Jeudi 21 septembre 2017

« Dulcie September »
Femme politique sud africaine assassinée à Paris

Dulcie September était une militante anti-apartheid sud-africaine qui a été assassinée le 29 mars 1988 à Paris, à l’âge de 54 ans..

L’ANC, le mouvement de Nelson Mandel, n’est plus considéré comme une organisation terroriste par la France après 1981 et peut ouvrir un bureau à Paris.

C’est Dulcie September qui en prend la direction au début de 1984.

Wikipedia nous rappelle :

« qu’après une agression dans le métro à l’automne 1987, Dulcie September demande une protection policière qui lui est refusée. Craignant pour sa sécurité, elle déménage pour Arcueil, rue de la Convention.

Le 29 mars 1988, peu avant 10 heures, elle est assassinée sur le palier des bureaux de l’ANC au 4e étage du 28 rue des Petites-Écuries, dans le 10e arrondissement de Paris, de cinq balles tirées à bout portant avec un calibre 22 équipé d’un silencieux. »

Et puis…

« Aucun coupable n’a jamais été identifié. En 1992, un non-lieu est prononcé, et l’affaire classée. »

Dans un article de 1997, <Libération> donnait la parole à Peter Hermes, le directeur de l’Institut néerlandais pour l’Afrique australe qui affirmait :

«Dulcie September a été tuée le 29 mars 1988 par les services secrets sud-africains avec la complicité passive des services secrets français»

Pourquoi parler de cette affaire aujourd’hui ?

Parce qu’un journal sud-africain a pu consulter des archives qui ont été rendues publiques.

J’ai pu accéder à cette information par la <Revue de Presse du 14 septembre 2017 de François Cluzel sur France Culture> :

« Le journal de Johannesburg DAILY MAVERICK, repéré par le Courrier International, nous apprend cette semaine comment la France a armé le régime de l’apartheid. Grâce à des archives inédites, un chercheur sud-africain raconte comment des agents du pouvoir raciste, installés dans les locaux de l’ambassade sud-africaine à Paris, ont pu acheter illégalement des armes et des bombes, avec l’aide des services français. Tout cela semble inouï et digne d’un roman d’espionnage. Et pourtant, telle est la banalité du mal.

Le gouvernement de l’apartheid, lui, avait besoin d’armes et l’industrie française de l’armement, elle, avait besoin d’argent. Bien évidemment, consciente de l’existence de l’embargo (que les Français étaient censés faire respecter en tant que membres du Conseil de sécurité de l’ONU), la DGSE a suggéré des solutions simples, comme le transfert clandestin des armes par le Zaïre (l’actuelle République démocratique du Congo).

Et l’article de préciser encore que dans les années 80, déjà, une militante courageuse, Dulcie September, représentante de l’ANC, avait osé enquêter sur ce commerce d’armes illégal entre la France et le régime de l’apartheid, avant d’être assassinée en 1988 à Paris. »

Cet article reproduit par Courrier International est disponible sur internet : <ICI>

Vous y lirez que la compagnie Thomson-CSF (devenue Thales) a été l’un des principaux bénéficiaires de ce trafic illégal d’armes.

Et puis on apprend qu’en plus des services secrets le vin permettait de mettre du « liant » :

PW Botha, ministre sud-africain de la Défense, puis Premier ministre [1978-1984], a joué un rôle crucial dans cette relation.

Selon un itinéraire daté des 8-10 juin 1969 et intitulé « Voyage de M. Botha », nous savons qu’il s’est rendu dans le sud de la France à l’invitation de l’entreprise française d’armement Thomson-CSF pour tester des missiles et déguster du vin.

Cette visite a permis la rencontre du PDG Paul Richard avec PW Botha, des généraux et des ambassadeurs sud-africains et français à l’hôtel La Réserve, près de Bordeaux. Dans la journée, ils ont testé le nouveau missile Cactus que Thomson-CSF avait conçu avec l’aide de l’Afrique du Sud.

Le soir, ils sont passés à la dégustation de vins et ont fêté leur collaboration. Le gouvernement de l’apartheid avait besoin d’armes et l’industrie française de l’armement avait besoin d’argent, d’où la création d’une alliance durable, dont les répercussions sont encore visibles aujourd’hui.

Et cet article se conclut ainsi :

« Une militante courageuse a toutefois osé enquêter sur le commerce d’armes illégal entre la France et le régime de l’apartheid, et elle l’a fait dans les années 1980, point culminant de ce trafic. Dulcie September, représentante de l’ANC à Paris, a entrepris cette tâche aussi difficile que dangereuse avec des moyens extrêmement limités. »

En mars 1988, le président était François Mitterrand, mais le premier ministre était Jacques Chirac. Nous étions en cohabitation. Et c’est ce gouvernement de cohabitation qui a refusé une protection à Dulcie September.

Et cet article du journal sud-africain, révèle que Jacques Foccart entretenait d’excellentes relations avec les services sud-africains. Faut-il le rappeler, Jacques Foccart était le personnage incontournable du concept et de la réalité de la « Françafrique » et il était un ami de longue date de Jacques Chirac.

Ainsi meurent courageusement des femmes et des hommes qui veulent dénoncer les sombres manœuvres des marchands d’armes et de leurs complices, les services secrets et les gouvernements qui les protègent.

Et dans ces cas, bien sûr, les assassins ne sont jamais inquiétés.

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Mercredi 20 septembre 2017

« Je suis donc venu ce soir pour remercier
la terre et l’âme de ce peuple qui m’a tant donné »
Léonard Cohen Remerciant l’Espagne et les espagnols

Un soir de juin, Annie est rentrée à la maison et m’a dit, il faut qu’on regarde quelque chose sur internet…

Alors nous avons regardé une vidéo.

La vidéo d’un discours de remerciement, de gratitude.

Celui qui faisait ce discours était Léonard Cohen.

J’ai eu envie de partager avec vous, après Maria Callas, ce récit, ce discours d’un autre musicien, d’un poète, d’un artiste qui nous a quitté il y a moins d’un an, le 7 novembre 2016.

Ce discours avait pour raison d’être une récompense : le Prix Prince des Asturies dans la catégorie Littérature.

Le Prince des Asturies est dans la monarchie espagnole le titre que porte l’héritier du trône.

Le prix Prince des Asturies est le plus prestigieux prix espagnol, délivré par une Fondation espagnole et récompensant des travaux d’envergure internationale dans huit catégories : arts, sports, sciences sociales, communication et humanités, concorde, coopération internationale, recherche scientifique et technique et lettres.

Et, le 21 octobre 2011, Léonard Cohen monta à la tribune et de sa voix grave et profonde prononça un discours et révéla un secret de sa vie, secret pour lequel il remercia la terre d’Espagne.

Voici la fin de ce discours :

« J’ai une guitare Condé, qui a été fabriquée en Espagne dans le formidable atelier du 7 de la rue Gravina [à Madrid]. Un superbe instrument, que j’ai acheté il y a plus de quarante ans. Je l’ai sorti de son étui, l’ai soulevé – il paraissait empli d’hélium tellement il était léger. Je l’ai porté à mon visage, que j’ai approché de la rosace superbement dessinée, et j’ai humé le parfum du bois vivant. Vous savez que le bois ne meurt jamais.

J’ai humé le parfum du cèdre, aussi frais qu’au premier jour, le jour où j’avais acheté cette guitare.

Et une voix a alors semblé me dire : « Tu es un vieil homme et tu n’as pas dit merci, tu n’as pas rendu ta gratitude à la terre d’où ce parfum a levé. » Je suis donc venu ce soir pour remercier la terre et l’âme de ce peuple qui m’a tant donné.

Car aussi vrai qu’une carte d’identité ne fait pas un homme, une notation financière ne fait pas un pays.

Vous connaissez le lien profond et confraternel qui m’associe au poète Federico García Lorca. Quand j’étais jeune homme, adolescent, je désirais ardemment trouver une voix. J’ai étudié les poètes anglais, je connaissais bien leurs œuvres, j’ai copié leurs styles ; mais je n’ai pas pu trouver de voix. Ce n’est qu’en lisant les œuvres de Lorca que – même par le biais d’une traduction – j’ai compris qu’il y avait là une voix. Non pas que je l’ai copiée ; je n’aurais pas osé. Mais Lorca m’a donné la permission de trouver une voix, de la localiser, c’est-à-dire de localiser un moi – un moi qui ne soit pas figé, qui lutte pour sa propre existence.

En prenant de l’âge, j’ai compris que cette voix portait des instructions.

Quelles étaient-elles ? Ces instructions disaient de ne jamais se lamenter avec désinvolture.

Et qu’à exprimer la grande et inévitable défaite qui nous attend tous, autant le faire dans les strictes limites de la dignité et de la beauté.

J’avais donc une voix ; mais je n’avais pas d’instrument. Je n’avais pas de chanson.

Je vais maintenant vous raconter très brièvement comment j’ai trouvé ma chanson.

J’étais un guitariste quelconque. Je ne connaissais que quelques accords. Avec mes amis de l’université, j’aimais m’asseoir et boire en chantant des folk songs et les chansons populaires du moment ; mais jamais au grand jamais je ne me serais considéré comme un musicien ou un chanteur.

Un jour, au début des années 60, j’étais en visite chez ma mère, à Montréal. Sa maison se trouvait le long d’un parc qui comprenait un court de tennis ; beaucoup de gens s’y pressaient, pour regarder les beaux jeunes joueurs qui pratiquaient leur sport. Je suis allé traîner dans ce parc que je connaissais depuis mon enfance. Il y avait là un jeune homme qui jouait de la guitare. C’était une guitare flamenco, et il était entouré par deux ou trois filles et garçons qui l’écoutaient. J’ai adoré sa façon de jouer, j’étais captivé. C’était ainsi que je voulais jouer ; et c’était ainsi, je le savais, que je ne serais jamais capable de jouer.

Pendant un moment, je suis resté assis au côté des autres auditeurs. Et quand vint un silence, un silence adéquat, j’ai demandé à ce garçon s’il voulait bien me donner des leçons de guitare. Il était originaire d’Espagne, et nous ne pouvions lui et moi communiquer que dans un mauvais français – il ne parlait pas anglais. Il a accepté de me donner des cours. J’ai montré la maison de ma mère, que nous pouvions voir depuis le court de tennis, et nous avons convenu d’un rendez-vous et d’un tarif.

Le lendemain, il s’est présenté chez ma mère et m’a dit : « Joue moi quelque chose ». J’ai essayé de jouer quelque chose, et il a ajouté : « Tu ne sais pas jouer, n’est-ce pas ? » « Non », ai-je répondu, « je ne sais pas. » « D’abord », a-t-il dit, « laisse-moi accorder ta guitare. Elle sonne complètement faux. » Il a donc pris la guitare et l’a accordée. « Ce n’est pas une mauvaise guitare », a-t-il dit. Ce n’était pas la Conde, mais ce n’était pas une mauvaise guitare. Il me l’a rendue. « Et maintenant, joue ».

Je ne pouvais pas mieux jouer.

Il m’a dit : « Laisse-moi te montrer quelques accords. » Il a saisi la guitare, et de cette guitare a jailli un son que je n’avais jamais entendu auparavant. Puis il a joué une suite d’accords avec un trémolo, avant de me dire : « A toi, maintenant ». « C’est hors de question », ai-je répondu, « j’en suis incapable. » « Laisse-moi poser tes doigts sur les frettes. » Une fois que ce fut fait, il a répété : « Maintenant, maintenant, joue. »

Ce fut un désastre. « Je reviendrai demain », me dit-il.

Il revint le lendemain, posa mes mains sur la guitare, et plaça la guitare sur mes genoux de la manière la plus appropriée. Je rejouai à nouveau les mêmes accords – une progression de six accords, sur laquelle reposent beaucoup de chansons de flamenco.

Ce jour-là, je fus un peu meilleur.

Au troisième jour, il y eut une amélioration – un semblant d’amélioration. Mais maintenant, je connaissais les accords. Et je savais que, même si je ne pouvais pas coordonner mes doigts avec mon pouce, de façon à produire le trémolo correctement, je connaissais les accords ; je les connaissais très, très bien.

Le jour suivant, le jeune homme ne vint pas. Il ne vint pas. J’avais le numéro de téléphone de sa pension à Montréal. J’ai appelé pour savoir pourquoi il avait manqué notre rendez-vous.

On m’a répondu qu’il avait mis fin à ses jours. Qu’il s’était suicidé.

Je ne connaissais rien de cet homme. Je ne savais pas de quelle région d’Espagne il était originaire. Je ne savais pas pourquoi il était venu à Montréal. Je ne savais pas pourquoi il avait séjourné là-bas, pourquoi il était apparu vers ce court de tennis. Je ne savais pas pourquoi il s’était donné la mort.

J’étais profondément affligé, bien sûr. Mais je vais divulguer maintenant quelque chose dont je n’ai jamais parlé en public. Ce sont ces six accords, ce sont ces motifs de guitare qui ont fourni la base de toutes mes chansons et de toute ma musique. Vous comprendrez dès lors dans quelles proportions s’exprime la gratitude que j’éprouve pour ce pays.

Tout ce que vous avez trouvé digne de vos faveurs dans mon travail provient d’ici.

Tout, tout ce que vous avez trouvé digne de vos faveurs dans mes chansons et ma poésie, a été inspiré par cette terre.

Je vous remercie donc infiniment pour la chaleureuse hospitalité dont vous avez fait preuve à l’endroit de mon œuvre ; car elle est vraiment la vôtre, et vous m’avez permis d’apposer ma signature au bas de la page. »

Si vous voulez entendre ce discours, en anglais, avec la belle voix de Léonard Cohen : <Discours de Léonard Cohen de 2011>

J’ai repris la traduction que propose <ce site>

Gracias à la vida de nous avoir donné Maria Callas.

Gracias à la vida de nous avoir donné Léonard Cohen

Et Gracias à la vida qui a rendu possible qu’un mystérieux espagnol ait su, en 3 jours, avant de quitter cette terre, permettre à Léonard Cohen de trouver son instrument.

<Leonard cohen Bird On The Wire>

Comme l’oiseau sur le fil
Comme l’ivrogne dans une église
J’ai tenté d’être libre à ma façon
Comme le ver au bout du fil
Comme le chevalier d’un ancien livre
J’ai gardé pour toi ma chanson

 

Si vous voulez lire les paroles et la traduction intégrale <Bird on the wire>

Et si vous voulez comprendre pourquoi Léonard Cohen est éternel, il faut écouter ces quatre enfants russes chanter Halleluyah, comme l’ont fait 14 millions d’internautes avant vous.

Vendredi 15 septembre 2017

« Un homme imaginaire montre le sexisme »
Penelope Gazin et Kate Dwyer

Depuis le début de la semaine j’ai parlé de la manière dont les mâles de l’espèce homo sapiens considéraient et traitaient les femelles de l’espèce.

Hier, j’ai évoqué le futur d’homo sapiens tel que l’imagine ou le prédit Harari en essayant de comprendre où vont nous mener les projets et le « progrès » annoncés par les sociétés qui ont les plus grands moyens financiers et les plus remarquables intelligences humaines pour réaliser (ou essayer de réaliser) leurs rêves.

Aujourd’hui je vais simplement vous relater une histoire qui concerne des femmes entrepreneuses dans la silicon valley confrontées à la bêtise masculine. Car la silicon valley accueille peut être beaucoup d’intelligence, mais l’intelligence ne semble pas suffisante pour éviter le sexisme.

Cette histoire est racontée dans le journal « Le Parisien » du 2 septembre.

L’année dernière, Penelope Gazin et Kate Dwyer lancent Witchsy, un site internet permettant d’acheter des objets d’arts produits par de petits créateurs, à mi-chemin entre objets mignons et créations gores. Un an après, l’entreprise fonctionne bien, a vendu pour 200 000 dollars de marchandise et les deux jeunes femmes annoncent même des profits

Malgré cette réussite, elles sont toujours confrontées aux mêmes comportements sexistes : manque de considération, réponses irrespectueuses et tardives, remarques condescendantes… Le plus souvent de la part de collaborateurs masculins. Une situation profondément désagréable entravant l’évolution de leur entreprise.

Alors elles ont une idée : s’inventer de toutes pièces un troisième co-fondateur masculin. Un homme virtuel en quelque sorte.

Baptisé Keith Mann, ce membre imaginaire de l’entreprise est utilisé par Kate Dwyer et Penelope Gazin pour communiquer par e-mail. Il leur suffit de se faire passer pour lui. Une technique aux résultats flagrants : «C’était le jour et la nuit. Il pouvait s’écouler des jours avant que j’ai une réponse. Keith, lui, n’avait pas seulement une réponse rapidement mais on lui demandait s’il avait besoin de quelque chose d’autre ou d’aide à propos de quoi que ce soit» a expliqué Kate Dwyer, déplorant le sexisme de leurs collaborateurs : «On a compris que personne ne nous prenait au sérieux et qu’ils pensaient tous que nous étions idiotes».

Au fil du temps, les réponses toujours aussi sympathiques et efficaces poussent les deux jeunes femmes à poursuivre leur stratagème. Pour rendre le personnage plus crédible, elles inventent une vie et une histoire à Keith Mann : «Le genre à jouer au football à l’université, marié à sa femme depuis cinq ans et impatient de devenir père»

Vous pouvez lire cette histoire avec plus de détails dans l’article du Parisien <Lassées du sexisme, elles inventent un co-fondateur masculin à leur entreprise>

Finalement, malgré toute la modernité, nous n’avons finalement pas tellement évolué depuis l’époque victorienne anglaise où Charlotte Brontë pour que son chef d’œuvre « Jane Eyre» puisse être publié en 1847 et surtout reconnu, était obligée de cacher sa féminité sous le pseudonyme masculin de Currer Bell.

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Vendredi 21 avril 2017

« Le baiser de l’ouragan »
Marine de Nicola.

Je me demandais quoi écrire comme mot du jour, ce vendredi, à 2 jours du premier tour d’une élection présidentielle qui pourrait être le début d’une époque compliquée et je suis tombé sur un article du Huffington Post consacré à un livre « Le baiser de l’ouragan » qui vient de paraître le 7 avril 2017.

Ce livre est celui de Marine de Nicola qui raconte son histoire. Dans les moments de trouble, il faut revenir à notre humanité et à ce qui est grand dans l’humain.

Marine de Nicola est toulousaine de naissance et elle a eu, au début de sa jeune vie, un parcours étonnant, ponctué de succès. C’est une française passionnée de la Chine qui a appris le mandarin.

A la suite d’un concours elle avait obtenu : « une bourse «Confucius » qui lui permet de défendre ses chances à Pékin dans un télécrochet très populaire. Finaliste, elle décide de rester sur place et de tenter sa chance comme chanteuse. Sélectionnée pour l’équivalent de «La nouvelle Star », elle travaille son image pour gagner en popularité, interprète des chants patriotiques chinois dans des stades remplis de 20 000 personnes. «Je vivais à Pékin, j’étais riche d’un seul coup, populaire, j’allais d’hôtels de luxe en restaurants étoilés, je roulais dans des supers voitures, je partais au bout du monde en voyage, c’était une vie facile. Et puis… »

Alors qu’elle est en Chine, elle ne se sent pas bien et va consulter. Les médecins chinois diagnostiquent un terrible cancer : un cancer du système lymphatique qui a pour nom : « lymphome de Hodgkin ».

Elle explique «Je ne comprenais pas ce que me disaient les médecins, mon mandarin n’était pas assez technique » Et elle est retournée à Toulouse pour se faire soigner et elle a ouvert un blog dont elle a repris le nom comme titre de son livre « Kiss of a hurricane » qui raconte son combat.

Et c’est ce qu’elle écrit et dit que je voudrais partager avec vous, parce que cela permet de distinguer l’essentiel du futile, que cela donne de la force et que c’est un exemple pour chacune et chacun de nous devant les épreuves que nous avons ou que nous pourrons avoir à affronter pour ne jamais renoncer, ne jamais se rendre, ne jamais se démettre de son énergie, de sa confiance et de son esprit d’optimisme et de conquête.

A la Dépêche du midi elle explique : «J’ai souffert, j’ai cru mourir, j’ai pleuré, j’ai mûri. J’ai été envahie de regrets, comme si j’avais 50 ans. Sans ce cancer, ma vie aurait été moins intéressante sur le long terme. On se sent plus heureuse après, on sourit de tout, même d’un petit vent qui souffle dans les cheveux ou du simple fait de ne rien ressentir parce qu’il n’y a plus de souffrance».

Et voici ce que reproduit l’article du Huffington Post :

« Je n’aurais jamais cru que la mort puisse me rendre si vivante.

Jamais la bise du matin n’a été si agréable, les fleurs si odorantes, le ciel si bleu. Les bruits du quotidien sont comme une musique enchanteresse, chaque conversation au détour d’une ruelle devient poésie. Même la laideur devient éclatante de beauté.

Combien de temps me reste-t-il? Peut-être plus beaucoup. Je dois vivre chaque instant pleinement, aimer comme je n’ai jamais aimé, vivre à en crever. Les masques tombent. Je n’ai plus rien à prouver. Plus rien à critiquer, plus rien à haïr. Je n’ai plus rien à posséder. J’ai juste à… être.

J’ai compris que nous sommes tous égaux face à la maladie. Elle est impartiale. Elle frappe au hasard, nous délestant de nos parures scintillantes, de nos chevelures et de nos prises de tête du quotidien. Ses victimes sont catholiques comme musulmanes, gays comme hétéros, riches comme pauvres.

Elle nous oblige à regarder la vérité en face, retourner à la base, à ce qui nous est essentiel. Elle nous emmène au pays où les biens matériels, la reconnaissance sociale sont superflus. Désormais, tout ce qui compte, c’est l’instant présent, et puis l’amour.[…]

Je voudrais dire à toutes les personnes qui se battent qu’elles sont belles.

Je fais tout sauf pitié. Je n’ai honte de rien. Je marcherai dans la rue le menton haut et le crâne au vent. Aux regards des curieux, je répondrai avec un grand sourire. Ce sera ma manière à moi de changer le regard sur la maladie. Pour qu’on n’ait plus peur de prononcer le mot « Cancer » et qu’on puisse même en rire.

Je voudrais dire à toutes les personnes qui se battent qu’elles sont belles. Leur histoire, leur humanité, leur fragilité les rend beaux. Je voudrais leur dire qu’ils n’ont pas besoin de se cacher, qu’ils ne sont pas obligés de rentrer dans le moule. Ils ont le pouvoir de transformer leur faiblesse en véritable force.

Si je dois être malade, je le serai avec tout le panache dont je suis capable.

Je m’appelle Marine, j’ai 24 ans, je suis humaine, chauve et belle. J’ai décidé de raconter mon histoire en regardant le monde droit dans les yeux.

Vous qui la lirez peut-être, je vous invite à vous décentrer et à vous mettre, pour quelques heures, dans la peau d’une canc-heureuse. »

« Je voudrais dire à toutes les personnes qui se battent qu’elles sont belles. »

La vraie beauté, celle qui vient de l’intérieur et qui rejaillit à l’extérieur.

En 2015, elle avait été invitée à TF1 le 28 juin 2015 pour raconter ses combats et elle dit cette phrase pleine de joie et de philosophie de vie :

«Quand on s’en sort, on se rend compte que c’était un cadeau, un cadeau mal emballé, mais un cadeau. Je n’ai plus rien à voir avec la personne que j’étais avant. »

La tumeur a été vaincue, elle se trouve en période de rémission c’est à dire sous surveillance car cette maladie sournoise peut resurgir.
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Vendredi 11 décembre 2015

Vendredi 11 décembre 2015
«Dîtes aux gens que vous aimez, que vous les aimez.»
La famille de Yannick Minvielle une des victimes du bataclan
Il n’est pas possible et pas très raisonnable d’avoir tous les jours un mot de la consistance intellectuelle de celui consacré au discours de Helmut Schmidt en décembre 2011.
Celui d’aujourd’hui à une consistance moindre en intellect, mais il est tout aussi profond pour ce qui est essentiel et donne goût à notre vie terrestre.
C’est la revue de presse de Frédéric Pommier du 5 décembre qui a cité Libération qui m’a poussé à écrire ce mot :
«Dans LIBERATION, vous lirez les remerciements de la famille de Yannick Minvielle. Il allait avoir 40 ans, et il compte parmi les victimes de la tuerie au Bataclan. Et ce sont donc ses proches qui ont rédigé quelques lignes publiées dans le journal… Ses parents, sa sœur, son frère, son petit prince de fils…
« Merci, le mot est bien faible, écrivent-ils, pour vous exprimer toute la chaleur, la douceur que vous nous avez apportées pour accompagner Yannick. Malgré les centaines, voire le millier et plus, de marques de sympathie, par votre présence, votre pensée, vos messages, vos fleurs, soyez assurés que nous avons tout vu, lu, entendu et retenu. Nous regrettons sincèrement de ne pouvoir répondre à chacun. Mais si Yannick vous a apporté du bonheur, redistribuez-l : il vous a aimé. Partagez largement cet amour et surtout, c’est important : « Dîtes aux gens que vous aimez, que vous les aimez. » »
Frédéric Pommier a fini son émission en faisant écouter la chanson chantée par la famille Chedid : <On ne dit jamais assez aux gens qu’on aime qu’on les aime dans une version live à Bercy>    <Ou ici une version enregistrée en studio>
Le Monde a décidé de publier un article sur chacune des victimes des attentats de Novembre :
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Vendredi, le 06/11/2015

Vendredi, le 06/11/2015
«  je vais vous prendre. Depuis ce matin, je n’ai vu défiler que des « voilées ». Finalement, vous êtes la moins pire ! »
Une maman de Chatou qui cherche une baby Sitter à une fille voilée qui postule pour ce travail Dans « En France  » de Florence Aubenas, pages 197 à 200, 8 juillet 2013
Le texte de l’annonce disait : «Urgent : maman parfaite mais surbookée cherche garde pour ses deux p’tits loups pendant l’été. Prolongation possible si atomes crochus.» L’adresse est à Chatou et, avant même d’être arrivée, Rim a averti les deux copines qui l’accompagnent : «C’est un coin perdu avec que des Français. » Dans le RER, on devise paisiblement des nouveaux parfums de glace chez
Haagen-Dazs et d’un DVD de Gad Elmaleh.
Il est convenu que les copines attendent devant la résidence, pendant que Rim se présente au rendez-vous. Quand elle ouvre, la « maman-parfaite-mais-surbookée» pousse un cri : « Mon Dieu !» Elle recule de deux pas.
«Je vous avais prévenue au téléphone que je portais le foulard, soupire Rim.
– Je n’avais pas réalisé. Je croyais que c’était juste un petit bandana.»
Sabrina est vêtue d’un jilbeb, robe noire tout en drapé tombant jusqu’au sol, manches longues et voile marron qui ne laisse voir que l’ovale du visage. Elle l’a acheté 37 euros dans son magasin préféré au métro Couronnes.
« Je suis opé tout de suite », poursuit Rim, comme si de rien n’était. La maman parfaite tente de reprendre ses esprits : «C’est-à-dire ?»
« Opérationnelle. Je ne fume pas, je ne bois pas, je travaille pendant les congés des Français, Noël, le 14-Juillet, et même le dimanche si vous voulez. »
La maman surbookée est déjà en train de rabattre la porte : « Je suis confuse, mais je n’assume pas par rapport aux voisines. »
En bas, les trois copines n’ont pas l’air surpris. Elles sont en jilbeb, elles aussi. Rim a été la première à le porter, il y a quatre ans. « Pas de ça à la maison ! », s’est fâché son père. Il l’a prévenue qu’il ne sortirait plus avec elle dans la rue. « On va croire que c’est moi qui t’oblige. D’ailleurs, ils le disent à la télé, c’est contre la liberté de la femme. Pourquoi il a fallu que ça m’arrive à moi ? »[…]
Elle était encore en terminale à l’époque où elle l’a mis, le genre bonne élève qui en veut. Le proviseur l’avait d’abord exclue, puis convoquée pour un compromis : les robes longues, d’accord, mais achetées dans les magasins style H & M. Et pas de foulard. Sa mère pleurait à côté d’elle à l’entretien. « On a voulu lui donner toutes les chances, celles qu’on n’a pas eues nous-mêmes. Et voilà, elle se bloque toute seule. »[…]
Les copines remontent jusqu’aux Champs-Elysées, temps gris et déprimant. «Il était bien payé, en plus, ce boulot à Chatou », râle Sabrina. Fatoumata boude, elle voudrait rentrer dans le quartier, vers La Courneuve. « Là-bas, on est tranquilles, on n’est pas obligées de se promener à trois pour se donner du courage. »
Le portable de Rim sonne. Dans l’appareil, une voix dit : « Vous ne pouvez pas l’enlever, rien que pour l’été ? » C’est la «maman-parfaite-mais-surbookée».
«Imaginez que je le retire…, lance Rim, en raccrochant.
– Je te tue», rigole Fatoumata.
[…] Sabrina devient nostalgique. Elle y buvait des coups quand elle travaillait dans le quartier, assistante de direction. Aujourd’hui, elle rêve encore de ce boulot, de la vie qu’elle s’était créée, aller à droite à gauche, faire les magasins, rigoler. A la fois, elle avait toujours cette impression de devoir jouer un rôle. La religion avait commencé à la travailler, mettre le foulard aussi. Elle s’est lancée, c’était un lundi matin, elle s’en souvient.
A l’entrée de la boîte, on ne veut pas lui ouvrir. Elle répète dans l’Interphone : «Je suis salariée.» Elle entend répondre la standardiste, avec qui elle déjeune tous les jours : «Madame, il n’y a personne comme vous ici.» Elle donne les numéros de postes de sa hiérarchie, arrive à l’accueil, où elle est à nouveau bloquée. «Je ne peux pas prendre seule la responsabilité de vous laisser entrer. Il faut qu’un chef vienne voir.» La directrice du personnel arrive, Sabrina remonte avec elle le long couloir vitré. Dans les bureaux, les gens s’arrêtent de travailler pour la regarder passer, bouche bée.
Elle veut hurler : « C’est moi Sabrina. J’ai mis un voile, mais je suis toujours la même ! » Pas un son ne sort et, en même temps, elle sent monter en elle une sensation intense et inconnue, celle d’être devenue extralucide et de voir pour la première fois les gens « en vrai », avec tout ce qu’ils pensaient d’elle sans oser le lui dire. Elle aperçoit Georges, son boss au bout du couloir. Se croit sauvée : elle a toujours été sa chouchou. Il dit : «Je ne te voyais pas comme ça. » Elle le déçoit, elle le sent, et c’est ce qui lui fait le plus mal. Le lendemain, elle envoie sa démission.
 
Fatoumata commande un deuxième Coca light. « Pour nous, il n’y a que des boulots de garde d’enfants. » Sabrina est partie se remaquiller. Le téléphone de Rim sonne à nouveau. « Ecoutez, je vais vous prendre. Depuis ce matin, je n’ai vu défiler que des « voilées ». Finalement, vous êtes la moins pire ! »
Ainsi se termine les 5 reportages que j’ai choisis arbitrairement dans ce livre où Florence Aubenas raconte simplement les gens, en ne jugeant pas et plutôt avec bienveillance.
Il y a les dogmes, des théories, de grandes évolutions économiques, des indicateurs, des politiques ou des non politiques (laisser faire) économiques et puis il y a les gens qui n’ont pas les clés, qui ont peut être fait des mauvais choix, mais qui pour la plupart sont surtout nés au mauvais endroit, au mauvais moment et dans un milieu qui n’a pas les clés, pas les réseaux. Pourtant la plupart de ces personnes ne se plaignent pas, elles cherchent à s’en sortir, comme elles peuvent…

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Jeudi, le 05/11/2015

Jeudi, le 05/11/2015
« un pays de gosses qui font des gosses »
Florence Aubenas
Dans « En France  » de Florence Aubenas, pages 225 à 228, 17 février 2014
 Sa première visite dans les bourgades de la Thiérache l’a sidéré, « un choc visuel », dit-il. Pourtant, Franck Audin est né ici, ou pas très loin, à Saint-Quentin, 40 km vers le Nord. Il a voyagé aussi, des missions humanitaires dans des contrées déchirées. Pourtant, dans ces rues de brique et d’ardoise, il ne parvient pas à détourner les yeux de ces filles, si jeunes, si nombreuses, la sortie de l’école, croirait-on, si chacune ne poussait un landau avec un bébé : la traversée d’un pays de gosses qui font des gosses. Bien sûr, Audin a la sale impression de basculer dans la caricature, lui qui fédère les centres sociaux de l’Aisne.
Déjà, la région de la Thiérache, collée à la frontière belge, se remet à peine d’avoir été baptisée « Chômeurland », avec ses 17,9 % de sans-emploi. Et voilà les « grossesses précoces », comme disent les institutions, deux fois plus nombreuses qu’ailleurs. Au début, on parlait de « problème ».
On évite maintenant. « Problème pour qui ? La plupart de ces jeunes filles disent désirer avoir un enfant », explique Véronique Thuez, infirmière et conseillère au rectorat d’Amiens.
[…] En fait, elles étaient quatre au collège à accoucher cette année-là. Les autres ont abandonné l’école. « De toute façon, un diplôme, ça ne veut plus rien dire », proteste une autre, deux couettes nouées haut sur la tête, comme sa toute petite fille. Sa voisine hausse les épaules : « Même les patrons n’en veulent plus, d’un CAP : on serait trop cher payées. »[…]
A la protection maternelle et infantile, Mademoiselle Couettes, 17 ans, a pris de haut les questions au sujet du père : « On a droit à sa vie privée, comme les stars, pas vrai ? » Elle compte vivre « en famille ». Avec le papa ?
Ça rigole franchement par-dessus les frites. Non, Mademoiselle Couette veut dire « vivre avec [ses] parents à [elle] »
[…]
« A une époque, les filles comme nous devaient se cacher, la honte », reprend la brune au tatouage. Les autres écarquillent les yeux. « Aujourd’hui, c’est l’inverse : on compte pour quelque chose quand on a un enfant. » Elle a été étonnée de toucher de l’argent pour sa fille. « Je savais qu’on en recevait, mais pas autant. » Ce n’est pas la fortune, bien sûr, mais une « sécurité ». « L’avenir », s’enflamme sa voisine, remuant les draps de son fils comme on tisonne. « Un enfant, c’est déjà ça, toujours quelque chose qu’on a », dit-elle […]

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Mercredi, le 04/11/2015

Mercredi, le 04/11/2015
« C’est vrai, on est le dernier crédit sans intérêts.»
Une employée de l’office d’HLM à une locataire qui se présente avec des loyers impayés
Dans « En France  » de Florence Aubenas, pages 42 à 45, 20 mai 2013
[…], pour les loyers impayés de son T3, Cassandra s’est résolue à aller à l’office HLM, « comme tout le monde ». Bouboulette l’accompagne. Depuis qu’il a pu s’offrir le permis de conduire, on le croirait promu nouveau chef de toute la famille. L’événement a été fêté, presque autant que son diplôme d’instituteur l’an dernier.
A l’office HLM, une brune enjouée avec un chignon les reçoit sous des photos de la région, la Normandie pittoresque […]
Cassandra en vient au but. Elle n’arrive plus à payer son loyer.
« On va regarder ensemble votre budget », reprend l’employée en souriant.
Cassandra commence par le « poste numéro un », les factures, « qu’on est obligé de payer, sinon ils vous coupent tout de suite » : le téléphone portable et Internet. « Sans ça, on est mort : surtout mon mari, en recherche d’emploi. » Il était commercial et « bricole dans l’informatique en attendant mieux ».
Autrement dit, il achète des sacs imitation Vuitton en Chine sur le Net et les revend en France sur le site Le Bon Coin. « Au black », précise Cassandra. Elle n’y voit aucun mal, au contraire. « Vous préféreriez qu’il ne fasse rien ? On a un fils. »
Ensuite, vient le remboursement de trois crédits à la consommation pour un frigo, un scooter d’occasion et un home-cinéma (« On doit bien se faire plaisir parfois », glisse Bouboulette, qui prend des notes). Là aussi, il faut payer, et très vite. Les boîtes de crédit ne lâchent jamais. Ils vous mettent des pénalités féroces. Ils scotchent des autocollants humiliants sur votre boîte aux lettres. Ils vous harcèlent devant l’école ou au boulot. Ils vous attaquent au tribunal. C’est l’obligation numéro deux.
[…] Après seulement, en troisième position, arrive la nourriture, surtout par la carte de crédit de l’hypermarché local. Cassandra l’a obtenue sans difficulté : elle y travaille le week-end et en nocturne. « Je fais des affaires, la baguette coûte 35 centimes, il n’y a plus personne chez le boulanger où elle est à 80. »
[…]  « Pour le reste, je vous mentirais en disant que je n’ai pas de dettes. » Le gaz et l’électricité, par exemple. « Mais là, ils comprennent. Ils patientent, pas comme les organismes de crédit. » Et pas comme les opérateurs de téléphonie, non plus.  » Le public, quand même, c’est politique, analyse Bouboulette. L’Etat ne peut pas se permettre de couper et de laisser des familles normales sans courant. »
Et pour les loyers de l’appartement ? Cassandra devient toute rouge. Elle risque : « C’est pareil, non ? On ne met pas dehors les gens comme nous ? »
L’employée la coupe, toujours souriante : « C’est vrai, on est le dernier crédit sans intérêts. »
Et soudain, Bouboulette et Cassandra pensent à leurs parents, pour qui le toit et la lumière étaient sacrés, les priorités à honorer par-dessus tout, pour les enfants et les voisins. Tout s’est inversé, cul par-dessus tête.

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Mardi, le 03/11/2015

Mardi, le 03/11/2015
« Je ne m’étais jamais posé de questions : je me sens français, c’est tout. Ou plutôt je me sentais français. »
Farid, habitant d’origine musulmane de Hénin Beaumont
Dans « En France  » de Florence Aubenas, pages 25 à 30, 15 juin 2012
[…] On est dimanche 10 juin à Hénin-Beaumont, dans le bassin minier du Pas-de-Calais, au premier tour des législatives où se présente – entre autres – Marine Le Pen, la patronne du Front national.
Et Rachida trouve l’ambiance étrange, elle ne peut pas s’en empêcher, sans trop savoir pourquoi. [Quand elle rentre chez elle] La table est dressée avec attention, il y a son mari, ses enfants, quelques amis aussi. Tous ont des boulots solides, les hommes comme les femmes, Mohamed à la tête d’un cabinet d’assurances, Nacéra, qui est professeure ou Said, ingénieur. Les enfants font du théâtre, fréquentent les clubs de sport.
[…]
Farid, un autre voisin, près du lac, a mis un certain temps à réaliser que l’« Arabe » d’Hénin- Beaumont, montré du doigt pendant toute la campagne, désigné dans les tracts du FN et dont chacun commente la « dangerosité », c’est lui aussi.
Il s’est regardé dans la salle de bains, lunettes d’écaille, raie sur le côté, les rides précoces du type qui travaille tard.
Il a dit à sa femme en pointant sa propre image dans le miroir : « Tu crois que je vais finir par avoir peur de ce bougnoule en face de moi ? » Ils ont ri et pensé à leur vie dont il n’y a pas grand-chose à dire et tant mieux, une vie rangée et invisible comme celle des gens à l’aise.
Brusquement, ils ont eu l’impression que toute cette quiétude venait d’être balancée sur la place publique, exposée.
« Je ne m’étais jamais posé de questions : je me sens français, c’est tout, dit Farid. Ou plutôt je me sentais français. » Leurs parents venaient de la mine, comme tout le monde ici.
[…]
Déjà, à l’époque, « les houillères vivaient de l’immigration, mais pas tellement venue du Maghreb », explique Jean-François Larosière, professeur à la retraite et militant syndical.
« On en comptait peut-être trois ou quatre élèves par classe contre une douzaine d’enfants ‘polonais’. » Les mines fournissaient tout, même travail, même toit, même identité.
Et à la question « d’où viens-tu ? », il n’y avait qu’une seule réponse qui vaille : annoncer le numéro de la fosse où chacun s’enfonçait au petit jour, avec sa lampe et son casque.
Au milieu des villages miniers, Hénin-Beaumont, 25 000 habitants aujourd’hui, était la belle ville du canton, trois cinémas, autant de lycées, des cafés et des dancings réputés, le plus grand Auchan d’Europe qui vient de fêter ses quarante ans. […]
La nostalgie a sans doute embelli le passé, fait oublier, par exemple, que les mineurs algériens étaient désignés par des numéros, pas par leur nom. Il n’empêche.
[…] A quel moment le temps s’est-il mis à marcher à l’envers ? Quand a-t-on commencé à entendre claquer le mot « Arabe » comme un reproche, à relever qui l’était et qui ne l’était pas, autrement que pour blaguer ou pour les matchs de foot ? Il y a quelques années, Mustapha a eu le cœur brisé quand son fils lui a appris qu’une boîte de nuit, près de Béthune, lui avait refusé l’entrée.
Le gamin a lancé à son père : « Votre jeunesse était plus belle que la nôtre. »
[…] La famille de Mériem, qui voulait faire construire, s’est vu conseiller par une commerçante compatissante : « Dépêchez-vous, si Marine Le Pen passe, les gens comme vous n’auront plus rien du tout. »[…]
Vers Arleux, une large bande rurale derrière Douai, des parents ont confié aux professeurs que leurs gamins placardaient des Hitler en poster sur les murs de leur chambre.
Certains élèves, dans des établissements d’Hénin-Beaumont, revendiquent la « mode Marine Le Pen », qui consiste essentiellement à rouler des yeux fâchés, écouter de la musique électro et graver « Bougnoules » sur les tables de classe en clamant : « Ici, on est connu mondialement pour voter FN. » Peu à peu, la campagne a fini par tout envahir, les maisons, les esprits.
[…] Chez Rachida, dans la villa blanche du Bord des eaux, le résultat du vote vient de tomber. Marine Le Pen arrive en tête sur la circonscription, avec plus de 40 %, frôlant les 50 sur la ville même d’Hénin- Beaumont.
Une invitée murmure juste : « On ne mérite pas ça », et puis plus rien.

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Lundi 2 novembre 2015

« Ce qui était une fatalité pour nous est devenu le rêve de nos enfants. »
Un ouvrier en CDI parlant de ses enfants.
Dans « En France  » de Florence Aubenas, pages 185 à 188, 6 mai 2013
C’est en écoutant Florence Aubenas dans l’émission <Répliques> que j’ai eu envie de lire son livre <En France>.
Comme beaucoup, j’ai appris l’existence de Florence Aubenas lorsqu’elle a été kidnappée et retenue en otage en Irak en 2005. Depuis j’ai appris à connaître la remarquable journaliste qu’elle est. Comme le préconisait le journaliste suisse, Serge Michel, créateur du Bondy Blog, elle va sur le terrain, en immersion, pour réaliser ses reportages.
Elle avait publié un premier travail de reportage en France <Le quai de Ouistreham>, livre qu’elle a écrit après avoir, pendant six mois, essayé de « vivre la vie » des plus démunis, ceux et surtout celles qui tentent de s’en sortir en enchaînant des travaux précaires (femme de ménage par exemple) et du temps partiel. Elle a mené cette enquête à Caen. C’est un des emplois qu’elle a occupé : nettoyer un quai qui a donné le titre du livre.
Son livre <En France> est constitué d’une série de reportages pour «Le Monde». Elle a parcouru la France, les villages et les gens de France et a simplement rapporté ce qui se passait en France ailleurs que dans les riches métropoles , là où il devient de plus en plus difficile ou compliqué de vivre.
Je vous avais proposé une semaine de mots du jour, sur une émission et un livre de Daniel Cohen. C’était alors une réflexion érudite, argumentée, conceptuelle du monde économique dans lequel nous vivons et ensuite des questions sur l’avenir qui se prépare.
Je vous propose cette fois, 5 mots du jour, non d’érudition conceptuelle mais de reportages, de la vie vue à hauteur d’homme, comment les choses se passent et se disent dans le quotidien de cette économie en crise, parmi celles et ceux qui en sont les victimes
Je vous en proposerai quelques extraits qui expliquent la phrase que j’ai choisie comme mot du jour :
« Le rendez-vous est fixé sur le parking d’un fast-food juste à l’entrée de Montbéliard (Doubs), à quelques mètres de la grille de l’usine Peugeot. Une vingtaine de personnes attendent la camionnette qui les conduira jusqu’aux ateliers de la première équipe. Dans le froid du ciel s’étirent des nuages noirs et roses. Il doit être 4 h 30 du matin. […]
 David […] a déjà bossé dans la restauration, les espaces verts, une usine de contreplaqué, le triage des cerises. Contrats précaires, à chaque fois. Ce coup-ci, il a décroché Peugeot, ou plus exactement une mission de quatre mois en atelier par le biais d’une boîte d’intérim, qui recrute pour un sous-traitant qui travaille pour Peugeot. Peugeot ! Il répète le nom, soufflé lui-même par sa chance.
Le père de David bosse là depuis toujours. Lui se retrouve dans le même atelier, père et fils côte à côte, mais séparés par un gouffre : le contrat de travail. « Mon père, c’est un embauché », résume David. « Tous nos vieux sont des embauchés », tranche un blond d’une voix assez forte pour couvrir la musique qui sort de son portable. Il s’étonne qu’on ne connaisse pas le mot : « Ça veut dire qu’ils ont un contrat de travail à durée indéterminée. » Eux sont intérimaires, tous. Eux sont jeunes, tous sauf un grand maigre qui doit avoir la cinquantaine. Dans le groupe, ils se mettent à sourire, pas revanchards pour un sou, attendris au contraire par ces pères dont ils parlent comme si c’étaient eux les enfants, des créatures innocentes à protéger d’un monde mutant.
Quelqu’un lance : « Vous imaginez nos vieux à la case chômage, comme nous ? » Rires. Et le blond, à nouveau, un peu bravache : « Ils n’y arriveraient pas. »
 Le contrat est devenu l’unité de valeur, et le CDI, la valeur suprême. Les deux tiers des salariés qui entrent à Pôle emploi ne demandent plus un métier mais « un CDI ». Pour les employeurs, c’est l’inverse : 49 % des offres proposent de l’intérim, 30 % des CDD. L’explosion date du début des années 2000, où les entreprises ont commencé à gérer les variations de production avec un « matelas d’intérim »   […]
Tout le monde est intérimaire dans la famille […], sauf le père, ça va de soi. L’autre jour, ils en ont parlé à table. Le père a dit : « Il faut aborder ouvertement ce qui se passe : quelle boîte peut dire où en sera le carnet de commandes dans six mois ? C’est malheureux, mais s’il faut en passer par là pour sauver le reste… » Tout le monde a rigolé. « Qu’est-ce qui t’arrive, papa ? Tu parles comme à la télé. » […]
 
En général, on apprend le vendredi pour le lundi que le contrat ne sera pas renouvelé et, afin de maintenir la motivation jusqu’à la dernière heure, on délivre un certificat de bons services nécessaire pour un nouvel intérim.  […]
A la grille de l’usine, le bus des « embauchés » est déjà là. Un type à l’avant est en train de caler sa gamelle dans son sac. En 1975, quand lui a été recruté, « le terme ouvrier à la chaîne était synonyme d' »esclave moderne ». Aujourd’hui, on nous appelle « privilégiés » ». Il a fini par y croire. « Ce qui était une fatalité pour nous est devenu le rêve de nos enfants. »
Son fils est juste derrière, sur le parking du fast-food. Il monte dans la camionnette des intérimaires en faisant le V de la victoire, suivi des autres qui font pareil, pendant que le blond filme la scène sur son portable. Il est 4 h 58 quand le véhicule démarre, soulevant en gerbes éclatantes les flaques laissées par l’orage. »
N’hésitez pas à acheter ce petit livre, il coûte 6,90 €.

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