Vendredi 7 décembre 2018

« Et puis il y a des trucs tout cons, comme les impôts.
Tu râles toujours un peu quand il faut les payer, mais finalement, quand tu arrives à l’hôpital, tu es pris en main de la manière dont tu es pris en main par des mecs qui ont fait quinze ans d’études. Avec des équipes de 30 personnes qui te sont dédiées et du matos où chaque couveuse vaut un demi-million d’euros. Tous les impôts que tu as payés de 0 à 40 ans, tu peux dire que tu les as mis là. »
Gaël Leiblang

Je suppose qu’il serait normal de continuer à parler des gilets jaunes.

De s’indigner contre cette prétention d’un des gilets jaunes, Eric Drouet à marcher sur l’Elysée samedi prochain et à entrer d’autorité dans le palais présidentiel.

Vouloir aller à l’Elysée pourquoi faire ?

Et alors ? Qu’est-ce qu’on fait après, à part créer le chaos ?

C’est stupide, provoquant et inutile.

Mais après avoir posé cette condamnation, il est possible de se souvenir qu’en pleine affaire Benalla, le jeune président devant les caméras de télévision et un public de partisan a osé cette formule :

« Qu’ils viennent me chercher »

Du point de vue juridique et du droit constitutionnel, cette phrase constituait une ineptie.

Du point de vue de la rhétorique, il me parait juste de reprendre les qualificatifs que j’ai utilisé pour le gilet jaune excité. Mais le fait que celui qui a prononcé ces mots soit Président de la République, ne constitue t’il pas une circonstance aggravante ?

Et je me souviens que lors du mot du jour du 10 novembre 2017 , je citai le principal conseiller du Président Obama qui après quelques mots aimables sur notre Président, qui n’était au pouvoir que depuis 6 mois, finissait son propos par ce jugement :

« La question qui se pose est : comment va-t-il faire arriver le changement ?
Comment est-ce que cela sera reçu.
C’est quelqu’un qui a beaucoup de confiance en lui-même.
Mais ce poste nécessite de l’humilité. »

Bien sûr, je pourrais aussi parler du climat, de la COP24 qui se passe à Katowice en Pologne et de ce nouveau bilan annuel de l’ONU : < Nous avons complètement dérapé> :

Globalement, les terriens étaient parvenus a stabilisé les émissions de CO2. C’était un premier pas. Nous savons que nous devons réduire ces émissions.

Mais nous avons globalement recommencé à faire progresser le taux de CO2 dans l’atmosphère :

« Selon un bilan annuel publié mercredi en marge de la 24e conférence climat de l’ONU, les émissions de CO2 liées à l’industrie et à la combustion du charbon, du pétrole et du gaz devraient croître de 2,7% par rapport à 2017, après une hausse de 1,6% l’an dernier ayant suivi trois années quasiment stables. Il faut remonter à 2011 et la sortie de la crise financière de 2008 pour trouver pire taux, explique Glen Peters, climatologue au centre de recherche Cicero (Oslo) et co-auteur de l’étude, parue dans la revue Open Access Earth System Science Data.

Les politiques se font distancer par la croissance de l’économie et de l’énergie », souligne-t-il. « On est loin de la trajectoire qui nous permettrait de rester à 1,5°C ou même 2°C » de réchauffement, objectifs de l’accord de Paris.

« La rhétorique enfle mais l’ambition non, nous avons complètement dérapé » »

Mais dans mon butinage je suis tombé sur un article parlant d’un spectacle joué au Lucernaire à Paris ou plus précisément interviewant l’auteur et l’acteur de ce spectacle : Gaël Leiblang.

Et un paragraphe m’a tout de suite accroché et j’en ai fait l’exergue de ce mot du jour.

Parce qu’il y a une révolte fiscale. Celle que l’on voit, aujourd’hui de gens qui disent qu’ils ne peuvent plus payer les taxes qu’on leur réclame.

Mais il y a une autre révolte fiscale celle des très riches qui ne veulent plus payer leur part.

Et des multinationales qui savent mettre en œuvre des stratégies qui leur permettent de ne presque pas contribuer à l’effort commun.

L’affaire Carlos Ghosn m’a appris des tas de choses, d’abord sur le Japon qui n’est vraiment pas le pays merveilleux que certains touristes vantent. Mais aussi sur le fait que la Holding qui gère l’alliance Renault Nissan est une société de droit néerlandais. Un pays qui est un paradis fiscal. Et c’est Lionel Jospin et Laurent Fabius qui ont permis cette évasion fiscale.

On peut toujours revenir aux propos de Henry Morgenthau, secrétaire au Trésor américain sous la présidence de Roosevelt et qui disait en 1937 :

«Les impôts sont le prix à payer pour une société civilisée, trop de citoyens veulent la civilisation au rabais»

J’en avais fait le mot du jour du 21 mars 2013

Mais j’ai aimé ce cri du cœur de cet homme qui au bout de l’épreuve a redonné le sens de la contribution à la civilisation.

Gaël Leiblang est un journaliste devenu comédien. Il est aussi père de famille. Sa compagne a donné naissance à leur fils Roman. Roman a vécu 13 jours.

Ces 13 jours, le couple les a passés à l’hôpital pour accompagner leur enfant.

Ils n’étaient pas seuls, ils étaient avec des médecins et des infirmières.

Suite à la décision collégiale des médecins d’arrêter les traitements et de laisser mourir le bébé, il a été décidé que les parents puissent donner un bain à leur enfant pour lui dire au revoir et créer le souvenir le plus charnel qui soit.

Il en a fait un spectacle : « Tu seras un homme papa »

«J’ai dit au metteur en scène : « Écoute, s’il n’y a pas le bain, il n’y a pas de pièce, parce que tout amène à ce moment de grâce absolu, de spiritualité, de mysticisme, de ce que tu veux. » On raconte quelque chose que personne ne peut voir, qui est complètement secret et qui est sacré.

Ce moment est toujours magique. […]

La première fois qu’on a fait une lecture à la maison, j’ai lu le texte pendant une heure. Et c’était tellement fort et violent que personne ne pouvait plus relever la tête. […]

On pourrait dire qu’il y a plutôt un silence assourdissant autour de ces bébés éphémères.

Parce que leur vie est tellement courte qu’il n’y a pas de souvenirs, et comme il n’y a pas de souvenirs, tu ne peux pas dire…

Moi, je vois bien, si je n’avais pas fait cette pièce, on ne parlerait pas de Roman. Pas parce que c’est tabou. On est une famille tout à fait sympa, on parle très librement et tout, mais parce qu’à un moment tu n’as rien à raconter. C’était treize jours. Tu peux dire « ah, tu te souviens quand il était dans la couveuse ? » une fois, deux fois, cent fois, mais au bout de trois, quatre ans, tu ne vas plus le dire. »

Et quand la journaliste lui pose la question : « Donc tu es devenu un homme avec Roman et avec cette pièce ? »

Il répond :

« Je suis foncièrement la même personne, avec les mêmes défauts. Je gueule pareil sur les trucs, mais il y a d’autres choses qui sont réglées.

La religion par exemple pour moi, c’est très clair maintenant. Il n’y a pas de Dieu, pas de lumière, pas de révélation.

Et puis il y a des trucs tout cons, comme les impôts. Tu râles toujours un peu quand il faut les payer, mais finalement, quand tu arrives à l’hôpital, que tu es pris en main de la manière dont tu es pris en main par des mecs qui ont fait quinze ans d’études. Avec des équipes de 30 personnes qui te sont dédiées et du matos où chaque couveuse vaut un demi-million d’euros. Tous les impôts que tu as payés de 0 à 40 ans, tu peux dire que tu les as mis là et que ce n’est pas grave. »

Cette interview est très longue et vous pouvez la lire derrière ce lien « Article Rue 89 Obs publié le 6 décembre 2018 »

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Mercredi 7 novembre 2018

« Attention les vieux ! »
Un jeune enfant sur une trottinette

Avec Annie, nous marchions tranquillement, côte à côte sur le trottoir tout près de notre domicile.

L’espace disponible sur ce trottoir est diminué en raison d’arbres majestueux qui embellissent la rue.

Un enfant de 4 ou 5 ans, juché sur une trottinette, à laquelle par une action vigoureuse il tentait de donner une belle vitesse, arrivait à notre rencontre.

Je sentais une légère angoisse chez ce tout petit homme dont le visage esquissait un sourire crispé.

Il n’était pas sûr de pouvoir nous éviter et je pense qu’il éprouvait aussi une crainte de ne pas pouvoir freiner suffisamment.

Devant cette situation complexe et stressante, il a pensé que la meilleure solution était d’en appeler à notre bienveillance.

Il a alors lancé d’une voix forte et assurée :

« Attention les vieux !»

Notez-bien que dans l’échelle des impertinences, il aurait pu aller plus loin en criant : « Poussez-vous les vieux !». Mais il n’a pas du tout usé de cette injonction autoritaire, simplement pour nous préserver d’un choc qui aurait pu nous être préjudiciable, il a tenté de nous convaincre qu’il vaudrait mieux que nous nous écartions.

Nous n’étions pas tout à fait seul sur ce trottoir, mais nous étions les seuls qui marchions côte à côte.

Et pour nous distinguer des autres piétons, il a cherché à nous caractériser, à nous désigner par un mot qui nous permette de comprendre immédiatement qu’il s’agissait de nous. Et cela a fonctionné. Nous avons tout de suite compris que « les vieux » c’était nous.

Nous nous sommes donc écartés et Annie a quand même lancé à l’enfant que c’était un peu impertinent de nous traiter de vieux.

Sa mère qui suivait à pied n’a absolument pas compris ce qui se passait, montrant par-là que beaucoup de choses échappent aux parents.

Derrière nous, un jeune garçon d’une vingtaine d’années qui lui avait suivi parfaitement la scène a voulu nous rassurer :

« Mais non vous n’êtes pas vieux. Simplement de manière relative par rapport à lui, ce jeune garçon vous classe dans les vieux ».

Nous avons chaleureusement remercié ce garçon plein de sollicitude et de compréhension.

Je vous ai raconté un fait qui nous est arrivé. Les lecteurs attentifs du mot du jour savent que je trouve « moyen » de s’arrêter aux faits.

Il faut donc que je continue pour aller un peu plus loin dans la réflexion.

Je ne m’arrêterais pas à la question de savoir si à soixante ans on est vieux. Une chose est certaine on vieillit chaque jour et si on devient vieux c’est une bonne nouvelle, c’est une victoire de la vie. Car si on ne devient pas vieux, c’est qu’on est mort avant. « Vie » constitue d’ailleurs étonnamment les trois premières lettres de vieux.

On pourrait aussi, peut-être parler des trottinettes qui circulent sur les trottoirs et de la difficile cohabitation avec les piétons. <C’est pourquoi Paris veut interdire les trottinettes sur les trottoirs>

De manière plus globale, on pourrait évoquer ce que l’on a eu pour habitude d’appeler « les modes doux » de circulation, c’est-à-dire une alternative à la voiture.

Je ne sais pas ce que vous en pensez mais je trouve qu’en observant l’attitude de certains, l’adjectif « doux » semble totalement inapproprié. Dans l’esprit de ces personnes, il ne s’agit pas de mode « doux » mais de mode « rapide », je veux dire plus rapide que les voitures embouteillées.

J’ai la faiblesse de penser que ce n’était pas cela que l’on imaginait quand on parlait de mode « doux ».

Mais ce fait me conduit surtout à penser à la question du rythme de la vie : il faut être efficace, rapide, gérer intelligemment son temps. Mais dans une société où il y a de plus en plus de vieux comment faire ? Comment concilier, se faire se rencontrer le temps du vieux et le temps du jeune startupper cher au cœur d’Emmanuel Macron ?

Prenons, le cas extrême des vieux en EHPAD et des soignants qui n’ont pas de temps, qui doivent réaliser leurs interventions à une vitesse peu compatible avec le temps des vieux et une durée frustrante au regard de l’attente de l’ainé.

On pourrait imaginer que le progrès et l’automatisation constituent une ressource pour laisser plus d’espace au « temps de l’humain ».

Mais tel n’est pas le cas, le progrès et l’automatisation aujourd’hui ne nous donnent pas davantage de temps, mais nous rendent davantage contraints à la vitesse comme si nous devions servir le progrès, les machines, les flux financiers et d’autres choses qui accélèrent notre temps.

Sylvain Menétrey et Stéphane Szerman ont bien écrit le livre « Slow attitude ! » et dont le sous-titre est « Oser ralentir pour mieux vivre ».

J’ai trouvé aussi cet article qui parle d’un film de Gilles Vernet « Tout s’accélère » qui est une réflexion sur le temps. A travers les yeux d’écoliers de CM2 et appuyé par l’avis de physiciens, de psychologues et d’écologistes, le documentaire décrypte le rythme frénétique de notre monde et appelle au ralentissement.

L’article nous apprend :

« Gilles Vernet est un ancien trader. L’accélération du monde, il la vivait au quotidien car à Wall Street, chaque seconde compte. Optimisation, efficacité, rapidité, rentabilité… cette spirale infernale s’est arrêtée le jour où Gilles Vernet a appris que sa mère était mourante. Deux ans, c’était le temps qu’il lui restait à vivre. Deux ans, c’est aussi « ce temps » qui a produit le déclic chez le réalisateur. « Le choc m’a fait passer à l’acte » confit-il.

Gilles Vernet abandonne le monde de la finance. Devenu instituteur, il interroge ses élèves sur la cadence démesurée de notre société. Pourquoi travailler si vite ? Le monde ralentira-t-il un jour ? »

Nous sommes vraiment dans la problématique des modes doux, du temps doux.

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Mardi 6 novembre 2018

« La Loi Gayssot est contreproductive, car elle fait des négationnistes des martyrs »
Emmanuel Pierrat

Hier, je vous présentais le livre d’Emmanuel Pierrat « Nouvelles morales, nouvelles censures » et j’insistais sur les nouvelles censures qu’il dénonçait concernant l’art, le communautarisme et la morale.

Mais son propos concerne aussi la censure qui s’applique pour différentes raisons, morales, d’auto censures et aussi légales à l’expression d’avis divergents, gênants et même faux.

Je vous renvoie vers l’émission déjà citée hier sur France Inter et qui pose cette question fondamentale : « Faut-il des limites à la liberté d’expression ? »

La semaine dernière j’évoquais la mort de Robert Faurisson, celui que Robert Badinter accusait d’être un faussaire de l’Histoire.

La question est de savoir s’il vaut mieux accepter de le laisser s’exprimer et de le contester par des arguments ou le faire taire et le condamner par la justice s’il refuse de se taire sur ces sujets.

La France a choisi de le faire taire en promulguant différentes lois dont la plus célèbre est la Loi Gayssot du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe.

Emmanuel Pierrat est résolument contre ce type de Loi et il dit que : « La Loi Gayssot est contreproductive, car elle fait des négationnistes des martyrs ».

Il en appelle à d’autres opposants à cette Loi comme l’historien Jean-Pierre Azema et surtout Pierre Vidal-Naquet qui fut l’un des premiers et des plus virulents adversaires de Faurisson, un ancien camarade khâgne qu’il a toujours détesté , son père Lucien et sa mère Marguerite sont morts à Auschwitz.

Pierre Vidal-Nacquet était résolument contre ce qu’il appelait les Lois mémorielles, disant que ce n’est pas le rôle du politique de dire ce qu’il faut dire et ne pas dire, mais de la controverse intellectuelle.

Il préconisait plutôt qu’il ait le droit d’écrire une préface à chaque ouvrage de Faurisson.

C’est un débat passionnant qui part de l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 :

« Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »

Les limites reposent dans la définition de l’abus de la liberté.

Dans l’émission de France Inter cité, Emmanuel Pierrat comme Natacha Polony sont pour la liberté d’expression la plus grande possible, alors que Raphaël Glucksman préfère la restreindre quelque peu par précaution et ne pas permettre par exemple de nier l’existence des chambres à gaz sous peine de sanctions.

Emmanuel Pierrat explique qu’en faisant cela, on n’a pas confiance dans l’intelligence des citoyens et on provoque des réactions négatives, complotistes et qui font de « salauds » des martyrs.

Cette question se pose aussi quant à la publication d’une édition critique des pamphlets antisémites de Céline par Gallimard qui suite à des réactions indignées a renoncé en s’autocensurant. Il pourrait aussi être question des écrits de Charles Maurras.

Aux Etats-Unis, la liberté d’expression permet aux opinions racistes et antisémites de s’exprimer, mais critiquer la religion ou publier des caricatures de Mahomet est impossible. On a la censure différenciée !

Si je dois donner mon avis, je reste indéfectiblement confiant dans la démocratie. Et quand on défend la démocratie on croit que collectivement les citoyens sont assez intelligents pour voter. Et s’ils ont assez d’intelligence pour voter, ils sont assez intelligents pour se faire une opinion quand on leur présente des arguments. Dès lors, je pense comme Emmanuel Pierrat qu’il faut laisser la plus large place à la liberté d’expression. On ne peut pas et on ne doit pas interdire tout ce que l’on réprouve. Je reste persuadé que limiter l’expression libre constitue un chemin plus dangereux pour la liberté que la prétention de vouloir préserver le plus grand nombre d’opinions scandaleuses.

Je vous renvoie vers cet excellent débat : « Faut-il des limites à la liberté d’expression ? »

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Lundi 5 novembre 2018

« Nouvelles censures »
Emmanuel Pierrat

Dans le monde, il n’y a finalement pas beaucoup de pays où la liberté d’expression est respectée.

Le pays le plus peuplée, la Chine, est un exemple parfait de cette triste réalité, il semblerait que même elle exporte son ignoble savoir-faire.

Dans tous les États du monde où la religion est prédominante et impose sa vue à la société, comme en Iran, en Arabie Saoudite ou au Pakistan, il ne saurait exister de liberté d’expression. Les dictatures comme la Corée du Nord ne connaissent pas non plus ce concept déstabilisant.

A un degré légèrement atténué, les démocraties illibérales ou démocratures comme la Turquie, la Russie et la Hongrie ne tolèrent qu’une liberté d’expression très tempérée.

Alors dans nos pays occidentaux, de démocraties libérales, sommes-nous épargnés ? Nous pourrions l’espérer.

Mais ce n’est plus le cas.

Dans nos pays, ce n’est que très rarement l’État et le gouvernement qui exercent cette censure, la censure est aujourd’hui beaucoup plus le fait d’action privée, d’individus, mais surtout d’associations, de ligues et même d’entreprises.

<Facebook a ainsi censuré et fermé le compte d’un internaute>

Parce qu’il faisait l’apologie du terrorisme ou développait des idées racistes ou sexistes ?
Non c’est parce qu’il avait osé publier « L’origine du monde » la célèbre toile de Gustave Courbet réalisé en 1866 et qui montre le sexe nu d’une femme, dont on sait aujourd’hui qu’il s’agit très probablement de Constance Quéniaux.

L’artiste Laina Hadengue, a voulu, quant à elle,  présenter, sur Instragram, son œuvre « le fil des jours » dont vous voyez une copie.

Elle fut immédiatement censurée d’Instagram pour ce bout de sein et son compte fut fermé.

Pour ne se pas retrouver « dans un monde d’images sans pensées », elle vient de lancer un blog « Toute Licence pour l’art » ouvert aux témoignages de tous les artistes, écrivains et autres créateurs victimes de ces nouvelles formes de censures.

Blog que vous trouverez derrière le lien qui se trouve sur le nom de l’artiste.

L’avocat Emmanuel Pierrat explique :

« Les géants des réseaux sociaux ambitionnent de dominer tous les marchés mondiaux ; et donc d’être regardables dans la très catholique Pologne ou la pieuse Arabie Saoudite. (…) On peut regretter que cet excès de moralisme des réseaux sociaux soit contre-productif et participe au contraire à entretenir dans la société un rapport malsain à la nudité. »

Emmanuel Pierrat est très préoccupé par le sujet de la censure sous toutes ses formes, notamment modernes.

Il vient d’écrire un livre très intéressant publié le 11 octobre que j’ai acheté : « Nouvelles morales, nouvelles censures ».

J’ai découvert Emmanuel Pierrat, grâce à deux émissions radio que j’ai écouté :

D’abord la Grande Table d’Olivia Gesbert du 23 octobre 2018 « Y a-t-il une censure « morale » ? »

Puis le « Grand Face à Face d’Ali Baddou » du 27 octobre 2018 : « Faut-il des limites à la liberté d’expression ? »

Pour être complet sort en novembre un autre livre sous sa direction : « Le grand livre de la censure » qui est présenté ainsi :

« La censure est, hélas, aussi éternelle qu’universelle : elle a condamné le philosophe grec Socrate à boire la mortelle ciguë pour avoir prôné la parole libre, et les œuvres de l’artiste contemporain Ai Weiwei sont traquées par des dizaines de milliers de fonctionnaires chinois sur les blogs et les réseaux sociaux. Dans ce Grand Livre de la censure, celle-ci est visitée au gré de ses différentes obsessions : les bonnes mœurs, la religion, la politique et le pouvoir, la préservation de la santé, le maintien de dogmes scientifiques, tout comme la lutte contre le « pacifisme », la drogue, la sorcellerie ou encore le « socialement incorrect ».[…] À travers près de deux cents affaires anciennes ou contemporaines, franco-françaises ou au retentissement mondial, en mêlant les grands scandales qui ont marqué leur époque et d’autres interdictions moins connues méritant d’être sorties de l’oubli, Emmanuel Pierrat fait comprendre que la censure est, depuis toujours, le miroir de l’humanité et de nos peurs. »

Ce sujet me parait particulièrement important, surtout qu’il est devenu dans nos contrées extrêmement insidieux.

Nous sommes des enfants ou des produits de la liberté d’opinion et d’expression, c’est notre oxygène, c’est du moins le mien.

Emmanuel Pierrat est avocat, il a notamment défendu Michel Houellebecq en 2002 pour ses propos sur l’Islam dans « Lire » en 2001. Il raconte comment une ligue musulmane a attaqué Houellebecq et n’a pas réclamé la censure de l’article mais des dommages intérêts de plusieurs centaines de milliers d’euros avec le motif de réparer le préjudice moral subi en raison des propos de l’écrivain.

Ce n’est donc plus l’État qui dans ce cas censure et interdit de publier un livre, le met « à l’index », mais une association privée qui par le biais de la justice et de l’argent entend faire taire les opinions qui lui déplaisent. Cette fois-là c’est Houellebecq et son avocat qui ont gagné le procès.

Ce point est fondamental ce n’est plus l’État qui agit, d’ailleurs Pierrat dit :

« L’État prend de moins en moins position, il est très perdu dans ses repères. »

Dans l’émission la Grande Table, Emmanuel Pierrat raconte que Pasqua avait tenté, lorsqu’il était ministre de l’intérieur, une telle expérience de censure de livres (il s’agissait notamment d’écrits de défense de la cause homo sexuelle) qui avait tourné au fiasco et depuis, affirme l’avocat, l’Etat n’agit plus sur ce terrain.

Ce sont donc des initiatives privées qui vont chez nous exercer ce vilain métier de censeur.

Quelquefois il s’agit banalement d’intérêts financiers. Emmanuel Pierrat a également défendu Olivier Malnuit, le rédacteur en chef de Technikart, qui avait lancé le site « jeboycottedanone » contre Danone. L’avocat de Danone avait simplement affirmé :

« que la liberté d’information ne devait pas faire oublier la liberté d’entreprendre, qui est tout aussi légitime. »

Dans ces deux cas la censure prend la forme de la menace d’une sanction financière devant dissuader le contrevenant de faire « mauvais » usage de sa liberté d’opinion et peut être même le ruiner.

Mais ce sujet est beaucoup plus vaste et Emmanuel Pierrat, dans son livre « Nouvelles morales, nouvelles censures » énumère de nombreux cas de censure « privée » d’aujourd’hui.

Il commence les 15 chapitres de son livre par : « cachez … » ces auteurs, ces mots, cette histoire qui n’est pas la miennes, ces livres pour enfants, ce passé etc…

Il cite notamment Carmen à l’opéra de Florence (page 39) qui pour l’amateur d’opéra que je suis est particulièrement stupide

En janvier dernier, au Teatro del Maggio à Florence, le Directeur suggère au metteur en scène Leo Muscato de réécrire la fin du célèbre opéra Carmen de Bizet. Vous savez que dans Carmen, qui est à l’origine une nouvelle de Prosper Mérimée, l’héroïne est poignardée à la fin de l’opéra Don José qui est fou de jalousie. Or pour les « pieds nickelés » du théâtre florentin, il ne peut être envisagé au XXième siècle d’applaudir le meurtre d’une femme. Cette remarque défie le sens, on applaudit la puissance dramatique de l’opéra par le meurtre d’une femme. Mais la mise en scène de Leo Muscato nous livre une Carmen qui tire sur son ancien amant pour se défendre et le tue.

Pour Emmanuel Pierrat et pour moi, amputer cet opéra de son dénouement tragique est une trahison et une censure du chef d’œuvre de Georges Bizet.

Dans le premier chapitre « Cachez ces auteurs et ces artistes que je saurais voir » Emmanuel Pierrat pose cette question (page 15) :

« Peut-on encore distinguer une œuvre et la vie de son auteur ? [car] une nouvelle morale semble prendre le pas sur la raison. Certains veulent désormais censurer des créations culturelles au motif que leurs auteurs, voire leur interprètes, auraient eu un comportement moralement blâmable »

Car ces auteurs n’ont, pour la plupart, pas été condamné par la justice et même dans ce cas une fois subi la sanction de la justice, toute personne condamnée à le droit de se réinsérer dans la société. Enfin, il faut distinguer l’œuvre et l’auteur.

Il cite les films de Polanski quel que soit leur propos, ne seraient plus programmables. C’est comme pour Woody Allen pour lequel les appels au boycott se multiplient.

De même deux expositions consacrées à Chuck Close et Thomas Roma, deux artistes américains de renom aux prises avec #MeToo ont été annulées par le National Gallery of Art de Washington.

Alors que dans tous ces cas les œuvres ne posent pas problème, mais on veut interdire l’auteur.

Le deuxième chapitre s’intitule « Cachez la couleur de l’auteur » et Emmanuel Pierrat de citer de multiples exemples où il n’est plus accepté que l’on puisse défendre une cause, réaliser une œuvre artistique au profit d’une cause si l’on n’a pas les caractéristiques ethniques de celles et ceux qui ont subi les violences que l’on dénonce.

Par exemple :

« Au printemps 2007, à l’occasion de la biennale du Whitney Museum de New York. La toile « Open Casket », signée Dana Schutz, s’inspirait d’un cliché très connu du visage déformé d’Emmet Till, un adolescent lynché en 1955. Le hic ? Dana Schutz est une artiste blanche, que plusieurs groupes d’activistes ont accusé de battre monnaie avec un « spectacle dont , en Caucasienne, elle n’a jamais eu à affronter la terrible expérience. La destruction du tableau était demandée et, faute de l’obtenir, les militants se sont relayés pour le masquer aux visiteurs. » (page 34)

Vous voyez une reproduction de cette toile et <Ici> un article qui parle de cet évènement.

« En 2017 ; c’est aussi le film Detroit de Kathryn Bigelow qui se voyait stigmatisé. Son tort ? avoir pour sujet les émeutes raciales de l’été 1967, mais surtout, avoir été réalisé par une cinéaste blanche. Le fait qu’elle soit une femme : sans importance ? oscarisée ? Presque un défaut. » (page 35)

Il n’y a pas que les noirs, dans une pièce de théâtre on a reproché à un metteur en scène d’avoir confié le rôle d’un bossu à l’acteur avec lequel il avait l’habitude de travailler et non à un bossu. (page 37)

Ne croyez pas que la France soit épargnée :

« En août 2016 déjà, un camp d’été « décolonial » était interdit aux personnes blanches car il était « réservé uniquement aux personnes subissant à titre personnel le racisme d’État en contexte français » (page 36)

Ce mot du jour est déjà particulièrement long et je vous renvoie vers les émissions données en lien et bien sûr à ce petit ouvrage de 158 pages. « Nouvelles morales, nouvelles censures »

Un dernier exemple cependant dans le chapitre « cachez ces livres pour enfants » (page 10) où il rappelle :

« Dans les années 1990, le Front national, lorsqu’il avait gagné quelques mairies du sud de la France s’était lancé dans une croisade contre certains livres proposés dans les bibliothèques municipales. Des années plus tard, en 2014, c’est au tour de Jean-François Copé de vouloir jeter « Tous à poil ! » dans un autodafé médiatique. »

Ces nouvelles censures sont bien plus insidieuses que les anciennes, par la peur des sanctions financières ou tout simplement la crainte des ennuis et des insultes ces manœuvres aboutissent de plus en plus à des réactions d’auto censure qui donnent finalement la victoire aux censeurs à l’esprit étroit qui s’agitent dans ce monde.

Je finirais par la conclusion du livre :

« La culture nous est vitale. Dans sa diversité, avec ses travers, ses hauts et ses bas, ses chefs-d’œuvre et ses classiques, ses avant-gardes et son passé.
C’est ce qui nous fait réfléchir, nous rend humains, nous fait vibrer. C’est une boussole qui nous guide vers la liberté et la créativité.
Ne perdons pas le cap. »

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Vendredi 26 octobre 2018

« Le prénom n’a rien d’anodin. Il touche à l’intime, et raconte infiniment plus que ce qu’on pourrait croire. »
Catherine Vincent, journaliste du Monde

Et dans l’émission de Thierry Ardisson qui aime le buzz, le polémiste Eric Zemmour lança à la chroniqueuse Hapsatou Sy :

« Votre prénom est une insulte à la France. »

Et une longue polémique s’en suivit. Dans sa rhétorique, comme dans ses provocations Eric Zemmour est absolument insupportable. Dire à quelqu’un que son prénom, le nom par lequel, dès son plus jeune âge, sa mère et son père l’ont appelé est une insulte ne peut qu’être que blessant.

Auparavant, il y avait eu ces échanges :

Hapsatou Sy : « Je m’appelle Hapsatou »

Éric Zemmour : « Eh bien votre mère a eu tort »

Hapsatou Sy : « Vous vouliez qu’elle m’appelle Marie ? »

Éric Zemmour : « Absolument, c’est exactement ce que je veux. Votre mère a eu tort (…) Corinne, ça vous irait très bien. »

Eric Zemmour voudrait que Hapsatou Sy s’appelât Corinne Sy.

Venant de lui c’est absolument inécoutable.

Mais quand Marceline Loridan-Ivens dit exactement la même chose, est-ce écoutable ?

Dans cet extrait de l’émission <de la Grande Librairie>, elle raconte certes sur un autre ton et dans un tout autre esprit que son père a tenu à donner des noms français à ses filles pour qu’elles soient pleinement françaises : Marceline, Henriette, Jacqueline et elle valide ce choix. Son père ajoutait qu’elles pourraient aussi s’appeler Sarah, Myriam, mais dans l’intime, dans la famille non dans l’espace public. Et en plus dans cet extrait, elle dit, que selon elle, c’est une erreur de ne pas le faire.

C’est une vraie question que celle de donner un prénom de la tradition du pays où on habite ou de donner un prénom conforme à ses origines ethniques ou religieuses.

Je n’ai pas d’avis tranché sur ce sujet.

Mais ce qui est certain, c’est comme l’écrit la journaliste du Monde, Catherine Vincent dans son article au sujet du prénom : « Le prénom n’a rien d’anodin » :

« Moins anodin qu’on ne pourrait le croire, le prénom en dit long sur l’époque et le lieu où nous sommes nés et sur ceux qui nous l’ont donné. […] le prénom n’a rien d’anodin. Il touche à l’intime, et raconte infiniment plus que ce qu’on pourrait croire. Sur nous-mêmes, sur ceux qui nous l’ont donné, sur l’époque et le lieu où nous sommes nés, sur la classe à laquelle nous appartenons – en un mot, sur notre histoire privée et publique. »

Pendant longtemps, en Occident, le choix du prénom suivait des règles et des contraintes fortes

« Dans notre culture occidentale, le choix fut longtemps plus restreint. Le prénom avait pour rôle de porter un message familial et ­social. Et surtout, de désigner le descendant qui assurerait la survie économique de la ­lignée – ce qui impliquait la sauvegarde du patrimoine et la concentration des capitaux.

Dans une étude menée au début des années 1980, l’anthropologue Bernard Vernier a montré comment était autrefois régi le système de parenté de Karpathos, une île grecque du Dodécanèse. Dans chaque famille, le premier-né des garçons héritait de son père et portait le prénom de son grand-père paternel, tandis que la première-née des filles héritait de sa mère et portait le prénom de sa grand-mère maternelle – les prénoms attribués aux suivants provenant ensuite alternativement du stock paternel ou maternel.»

La révolution française a créé un service d’état civil indépendant de l’Église et a vraiment créé le « prénom ». Avant il s’appelait « le nom de baptême ». D’ailleurs les gens du peuple ne fêtaient pas l’anniversaire de leur naissance car il n’en connaissait pas la date. La date qui était portée dans les registres de l’église était la date du baptême. Et ce qui était fêté, c’était la fête du Saint dont on portait le nom :

« Qu’il concerne l’aîné ou les cadets, le choix du prénom, pendant longtemps, a donc été ­ étroitement contraint par l’histoire familiale – mais aussi par l’Église. En France, il faut d’ailleurs attendre 1792, et la sécularisation de l’état civil, pour que le terme même de « prénom » commence à s’imposer : on parlait jusqu’alors de « nom de baptême ».

Historiquement, le nom de baptême avait été imposé par l’Église chrétienne dès les premiers siècles de notre ère, remplaçant ainsi l’usage romain des noms multiples. Dans un premier temps, les parents purent choisir ­librement le nom de baptême de leurs ­enfants. Puis, à partir du Xe siècle, il leur fallut exclusivement piocher dans le registre des saints, le martyrologe. »

« Avec l’école obligatoire, le service militaire et l’établissement de carnets d’identité, le XIXe siècle instaure progressivement l’usage d’un seul nom et d’un seul prénom – lequel nous définit désormais dans toutes les situations.

S’il n’est plus forcément tiré du martyrologe, il n’en reste pas moins, à cette époque, encadré de façon stricte par la loi du 11 germinal an XI (1er avril 1803), qui autorise seulement « les noms en usage dans les différents calendriers, et ceux des personnages connus de l’histoire ancienne ». »

« Deux siècles plus tard, la situation a changé du tout au tout ! Les prénoms s’inventent, se composent, viennent d’ailleurs, prennent des consonances exotiques au libre choix des ­parents. Il faut attendre 1993 pour que cette évolution soit inscrite dans notre code civil, qui ne restreint désormais ce choix qu’a posteriori, sur intervention du procureur de la ­ République, lorsque ces prénoms paraissent à l’officier de l’état civil « contraires à l’intérêt de l’enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur patronyme ». Mais la libéralisation du droit a commencé bien avant, qui donne progressivement, depuis les années 1950, la maîtrise du choix aux parents plutôt qu’à l’Etat. »

Le prénom dit aussi quelque chose de la classe sociale :

« Certains – Astrid, Diane, Stanislas – restent majoritairement cantonnés aux beaux quartiers, d’autres sont plébiscités par les classes populaires : ce sont souvent des prénoms anglo-saxons rendus célèbres par les séries américaines, comme Dylan ou Kevin.

Baptiste Coulmont, qui calcule chaque année le taux de mentions « très bien » obtenues par les ­candidats au baccalauréat, observe ainsi qu’en 2016, plus d’un quart des candidates prénommées Esther ou Diane ont obtenu une mention « très bien », soit dix fois plus que les candidats prénommés Steven ou Sofiane. […]

Le prénom reflète partiellement la hiérarchie sociale, et donc la chance de réussite des uns et des autres. Et si nombre d’entre eux traversent toutes les couches ­sociales, ils ne le font pas au hasard, mais ­selon une dynamique bien précise.

Dans un article publié en 1986 sous le titre « Les enfants de Michel et Martine Dupont s’appellent Nicolas et Céline », Guy Desplanques, démographe à l’Insee, montrait ainsi, sur la base des prénoms à la mode, une stratification sociale des goûts. « La diffusion d’un prénom commence dans les couches sociales élevées et moyennes, notait-il. Puis les autres groupes sociaux emboîtent le pas : d’abord les professions intermédiaires et les artisans et commerçants, puis les employés et les ouvriers, enfin, avec un peu de retard, les agriculteurs. » »

Et la journaliste en arrive enfin à la manière dont les parents issus de l’immigration nomment leurs enfants :

«C’est dans ce contexte touffu qu’il faut analyser la manière dont les immigrés, les enfants d’immigrés et petits-enfants d’immigrés nomment leur descendance. […]

Dans un numéro de la revue Annales de ­démographie historique (« Nommer : enjeux symboliques, sociaux et politiques », 2016, n° 131), Cyril Grange, enseignant-chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste de la parenté, rappelle les quatre scénarios principaux auxquels peuvent être confrontées les populations étrangères dans leur pays d’accueil :

  • l’acculturation forcée (exemple : en 1984, la ­direction du Parti communiste bulgare ­obligea tous les Turcs à « bulgariser » leurs noms) ;
  • la ségrégation forcée (dans l’Allemagne nazie, les juifs n’ayant pas un prénom permettant de les distinguer comme tels ­durent y adjoindre le prénom Israël pour les hommes, Sarah pour les femmes) ;
  • l’acculturation volontaire (adoption sans contrainte de prénoms issus du groupe ethnique dominant) ;
  • la ségrégation volontaire (désir d’une minorité d’exprimer son identité au travers de prénoms ethniques).

Dans nos sociétés libérales, le scénario de l’acculturation volontaire est, de loin, le plus fréquent : en une génération, deux tout au plus, les familles choisissent majoritairement des prénoms en vigueur dans leur pays d’accueil.

Et la journaliste conclut avec une histoire particulière qui concerne le « métèque » Moustaki et son admiration pour Brassens

« Dans un entretien donné à Libération à l’occasion de la sortie de son ouvrage La Méditerranée. Mer de nos langues (CNRS Editions, 2016), le linguiste Louis-Jean Calvet évoquait ainsi les pérégrinations de celui de son ami Moustaki. « Né à Alexandrie d’une famille juive grecque mais de langue italienne, baptisé Giuseppe par ses parents, inscrit à l’état civil égyptien sous le nom de Youssef, appelé à l’école française Joseph, puis Jo, un diminutif qui a fait croire, lorsqu’il est arrivé en France, qu’il s’appelait Georges, ce qu’il a laissé faire par admiration pour Brassens. » »

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Mercredi 24 octobre 2018

« Dans des sociétés grisonnantes, le poids politique des personnes âgées augmentera constamment et dans des économies en mutation rapide, leur capacité à s’adapter périclitera »
Edoardo Campanella

Brice Couturier a lors de sa chronique du 19 octobre 2018 évoqué un article d’un universitaire espagnol Edoardo Campanella qui explique une partie de la montée du populisme dans les pays occidentaux par l’attitude d’une majorité de seniors dont le poids démographique est de plus en plus prégnant dans le corps électoral de nos démocraties.

La réalité électorale est que les jeunes générations se désintéressent en grande partie du processus électoral qu’ils estiment sans grand intérêt.

Contrairement aux personnes âgées qui continuent à accomplir leur devoir d’électeur bien davantage que leurs enfants et petits-enfants.

A cette réalité comportementale, s’ajoute le fait que leur nombre devient intrinsèquement plus important du fait du vieillissement démographique des Européens.

Edoardo Campanelle explique dans son article « Le populisme des retraités va-t-il s’installer ? » sur le site de « project-syndicate » :

« Le populisme de droite qui a surgi ces dernières années dans de nombreuses démocraties occidentales pourrait durer bien plus qu’un feu de paille dans le paysage politique. Au-delà de la crise économique mondiale déclenchée en 2008 puis de la crise migratoire, qui créèrent toutes deux le terreau fertile des partis populistes, le vieillissement de la population occidentale va continuer d’infléchir les dynamiques politiques en faveur des populistes.

Il apparaît, en effet, que les électeurs âgés sont plutôt sympathisants des mouvements nationalistes.

Au Royaume-Uni, les personnes âgées ont voté massivement en faveur du départ de l’Union européenne, et ce sont elles qui, aux États-Unis, ont offert la présidence à Donald Trump. Ni le parti Droit et justice (PiS) en Pologne, ni le Fidesz en Hongrie ne seraient parvenus au pouvoir sans le soutien enthousiaste des plus vieux. Et en Italie, la Ligue doit son succès, en bonne part, à la façon dont elle a su exploiter le mécontentement du troisième âge dans le Nord. »

Il reconnait cependant qu’il existe des exceptions à cette règle, notamment en France et au Brésil :

« Seule Marine Le Pen, du Rassemblement national (ex Front national) en France – ainsi, peut-être, que Jair Bolsonaro au Brésil – peut compter, parmi les populistes de l’heure, sur le soutien des jeunes électeurs. »

En France au premier tour, Macron a réalisé un score de 23,7% mais les 60-69 ans ont voté à 26 % pour lui et ceux de 70 ans et plus à 27%. Il faut noter que ce dernier vote (celui des 70 ans et plus) s’était porté quasi majoritairement sur Fillon (45%). En France, les plus de 70 ans ont donc voté massivement (72% quand même) pour les deux candidats qui souhaitaient le plus réformer ou s’attaquer à l’Etat providence, vous choisirez le verbe qui vous va le mieux selon vos convictions politiques.

On pourrait aussi dire que c’était les deux candidats qui rassuraient le plus ou inquiétaient le moins, le monde économique.

Mais la France fait, pour l’instant encore, figure d’exception selon Edoardo Campanelle :

« Le plus probable est qu’un sentiment croissant d’insécurité pousse les plus âgés dans les bras des populistes. Si l’on met de côtés les particularismes de chaque pays, les partis nationalistes proposent tous de contenir les forces de la mondialisation, qui affectent plus que les autres les personnes âgées. »

Dans la plupart des autres pays, les personnes âgées ne sont pas vraiment en phase avec les aspirations des leaders économiques et plutôt que des réformes de l’état social, ils réclameraient selon l’universitaire espagnol plutôt davantage d’autorité et de fermeté pour lutter contre l’insécurité et l’immigration.

Campanelle pointe trois raisons

  • L’attachement aux valeurs traditionnelles et à un monde connu qui leur parait trop bousculé par l’apport d’immigrés venant d’autres civilisations ;
  • La peur des travailleurs vieux d’être exclus du marché du travail et ne plus trouver leur place dans le monde économique d’aujourd’hui ;

« De même, la mondialisation et le progrès technologique perturbent souvent les industries traditionnelles ou qui reposent sur un savoir-faire, où l’expérience est un facteur d’emploi. L’essor de l’économie numérique, où dominent les trentenaires, voire les moins de trente ans, relègue aussi vers les marges les travailleurs plus vieux. Mais à la différence d’autrefois, les systèmes de retraite, qui se décomposent, ne peuvent plus absorber ces chocs du marché du travail. En conséquence, les travailleurs les plus vieux qui perdent leur emploi sont condamnés au chômage de longue durée.  »

Enfin, la crainte, qui n’est pas infondée, sur la pérennité et le niveau des pensions de retraite :

« En outre, les retraités ont aujourd’hui des raisons de craindre la menace pour leurs pensions que représentent leurs propres enfants. Les jeunes, insatisfaits de systèmes économiques qui jouent clairement en faveur des retraités, commencent à revendiquer une redistribution plus équitable entre générations de ressources devenues plus rares. Ainsi le Mouvement 5 étoiles italien, qui gouverne en coalition avec la Ligue, a-t-il récemment appelé à la création d’un « revenu citoyen », qui serait octroyé à toute personne au chômage, sans critère d’âge. Alors que les populistes de droite attirent à eux les électeurs âgés, les populistes de gauche ont gagné des partisans dans les générations plus jeunes. »

L’ensemble de ces « préoccupations » qui sont réelles constitue pour les partis politiques nationalistes une ressource dont ils usent pour convaincre l’électorat âgé de voter pour eux :

« De ce fait, les politiciens nationalistes recourent souvent à une rhétorique de la nostalgie, grâce à laquelle ils mobilisent leurs partisans âgés. Pour sa part, Trump a promis de ramener des emplois dans la « ceinture de la rouille », qui fut autrefois le centre de l’industrie manufacturière américaine. De même, on ne saurait trouver de symbole plus clair de la résistance au changement que le mur qu’il propose de construire à la frontière des États-Unis et du Mexique. Et la répression qu’il a engagée contre l’immigration illégale ainsi que l’interdiction d’entrer aux États-Unis imposée aux ressortissants de pays à majorité musulmane montrent son adhésion à une nation américaine « pure ».

En Europe continentale, les populistes de droite veulent eux aussi revenir en arrière, au temps d’avant l’euro et de l’espace Schengen de libre circulation dans la plupart des pays de l’Union. Et ils tentent de séduire directement les électeurs âgés en promettant d’abaisser l’âge de la retraite et d’augmenter les pensions (ce sont deux mesures phares de la Ligue italienne). »

On ne peut que souscrire à l’expression du défi qui se pose aux sociétés modernes :

Quoi qu’il en soit, la vague populiste est à tel point gonflée par la démographie qu’elle n’est probablement pas prête d’atteindre son point culminant. Dans des sociétés grisonnantes, le poids politique des personnes âgées augmentera constamment ; et dans des économies en mutation rapide, leur capacité à s’adapter périclitera. Les électeurs les plus vieux demanderont par conséquent de plus en plus de sécurité socio-économique, et des populistes irresponsables attendront en embuscade pour s’attirer leurs bonnes grâces.

Edoardo Campanelle se pose la question de ce qu’il convient de faire. Sa vision libérale plairait probablement à Emmanuel Macron puisqu’il donne l’injonction aux « personnes âgées » de se prendre en charge et d’être prêt de faire face aux perturbations actuelles, la politique devant simplement les aider à réaliser ces objectifs.

« Peut-on faire quelque chose ? Pour contenir la marée nationaliste, les partis traditionnels doivent instamment élaborer un nouveau pacte social qui puisse répondre au sentiment d’insécurité croissant des électeurs les plus vieux. Ils devront trouver un meilleur équilibre entre ouverture et protection, innovation et régulation ; et ils devront le faire sans tomber dans le piège régressif tendu par les populistes.

La réponse ne réside pas dans l’étouffement des forces de la mondialisation, mais dans la capacité à les rendre plus tolérables. Les citoyens de tous âges doivent être prêts à faire face aux perturbations actuelles et futures. En ce sens, il est préférable d’aider les personnes âgées à se prendre en charge plutôt que de se contenter de les protéger. Pour la plupart, les économies avancées ne pourront tout simplement pas se permettre d’allouer de nouvelles et énormes prestations à un groupe d’intérêts surdimensionné. Qui plus est, les mesures qui rendent les gens dépendants de quelque forme que ce soit de soutien extérieur posent, pour le moins, un problème moral.

Au lieu de cela, les gouvernements devraient s’attacher à renforcer les qualifications de la main-d’œuvre âgée, en créant plus d’opportunités pour qu’anciennes et jeunes générations puissent travailler ensemble, et en responsabilisant les perturbateurs du marché du travail sur les conséquences socio-économiques de leur activité. Les aides aux plus vulnérables ne devraient être accordées qu’en dernier ressort. »

La solution n’est certes pas simple.

Et je crains que cette prédiction : « ,Les économies avancées ne pourront tout simplement pas se permettre d’allouer de nouvelles et énormes prestations à un groupe d’intérêts surdimensionné. » se réalise.

Mais la capacité de s’adapter des personnes âgées dont parle Campanelle doit quand même être observée avec bienveillance.

La question qui se pose de plus en plus est de savoir quelle place la société laisse aux vieux.

Dans le monde du travail déjà cette question se pose, je ne crois pas raisonnable de croire qu’une personne de 30 ans et une personne de 60 ans soient interchangeables. Certes il faut s’adapter le mieux qu’on peut, mais je pense que si on suit simplement les conseils de cet universitaire espagnol et on laisse faire les règles de l’économie moderne on trouvera assez rapidement que l’employé de 60 ans n’est pas assez compétitif et que le mieux s’est de s’en débarrasser au plus vite. Le marché de l’emploi fonctionne d’ailleurs ainsi en grande partie.

Il faut réfléchir à la place des vieux dans une société qui vieillit. Et pas seulement dire qu’ils n’ont qu’à faire comme les jeunes.

Sinon je pense que les forces nationalistes et populistes verront s’ouvrir des boulevards à leurs ambitions politiques.

Et hélas, ils ne disposent d’aucune solution raisonnable et pérenne.

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Lundi 22 octobre 2018

« Une enfance heureuse »
Marie-Françoise Seyler

Nous vivons une époque de mutation considérable mais ce n’est pas la première fois que notre société a été confrontée à ce type d’évolution : d’un monde connu vers un nouveau monde.

Ce fut le cas de nos ainés qui venaient du monde rural et se sont intégrés dans le monde urbain, c’est ce qu’on a appelé l’exode rural.

Wikipédia nous apprend que c’est entre 1850 et 1860 que la population rurale française avait atteint son maximum (en valeur absolue) avec 26,8 millions de ruraux. À partir de cette date, les effectifs de la population rurale ont commencé à décroître en France. La France a d’ailleurs connu un exode rural plus tardif que les autres pays d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord.

Pour Marie-Françoise Seyler que nous appelions Françoise, cet exode fut encore plus tardif puisqu’elle raconte dans ce livre « Une enfance heureuse » le début de sa vie au milieu du XXème siècle dans une famille agricole vivant dans un village au pays de Bitche : Petit-Réderging.

Elle raconte comment pour financer les études d’un enfant, son père vendait une bête et la réalité de la vie villageoise de cette époque.

Dans la préface de ce livre son frère Jean-Marie, relate comment il expliquait à ses enfants : « J’ai connu le Moyen Âge ».

J’ai rencontré Françoise en 1976, en arrivant à Strasbourg pour poursuivre des études.

Annie a rencontré Françoise un an plus tard.

Parfois Annie et moi nous croisions dans la maison de Françoise, sans jamais nous remarquer.

Après plus de 10 ans, en 1988, Françoise a conseillé à Annie de s’intéresser à moi et depuis nous vivons ensemble.

Lorsque chacun de nos enfants est né, c’est Françoise qui est venu pour nous aider, nous conseiller et être là tout simplement.

C’est encore elle qui nous a appris et a fait avec nous les merveilleux gâteaux de Noël alsacien.

Et au-delà du matériel, nous avons échangé tant de choses immatérielles lors de nos rencontres dans lesquelles sa bienveillance, son humanisme, son éthique étaient comme un phare qui permettait d’éclairer la route.

Michel Rocard a écrit : « Dans les cinq plus beaux moments d’une vie, il y a un (ou des) coup(s) de foudre amoureux, la naissance d’un enfant, une belle performance artistique ou professionnelle, un exploit sportif, un voyage magnifique, enfin n’importe quoi, mais jamais une satisfaction liée à l’argent. »

C’est ainsi qu’Annie et moi avons vécu l’amitié de Françoise : un des plus beaux moments de notre vie.

Pendant de nombreuses années elle a affronté son terrible cancer, les yeux ouverts plein de lucidité et de force. Elle continuait à voyager, à faire de longues randonnées et finalement aussi écrire.

Puisqu’elle a écrit un autre livre sur la vie d’antan à la campagne : « couleurs des saisons » et un roman toujours sur ce sujet du lien entre le monde rural d’hier et le monde d’aujourd’hui : « Le nouveau monde d’Anna », un autre livre a été écrit et devrait être édité prochainement.

Jusque dans son dernier combat avec la mort, elle fut pour nous un exemple et une leçon de vie. Sa cérémonie d’Adieu eut lieu le jour où j’entrais dans ma soixantième année.

Le vrai tombeau des morts est le cœur des vivants.

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Mercredi 26 septembre 2018

« Snow-Trampoline, aquaponey, chessboxing, footgolf»
Sports destinés à des gens qui ont du mal à choisir une seule discipline

Comme lundi, c’est la revue de presse de Frédéric Pommier qui me donne le sujet du mot du jour d’aujourd’hui.

C’était l’émission du 15 septembre 2018 qui s’est intéressé aux sports qui combinent deux disciplines :

« Lorsqu’on veut faire du sport, et que l’on hésite entre deux disciplines, il existe une solution : c’est de pratiquer les deux en même temps.

Vous souhaitez faire du ski de fond, et en même temps du tir à la carabine : inscrivez-vous dans un club de biathlon !

Vous souhaitez faire du hockey, et en même temps de la nage sous-marine : inscrivez-vous dans un club de hockey subaquatique !

Vous aimez le snowboard, et en même temps le trampoline : faites du « Snow-Trampoline » ; on rebondit les deux pieds chaussés d’une planche.

Dans le même genre, il y a bien sûr l’aquaponey – de l’équitation en piscine, ou encore le « chessboxing »… Là, il s’agit de mixer un sport et un jeu cérébral. La boxe et les échecs. Un round de boxe, un round d’échec, et il y a « échec et mat » dès que l’un des joueurs est KO.

Et puis un autre sport a fait récemment son apparition en France : le footgolf

Une pratique née au Pays-Bas. Ça se joue sur un terrain de golf, mais les trous sont plus larges, puisqu’on ne joue pas avec des balles, mais avec des ballons, les pieds se substituant aux clubs. Vous aimez le foot, et en même temps le golf : faites donc du footgolf !

C’est ce à quoi nous invite ce matin le journal de Saône et Loire, dont l’un des journalistes a tenté l’expérience. Il a trouvé ce double-sport très distrayant !

La solution pour ceux qui n’arrivent pas à choisir. »

Wikipedia nous apprend que le chessboxing a été imaginé en bande dessinée par Enki Bilal dans son album Froid Équateur en 1992.

<Ce site de la fédération de footgolf> précise que ce sport a été créé en Hollande en 2009 et qu’il est aujourd’hui en plein essor dans le monde. Déjà 35 nations ont créé leur fédération. Et sur 26 nations engagées, la France a terminé 9ème de la Coupe du monde 2016 organisée en Argentine.

On peut trouver des vidéos qui montrent ce que cela donne. Par exemple : <FOOTGOLF FRENCH OPEN 2018>..

Et je vous laisse découvrir les légendes de l’aquaponey sur le <site de la fédération d’aquaponey>

Le sport est bon pour la santé et en plus permet d’occuper son temps libre.

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Jeudi 6 septembre 2018

« Un petit démon »
Léonard Bernstein parlant de sa sexualité

C’est dans le documentaire diffusé par ARTE et que j’ai évoqué lundi, que j’ai appris que Bernstein avait eu cette expression en parlant de lui.

Dans le documentaire, ce propos est d’ailleurs ambigüe car un auditeur non averti pourrait penser qu’il parle de son homosexualité, voire de sa bisexualité parce qu’il était question de cela au moment où cette phrase a été rapportée.

Il n’en n’est rien, Bernstein assumait son homosexualité.

Je n’ai lu qu’une fois explicitement, dans un article français, la réalité qui se cachait derrière cette expression « un petit démon ». Peut-être que la biographie anglaise, non traduite en français, de Meryle Secrest : « Leonard Bernstein, a life » est plus explicite, mais dans la biographie française qui fait autorité, celle de Renaud Machart chez « Actes Sud » le sujet est abordé de manière très elliptique dans un petit paragraphe à la page 17 d’un ouvrage qui en comporte plus de 200 :

« Il y eut, toujours, le goût des hommes, qu’il n’a jamais caché alentour et à sa femme Felicia, d’une grande beauté et d’une fine élégance, avec laquelle il allait former en 1951, l’un des couples les plus sémillants d’Amérique. Le musicien était véritablement attaché à sa famille et à ses trois enfants, Jamie, Alexander et Nina. Il lui fallait sûrement, pour accepter vraiment cette manière de mise sous surveillance de sa propre liberté, des échappées vers l’autre part de lui-même. Décrit par beaucoup comme un prédateur sexuel, celui qui n’hésitait pas à parler aux musiciens de « battement pelvien », voulait aussi être père poule […]

Tous ceux qui l’ont connu parlent de l’énergie incroyable de l’homme, de sa présence physique. Bernstein donnait l’accolade mais plus souvent embrassait volontiers sur la bouche, femmes comme hommes. Sa réaction au moindre soupçon de résistance était d’embrasser encore plus fort, écrit le critique John Rockwell. »

Il faut être attentif, au détour d’une phrase il est possible de comprendre. Dans le mot du jour de lundi, je citais un journaliste dans le magazine Diapason de juillet/août 2018, qui parle de sa culpabilité après la mort de son épouse et ajoute :

« Rien ne l’apaise. Le monde est plein de jolis garçons qu’il consomme sans respirer… ».

Alors tout cela est noyé dans un discours exalté et enthousiaste :

« Diriger c’est comme faire l’amour : nous tous, moi au pupitre, les musiciens et les chanteurs à leur place, nous faisons l’amour chaque fois que nous jouons. Mes musiciens sont mes amants. J’en ai beaucoup c’est vrai… Mille amants en même temps ! »

Magazine Répertoire de septembre 1998, page 13

Evidemment que ce discours représente une réalité virtuelle, un monde de rêves et d’images.

Le problème est que dans ce domaine, Leonard Bernstein ne savait pas faire la part du virtuel et de la réalité. Il était donc un consommateur compulsif de jeunes et beaux hommes rencontrés dans les orchestres, sur les scènes de spectacle. Bien sûr il était si charismatique, si beau, si séducteur, si convaincant que personne ne lui résistait. Pouvons-nous en être si sûrs, qu’ils étaient tous consentants ?

La raison et l’expérience doivent nous contraindre à répondre non. Mais personne ne résistait à Leonard Bernstein.

Aujourd’hui, il est probable qu’un tel comportement ne serait plus possible et il aurait de gros ennuis.

Après l’affaire Weinstein, le monde de la musique classique a été éclaboussé, des chefs d’orchestre très connus ont été mis en cause.

L’opéra de New York, le Metropolitan Opera, a suspendu son chef d’orchestre historique, James Levine, car plusieurs hommes, dont certains étaient mineurs au moment des faits, l’ont accusé de harcèlement et de viol.

Norman Lebrecht est un écrivain, et critique d’art, il a écrit un article : < Did Leonard Bernstein have a James Levine problem ?>, « Leonard Bernstein avait-il un problème du même type que James Levine ? »

Après avoir accepté d’écrire que Bernstein a certainement poursuivi des jeunes hommes toute sa vie d’adulte, il arrive à la conclusion que toute ressemblance entre Levine et Bernstein est purement superficielle et la raison qu’il donne est que la différence entre Bernstein et Levine est que Bernstein était, pour la plus grande partie de sa vie, physiquement attrayant et intellectuellement convaincant.

Certes Leonard Bernstein était nettement plus séduisant et beau que James Levine. Mais on peut ne pas vouloir accepter les avances sexuelles même de quelqu’un de beau et on peut même ne pas désirer avoir des relations homosexuelles quand on est hétéro sexuel et je m’empresse d’écrire que le contraire est tout aussi vrai.

Le site de France Musique est revenu sur l’affaire Levine et a aussi évoqué des sujets de harcèlement dans le monde musique suédois et plutôt que de suivre les arguments de Norman Lebrecht je préfère le constat de Sofi Jeannin qui avance le problème du « culte du génie » pour lequel « on excuse encore des comportements et des excès »

Tout ceci n’enlève pas le talent, la magie de ses interprétations et le génie d’une grande part de ses œuvres, ainsi que la part d’humanisme qu’il portait et défendait.

Cela conduit à constater la complexité du personnage et ne pas occulter sa part d’ombre.

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Jeudi 28 juin 2018

«L’ampleur des données génétiques aujourd’hui disponibles sur les sites rend quasiment impossible la protection des informations personnelles»
Arthur Caplan, directeur du département de bioéthique à l’université de médecine de New York

Vous savez bien que les États-Unis sont toujours en avance sur nous. Il apparait donc pertinent de s’intéresser à ce qui se passe là bas pour savoir ce qui va se passer chez nous d’ici quelques années. Et comme le monde accélère, même plus rapidement que cela.

Quel a été un des cadeaux les plus tendances, aux États-Unis, en 2017 ?

Ce sont des tests ADN maison. On les appelle ainsi parce que ce n’est plus très cher et qu’on peut donc au lieu de s’offrir une photo ou une vidéo, plutôt s’offrir son profil ADN et même quelques informations supplémentaires.

Il existe des sociétés qui ont pour nom 23andMe, Ancestry, Family Tree DNA ou African Ancestry qui proposent, pour 80 euros, une recherche des origines ethniques. La société 23andMe va un peu plus loin et recherche des prédispositions à certaines maladies pour 170 euros.

Ce sont des kits ADN qu’on offre en cadeau ou qu’on achète puis ces sociétés font leur travail d’analyse et de recherche.

C’est un article du Monde qui m’a ouvert ces perspectives : <Aux Etats-Unis des profils ADN très peu confidentiels>

Tous les fidèles des séries américaines connaissent le concept des « cold cases », c’est-à-dire les « affaires non résolues ».

L’article du monde commence à raconter une histoire très morale, mais peut-être inquiétante aussi.

GEDmatch est une entreprise de taille modeste spécialisée dans les recherches généalogiques, située en Floride. Elle vend des Kits ADN et s’est créée une base de données.

Dans deux enquêtes anciennes, la Police disposait de traces ADN retrouvés sur les lieux de crime. Restés inexploitables pendant des décennies faute de correspondre à un profil répertorié dans les fichiers de la police, ces échantillons ont trouvé leur chemin dans les méandres de GEDmatch.

Alors vous pensez que les criminels stupides ont participé à un test ADN et que la police les a trouvés en donnant les échantillons qu’ils possédaient à GEDmatch.

Oui et non. La police a bien donné les échantillons à GEDMatch mais les criminels n’étaient pas stupides. Ils avaient simplement de la famille dont certains membres ont succombé à cette tendance de réaliser des tests ADN.

Et l’article du Monde explique :

« Les clients de cette entreprise, détentrice de leurs profils ADN, peuvent en effet rechercher dans l’immense banque de données du site les profils relevant de la même branche généalogique qu’eux afin de retrouver des membres de leur famille. Les policiers ont livré anonymement le génotype des deux criminels à GEDmatch, sans mandat et en profitant d’une zone grise du droit sur ces questions encore inexplorées. Puis, aidés de spécialistes, ils ont reconstitué un arbre ­généalogique, qui les a menés à des parents éloignés des suspects. Ils ont ensuite cherché, dans ces familles, les profils (âge, domicile à l’époque des crimes…) proches de ceux des suspects. »

Et c’est ainsi que Joseph James DeAngelo et William Earl Talbott, auteurs de crimes non résolus remontant aux années 1970 et 1980, ont été arrêtés à quelques jours ­d’intervalle.

Voilà une excellente nouvelle, deux histoires qui terminent bien, histoires parfaitement morales. Les américains vont certainement en faire un film…

Mais l’article du Monde continue :

« Beaucoup, aux Etats-Unis, ont été prompts à se réjouir de l’élucidation de ces cold cases grâce aux progrès technologiques et à l’incomparable base de données de GEDmatch. Néanmoins, ces événements sans précédent ­posent aussi de nouvelles questions éthiques et légales sur la protection de données aussi intimes qu’un profil ADN. D’autant qu’elles s’ajoutent aux inquiétudes déjà soulevées par la multiplication des tests ADN « maison », censés répondre aux interrogations de millions d’utilisateurs sur leurs origines ethniques, leurs parents biologiques ou leur santé.

Apparemment consciente des possibilités infinies ouvertes par ses services, la société GEDmatch prend la peine de prévenir ses clients que sa base de données peut être utilisée pour d’autres buts que la simple passion généalogique, et notamment pour la recherche d’auteurs d’un crime. Elle leur conseille donc de se désinscrire s’ils tiennent à la confidentialité de leurs données. La plupart, visiblement, n’en ont cure.

Ces affaires mettent pourtant en lumière un phénomène déjà observé avec Facebook et l’aspiration des données de millions de ses comptes par la société Cambridge ­Analytica : les informations qu’un individu fournit librement sur un site ou un réseau social dépassent largement sa propre personne. Sur Facebook, les données des « amis » des comptes concernés ont été ­récupérées, à l’insu de tous. Avec l’ADN, c’est le patrimoine génétique de toute une lignée qui est ainsi dévoilée. Sans que les proches ou lointains cousins en soient ni conscients ni avisés. »

Le monde cite Arthur Caplan, directeur du département de bioéthique à l’université de médecine de New York :

« L’ampleur des données génétiques aujourd’hui disponibles sur les sites rend quasiment impossible la protection des informations personnelles.»

Et l’article de continuer :

« La presse américaine regorge d’histoires de famille envenimées par les découvertes tirées des tubes à essai : un parent qui ne l’est pas vraiment, un ancêtre noir inattendu, la rencontre avec une fratrie inconnue… Surtout, chacun peut désormais recevoir par un simple courrier l’annonce qu’il court un risque élevé de contracter la maladie d’Alzheimer ou la fibrose kystique. Selon Susan Estabrooks Hahn, spécialiste de la maladie d’Alzheimer et membre de l’Association nationale des conseillers en génétique (ANCG), certains résultats peuvent être « source d’angoisse, écrit-elle sur le site de l’organisation, notamment lorsqu’il n’existe pas de remède pour la maladie identifiée ».

En outre certaines prédictions concernant la santé sont loin de pouvoir prétendre à l’exactitude

Il y a d’abord des appétits commerciaux et surtout un vide juridique considérable :

« Comme nombre d’experts, M. Caplan estime que les législateurs devraient se pencher sur le sujet afin que les données génétiques aujourd’hui facilement disponibles demeurent bien comprises et protégées. On en est loin, selon lui, « des protections existent mais ­elles ne sont pas assez complètes ». Des lois telles que le Genetic Information Nondiscrimination Act de 2008 interdisent aux employeurs de recruter, muter ou ­licencier les salariés en fonction d’informations génétiques. Et la couverture santé, ­l’Affordable Care Act, empêche les compagnies d’assurances de choisir leurs clients d’après leur ADN. Mais cette règle ne s’applique pas aux assurances-vie ou à celles liées aux handicaps, selon l’ANCG.

Le sénateur démocrate de New York Chuck Schumer a récemment appelé à un renforcement des contrôles sur les kits ADN. « Des clients peuvent, sans le savoir, mettre en danger leurs données génétiques si elles sont vendues à des tiers », a-t-il déploré. De leur côté, les sociétés assurent mettre en garde leurs clients. Le site de la société Ancestry prévient qu’elle peut utiliser, « avec votre consentement, vos informations pour des projets de recherche sur la généalogie ou le génome et pour des objectifs commerciaux internes ».

23andMe ­assure ne pas vendre les informations de ses clients et ne pas les utiliser à des fins de recherche « sans leur consentement personnel ». Mais, pour une société comme 23andMe, les revenus tirés de l’accès qu’elle offre à sa base de données sont primordiaux. L’entreprise a signé une vingtaine de partenariats avec des firmes pharmaceutiques et envisage de se lancer dans le développement de médicaments. »

Dans quel monde étonnant et inquiétant homo sapiens s’apprête-t-il à vivre dans le futur immédiat ?

De quels outils terrifiants vont pouvoir disposer les pouvoirs totalitaires ou simplement autoritaires qui se multiplient dans le monde. Parce que ces derniers temps, ce ne sont pas les démocraties libérales qui progressent.

Pour être concret il suffit de demander à un moteur de recherche (Qwant dans mon cas)

Et vous trouvez ce site pour <des tests de paternité> si vous avez des incertitudes ou au contraire si vous voulez avoir des certitudes.

Mais cela reste du niveau du théâtre de boulevard.

Si vous voulez en savoir davantage sur votre histoire, votre généalogie, j’ai trouvé ce site : <https://www.igenea.com/fr/home> a priori Suisse qui pourra vous guider, contre paiement bien sûr. Pour ma part, je n’irai pas vers cette voie.

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