Mercredi 26 février 2020

« On commencerait par la perruque, et à la fin de l’histoire, on l’enlèverait comme si de rien n’était.  »
Léonor de Récondo

Je continue à picorer dans le « Un » qui pose cette question qui pour certains est parfaitement stupide, qui pour d’autres entraîne une réponse affirmative évidente ;  « Les riches sont-ils trop riches ? »

Hier nous étions dans le concept : comment déterminer le seuil à partir duquel on est riche ?

Nous avons surtout compris que le plus souvent le riche c’était l’autre.

Et pourtant les grands philosophes nous le disent et nous le savons intimement : l’argent ne fait pas le bonheur. Ou plus exactement, il fait une partie du bonheur jusqu’à un certain niveau, mais au-delà plus du tout.

Aujourd’hui, à l’aide de Léonor de Récondo, je vous invite à regarder la grande richesse à hauteur d’homme.

Pour être précis, il ne s’agit pas de la richesse, mais du comportement d’hyper riches quand ils se laissent aller à exprimer pleinement leur hubris.

Le « Un » rapporte donc ce récit de Léonor de Récondo, qui fait débuter son récit à l’hôtel des menus plaisirs de Versailles :

« On commencerait par la perruque, oui c’est ça. On commencerait par la perruque, et à la fin de l’histoire, on l’enlèverait comme si de rien n’était.

L’histoire officielle débute au château de Versailles, quand les invités arrivent. Ils sont escortés, ni calèches ni valets, pas encore, ils sont pour l’instant dans des berlines noires avec chauffeur, et sur leur trente-et-un. Quand la nuit tombe sur ce 9 mars 2014, ils sont à la fois excités et anxieux de ce qui les attend. Les ors, du vin et des mets, et des privilèges qui ne les protègent ni de la vulgarité ni des artifices. Quelques heures en ce château pour se chauffer au miroitement du Roi-Soleil, pour croire à ce conte de fées mis en scène et en bouche, une fois dans leur vie.

L’histoire officieuse, la mienne, commence quelques heures auparavant à l’hôtel des Menus-Plaisirs, là où a été votée l’abolition des privilèges, on a du mal à y croire. On est une cinquantaine de danseurs, comédiens, figurants et une quinzaine de musiciens dont moi. On me trouve une robe, dentelles et couleurs pastel, coupe Louis XIV, ajustée à la taille, pigeonnante au décolleté, un peu élimée, maintes fois portée. On me dit qu’elle provient du stock de la Comédie-Française. Versailles et le Français, on se prendrait presque au jeu. Manquent encore le maquillage poudré blanc, rose aux joues, une mouche de velours noir, une « galante », me précise-t-on, sur la pommette. Et puis, le filet sur le crâne avant la perruque haute, blanche, guirlande de boucles sur la nuque, épingles qui scalpent, sourire de rigueur. »

Il s’agit de la fête d’anniversaire que Carlos Ghosn a organisé au château de Versailles le 9 mars 2014.

Carlos Ghosn affirme que cette fête a eu lieu pour les 15 ans de l’Alliance Renault-Nissan.

De manière factuelle, Carlos Ghosn étant né 9 mars 1954, cette date constituait le jour de son 60e anniversaire. La date officielle de l’anniversaire de l’Alliance est quant à elle le 27 mars.

L’« Obs » cher à jean Daniel a écrit un article éclairant : « La vidéo de la folle soirée d’anniversaire de Carlos Ghosn à Versailles ».

« Un travelling dans la galerie des Glaces où des convives en smoking ou robes de soirée et des figurants costumés comme au temps de Louis XIV regardent par les fenêtres un magnifique feu d’artifice tiré des jardins du château.

Voilà comment se termine une incroyable vidéo tournée à Versailles le 9 mars 2014, lors d’une grande soirée payée 634 000 euros par la filiale néerlandaise Renault-Nissan BV et organisée le soir des 60 ans de Carlos Ghosn. Un film de huit minutes et vingt secondes tout en lustre, dorures, et excès, […] De quoi conforter la conclusion des auditeurs du cabinet Mazars qui, après avoir scruté les comptes de la filiale Renault-Nissan BV, ont jugé que cette soirée était un événement privé et en aucun cas une fête pour les quinze ans de l’alliance comme avancé par Carlos Ghosn, même si c’était le thème officiel de l’événement et du discours d’accueil du PDG : ainsi que « l’Obs » l’avait révélé en février après avoir eu accès à la première liste d’envoi des invitations, de très nombreux amis ou connaissances personnelles du PDG étaient conviés, dont quantité de Libanais, et seules de très rares relations d’affaires de l’alliance. Carlos Ghosn assure, lui, que sa soirée d’anniversaire a eu lieu le lendemain dans un restaurant parisien… et payée de sa poche. »

Baudelaire a écrit dans son « invitation au voyage »

Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.

Les hyper riches adorent le luxe et la volupté

Mais le dévoilement des faits, nous apprend aussi que les hyper riches aiment faire payer ce luxe par les autres. Ici la filiale néerlandaise de Renault-Nissan.

Dans sa conférence de presse de Beyrouth après son évasion du Japon, Carlos Ghosn <s’est défendu> avec vigueur.

Il a dénoncé une « diffamation » et a expliqué la raison de célébrer les 15 ans de l’Alliance Renault-Nissan dans un lieu aussi somptueux :

« Versailles, ce n’est pas Louis XIV, Versailles, c’est le site le plus visité en France, c’est le symbole du génie français, c’est un symbole de l’ouverture de la France sur le monde. Ce n’est pas parce que l’on veut imiter tel ou tel roi ou reine, Louis XIV ou Marie-Antoinette »

Mais il l’assure, il a même adressé un discours portant sur l’Alliance lors de cette soirée. Manque de chance, ce discours a aujourd’hui mystérieusement « disparu ».

Et pour expliquer l’absence des autres directeurs de Renault Nissan, il a aussi son argument ;

« Eh bien, c’est parce que cette fête n’était pas pour eux, cette fête était pour les partenaires et particulièrement les partenaires étrangers. Si on invite un Français à Versailles, il s’en fiche, mais si on invite un Chinois, un Japonais, un Américain, eux, ça les intéresse beaucoup. C’est pour ça qu’on a fait ça à Versailles. »

<L’Obs> a répondu à ces arguments.

« Selon nos informations, Carlos Ghosn a effectivement prononcé un discours à propos des quinze ans de l’alliance Renault-Nissan en ouverture de la soirée, avant celui de Catherine Pégard, patronne du château de Versailles.

[A propos des invités] Outre quelques personnes ayant des relations d’affaires avec Renault-Nissan, étaient présents aussi des convives dont la présence peut se justifier comme un ancien sénateur américain du Mississipi où Nissan a une usine. Mais selon nos informations, de nombreuses personnalités n’ayant aucun lien avec Renault-Nissan, en France et à l’étranger, étaient présentes à cette folle soirée. On peut ainsi citer un grand nombre de businessmen libanais, dont Raymond Debanne, Marwan Hamadé, Gilbert Chaghoury, Najil Nahas, Hussein Khalifa, Nadim Saikali, ou Maurice Sehnaoui.

Mais aussi : son beau-père et sa belle-mère Arfin et Greta Malas ; Etienne Debbané, copropriétaire avec Ghosn d’un vignoble au Liban ; Samir et Laura Lahoud, figures de la jet-set libanaise ; Amin Maalouf, écrivain libanais ; Nayla Moawad, femme politique libanaise ; Salim Daccache, l’ancien directeur du lycée jésuite à Beyrouth où Ghosn a étudié ; Mario Sarada, partenaire de Ghosn dans un complexe immobilier ; Alison Levasseur, architecte d’intérieur ; Ivonne Abdel Baki, femme politique équatorienne d’origine libanaise […] à l’issue de la soirée, une des filles de Carlos Ghosn a publié sur Instagram une photo accompagnée du mot-clef explicite #familyreunion. »


<Le Monde> nous apprend que Le constructeur automobile français Renault a annoncé lundi 24 février qu’il se constituait partie civile dans le cadre de l’enquête judiciaire en France pour abus de biens sociaux visant son ex-patron, qui a été transmise jeudi à un juge d’instruction et qui concerne cette soirée et une autre. Car en 2016, une autre soirée a été organisée dans Grand Trianon et dans le parc du château. Il s’agissait de fêter l’alliance, pardon le mariage de Carlos et de Carole, dernière épouse du franco-libano-brésilien.

Mais Léonor Récondo raconte avec beaucoup d’art cette soirée de l’intérieur :

« Une fois prêts, s’entassent dans ma Twingo un garde et deux danseuses en grand costume. On roule tête baissée à cause des perruques. Arrivés au château, on dîne avec les agents de sécurité dans les couloirs du rez de chaussée, et puis vers 19 heures, ça commence de bouger, il y a de l’agitation […] Lentement surgissent les berlines noires. Ils doivent rêver déjà, ils se préparent depuis longtemps aussi. […]

Le ballet des voitures traverse la cour d’honneur avant de s’arrêter devant la grille dorée, les invités parcourent ensuite la cour royale à pied. Le château brille de toute sa splendeur, le silence s’est posé, les touristes se sont évanouis.

Devant la porte est postée une haie de figurants habillés (déguisés ?) en gardes, lance au pied, provenant du même stock du Français. Les invités en ont plein les mirettes, les robes de soirée caresssent le pavé, les chaussures anglaises le battent. On se salue, se reconnaît, baisemain, la bise pour les intimes, quelle joie de se retrouver ! »

Et puis il y a la fête, les danses, la musique :

« Le rêve prend corps de danseuse.

Les musiciens sont répartis par petits groupes dans les différents salons que parcourent les invités jusqu’à la galerie des Batailles où est dressée l’immense table pour la centaine d’invités.

Je vais jouer du violon deux fois, d’abord dans un des salons avec flûtiste, claveciniste et chanteuse. Dans le brouhaha des pas personne ne nous écoute. On nous prend en photo, selfie enregistré, pour dire qu’on y était. […]

En livrée, le diner est servi.

Exclamation générale à la vue des pièces montées. C’est le moment où je joue avec les danseurs, le tableau que nous formons est plutôt charmant. »

Je ne connaissais pas Léonor de Récondo qui est violoniste baroque mais aussi romancière.

En 2019, elle a écrit « Manifesto » dont parle « Le Monde » dans un article « « Manifesto », le poignant hommage de Léonor de Récondo à son père »

On apprend que Léonor de Récondo est la fille d’un sculpteur espagnol Félix de Récondo, artiste épris de liberté. Sa mère Cécile était aussi artiste peintre.

Le Monde écrit :

«  La romancière prête voix, dans Manifesto, son sixième livre, à son père, qui évoque sa famille : des républicains basques espagnols, exilés en France, à Hendaye, à l’époque du franquisme. Le père, la mère, Aïta, l’oncle curé, Amatxo, qui venait dire la messe à la ferme, l’enfance de Félix au collège de Dax : « Les Landes c’est la fin de mon enfance, dit Félix, la clandestinité, la pauvreté, l’exil, la chaleur de notre famille. » Mais c’est aussi, sur la plage d’Hendaye, la découverte éblouie des corps, qu’il ne cessera plus tard de dessiner et de sculpter. »

Pour celles et ceux qui aiment voir de leurs yeux, voici <le lien> vers la vidéo que Youtube et donc Google met gratuitement à notre disposition pour que nous puissions voir quelques éclats de cette belle fête.

Le cuisinier qui a préparé le diner était Alain Ducasse.

Si vous voulez vous offrir un repas préparé par Alain Ducasse, vous devez le payer.

Un hyper riche comme Carlos Ghosn fait payer une personne qu’on appelle morale.

Un professeur de fiscalité avait dit : « Je n’ai jamais serré la main d’une personne morale, mais j’ai constaté qu’à la fin c’était toujours elle qui payait »

C’est peut-être le secret des hyper riches : il ne paie pas (toujours ?) avec leur argent, leur désir de luxe.

Le récit de Léonor Récondo se termine ainsi :

« A l’hôtel des Menus-Plaisirs, j’enlève ma perruque, je rends le costume. On me tend ma fiche de paie, 201 euros net. »

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Mardi 25 février 2020

« Comment définir un seuil de richesse ? »
Pierre Concialdi

Début février, le magazine « le Un » posait cette question « Les riches sont-ils trop riches ? ».

Que signifie cette question ?

Il y a évidemment la question morale que chacun peut poser :

Est-il moral de posséder autant de patrimoine et d’avoir des revenus aussi importants que certain multi milliardaires ?

Beaucoup, dont je fais partie, trouveront certains seuils de richesses indécents.

Surtout si on écoute Lao-Tseu qui aurait dit :

«Savoir se contenter de ce que l’on possède, c’est être riche ».

Le Un cite Nietzsche :

« Celui qui possède, lorsqu’il ne s’entend pas à utiliser les loisirs que lui donne la fortune, continuera toujours à vouloir acquérir du bien : cette aspiration sera son amusement, sa ruse de guerre dans la lutte avec l’ennui. C’est ainsi que la modeste aisance, qui suffirait à l’homme intellectuel se transforme en véritable richesse, résultat trompeur de dépendance et de pauvreté intellectuelles »

Nous somme dans le divertissement pascalien, pour tromper l’ennui et la mort, le riche s’adonne à la course vers de plus en plus de richesses.

Et pourtant, comme le rappelle <cet article du Figaro> :

« Une étude menée par des chercheurs de l’Université de Princeton a montré qu’un revenu plus élevé augmentait le niveau de bonheur, mais seulement jusqu’à un salaire d’environ 75.000 dollars (soit un peu moins de 70.000 euros) par an. Et après? Après, cela bouge peu. Voire plus du tout. C’est pour cela qu’un actif ne peut avoir pour unique ambition de gagner beaucoup d’argent. C’est ce que montre également une étude de la LSE (London School of Economics), dirigée par l’économiste britannique Lord Richard Layard. «Les États doivent mettre de côté la création de richesse pour se concentrer sur la création de bien-être», explique-t-il, arguant notamment que le bien-être des citoyens est la valeur de demain. »

Cette quête semble donc assez vaine.

Mais la question intéressante que pose le Un est plutôt de savoir : « Est-ce que les choses iraient mieux dans le monde  si les riches étaient moins riches. »

Toutefois, la première question qui se pose est plutôt de savoir qui est riche ?

Car il est apparaît qu’il est possible et juste de demander une contribution au bien commun plus importante aux riches.

Le journal <La Croix> avait aussi posé cette question qui est riche ?

Et ce journal explique que le riche est une espèce inconnue des statisticiens :

« L’Insee, qui scrute les Français sous toutes les coutures, reconnaît être un peu démuni. Aucune définition ne permet de fixer de façon incontestable le moment où un individu quitte la table de la classe moyenne supérieure pour s’installer au banquet des riches. « Les politiques publiques de lutte contre la pauvreté existent depuis longtemps. Elles ont besoin d’indicateurs statistiques. C’est très différent pour la richesse », explique Julie Labarthe, cheffe de la division revenus et patrimoine des ménages. »

La meilleure réponse se trouve peut-être dans ce dessin de Deligne que le journal publie.

La conclusion est simple : « le riche c’est l’autre, celui qui est plus riche ou apparemment plus riche».

Pour essayer d’aborder cette question, le UN donne la parole à l’économiste Pierre Concialdi qui est membre de l’association des « économistes atterrés » :

« Plusieurs travaux récents permettent aujourd’hui de proposer une définition conceptuelle robuste d’un seuil de richesse ainsi que de premières estimations empiriques. Aux Etats-Unis, le mouvement Occupy Wall Street a popularisé l’idée d’une fracture au sein de la société entre la masse des citoyens (« les 99% ») et une petite élite oligarchique (le « 1% ») qui concentre à la fois le pouvoir économique et politique. Il est devenu depuis fréquent de définir « les riches » comme ceux qui font partie de ce 1%. Dans les sociétés capitalistes contemporaines caractérisées par une inégalité démesurée, cette façon d’identifier la population riche emporte assez facilement la conviction des citoyens ordinaires. En France, cela correspond pour une personne seule à un revenu annuel avant impôts de plus de 100 000 euros »

C’est à cette définition que fait appel Emmanuel Todd, dans son livre « Les luttes de classe dans la France du XXIème siècle» où il oppose deux classes « les 99% » et les « 1% ».

Cette définition cependant ne convainc pas l’économiste parce qu’elle méconnaît le fait que la proportion de riches peut varier dans le temps et aussi selon les pays.

Une seconde approche peut être proposée en retenant comme seuil de richesse, un multiple du revenu médian (2 fois ou 3 fois plus).

Rappelons que le revenu médian est celui que touche celui qui se trouve au milieu d’une population : 50% se trouve au-dessus et 50% se trouve en dessous.

C’est ainsi qu’on définit le seuil de pauvreté, fixés selon les pays à 60% ou 50% du revenu médian.

Le seuil de richesse serait la même chose dans l’autre sens. Pierre Concialdi y voit un avantage :

« Cette démarche présente l’avantage de s’appuyer sur un repère collectif (le revenu médian), ce qui signale que la richesse comme la pauvreté est une notion relative.’

Cette démarche présente le caractère subjectif de déterminer le coefficient multiplicateur.

Ainsi avec un revenu média, de 1 735 euros par mois en 2017 est-on riche à partir de 3 470 euros (2x) ou 5 205 euros (3x) ou encore 8 675 euros (5x)

Et il explique une autre manière d’aborder le sujet :

« Des travaux plus récents ont proposé de définir un seuil de richesse de façon plus argumentée en l’arrimant, en quelque sorte à un objectif d’éradication de la pauvreté.

Le seuil de de richesse correspond alors au niveau de revenu maximal auquel il faudrait abaisser les plus hauts revenus pour rééquilibrer la distribution de façon à permettre à tous d’atteindre un niveau de vie minimum décent.

L’idée qui fonde cette approche est que la société devrait avoir une aversion totale pour la pauvreté et donc se donner les moyens de l’éradiquer. Dit autrement, si nous voulons faire société, il est nécessaire que tous les citoyens puissent y participer au moins de façon minimale, ce qui nécessite de fixer une limite au plus hauts revenus. Une fois défini un seuil minimum d’inclusion sociale, on peut alors définir le seuil de richesse qui y est associé. »

La difficulté est d’aboutir à un consensus argumenté sur le panier de biens et de services nécessaires pour accéder à un niveau de vie décent.

La démarche proposée par des chercheurs britanniques est de parvenir à ce consensus par une démarche participative.

En France, une démarche analogue a été engagée par l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) qui a défini <les budgets de référence> représentant précisément un niveau de vie décent. Le revenu minimum est d’environ 1 500 euros par mois pour une personne seule.

Et pour déterminer alors le seuil de richesse Concialdi cite un ouvrage de la Fondation Copernic « Vers une société plus juste » qui détermine une fourchette comprise entre 3,5 fois et 4 fois le seuil minimum d’inclusion. Soit toujours pour une personne seule, un revenu disponible (après impôts) égal à environ 6 000 euros par mois.

L’économiste prétend que :

« Cette approche présente l’avantage d’articuler la définition d’un socle minimum d’égalité socialement validé avec celle d’un revenu maximal. Elle permet ainsi de définir un repère collectif permettant d’orienter les politiques publiques en vue de contenir l’inégalité dans des limites socialement acceptables ; »

Il rappelle que la satisfaction des besoins peut aussi passer par le développement de services publics.

Concialdi répond donc précisément à la question posée par « le Un » : Oui les riches sont trop riches.

Et lutter contre la pauvreté, dispose comme premier levier d’empêcher les riches d’être trop riches.

Mais il en est qui conteste cette vision et pense qu’on ne lutte pas contre la pauvreté en luttant contre les riches.

La position défendue par Concialdi se heurte à une autre grande difficulté : Les contraintes qu’il propose sont de l’ordre du politique qui s’exerce dans le cadre des États.

Or la répartition des richesses dépend en grande part de l’économie pour laquelle les frontières étatiques ne représentent pas grand-chose.

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Jeudi 5 décembre 2019

« C’est en France que la durée de vie après la vie professionnelle est la plus longue. »
Etude de l’OCDE

Aujourd’hui c’est la grève !

La grève pour nos retraites.

C’est un sujet très compliqué qui me laisse songeur.

La retraite par répartition que nous avons en France constitue une magnifique œuvre de solidarité et d’entraide, mais elle est très contraignante et nécessite le contraire d’une réaction individualiste. Elle nécessite une réaction sociale et solidaire.

Si tout le monde se précipite sur la place publique et dit : « Et moi et moi, et moi, j’ai des droits », sans jamais se poser la question des droits des autres, ni encore davantage qui paiera, nous ne nous en sortirons pas.

La première question à se poser, est de savoir si nous voulons continuer à rester dans un système essentiellement par répartition.

J’avais déjà abordé ce sujet de manière assez personnelle dans le mot du jour du 2 mai 2018 : « Grandeur et servitude du système de retraite par répartition »

Si la réponse à cette question est oui, il faut bien sûr s’interroger sur un niveau acceptable de pension pour les retraités, mais il faut tout autant s’interroger sur la capacité des actifs à payer la pension de ces retraités.

A partir des éléments factuels recueillis sur le site du Conseil d’Orientation des Retraites j’avais pu établir cette projection :

« Ceci signifie qu’en 1960 : 4 actifs cotisaient, en moyenne, chacun 25 euros pour qu’un retraité puisse toucher 100 euros. Selon cette projection en 2050, un actif devra cotiser 83,33 € pour arriver au même résultat que le retraité puisse toucher 100 euros. »

Aborder ce vaste sujet uniquement par l’angle des droits, sans aborder la question du coût pour les actifs me parait hautement déraisonnable.

Cela étant dit, la communication chaotique du gouvernement est anxiogène. Nicholas Baverez l’a dit sur France Inter :

« Sur les retraites, on a multiplié les incertitudes sans apporter de solutions »

En outre, les technocrates qui nous gouvernent ont trouvé pertinent d’inventer une novlangue qui par son côté obscur ajoute à l’anxiété.

Alternatives économiques a proposé un article : « Tout comprendre à la novlangue des retraites »

L’article est introduit ainsi :

« Comme si la réforme des retraites n’était pas déjà suffisamment compliquée, le vocabulaire qui l’accompagne ajoute à la confusion générale. Si les Français ont bien compris que l’orientation choisie par l’exécutif était de les faire travailler plus longtemps, beaucoup n’ont toujours pas saisi les subtiles modalités de cet allongement de la durée de vie au travail.

De nouveaux concepts émergent dans le débat, à l’instar de l’âge minimum de taux plein, certains sont sortis de la naphtaline comme la clause du grand-père. D’autres encore recouvrent des nuances techniques qu’il est utile de définir. Car tous ces termes sont lourds de conséquences pour les futurs pensionnés. »

Les journalistes apportent ainsi des précisions sur dix expressions :

1/ Age pivot ou âge d’équilibre

2/ Age minimum du taux plein

3/ Age d’annulation de la décote ou du taux plein automatique

4/ Age de départ moyen ou âge de départ effectif

5/ Age conjoncturel de départ en retraite

6/ Clause du grand-père

7/ Réforme paramétrique ou systémique

8/ Taux de remplacement

9/ Valeur d’acquisition et valeur de service du point

10/ Désindexation des pensions

Si vous vous dépêchez vous devriez pouvoir lire l’article, car Alternatives économiques a décidé d’ouvrir son site gratuitement pour 24h.

« Tout comprendre à la novlangue des retraites »

Thomas Picketty attaque sévèrement le gouvernement en parlant « d’arnaque  » et il dénonce le fait que gouvernement tente d’opposer les bas salaires entre eux.

Il émet cette idée qu’il faudrait faire davantage cotiser les hauts salaires.

Et en effet, le gouvernement a prévu de ne taxer les revenus au-delà de 10 000 euros uniquement à 2,8 %.

Mais Léa Salamé a répliqué que la part au-dessus de 10 000 euros ne permettrait plus de percevoir de pensions qui sont ainsi plafonnés. Cet argument a été repris le jour suivant par Dominique Seux :

« La complexité du sujet permet à chacun de projeter ses propres fantasmes. Avant-hier, au micro de Léa Salamé, Thomas Piketty a cru pouvoir lever un lièvre en expliquant qu’avec un taux de cotisation de 2,8% au-delà de 10 000 euros bruts par mois, les plus riches étaient les grands gagnants cachés. Léa Salamé a rappelé qu’il n’y aura aucun droit à retraite en face, et elle a bien fait. La vraie conséquence est que des cadres ne bénéficieront plus de la solidarité nationale à un seuil nettement inférieur à ce qu’il est aujourd’hui.

Le plus amusant est que Jean-Luc Mélenchon a dénoncé une réforme qui obligera les classes moyennes (sic, à plus de 10 000 euros par mois) à souscrire à un fonds de pension, tandis que François Ruffin dénonçait lui aussi un cadeau aux riches. Il faudrait savoir, la politique a ses raisons qui font parfois déraisonner.  »

Et Alternatives Economiques explique davantage le mécanisme dans un article : « Qui paiera la retraite des super-cadres ? »

« La réforme prévoit de diminuer le plafond de la retraite : il n’y aura plus de cotisation au-dessus de trois plafonds de la Sécurité sociale (10 000 euros brut par mois environ) et la part du salaire supérieure à ce niveau n’est pas inclue dans le calcul des droits à la retraite. Il restera une cotisation de solidarité de 2,8 % est versée sur la totalité du salaire. Malgré la forte communication du gouvernement sur ce sujet, cette cotisation de solidarité n’est pas vraiment une innovation, mais simplement un léger relèvement (de 0,4 point) du taux par rapport à celui pratiqué dans système actuel.

Ainsi, les cadres à très haut salaire obtiennent leur « bon de sortie » du système collectif de Sécurité sociale. Plus précisément, ils y sont toujours affiliés, mais uniquement pour le « bas » de leur salaire. Pour le haut de leur salaire, charge à ces personnes, et à leur employeur, de s’assurer elles-mêmes une retraite en se tournant vers différents fonds de pensions privés (fonds qui d’ailleurs sont en partie subventionnés par différentes formes d’avantages fiscaux ou sociaux).»

Alternatives Économiques soulève cependant le problème de la transition qui semble être le vrai lièvre sur ce sujet :

« La partie supérieure des hauts salaires ne cotise plus, ou presque, mais elle ne donne pas de droits à retraite. Il n’y a donc pas de problème ? Au niveau individuel, peut-être, mais au niveau collectif, ce n’est pas tout à fait exact. En effet, les cadres supérieurs qui sont déjà à la retraite, ou même encore en activité, ont acquis des droits à la retraite y compris au-dessus de trois plafonds de la Sécurité sociale. Autrement dit, jusqu’à leur mort ces cadres percevront leur retraite, calculée sur des salaires pouvant aller jusqu’à huit plafonds de la Sécu. Ces salaires ont par le passé été soumis à cotisation et leurs droits à retraite ne seront pas remis en cause – ce qui est relativement logique dans le cadre d’une assurance sociale.

Le problème c’est qu’à partir du basculement dans la réforme (par exemple en 2025), il n’y aurait plus de cotisations versées entre trois et huit plafonds de la Sécu par les cadres dirigeants actuellement en activité. Cela veut dire que pendant plusieurs décennies, le système de retraite devra en même temps verser des pensions calculées sur des très hauts salaires, tout en ayant renoncé à percevoir des cotisations sur les très hauts salaires. Cela créerait un déséquilibre entre recette et prestations dans le système, qui sera au final financé par la diminution globale des pensions. »

Mais au milieu de toutes ces difficultés, il y a quand même une heureuse nouvelle pour la France : Nous sommes premiers !

Les Français sont le peuple qui a la durée de vie après la vie professionnelle la plus longue de tous les pays développés, nous confirme l’OCDE.

C’est écrit dans le panorama annuel publié hier sur les retraites par l’OCDE, l’Organisme d’études économiques des pays développés.

L’information et le classement se trouve en ligne :

Pour les hommes voici le classement sur les données 2018

1    France    22,7

2    Luxembourg    22,3

3    Greece    21,8

4    Spain    21,7

5    Belgium    21,1

6    Italy    20,7

7    Australia    19,8

8    Austria    19,3

9    Finland    19,1

10    Germany    19,1

Les Etats-Unis sont 24ème avec 16,4.

Pour les femmes, c’est encore les françaises qui sont en tête

1    France    26,9

2    Spain    26,6

3    Greece    26,4

4    Italy    25,7

5    Slovenia    25,6

6    Belgium    25,5

7    Luxembourg    25,0

8    Austria    25,0

9    Poland    24,3

10    Finland    23,5

Les Etats-Unis sont cette fois 32ème avec 19,8 années et l’Allemagne 19ème avec 22,5.

Dominique Seux a tenté d’analyser ces chiffres

« Que montre ce tableau ?

Que la France est, reste, et d’assez loin, le pays où le temps passé à la retraite une fois que l’on quitte le marché du travail et jusqu’à hélas l’inévitable décès, ce temps est LE plus long de tous les pays industrialisés.

Notre pays se singularise ailleurs aussi : un taux de pauvreté des retraités plus faible, et un niveau de la pension par rapport au dernier salaire plus élevé.

Qu’inspire ce temps à la retraite record ?

Il s’explique par une sortie de l’emploi plus précoce qu’ailleurs (avec un âge de la retraite plus bas qu’ailleurs et très dispersé – régimes spéciaux), et par un chômage des seniors plus haut. Alors, disons-le clairement : il n’y aucune raison de principe de toujours s’aligner par le bas, et être différent par le haut n’est bien sûr pas un problème a priori.

A partir de là, la question posée est double : pourquoi ne nous rendons-nous pas compte de cet avantage français, qui est réel et pas une fake news inventée par les ultra-libéraux ? Pourquoi ? Je ne sais pas.

Et comment est financée cette durée hors-norme ? Si c’est un choix de société, il faut avoir conscience que ce sont les actifs qui en supportent le coût. »

Les allemands disaient « Heureux comme Dieu en France »

Avec ces tableaux, ils risquent de dire « Heureux comme un retraité en France ».

Cela ne règle, bien sûr, en rien le problème du financement.

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Jeudi 21 novembre 2019

« Une forme de sidération devant la catastrophe annoncée : On assiste à l’effondrement de l’hôpital public »
Rémi Salomon, chef de service à l’hôpital Necker

Le mot du jour de mardi reprenait la provocation de Jean-Louis Bourlanges : « La France est pauvre  au regard des désirs de ses habitants.».

J’introduisais le sujet par l’hôpital qui est en péril.

A priori, le gouvernement a trouvé quelque argent, puisqu’il a annoncé, hier, que <l’Etat allait reprendre, en trois ans, 10 milliards d’euros de la dette des hôpitaux>

Ces 10 milliards représentent un tiers de la dette des hôpitaux Le gouvernement donne, en outre, un coup de pouce au budget annuel des hôpitaux publics et de nouvelles primes aux soignants.

Le monde explique « Ce que contient le plan d’urgence pour l’hôpital public »

Nicolas Demorand et Léa Salamé avaient invité Tiphaine Morvan, infirmière à l’hôpital Saint-Louis, et Rémi Salomon, chef de service à l’hôpital Necker à <la matinale de France Inter du 13 novembre>.

Rémi Salomon qui étaient un des signataires de la Tribune collective de Soixante-dix directeurs médicaux des départements médico-universitaires, publiée par « Le Monde » du 13 novembre 2019 : « L’hôpital public s’écroule et nous ne sommes plus en mesure d’assurer nos missions »

La tribune revendique comme première solution :

« Nos revendications sont les suivantes : réviser à la hausse l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie – le Parlement vote actuellement son montant (première lecture le 29 octobre) » ;

Rémi Salomon réitère cette exigence dans l’émission de France Inter. Il précise que le budget prévisionnel (c’était avant les annonces d’hier) était en augmentation de 2%. Et il affirme que la dépense de l’hôpital allait augmenter de 4%.

Parallèlement l’inflation prévisionnelle sur l’année se situe en 1,2% et 1,4%. J’arrête avec les chiffres.

Mais ce que cela dit c’est que le budget des hôpitaux ne baisse pas, ni ne stagne. L’augmentation dépasse l’inflation.

Mais il n’augmente pas assez et Rémi Salomon revendique le double de l’augmentation.

Je vais citer par la suite, certaines des conséquences de cette situation, mais avant de faire parler l’émotion, les valeurs et les utopies, il faut revenir aux questions factuelles.

Le coût de la santé augmente dans le panier de nos dépenses.

Ce ne sont pas les « autres » – qu’ils soient riches, GAFA ou d’autres encore – qui paieront cette augmentation mais « nous ».

La question est de savoir si nous voulons une dépense mutualisée dans laquelle nous laissons augmenter les cotisations et les impôts pour bénéficier de l’hôpital public ou si nous préférons individualiser la dépense en la privatisant.

En dessous d’un certain seuil de revenus, la réponse est contrainte : sans hôpital public des soins de qualité ne sont tout simplement pas possible.

Au-dessus d’un certain seuil de revenus, la réponse est moins simple, des soins privatisés permettront peut-être plus de confort et peut être même de meilleure qualité. Choisir dans ce cas la solution collective est une philosophie de vie. Et pour que cela puisse se réaliser comme le disait Emile Durkheim que j’ai cité lors du mot du jour du Vendredi 12 septembre 2014 :

« Pour que les hommes se reconnaissent et se garantissent mutuellement des droits, ils faut qu’ils s’aiment et que pour une raison quelconque ils tiennent les uns aux autres et à une même société dont ils fassent partie. »

Et si nous devons consacrer davantage de nos ressources à notre santé, il faut aussi se demander dans quels domaines nous pourrions consommer moins. Sauf si on revient vers des taux de croissance comme on n’en connaît plus, mais qui ne sont pas forcément souhaitables par rapport à l’enjeu écologique.

Mais sur la situation de l’hôpital les choses apparaissent, en effet, grave. Dans la Tribune des 77 directeurs médicaux, on lit :

« Nous vous alertons car ce système s’écroule et nous ne sommes plus en mesure d’assurer nos missions dans de bonnes conditions de qualité et de sécurité des soins.

Des centaines de lits d’hospitalisation de médecine et de chirurgie, des dizaines de salles d’opération à l’hôpital public fermés, et chaque semaine des unités de soin ferment. Les conséquences : des conditions d’accès aux soins dégradées, la qualité et la sécurité des soins sérieusement menacées.

L’accès au diagnostic et aux soins médicaux et chirurgicaux à l’hôpital public est extrêmement difficile, et les équipes soignantes démotivées. Les délais de programmation des interventions s’allongent, les soins urgents ne sont plus réalisés dans des délais raisonnables. Les usagers sont de plus en plus obligés de se tourner vers les établissements privés. Trop peu de recrutements de soignants sont en vue pour espérer un retour à la normale du « système sanitaire ».

Des centaines de postes de soignants (pourtant budgétisés) ne sont pas pourvus ; et, plus grave encore, des soignants quittent l’hôpital public. Cela concerne les infirmiers dans les services médicaux et chirurgicaux de l’hôpital (IDE), les infirmiers anesthésistes, de bloc opératoire, les aides-soignants, les professionnels de rééducation dont les masseurs-kinésithérapeutes, les manipulateurs en radiologie, en médecine nucléaire et en oncologie radiothérapie, les techniciens de laboratoire et les préparateurs en pharmacie. Cela concerne aussi les médecins dont les médecins anesthésistes-réanimateurs, les biologistes et d’autres catégories professionnelles.

Le résultat est une surcharge de travail quotidien croissante et un épuisement des soignants restants ainsi que des cadres de santé, chargés de gérer au quotidien des équipes de soignants sous tension. Pour maintenir les lits ouverts et poursuivre l’accueil des patients, il est nécessaire de faire appel aux soignants restants en leur demandant de réaliser des heures de travail supplémentaires ou à des personnels soignants intérimaires extérieurs appelés au fil de l’eau pour combler les manques mais sans expertise dans les spécificités des différents services. […]

L’objectif national des dépenses d’assurance-maladie (Ondam), montant prévisionnel établi annuellement pour les dépenses de l’assurance-maladie et celui en particulier consacré à l’hôpital public, est revu insuffisamment à la hausse, ce qui aggravera la situation de l’hôpital public et fait craindre le pire pour demain dans un contexte de vieillissement de la population et d’augmentation de la fréquence des maladies chroniques.

L’absence d’attractivité de l’hôpital public particulièrement est également le fait d’une non-revalorisation salariale des personnels paramédicaux (en premier lieux des infirmiers) depuis plusieurs années. C’est particulièrement vrai à l’AP-HP et plus largement en Ile-de-France, où les salaires actuels ne tiennent pas compte des coûts des loyers, de la vie, propres à la région.

Les chirurgiens ne peuvent plus opérer faute d’accès au bloc opératoire, et sont de plus en plus nombreux à rejoindre des structures privées. Une disparité des salaires de base et du tarif des gardes (pour assurer la continuité de service toute l’année), de praticiens hospitaliers (PH) entre le public et le privé : jusqu’à trois fois plus dans les établissements privés. La fuite des médecins des hôpitaux universitaires met en péril la formation de toute la profession et, au-delà, le niveau de la santé en France. »

Et dans l’émission de France Inter, Rémi Salomon perçoit le monde médical dans

« Une forme de sidération devant la catastrophe annoncée : On assiste à l’effondrement de l’hôpital public ».

Avant de parler de revenus Tiphaine Morvan parle d’un manque de moyens, surtout moyens humains pour faire face à la charge et à une éthique des soins qu’elle porte en elle.

Et donc cette tribune, comme l’émission nous apprennent qu’il y a une fuite des soignants de l’hôpital public vers le privé.

Rémi Salomon affirme :

« Si les soignants quittent l’hôpital, ce n’est pas de gaîté de cœur, c’est le dernier rempart de la République [Les] soignants n’ont même plus le temps de rassurer, on leur demande d’être rentables : Il y a de la souffrance éthique ».

Un autre <article du monde> qui donnent la parole à des personnels soignants relate :

« Certains se disent « en colère », d’autres « désabusés ». Tous évoquent l’épuisement dû à une « déshumanisation progressive des soins » ces dernières années. « Chaque jour, j’ai des infirmières qui craquent et qui pleurent à cause de ce rythme « à la chaîne » que je leur impose malgré moi. Chaque jour, je ne sais pas comment la journée va se finir », témoigne une cadre de santé d’un centre de lutte contre le cancer. « Ça fait deux ou trois ans que c’est vraiment raide, à se dire « je vais aller faire caissière » », assure une infirmière. »

C’est encore une question de priorité qui se pose ici.

Il faut certainement remettre de l’humain dans tout cela, en nombre et en qualité.

Pour ce faire il faut sûrement un meilleur partage de la charge selon les moyens des citoyens, mais probablement aussi une autre répartition de nos dépenses individuelles.

Et je finirai ce mot, comme celui de mardi : si nous entrons dans ce débat avec l’esprit d’un consommateur et non d’un citoyen, il n’y a aucune chance que les solutions collectives l’emportent.

<1312>

Mardi 19 novembre 2019

« La France est un pays pauvre, en tous cas au regard des désirs de ses habitants. »
Jean-Louis Bourlanges dans le Nouvel Esprit Public du 20/10/2019

L’hôpital public est en péril. C’est ce que disent de plus en plus de professionnels. Et nous qui sommes utilisateurs, nous constatons en effet qu’il y a un problème non seulement dans l’hôpital Public mais aussi dans la médecine de ville.

La santé en France manque d’argent.

L’éducation nationale, on peut se tourner vers l’état des locaux des Universités, on peut aussi constater que les professeurs français sont nettement moins rémunérés que dans les autres pays analogues à la France. L’Éducation nationale manque d’argent en France.

L’état des prisons en France devrait être pour chacun une honte nationale. Les prisons françaises manquent d’argent. Plus globalement la justice manque de moyens.

On peut aussi parler de la police.

La manière dont nous accueillons les immigrés est indigne.

L’État n’a quasiment plus les moyens d’acheter ou de louer des locaux pour ses services au centre des métropoles, c’est trop cher.

Il n’a, en parallèle, pas les moyens non plus de conserver des services publics dans les territoires.

Il semble très difficile d’augmenter les retraites. Et la défense nationale ? Nous avons été humiliés par Erdogan, comme en Syrie lorsque Obama a lâché la France, nous étions démunis. Dans le monde qui est et qui vient une parole sans une armée conséquente pour la crédibiliser n’aura aucune portée. La défense française manque d’argent.

Toutes ces dépenses nécessitent l’appel à l’impôt et aux cotisations sociales.

Mais parallèlement, les français souhaitent voir augmenter leur pouvoir d’achat. Pour répondre à ce souhait le gouvernement a décidé de diminuer les impôts. Donc à diminuer encore davantage ses ressources. Souvent une baisse des cotisations est préconisée pour résoudre des problèmes d’emploi ou autres. Ce type de solution a pour objet d’augmenter les ressources individuelles au détriment des ressources collectives et partagées. Celles qui permettent de financer ce que nous n’arrivons plus à financer et que j’ai énuméré ci-avant.

Bien sûr, pour certains la solution est simple. Il suffit d’augmenter substantiellement l’impôt et les cotisations pour les plus riches et lutter contre la fraude fiscale.

Sur le premier point, la France ne peut pas le faire massivement tout seul dans un monde globalisé.

Concernant le second point, c’est certes une piste. Cela permettrait, en effet, d’améliorer un peu la situation. Mais croyez-vous sérieusement que même une lutte aboutie contre la fraude fiscale permettrait de répondre à tous les enjeux que j’ai évoqué ci-dessus ?

Pour ma part je ne le crois pas.

Et j’ai trouvé le constat que Jean-Louis Bourlanges avait énoncé lors de l’émission du Nouvel Esprit Public du 20/10/2019 et qui avait pour sujet : « Radicalisation des rapports sociaux » assez désespérant et pourtant véridique : « La France est un pays pauvre, en tous cas au regard des désirs de ses habitants. »

Pour remettre ces propos dans leur contexte Jean-Louis Bourlanges a dit :

« Il est très difficile de ne pas schématiser ou caricaturer dans un débat d’une telle ampleur. Sur la question des inégalités, elles sont indéniables et très profondes, mais je ne pense pas qu’elles soient la cause déterminante des violences. D’abord parce qu’il n’est pas vrai qu’elles se sont aggravées ces dernières années, comme en attestent le taux de dépense publique et le nombre de fonctionnaires. En revanche, elles sont de plus en plus mal ressenties, et c’est tout à fait compréhensible, Mathias Fekl a très bien décrit les galères de certains. Pourquoi passe-t-on d’une situation d’inégalité acceptée à une situation d’inégalité refusée ? C’est cela qu’il s’agit de comprendre.

La France est un pays pauvre, en tous cas au regard des désirs de ses habitants. Le Produit Intérieur français ne permet pas de donner davantage. Le président a distribué quelques milliards, sans qu’on sache où il va les trouver. C’est un jeu dans lequel les marges de manœuvre sont très limitées. Tant que nous ne développerons pas de la croissance, on aura du mal. Sans compter que la croissance elle-même pose les problèmes écologiques que l’on sait. »

La solution serait en effet dans une croissance du niveau de l’après-guerre. Mais nous savons qu’une telle croissance n’a plus vocation à revenir. Et qu’en outre, les contraintes de l’écologie ne la rendent même pas souhaitable.

Ce qui ne signifie pas qu’il ne faut rien faire.

Mais jusqu’à présent nous sommes toujours parti de ce constat que la France était riche et donc que tout était possible.

Mais ce n’est pas vrai.

Il faut donc choisir les priorités et avoir conscience des enjeux collectifs avant d’aborder les revendications individualistes. Y sommes nous prêts ? Il est vrai que la conscience des inégalités, qui sont pourtant moindre en France, n’aident pas à l’acceptation, par le plus grand nombre, de discussions sur les situations acquises. Mais si nous entrons dans ce débat avec l’esprit d’un consommateur et non d’un citoyen, il n’y a aucune chance que les solutions collectives l’emportent.

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Mardi 22 octobre 2019

« Notre vision de la pauvreté est dominée par des caricatures et des clichés »
Esther Duflo

Esther Duflo a eu le Prix Nobel d’économie cette année avec son mari Abhijit Banerjee et un troisième économiste Michael Kremer, .pour leurs travaux sur la lutte contre la pauvreté.

<Le Monde> nous rappelle que ce qu’on appelle le Prix Nobel d’Economie est en réalité le prix de la Banque de Suède à la mémoire d’Alfred Nobel, car ce dernier n’avait pas prévu que le comité Nobel désigne un lauréat en économie.

Ces trois économistes ont essayé de mettre un peu de démarche scientifique dans l’économie qui en est fort dépourvu même si des économistes prétendent le contraire.

Ils ont œuvré dans le domaine de la pauvreté et ont concrètement mis en œuvre des programmes visant cet objectif, notamment en Inde, en mesurant l’impact de ces programmes. Une population X bénéficiait du programme et une population Y comparable n’en bénéficiait pas, puis on comparait les résultats de la population Y et X et on jugeait de la pertinence du programme.

Evidemment nous nous intéressons surtout à Esther Duflo parce qu’elle est française. Elle est seulement la seconde femme à recevoir ce prix de la banque de Suède.

<Ici vous pourrez visionner la leçon inaugurale> « Expérience, science et lutte contre la pauvreté » au Collège de France d’Esther Duflo pour mieux comprendre sa démarche.

<Ici> vous trouverez un résumé de 11 pages sur le cours qu’elle a donné au Collège de France sur ce sujet.

<Challenges> précise que :

« La sensibilité de cette économiste, née à Paris en 1972, a pris corps dans une famille protestante, avec une mère pédiatre, investie dans l’humanitaire et qu’elle cite régulièrement en modèle, et un père mathématicien, enseignant-chercheur.

Diplômée de l’Ecole Normale Supérieure, de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), elle est aussi titulaire d’un doctorat du Massachusetts Institute of Technology (MIT) aux Etats-Unis, où elle est aujourd’hui encore professeure. »

Le New Yorker la décrivait ainsi : « C’est une intellectuelle française de centre-gauche qui croit en la redistribution et en la notion optimiste que demain pourrait être meilleur qu’aujourd’hui. Elle est largement à l’origine d’une tendance académique nouvelle »

Elle a écrit un livre avec son mari « Repenser la pauvreté » qui a aussi été primé en 2012.

A l’occasion de la sortie de ce livre elle avait répondu à un entretien à l’AFP où elle disait :

« Notre vision de la pauvreté est dominée par des caricatures et des clichés: le pauvre paresseux, le pauvre entrepreneur, le pauvre affamé. Si on veut comprendre les problèmes liés à la pauvreté, il faut dépasser ces caricatures et comprendre pourquoi le fait même d’être pauvre change certaines choses dans les comportements, et d’autres non ! »

Et c’est donc intéressant de savoir ce que cette intellectuelle qui a consacré sa vie à la compréhension du phénomène de la pauvreté et des programmes de lutte contre ce fléau pense des mots, utilisés par notre jeune président à propos de la pauvreté en France.

Je cite donc <France Info> :

« « Il y a un risque de rendre les pauvres coupables de leur propre sort » C’est l’inquiétude formulée par la prix Nobel d’économie Esther Duflo, invitée de franceinfo mardi 15 octobre. Elle est revenue sur la notion des « premiers de cordée » défendue par Emmanuel Macron à l’automne 2017 et sur ses propos tenus en 2018 lors d’une réunion de travail à l’Élysée : « On met un pognon de dingue dans les minima sociaux ».

« Dans cette imagerie ‘pognon de dingue’ ou dans l’idée qui allait avec de responsabiliser les pauvres », Esther Duflo estime qu’il y a un sous-entendu : « Ils ne sont pas assez responsables par eux-mêmes » Selon elle, ce risque est présent « depuis toujours dans les politiques sociales. On rend la personne en difficulté coupable de ses malheurs. Tout en l’aidant on lui enlève sa dignité ».

La prix Nobel d’économie juge cette approche « dangereuse ». « Une fois qu’on vous enlève votre dignité, vous n’êtes pas dans les meilleures conditions possibles pour retomber sur vos pieds. Cela terrorise ceux qui ne sont pas pauvres aujourd’hui et qui se disent que peut-être un jour ils le seront ».

Esther Duflo explique que, pour les personnes en situation « un peu fragile », ce type de discours peut « les rendre inquiets de tout ce qui change, de tout ce qui peut être différent. Cela peut mener à une espèce de sclérose politique qui vient de la peur du risque. Parce que si vous tombez par terre, la société va vous en vouloir et va vous dire que c’est de votre faute. C’est très dangereux. »

Nous sommes toujours dans la réflexion de Victor Klemperer, de l’usage des mots, du sens profond qu’ils ont et de ce que leur usage dit de la conception de la société et du lien social de celui qui les utilisent.

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Mardi 11 juin 2019

« [Que les jeunes filles] osent courir après un ballon dans une prairie qui n’est pas entourée de murs épais, voilà qui est intolérable ! »
Henri Desgrange en 1925

Sauf à ce que vous soyez totalement isolé ou que vous n’écoutiez aucun média, il n’est pas possible que vous ne sachiez pas que la France organise la coupe du monde féminine de football.

Il ne faut pas parler de « football féminin », puisque les règles qui s’appliquent sont rigoureusement les mêmes que celles des hommes et que dès lors il n’existe pas une autre forme de football qui serait le football féminin.

Ce qui existe, ce sont des compétitions réservées aux femmes, il s’agit donc d’une compétition féminine de football.

Notez que les compétitions masculines sont également exclusives et réservées à un seule genre.

Mais le fait qu’il existe aujourd’hui des compétitions féminines et que presque plus personne ne conteste la légitimité des femmes de jouer au football ou d’ailleurs à tout autre sport collectif, ne fut pas un long fleuve tranquille.

Même celles et ceux qui ne le lisent pas, connaissent l’existence du quotidien sportif « L’Equipe » fondé, après la guerre, en 1947 par Jacques Goddet. Ce journal a repris les structures d’un journal qui l’a précédé : « L’Auto ».

Et c’est « Henri Antoine Desgrange » qui était cycliste qui fonda en 1900 ce journal qui s’appela d’abord « Auto-Vélo » jusqu’en 1902, puis simplement « Auto ». L’Auto fut le principal quotidien sportif français du 16 octobre 1900 au 17 août 1944. C’est ce journal sous l’impulsion de son directeur qui mit notamment en place le Tour de France. Il fut interdit de parution en 1944 car il était considéré comme ayant été favorable à l’Occupant allemand. L’honneur d’Henri Desgrange, ne fut pas en cause puisqu’il mourut en 1940, avant le désastre pétainiste.

Mais c’est en tant que journaliste sportif et directeur de l’ « Auto » qu’en 1925, il eut ce jugement péremptoire :

« Que les jeunes filles fassent du sport entre elles, dans un terrain rigoureusement clos, inaccessible au public : oui d’accord. Mais qu’elles se donnent en spectacle, à certains jours de fêtes, où sera convié le public, qu’elles osent même courir après un ballon dans une prairie qui n’est pas entourée de murs épais, voilà qui est intolérable ! »

<Wikipedia> rapporte ces propos qui ont été cités dans le livre de Laurence Prudhomme-Poncet, « Histoire du football féminin au XXe siècle », Paris, L’Harmattan, 2003

Ci-dessus, j’ai écrit que « presque plus personne » ne conteste aux femmes le droit de jouer au football.

L’inénarrable Alain Finkielkraut, que Sonia Mabrouk, lors de l’émission « Les Voix de l’info » sur CNews,. a eu la mauvaise idée d’interroger sur le sujet de la coupe du monde féminine a eu droit à cette réponse :

«J’ai pas envie, j’ai pas envie […] . Alors là, je n’aime pas le football féminin. Arrêtez avec l’égalité ! L’égalité bien sûr, mais avec un peu de différence. Cela ne me passionne pas. Ce n’est pas comme ça que j’ai envie de voir des femmes. »

C’est pendant la Grande Guerre, à un moment où les femmes ont pris de plus en plus de responsabilités, en l’absence des hommes qui étaient au Front, que les femmes commencèrent à jouer des matches de football.

Le 30 septembre 1917, le premier match de football féminin est disputé en France.

Le journal L’Auto, relate dans son édition du 2 octobre 1917 que « pour la première fois des jeunes filles ont joué au football ».

J’ai trouvé d’autres informations sur ce site consacré au football amateur : « Les femmes ont (aussi) découvert le football durant la Grande Guerre » :

« Le 18 janvier 1918, la Fédération des sociétés féminines sportives de France (FSFSF) est fondée. Elle organise le championnat de France de football féminin à partir de 1919. Le premier match de cette compétition s’est déroulé le 23 mars 1919 au stade Brancion à Paris entre Fémina Sport et En Avant, un autre club parisien.[…] le football féminin va rapidement décliner… « Il y a une volonté délibérée de ne pas développer le football féminin, poursuit Michel Merckel. Les médecins de l’époque assurent que le sport peut détruire leur appareil reproducteur. » […] En 1941, le régime de Vichy interdit tout simplement le football féminin qu’il juge nocif. Pour le renouveau, il faudra attendre 1968 et l’idée de Pierre Geoffroy, journaliste à L’Union, de mettre sur pied un match de foot féminin dans le cadre de… la kermesse de son journal, à Reims. La FFF va ainsi reconnaître le football féminin dès l’année suivante.

Un peu plus de cent ans après le premier match, le foot féminin est aujourd’hui en pleine croissance. Mais le chemin fut long pour que ces dames puissent se faire une place dans le monde du ballon rond. »

Wikipedia montre que ce combat fut général à tous les pays occidentaux. L’organisation mondiale la FIFA eut beaucoup de mal a accepté le principe d’une coupe du monde féminine. Il fallut attendre les années 1990, pour que ce devint possible.

Et contrairement à ce que certains pensent encore : « le football n’est pas moins bien quand ce sont des femmes qui jouent », je dirais bien au contraire.

J’ai regardé le match d’ouverture : de beaux buts, de belles phases de jeu, jamais aucune contestation de l’arbitre, jamais de « cinéma » après une faute. Bref, plus de temps de jeu effectif, plus de fluidité.

Et, l’engouement du public fonctionne, n’en déplaise à Alain Finkielkraut. Le <Figaro> précise :

« . Au niveau des audiences TV, les Bleues ont établi vendredi soir un «record historique» pour la discipline: près de 10 millions de téléspectateurs étaient devant TF1, diffuseur de la rencontre en clair et en «prime-time», selon des données de Médiamétrie diffusées samedi. Soit une part d’audience considérable de 44,3%! Au chiffre de 9,8 millions sur TF1 il faut ajouter les 826.000 téléspectateurs sur la chaîne cryptée Canal+. Soit près de 11 millions au total.

À titre de comparaison, le premier match de l’équipe de France masculine lors du Mondial 2018, disputé un samedi à la mi-journée, avait rassemblé 12,59 millions de téléspectateurs. »

Cela étant, il se pose une problématique à la fois légitime et inquiétante. Les joueuses expriment légitimement un souhait d’être mieux rémunérées en comparaison avec les rémunérations exorbitantes des joueurs. Mais inquiétante, car il semble qu’une évolution est en marche qui ne vise pas à réguler le marché masculin, mais de faire rattraper les dérives masculines par des dérives féminines. <Panem et circenses>. Alternatives économiques a commis un article dans ce sens : <Le football féminin, un marché prometteur>.

Je finirai par un peu d’humour que nous donne le dessinateur de presse Denis Pessin et qu’il a publié sur <Slate> :


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Jeudi 06 juin 2019

« L’histoire du Zolgensma »
Un médicament de 2,1 millions de dollars

J’ai entendu cette histoire incroyable dans la revue de Presse de Claude Askolovich, <ce mercredi>.

Il a cité l’Express et le Canard enchaîné que j’ai achetés immédiatement.

Vous avez entendu qu’un laboratoire Suisse est parvenu à faire accepter aux Etats-Unis la commercialisation d’un médicament dont le prix unitaire est 2,1 millions de dollars.

Le laboratoire Suisse est « Novartis. »

La question est de savoir comment Novartis a investi dans les brevets et la recherche pour parvenir à ce résultat.

Et cette histoire pourrait commencer par :

« Il était une fois, en France, le téléthon ».

Voici comment Claude Askololovich raconte cette histoire :

« On parle d’une culbute financière…qu’a révélée l’Express et dont parle aussi le Canard enchaîné, une culbute scandaleuse et légale dont nous sommes français les victimes, et qui, sacrilège, concerne la santé.

On a appris en mai que la firme suisse Novartis allait commercialiser le médicament LE PLUS CHER DU MONDE; le Zolgensma qui à deux millions cent mille dollars la prise combat l’amyotropie spinale, maladie génétique qui tue des nourrissons, paralysant leurs muscles et leur respiration.

Et bien, ce médicament a été inventé chez nous en France, par le Généthon, le laboratoire du Téléthon, cause pour laquelle nous mettons chaque année la main à la poche. Les chercheurs du Généthon avaient déposé des brevets; mais quand on dépose des brevets, vos données deviennent publiques, dans le monde réel qui est plus dur qu’un brave labo née d’une association de malades.

Le Généthon avait investi 15 millions d’euros pour des expériences sur les souris, une start-up americaine Avexis a levé 500 millions de dollars pour réaliser des essais cliniques et le passage à l’espèce humaine.

Et le Généthon dépassé, pour quinze millions de dollars, en gros le prix de ses recherches, a cédé ses brevets à son jeune vainqueur…

Lequel vainqueur s’est fait racheter par Novartis pour 8.7 milliards de dollars.

Et Novartis espère vendre pour 2 milliards par an de Zolgensma; le généthon touchera des royalties sur ces ventes, qui seront réinvesties dans la recherche, car nous sommes français des gentils, peut-être inadaptés.

L’Express et le Canard le martèlent, la France n’a pas su créer de  filière pour les thérapies génétiques, qui irait de la recherche jusqu’à l’industrialisation, pas seulement pour être nous aussi milliardaires, mais pour maîtriser le prix des médicaments…  »

Donc résumons :

1° Un sympathique laboratoire français investit 15 millions d’euros.

2° Mais pour la suite il faut un financement bien plus important. Une start up américaine arrive à mobiliser 500 millions de dollars et rachète les brevets du petit laboratoire français.

3° La start up américaine est très efficace mais ne sait pas industrialiser sa découverte. Pas de souci un laboratoire suisse rachète tout pour 8,7 milliards de dollars.

  • Les suisses ont un magnifique business plan, ils pensent vendre pour 2 milliards par an de ce Zolgensma.
  • Les propriétaires de la start up américaine sont devenus très riches et pourront s’ils ont en le besoin acheter le médicament.
  • Le laboratoire français peut tenter de faire d’autres recherches pour trouver des brevets qui permettront d’assurer un nouveau business plan pour une autre firme fortunée.

L’Express rapporte la défense de Novartis devant le tollé provoqué par le prix de ce médicament :  :

« Ce prix est inférieur de moitié au coût sur 10 ans du seul autre traitement existant contre cette pathologie, qui doit être administré durant toute la vie des malades »

Et précise

« L’information est passée inaperçue jusqu’ici, mais ce produit est en effet né dans un laboratoire de recherche français. Et pas n’importe lequel : le Généthon, à Evry (Essonne). Celui-là même qui est largement financé par les dons du Téléthon et par des fonds publics, à travers le salaire d’une partie des chercheurs, issus du CNRS ou de l’Inserm, qui y travaillent. »

Le Canard Enchainé donne la parole aux professionnels français :

« « On s’effondre dans son fauteuil en découvrant des montants pareils ! s’indigne Alain-Michel Ceretti le président de France Assos Santé qui fédère les associations de patients. Au bout de la spirale, le prix du médicament est totalement déconnecté de son coût de recherche développement. […]

Pour la France, c’est une réussite sur toute la ligne : non seulement la découverte lui échappe, mais en plus la Sécu devra payer le remède au prix fort (une centaine de bébés pourraient en bénéficier chaque année. Le 22 mai 2018, au cours d’un déjeuner organisé par le club de l’Europe (une boite de lobbying), le patron de Novartis France avait déjà évoqué devant une brochette de députés, sénateurs et associations de patients, le coût du futur Zolgensma : « Il a parlé de 800 000 euros » pour la France mais ce sera peut-être plus, vu le prix délirant obtenu aux Etats-Unis » raconte un des participants. »

Et le Canard enchaîné donne le mot de la conclusion à Laurence Tiennot-Herment, la présidente de l’AFM-Téléthon :

« On tire la sonnette depuis des années pour éviter ce scénario. Je ne compte plus les ministres et les présidents (y compris Macron) que l’on a interpellés pour les convaincre de créer une filière française des thérapies géniquesqui irait de la recherche jusqu’à l’industrialisation et qui permettrait de maîtriser le coût du médicament. Sinon on est dépossédés de nos brevets. »

Que dire de tout cela ?

D’abord que le prix de ce médicament doit une petite part au travail de recherche et développement des laboratoires qui ont œuvré à sa réalisation et une très grand part à la spéculation puisqu’il y a eu accord sur un prix exorbitant que la firme suisse a accepté de payer parce qu’elle en espérait un profit ultérieur énorme.

Et la firme suisse a trouvé un allié de poids : les assurances américaines privées qui n’ont pas négocié pour minimiser le prix mais ont eu pour objectif de créer la rareté pour pouvoir augmenter leur profit par une hausse de leurs tarifs justifiée par un médicament exceptionnel.

Je ne dis pas que le marché n’est pas efficace et que les entreprises privées ne sont pas utiles pour la création de valeur.

Mais cet exemple montre aussi la perversité et l’oubli des valeurs humaines quand la logique du marché est poussée à son paroxysme et la cupidité des hommes ne se heurte à aucune limite.

Je me souviens d’un professeur qui comparait la santé organisée par le « Public » et celle par le « Privé »

Le « Public » cherche à soigner la population au meilleur coût.

Le « Privé » cherche à soigner la population en maximisant les profits.

Par ailleurs, il ne me semble pas juste de dire qu’il n’y a pas d’argent en France. Les français épargnent énormément. Simplement nous n’arrivons pas collectivement à mobiliser ces capitaux pour aider et continuer les travaux de nos laboratoires jusqu’à la commercialisation.

Ce mot du jour montre le monde économique comme il fonctionne.

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Mercredi 5 juin 2019

« Le titulaire d’une marque est un fils, en droite ligne, de ces putains alexandrines »
Michel Serres

Nous avons tous, notamment avec nos enfants, été confrontés à la tyrannie des marques. Il faut des chaussures de telle marque, des vêtements de telle autre sinon l’enfant est ostracisé, exclu du groupe.

Les marques permettent des marges considérables, surtout depuis que les sociétés qui les possèdent ont trouvé le filon d’aller faire fabriquer le support de leur logo dans des pays de main d’œuvre peu chère et d’un droit du travail particulièrement accommodant pour les employeurs cupides.

Mais d’où vient cette appellation de « marque ».

C’est encore Michel Serres qui apporte son explication particulière. Il a dit lors de l’émission que j’ai déjà évoquée deux fois ces derniers jours : « Michel Serres – Questions Politiques du 26 mai 2019 » :

« Autant il est facile de trouver l’origine du mot marque et sa fonction linguistique dans le droit de propriété, autant la date de son apparition historique sur le marché restait, à ma connaissance inconnue.

Sauf que, feuilletant un vieux grimoire de l’époque hellénistique, je découvris que les putains d’Alexandrie sculptaient en négatif leur nom et leur adresse sous les semelles de leurs sandales et les imprimaient ainsi en marchant sur le sable de la plage. Marchant, elles marquaient. […] Leurs clients les suivaient à la trace.

La publicité, rien de plus rationnel, fut inventée par les filles publiques. Comment nommer le titulaire d’une marque ? Un fils, en droite ligne, de ces putains alexandrines. »

Un peu de recherche a permis de constater qu’il avait déjà rapporté cette origine dans livre « Le mal propre »

Le mal propre commence ainsi :

« Le tigre pisse aux limites de sa niche. Le lion et le chien aussi bien. Comme ces mammifères carnassiers, beaucoup d’animaux, nos cousins, marquent leur territoire de leur urine, dure, puante ; et de leurs abois ou de leurs chansons douces, comme pinsons et rossignols.

Marquer : ce verbe a pour origine la marque du pas, laissée sur la terre par le pied. Les putains d’Alexandrie, jadis, avaient coutume, dit-on, de ciseler, en négatif, leurs initiales sous la semelle de leurs sandales, pour que, les lisant, imprimées sur le sable de la plage, le client éventuel reconnaisse la personne désirée en même temps que la direction de sa couche. Les présidents des grandes marques reproduites par les publicitaires sur les affiches des villes jouiront sans doute, ensemble, d’apprendre qu’ils descendent en droite ligne, comme de bons fils, de ces putains-là.

Ou de ces bestioles-là, qui marquent de leurs déjections les frontières de leur aire. De même, certains végétaux diffusent alentour de petits jets invisibles d’acide… Rien ne pousse à l’ombre glacée des sapins. »

Il y a donc selon lui deux origines aux « marques ».

  • L’instinct des mammifères « de pisser » aux limites de leur territoire pour en « marquer » les limites et leur appropriation de ce territoire.
  • La pratique des prostituées d’Alexandrie d’imprimer leur trace dans le sable afin que leurs clients puissent les retrouver.

Je ne sais pas s’il faut considérer ces explications comme la vérité historique.

Mais je dois avouer qu’elles me plaisent beaucoup, tant il est vrai que « les marques » sont devenus une sorte de drogue qui crée l’addiction à une société de surconsommation dont nous savions déjà qu’elle était la ruine de l’âme et dont nous comprenons aujourd’hui qu’elle est aussi une immense menace pour la survie de notre espèce sur la terre.

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Mardi 26 mars 2019

« En 1990, le PIB chinois représentait le 1/3 du PIB français. En 2005, ils sont au même niveau. Aujourd’hui il est 4 fois plus important. »
Pascal Boniface

Pascal Boniface est le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques.

En quelques mots tout est dit.

1990, c’était il y a 30 ans…

Il y a là une dynamique en œuvre que l’on ne sent pas s’arrêter.

Vous savez tous que le Président chinois rend visite à notre Président.

Ajoutons une petite photo d’actualité pour être complet


Imaginez-vous un monde où la première puissance mondiale est un régime dictatorial ?

C’est ce qui se prépare.

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