Il faut être bienveillant.
Les prévisions sont compliquées surtout si elles concernent l’avenir.
Dimanche 4 octobre 2020 Jean-François Toussaint, professeur de physiologie de l’Université Paris-Descartes et directeur de l’IRMES, Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport à l’INSEP, affirmait sur CNews : « Il n’y aura pas de deuxième vague, nous sommes dans une instrumentalisation. »
Lundi 5 octobre 2020, le docteur Laurent Toubiana, chercheur épidémiologiste à l’Inserm, déclarait sur Sud Radio : «Il n’y aura pas de deuxième vague car nous avons atteint l’immunité collective »
Le Professeur Raoult a eu des propos divergents sur ce sujet. <RTL> a cherché à suivre la chronologie de ses analyses. Sa dernière version est qu’il n’a jamais dit qu’il n’y aurait pas de seconde vague.
Il semble, quand même, selon les soignants, qui sont en première ligne, qu’il y a bien une seconde vague.
Ainsi, dans un article paru dans le Parisien du 25 octobre, Martin Blachier, médecin de santé publique et épidémiologiste exprime son désarroi : «Quand j’ai vu les chiffres, je n’y ai pas cru» et constate une «accélération non contrôlée».
Nos hôpitaux sont à nouveau sous tension.
Je n’ai aucune compétence pour parler de ce virus, de la manière de le contrôler, de ce qu’il faut faire ou de ce qui aurait dû être fait. Mais j’entends les cris de détresse de celles et de ceux qui doivent accueillir les malades et les soigner.
Cependant, il y a un phénomène qui m’est un peu plus familier, parce que dans ma jeunesse j’avais quelque facilité en mathématiques.
Et ce phénomène est ce que les mathématiques appellent « une fonction exponentielle ». Dans le langage courant on parle d’une évolution exponentielle.
Mais connaitre conceptuellement et je dirais par les chiffres et les graphes le profil d’une courbe exponentielle, ne permet pas forcément d’appréhender la réalité du phénomène.
Un article, qui date déjà de juin, du journal Suisse « Le Temps » tente d’expliquer : « Pourquoi notre cerveau ne comprend rien à la propagation du coronavirus »
Cet article se réfère à une étude menée par des chercheurs allemands aux Etats-Unis qui met en évidence la difficulté de la population à appréhender la croissance exponentielle de l’épidémie. Un biais qui a un impact sur l’adhésion aux mesures de distanciation sociale :
« Des chercheurs allemands se sont livrés à une analyse regroupant trois études menées aux Etats-Unis pour comprendre pourquoi une importante partie de la population a du mal à accepter et à comprendre l’utilité de ces mesures. […]
Ces études ont été menées sur trois groupes différents de plus de 500 personnes pendant la deuxième partie du mois de mars, alors que la croissance de l’épidémie s’emballe aux Etats-Unis. Dans un premier temps, les chercheurs ont demandé aux participants d’estimer le nombre de nouveaux cas sur les cinq jours passés. Sur les trois premiers jours de la semaine, ces derniers ont tendance à surestimer le nombre de cas, mais la tendance s’inverse sur les deux derniers jours. Sur l’ensemble de la période, les personnes interrogées ont en moyenne sous-estimé la croissance de l’épidémie de 45,7% par rapport à son évolution réelle.
Cette double tendance s’explique par la difficulté à appréhender la propagation exponentielle du virus. Les estimations de la majorité des participants suivent en fait un modèle linéaire d’évolution de l’épidémie. Les chercheurs ont également cherché à mettre en évidence l’influence des convictions politiques sur les estimations des participants. Globalement, ceux se considérant comme conservateurs ont eu plus de mal à estimer la vitesse de diffusion du virus que ceux se présentant comme libéraux. »
Je ne cite pas tout l’article que vous pouvez consulter. Dans le domaine économique, des études avaient aussi mis en évidence cette difficulté d’appréhender le phénomène de croissance exponentielle.
Et bien sûr, quand on ne comprend pas un phénomène on a du mal à adhérer à des consignes visant à contrôler ce phénomène, surtout si ces consignes sont contraignantes.
Il existe cependant une légende qui peut nous aider à devenir un peu plus sage.
Vous l’avez certainement déjà entendu, mais ce qui est pertinent c’est de l’appliquer au contexte du COVID.
Il s’agit d’une légende, mais elle nous apprend quelque chose de vrai.
Il était une fois en Inde, un roi du nom de Belkib qui s’ennuyait beaucoup.
Il n’y avait pas les réseaux sociaux numériques à cette époque, ni Netflix et toutes ces séries qui permettent d’occuper l’esprit quand on a du mal à remplir sa vie intérieure.
Pour lutter contre son ennui il a demandé qu’on invente un jeu pour le distraire.
Aujourd’hui en France on lancerait un appel d’offre.
Un sage du nom de Sissa se mit alors à inventer le jeu d’échecs.
Le roi Belkib fut ravi et voulut comme tout bon souverain récompenser celui qui avait si bien su le distraire.
Il était tellement content qu’il demanda même à Sissa de choisir sa récompense qui pourrait être fastueuse.
Et c’est alors que…
Sissa demanda au roi de prendre le plateau du jeu et, sur la première case, poser un grain de riz, ensuite deux sur la deuxième, puis quatre sur la troisième, et ainsi de suite, en doublant à chaque fois le nombre de grains de riz que l’on met.
Et de faire ainsi jusqu’à la 64ème case.
Le roi exprima son étonnement, il ne comprenait pas alors qu’il promettait une récompense fastueuse que le sage Sissa demande un cadeau aussi « modeste ».
Alors pour comprendre qu’il n’y a rien ici de modeste, mais que nous sommes devant un phénomène exponentiel je vous renvoie vers le problème de mathématiques qu’a publié l’Académie de Paris et qui propose aussi la solution : « La légende de l’échiquier »
L’humain moderne que nous sommes, s’il veut se rendre compte, va utiliser son tableur préféré pour calculer cette évolution dans les 64 cases puis faire la somme.Et cela vous apprendra qu’à partir de la case 50, le tableur commence à réaliser des approximations parce qu’il atteint ses limites ou plutôt qu’il cherche à optimiser ses ressources. Les concepteurs du tableur ont, en effet, fait le choix qu’à ce niveau de nombre il n’était pas judicieux de mobiliser des moyens pour donner le chiffre exact.
En conclusion, sur la 64ème case, il faut déposer 263 grains de riz, ce qui se dit en français, 2 puissance 63. En effet, sur la première case Sissa met un grain ce qui se définit par 2 puissance 0, et sur la deuxième case on aura donc 2 puissance 1 qui est égale à 2. Et ainsi de suite ce qui conduit au résultat sur la 64ème case de 2 puissance 63.
Et quand on additionne tous les grains sur les 64 cases on obtient 18 446 744 073 709 600 000. Ce qui est donc une approximation du tableur
La solution mis en ligne sur le site de l’Académie de Paris, nous donne un éclairage supplémentaire sur ce chiffre qui ne signifie pas grand-chose pour nous :
« De nos jours la production annuelle mondiale de riz est environ 600 x 106 tonnes, en français 600 millions de tonnes. (en 2000)
Un grain de riz pèse environ 0,06 g.
Le tableur donne 18 446 744 073 709 600 000 comme valeur approchée du nombre de grains de riz qui auraient dû être déposés sur l’échiquier !
La masse serait alors de 1 106 804 644 422 570 000 grammes, soit approximativement 1 106 804 644 423 tonnes.
Ce qui correspondrait à 1 845 années de production mondiale de riz ! »
Là je crois que nous comprenons mieux, ou plutôt nous sommes sidérés.
La demande de Sissa conduit à demander 1845 années de production mondiale de riz de l’année 2000 !
Comment mieux expliquer qu’on perd le contrôle.
De manière technique, cet exemple se base sur la puissance de 2, c’est une fonction exponentielle. Il en existe, bien sûr, beaucoup d’autres.
C’est Gilles Finkelstein qui, lors de son face à face avec Natacha Polony du 24 octobre 2020 sur France inter, a rappelé cette légende et l’a rapprochée de l’évolution actuelle du COVID.
Le site de l’Académie de Paris a aussi mis en ligne un dessin de l’échiquier qui fait mieux que le tableur et donne les valeurs exactes sur chaque case.
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