Dulcie September était une militante anti-apartheid sud-africaine qui a été assassinée le 29 mars 1988 à Paris, à l’âge de 54 ans..
L’ANC, le mouvement de Nelson Mandel, n’est plus considéré comme une organisation terroriste par la France après 1981 et peut ouvrir un bureau à Paris.
C’est Dulcie September qui en prend la direction au début de 1984.
Wikipedia nous rappelle :
« qu’après une agression dans le métro à l’automne 1987, Dulcie September demande une protection policière qui lui est refusée. Craignant pour sa sécurité, elle déménage pour Arcueil, rue de la Convention.
Le 29 mars 1988, peu avant 10 heures, elle est assassinée sur le palier des bureaux de l’ANC au 4e étage du 28 rue des Petites-Écuries, dans le 10e arrondissement de Paris, de cinq balles tirées à bout portant avec un calibre 22 équipé d’un silencieux. »
Et puis…
« Aucun coupable n’a jamais été identifié. En 1992, un non-lieu est prononcé, et l’affaire classée. »
Dans un article de 1997, <Libération> donnait la parole à Peter Hermes, le directeur de l’Institut néerlandais pour l’Afrique australe qui affirmait :
«Dulcie September a été tuée le 29 mars 1988 par les services secrets sud-africains avec la complicité passive des services secrets français»
Pourquoi parler de cette affaire aujourd’hui ?
Parce qu’un journal sud-africain a pu consulter des archives qui ont été rendues publiques.
J’ai pu accéder à cette information par la <Revue de Presse du 14 septembre 2017 de François Cluzel sur France Culture> :
« Le journal de Johannesburg DAILY MAVERICK, repéré par le Courrier International, nous apprend cette semaine comment la France a armé le régime de l’apartheid. Grâce à des archives inédites, un chercheur sud-africain raconte comment des agents du pouvoir raciste, installés dans les locaux de l’ambassade sud-africaine à Paris, ont pu acheter illégalement des armes et des bombes, avec l’aide des services français. Tout cela semble inouï et digne d’un roman d’espionnage. Et pourtant, telle est la banalité du mal.
Le gouvernement de l’apartheid, lui, avait besoin d’armes et l’industrie française de l’armement, elle, avait besoin d’argent. Bien évidemment, consciente de l’existence de l’embargo (que les Français étaient censés faire respecter en tant que membres du Conseil de sécurité de l’ONU), la DGSE a suggéré des solutions simples, comme le transfert clandestin des armes par le Zaïre (l’actuelle République démocratique du Congo).
Et l’article de préciser encore que dans les années 80, déjà, une militante courageuse, Dulcie September, représentante de l’ANC, avait osé enquêter sur ce commerce d’armes illégal entre la France et le régime de l’apartheid, avant d’être assassinée en 1988 à Paris. »
Cet article reproduit par Courrier International est disponible sur internet : <ICI>
Vous y lirez que la compagnie Thomson-CSF (devenue Thales) a été l’un des principaux bénéficiaires de ce trafic illégal d’armes.
Et puis on apprend qu’en plus des services secrets le vin permettait de mettre du « liant » :
PW Botha, ministre sud-africain de la Défense, puis Premier ministre [1978-1984], a joué un rôle crucial dans cette relation.
Selon un itinéraire daté des 8-10 juin 1969 et intitulé “Voyage de M. Botha”, nous savons qu’il s’est rendu dans le sud de la France à l’invitation de l’entreprise française d’armement Thomson-CSF pour tester des missiles et déguster du vin.
Cette visite a permis la rencontre du PDG Paul Richard avec PW Botha, des généraux et des ambassadeurs sud-africains et français à l’hôtel La Réserve, près de Bordeaux. Dans la journée, ils ont testé le nouveau missile Cactus que Thomson-CSF avait conçu avec l’aide de l’Afrique du Sud.
Le soir, ils sont passés à la dégustation de vins et ont fêté leur collaboration. Le gouvernement de l’apartheid avait besoin d’armes et l’industrie française de l’armement avait besoin d’argent, d’où la création d’une alliance durable, dont les répercussions sont encore visibles aujourd’hui.
Et cet article se conclut ainsi :
« Une militante courageuse a toutefois osé enquêter sur le commerce d’armes illégal entre la France et le régime de l’apartheid, et elle l’a fait dans les années 1980, point culminant de ce trafic. Dulcie September, représentante de l’ANC à Paris, a entrepris cette tâche aussi difficile que dangereuse avec des moyens extrêmement limités. »
En mars 1988, le président était François Mitterrand, mais le premier ministre était Jacques Chirac. Nous étions en cohabitation. Et c’est ce gouvernement de cohabitation qui a refusé une protection à Dulcie September.
Et cet article du journal sud-africain, révèle que Jacques Foccart entretenait d’excellentes relations avec les services sud-africains. Faut-il le rappeler, Jacques Foccart était le personnage incontournable du concept et de la réalité de la « Françafrique » et il était un ami de longue date de Jacques Chirac.
Ainsi meurent courageusement des femmes et des hommes qui veulent dénoncer les sombres manœuvres des marchands d’armes et de leurs complices, les services secrets et les gouvernements qui les protègent.
Et dans ces cas, bien sûr, les assassins ne sont jamais inquiétés.
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