes, des homosexuels, les lois Auroux par exemple. Je ne suis pas, contrairement à la plupart des anciens admirateurs de 68, comme mes camarades Finkielkraut ou Onfray par exemple, un antimoderne, au contraire. J’ai défendu le mariage gay jusque dans les colonnes du Figaro, et je me réjouis toujours des progrès de la liberté. »

L’ancien ministre de l’Education Nationale ne trouve cependant rien de bon pour l’école dans le mouvement de mai 68

« Non, c’est au contraire dans l’éducation que Mai-68 a été un vrai désastre, notamment à cause de la fameuse « rénovation pédagogique ». Il faut bien comprendre qu’il y a deux secteurs totalement traditionnels dans l’éducation : la maîtrise de la langue et celle de la civilité. Or c’est clairement dans ces deux domaines que notre école est le plus en difficulté.

Pourquoi ? Tout simplement parce que les règles de grammaire, comme celles de la politesse, sont purement patrimoniales, traditionnelles à 100%. Aucun d’entre nous n’a inventé ni le français ni les formules de politesse qui viennent clore une lettre. La créativité en matière de grammaire porte un nom : les fautes d’orthographe. Nous payons aujourd’hui dans ces deux domaines la déconstruction des traditions. »

La nostalgie de 68 constitue pour lui un signe de sénilité

« Tous les vieux, dans toutes les générations, regrettent leur jeunesse. […] Débarrassé des totalitarismes de l’Est comme des régimes fascistes d’Amérique latine, d’Espagne, de Grèce et du Portugal, le monde est infiniment meilleur aujourd’hui que dans les années 1960. N’était Daech, il serait presque idyllique en comparaison ; alors la nostalgie n’est guère à mes yeux qu’un signe de sénilité parmi d’autres. »

Et voilà Luc Ferry en 1969


C’est en tout cas une vision très différente d’Edgar Morin développé dans le mot du jour du 23 mai 2018

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