Jeudi 16 novembre 2017

« Par rapport à l’intelligence artificielle : il y a les substituts qui seront remplacés et qui seront soit au chômage soit dans un emploi aidéet les complémentaires de l’intelligence artificielle qui seront très bien rémunérés »
Laurent Alexandre

Laurent Alexandre, est un chirurgien-urologue français. Il a créé le site de vulgarisation médicale très sérieux que toutes les personnes qui s’intéressent à leur santé connaissent : doctissimo

Il a aussi écrit un livre au titre très explicite : <La mort de la mort>

Il est très intéressé par l’intelligence artificielle et il a été invité par le Sénat le 19/01/2017 pour parler de l’impact de l’Intelligence Artificielle sur la société et l’économie française.

Vous pourrez écouter cette intervention qui me parait essentiel derrière ce lien : <Impact de l’Intelligence Artificielle sur l’économie>

Il a probablement une haute opinion de lui-même et s’exprime de manière un peu péremptoire. Son analyse me parait cependant très argumenté et notamment poser les bonnes questions.

Je vais essayer de résumer le propos à ma manière et avec mon intelligence humaine.

D’abord un sujet de définition : on distingue l’intelligence artificielle forte et l’intelligence artificielle (que je nommerai IA dans la suite de cette article) faible.

L’IA forte serait une intelligence qui comme homo sapiens aurait conscience de son intelligence, ou dit autrement de son existence. Elle saurait dire « JE » et saurait que ce « JE », c’est elle.

Cette forme d’IA entraîne tous les fantasmes, puisque si un tel sujet apparaissait, il y aurait concurrence entre deux intelligences conscientes qui pourraient entrer en compétition et entraîner à terme un assujettissement de l’une à l’autre, voire une destruction de l’autre. Dans cette hypothèse dans la mesure où l’intelligence artificielle serait arrivée à la hauteur de la conscience humaine, il est raisonnable de prévoir qu’elle nous dépassera. Cette hypothèse conduit donc à un assujettissement d’homo sapiens à cette entité créée par l’homme. En résumé dans un film de science-fiction, les robots prennent le pouvoir.

Ce fantasme n’est pas prêt à se produire selon lui. J’ai entendu d’autres gens très sérieux dire la même chose. Il faut savoir cependant que ce n’est pas l’avis d’Elon Musk, cofondateur de Paypal, directeur chez Tesla motors et cofondateur de OpenAI, une association de recherche à but non lucratif en intelligence artificielle, ni d’ailleurs de certains des grands esprits de Google.

Selon Laurent Alexandre, ce qui existe déjà et va se développer encore de manière exponentielle c’est l’intelligence artificielle faible qui n’a pas conscience de son intelligence, mais qui est un formidable calculateur adossé à d’immenses bases de données que l’on appelle dans le langage numérique les big datas.

Et cette annonce-là : que l’IA faible va se développer de manière exponentielle est aussi préoccupante, notamment pour nous européens.

Dans la géopolitique de l’IA et du big data, l’Europe est un pays du tiers monde, pour reprendre un concept économique connu. Nous exportons des ingénieurs, un des principaux directeurs de laboratoire d’IA s’appelle Yann Le Cun, auquel j’ai déjà consacré un mot du jour, il est français et il travaille pour Facebook.

Je vous demande déjà de nous arrêter à ce fait : Un des types les plus calés sur l’IA travaille pour Facebook.

Dans notre esprit cartésien de français, ce n’est pas sérieux.

Un type super intelligent qui travaille sur des sujets de pointe, il bosse pour l’armée, pour l’industrie aéronautique ou spatiale ou l’industrie financière pas pour ce café du commerce mondialisé qu’est facebook. Ce n’est pas sérieux !

Si vous réagissez comme ça, c’est qu’il y a quelque chose qui vous a échappé.

Facebook, n’a qu’un atout mais dans le contexte de l’IA faible décrit ci avant, c’est un atout gigantesque dans ce monde-là : c’est un collecteur de données, il est à la tête d’un big data immense.

Et Laurent Alexandre l’explique au cours de sa présentation, des tests ont été fait. On a mis en compétition des algorithmes très sophistiqués avec des petites bases de données et des algorithmes plus simples mais adossés à d’immense big data. Ce sont les seconds qui l’ont emporté très largement.

Dans ce monde-là, celui qui domine c’est celui qui possède le big data. L’Europe n’est pas dans ce cas, les Etats Unis et la Chine oui. C’est pourquoi nous serons un pays du tiers monde si nous ne parvenons pas à réagir rapidement.

Dans sa démonstration brillante, il ajoute un point essentiel : la zone Asie-Pacifique qui est au cœur de cette nouvelle révolution croit plus vite que nous et surtout est très transgressif par rapport à nos valeurs qu’il définit comme : « chrétiens-démocrate et sociaux démocrate de gauche que nous sommes tous par rapport à ces gens-là ».

Selon lui, l’IA faible a désormais un développement exponentiel, ce qui rend très difficile les prévisions. Les prévisions sont plus pertinentes quand on est en présence d’évolutions proche du linéaire.

L’évolution exponentielle ne touche pas les technologies robotiques qui nécessitent de la mécanique, ni la santé ou la biologie qui évoluent aussi mais à un rythme plus linéaire.

Pour être plus précis, ce qui évolue de manière exponentielle c’est l’IA faible adossée au big data des plateformes, c’est à dire Google, Apple, Facebook et Amazon. Apple et Facebook ont chacun 2 milliards d’utilisateurs. Nous n’avons pas la base industrielle pour rivaliser avec ces géants. En outre, nous sommes les idiots utiles de ces plateformes, puisque nous mettons chaque jour, gratuitement, des milliards de photos et de données sur ces plate-formes

Mais ce qui lui semble essentiel, c’est que l’intelligence artificielle sera quasi gratuite par rapport à l’intelligence biologique ;

Ce deuxième point va avoir un effet majeur notamment sur le marché de l’emploi et il donne une règle simple à comprendre mais pénible à entendre : Dans un marché où entre en compétition un bien gratuit et un bien onéreux, les substituts crèvent et les complémentaires voient leur prix augmenter

Nous devons donc très rapidement, en Europe, développer des plateformes de la dimension des américains et des chinois sinon nous serons le Zimbabwe du monde de demain.

L’école doit s’efforcer de prendre en compte cette dichotomie entre les substituts à l’IA, c’est-à-dire tous ceux qui pourraient faire le même travail que l’IA moins vite, plus chère et malgré tout probablement moins bien et les complémentaires qui travailleront en s’aidant de l’IA, en complémentarité de l’IA.

Il affirme d’ailleurs : qu’aucun emploi non complémentaire de l’IA n’existera plus en 2050.

Il présente cette affirmation sous une autre forme : si votre intelligence + l’IA est l’équivalent de l’IA, votre emploi disparaîtra.

On pense aux guichetier de banque, bibliothécaire, chauffeur de taxi, comptable, assistant juridique, contrôleurs aériens, agent de voyage, interprète et traducteurs, probablement énormément de travaux actuellement assurés par des fonctionnaires, mais aussi le médecin traitant qui ne saura rivaliser avec l’IA connecté sur les big data pour faire le diagnostic.

Pour le reste de son intervention je vous renvoie vers la vidéo : <Impact de l’Intelligence Artificielle sur l’économie>

Et pour celles et ceux qui ne l’auraient pas encore vu, je vous invite à regarder <cette vidéo> où on voit comment la manutention se réalise dans un entrepôt Amazon. On peut supposer que beaucoup des travaux humains qui subsistent aujourd’hui dans ces entrepôts seront aussi rapidement remplacés, substitués pour reprendre le langage de Laurent Alexandre.

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Vendredi 23 juin 2017

«Aujourd’hui dans toutes les grandes démocraties, nous avons le sentiment que le système a failli»
Lawrence Lessig

Lawrence Lessig est ce professeur de Harvard qui a écrit, en 2000, un article célèbre qui a fait date : « The Code is Law ». J’en avais fait le sujet du mot du jour du mardi 22 mars 2016. Dans cet article, il décrivait comment le code informatique, le matériel créatif du monde numérique, influe sur les règles et au sens le plus formel sur la Loi qui s’impose à nous.

Il continue à être à la pointe de la réflexion sur l’Internet où son combat est de garantir les libertés et défendre la licence libre.

Mais à Harvard il dirige aussi un centre de recherche sur la corruption.

<Mickaël Thébault l’a interviewé sur France Inter>

Dans cet entretien Lawrence Lessig revient d’abord sur la problématique de la liberté sur Internet :

« À l’époque, je travaillais beaucoup sur le droit et la loi autour d’Internet. Très peu de gens savaient véritablement comment fonctionnait l’interaction entre la technologie et l’idéal de liberté, la démocratie dans Internet.

Je faisais partie d’un groupe de personnes qui commençait à essayer de formuler des idées autour de ces thèmes

Une réalité assez déprimante, c’est que nos craintes de l’époque, notamment à propos de l’évolution d’Internet, autour de la tournure que pourraient prendre les choses, sont devenues une réalité. Alors qu’à la base, Internet était un endroit où on pouvait protéger la liberté et la vie privée, c’est devenu l’inverse : c’est un endroit où la vie privée n’existe plus et où l’opportunité de liberté d’expression est de plus en plus restreinte par des entreprises ou par des gouvernements. »

Lawrence Lessig juge la démocratie partout en danger, a fortiori aux États-Unis depuis l’élection de Donald Trump. Il nomme le principal ennemi de la démocratie : la corruption.

«  « Dans toutes les grandes démocraties du monde, nous avons le sentiment que le système a failli.

À la fin de la Seconde guerre mondiale, l’idée était de propager la démocratie parce que cela permettrait la paix et la prospérité, génération après génération. Quelque part je crois que nous avons failli ; nous sommes en situation d’échec.

[…] La situation dans mon pays est corrompue, je ne parle pas simplement de pots de vin ou de corruptions mais de corruption de manière fondamentale, constitutionnelle.

Aux USA, nous avons un système où 30 à 70% du temps de nos parlementaires est utilisé à lever des fonds pour leurs campagnes, à générer des tonnes d’argent. C’est une toute petite fraction de l’Amérique qui discipline le reste ».

Ce n’est pas d’ailleurs un problème américano-américain. Qu’on parle du réchauffement de la planète ou des dépenses astronomiques en matière de défense : on ne pourra pas gérer ces problématiques si on ne gère pas la corruption d’abord. »

Il considère que pour protéger la démocratie le rôle des lanceurs d’alerte est fondamental. Il a même fait intervenir, en direct, Edward Snowden, à Harvard par téléconférence depuis son exil forcé en Russie.

Il dit :

« Il existe de nombreux lanceurs d’alerte. Certains peuvent être critiqués mais d’autres comme Edward Snowden méritent tout notre respect. Il paie très cher aujourd’hui son choix de rendre l’information publique : le gouvernement américain s’était lancé dans une opération d’espionnage de chacun ; personne n’était au courant et Edward Snowden a rendu ça public.

D’aucuns diront qu’il n’a rien changé. Le fait est qu’il y a d’énormes décisions, notamment dans les tribunaux américains, à propos de l’anticonstitutionnalité de ces surveillances et travaux d’espionnage menés par les autorités américaines.

C’est ainsi que le changement se produit. Le fait qu’il y a eu des conséquences profondes pour les Etats-Unis. »

D’abord nous comprenons que si la France est corrompue, les autres pays ne sont pas forcément meilleurs. Rappelons que dans la puritaine Allemagne le grand Helmut Kohl dont nous avons parlé cette semaine est aussi tombé sur une affaire de caisse noire.

Ensuite, je crois que Lawrence Lessig a profondément raison, les lanceurs d’alerte constituent une des solutions mais pour rendre cela opérationnel, il faut qu’ils soient protégés, ce qui est loin d’être le cas pour l’instant.

<910>

Mercredi 15 mars 2017

Mercredi 15 mars 2017
« La science c’est ce qu’un vieux apprend à un jeune.
La technologie , c’est ce qu’un jeune apprend à un vieux. »
Michel Serres, dans l’interview de KTO

Lors de l’émission : Emmanuelle Dancourt a demandé à Michel Serres une citation.

Michel Serres a alors répondu ceci :

« A force d’avoir des relations avec mes étudiants que j’ai beaucoup aimé respectueusement, avec mes enfants, mes petits-enfants, je me suis aperçu de la phrase suivante que je vous livre :

Qu’est-ce la science ?

La science c’est ce qu’un vieux apprend à un jeune

Qu’est-ce que la technologie ?

C’est ce qu’un jeune apprend à un vieux.

Voilà ma citation !

Vous avez remarqué ? c’est tout à fait ça !

Nous sommes aujourd’hui dans une période très intéressante où le couple pédagogique, enseignant-enseigné est en train de se modifier finement par ce que je viens de vous dire.

Quand j’ai besoin d’avoir des éclaircissements sur la mécanique quantique, à laquelle je ne comprends rien, je demande à un vieux scientifique.

Mais quand j’ai un problème avec mon ordinateur j’appelle qui ?

Oh ! J’appelle mon petit-fils. »

Et le petit fils donne la solution au vieux philosophe…

Ce mot du jour est court, je peux donc ajouter une date mémorable : le 15 mars 1917, il y a exactement 100 ans, le tsar de Russie Nicolas II abdique au profit de son frère, le grand-duc Michel. Mais celui-ci décline l’honneur. C’en est fini de la dynastie des Romanov. La Russie devient pour quelques mois une République démocratique. C’est l’aboutissement de la révolution de Février (calendrier russe) qui a commencé le 8 mars (23 février) 1917.

<857>

Vendredi 10 mars 2017

Vendredi 10 mars 2017
« Steve Job a fini par reconnaître que le logo de la pomme croquée d’Apple faisait référence à la pomme empoisonnée avec laquelle Alan Türing avait mis fin à ses jours »
Michel Serres

J’ai écrit que j’ai acquis le livre « Darwin, Bonaparte et le samaritain » et j’ai donc pu vous en parler directement et non seulement à travers l’interview ou des articles qui lui sont consacrés. J’ai fait de même avec le livre sur Hergé et Tintin. En revanche, je n’ai pas fait de même avec le troisième ouvrage.

Le dernier livre de Michel Serres évoqué lors de l’entretien KTO est « La légende des anges », publié en 1993 et republié le 12/10/2016.

Les anges sont porteurs de messages, de nouvelles. C’est pour cela que Michel Serres utilise ce vecteur pour « raconter » notre monde de communication et de réseaux ou des milliers de messages sont transportés chaque jour.

Michel Serres désigne 3 anges :

<Hermès> qui dans la mythologie grecque est le dieu de l’Olympe chargé de porter les messages des dieux. Il correspond au Mercure des Romains.

<Gabriel> Gabriel est quant à lui le porteur de messages des 3 religions monothéistes . Il semble qu’il apparaisse d’abord, dans la Bible hébraïque dans le livre de Daniel où il apparaît au prophète Daniel pour que ce dernier puisse annoncer ses prophéties.

Dans le Nouveau Testament, il annonce à Zacharie que sa femme Elisabeth aura un fils qu’il appellera Jean, puis il annonce la naissance de Jésus à la Vierge Marie : c’est l’Annonciation des chrétiens.

Enfin dans l’Islam, c’est encore l’ange Gabriel qui révèle les versets du Coran à Mahomet dans la grotte de Hira.

Mais de manière plus surprenante le troisième ange de Michel Serres est <Alan Turing>

J’ai fait référence la première fois à Alan Turing, lors du mot du jour du 31/12/2013, il s’agissait du mot du jour N° 212 et celui qui a exprimé ce regret était Chris Grayling Ministre de la Justice britannique :

«Son apport a été décisif pour briser le code Enigma, contribuer à mettre fin à la guerre et sauver des milliers des vies Sa vie a plus tard été assombrie par sa condamnation pour homosexualité, condamnation que nous considérerions aujourd’hui comme injuste et discriminatoire, et qui est désormais annulée.»

La reine d’Angleterre avait accordé, enfin, le 24 décembre 2013, une grâce posthume à Alan Turing, 59 ans après sa mort.

Alan Turing est resté dans l’histoire comme l’homme qui a mis au point la machine électromécanique ayant servi à « casser » le code « Enigma » utilisé par les sous-marins allemands pendant la Seconde Guerre mondiale.

Cette invention avait donné un avantage considérable aux Alliés face à l’Allemagne nazie.

Certains considèrent même que Turing est le père de l’informatique moderne parce qu’il est parvenu à définir les critères de l’intelligence artificielle.

Malgré son apport immense à la victoire des alliés, il a été condamné pour homosexualité. Il a été contraint à subir une castration chimique en 1952.

Il est donc assez normal que Michel Serres qui avait pour objet de décrire le monde de réseaux d’aujourd’hui, de mettre en lumière celui qui est un des inventeurs de l’informatique.

Et Michel Serres lors de l’interview avec Emmanuelle Dancourt reprend l’aveu tardif du créateur d’Apple que le fameux logo est un hommage à Alan Türing.

<Le site de France Info reprend cette thèse> :

« D’abord, le logo est une pomme car c’est le nom de la marque, en anglais. […]

Mais pourquoi la pomme est-elle croquée? En fait, c’est un hommage à l’anglais Alan Turing, génial mathématicien, qui pendant la Seconde Guerre mondiale, a réussi à décrypter le code secret des nazis, généré par leur fameuse machine Enigma. Sans Turing, les Alliés auraient perdu la bataille de l’Atlantique, et peut-être la guerre contre le nazisme. Turing est un héros immense. On considère qu’il a inventé l’ordinateur et l’informatique. Oui, mais il était gay, et à l’époque c’était un délit. La justice britannique le condamna à la castration chimique. Officiellement, il fut inculpé « d’indécence manifeste et de perversion sexuelle « . Désespéré, humilié, il préféra se suicider en 1954, à 42 ans, en mordant dans une pomme empoisonnée au cyanure, comme Blanche-Neige, qu’il adorait.

En fondant Apple, Jobs et Wozniak lui rendirent cet hommage. Leur pomme (arc-en-ciel, signe du mouvement gay) porte la mortelle morsure. […]

Au passage, savez-vous pourquoi les ordinateurs portables Apple ont ils été baptisés « MacIntoch » (plutôt que s’appeler poétiquement D630 ou H-50-NF comme leurs concurrents) ? Parce que Jef Raskin, l’ingénieur d’Apple, qui a créé le premier modèle de Mac au début des années 80, adorait les pommes, et sa variété préférée était la MacIntosh… »

<Mais ce site donne une autre version> :

« Selon la légende, la pomme croquée serait un hommage au célèbre mathématicien anglais Alan Turing. […] Les fondateurs d’Apple se seraient donc inspirés de cette histoire pour honorer l’homme qui les a rendus milliardaires. Pourtant bien que cette version, plutôt favorable en termes d’image de marque, n’ait jamais été réfutée par la société, il semble que la réalité soit bien différente. Ainsi, selon Rob Janoff, le designer à l’origine du logo, la morsure dans la pomme serait seulement là pour montrer qu’il s’agit bien d’une pomme et non d’une cerise. La taille du croc donnant ainsi l’échelle du fruit. De plus, croquer une pomme est un geste universel, compréhensible par tous. Enfin, les couleurs arc-en-ciel de la pomme ne seraient pas un clin d’œil au drapeau gay, mais plutôt une référence au moniteur couleur qui équipaient à l’époque les produits Apple. »

<Toujours est-il que le parlement britannique vient de voter une loi Alan Türing>

Par cette loi à qui on a donné le nom du mathématicien de génie des dizaines de milliers d’homosexuels, condamnés à une époque où leurs mœurs constituaient un délit, ont obtenu une grâce du gouvernement britannique. L’agence de presse britannique estime que la loi concerne 100 000 hommes condamnés entre 1885 et 2003, lorsque les dernières lois hostiles à l’homosexualité ont été abrogées. Parmi eux figure notamment Oscar Wilde (1854-1900), condamné en 1895.

Dans l’entretien de KTO, Michel Serres fustigeait cette morbide habitude… qui consiste à orner nos places de statues de chefs de guerre et de généraux responsables de carnage et de massacre, alors qu’il y a si peu de statue des vrais grands hommes comme Alan Türing ou aussi de grandes femmes comme <Emilie du Chatelet> par exemple

Un film <Imitation Game> sorti en 2014 a tenté de retracer l’histoire d’Alan Türing.

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Mardi 17 janvier 2017

Mardi 17 janvier 2017
« Les hommes regardent la réalité virtuelle, un homme regarde rien qu’avec ses yeux »
Mark Zuckerberg , photo prise à Barcelone à la veille de l’​ouverture du Mobile World Congress de Barcelone
Mark Zuckerberg,  traverse une foule assise et aveugle. Ceux qui la composent ont un casque de réalité virtuelle vissé sur le crâne, plongés dans un autre monde et ne voient pas le patron de Facebook déambuler parmi eux.
Bien sûr cette photo peut techniquement s’expliquer , des journalistes sont en train de tester un casque de réalité virtuelle et Mark Zuckerberg traverse tranquillement la salle pour aller sur la tribune vanter les mérites de cette nouvelle technologie..
Mais dans l’imaginaire cette photo peut être vue autrement. Ainsi, elle a été publiée dimanche 21 février sur le compte Facebook de Mark Zuckerberg et a été massivement partagée et commentée sur les réseaux sociaux.
Un internaute a écrit : « Mark – ça ne te semble pas étrange d’être le seul à marcher avec tes propres yeux, alors que tous les autres sont des zombies dans la Matrice ? » . Les internautes rapprochent en effet cette photo de la trilogie de Matrix.
Et si on la rapprochait plutôt de cette sentence de William Shakespeare dans le roi Lear: « Quelle époque terrible que celle où des fous dirigent des aveugles. » et qui avait fait l’objet du mot du jour du 01/04/2014.
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Jeudi 20 octobre 2016

« Avoir le monde en main, [signifie à coup sûr] automatiquement aussi, être aux mains du monde »
Maurizio Ferraris dans son livre <Mobilisation Totale ; L’appel Du Portable>, paru en août 2016

J’avais déjà évoqué Maurizio Ferraris, philosophe italien et son livre dont est extrait l’exergue du mot du jour. C’était lors du mot du jour du 16 septembre consacré au droit à la déconnexion pour les salariés reconnu par le paragraphe 7 de l’article L2242-8 du code travail et qui a été mis en œuvre par la fameuse Loi travail.

Mais il me paraissait pertinent d’approfondir la réflexion de Maurizio Ferraris, d’abord parce que j’ai écouté une émission, la Grande Table, qui posait la question <Smartphone, faut-il décréter l’état d’urgence ?> et dans laquelle il était invité.

Ensuite parce que cette réflexion constitue comme un miroir critique à celle de Michel Serres qui présentait l’aspect positif du smartphone :

« Les jeunes générations ont compris ce que signifiait le mot maintenant, qu’il faut lire main tenant, c’est à dire tenant dans la main. Avec les smartphones qu’ils tiennent dans la main, ils peuvent immédiatement échanger avec tous leurs proches ou personnes qu’ils connaissent quel que soit le lieu où les uns et les autres se trouvent dans le monde. Ils peuvent accéder à l’information et à la connaissance instantanément en surfant sur les outils de l’internet, ils peuvent envoyer, maintenant, des photos qu’ils viennent de prendre quelques secondes auparavant etc… »

Il s’agissait du mot du jour du 21 novembre 2012, le 23ème, alors que nous sommes aujourd’hui au 773ème.

J’ai pu lire un extrait de ce livre <Mobilisation Totale ; L’appel Du Portable> sur internet. Extrait auquel vous avez accès en suivant ce <Lien>

Ce livre se penche sur ce phénomène de société engendré par les smartphones et la connexion au monde et montre comment cette sollicitation permanente se transforme en dispositif de mobilisation.

Dans ce livre, Ferraris utilise le terme « arme » pour parler de l’ensemble de ces appareils mobiles qui nous asservissent parce qu’il a créé en italien l’acronyme « ARMI » qui a été traduit en français par Appareils de Registration (en réalité enregistrement) et de Mobilisation d’Intentionnalité.

Voilà ce qu’il écrit par exemple :

« Comment et pourquoi l’appel nous mobilise ?

L’appel est avant tout une responsabilisation : je réponds parce que je me sens apostrophé, moi, précisément moi. La responsabilité dont je me sens investi a un caractère incomparable de « première personne » : le message m’est adressé à moi, et je sens la nécessité de répondre avec le même naturel avec lequel le philosophe américain John Searle, dans l’anecdote qu’il rapporte au début de « la construction de la réalité sociale », sent la nécessité d’entrer dans un bar à Paris et de commander une bière. […]

L’absolu. Qu’est-ce qui rend d’autant plus puissant l’appel du portable par rapport à la bière de Searle ? Pour le dire en deux mots : si la bière a quelque chose à voir avec l’esprit, fut-ce avec celui du houblon, l’appel communique avec l’absolu. Pour la première fois dans l’histoire du monde, nous avons l’absolu dans la poche.

Le dispositif, dont le Web est la manifestation la plus évidente, est un empire sur lequel le soleil de se couche jamais, et le fait d’avoir un Smartphone dans la poche signifie à coup sûr avoir le monde en main, mais automatiquement aussi, être aux mains du monde : à chaque instant pourra arriver une requête et à chaque instant nous serons responsables

Même si l’on établissait par contrat de travail qu’on ne travaille qu’une heure par semaine, dans les faits s’appliquerait le principe selon lequel on travaille à toute heure du jour […].

Le mobile mobilise. Voilà ce qui a changé depuis l’époque de la bière de Searle. Que celui qui est encore en mesure de le faire, revienne en arrière, à l’époque où les téléphones étaient des appareils fixes et seulement capables de communiquer, sans aucun aspect lié à l’enregistrement. À cette époque, qui ne se trouvait pas physiquement dans les parages d’un téléphone fixe lié à son entourage (domicile ou bureau), était virtuellement soulagé de toute responsabilité. Le téléphone sonnait mais si cet individu avait un motif valide pour ne pas se trouver chez lui ou à son bureau, le fait d’être injoignable de pouvait en aucune façon lui être imputé. Ajoutons que le fixe était non seulement localisable, mais il était en principe amnésique (avant l’invention des répondeurs enregistreurs ou autres systèmes de mémorisation des appels), si bien qu’il ne restait pas de trace des coups de téléphone même quand on revenait dans les parages de l’appareil. Donc, là aussi, aucune responsabilité […].

Le seul téléphone mobile (mais sans mémoire) qui ait existé un bon nombre d’années fut le téléphone rouge, conçu en 1963. Enfermé dans une boite, il suivait comme une ombre ou un spectre le président des États-Unis et pouvait être utilisé pour communiquer directement avec le dirigeant de l’Union soviétique en cas de menace nucléaire. Cette évocation de la sphère militaire apparaît rétrospectivement prophétique. Les armes contemporaines sont des dispositifs mobiles et mobilisant qui tirent tout leur pouvoir du fait d’être toujours auprès de nous et éternellement muni de mémoire. Ce qui signifie justement qu’à la différence de ce qui se produisit avec le fixe, nous sommes responsables face aux messages qui peuvent nous arriver, et cela en tout lieu et à tout instant. Même si l’on se trouvait dans une zone sans réseau ou si nos « armes »  étaient pour quelque raison déchargées, en très peu de temps la mémoire, se réactivant, nous mettrait face à nos responsabilités, c’est-à-dire aux messages qui nous seraient arrivés durant la période de déconnexion. […]

Action. Généralement l’appel ne se limite pas à requérir une réponse ; il exige une action. Dès l’instant où une grande part du travail se fait à travers les « armes », l’accès à ces « armes »  équivaut à l’accès au travail : qu’on pense à la quantité de prestations fournies par les « armes »  hors des horaires habituels de service. Ce travail est non rétribué et souvent même il n’est pas comptabilisé comme travail, ce qui implique une nouvelle frontière de l’exploitation, qui commence au moment où, comme cela se faisait en de nombreuses entreprises on oblige les employés à être toujours muni d’un smartphone.

Les mobilisés acceptent d’être appelés à agir à tout moment et c’est aussi une diminution objective de liberté, qui n’est compensé par aucun avantage économique et qui même, le plus souvent, se transforme en un travail gratuit, que ne couvre aucune protection syndicale. […]

Responsabilité. Le message qui t’est destiné, est destiné à toi. Qui te l’as envoyé sait que tu l’as lu. L’ordre se présente comme un commandement individuel, de façon très différente de ce qui se passait avec les médias du siècle précédent. De ce point de vue, notre situation a changé par rapport à l’époque de la radio et de la télévision. On se lamentait alors du fait qu’on se trouvait submergé par un flot d’informations, surabondant et ingérable. Et alors ? Où était le problème ? Il suffisait de ne pas en tenir compte. Il est bien plus difficile d’affronter l’avalanche de sollicitations, de requêtes, de demandes impatientes qui sont adressés par l’armée mobile qui nous enserre. »

<Vous pouvez aussi lire cet article des Inrocks qui analyse ce livre>

Cette réflexion apparait très négative. A mon analyse, elle ne contredit pas la vision optimiste de Michel Serres, elle la complète.

Le smartphone est à la fois un outil formidable comme le décrit Michel Serres, et un outil d’asservissement comme le montre Maurizio Ferraris.

Il nous faut suffisamment de sagesse pour profiter de ses fonctionnalités et maîtriser ses excès.

Bref, il faut mater notre smartphone et savoir se déconnecter !

<773>

Mercredi 13 avril 2016

Mercredi 13 avril 2016
«Un hackathon»
Nouveau concept de travail intense et collaboratif.
Je suis persuadé qu’une partie d’entre vous, notamment les plus jeunes, connaissent parfaitement de concept, mais pour ma part je l’ai découvert récemment.
Les architectes connaissent «la charette», travail intense et en groupe pour répondre à un appel d’offre dans un temps limité.
«Un hackathon» est un «truc» du même genre mais qui concerne la programmation informatique.
Un hackathon est, en effet, un événement où des développeurs se réunissent pour faire de la programmation informatique collaborative, sur plusieurs jours. Souvent cette approche collaborative s’accompagne d’une compétition entre les développeurs pour désigner le groupe qui réalise la meilleure solution.
Le terme est constitué de deux racines : de «hack» qui vient de «hacker» et «marathon.». Dans l’esprit de beaucoup, un hacker est un  informaticien qui utilise ses connaissances de la sécurité informatique pour en rechercher et en exploiter les faiblesses. Mais, notamment aux Etats-Unis, le hacker est avant tout un informaticien ingénieux qui crée, analyse et modifie des programmes informatiques pour améliorer ou apporter de nouvelles fonctionnalités à l’utilisateur.
En faisant quelques recherches sur ce sujet j’ai trouvé cet <Article du Figaro> :
« […] Sur les bancs des universités, les hackathons sont désormais légion. Contraction de «hack» et «marathon», le mot désigne un événement de programmation informatique collaborative.
[…] Le concept du hackathon est né aux États-Unis à la fin des années 1990, au sein de la communauté des développeurs adeptes des logiciels libres. «À l’époque, on se réunissait autour d’un projet pour lui donner un coup d’accélérateur», explique Mael Inizan, chargé de projet au sein de Silicon Xperience et de Silicon Sentier, une association qui promeut l’innovation en Île-de-France.
La culture du hackathon s’est propagée en entreprise lorsque les génies de l’informatique sont devenus entrepreneurs. Facebook fut précurseur dans le domaine. Sur l’impulsion de Mark Zuckerberg, les employés du réseau social s’y affrontent régulièrement dans le cadre de hackathons d’entreprise. Une seule règle: concevoir un projet qui n’a pas de rapport avec son domaine de prédilection. […]
Le phénomène a depuis gagné la France. Axa, Orange, Pernod Ricard, la SNCF, la RATP et beaucoup d’autres se sont déjà frottés à l’exercice. Le hackathon a quitté le stade expérimental pour s’intégrer à la stratégie d’entreprise. Plus question de se limiter à organiser une compétition entre employés. La plupart des hackathons organisés par des sociétés sont ouverts à tous: étudiants, start-up ou simples curieux contribuent à l’effort de recherche et développement.
«Avec les hackathons, nous cherchons à sortir du schéma d’innovation classique», précise Frank Mouchel, CIO d’Axa France. Le groupe d’assurances a organisé son premier hackathon sur le thème de la relation clients. Une quarantaine d’équipes ont élaboré un projet soumis à un jury de professionnels. Pendant quarante heures, les participants ont alterné lignes de code, micro-siestes et parts de pizza, en espérant remporter le premier prix de 10.000 euros.»
Ces initiatives qui semblent très positives posent cependant question : « Le hackathon est-il l’avenir de l’innovation en entreprise? Du côté des développeurs, on ne partage pas vraiment l’enthousiasme général et on dénonce les «dérives commerciales» du concept. «Un hackathon ne devrait pas se faire au bénéfice d’une société mais dans l’intérêt commun», prévient Mael Inizan. «Le problème, c’est que des entreprises financent ces événements en espérant un retour sur investissement immédiat.»
D’autres inquiétudes, plus concrètes, entourent l’intérêt des entreprises pour ces concours à l’innovation. Le spectre du travail non rémunéré plane sur les hackathons. Un participant du concours organisé par Axa confie sa crainte du vol d’idées, surtout quand les thèmes sont très spécifiques.«Les participants doivent protéger leurs productions par l’utilisation de licences libres», prévient Ivan Béraud, secrétaire général de la fédération CFDT de la communication, du conseil et de la culture. Ce dernier affirme n’avoir reçu aucune plainte relative à des hackathons à ce jour. […] La durée courte d’un hackathon représente à la fois des avantages et des inconvénients. «Le problème des hackathons, c’est qu’on y accomplit 80% d’un projet et qu’on oublie de finir les 20% restants», regrette Sarah Cherruault, PDG d’Auticiel, une société spécialisée dans les applications pour enfants autistes. La jeune entrepreneuse a néanmoins été plus chanceuse que la moyenne. Elle a participé en 2011 à un hackathon sponsorisé par Orange dans le cadre du Téléthon, où son application a remporté le premier prix. Cela a permis à son entreprise de rentrer en contact avec la fondation Orange, désormais partenaire de la start-up. «Les hackathons, c’est une énorme opportunité pour créer son réseau, rencontrer des partenaires comme des futurs collaborateurs», affirme Sarah Cherruault. »
Ce sont bien sûr les sites spécialisés en informatique qui sont les plus enthousiasmés par ce type d’évènement : http://www.journaldunet.com/solutions/emploi-rh/hackathon.shtml
« L’enjeu sur lequel la plupart des organisateurs se retrouvent, c’est sur la nécessité de transformer l’essai. « C’est actuellement ce sur quoi on travaille pour la prochaine édition du Hacking Health Camp » explique Sebastien Letélié. « On a remarqué que l’on n’avait pas de structure afin de permettre de donner une suite aux projets prototypés durant l’événement. Et on cherche à le corriger, avec le soutien de la part de nos partenaires qui aimeraient voir ces projets sortir plus facilement. […] Si on veut que le format continue, il faut que les startups s’y retrouvent » rappelle Chloé Bonnet. « Et pour ça, il faut leur donner une opportunité de business sur la suite. » Pas de secret, même si la gratuité de la participation semble être ici la norme. Mais certains sujets méritent d’être évoqués et définis clairement avant toute chose : au hasard, la propriété intellectuelle des prototypes développés au cours de la manifestation. « Le contrat moral entre participants et organisateurs doit être clair dès le départ. Ce qui est développé dans le cadre du hackathon appartient à son développeur et toutes les entreprises qui ont tenté de déroger à la règle ont rapidement rétropédalé » explique Chloé Bonnet. Et un hackathon qui tourne au désastre, c’est souvent une situation que l’on préfère éviter. […]
La pratique historique du hackathon, celle portée par le monde communautaire, elle fonctionnera toujours » explique Chloé Bonnet. « Pour les entreprises, cela dépendra de l’engagement avec les startups et de la volonté de renouveler l’expérience. » Pourtant il y a des risques, celui de l’outsourcing masqué et du travail gratuit, souvent pointé par les critiques de l’économie collaborative. « Ce qu’il faut comprendre, c’est que c’est un format qui existe depuis un moment et que l’on ne peut pas en faire n’importe quoi » rappelle Chloé Bonnet. « Ce n’est pas une campagne marketing, des codes existent et il faut en avoir conscience. »
On voit donc que beaucoup de questions se posent, notamment de propriétés intellectuelles, de rémunération du travail fourni si le résultat n’appartient pas gratuitement à la collectivité mais va directement servir aux bénéfices d’une grande entreprise qui tirent les marrons du feu.
Ce sont des questions du monde du travail de demain et déjà d’aujourd’hui.
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Mardi 22 mars 2016

Mardi 22 mars 2016
«The Code is Law»
Lawrence Lessig
Dans mon butinage sur l’influence et les incidences des GAFA sur nos vies et notre quotidien je suis tombé à de nombreuses reprises sur un renvoi vers un article de 2000 écrit par Lawrence Lessig : «The code is Law», «le code est Loi».
Tous ces renvois parlaient d’un article fondamental.
Framasoft dont l’objectif est une dégoogilisation de l’internet a publié sur son site une traduction française de cet article.
Lawrence Lessig est un état-unien, né en 1961. Il est  juriste, professeur de droit à Harvard. Spécialiste de droit constitutionnel et du droit de la propriété intellectuelle, il se veut un défenseur de la liberté. Wikipedia prétend qu’ «Il est l’une des voix les plus écoutées dans les débats sur les limites du droit d’auteur et sur le développement mondial de l’Internet.»
Dans cet article, il décrit comment le code informatique, ce qui constitue le matériel créatif du monde numérique, influe sur les règles et au sens le plus formel sur la Loi qui s’impose à nous.
Il écrit notamment :
« À chaque époque son institution de contrôle, sa menace pour les libertés. Nos Pères Fondateurs craignaient la puissance émergente du gouvernement fédéral ; la constitution américaine fut écrite pour répondre à cette crainte. John Stuart Mill s’inquiétait du contrôle par les normes sociales dans l’Angleterre du 19e siècle ; il écrivit son livre « De la Liberté » en réaction à ce contrôle. Au 20e siècle, de nombreux progressistes se sont émus des injustices du marché. En réponse furent élaborés réformes du marché, et filets de sécurité. Nous sommes à l’âge du cyberespace. Il possède lui aussi son propre régulateur, qui lui aussi menace les libertés. Mais, qu’il s’agisse d’une autorisation qu’il nous concède ou d’une conquête qu’on lui arrache, nous sommes tellement obnubilés par l’idée que la liberté est intimement liée à celle de gouvernement que nous ne voyons pas la régulation qui s’opère dans ce nouvel espace, ni la menace qu’elle fait peser sur les libertés.
Ce régulateur, c’est le code : le logiciel et le matériel qui font du cyberespace ce qu’il est. Ce code, ou cette architecture, définit la manière dont nous vivons le cyberespace. Il détermine s’il est facile ou non de protéger sa vie privée, ou de censurer la parole. Il détermine si l’accès à l’information est global ou sectorisé. Il a un impact sur qui peut voir quoi, ou sur ce qui est surveillé. Lorsqu’on commence à comprendre la nature de ce code, on se rend compte que, d’une myriade de manières, le code du cyberespace régule.
Cette régulation est en train de changer. Le code du cyberespace aussi. Et à mesure que ce code change, il en va de même pour la nature du cyberespace. Le cyberespace est un lieu qui protège l’anonymat, la liberté d’expression et l’autonomie des individus, il est en train de devenir un lieu qui rend l’anonymat plus difficile, l’expression moins libre et fait de l’autonomie individuelle l’apanage des seuls experts.
Mon objectif, dans ce court article, est de faire comprendre cette régulation, et de montrer en quoi elle est en train de changer. Car si nous ne comprenons pas en quoi le cyberespace peut intégrer, ou supplanter, certaines valeurs de nos traditions constitutionnelles, nous perdrons le contrôle de ces valeurs. La loi du cyberespace – le code – les supplantera. […]
Mais rien n’est plus dangereux pour l’avenir de la liberté dans le cyberespace que de croire la liberté garantie par le code. Car le code n’est pas figé. L’architecture du cyberespace n’est pas définitive. L’irrégulabilité est une conséquence du code, mais le code peut changer. D’autres architectures peuvent […] rendre l’usage du Net fondamentalement contrôlable. […]Ce qui rend le Net incontrôlable, c’est qu’il est difficile d’y savoir qui est qui, et difficile de connaître la nature des informations qui y sont échangées. Ces deux caractéristiques sont en train de changer : premièrement, on voit émerger des architectures destinées à faciliter l’identification de l’utilisateur, ou permettant, plus généralement, de garantir la véracité de certaines informations le concernant (qu’il est majeur, que c’est un homme, qu’il est américain, qu’il est avocat). Deuxièmement, des architectures permettant de qualifier les contenus (pornographie, discours violent, discours raciste, discours politique) ont été conçues, et sont déployées en ce moment-même. Ces deux évolutions sont développées sans mandat du gouvernement ; et utilisées conjointement elles mèneraient à un degré de contrôle extraordinaire sur toute activité en ligne. Conjointement, elles pourraient renverser l’irrégulabilité du Net.
Tout dépendrait de la manière dont elles seraient conçues. Les architectures ne sont pas binaires. Il ne s’agit pas juste de choisir entre développer une architecture permettant l’identification ou l’évaluation, ou non. Ce que permet une architecture, et la manière dont elle limite les contrôles, sont des choix. Et en fonction de ces choix, c’est bien plus que la régulabilité qui est en jeu.
[…] Ainsi, le fait que l’architecture de certification qui se construit respecte ou non la vie privée dépend des choix de ceux qui codent. Leurs choix dépendent des incitations qu’ils reçoivent. S’il n’existe aucune incitation à protéger la vie privée – si la demande n’existe pas sur le marché, et que la loi est muette – alors le code ne le fera pas. […] Si c’est le code qui détermine nos valeurs, ne devons-nous pas intervenir dans le choix de ce code ? Devons-nous nous préoccuper de la manière dont les valeurs émergent ici ?
[…] Ce n’est pas entre régulation et absence de régulation que nous avons à choisir. Le code régule. Il implémente – ou non – un certain nombre de valeurs. Il garantit certaines libertés, ou les empêche. Il protège la vie privée, ou promeut la surveillance. Des gens décident comment le code va se comporter. Des gens l’écrivent. La question n’est donc pas de savoir qui décidera de la manière dont le cyberespace est régulé : ce seront les codeurs. La seule question est de savoir si nous aurons collectivement un rôle dans leur choix – et donc dans la manière dont ces valeurs sont garanties – ou si nous laisserons aux codeurs le soin de choisir nos valeurs à notre place.
Car c’est une évidence : quand l’État se retire, la place ne reste pas vide. Les intérêts privés ont des objectifs qu’ils vont poursuivre. En appuyant sur le bouton anti-Étatique, on ne se téléporte pas au Paradis. Quand les intérêts gouvernementaux sont écartés, d’autres intérêts les remplacent. Les connaissons-nous ? Sommes-nous sûrs qu’ils sont meilleurs ?
Notre première réaction devrait être l’hésitation. Il est opportun de commencer par laisser le marché se développer. Mais, tout comme la Constitution contrôle et limite l’action du Congrès, les valeurs constitutionnelles devraient contrôler et limiter l’action du marché. Nous devrions examiner l’architecture du cyberespace de la même manière que nous examinons le fonctionnement de nos institutions.
Si nous ne le faisons pas, ou si nous n’apprenons pas à le faire, la pertinence de notre tradition constitutionnelle va décliner. Tout comme notre engagement autour de valeurs fondamentales, par le biais d’une constitution promulguée en pleine conscience. Nous resterons aveugles à la menace que notre époque fait peser sur les libertés et les valeurs dont nous avons héritées. La loi du cyberespace dépendra de la manière dont il est codé, mais nous aurons perdu tout rôle dans le choix de cette loi.»
Lawrence Lessig – janvier 2000 – Harvard Magazine
(Traduction Framalang  : Barbidule, Siltaar, Goofy, Don Rico)
Rappelons que ce texte date d’il y a 16 ans. Il est largement prémonitoire parce que le monde numérique a énormément changé depuis.
La démocratie et donc nous le peuple ne pouvons-nous désintéresser du code, de ce que l’on fait avec, des valeurs qui sont induites par ce qui est codé.
Notre futur et nos libertés en dépendent.
Cela rejoint largement les réflexions menées autour des GAFA.
Un exemple que j’ai entendu récemment peut essayer d’éclairer cette réflexion que certains trouvent peut être très (trop)  conceptuel.
La Google car se comporte exactement selon la manière dont elle a été codée. Tous les gens compétents disent qu’elle va conduire beaucoup mieux que n’importe quel humain. Toutefois, elle sera confrontée à des problèmes très difficiles.
Voici une Google car qui roule à 50 km/h en ville, brusquement un enfant jaillit devant la voiture en courant après un ballon. C’est un cas de force majeure.
Je suppose que tous les humains qui calculent lentement et sont très intuitifs vont instinctivement freiner à fond sans réfléchir.
La machine n’est pas intuitive mais calcule très vite et connait parfaitement les conséquences normales de son action.
Elle aura une première injonction : ne pas freiner trop vite sinon la voiture peut faire une embardée et blesser le conducteur et une seconde injonction freiner suffisamment pour ne pas entrer en collision avec l’obstacle qui vient d’apparaître.
Donc le code devra dire : est-ce que la priorité est d’éviter de blesser l’enfant ou de blesser le conducteur et si selon son calcul il est prévisible que l’un ou l’autre sera blessé. Il faut coder ​ce choix.
Cas un peu particulier mais qui montre qu’avec un robot on doit répondre aux questions et répondre aux questions ce ne sont pas que des problèmes techniques, ce sont aussi des valeurs.
Ce texte de Lessing appartient désormais à la culture générale de l’honnête homme du XXIème siècle.
Je vous redonne le lien vers le texte dans son intégralité : La traduction française de cet article.
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Jeudi 3 mars 2016

Jeudi 3 mars 2016
« S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.»
Zygmunt Bauman

Zygmunt Bauman est un sociologue remarquable auquel je n’ai pas encore consacré de mot du jour, alors que j’y pense depuis longtemps notamment en raison du concept fécond de « société liquide » qu’il a inventé.

Il est né à Poznań en Pologne le 19 novembre 1925 et possède la double nationalité britannique et polonaise.

Il a écrit récemment un article dans « El Pais », le grand journal espagnol, qui a pour titre : «les réseaux sociaux sont un piège»

Il écrit notamment :

« La question de l’identité a été transformée, d’un élément donné c’est devenu une tâche : vous devez créer votre propre communauté.

Mais une communauté est créée de fait, vous l’avez ou pas ; ce que les réseaux sociaux peuvent créer est un substitut. La différence entre la communauté et le réseau est que vous appartenez à la communauté, mais le réseau vous appartient à vous.

Vous pouvez ajouter des amis et vous pouvez les supprimer, vous contrôlez les personnes avec qui vous êtes en lien. […] Mais sur les réseaux c’est si facile d’ajouter ou de supprimer des amis que vous n’avez pas besoin de compétences sociales, celles que vous développez lorsque vous êtes dans la rue, ou allez au boulot etc., et rencontrez des gens avec qui vous devez avoir une interaction raisonnable. Là, vous avez à faire face aux difficultés liées à un dialogue.

Le Pape François a choisi de donner sa première interview à Eugenio Scalfari, un journaliste italien qui se revendique publiquement athée. C’était un signal : le dialogue réel ce n’est pas de parler avec des gens qui pensent comme vous. Les réseaux sociaux n’apprennent pas à dialoguer, car il est si facile d’éviter la controverse…

Beaucoup de gens utilisent les réseaux sociaux non pas pour unir, non pas pour élargir leurs horizons, mais au contraire pour s’enfermer dans ce que j’appelle une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.

Les réseaux sont très utiles, rendent des services très agréables, mais sont un piège. »

Ce que Bauman décrit se comprend parfaitement pour le F des GAFA : Facebook. Au départ Facebook c’est la communauté de mes amis. A priori, il n’est que prévu de dire qu’on aime, les fameux « like ». Il n’est pas prévu de dire qu’on n’est pas d’accord. Tout ceci illustre parfaitement le propos de Bauman, mais Facebook va encore plus loin, car il trie aussi les informations que publient « mes amis ».

Dans un mot du jour précédent, je vous ai parlé de Yann Le Cun, le génie de l’intelligence artificielle qui travaille chez facebook.  Et Le Cun explique que facebook a besoin de l’intelligence artificielle pour trier les informations pertinentes pour chaque utilisateur, sinon il serait noyé sous les informations. Bref, Facebook apporte à chaque utilisateur les informations qu’il pense intéressant pour lui et avec lesquelles il sera en phase. Non seulement on y rencontre que des amis, mais en plus on évite la controverse.

Et ceci m’amène à évoquer les moteurs de recherche et particulièrement Google. Mais comment faisait-on  avant Google pour trouver une information sur Internet ?

Au départ les informaticiens étaient influencés par leur culture papier et la logique du classement des bibliothèques

Pour trouver un livre on devait aller dans la bonne salle, dans la bonne rangée d’armoire pour finalement arriver au bon endroit.

Alors sur Internet ils avaient inventé des portails ou annuaires où il fallait désigner le domaine dans lequel on cherchait et puis de proche en proche on arrivait à trouver quelque chose.

Avant Google, il y avait Multimania, Geocities, AOL, LYCOS et Alta Vista (littéralement « vue haute » en espagnol). Alta Vista fut mis en ligne à l’adresse web altavista.digital.com en décembre 1995 et développé par des chercheurs de Digital Equipment Corporation. Il fut le plus important moteur de recherche textuelle utilisé avant l’arrivée de Google qui le détrôna.

Google arriva en 1998. Et ce fut une innovation disruptive : On pose une question à Google et Google va trouver les réponses à cette question et les restitue.

On n’est plus dans la culture papier on bascule dans la culture numérique.

En outre Google trouva le graal économique : faire de gigantesques profits avec un service gratuit.

Avouons-le ! Google est génial.

Derrière tout cela il y a de l’intelligence artificielle et évidemment des immenses bases de données où des milliards de pages internet sont indexées, ainsi qu’une puissance de traitement phénoménale.

Si vous voulez en savoir plus et améliorez vos recherches, vous pouvez aller voir cette page : https://support.google.com/websearch/answer/134479?hl=fr

Tout cela est particulièrement utile et positif. Mais, ce serait une erreur que de croire que Google vous montre l’internet tel qu’il est, de manière neutre.

Grâce à Wikipedia on en sait un peu plus sur le moteur de recherche Google.  Ainsi, on apprend que Les requêtes sont limitées à 32 mots. Seuls les 1 000 premiers résultats pertinents pour une requête sont accessibles, et ce même si les correspondances sont plus nombreuses. D’après Google, obtenir plus de 1 000 résultats entraînerait une lourde charge supplémentaire pour une demande finalement assez rare.

1000 résultats sauf si Google considère qu’il y a moins de résultats à la requête. Mille c’est énorme ! totalement disproportionné par rapport à nos capacités humaines.

Ce qui est essentiel c’est les premiers. En règle générale, l’internaute reste sur la première page de réponse, il semble même qu’il ne s’intéresse qu’aux toutes premières réponses.

Ce qui est essentiel, c’est le tri qu’opère Google.

En théorie, le tri assure que les références les plus utiles sont en premier. L’auteur de l’article de Wikipedia ajoute : «difficile à valider.»

Mis à part les ingénieurs de Google et encore je suppose qu’il ne s’agit que d’un petit nombre d’entre eux, personne ne sait comment fonctionne précisément l’algorithme de recherche et de tri.

On pourrait craindre que comme big brother, Google veut nous montrer le monde à sa façon. Comme le dit le poème d’Aragon :

« Et j’ai vu désormais le monde à ta façon.
J’ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines. »

Eh bien, il semblerait que ce n’est pas comme cela que cela se passe.

Ce serait plutôt : « et je vois le monde à ma façon »

Et je me retrouve avec mes semblables, avec celles et ceux qui pensent comme moi !

J’ai lu sous la plume d’un journaliste : L’algorithme, selon de nombreux facteurs pas tous connus, choisit les meilleurs sites, puis, dans une proportion de 20 % environ, les personnalise selon le profil de la personne qui a fait la recherche.

Tout ceci est merveilleux, mais manque singulièrement d’altérité et de contradiction.

Car c’est la contradiction qui nous rend intelligent, soit parce qu’elle permet de nous affermir dans nos convictions, soit parce qu’elle nous permet de changer d’avis.

Un monde où, le djihadiste ne discute qu’avec les djihadistes, le catholique avec les catholiques, le gauchiste avec les gauchistes est un monde stérile, je veux dire un monde qui ne progresse pas.

Il y a une solution dans Google, ne restez pas sur la première page, allez voir les suivantes. Ou encore, utilisez aussi d’autres moteurs de recherche …

En tout cas, ces remarquables outils ne nous montrent pas un internet neutre ou tel qu’il peut se développer dans sa complexité des contenus, c’est cela que je voulais partager avec vous : un monde où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.

A propos : le nom Google vient du mot Gogol, nom donné au nombre . Ce nombre a été choisi pour évoquer la capacité de Google à traiter une très grande quantité de données.

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Mercredi 24 Juin 2015

«Après l’angoisse de la page blanche, Amazon vient d’inventer l’angoisse de la page non lue. »
Olivier Ertzschied, enseignant chercheur

Xavier de La Porte nous apprend qu’« A partir du mois juillet, Amazon rétribuera ses auteurs (c’est-à-dire ceux qui ne passent pas par une maison d’édition mais s’autopublient en ligne sur le site) à la page lue.»

Olivier Ertzschied, sur son blog Affordance, envisage les implications de cette évolution, qui touchent aussi bien un modèle économique (celui de l’édition classique) que l’écriture (si on est payé à la page lue, autant faire en sorte que le lecteur ait envie de la tourner).

J’ai trouvé ce développement sur Rue89 : <Amazon : ce qu’implique le paiement des auteurs à la page lue>

« Imaginez un monde dans lequel les auteurs (tous les auteurs : BD, romans, polars, science, essais, etc.) seraient rémunérés non plus de manière forfaitaire en fonction du nombre de ventes mais en fonction du nombre de pages lues. Ou plus exactement, toucheraient une micro-rémunération à chaque fois qu’un lecteur lirait une des pages de leur œuvre. […] »

Amazon, qui, dans le cadre de la lecture numérique sur sa tablette Kindle, dispose d’une volumétrie de données considérable et considérablement détaillée sur notre activité de « lecteur », souhaite mettre en place le modèle disruptif suivant :

« Plutôt que de payer les auteurs pour chaque livre, Amazon commencera bientôt à payer les auteurs en fonction du nombre de pages lues – non pas en fonction du nombre de pages téléchargées mais du nombre de pages affichées à l’écran suffisamment longtemps pour pouvoir supposer avoir été lues. »

L’impact sur la littérature même pourrait être considérable comme le souligne l’article de The Atlantic :

« Pour la plupart des auteurs qui publient directement via Amazon, ce nouveau modèle pourrait changer les priorités et les choix d’écriture : un système avec une rémunération à la page lue est un système qui récompense et valorise en priorité les « cliffhangers » et le suspense au-dessus de tous les autres « genres ». Il récompense tout ce qui garde les lecteurs accrochés » (« hooked »), même si cela se fait au détriment de l’emphase, de la nuance et de la complexité. »

Pour l’instant – et on comprend bien pourquoi –, ce type de rémunération ne s’appliquera qu’aux auteurs « auto-édités » par le biais de la plateforme Kindle Direct Publishing. Et de jouer sur la corde incitative pour amener de plus en plus d’auteurs à se séparer de maisons d’édition « classiques » au profit d’une contractualisation directe avec Amazon. Classique et éternel (à l’échelle du numérique en tout cas) processus de désintermédiation. […]

Mais plus que cela, Amazon ouvre ici une boîte de Pandore dans laquelle il serait très étonnant que Google (avec l’écosystème Google Books) et Apple (avec iTunes) ne tentent pas à leur tour de s’engouffrer. […]

En ne payant plus les auteurs en fonction du nombre de pages écrites mais du nombre de pages lues, et les algorithmes et autres DRM et dispositifs propriétaires (d’Amazon) étant les seuls à pouvoir disposer des outils de mesure permettant ce fonctionnement, les auteurs se trouvent à leur tour en situation de travailler « pour » les algorithmes, à la manière de journaliers guettant la notification sur smartphone du nombre de pages lues de leurs ouvrages chaque jour. […]

La question est de savoir ce que deviennent les auteurs de ces livres avec un modèle de rémunération à la page lue, comment ils s’adapteront et adapteront leur production littéraire à ce nouveau modèle, tout autant porteur de nouvelles opportunités que de risques considérables. La question est aussi de savoir de quel nouveau sentiment de toute puissance – ou de culpabilité – se sentira investi le lecteur dans le cadre d’un système de rémunération à la page des auteurs, se trouvant pris dans les rets d’un nouveau « petit actionnariat » de la lecture. […]

Une chose est sûre, après l’angoisse de la page blanche, Amazon vient d’inventer l’angoisse de la page non lue. […]

Le modèle de rémunération des auteurs à la page lue transforme l’activité de lecture pour en faire un « indicateur », une « variable » permettant toutes les spéculations mais aussi tous les détournements.

Après avoir cassé ce droit fondamental qui est celui de la confidentialité de l’acte de lecture, Amazon s’apprête désormais à le monétiser. Pop économie et salariat algorithmique. Et toujours ces secteurs – celui de la langue –, toujours ces moments – celui de la lecture – que l’on pensait préservés de la sphère marchande et qui s’y trouvent systématiquement soumis et aliénés. Plus aucun espace-temps, pas même celui du jeu, qui ne fonctionne comme un système de remise à la tâche, qui ne soit un cheval de Troie marketing ou un salariat algorithmique à peine masqué.

<Ici un article publié sur le Monde sur ce sujet>

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