Jeudi 14 septembre 2017

« Homo deus »
Yuval Noah Harari

La traduction française est parue mercredi 6 septembre. Et le 6 septembre à 14:00 le livre était sur mon bureau.

J’étais en effet impatient de lire la suite du passionnant Homo sapiens.

Si vous n’avez toujours pas lu homo sapiens, vous pourrez utilement vous reportez à la série de 13 mots du jour que j’ai consacré à ce livre étonnant.

Homo sapiens avait pour sous-titre : « Une brève histoire de l’humanité » et parlait du passé.

Le livre se terminait par un épilogue dont le titre est : « un animal devenu Dieu ? ».

Le questionnement sur ce qui se trame à la silicon valley, les projets fous des GAFAM, la généralisation de l’intelligence artificielle et des big data, l’annonce de la singularité où l’homme et l’intelligence artificielle s’interpénétreront se terminait par cette assertion : « Si cette question ne vous donne pas le frisson, c’est probablement que vous n’avez pas assez réfléchi. »

« Homo deus » était donc annoncé. Il parle de l’avenir, des futurs possibles.

Je vais me plonger dans cette lecture et je ne peux que vous conseiller de faire la même chose.

Le Point a traduit un billet que Bill Gates, le fondateur de Microsoft, a écrit sur son blog :

« Qu’est-ce qui donne un sens à nos vies ? Et que se passerait-il si, un jour, ce qui nous fournissait ce sens disparaissait ? Je continue à penser à ces questions importantes après avoir fini Homo deus, le livre provocateur de Yuval Noah Harari. Melinda et moi avons adoré Sapiens, qui tentait d’expliquer comment notre espèce a réussi à dominer la planète.  (…)

Le nouveau livre de Harari est aussi stimulant que Sapiens. (…) Je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’avance l’auteur, mais il fournit une vision sérieuse de ce qui attend peut-être l’humanité.

Homo deus explique que les principes qui ont organisé la société vont subir un bouleversement au XXIe siècle, avec des conséquences majeures pour la vie telle qu’on la connaît. (…) Nous nous sommes organisés pour satisfaire nos besoins : être heureux, en bonne santé, et contrôlant notre environnement. Mais, en menant ces objectifs à terme, Harari affirme que l’humanité va tout faire pour parvenir à « la félicité, l’immortalité et la divinité ». (…)

Je suis plus optimiste que lui […]

Je trouve passionnante la question des buts humains. Si nous résolvons les grands problèmes comme la faim et la maladie, et si le monde devient plus pacifique, quels objectifs aurons-nous ? (…) Harari a fait le meilleur travail que j’aie jamais vu pour exposer ce problème. Il suggère que, pour trouver un nouveau sens à nos vies, nous développerons une nouvelle religion. Hélas, je ne suis pas satisfait par cette réponse (pour être franc, je ne suis pas non plus satisfait par les réponses de penseurs brillants comme Ray Kurzweil ou Nick Bostrom, ou par mes propres réponses).

[…] C’est un livre passionnant avec beaucoup d’idées stimulantes et peu de jargon. Il fera réfléchir au futur, autre façon de dire qu’il fera réfléchir au présent. »

Yuval Noah Harari a accordé un long entretien au Point, dans lequel il définit plus précisément ce concept d’homme-dieu :

« Déjà, il faut se demander ce qu’est un dieu. Si vous regardez les mythologies, et notamment la Bible, l’une des caractéristiques primordiales des êtres divins est de fabriquer du vivant. Or nous sommes en train d’acquérir ce pouvoir. Je ne dis pas que les humains seront des superhéros volant dans l’air. Mais nous sommes capables de quelque chose de bien plus incroyable : remodeler la vie, avec l’aide du génie biologique et de l’intelligence artificielle. […] Le passage d’Homo sapiens à Homo deus est un processus évolutif qui a déjà commencé ! La revue Nature vient d’annoncer que des chercheurs, pour la première fois, sont parvenus à modifier des gènes malades dans des embryons humains. Nous sommes en train de refaçonner le code de la vie, et dans cinquante ou cent ans, cela sera la routine. En ce sens, les humains seront comme des dieux. »

Et

« Une fois que vous êtes capable de refaçonner la vie, il n’y a aucune raison que vous ne puissiez pas aussi remodeler la mort. Dans les mythologies anciennes, la mort était considérée comme un phénomène métaphysique. Vous mouriez car telle était la volonté de Dieu. Mais, pour la science, la mort n’est plus qu’un simple phénomène biochimique, un problème à résoudre. Nous mourons du fait d’un pépin technique, et nul besoin d’attendre le Second Avènement pour tenter de trouver une solution. Il est clair que la guerre contre la mort sera le projet phare de notre siècle. Bien sûr, nous ne deviendrons pas immortels, mais a-mortels. Même en allongeant de plus en plus l’espérance de vie, les surhommes du futur ne seront pas à l’abri d’un accident. Mais on peut envisager, comme le prédit Ray Kurzweil, qu’on se rende tous les dix ans dans une clinique pour bénéficier du dernier traitement technologique et gagner une nouvelle décennie de bonne santé. La vie humaine n’aura plus de limite claire, mais se transformera en un processus indéterminé. »

Alors quand il réfléchit sur le libre-arbitre, la liberté de choix, les décisions qui nous engageront et l’avenir de la démocratie, il argumente de la manière suivante :

« L’humanisme est en crise, car ses fondements sont en train d’être sapés par les découvertes scientifiques comme par les nouvelles technologies. L’hypothèse la plus importante de l’humanisme libéral est le libre-arbitre de l’individu. Or la science explique que les sentiments, les choix et les désirs des humains sont le simple produit de la biochimie. Une fois que nous aurons une connaissance biologique suffisante, et assez de puissance informatique, un algorithme pourra parfaitement comprendre, prévoir et manipuler ces choix et sentiments humains. […] Vous pensez voter librement pour tel candidat ou acheter de votre plein gré telle voiture, mais ce n’est pas le cas.

[…], nous savons de mieux en mieux comment manipuler les individus, mais, de l’autre, cela a aussi de plus en plus de sens de faire confiance au big data et aux algorithmes, car ils vous comprendront bien mieux que vous n’en êtes vous-mêmes capable. À une question comme « que dois-je étudier à l’université ? », plutôt que de faire confiance à vos propres sentiments, il vaudra mieux interroger Google, de la même façon que quand, tout à l’heure, vous avez atterri sur un aéroport en pays étranger, vous avez fait confiance à Google Maps. Nous allons prendre de moins en moins de décisions dans nos vies. Et, au fur et à mesure que la croyance en l’individu s’effondrera et que l’autorité sera transmise aux algorithmes, la vision humaniste du monde – fondée sur le choix individuel, la démocratie et le libre marché – deviendra obsolète.»

Vous espérez peut être le contraire, sans doute. Mais avez-vous des arguments sérieux pour défendre votre point de vue ?

Il me faudra du temps pour lire et approfondir cet ouvrage.

Sauf immense déception de ma part à la lecture de ce livre, j’en reparlerai dans quelques mois.

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Jeudi 19 mai 2016

Jeudi 19 mai 2016
«King Abdullah Economic City,»
La ville privée

Nous avons donc compris que les maîtres de la Silicon Valley voulaient faire disparaître la politique et l’Etat.

C’est encore le jeune patron de Facebook, Mark Zuckerberg, qui a annoncé un projet urbain baptisé « Zee Town ».

Pour un montant estimé à 200 milliards de dollars, le roi des réseaux sociaux prévoit de construire sur 80 hectares, dans la Silicon Valley, rien de moins qu’une ville complète dédiée à ses 10.000 salariés, avec supermarchés, hôtels, villas et même dortoirs pour les stagiaires du groupe.

Mais ce n’est pas aux Etats-Unis, pas encore peut-être, mais dans ce « beau ? » pays, qui abrite les villes saintes de l’Islam, où l’alcool est interdit, où les femmes suivent la mode pudique, ce pays où toute autre religion que l’Islam est interdite sauf peut-être la religion de l’argent qu’est en train de se bâtir la première ville privée du monde : KAEC , King Abdullah Economic City.

Il est vrai que dans ce pays « saint », il est habituel de tout privatiser puisqu’ils ont même privatisé le nom de l’Etat qui porte le nom privé de la famille régnante.

Mais qu’est-ce que KAEC ?

KAEC n’a pas de maire, elle est gouvernée par le PDG d’Emaar Economic City (EEC), Fahd Al Rasheed, qui juge le modèle « très bon pour les villes ».

« Par définition, le secteur privé doit créer de la valeur : je dois donc vendre plus cher que le coût de revient, explique-t-il A l’inverse, les politiciens ont parfois du mal à créer de la valeur avec les services : ils en connaissent le coût, mais le prix qu’ils facturent à leurs administrés dépend de facteurs politiques. »

A Kaec, les habitants ne paient pas de taxes mais des « frais de services » pour la sécurité, l’eau ou la collecte des déchets, qui sont sous-traitées à différents entrepreneurs.

« Les habitants nous payent pour un service, pas pour financer une administration. Et comme ce sont nos clients, ils n’hésitent pas à se plaindre si les services sont mal rendus. Dans ce cas, la ville peut facilement changer de prestataire. »

Les concepteurs de ce projet visent près de 2 millions d’habitants, pardon de clients d’ici à 2035

Dans le cas de Kaec, un partenariat public-privé a été conclu entre le gouvernement saoudien et un groupe immobilier de Dubaï, Emaar Properties.

Vous trouverez toutes les informations utiles derrière ces liens :

Dans le Figaro : <Kaec, la première ville cotée en Bourse au monde>

Dans les Echos : <Villes privées : la nouvelle utopie>

Et sur un site spécialisé en urbanisme : <Kaec : une ville 100% privée>

Une ville privée !

Il est vrai que ville vient du mot latin VILLA qui signifie ferme agricole, domaine rural voir maison de campagne. C’est à dire, à l’origine, quelque chose de privée.

Le mot VILLA a donné d’abord village, comme une communauté de villa puis ville.

Le mot vilain vient aussi du latin VILLA car l’ancien français désignait sous le terme de vilain un « habitant du domaine rural », bref un paysan.

En latin VILLA ne désignait pas la ville ; Le terme latin pour désigner ville est «urbs». C’est à partir de cette racine que nous connaissons urbain, urbanisme, urbanité etc.

Lorsqu’il était employé avec une majuscule, l’Urbs désignait alors « la ville d’entre toutes les villes », Rome.

Ainsi la bénédiction papale le jour de Pâques est : « Urbi et Orbi », « À Rome et au Monde ».

Mais il y a un autre mot pour désigner la réalité de la ville : En Grèce antique on parlait de la « polis » qui est bien sûr la racine de « politique » dont les patrons des technologies numériques ne veulent plus.

Et dans l’étymologie latine « polis » est devenu « civitas » c’est à dire une cité-État, autrement dit une communauté de citoyens libres et autonomes.

Dans la pensée grecque antique, la cité préexiste à l’homme.

À titre d’exemple, la cité d’Athènes n’existe pas en tant que telle : c’est la cité des Athéniens, tout comme Sparte est la cité des Lacédémoniens.

Toutes ces informations sont tirées de Wikipedia qui rappelle aussi qu’Aristote disait :

« la cité est une communauté — une koinônia — « d’animaux politiques » réunis par un choix — proairésis — de vie commune (Politique, 1252 – 1254). »

En français, ce mot « la cité » a aujourd’hui mauvaise réputation. Ce n’est pas très valorisant de venir de la cité

Mais le mot cité eut son heure de gloire, il y avait les cités Etat : Venise, Gêne, il reste la cité du Vatican.

Aujourd’hui on garde une connotation historique pour certains quartiers ou centres historiques l’Ile de la cité à Paris ou encore la cité de Carcassonne.

On utilise aussi ce mot pour désigner un ensemble immobilier qui a une fonction particulière : La cité universitaire, La cité ouvrière ou encore comme un nom commercial « La cité de la gastronomie » ou à la Lyon « la cité internationale ».

Mais c’est bien à la racine latine de cité que s’attaque la ville privée car si cité vient du latin civitas (« état de citoyen, droit de cité, ensemble des citoyens d’une ville, cité, nation, État »), il est surtout apparenté à civis (« citoyen »).

Et de citoyen, il n’est plus question à KAEC !

A KAEC n’y a plus que des consommateurs !

Il y a bien sûr des sites saoudiens qui vantent cet objet du futur déjà présent :

https://www.visitsaudi.com/fr/see-do/destinations/kaec/kaec-family-fun-in-the-sun

https://www.arabnews.fr/node/Economie

Et le site de <la ville en anglais>

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Mercredi 29 octobre 2014

« Dans 20 ans, la demande de main-d’œuvre pour beaucoup de compétences sera substantiellement plus faible.
Je ne pense pas que ce soit intégré dans le modèle mental des gens ».
Bill Gates
Fondateur de Microsoft

Bill Gates n’est pas le seul à le dire, mais lui le dit de manière très abrupte :

« Vous ne réalisez pas à quel point les robots prendront votre travail. »

Il dit en toute simplicité

« De grands changements auxquels les gens et les gouvernements ne sont pas préparés arrivent sur le marché du travail. »

Lors d’un discours à Washington D.C. auprès d’un groupe de réflexion économique The American Enterprise Institute on Thursday, Bill Gates a déclaré :

« La substitution logicielle, qu’elle concerne les chauffeurs, les serveurs ou les infirmières, progresse. Sur la durée, la technologie va réduire la demande en emplois, particulièrement au bas de l’échelle des compétences. Dans 20 ans, la demande de main-d’œuvre pour beaucoup de compétences sera substantiellement plus faible. Je ne pense pas que ce soit intégré dans le modèle mental des gens »

< Ici le journal du net qui parle de ce discours>

<Le JDD vient de publier un article : Les robots vont-ils tuer la classe moyenne ?>

<BFM TV sur le même sujet>

Les libéraux optimistes reviennent toujours à ce concept de l’économiste autrichien de la « destruction créatrice » qui désigne le processus continuellement à l’œuvre dans les économies et qui voit se produire de façon simultanée la disparition de secteurs d’activité économique conjointement à la création de nouvelles activités économiques.

Dans la vision de Joseph Schumpeter du capitalisme, l’innovation portée par les entrepreneurs est la force motrice de la croissance économique sur le long terme. Schumpeter emploie l’image d’un « ouragan perpétuel » : dans l’immédiat, il peut impliquer pour certaines entreprises présentes sur le marché une destruction de valeur spectaculaire. Le phénomène affecte tout type d’organisations mêmes les plus importantes ou celles censées jouir jusque-là d’une position apparemment forte ou dominante (y compris sous la forme d’une rente de situation ou d’un monopole).

Il est possible, c’est une hypothèse raisonnable, que nous ne soyons plus à ce stade de l’évolution libérale.

<Bernard Stiegler défend aussi ce point de vue de la fin de l’emploi>

Si cette hypothèse crédible se réalise, c’est peu dire que nous ne sommes pas sur le chemin pour nous y préparer.

Dans ce que dit Bill Gates, ce n’est pas la première partie qui me parait la plus importante : la destruction massive de l’emploi, au sens actuel de l’économie,  pour les humains.

C’est la seconde partie Je ne pense pas que ce soit intégré dans le modèle mental des gens.

Aujourd’hui quand ceux qui ont le pouvoir économique ou politique parle, il parle d’un modèle qu’il ne conçoive pas de dépasser. Ce modèle où le travail donne du travail.

Où les capitalistes  investissent, où l’investissement donne de l’emploi rémunéré et de la croissance qui dans un cercle vertueux permet plus ou moins à chacun de trouver sa place dans un monde essentiellement mû par la cupidité et l’appât du gain.

Mais que devient ce modèle si le ressort se casse : la croissance ne donne plus suffisamment d’emploi rémunéré pour que le plus grand nombre trouve une place dans la société économique ?

Si vous êtes courageux voici une conférence très intéressante, plus longue mais assez mal enregistrée où Bernard Stiegler développe un concept en réponse à Schumpeter  : <La destruction destructrice>

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