Lundi 15 avril 2019

« Die Heimat »
Mot allemand difficilement traduisible en français

Pendant ce moment d’absence, j’ai passé quelques jours auprès de mes frères, dans ma Lorraine natale.

Cette partie de la France a été très disputée, lors des siècles passés, entre les nations allemandes et françaises.

La partie Nord-Est, dont je suis issu, est cependant une région dans laquelle la langue allemande s’est enracinée dans les toponymes, les patronymes et probablement dans les esprits.

En retournant sur ces lieux, un mot allemand intraduisible en français s’est imposé à moi : « Heimat ». C’est ce qu’est cette région pour moi.

La racine de ce mot est « Heim » qui lui est parfaitement traduisible et signifie « maison » ou « foyer ». Il a la même étymologie que le mot anglais « home ».

Mais pour « Heimat », la traduction n’existe pas, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible de le traduire par un seul mot.

Vouloir le traduire par « patrie » serait une grande erreur. La patrie est le pays des « pères » dont l’équivalent allemand est le mot « Vaterland ». On porte les armes pour la patrie, on meurt pour la patrie. Il n’y a rien de guerrier dans le mot « Heimat ».

<Wikipedia> exprime cela ainsi :

« Heimat est un mot allemand qu’il est impossible de traduire par un seul mot français, bien qu’il corresponde à un sentiment universellement répandu. Il désigne à la fois le pays où l’on naît, le village où l’on a grandi, mais aussi la maison où on a passé son enfance ou celle où on est chez soi.

Ainsi quand on est loin de chez soi, on a le mal du pays, le « Heimweh »

[…] Le mot « Heimat » est donc à la fois de l’ordre du sentiment, de la foi religieuse, du souvenir d’enfance, d’un horizon familier ou d’une atmosphère bien précise. […] Depuis, la « Patrie », en allemand « Vaterland » est devenu un concept politique : elle a des frontières, un drapeau, une capitale et un gouvernement, tandis que la « Heimat » n’a pas de drapeau. C’est, selon Waltraud Legros, « le pays que chacun porte à l’intérieur de soi ». »

Pour moi la question ne fait pas de doute j’ai une patrie « La France » et une « Heimat » qui est ce lieu de mon enfance à Stiring-Wendel, dans l’agglomération de Forbach, à moins de 10 km de Sarrebrück. Je n’y finirai certainement pas ma vie, mais il y a un lien qui m’attache à ce lieu et le mot « Heimat » exprime parfaitement ce lien.

Ce n’est certainement pas un lieu de vacances où on a envie de retourner régulièrement parce qu’on s’y plait. C’est un lieu de racines, où on se sent chez soi.

La question qui peut se poser est de savoir si tout le monde possède dans ses sentiments, dans son vécu : un tel lieu ?

Il n’est pas certain que les nomades mondialisés connaissent ce sentiment. Eux qui prétendent, souvent, se sentir chez eux partout dans le monde.

Ils s’éloignent de cette pensée que le stoïcien Sénèque a écrite :

«Il n’est pas de vent favorable pour qui ne connaît pas son port d’attache.»

Les migrants qui cherchent refuge ou un monde plus doux économiquement en Europe, ont certainement une « Heimat » mais qu’ils fuient parce que ce lieu leur est devenu difficile soit parce qu’ils y sont menacés dans leur intégrité physique, soit parce qu’il est difficile d’y vivre économiquement.

C’est une question que chacun peut se poser, peut-être d’ailleurs plutôt à 60 ans qu’à 18 : ai-je dans mon vécu, dans mon univers affectif une « Heimat » ?

Et puis il y a une question plus vaste, plus politique est-il bon pour la société des hommes que ceux qui la composent se sentent proche d’une « Heimat ? »

Brice Couturier dans une de ses chroniques a fait mention d’un ouvrage de David Goodhart, « The Road to Somewhere », proche un temps du New Labour de Tony Blair :

« Goodhart estime que la division gauche/droite a perdu beaucoup de sa pertinence. Il propose un nouveau clivage entre ceux qu’il appelle « les Gens de Partout » et « le Peuple de Quelque Part ». Les premiers, les Gens de Partout ont bénéficié à plein de la démocratisation de l’enseignement supérieur. Ils sont bien dotés en capital culturel et disposent d’identités portables. Ils sont à l’aise partout, très mobiles et de plain-pied avec toutes les nouveautés.

Les membres du Peuple de Quelque Part sont plus enracinés.  »

Il en tire une réflexion et des conséquences qui ne concernent pas totalement mon vécu mais qui méritent cependant d’être rapportées :

« Les membres du « Peuple de Quelque Part ». habitent souvent à une faible distance de leurs parents, sur lesquels ils comptent pour garder leurs enfants. Ils sont assignés à une identité prescrite et à un lieu précis. Ils ont le sentiment que le changement qu’on leur vante ne cesse de les marginaliser, qu’il menace la stabilité de leur environnement social. Ils sont exaspérés qu’on leur ait présenté la mondialisation et l’immigration de masse comme des phénomènes naturels, alors qu’ils estiment que ce furent des choix politiques, effectués par des politiques et des responsables économiques appartenant aux Gens de Partout. C’est pourquoi le Peuple de Quelque Part éprouve une très grande frustration : le sentiment d’avoir été exclu de la parole publique, marginalisé, alors qu’il est majoritaire ; d’avoir été accusé de xénophobie et d’arriération, alors qu’il réclame simplement que le rythme du changement soit ralenti ; et que l’Etat en reprenne le contrôle. »

Certaines élites sont très vigoureusement contre ces sentiments et regardent avec hostilité notamment ceux qui en Allemagne ont remis sur le devant de la scène la « Heimat ». Depuis la nouvelle coalition de 2018, le ministre conservateur qui occupe le poste de Ministre de l’Intérieur a accolé à ce titre le mot « Heimat » : « Bundesministerium des Innern, für Bau und Heimat. »

Un article publié par « Libération » et rédigé par sa correspondante à Berlin : Johanna Luyssen présente cette évolution comme problématique :

« […] lors de son premier discours au Bundestag, le […] ministre de l’Intérieur et du «Heimat» allemand, Horst Seehofer, est revenu sur le sens de ce terme […].

«Le Heimat, ça ne veut pas dire le folklore, la tradition ou la nostalgie. […] Cela veut dire l’ancrage, c’est un environnement culturellement enraciné dans un monde globalisé. Cela veut dire la cohésion et la sécurité, ce dont chacun a besoin dans ce pays.»

Vendredi matin, […] le conservateur bavarois Horst Seehofer, détaillait devant le Bundestag sa conception toute personnelle du mot Heimat. Une telle digression sémantique peut surprendre dans le cadre d’un discours sur les orientations de son ministère – le premier depuis sa prise de fonctions, mi-mars. C’est que ce terme lourdement connoté s’inscrit dans un débat agité en Allemagne, surtout depuis que le ministère de l’Intérieur fédéral a choisi de l’accoler à son en-tête.

Heimat : ce mot est passablement intraduisible en français. Disons qu’il évoque les notions de «patrie», de «terroirs», de «chez nous». Il désigne un sentiment d’appartenance régional plutôt que national, et fait appel à l’intime plutôt qu’au collectif. Cela pourrait presque s’apparenter à l’expression «au bled», ou au «petit pays» cher à l’écrivain Gaël Faye. Le terme a par ailleurs été, et c’est bien pour cela qu’il crée encore la controverse, utilisé par les nazis. Il fut également utilisé dans un slogan de l’AfD, le parti d’extrême droite allemand, lors de sa fondation en 2013.

Accoler «Heimat» à l’en-tête d’un ministère fédéral a fait réagir en Allemagne, beaucoup voyant dans la démarche la volonté de récupérer les faveurs d’un électorat d’extrême droite. »

Et puis il y aussi cet <article> qui en évoquant un film de Benedikt Nabben, Heimat Paris trouve ce concept de « Heimat » totalement incongru à l’heure du smarphone :

« Heimat » est-il vraiment un terme actuel ? Nous sommes en pleine mondialisation, nous écoutons du hip-hop américain, nous mangeons japonais, nous regardons des films argentins et connaissons la migration. Par ailleurs, il est aujourd’hui beaucoup plus facile de garder contact avec sa famille et ses amis grâce à Internet. Ainsi, nous gardons toujours notre « Heimat » dans la poche. Quoiqu’il arrive, ce terme restera toujours sujet à controverse à l’avenir, et il y a fort à parier qu’il ne trouvera jamais de définition figée non plus. »

Tout en me méfiant des arrières pensées du ministre allemand, je ne partage pas ce dernier avis. S’il suffit d’un smartphone qui permet d’accéder facilement et à tout moment à ses proches pour remplacer ses racines, c’est qu’on a rien compris à ce que c’est d’avoir des racines, ce que conceptualise admirablement le mot « Heimat »

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Lundi 1 avril 2019

« C’est de nos vies dont il est question »
Alexandria Ocasio-Cortez

Je voudrais aussi partager une intervention pleine de force, de charisme et de vérité d’une étonnante élue à la chambre des représentants des Etats-Unis.

On l’appelle « AOC » , mais son nom est Alexandria Ocasio-Cortez, née le même jour que moi et …Chantal : le 13 octobre, mais beaucoup plus récemment (que moi) 1989 , à New York. Elle a grandi dans le Bronx, un des quartiers pauvres de New York.

Elle est élue le 6 novembre 2018 représentante du 14e district de New York à la Chambre des représentants des États-Unis, devenant la plus jeune représentante jamais élue au Congrès américain. Elle incarne la nouvelle vague démocrate, qui se revendique du socialisme démocratique dans la lignée de Bernie Sanders.

Elle est entrée en politique très vite : Étudiante à l’université de Boston, elle travaille auprès du sénateur démocrate Ted Kennedy sur les questions d’immigration car elle est la seule membre de son équipe à parler espagnol.

Lors de la campagne présidentielle de 2008, elle fait du démarchage téléphonique pour le candidat démocrate Barack Obama.

Elle fait de brillantes études, mais pour survivre aux Etats-Unis quand on n’est pas de famille riche, il faut accepter des petits boulots.

Et c’est ainsi qu’avant d’être élue, elle était serveuse dans un restaurant de tacos dans le sud de Manhattan.

Mais vous pourrez trouver d’avantages de précision sur Wikipedia : <Alexandria Ocasio-Cortez>

La vidéo dont il est question est une réponse cinglante à un élu républicain, le parti de Trump.

La question concernait l’écologie et l’environnement.

L’élu républicain accusait les démocrates de dérive « élitiste ».

Ce qui a fait sortir de ses gonds Alexandria Ocasio-Cortez :

« Le 26 mars. La démocrate était venue défendre le Green New Deal, un plan environnemental dont l’objectif est d’atteindre 100 % d’énergies propres et renouvelables d’ici 2035. Une initiative que le parlementaire républicain Sean Duffy a rapidement taxé d’« élitiste ».

Le qualificatif a suscité l’indignation de la femme politique qui a répliqué : « Ce n’est pas un sujet élitiste, c’est une question de qualité de vie ».

Elle a ensuite tenu avec vigueur un plaidoyer en faveur de l’écologie et pointé l’inaction de certains politiciens devant l’ampleur de la crise.

« C’est de nos vies dont il est question. Ça concerne la vie des Américains. Et cela ne devrait pas être une question partisane », soulève la démocrate. Au sein de l’hémicycle, elle évoque les enfants du Bronx qui souffrent d’asthme, la crise sanitaire qui touche la ville de Flint au Michigan ou encore les inondations qui submergent des terres du Midwest américain. La jeune femme fraîchement élue oppose à ces menaces la cupidité des hommes politiques qui se soucient davantage de « renflouer les banques » ou d’«aider les compagnies pétrolières» que d’affronter la «crise nationale » qui frappe le pays. »

Il est des saines colères. Celle-là, en est une.

J’ai vu d’autres interventions d’Alexandra Ocasio-Cortez tout aussi pertinente et pleine de force.

Alexandria Ocasio-Cortez donne espoir à ce que l’Amérique profonde s’éloigne des dérives néo-libérales et de la bêtise Trumpienne.

La vidéo peut être visualisée <ICI>

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