Mardi le 7 mai 2024

« Je vis avec les mots […] Mourir c’est abandonner les mots et cela c’est terrible ! »
Bernard Pivot dans l’émission « L’Invité » de Patrick Simonin en mars 2021

Même Bernard Pivot est mortel, sa vie s’est arrêtée le 6 mai 2024, le lendemain de son 89ème anniversaire.

Le créateur et animateur des émissions de télévision qui ont rendu les français plus cultivés et instruits : « Apostrophes » (de 1975 à 1990) et « Bouillon de culture » (de 1991 à 2001) a fait l’objet de nombreux hommages dès l’annonce de sa disparition.

Je privilégie une émission plus ancienne, en mars 2021, lorsqu’il a été invité par Patrick Simonin pour parler de son avant dernier livre : « … Mais la vie continue ». Il parle de son grand âge et de ce travail difficile et en perpétuel évolution : vieillir.

« Quand on écrit un livre sur la vieillesse on connait chaque matin le sujet mieux que la veille, et moins bien que le lendemain »

Pour lui, le problème principal devient la santé :

« Les obsèques, on s’en fout. L’important est de vivre le plus longtemps possible et en bonne santé ! L’objet principal du livre est la santé.
A 80 ans passés, la question « Comment vas-tu ?», ce n’est plus une question de politesse, c’est une question médicale ! »

On sent dans cette émission sa passion intacte pour la vie, vivre au présent est pour lui une quête de tous les instants. Et il insiste sur le privilège acquis de la liberté, liberté de la maitrise du temps et liberté de parole :

« Le grand privilège de l’âge, par rapport au moment où on est dans la vie active […] c’est qu’on a la maîtrise de son temps et de son jugement. » […] Si vous avez envie de dire quelque chose vous le dites carrément. A 30 ou 40 vous n’osiez pas. »

Il insiste beaucoup sur cette liberté d’organiser son temps à sa guise.

« Ce qui est extraordinaire c’est la maîtrise du temps. Quand vous êtes jeune, vous avez toute la vie devant vous, vous avez des décennies devant vous et vous n’avez jamais le temps et quand vous êtes vieux vous n’avez plus beaucoup de temps devant vous, les années sont comptées et vous avez tout votre temps. !
Autrement dit à long terme on n’a jamais le temps et à court terme on a tout son temps. »

Et puis il parle des mots. Des mots qu’ils a tant aimé, qui ont été la sève de sa vie, les mots qui finissent avec la mort :

« C’est par amour des mots que nous sommes devenus écrivains ou journalistes. Les mots c’est notre matière première, ce sont nos amis, nos esclaves, ce sont nos fiancés, ce sont nos amants. Nous adorons les mots. […] Les mots cela peut-être du poil à gratter, comme cela peut être de la barbe à papa, cela peut être de la crème caramel comme du poivre de cayenne. […] Les mots sont à notre service, écrire c’est les réunir, les assembler, les biffer c’est un plaisir extraordinaire. Moi je vis avec les mots, trop souvent les gens ne se rendent pas compte que les mots font partie de notre vie, de notre atmosphère, de notre univers. Mourir c’est abandonner les mots et cela c’est terrible ! »

Les mots c’est aussi ceux que l’on oublie quand l’âge avance. Le mot qu’il aime le plus est « Aujourd’hui » en ajoutant qu’il lui plait beaucoup que ce mot comporte une « apostrophe » mais surtout parce qu’il désigne le présent qui était si important pour cet amoureux de la vie.

Il avait aussi beaucoup d’humour, il a écrit dans son livre : 

« Rire, ça fait fuir la mort ! »

Il faut ajouter, un certain temps…

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