Mercredi 24 Juin 2015

«Après l’angoisse de la page blanche, Amazon vient d’inventer l’angoisse de la page non lue. »
Olivier Ertzschied, enseignant chercheur

Xavier de La Porte nous apprend qu’« A partir du mois juillet, Amazon rétribuera ses auteurs (c’est-à-dire ceux qui ne passent pas par une maison d’édition mais s’autopublient en ligne sur le site) à la page lue.»

Olivier Ertzschied, sur son blog Affordance, envisage les implications de cette évolution, qui touchent aussi bien un modèle économique (celui de l’édition classique) que l’écriture (si on est payé à la page lue, autant faire en sorte que le lecteur ait envie de la tourner).

J’ai trouvé ce développement sur Rue89 : <Amazon : ce qu’implique le paiement des auteurs à la page lue>

« Imaginez un monde dans lequel les auteurs (tous les auteurs : BD, romans, polars, science, essais, etc.) seraient rémunérés non plus de manière forfaitaire en fonction du nombre de ventes mais en fonction du nombre de pages lues. Ou plus exactement, toucheraient une micro-rémunération à chaque fois qu’un lecteur lirait une des pages de leur œuvre. […] »

Amazon, qui, dans le cadre de la lecture numérique sur sa tablette Kindle, dispose d’une volumétrie de données considérable et considérablement détaillée sur notre activité de « lecteur », souhaite mettre en place le modèle disruptif suivant :

« Plutôt que de payer les auteurs pour chaque livre, Amazon commencera bientôt à payer les auteurs en fonction du nombre de pages lues – non pas en fonction du nombre de pages téléchargées mais du nombre de pages affichées à l’écran suffisamment longtemps pour pouvoir supposer avoir été lues. »

L’impact sur la littérature même pourrait être considérable comme le souligne l’article de The Atlantic :

« Pour la plupart des auteurs qui publient directement via Amazon, ce nouveau modèle pourrait changer les priorités et les choix d’écriture : un système avec une rémunération à la page lue est un système qui récompense et valorise en priorité les « cliffhangers » et le suspense au-dessus de tous les autres « genres ». Il récompense tout ce qui garde les lecteurs accrochés » (« hooked »), même si cela se fait au détriment de l’emphase, de la nuance et de la complexité. »

Pour l’instant – et on comprend bien pourquoi –, ce type de rémunération ne s’appliquera qu’aux auteurs « auto-édités » par le biais de la plateforme Kindle Direct Publishing. Et de jouer sur la corde incitative pour amener de plus en plus d’auteurs à se séparer de maisons d’édition « classiques » au profit d’une contractualisation directe avec Amazon. Classique et éternel (à l’échelle du numérique en tout cas) processus de désintermédiation. […]

Mais plus que cela, Amazon ouvre ici une boîte de Pandore dans laquelle il serait très étonnant que Google (avec l’écosystème Google Books) et Apple (avec iTunes) ne tentent pas à leur tour de s’engouffrer. […]

En ne payant plus les auteurs en fonction du nombre de pages écrites mais du nombre de pages lues, et les algorithmes et autres DRM et dispositifs propriétaires (d’Amazon) étant les seuls à pouvoir disposer des outils de mesure permettant ce fonctionnement, les auteurs se trouvent à leur tour en situation de travailler « pour » les algorithmes, à la manière de journaliers guettant la notification sur smartphone du nombre de pages lues de leurs ouvrages chaque jour. […]

La question est de savoir ce que deviennent les auteurs de ces livres avec un modèle de rémunération à la page lue, comment ils s’adapteront et adapteront leur production littéraire à ce nouveau modèle, tout autant porteur de nouvelles opportunités que de risques considérables. La question est aussi de savoir de quel nouveau sentiment de toute puissance – ou de culpabilité – se sentira investi le lecteur dans le cadre d’un système de rémunération à la page des auteurs, se trouvant pris dans les rets d’un nouveau « petit actionnariat » de la lecture. […]

Une chose est sûre, après l’angoisse de la page blanche, Amazon vient d’inventer l’angoisse de la page non lue. […]

Le modèle de rémunération des auteurs à la page lue transforme l’activité de lecture pour en faire un « indicateur », une « variable » permettant toutes les spéculations mais aussi tous les détournements.

Après avoir cassé ce droit fondamental qui est celui de la confidentialité de l’acte de lecture, Amazon s’apprête désormais à le monétiser. Pop économie et salariat algorithmique. Et toujours ces secteurs – celui de la langue –, toujours ces moments – celui de la lecture – que l’on pensait préservés de la sphère marchande et qui s’y trouvent systématiquement soumis et aliénés. Plus aucun espace-temps, pas même celui du jeu, qui ne fonctionne comme un système de remise à la tâche, qui ne soit un cheval de Troie marketing ou un salariat algorithmique à peine masqué.

<Ici un article publié sur le Monde sur ce sujet>

<521>

Mercredi 3 juin 2015

« En France, vous avez un art très rare qui est de fabriquer des religions sans dieu. Vous n’avez pas de roi mais un président qui ressemble à un roi, vous n’avez pas de religion d’Etat mais vous avez le Panthéon ».
Kamel Daoud

Kamel Daoud, né en Algérie, est un écrivain et journaliste algérien d’expression française. Selon Wikipedia

«S’il écrit en français et non en arabe, c’est, dit-il, parce que la langue arabe est piégée par le sacré, par les idéologies dominantes. On a fétichisé, politisé, idéologisé cette langue.»

Depuis 1994, il écrit au Quotidien d’Oran, il est aussi parfois chroniqueur dans des journaux français comme Le Point.

Il a acquis aussi un surplus de notoriété en écrivant un roman «Meursault, contre-enquête » sur lequel je reviendrai plus loin. C’est pour ce roman qu’il avait été invité le 13 décembre 2014, dans l’émission « On n’est pas couché sur France 2 ».

ll a parlé de son rapport à l’islam.

« Je persiste à le croire : si on ne tranche pas dans le monde dit arabe la question de Dieu, on ne va pas réhabiliter l’homme, on ne va pas avancer. La question religieuse devient vitale dans le monde arabe. Il faut qu’on la tranche, il faut qu’on la réfléchisse pour pouvoir avancer. »

Et suite à cette émission un imam salafiste, Abdelfattah Hamadache Zeraoui, a appelé à son « exécution », écrivant que « si la charia islamique était appliquée en Algérie, la sanction serait la mort pour apostasie et hérésie ». « Il a mis le Coran en doute ainsi que l’islam sacré ; il a blessé les musulmans dans leur dignité et a fait des louanges à l’Occident et aux sionistes. Il s’est attaqué à la langue arabe, écrit Abdelfattah Hamadache Zeraoui. (…) Nous appelons le régime algérien à le condamner à mort publiquement, à cause de sa guerre contre Dieu, son Prophète, son Livre, les musulmans et leurs pays. »

C’est cet homme qui était l’invité de France Inter du 27 mai 2015. <En France vous avez l’art de fabriquer des religions sans dieu>

C’est souvent l’œil extérieur qui sait porter le regard le plus pertinent sur une situation ou une société. Interrogé par un auditeur sur l’autocensure de certains intellectuels ou pratiquée dans les médias français sur la question de l’islamisme par peur de représailles ou lâcheté intellectuelle, il a eu ce propos :

« L’islamisme est le nouveau totalitarisme de notre siècle donc il pèse par la peur, par l’oppression, par la violence, par le meurtre. En Algérie, la dernière polémique visait une étudiante exclue parce qu’elle portait une jupe trop courte. En France, on a le contraire, une jupe trop longue. C’est assez symptomatique du siècle et de ces « maladies ». En France, j’ai été frappé du fait que vous n’arrivez pas à redéfinir facilement les choses : qu’est-ce que la liberté, qu’est-ce que dessiner, qu’est-ce que la laïcité. Vous avez une élite qui jacasse beaucoup mais qui est incapable de définir la liberté pour un écolier de 15 ans. Je pense que vous avez besoin d’un dictionnaire. Vous avez une collection de tabous extraordinaires. Je me sens beaucoup plus libre paradoxalement quand j’exerce mon droit d’intellectuel en Algérie qu’ici ».

Et puis il a ajouté ce qui est le mot du jour d’aujourd’hui.

Enfin il a eu ce rapprochement audacieux :

«Il y a finalement peu de différences entre les islamistes qui me menacent dans mon pays et la montée du Front national en France. D’ailleurs, le mot « salafiste » veut dire « souche »».

Kamel Daoud est devenu plus célèbre en France, en octobre 2013 quand sort son roman «Meursault, contre-enquête»

Il a loupé le prix Goncourt d’une voix : 4 contre 5 à Lydie Salvayrepour pour son roman « Pas pleurer »

Ce livre est une réponse à «l’Étranger» d’Albert Camus

L’Étranger d’Albert Camus, roman de 1942, met en scène un personnage-narrateur nommé Meursault, vivant à Alger en Algérie française. Dans la première partie du roman, il enterre sa mère, qu’il a internée à l’hospice de Marengo et il assiste aux funérailles, sans avoir l’air d’être triste, il ne veut pas simuler un chagrin qu’il ne ressent pas.

Par la suite il est mêlé à une dispute entre son voisin et sa maîtresse qui est arabe. Quelques jours après en se promenant sur la plage avec son voisin il croise deux Arabes, dont le frère de la maîtresse. Une bagarre éclate. Plus tard, Meursault, seul sur la plage accablée de chaleur et de soleil, rencontre à nouveau l’un des Arabes, qui, à sa vue, sort un couteau. Meursault tire sur l’homme, puis tire quatre autres coups de feu sur le corps.

Dans la seconde moitié du roman, Meursault est arrêté et questionné. Ses propos sincères et naïfs mettent son avocat mal à l’aise. Il ne manifeste aucun regret. Lors du procès, on l’interroge davantage sur son comportement lors de l’enterrement de sa mère que sur le meurtre. Meursault se sent exclu du procès. Il dit avoir commis son acte à cause du soleil, ce qui déclenche l’hilarité de l’audience. La sentence tombe : il est condamné à la guillotine. Meursault voit l’aumônier, mais quand celui-ci lui dit qu’il priera pour lui, il déclenche sa colère. Avant son exécution, Meursault finit par trouver la paix dans la sérénité de la nuit.

Camus décrit Meursault comme un étranger au Monde, il ne donnera jamais de nom à l’Arabe victime de Meursault.

Kamel Daoud écrit son roman en prenant pour narrateur le frère de « l’Arabe » tué par Meursault et le sort donc de l’anonymat.

Wikipedia nous apprend qu’en Algérie, le livre est l’objet d’un malentendu :

« Sans l’avoir lu, de nombreuses personnes ont pensé que c’était une attaque de L’Étranger, mais moi je n’étais pas dans cet esprit-là. […] Je me suis emparé de L’Étranger parce que Camus est un homme qui interroge le monde. J’ai voulu m’inscrire dans cette continuation. […] J’ai surtout voulu rendre un puissant hommage à La Chute, tant j’aime ce livre. »

Kamel Daoud est en tout cas un homme passionnant, et ce qu’il dit de la France est si juste :

Nous nous disons républicains mais nous sommes des monarchistes qui révoquons notre roi tous les 5 ans et des laïcs qui allons voter le dimanche dans notre maison laïque sacrée de l’École. Enfin nous disposons d’un Temple : Le Panthéon où notre roi décide quels sont les saints laïcs que nous pourrons vénérer.

Pour toutes les autres nations, nous autres français ne pouvons apparaître que bizarres et contradictoires.

<506>

Vendredi 29 mai 2015

Vendredi 29 mai 2015
« – Les enfants, savez-vous ce qu’est un champ lexical ? »
– Maîtresse, c’est un champ de fleurs !
Et toi,  maîtresse, tu es très belle ! »
Échange entre une maîtresse et un garçon rapporté par Bernard Maris dans son livre posthume

Longtemps, j’ai lu beaucoup de livres. Aujourd’hui, j’en lis peu.

Je pourrais ajouter : et maintenant je me couche de bonne heure.

Ceux qui ont de la culture comprendront…

Toutefois, j’ai acheté «et si on aimait la France » de Bernard Maris et j’ai commencé à le lire.

En voici un extrait :

« Nous sommes dans une école de banlieue, dans cette si joliment nommée Ile-de-France, qui fut autrefois le paradis des rois.

La maîtresse est douce, avec son museau pointu sous ses lunettes.

« Les enfants, savez-vous ce qu’est un champ lexical ? » Elle attend, souriante « Alors ? »

Elle n’espère pas de réponse, bien sûr….
La classe de CE1 est sage.
Mais une main de petit garçon se lève :
« Maîtresse, c’est un champ de fleurs ! »

Un champ de fleurs…Elle rit. Comme c’est mignon, un champ de fleurs, quel charmant petit garçon !
Elle secoue la tête, va pour expliquer, mais le petit crépu ajoute :
« Et toi,  maîtresse, tu es très belle »

Cette histoire m’a été racontée par mon ami Michel Bernard, écrivain, et de belle langue.

J’ignorais ce qu’était un « champ lexical »

Renseignement pris, on parle de champ lexical pour désigner « un ensemble théorique de noms, de substantifs, d’adjectifs et de verbes appartenant à une même catégorie syntaxique et liés de branches par leur domaine de sens »

[et il donne un exemple] « Le médecin guérit le malade » est  un champ lexical de trois substantifs. [D’après mon expérience récente, cette phrase est fausse, mais c’est un champ lexical].

Doit-on assener une telle horreur à des enfants ?

Des enfants qui ne demandent qu’à être ce qu’ils sont, des poètes, comme ce petit garçon qui voit d’abord un champ de fleurs, et dans ces fleurs une jolie maîtresse…»

« Doit-on assener de telle horreur à des enfants. »

Moi aussi je ne connaissais pas le champ lexical jusqu’à ce mes enfants entrent au collège et subissent des cours de français.

J’ai aimé lire la somptuosité des textes de Victor Hugo, j’ai été saisi par les poèmes de Baudelaire et tant de fois subjugué par la langue française, par Flaubert, Balzac, Zola et tant d’autres.

Mais je ne savais pas ce qu’était un champ lexical.

Et cela ne me manquait pas, comme tant d’autres concepts certainement intéressants, utiles, allons jusqu’à indispensables au niveau universitaire quand on veut étudier techniquement la langue.

Mais totalement inapproprié avant.

Et Bernard Maris de continuer :

« Dans notre classe de CM1, notre maître M. Vergniaud – c’était un maître très sévère- nous faisait la lecture chaque vendredi soir, en récompense d’une semaine studieuse. C’était la Guerre du feu de Rosny aîné, ou Un marin de Surcouf de Louis Garneray. Bras croisés, muets de terreur et d’émotion, nous écoutions les courses et les ruses du Malouin qui échappait toujours aux Anglais. Il n’usait pas de  « champs lexicaux » ou autres inconvenances. Il nous donnait simplement envie de lire.»

« Il nous donnait simplement envie de lire. »

Vous savez ce que disait Montaigne ?

« Je n’enseigne pas,  je raconte. »

Laissons la conclusion à l’inoubliable Bernard Maris qui écrit un peu plus loin, page 31,

« La réponse du petit garçon était très encourageante et… très française. Il charmait sa maitresse par une phrase poétique. Il tournait un compliment. Bref, il parlait à une femme.»

A propos, à Lyon ce weekend end il y a des champs de fleurs sur toute les places. <Des champs de roses>

Et si vous voulez appeler cela des champs lexicaux, comme le jeune garçon, personne ne vous en voudra.

<503>

Jeudi 12 février 2015

Jeudi 12 février 2015
« L’arôme des mots à l’infini »
Anagramme de « Les éditions Flammarion »
Étienne Klein & Jacques Perry-Salkow

Une anagramme (le mot est féminin) – du grec ανά, « en arrière », et γράμμα, « lettre », anagramma : « renversement de lettres » – est une construction fondée sur une figure de style qui inverse ou permute les lettres d’un mot ou d’un groupe de mots pour en extraire un sens ou un mot nouveau.

Étienne Klein, le physicien et journaliste est un adepte de ce jeu de l’anagramme mais il reconnaît bien volontiers  la supériorité, dans ce domaine, de son ami Jacques Perry-Salkow avec lequel il a écrit le livre « Anagrammes renversantes ou Le sens caché du monde » parue en 2011 chez Flammarion.

Il raconte dans <cet article> la genèse de ce livre et aussi que Flammarion était réticent de le publier jusqu’à ce que les deux compères dévoilent l’anagramme dont j’ai fait le mot du jour et qui révèle le sens caché des Éditions Flammarion.

Depuis que dans les différentes émissions qu’il anime, j’entendais Etienne Klein égrener des anagrammes, j’avais envie d’abord de parler de ce livre et plus généralement des anagrammes étonnantes et plein de sens.

En voici d’autres tirées de ce livre :

  • pirate = patrie
  • étreinte = éternité
  • sportifs = profits

Après pour comprendre les autres il faut avoir un peu de culture, de connaissance scientifique et aussi de connaissance de l’actualité :

  • le Médiator = la mort idéale
  • Claude Levi Strauss = a des avis culturels
  • la courbure de l’espace-temps = superbe spectacle de l’amour
  • le chat de Schrödinger = le choc d’hier est grand
  • La théorie de la relativité restreinte = vérité théâtrale et loi intersidérale
  • Le Radeau de la Méduse = au-delà de la démesure
  • Saint-Germain des Prés = matins nègres de Paris
  • Hôtel des ventes de Drouot = un lot de vestes d’Hérodote
  • L’origine de l’univers = un vide noir grésille
  • Le marquis de Sade = démasqua le désir
  • Être ou ne pas être, voilà la question = Oui, et la poser n’est que vanité orale
  • Et les particules élémentaires = tissèrent l’espace et la lumière
  • La gravitation universelle = loi vitale régnant sur la vie
  • Léonard Bernstein = l’art de bien sonner
  • Marie-Antoinette d’Autriche = cette amie hérita du Trianon = Reine, ta tête a dû choir matin
  • «Le Président Barack Hussein Obama » [doit beaucoup] = « à Rosa Parks, à ce bien humble destin »

Et à mon sens les 3 les plus fabuleux :

  • Le Maréchal Pétain = Place à Hitler, amen !
  • Le commandant Cousteau = tout commença dans l’eau

Et :

  • L’origine du monde, Gustave Courbet =  ce vagin où goutte l’ombre d’un désir


Voilà, voilà, je crois que vous allez courir acheter ce livre

<439>

Lundi 1er septembre 2014

« Les mots sont les passants mystérieux de l’âme »
Victor Hugo Les Contemplations Livre I. Poème VIII « Suite » (1854)

Eh bien essayons de continuer cette discipline quotidienne du mot du jour. Pour m’en convaincre j’ai reçu les protestations de certains à l’idée de finir ce défi et ce 8ème poème du livre Un des contemplations de Victor Hugo :

« Car le mot qu’on le sache est un être vivant ».

Cette période de congé m’a permis de faire le point, depuis le 9 octobre 2012, le présent mot est le 339ème de cette série.

Que le ciel et les mots de Hugo vous tiennent en joie. Ce poème étant fort long je me permets d’en citer des extraits :

Car le mot, qu’on le sache, est un être vivant.
La main du songeur vibre et tremble en l’écrivant;
La plume, qui d’une aile allongeait l’envergure,
Frémit sur le papier quand sort cette figure,
Le mot, le terme, type on ne sait d’où venu,
Face de l’invisible, aspect de l’inconnu;
Créé, par qui? forgé, par qui? jailli de l’ombre;
Montant et descendant dans notre tête sombre,
[…]

Oui, vous tous, comprenez que les mots sont des choses.
Ils roulent pêle-mêle au gouffre obscur des proses,
Ou font gronder le vers, orageuse forêt.
Du sphinx Esprit Humain le mot sait le secret.
[…]

Tel mot est un sourire, et tel autre un regard;
De quelque mot profond tout homme est le disciple;
Toute force ici-bas a le mot pour multiple;
[…]

Ce qu’un mot ne sait pas, un autre le révèle;
Les mots heurtent le front comme l’eau le récif;
Ils fourmillent, ouvrant dans notre esprit pensif
Des griffes ou des mains, et quelques-uns des ailes;
Comme en un âtre noir errent des étincelles,
Rêveurs, tristes, joyeux, amers, sinistres, doux,
Sombre peuple, les mots vont et viennent en nous;
Les mots sont les passants mystérieux de l’âme
Chacun d’eux porte une ombre ou secoue une flamme;
[…]

Le mot dévore, et rien ne résiste à sa dent.
A son haleine, l’âme et la lumière aidant,
L’obscure énormité lentement s’exfolie.
Il met sa force sombre en ceux que rien ne plie;
[…]

Oui, tout-puissant! tel est le mot. Fou qui s’en joue!
Quand l’erreur fait un nœud dans l’homme, il le dénoue.
Il est foudre dans l’ombre et ver dans le fruit mûr.
Il sort d’une trompette, il tremble sur un mur,
Et Balthazar chancelle, et Jéricho s’écroule.
Il s’incorpore au peuple, étant lui-même foule.
Il est vie, esprit, germe, ouragan, vertu, feu;
Car le mot, c’est le Verbe, et le Verbe, c’est Dieu.

<L’intégralité du poème se trouve ici avec l’intégralité des Contemplations>

<339>

Vendredi 01/08/2014

Vendredi 01/08/2014
«L’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie.
Après-midi, piscine.»
Franz Kafka
Journal, 2 août 1914
Le grand écrivain tchèque n’a écrit que ces deux phrases dans son Journal, à la date du 2 août 1914
Cette expression correspond-elle à une figure de style répertorié ?
Pour moi elle est simplement l’ancêtre du zapping.
Nous sommes le 1er Aout 2014
Le 1er Aout 1914 l’Allemagne et la France lancent la mobilisation générale.
Et ce même jour à 19 heures l’Allemagne déclare la guerre à la Russie, ce qui permet ce mot de Kafka le lendemain.
Le carnage peut commencer : en moyenne près de 900 français sont morts à la guerre, chaque jour, entre 1914 et 1918.
Aujourd’hui quand 1 soldat meurt on fait des funérailles nationales
Et quand 51 français meurent dans un accident d’avion, tous les drapeaux sont mis en berne.
Je vous le dit je préfère aujourd’hui, mais ces chiffres comparées à notre sensibilité de maintenant, montrent l’horreur qu’ont vécu nos grand pères ou arrières grand pères.
Pour moi c’était mon grand-père Félix et…il était soldat allemand. Ma famille Klam a bougé sur 4 générations de quelques 20 km entre des villages près de Sarreguemines ou de Forbach, en Moselle, en Lorraine. Mon arrière-grand-père était soldat français en 1870, mon grand-père soldat allemand en 1914 et mon père, soldat français en 1940. Ce fût le destin de beaucoup d’alsaciens et de mosellan : changer de camp selon les générations.
Le mot du jour va se mettre en vacances avec son auteur.
Si le Ciel, les podcasts, mes lectures d’aujourd’hui et d’autrefois continuent à me donner l’inspiration et si parmi vous il en reste suffisamment qui ne se seront pas lassés il reviendra peut être le 1er septembre.
Depuis que j’ai adopté le nouveau format j’ai arrêté de compter, mais un décompte rapide montre que nous sommes à environ 350 mots du jour, depuis qu’un jour d’octobre 2012 ou plutôt une fin de journée, Betty m’a proposé ce beau défi : trouver un mot du jour, chaque jour de la semaine où je travaillais.
Jusqu’ici ça va, disait cet homme qui tombait du 300ème étage et se trouvait au 180ème…
Sur cette chute, je vous souhaite de bonnes vacances, bon courage ou bonne rentrée…
<338>

 

Mardi 07 mai 2013

« Ce sont toujours les hommes en troupeau qui gagnent les batailles, et les hommes libres qui gagnent la guerre »
John Steinbeck « Lune Noire »

Nous fêtons la défaite de l’Allemagne nazi le 8 mai.

Cette date est la conséquence de la volonté de l’URSS de faire signer la capitulation allemande à Berlin.

Mais la véritable capitulation des autorités nazi a eu lieu le 7 mai 1945 à 2h41 du matin à Reims, l’acte de reddition de l’armée allemande étant signé par le général Jodl.

Pour l’anniversaire de la défaite de la barbarie nazi je cite la conclusion du livre de John Steinbeck : « Lune Noire » :

« Un sifflement strident hurla du côté de la mine. Une rafale de vent pulvérisa de la neige sur les fenêtres. Orden joua avec sa médaille et déclara d’une voix sourde :
– Vous voyez, colonel, on ne peut rien y changer. Vous serez écrasés et expulsés. Les gens n’aiment pas être conquis, colonel, et donc ils ne le seront pas.
Les hommes libres ne déclenchent pas la guerre, mais lorsqu’elle est déclenchée, ils peuvent se battre jusqu’à la victoire.
Les hommes en troupeau, soumis à un Führer, en sont incapables, et donc ce sont toujours les hommes en troupeau qui gagnent les batailles et les hommes libres qui gagnent la guerre. Vous découvrirez qu’il en est ainsi, colonel.
Lanser se redressa avec raideur. »

Lune noire (The Moon Is Down) est un roman de John Steinbeck écrit en 1942, il décrit une petite ville occupée par une armée étrangère.

Les habitants se mobilisent peu à peu pour faire comprendre aux occupants qu’ils ne sont pas les bienvenus. Ceux-ci ressentent le rejet de la part des autochtones et commencent à craindre pour leur vie. Les actes de sabotage se multiplient et finalement certains occupants viennent individuellement supplier les habitants de les épargner.

La force de cette œuvre est de montrer que même dans une situation d’occupation, l’individu peut rester libre s’il est en accord avec sa conscience.

Les occupants quant à eux sont aliénés au régime auquel ils obéissent.

À la fin de l’histoire, les occupants, cernés par les explosions provoquées par la résistance qui s’est organisée dans la ville, prennent le maire en otage.

Le titre est inspiré d’un dialogue de Macbeth.

Au début du deuxième acte Banquo et Fleance rencontrent Macbeth qui est sur le point d’assassiner Duncan.

Banquo demande à son fils :

« How goes the night, boy? » (Où en sommes-nous de la nuit, mon garçon ?), celui-ci répond: « The moon is down; I have not heard the clock. » (La lune est couchée ; je n’ai point entendu sonner l’heure.). »

La citation suggère que les ténèbres ne vont pas tarder à s’abattre sur le royaume.

Par analogie, Steinbeck voulait montrer que l’Allemagne nazie faisait descendre sur l’Europe des ténèbres similaires.

L’ouvrage est traduit et publié clandestinement dans la plupart des pays européens occupés. (France, Editions de Minuit).

Il est traduit en Allemand par Humanitas Verlag à Zurich et le groupe du Schauspielhaus (composé en partie d’Allemands, communistes et antifascistes ayant fui l’Allemagne dans les années 1930, comme Wolfgang Langhoff) de cette ville le joue à presque deux cents reprises.

<101>

Jeudi 07 mars 2013

Jeudi 07 mars 2013
« Il n’y a qu’en prison qu’on a le temps de lire et de penser aux choses sérieuses »
Régis Debray
Pour consoler Berlusconi qui vient d’être condamné à un an de prison par un tribunal milanais, ce propos d’un homme qui parle de son expérience. Propos tenu le 03/03/2010 dans l’émission Nonobstant et que j’ai noté.

Jeudi 10 janvier 2013

Jeudi 10 janvier 2013
« Celui qui combat peut perdre,
mais celui qui ne combat pas a déjà perdu »
Bertold Brecht
Dans son dernier discours de début d’année (ce qu’il a révélé lui-même) notre Directeur Régional, au milieu de plusieurs citations notamment de philosophes grecs, a cité un auteur dont je ne soupçonnais pas qu’il puisse en être lecteur : Bertold Brecht.
Il a cité la seconde partie de cette phrase que je vous rends dans son intégralité comme mot du jour : « Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu » – Bertold Brecht
Cette maxime nous invite bien sûr à nous éloigner de toute politique d’autruche : « demain ça ira mieux »
Mais elle pose aussi la question complexe : que signifie combattre dans la situation d’aujourd’hui ?

Mercredi 21 novembre 2012

« Maintenant, main tenant »
Michel Serres

Selon Michel Serres, les jeunes générations ont compris ce que signifiait le mot maintenant, qu’il faut lire main tenant, c’est à dire tenant dans la main. Avec les smartphones qu’ils tiennent dans la main, ils peuvent immédiatement échanger avec tous leurs proches ou personnes qu’ils connaissent quel que soit le lieu où les uns et les autres se trouvent dans le monde. Ils peuvent accéder à l’information et à la connaissance instantanément en surfant sur les outils de l’internet, ils peuvent envoyer, maintenant, des photos qu’ils viennent de prendre quelques secondes auparavant etc…

Chaque année est organisée à Lyon, sur une journée, une rencontre échange animée par Michel Serres.

Cette année elle a eu lieu samedi 17 novembre et j’ai eu la chance d’y assister.

Lors de l’une de ses interventions pleines d’intelligence fulgurante et d’analyse lucide et prospective du monde il a fait référence à son livre « Petite Poucette » où il décrit la jeune génération et sa capacité à envoyer des SMS avec son pouce et où il explique que c’est un bouleversement considérable dans l’Histoire de la société humaine.

Le sous titre de ce livre est le suivant :

« Le monde a tellement changé que les jeunes doivent tout réinventer : une manière de vivre ensemble, des institutions, une manière d’être et de connaître… »

Si vous voulez en savoir plus, lisez un entretien dans le journal Libération avec cet homme qui s’est qualifié, lui-même, samedi, de vieillard au porte de la mort : <Petite poucette la génération mutante>

<23>