Mardi 23 avril 2019

« Les mystères du cerveau, les mystères de la vie »
Conclusion de Frédéric Pommier après avoir cité un article du magazine Society

Il est encore beaucoup de choses que nous ne comprenons pas, nous autres humains. Il faut l’accepter et le reconnaître.

Le magazine « Society », qui est un bimensuel mais qui se dit « quinzomadaire », a consacré un article sur ce sujet. Et c’est à nouveau la revue de presse du week-end de l’irremplaçable Frédéric Pommier du dimanche de pâques, <Le 21 avril 2019> qui m’a informé de ces étranges aventures.

Le premier destin dont il est question est Franco Magnani. Frédéric Pommier a dit :

« Il y a quand même des gens qui ont des vies exceptionnelles… Ou des cerveaux exceptionnels. Et là, je ne parle pas de ceux qui sont dotés d’une intelligence formidable, je ne parle pas de ceux qui ont toujours été des génies, mais de ceux qui, alors qu’ils menaient une existence tout à fait normale, ont eu un accident, et suite à cet accident, se sont découvert des capacités nouvelles. C’est l’histoire de l’Italien Franco Magnani. On est en 1960, il tombe gravement malade, forte fièvre, il délire et, une fois guéri, le voilà qui se met à peindre le village de son enfance avec une précision quasi photographique… »

En pratique cet homme vivait en Californie et avait quitté son village natal depuis une vingtaine d’années et n’avait aucune pratique ou goût pour la peinture.

J’ai trouvé un autre article qui évoque Franco Magnani et aussi d’autres destins similaires d’un talent explosant subitement pour la peinture après un évènement de la vie. Il donne plus de précisions sur cet italien :

«  il est né en 1934 –, […] Franco Magnani n’a rien publié sur lui-même et tout porte à croire que son nom serait resté à jamais ignoré sans la reconnaissance fortuite de l’Exploratorium de San Francisco, un grand centre culturel qui tente d’allier arts et sciences. En effet, au milieu des années 1980, un des animateurs du centre, Michael Pearce, vient à connaître l’existence d’un cuisinier italien qui tient avec son épouse Ruth, peintre elle-même, une petite galerie dans la banlieue de San Francisco, à North Beach. Il y expose quelques-uns de ses tableaux, essentiellement des vues, des vedute, d’un village accroché sur un promontoire escarpé. Michael Pearce rend visite au peintre, il l’écoute. Le cas qu’il représente l’intrigue, son insertion dans une grande exposition sur la mémoire est décidée.

Conformément à son orientation, l’Exploratorium soumet l’œuvre à un dispositif expérimental. Franco Magnani affirme qu’il peint exactement son pays, quitté depuis plus de vingt ans, il suffit de vérifier la chose. La photographe attachée à l’institution, Susan Schwartzenberg, se rend dans le village pour retrouver quelques-unes des vues de Magnani, elle ramène une série de clichés qui confirment l’exactitude sidérante de ses représentations; exposés à côté des tableaux, ils identifient en Magnani une exceptionnelle «hypermnésie visuelle» et le consacrent comme «memory artist». Oliver Sacks, le neurologue qui a renouvelé la narration littéraire du «cas» psychologique, voit ces tableaux, rencontre leur auteur et en fait un des héros de son livre, « An Anthropologist on Mars: Seven Paradoxical Tales (1995) », où il ancre le diagnostic d’hypermnésie dans une physiologie du cerveau tout en racontant la biographie de l’artiste »

J’ai donc appris un nouveau mot « hypermnésie »   du grec huper, « avec excès », et mnesis, « mémoire » qui une pathologie caractérisée par une mémoire autobiographique extrêmement détaillée du passé.Les personnes atteintes d’hypermnésie peuvent se remémorer des périodes lointaines de leur vie, remontant à la petite enfance.

Franco Magnani dispose d’un <site> en anglais où il raconte son aventure et où on voit certaines de ses œuvres.

Mais Frédéric Pommier évoque un autre cas cité par Society :

« 2002 : c’est l’histoire de l’Américain Jason Padgett. On l’agresse à la sortie d’un karaoké, sévère commotion cérébrale, mais l’incident l’a transformé en cador des mathématiques… »

Vous trouverez aussi plusieurs sites qui évoquent le cas de ce mathématicien né brutalement à la conscience mathématique. Par exemple cette page : « Une réalité mathématique dessinée en fractales par un homme atteint par le syndrome du savant. »

Cette pathologie a également un nom : « synesthésie ». Je ne développe pas et je n’ai pas approfondi.

Frédéric Pommier donne encore un autre exemple :

« Et puis, en 2012, c’est l’histoire d’un jeune Australien, Ben McMahon. Victime d’un accident de la route, il tombe dans le coma et, au bout d’une semaine, ses parents croient rêver quand leur fils se réveille : il parle en mandarin, un mandarin fluide à l’accent remarquable. Les scientifiques évoquent ici « le syndrome de la langue étrangère ». Il y a d’autres exemples. On ne les explique pas. Les mystères du cerveau, les mystères de la vie. »

Là aussi si vous tapez le nom de Ben Mac Mahon dans un moteur de recherche vous accéderez à de multiples articles en anglais sur cette aventure. Le « Dauphiné » a consacré un article en français à ce syndrome.

L’article de Society parle encore d’autres cas :

En 1860 Eadweard Muybridge s’était cogné à un rocher et est tombé dans le coma pendant 9 jours. Après cet accident il devient un inventeur génial.

En 1951 Kim Peek se souvenait de 98% des 12 000 livres qu’il avait lus. Son histoire a servi d’inspiration pour le film « Rain Man » dans lequel Dustin Hoffmann jouait le rôle de cet autiste à la mémoire phénoménale.

« Hypermnésie »,  « synesthésie », «syndrome de la langue étrangère », Frédéric Pommier a raison de parler « des mystères du cerveau, des mystères de la vie ».

La science ne sait pas expliquer.

Pendant longtemps des récits mystiques essayaient de donner des pseudos explications à de tels phénomènes.

Aujourd’hui encore des charlatans ont des théories qu’ils exposent avec une grande assurance et avec lesquelles ils espèrent parfois gagner beaucoup d’argent et y arrivent parfois. D’autres cherchent plus simplement exercer un pouvoir sur des adeptes.

L’humilité nous conduit simplement à dire que nous ne savons pas, ou si nous sommes optimiste que nous ne comprenons pas encore.

Car le contraire de la connaissance n’est pas l’ignorance mais les certitudes.

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Jeudi 28 mars 2019

« L’effet placebo explique peut-être une partie du bénéfice reçu d’un vrai médicament. »
Carl Simonton

Martine est une ancienne infirmière en unité de cancérologie. Elle m’a conseillé un livre à lire, car c’était un livre qui l’a beaucoup inspiré ainsi que tout son service, par son approche de la maladie et plus encore des thérapies et de la démarche pour donner une chance à la guérison. J’ai donc suivi ce conseil et je suis en train de lire « Guérir envers et contre tout ».

Carl Simonton (1942 – 2009) était un médecin américain, cancérologue et radiothérapeute. Il a écrit ce livre avec son épouse Stéphanie Matthews Simonton, psychologue et James Creighton, psychothérapeute. Il a été publié aux Etats-Unis en 1992.

Dans ce livre il insiste beaucoup sur l’aspect psychologique du malade qui a des conséquences fondamentales sur la qualité de vie ainsi que la durée de survie et même la guérison. Il avait constaté qu’avec le même diagnostic, certains patients mouraient et d’autres non. Et même, avec un pronostic plus pessimiste que d’autres, certains connaissaient des rémissions beaucoup plus longues.

Il a observé que certains patients pouvaient retarder l’échéance fatale. Ceux-là marchandaient avec la mort, par exemple : « Je ne peux pas mourir maintenant, je ne peux pas m’en aller avant que ma fille se marie ». Ils se sentent indispensables et pensent qu’ils doivent être là jusqu’à ce que….

Et disons pour faire simple que le docteur Simonton a développé des méthodes qui se basent sur cette réflexion :

« Puisque les malades qui ont guéri sont des battants qui se persuadent et se voient guérir, je me dois donc d’apprendre à mes patients à devenir des lutteurs.  »

Il donne comme conseil essentiel à tout malade d’être acteur de sa thérapie et de sa guérison et non simple spectateur du travail des médecins.

Mais ce que j’entends partager aujourd’hui, c’est une histoire vraie que Simonton raconte dans son livre et que vous trouverez d’ailleurs rapporter par plusieurs sites qui essaient d’approcher le phénomène de l’effet placebo :

« Un exemple particulièrement spectaculaire et dramatique, de l’effet placebo a été rapporté par le Docteur Bruno Klopfer, un chercheur travaillant à tester le médicament appelé Krebozien. En 1950, le Krebozien reçu une publicité nationale américaine formidable comme « cure » du cancer, et était en train d’être testé par l’association médicale américaine et le service national américain de contrôle des aliments et produits par. Un patient du Docteur Bruno Klopfer avait un lumphosarcome, un cancer généralisé, très avancé, qui touche les ganglions lymphatiques. Le patient avait des masses tumorales énormes partout dans son corps, et il était dans un état physique si désespéré, qu’il avait souvent besoin de prendre de l’oxygène à l’aide d’un masque ; il fallait lui enlever du liquide de sa poitrine tous les deux jours.

Lorsque le patient découvrit que le docteur Klopfer travaillait dans l’équipe de recherche sur le Krebozien, il supplia qu’on lui fasse le traitement au Krebozien.

Klopfer accepta et le rétablissement du patient fut étonnant. En peu de temps, les tumeurs avaient diminué de façon spectaculaire et le patient pu reprendre une vie normale, piloter son avion privé.

Puis lorsque les rapports de l’association médicale américaine et du service national américain de contrôle des aliments et produits pharmaceutiques sur les résultats négatifs du Krebozien commencèrent à être publiés, l’état du patient empire. Croyant les circonstances assez graves pour justifier des mesures exceptionnelles, Klopfer raconta à son patient qu’il avait obtenu un autre Krebozien, super raffiné, doublement puissant et qui produirait les meilleurs résultats.

En fait les injections que fit Klopfer n’étaient que de l’eau distillée.

Néanmoins, le rétablissement du patient fut encore plus remarquable. Encore une fois, les masses malignes fondirent, le liquide dans la poitrine disparut, et il redevint autonome ; même il reprit le pilotage de son avion. Le patient resta libre de tout symptôme durant deux mois. La foi celle du patient, indépendante de la valeur du médicament, avait produit son rétablissement.

Puis d’autres articles sérieux sur les tests, des rapports médicaux (A.M.A.) et gouvernementaux (F.D.A.) parurent dans la presse : « Des tests de portée nationale montrent que le Krebozien est un médicament sans valeur dans le traitement du cancer ». En l’espace de quelques jours, le patient mourut. »

L’effet placebo explique peut-être une partie du bénéfice reçu d’un vrai médicament. L’effet est créé aussi bien par la manière dont le docteur prescrit ou administre le médicament que par le processus par lequel les médicaments sont cautionnés par la profession médicale. Tout le monde sait que dans nos pays les nouveaux médicaments doivent subir au préalable des tests poussés par des laboratoires pharmaceutiques et qu’ils doivent être approuvés par le gouvernement. […] Le rite qui établit la croyance sociale dans le traitement médical est complet, on vient à croire que le médicament ordonné par un médecin doit être efficace.

Voici l’histoire : c’est parce que le malade croit que le médicament va le guérir, que le cancer recule et lorsque définitivement, il n’y croit plus, il meurt.

Dire que la psychologie est essentielle est certes intéressant, mais n’explique pas au fond ce qui se passe.

D’autres livres expliquent parfaitement que tout le monde développe des cellules cancéreuses au cours de sa vie, mais tous ne développent pas cette maladie.

La raison en est connue désormais, c’est parce que le système immunitaire, détecte les cellules anormales et déviantes et les neutralise.

Chez tous ceux qui n’ont pas le cancer, ce mécanisme fonctionne.

Pour ceux qui ont le cancer, il y a eu une faille dans la défense immunitaire.

Dans ce cadre, on peut admettre que le cerveau et donc ce que croit le cerveau a une influence essentielle sur le fonctionnement du système immunitaire.

Le médicament, dans cette hypothèse, ne guérit pas directement, mais aide notre système de défense à se mobiliser davantage et à faire le job.

Au-delà des recherches qui visent à renforcer directement le système immunitaire pour lui permettre de redevenir efficace, il me semble donc essentiel de comprendre que nous disposons, en nous, des outils et des armes pour vaincre la maladie. Il est donc bien important de se sentir acteur de sa guérison. Si on peut espérer que des médicaments peuvent nous aider dans cette tâche, ils ne peuvent pas grand-chose si notre corps ne mène pas la lutte.

Cela ouvre d’ailleurs des perspectives de compréhension dans d’autres domaines de réflexion.

Il est établi que des personnes qui sont allées en pèlerinage à Lourdes, ont été guéries.

Mais quand on sait ce que cette histoire racontée par Simonton nous apprend, nous ne pouvons pas être surpris que des personnes qui manifestent sincèrement une croyance forte à la toute-puissance de Dieu, peuvent dans le rituel du pèlerinage parvenir à mobiliser les ressources de leur corps et de leur défense immunitaire pour guérir.

Cela conduit à une conclusion simple : Dieu est un placebo !

Pour celles et ceux qui seraient choqués par ce constat brutal, il est possible d’exprimer cela de manière plus nuancée :

Les guérisons miraculeuses sont la résultante d’un effet placebo.

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Mardi 12 février 2019

« Vous savez, la modestie s’impose.»
Chloé Bertolus

Dans son livre « Le Lambeau », évoqué hier, Philippe Lançon, a beaucoup évoqué et exprimé sa reconnaissance à l’égard de la chirurgienne qui lui a permis de retrouver un visage autorisant à aller dans la rue et de passer simplement inaperçu. Son journal « Libération » a pris l’initiative d’aller rencontrer cette femme et vient de publier une interview de Chloé Bertolus. C’est un article à lire. Le journaliste tente de décrire cette chirurgienne dans son humanité, dans sa vie de réparatrice, dans ses doutes. Je reste réservé quant à la question du désir d’enfant qui me semble appartenir à la vie intime et qui à mon sens n’avait pas sa place dans cet article. Il reste que cet entretien révèle un médecin humble et profondément humain.

Mais le premier sujet abordé qui m’a interpellé, a été l’émergence dans la vie de Chloé Bertolus de la notoriété et de la visibilité que lui a donné le livre de Lançon et ainsi la réputation qui peut devenir gênante dans sa relation avec ses patients d’aujourd’hui, comme elle l’explique délicatement :

«C’est un truc un peu bizarre que de se retrouver dans un récit […] Comment dire ? Le livre lui-même devient une espèce de manifeste. L’autre jour, et cela m’a un peu choquée, j’ai fait la visite au 2e étage. Sur la dizaine de patients, trois avaient le Lambeau à leurs côtés. […] C’est une forme de revendication. Philippe Lançon a fictionné notre relation. Et les autres, maintenant, revendiquent une relation similaire. Ou la réclament, je n’en sais rien. En tout cas, c’est un peu étrange.»

Et elle explique simplement son travail, une prouesse technique mais qui n’a qu’un rapport très lointain avec la chirurgie esthétique, c’est beaucoup plus important, c’est plus essentiel, c’est permettre de continuer à vivre normalement et c’est énorme !

«Cela n’a rien à voir avec la chirurgie esthétique […], on parle de gens qui ne peuvent pas sortir dans la rue parce qu’il leur manque la moitié du visage. [L’objectif est :] Je voudrais juste que mes patients passent inaperçus. »» Ou encore : «Je suis incapable de savoir ce que veulent mes patients. Ce que je sais, c’est ce que l’on est capable de leur proposer.» La voilà pédagogique : «On peut redonner une fonction. A des gens à qui on a enlevé la moitié de la langue, on va la reconstruire, et ils vont reparler. A d’autres, on va leur rebâtir une mâchoire, ils vont pouvoir manger. Mais aussi redonner un visage. Pour être reconnu comme un être humain, il faut avoir quelque chose qui ressemble à une bouche, à un nez, à des yeux. Il faut ressembler à quelqu’un. Ou à tout le monde.»

Puis elle touche l’essence des choses par l’humilité, par l’humanité dans ce qu’elle a de fragile, d’éphémère, de tragique et pourtant de beau. C’est la vie, notre vie :

«Vous savez, la modestie s’impose. Quand on a commencé dans notre service à opérer des patients cancéreux, un des chirurgiens nous disait : « Vous avez le sentiment d’avoir sauvé une vie. Souvenez-vous qu’en fait vous ne l’avez que prolongée. » Finalement, on ne sauve rien du tout.» Chloé Bertolus est ainsi, dans le faire. «A un curé avec qui je discutais, j’expliquais que certains soirs, avec certains patients qui ne vont pas bien du tout, on est là, sur le pas de la porte de leur chambre, et on se dit : « Pourquoi ? » C’est le grand pourquoi, le pourquoi de la vanité de l’existence. Pourquoi en passer par là, alors que l’on va tous mourir un jour ?»

Et l’article finit avec un retour sur la terre des comptables et la difficile équation des hôpitaux d’aujourd’hui :

« De son bureau, vient de sortir le DRH de l’hôpital. On leur a supprimé un des trois blocs opératoires : «L’hôpital, c’est rude. Mais j’ai toujours entendu que les hôpitaux étaient au bord de l’implosion. On a créé chez nous un sentiment étrange à force de nous répéter que l’on coûtait cher. […] Maintenant, comme cheffe de service, je dois mener d’autres combats.»

Les médecins sont bien sûr comme les autres communauté des humains, très divers. Certains font leur travail consciencieusement et restent très fonctionnels, les remplacer par des robots ne sera pas une grande perte.

D’autres sont pleins d’assurances, du moins veulent apparaître comme tels. Il existe aussi des professeurs qui se parent de leur titres pour asséner des affirmations, les écrire dans des livres en faisant croire qu’il s’agit de connaissances scientifiques, alors que ce ne sont souvent que des croyances. Bien sûr la médecine a fait de grand progrès, mais l’étendue de ce que l’on ne sait pas est toujours beaucoup plus important que ce que l’on sait. Ici aussi le contraire de la connaissance n’est pas l’ignorance, mais les certitudes.  

Et puis il en est qui comme Chloé Bertolus, font un travail admirable tout en restant dans l’humilité, dans l’humanité et dans le service à l’égard de ceux qu’ils essayent de soigner, avec ce qu’ils savent. Pour ma part, je ne fais confiance qu’aux médecins humbles, c’est à dire qui n’expriment pas trop de certitudes.

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Vendredi 1er février 2019

« il n’y a pas d’ordre global du temps »
Carlo Rovelli

Je vais donc terminer cette série de mots du jour sur le temps par une question abyssale : Le temps existe-t’il vraiment ?

La réponse des scientifiques est clairement négative. Cela est pour nous autres humains, absolument contre-intuitif. Je vais essayer dans ce mot du jour d’expliquer ce que j’ai compris à l’aide du physicien italien Carlo Rovelli.

Né le 3 mai 1956 à Vérone, Carlo Rovelli est un physicien italien spécialiste de la physique quantique.

Carlo Rovelli a écrit plusieurs ouvrages sur le temps et notamment « Et si le temps n’existait pas ? »

C’est vers lui que le journal « Quartz » de New York s’est tourné pour avoir des éclaircissements sur ce sujet. Et l’article publié le 17 mai 2018 a été repris par <Le numéro de Courrier International> que Jean-François m’a offert avec l’injonction d’en faire des mots du jour.

Certains lecteurs m’expliquent qu’ils ne comprennent pas toujours ce que j’écris.

Je dois concéder qu’aujourd’hui je suis à la limite de ma propre compréhension.

Je publie d’ailleurs à dessein ce mot vendredi pour vous laisser le week end pour le lire à tête reposée.

Mais pour essayer de partir sur de bonnes bases, il faut poser deux fondements à notre réflexion.

Le premier concerne « Le temps » en lui-même. Quand Carlo Rovelli ou d’autres remettent en cause du « temps », de quoi parle t’il ?

Parce que parallèlement Courrier International a également traduit un article du journal « Motherboard » de New York : « Il lit l’heure dans les atomes » qui parle d’un scientifique américain d’origine chinoise Yun Ye qui par ses travaux a inventé l’horloge la plus précise du monde en utilisant le strontium 87. Cette horloge est d’une précision défiant aussi notre raison. Elle est définie dans l’article de la manière suivante :

« Si elle avait fonctionné depuis le big bang, il y a 13,8 milliards d’années elle n’aurait dérivé que d’une seule seconde »

Par comparaison une horloge au césium révolutionnaire inventé en 1955 par Louis Essen et Jack Parry se serait écartée d’une seconde en 300 ans.

Comment sortir de cette contradiction de mesurer de plus en plus finement un élément qui n’existe pas ?

Parce que nous verrons plus loin que le temps existe localement, par exemple sur la terre et encore à un endroit délimité de la terre. Et dans ce cadre on peut mesurer très précisément le temps qui s’écoule.

« Le temps » qui est remis en question est le temps universel permettant de dégager une chronologie universelle. Une autre manière d’aborder ce sujet serait de dire qu’on est capable de déterminer « un maintenant » c’est-à-dire un présent où on serait en mesure de dire : à ce moment précis il se passe telle chose sur terre, telle autre chose sur l’étoile SIRIUS et telle autre chose au niveau atomique dans un noyau d’hydrogène. Ce « maintenant» n’existe pas.

Dans son commentaire au mot du 24 janvier 2019, Etienne m’a lancé un défi : « « Oui mais la version linéaire est limitée et fausse à grande échelle.  » J’attends la démonstration ». Et bien cette démonstration va être faite dans l’infiniment grand et l’infiniment petit.

Le second fondement concerne la science. Vous savez qu’il existe la mécanique quantique qui décrit l’infiniment petit et la relativité générale qui décrit l’univers et l’infiniment grand. Des scientifiques essayent de réconcilier ces deux sciences sans pour l’instant n’avoir trouvé de consensus général.

Il faut bien comprendre que nous ne sommes pas dans un récit mythique mais dans la rigueur scientifique.

Mon professeur d’Histoire des Sciences, Girolamo Ramunni avait eu cette formule saisissante : « Si avant de monter dans un avion vous apprenez que le concepteur de cet engin met en doute la physique quantique, ne montez surtout pas, vous êtes en danger de mort ». En effet, énormément d’instruments qui assurent la sécurité de l’avion ne pourrait exister, si on n’avait pas mis en œuvre les découvertes de la mécanique quantique.

Et de la même manière au niveau de l’Univers et de l’infiniment grand, la théorie de la relativité d’Einstein n’a jamais pu être réfuté pour l’instant. Je vous renvoie vers <cette vidéo de Hubert Reeves> qui explique cela de manière remarquable.

Je l’avais déjà cité lors du mot du jour du <27 mars 2015> consacré à la définition que donnait Karl Popper de la science :

« Une théorie qui n’est réfutable par aucun événement qui se puisse concevoir est dépourvue de caractère scientifique. »

Ce sont donc les scientifiques de la physique quantique et de la relativité générale, [c’est-à-dire ceux qui décrivent de la manière la plus rationnelle le monde dans lequel nous vivons] qui disent : Le temps, tel que nous l’avons défini, ci-avant, n’existe pas.

Citons d’abord l’article traduit par Courrier International et publié le 17 mai 2018 par le journal Quartz :

« Le temps est une réalité pour les êtres humains. Pourtant, du point de vue de la physique quantique, il n’existe pas. « Les équations fondamentales qui décrivent notre monde ne comportent pas de variable de temps », souligne Carlo Rovelli, spécialiste de physique théorique. […]

« Le temps est un sujet fascinant parce qu’il touche à nos émotions les plus profondes. Le temps est à la fois ce qui ouvre l’existence et ce qui engloutit tout. S’interroger sur la notion de temps, c’est questionner le sens même de notre vie. C’est pour ça que j’ai passé ma vie à étudier cette question », explique le chercheur.

Dans son dernier livre, L’Ordre du temps [éd. Flammarion, février 2018], le physicien nous parle non seulement du passage du temps et de la façon dont nous le ressentons en tant qu’êtres humains, mais aussi de son absence tant à l’échelle de l’infiniment vaste qu’à celle de l’infiniment petit. Et de nous démontrer que les notions de chronologie et de continuité ne sont que des produits de notre imagination que nous inventons pour donner du sens à notre existence.

Le temps, estime Carlo Rovelli, n’est qu’une question de perspective, et non une vérité universelle. C’est un point de vue que les humains ont en commun et qui est le produit de notre biologie, de notre évolution, de notre place sur terre et de la position de notre planète dans l’Univers.

« De notre point de vue – celui de créatures représentant une petite partie du monde –, le monde baigne dans le temps », écrit le physicien. Au niveau quantique pourtant, les durées sont trop courtes pour être fragmentées, et le temps n’existe pas.

En fait, poursuit Rovelli, il n’existe rien du tout. L’Univers entier se compose d’une infinité d’événements. Ce qui nous semble être un objet – une pierre, par exemple – est en réalité un événement se déroulant à une vitesse dont nous n’avons pas conscience. Car cette pierre est en réalité dans un état de transformation constant. Considérée sur une échelle de temps suffisamment longue, elle aussi n’est qu’une forme éphémère, appelée à se transformer.

« Dans la grammaire élémentaire du monde, il n’y a espace, ni temps : uniquement des processus qui transforment les quantités physiques [ce qui peut être mesuré] les unes dans les autres, dont nous pouvons calculer les probabilités et les relations » écrit Rovelli.

Si le temps nous semble s’écouler d’une façon ordonnée, c’est par ce que nous nous trouvons sur la terre, une planète caractérisée par une relation entropique unique avec le reste de l’univers. La façon dont notre planète se déplace créée pour nous une sensation d’ordre, qui n’est pas nécessairement perçu comme tel ailleurs dans l’univers.[…]

Si le monde nous semble ordonné, c’est parce que nous le considérons en partant du passé jusqu’au présent, relayant certaines causes à certains effets. Nous y superposons de l’ordre en fixant des événements dans un enchaînement particulier et linéaire. Nous voyons les événements à des résultats ce qui nous donne une idée du temps qui passe.

Reste que l’univers est infiniment plus complexe et chaotique que ce que nous pouvons imaginer, avance Rovelli. […]

Nos limites créent alors une impression d’ordre, erronée ou incomplète, et nous donne une image fragmentaire de la réalité. Pour le physicien, nous ne faisons en fait que « flouter » le monde pour nous concentrer dessus, nous nous aveuglons pour le contempler. Ce qui le pousse à affirmer que « le temps, c’est l’ignorance ».

Si cela paraît terriblement abstrait, c’est parce que ça l’est. Il existe toutefois un moyen assez simple d’illustrer le fait que le temps est une notion humaine mouvante, une expérience plutôt qu’un élément constitutif de l’univers.

Imaginez que vous observez une planète lointaine baptisée Proxima et depuis un télescope sur la terre. « Maintenant » n’est pas le même présent sur la terre et sur cette planète. La lumière que vous percevez depuis la terre lorsque vous contemplez Proxima, vous montre une réalité de ce qui s’y passait il y a quatre ans. « Il n’y a pas de moments particuliers sur Proxima qui correspondent à notre ici et maintenant » conclut le scientifique. […]

Rovelli : « Le temps est un concept complexe, comportant plusieurs niveaux et des propriétés distincts dérivées de différentes approximations. La structure temporelle du monde ne correspond pas à l’image naïve que nous en avons. » […]

Pour Rovelli, ce que nous ressentons comme le passage du temps est un processus mental qui se déroule dans les interstices entre mémoire et anticipation. « Le temps et la forme à travers laquelle nous, créatures dotées d’un cerveau contenant la somme de notre mémoire et de nos anticipations, interagissons avec le monde : c’est la source de notre identité. »

En résumé, le temps est une histoire que nous nous racontons toujours au présent, individuellement et collectivement. C’est un acte collectif d’introspection, de narration, d’enregistrement et d’anticipation, fondée sur nos relations à des événements antérieurs et la nécessaire survenu d’autres événements. […] Le temps est une expérience psychologique et émotionnelle. « Il est vaguement connecté à la réalité extérieure, concède Rovelli, mais c’est avant tout quelque chose qui se passe dans notre tête. »

TELERAMA avait également publié un entretien de Carlo Rovelli où il donne d’autres clés de sa réflexion : « Le présent est une notion locale, pas globale »

« A l’aide de la philosophie, de la recherche en mécanique quantique et de schémas scientifiques éclairants, Carlo Rovelli incite ses lecteurs à penser différemment leur rapport au temps pour mieux le comprendre. La connaissance du monde ouvre l’esprit et guide la vie au quotidien pour le physicien. Et puisque l’éternité est une illusion, le mot d’ordre est d’accepter le caractère éphémère des choses pour apprécier la beauté de la vie.[…]

Nous avons tendance à penser que le temps est quelque chose de très simple et familier, une unité imperturbable qui s’écoule de façon uniforme, du passé vers le futur. Le cerveau joue un rôle dans notre perception de la temporalité, en dehors de toute équation. Par exemple, nous pensons que le passé est derrière nous et le futur devant : ce n’est pas une réalité physique mais émotionnelle. Nos angoisses, strictement liées au temps qui passe, à la peur de mourir, illustrent chaque jour l’importance de notre ressenti dans la compréhension du temps. L’idée commune de l’écoulement du temps est relativement récente. Dans sa Physique, Aristote affirmait, lui, que le temps est la mesure du changement. Si rien ne change, alors le temps ne s’écoule pas. Dépendant des événements, il permet avant tout de nous situer dans le compte des jours. Au XVIIe siècle, Newton s’oppose à cette vision aristotélicienne. Le physicien britannique conçoit le temps indépendamment de toute matière et de tout événement. Le temps, absolu, s’écoule quoi qu’il advienne. C’est Newton qui a forgé notre conscience actuelle du temps, et constitué les fondements de la physique moderne. Pourtant, au XXe siècle, les travaux d’Einstein bousculent ce schéma : le temps n’est en réalité ni indépendant, ni unitaire. […]

Einstein révolutionne la science. En introduisant la théorie de la relativité, il découvre que la durée d’une trajectoire est nécessairement relative à une autre chose. Le caractère unitaire du temps éclate, laissant place à une multitude de temporalités, de structures, de couches. La science n’étudie plus le monde dans le temps mais l’évolution des choses dans des temps locaux, et l’évolution de ces temps locaux les uns par rapport aux autres. Le temps n’a alors plus rien à voir avec la perception simple que nous en avons au quotidien. Il file à des vitesses différentes, passe plus vite en haut qu’en bas. Par exemple, si des jumeaux partent en vacances le même nombre de jours, l’un à la montagne, l’autre à la mer, ils ne vivront pas l’écoulement du temps de la même façon. Le montagnard rentrera de vacances plus vieux que son frère. C’est une réalité physique mesurée à l’aide d’horloges très précises. Le film de Christopher Nolan, Interstellar, décrit très bien la réalité du temps. Lorsque le héros rentre de son voyage dans l’espace, il découvre que sa fille est plus vieille que lui car le temps ne file pas à la même vitesse partout dans l’univers.

[…]

Effectivement, il n’y a pas d’ordre global du temps. L’univers se compose d’une multitude d’événements, mais une temporalité unique ne les organise pas[…]

Saint Augustin avait eu l’intuition d’un lien entre l’individu et le temps. Pour l’auteur des Confessions, la conscience de l’écoulement du temps n’existe qu’en nous-mêmes : « C’est en toi, mon esprit, que je mesure le temps. » La sensation de durée est imperceptible en dehors de notre être. Les neurosciences expliquent de plus en plus ce mécanisme. En enregistrant des informations, le cerveau, siège de la mémoire, tente de prédire les événements à venir. C’est la mémoire qui soude les processus éparpillés dans le temps dont nous sommes constitués. […]

Carlo Rovelli a, comme cela est relaté dans ces articles, écrit un autre ouvrage, paru en février 2018 et consacré au temps : « L’Ordre du temps » traduit de l’italien par Sophie Lem), éd. Flammarion, 288 p.,

Un article de The Conversation en livre un extrait « Pourquoi le temps ralentit. »

Et, si vous voulez creuser ce sujet davantage, vous pouvez écouter cette émission de mars 2018 : <La Méthode scientifique : Grand Entretien avec Carlo Rovelli>

Ou lire cet entretien publié par le Monde : « On ne voit jamais le temps, mais on voit les choses changer »

Et je finirai par cette citation du philosophe grec Aristote également présente dans le numéro de Courrier International :  :

«Nous vivons par les émotions et non par les heures du cadran solaire. Nous devrions compter le temps en battements de cœur»

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Jeudi 31 janvier 2019

«On n’a pas besoin de test pour savoir si on est du soir ou du matin»
Jürgen Zulley

Je voudrais finir ma série de mots sur le temps débuté la semaine dernière.

Et j’en reviens encore à ce numéro de « Courrier International » du 20 décembre 2018 au 9 janvier 2019, envoyé par mon ami Jean-François de Dijon et portant le titre suivant sur sa page de couverture : « Le temps passe-t-il trop vite ? »

Cette fois je m’intéresse à un article publié le 16 novembre par le journal de Münich : « Süddeutsche Zeitung » et qui parle de notre biologie interne par rapport au temps.

Cet article donnait la parole à un spécialiste du sommeil : Jürgen Zulley qui affirme :

« On n’a pas besoin de test pour savoir si on est du soir ou du matin. »

Et l’article de citer l’exemple de deux grands écrivains de langue allemande : La journée de Thomas Mann était en général réglée comme du papier à musique. « Je travaille le matin », notait l’écrivain qui intégrait la sieste à son programme. En revanche, Franz Kafka, qui travaillait dans une compagnie d’assurances pour gagner sa vie, écrivait la nuit, parfois jusqu’aux petites heures du matin.

Il s’agit donc d’une confirmation scientifique que si certains sont du matin, d’autres sont du soir :

« Ce qui nous est facile, et à quels moments de la journée, dépend d’une série de rythmes d’une constance étonnante. Le plus rigide est le rythme de vingt-quatre heures. Il ne varie que de quelques minutes, même si on est à l’isolement total et sans lumière pendant plusieurs mois, comme l’ont montré des études réalisées dans des grottes en Italie et à Andechs [en Allemagne]. La journée est en outre ponctuée par des périodes de quatre heures et des périodes de quatre-vingt-dix minutes [soit une heure et demie].

« Les choses se faisaient déjà en fonction de ces rythmes avant même qu’ils soient connus de la science, explique Jürgen Zulley. Au bout de quatre-vingt-dix minutes de travail, les gens font une pause. C’est la durée de deux ‘heures’ de cours à l’école ou à l’université [en Allemagne] – et des matchs de football. » La plus grosse erreur que puisse faire un conférencier, c’est de prévoir un exposé de plus de quatre-vingt-dix minutes. »

Et c’est ainsi que nous apprenons que notre bioryhtme est influencé par le « cortisol »

Le site Doctossimo nous explique que :

« Le cortisol est sécrété par les glandes corticosurrénales à partir du cholestérol. Sa sécrétion dépend également d’une autre hormone, l’ACTH produite par l’hypophyse dans le cerveau (ACTH pour adrénocorticotrophine).

Cette hormone intervient dans la gestion du stress par l’organisme (adaptation de l’organisme au stress). En cas de stress, elle permet une libération de sucre à partir des réserves de l’organisme pour répondre à une demande accentuée en énergie pour les muscles, le cœur, le cerveau…

Cette hormone joue également un rôle dans le métabolisme des aliments : régulation des glucides, des lipides, des protides, des ions et de l’eau pour préserver l’équilibre physiologique de l’organisme. Elle joue également un rôle à la réaction anti-inflammatoire, la régulation de la pression artérielle, la croissance osseuse et participe à la régulation du sommeil et du système immunitaire. »

Et c’est un endocrinologue de l’Université de Munich qui précise :

« Notre biorythme hormonal est fortement influencé par le cortisol qui est sécrété surtout aux petites heures du matin […] Vers 3 heures du matin. Cela nous prépare à la matinée et à la journée »

L’être humain fonctionne par cycles : l’élan du matin est suivi d’un creux vers midi puis d’un autre pic l’après-midi qui retombe le soir.

Et ces cycles sont particulièrement importants pour les sportifs dont les performances peuvent varier de manière très sensible [d’un quart écrit l’article] lors de la journée. Cette différence peut alors être la cause de la victoire ou de la défaite :

« D’après une étude sur des athlètes de haut niveau publiée en 2015, le pic de performance dépendait de la durée écoulée depuis leur réveil. Ceux qui se levaient à 7 heures atteignaient leur maximum environ 5 heures plus tard, donc vers midi. Ceux qui dormaient jusqu’à 10 heures avaient besoin de dix heures d’éveil et n’atteignaient leur meilleure forme que vers 20 heures »

Notre consommation d’énergie connaît elle aussi des variations au fil de la journée, c’est ce que viennent de démontrer des chercheurs de Harvard. Cela expliquerait que les personnes qui font les trois-huit et celles qui passent leur vie dans les avions et changent tout le temps de fuseau horaire ont tendance à prendre du poids. Leur métabolisme est tellement irrité que leur bilan énergétique se retrouve sens dessus dessous.

Il peut donc y avoir conflit entre notre horloge interne et l’horloge externe.

Toutefois Jürgen Zulley affirme que :

« L’habitude fait aussi beaucoup, le corps apprend l’heure »

Bref l’expression : « connais-toi toi-même » cher à Socrate, doit aussi s’appliquer à notre horloge interne, à notre manière d’appréhender de manière optimale notre relation avec le temps ponctué d’activité et de repos.

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Vendredi 25 janvier 2019

« La dernière étreinte »
Jan van Hooff et Mama

Avant ce week-end, je quitte légèrement la réflexion sur le temps et l’inspiration à partir du numéro de Courrier International déjà évoqué. Légèrement car il est bien ici question encore de temps, de temps qui passe, de temps qui reste…

Au départ il y a un nouveau livre de Franz de Waal : « La dernière étreinte »

J’avais évoqué l’éthologue et primatologue Frans de Waal lors du mot du jour du 28 juin 2017 : « Est-ce que l’homme est plus intelligent que le poulpe ? On ne sait pas »

J’ai d’abord entendu Frans de Waal parler de son dernier ouvrage lors d’une émission de France Culture : « La vie intérieure des animaux » qui a été diffusée le jour de Noël le 25/12/2018.

Frans de Waal travaille sur les émotions des animaux et leur capacité d’empathie.

Dans ce nouvel ouvrage il évoque le rire, le deuil, la colère, la pitié car les animaux éprouvent une palette d’émotions extrêmement variées.

Comme je l’ai écrit lors du précédent article, les études et la connaissance de Frans de Waal remettent en cause nos certitudes.

Il fait ainsi état des recherches récentes sur les émotions animales : les mammifères et la plupart des oiseaux ressentent des émotions : tristesse, joie, colère, deuil, désir de pouvoir ou sens de l’équité…

Et ce qu’il nous dit c’est que plutôt que de penser qu’il se laisse aller à « l‘anthropomorphisme » qui est la tendance à assimiler l’attitude des animaux à celles des hommes, nous devrions plutôt nous interroger sur notre « anthropodéni », c’est-à-dire la croyance vaniteuse des hommes en l’incomparabilité de leur espèce.

Mais je voudrais insister sur « la dernière étreinte » qu’évoque Frans de Waal et à laquelle il n’a pas participé. L’humain impliqué dans cette histoire qui s’est déroulée en avril 2016 est un autre scientifique néerlandais : Jan van Hooff

Une petite vidéo de 2 mn montre ce moment d’émotion et de grâce : <La dernière étreinte>

Aux Pays-Bas, le Burger’s Zoo d’Arnhem compte une colonie de chimpanzés étudiée de près par les scientifiques. Depuis les années 1970, une équipe de chercheurs observent la vie quotidienne et les comportements de cette communauté. Jusqu’en 2016, Mama, une femelle chimpanzé de 59 ans, était la matriarche de la communauté.

En avril 2016, à quasiment 60 ans, l’animal arrivait à la fin de sa vie. Mama était malade et refusait de manger.

L’équipe du zoo a alors eu l’idée de faire venir le professeur Jan van Hooff. Ce primatologue néerlandais est le co-fondateur de cette colonie de chimpanzés. Il connaissait Mama depuis 1972 et il avait tissé des liens profonds avec elle.

Alors qu’elle était sur le point de mourir, la vieille femelle chimpanzé reconnait le professeur qui avait commencé à s’occuper d’elle il y a près de 50 ans. Lorsque l’homme s’est approché d’elle et qu’il a commencé à lui parler et à la caresser, son visage s’est illuminé. L’animal affaibli a souri et a tendu sa main vers le professeur.

Lorsque Jan van Hooff se penche vers elle, Mama le touche, le caresse, se laisse nourrir et semble l’enlacer tandis que Jan van Hooff lui parle.

Une semaine après ces retrouvailles, Mama s’est éteinte à l’âge de 59 ans. Le professeur Jan van Hooff avait publié cette vidéo sur YouTube.

A sa mort, le scientifique lui a rendu hommage :

« Mama était un caractère unique, si puissant que tous les adultes mâles essayaient de rester dans ses bonnes grâces mais elle était aussi une source de réconfort et de soutien pour tous ceux qui étaient dans le besoin, tant qu’ils ne menaçaient pas sa position […] Elle me reconnaissait à chaque fois que je visitais le zoo et se montrait impatiente de « parler » avec moi et de m’épouiller. Elle nous manquera beaucoup ».

Mama jouait un rôle social important au sein de la colonie de chimpanzés d’Arnhem. Et c’est dans ce cadre que Frans de Waal l’a connu et en a tiré une partie de l’expérience relaté dans « La Politique du chimpanzé ».

J’ai tiré l’ensemble de ces informations de l’entretien à France Culture déjà cité et sur deux pages :

https://www.maxisciences.com/chimpanze/l-emouvante-reaction-d-une-chimpanze-mourante-face-a-l-homme-qui-prenait-soin-d-elle_art39956.html

https://fr.metrotime.be/2017/10/18/must-read/video-point-de-mourir-cette-chimpanzee-heureuse-de-retrouver-vieil-ami/

L’émotion, l’affection est évidente, la mémoire et les souvenirs aussi.

Mais est-ce que Mama comprenait que pour elle c’était le temps de la fin, qu’elle était en train de mourir ? C’est une question.


Parce que cette réponse de Snoopy à Charlie Brown est très belle, mais cela c’est de l’anthropomorphisme.

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Mercredi 23 janvier 2019

« Nous sommes ainsi à la fois intempérants et intemporels, des analphabètes du temps  »
Marcia Bjornerud

Je continue mon butinage dans le numéro de « Courrier international » de la fin de l’année consacré au « Temps » qui passe trop vite.

Cette fois il s’agit d’un article directement écrit par les journalistes de Courrier international et non la traduction d’un article d’un journal étranger : « Nous, les illettrés du temps »

Cet article donne la parole à la chercheuse Marcia Bjornerud qui est originaire de Norvège, elle a étudié dans son pays, puis au Canada. Elle est aujourd’hui professeure de géologie à Lawrence University (Wisconsin).

Elle a écrit un livre qui a été traduit en français et publié en 2006 : «Autobiographie de la terre» dans lequel elle se penche sur notre planète Terre.

Elle recommande la géologie comme remède à l’analphabétisme temporel.

Car savez-vous que notre planète est âgée de 4,54 milliards d’années ? Qu’une goutte d’eau peut rester neuf jours dans l’atmosphère terrestre ? Ou qu’une molécule de dioxyde de carbone peut y passer des siècles ?

Pour cette géologue ces notions sont essentielles et connaître les rythmes qui régissent la planète Terre est un enjeu majeur pour sa survie.

« La majorité des êtres humains, y compris ceux qui vivent dans des pays riches et techniquement avancés, n’ont aucun sens des proportions temporelles, de la durée des grands chapitres de l’histoire de la Terre, des taux de changement qui ont marqué les précédentes phases d’instabilité environnementale et des échelles de temps des capitaux naturels comme le système des eaux souterraines »

C’est ce qui l’a conduite à proposer le concept de « timefulness », que l’on peut comprendre comme « la conscience du temps ».

Et l’article de Courrier International s’appuie sur un ouvrage publié en 2018, non traduit en français, de la géologue : « Timefulness. How Thinking like a Geologist Can help Save the World » ce qui peut être traduit par : « La Conscience du temps. Comment penser comme un géologue peut contribuer à sauver le monde  »

Marcia Bjornerud invite à prendre conscience du temps qu’il faut à une chaîne de montagnes pour s’élever , de celui qui est nécessaire à son érosion, et des échelles de temps différentes qui régissent les processus terrestres, en particulier à une époque où tout s’accélère.

Car elle écrit :

« N’aimant pas les histoires dépourvues de héros humain, beaucoup de gens ne trouvent tout simplement aucun intérêt à l’histoire naturelle. Nous sommes ainsi à la fois intempérants et intemporels, des analphabètes du temps »

Elle invite, à redorer le blason de cette science d’autant moins prestigieuse qu’il n’existe pas de prix Nobel pour la projeter périodiquement sous le feu des projecteurs.

« L’heure est venue pour toutes les sciences d’adopter le respect géologique pour le temps et sa capacité à transfigurer, détruire, renouveler, amplifier, éroder, disséminer, entrelacer, innover et exterminer. […] Le prisme de la géologie nous permet d’appréhender le temps en dépassant les limites de notre expérience humaine »

Cette réflexion constitue un excellent antidote à l’impatience et à la difficulté de savoir attendre.

Bien sûr, vous pourrez dire cette échelle des temps n’est pas forcément la plus pertinente pour l’échelle d’une vie humaine. Quoique savoir qu’une goutte d’eau peut rester neuf jours dans l’atmosphère terrestre reste à cette échelle et montre la patience de la nature.

Mais lorsque nous nous interrogeons sur les énergies fossiles, cette réflexion devient plus que pertinente, déterminante.

Ainsi le <site de la Radio Télévision Suisse> dans la réponse à une question explique la chose suivante :

« Les énergies fossiles (gaz naturel, le pétrole et houille de laquelle on extrait le charbon) mettent des millions d’années à se former. Le temps exact de leur formation dépend de différentes conditions (température, pression, profondeur, etc.). Selon les spécialistes, les gisements actuels datent de deux périodes principales (200 à 350 millions d’années ou 20 à 150 millions d’années). On estime que moins de 1% de la biomasse des êtres vivants qui ont peuplé la terre a été enfouie dans le sol ou a sédimenté au fond des mers et des océans pour former les ressources fossiles.

Ces ressources, sont donc présentes en quantité limitées et se renouvellent beaucoup plus lentement que nous les utilisons.

Pour se donner une meilleure idée du problème on peut faire un petit calcul : si l’on compare le temps de formation des énergies fossiles (env. 200 millions d’années) à une durée d’une semaine, les hommes commencent à utiliser les énergies fossiles le dimanche à moins d’une seconde de minuit. A minuit, les énergies fossiles sont épuisées. »

C’est dans cette proportion que l’homme dilapide le capital naturel qui lui a été donné.

Pendant ce temps, certains homo-sapiens envisagent d’aller s’installer sur Mars…

Peut être….

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Jeudi 11 octobre 2018

« Le dataïsme : l’humanité n’aura été qu’une ondulation dans le flux de données cosmique »
Yuval Noah Hariri : « Homo deus » page 425

Dans le mot du jour du 2 octobre je précisais que mon objectif n’est pas de réaliser un résumé de « Homo deus » mais d’aborder des questions et des développements qui m’ont interpellé et pour lesquels Harari m’a appris quelque chose ou m’a permis de me poser des questions nouvelles.

Aujourd’hui, j’aborderai dans cet avant dernier article de la série, le sujet central de la préoccupation de Yuval Noah Harari qui se trouve dans l’exploration des capacités de l’intelligence artificielle, de ce qu’il appelle le découplage entre l’intelligence et la conscience et de la confiance de plus en plus grande que manifestent les hommes à l’égard des données, les data en anglais et qui amènerait à une nouvelle religion qui est le « dataïsme »

Yuval Noah Harari insiste beaucoup dans ses développements que dans notre manière de fonctionner et de réagir, nous les humains, mais aussi les autres animaux il y a une grande partie de procédures algorithmiques. Des algorithmes déclenchés par des événements extérieurs ou intérieurs.

Un algorithme n’est rien d’autre qu’un traitement de données, qui reçoit des données, les analyse puis donne un résultat qui est une action, une réflexion, un comportement. Et pour ce faire des processus biologiques, électriques et chimiques sont à l’œuvre dans notre corps.

Ces processus sont les mêmes chez homo sapiens et les autres animaux. L’animal voit, ressent, décide et agit comme le fait un humain. La différence est la taille du cerveau, le nombre de neurones, qui confère à un individu humain sa supériorité sur les autres animaux. Mais pour Harari, l’être humain se différencie aussi de l’animal par la conscience.

Harari a donné pour sa dernière partie un titre explicite : « Homo sapiens perd le contrôle » dont des sous parties sont :

  • Le grand découplage
  • L’océan de la conscience
  • Et l’ultime chapitre : la religion des data

Et je commencerai par citer le début de « L’océan de la conscience »

« Il est peu probable que les nouvelles religions émergeront des grottes d’Afghanistan ou des madrasas du Moyen-Orient. Elles sortiront plutôt des laboratoires de recherche. De même que le socialisme s’est emparé du monde en lui promettant le salut par la vapeur et l’électricité, dans les prochaines décennies les nouvelles techno-religions conquerront peut le monde en promettant le salut par les algorithmes et les gênes. […]

On peut diviser ces nouvelles techno-religions en deux grandes catégories :

  • Le techno-humanisme
  • La religion des données [ou dataisme] »

Et Yuval Noah Harari, s’efforce d’abord de définir le techno-humanisme :

« Le techno-humanisme reconnaît qu’Homo sapiens, tel que nous le connaissons a vécu : il arrive au terme de son histoire et cessera d’être pertinent à l’avenir. Il conclut toutefois que nous devons créer Homo deus, un modèle d’homme bien supérieur. Homo deus, conservera des traits humains essentiels, mais jouira aussi de capacités physiques et mentales augmentées qui lui permettront de se défendre contre les algorithmes non conscients les plus sophistiqués. Comme l’intelligence est découplée de la conscience et que l’intelligence non consciente se développe à vitesse grand V, les hommes doivent activement optimiser leur esprit s’ils veulent rester dans la course. […]

Il y a 70 000 ans, la révolution cognitive a transformé l’esprit de Sapiens, faisant d’un insignifiant signe africain le maître du monde. L’esprit amélioré de Sapiens a soudain eu accès au vaste champ de l’intersubjectivité, ce qui lui a permis de créer des dieux et des sociétés, de bâtir des cités et des empires, d’inventer l’écriture et la monnaie et , finalement de scinder l’atome et d’aller sur la lune. Pour autant que nous le sachions, cette révolution stupéfiante a été le fruit de quelques menus changements dans l’ADN de Sapiens et d’un léger recâblage de son cerveau. Si tel est le cas, explique le techno humanisme, peut-être quelques changements supplémentaires de notre génome et un autre recâblage de notre cerveau suffiront-ils à lancer une seconde révolution. »

Par la suite Harari documente toutes les possibilités qui pourraient exister pour étendre nos capacités mentales, permettre de voir un spectre plus large de la lumière par exemple, augmenter nos capacités de raisonnement et notre rapidité de réaction et je vous renvoie par exemple vers le casque évoquée hier et qu’a expérimenté et décrit la journaliste au New Scientist Sally Adee.

Mais Harari reconnaît que le techno-humanisme conduit à un paradoxe :

« Le techno-humanisme est ici confronté à un dilemme insoluble. Il tient la volonté humaine pour la chose au monde la plus importante, et pousse donc l’humanité à élaborer des technologies qui puissent la contrôler et la remodeler. Après tout, il est tentant de contrôler ce qu’il y a de plus important dans l’univers. Or, si nous obtenions un tel contrôle, le techno-humanisme ne saurait qu’en faire car l’être humain sacré ne deviendrait plus qu’un produit manufacturé parmi d’autres. Tant que nous croirons que volonté et expérience humaines sont la source suprême de l’autorité et du sens, il nous sera impossible de composer avec ces technologies. »

C’est ainsi qu’Harari nous amène à son ultime chapitre :

« Aussi une techno-religion plus audacieuse cherche-t-elle à couper carrément le cordon ombilical humaniste. Elle voit se dessiner un monde qui ne tourne pas autour des désirs et expériences d’êtres de l’espèce humaine. Qu’est ce qui pourrait remplacer les désirs et expériences d’êtres de l’espèce humaine […] désirs et expériences qui sont à la source de tout sens et de toute autorité ?

Aujourd’hui, un candidat a pris place pour l’entretien d’embauche dans l’antichambre de l’histoire. Ce candidat n’est autre que l’information. La religion émergent la plus intéressante est le dataïsme, qui ne vénère ni les dieux ni l’homme, mais voue un culte aux data, aux données. »

Je ne peux affirmer que le concept « dataisme » ait été inventé par Harari mais, c’est lui qui l’a rendu populaire au point de parler d’une nouvelle religion celle des « données » des « data » puisqu’il faut donner un nom anglais pour que le concept paraisse sérieux.

Pour retracer l’histoire d’homo sapiens sur la longue période on pourrait écrire que pendant des milliers d’années, les humains ont pensé que l’autorité venait des dieux. Puis à l’ère moderne, la  période « humaniste » l’autorité a été progressivement transmise aux êtres humains, aux savants, aux philosophes et aux humains élus par les citoyens. Aujourd’hui la révolution du numérique, des « big data » et des algorithmes qui savent analyser rapidement ces immenses masses de données conduisent à légitimer l’autorité des algorithmes et du Big Data.

Harari explique :

« Pour le dataïsme, l’univers consiste en flux de données, et sa contribution au traitement des données détermine la valeur de tout phénomène ou entité. […] p. 395

Prenons des exemples concrets :

Vous êtes gravement malade. Voici une machine qui recueille par des dizaines de connecteurs toutes les informations essentielles de votre organisme, elle peut rapidement se connecter à la base de vos données pour connaître vos antécédents et puis analyser dans des milliards de données d’autres humains pour trouver les cas analogues, similaires et choisir le traitement qui a eu le meilleur effet sur des personnes dont l’état de santé et le profil ressemblent au vôtre.

Voici un médecin, certes réputé, certes plein d’empathie mais qui possède beaucoup moins de connaissances que la machine, réfléchit beaucoup moins vite. Et en plus c’est un humain, il est fatigué, il pense à sa compagne, à son fils, à son prochain voyage, à une chanson qu’il a entendu en passant. En plus il est émotif, il a peur de se tromper.

Quel est la thérapie que vous choisirez ?

Notre vieil ami Luc Ferry, dira qu’il est stupide de présenter cette situation de cette manière. Cet optimiste nous dira qu’il ne faut pas opposer la machine et le médecin mais les associer, le médecin utilisera la force de l’intelligence artificielle pour parfaire son diagnostic et choisir la bonne thérapie.

Ah bon ?

Mais enfin, c’est l’intelligence artificielle qui diagnostiquera et décidera de la thérapie, le médecin ne sera que son porte-parole. je suis même persuadé qu’il n’osera pas contredire la machine.

Il pourra, peut-être mettre un peu d’empathie. Et même sur ce point Harari n’est pas convaincu, l’intelligence artificielle saura mieux que le médecin analyser dans quel état de stress et d’émotion vous êtes et trouver les mots les plus appropriés pour communiquer avec vous.

Harari cite l’exemple de la célèbre actrice Angelina Jolie. En 2013, l’actrice américaine a découvert grâce à un test génétique qu’elle portait une dangereuse mutation du gène BRCA1. Selon les bases de données statistiques, les femmes portant cette mutation ont 87% de probabilités de développer un cancer du sein. Sans attendre le cancer, Angelina Jolie a décidé de faire confiance aux algorithmes et de procéder à une double mastectomie.

Et le choix de l’âme sœur ? L’intelligence artificielle saura tout de vous et même mieux que vous et il saura tout des autres. Qui mieux qu’elle pourra réaliser la meilleure association pour la vie ? Ce ne serait pas rationnel de ne pas suivre son avis …

Et alors le choix du gouvernement démocratique ou la stratégie économique ? Peux t’on vraiment faire confiance à homo sapiens ? Pour les dataistes, c’est bien sûr l’intelligence artificielle qui sera la plus compétente pour faire les bons choix et décider des mesures à prendre.

Dans ce nouveau récit, c’est l’information analysée par des programmes sachant la maîtriser qui est source de sens et non plus les désirs et les expériences humaines.

Et Harari de conclure :

« Les dataïstes sont sceptiques envers le savoir et la sagesse des hommes, et préfèrent se fier au Big Data et aux algorithmes informatiques » p.396.

Pour les partisans de ce mouvement l’univers tout entier est un flot de données, les organismes comme des algorithmes biochimiques.

Car Harari explique que contrairement à ce qu’on pourrait penser, les sentiments ne sont pas l’opposé de la rationalité. Mais Ils représentent davantage la rationalité de l’instinct. Quand un babouin, une girafe ou un humain voit un lion, il éprouve de la peur car son algorithme biochimique lui indique qu’un individu à proximité représente une menace immédiate. Cet algorithme biochimique a évolué et s’est amélioré au fil de millions d’années d’évolution. Si les sentiments d’un ancêtre lui font commettre une erreur, les gènes autour de ce sentiment n’ont pas été transmis à la génération suivante. Il y a donc bien aussi dans ce cas production de données et d’informations.

L’humanité est à la confluence de deux vagues scientifiques. D’un côté, les biologistes déchiffrent les mystères du corps humain, et plus particulièrement ceux du cerveau et des sentiments humains. D’un autre côté, les informaticiens sont détiennent désormais un pouvoir de traitement de données sans précédent. L’association de ces deux sciences permet de créer des systèmes externes capables de surveiller et de comprendre nos sentiments mieux que nous-mêmes. Une fois que les systèmes Big Data nous connaîtront mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes, l’autorité sera transmise des humains aux algorithmes.

Et harari pose alors cette question

« Si le dataïsme réussit à conquérir le monde, qu’adviendra-t-il de nous les hommes ?

Dans un premier temps, le dataïsme accélèrera probablement la quête humaine de la santé, du bonheur et du pouvoir. Le dataïsme se propage en promettant de satisfaire ces aspirations humanistes. Pour accéder à l’immortalité, à la félicité et aux pouvoirs divins de la création, il nous faut traiter d’immenses quantités de données qui dépassent de loin les capacités du cerveau humain. Les algorithmes le feront donc pour nous. Mais du jour où l’autorité passera des hommes aux algorithmes, il se peut que les projets humanistes perdent toute pertinence. » P.424

Et il devient poète :

« Nous nous efforçons de fabriquer l’Internet-de-tous-les-objets dans l’espoir qu’il nous rendra bien portants, heureux et puissants. Mais une fois que celui-ci sera opérationnel, les hommes risquent d’être réduits du rôle d’ingénieurs à celui de simples puces, puis de data, pour finalement se dissoudre dans le torrent des données comme une motte de terre dans une rivière […] Rétrospectivement, l’humanité n’aura été qu’une ondulation dans le flux de données cosmique. »

P. 424 & 425

Et il pointe ce danger :

« Le dataïsme menace de faire subir à l’Homo sapiens ce que ce dernier a fait subir à tous les autres animauxP. 424

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mercredi 10 octobre 2018

« La révolution humaniste, le libre arbitre et notre « moi » qui décide »
Développement de Yuval Noah Harari dans « Homo deus » pages 243 à321

Nous savons comment Harari explique la conquête du monde par homo sapiens, ce qu’il appelle « l’étincelle humaine », deuxième sous partie de sa Première Partie : « Homo sapiens conquiert le monde ».

C’est notre capacité d’imaginer des choses qui n’existent pas dans la réalité et qui permet de fédérer des millions d’homo sapiens qui ne se connaissent pas personnellement. Harari cite par exemple : le dollar, Google ou l’Union européenne et explique que selon lui un chat ne peut que s’imaginer des choses réelles comme la souris qu’il va aller chasser.

Mais les grands mythes fédérateurs furent ceux des Religions.

Ainsi les femmes et les hommes de ces sociétés agissaient selon les règles qu’expliquaient les prêtres de ces Religions. Celles et ceux qui ne respectaient pas ces règles étaient d’une part exclus de leur famille ou de leur communauté et plus encore réprimés avec une grande violence. Nous connaissons cela.

A ces mythes déistes s’est substituée, selon Harari, dans le monde occidental, « la révolution humaniste »

La révolution humaniste est la 4ème sous partie de la deuxième partie « Homo sapiens donne sens au monde » qui en compte 4

  • Les conteurs
  • Le couple dépareillé
  • L’alliance moderne
  • La révolution humaniste

Et Harari d’expliquer :

« L’humanisme, nouveau credo révolutionnaire a conquis le monde au cours des derniers siècles. La religion humaniste voue un culte à l’humanité et attend que cette dernière joue le rôle dévolu à Dieu dans le christianisme et l’islam, ou celui que les lois de nature ont tenu dans le bouddhisme et le taoïsme. Alors que traditionnellement, le grand plan cosmique donnait un sens à la vie des hommes, l’humanisme renverse les rôles et attend des expériences humaines qu’elles donnent sens au cosmos. Selon l’humanisme, les humains doivent puiser dans leurs expériences intérieures le sens non seulement de leur vie, mais aussi de tout l’univers. Tel est le premier commandement de l’humanisme : créer du sens pour un monde qui en est dépourvu.

La révolution religieuse centrale de la modernité n’a donc pas été la perte de la foi en Dieu, mais le gain de la foi en l’humanité. » P. 244

Toute la difficulté pour nous est de comprendre qu’il s’agit d’un nouveau mythe, car ce conte est contemporain, c’est celui de notre récit qui pour nous est forcément la réalité. Avant notre modernité, nous pouvons entendre qu’il s’agissait de mythes, de croyances, mais pour nous c’est différent…

Harari continue :

« Cela fait des siècles que l’humanisme nous a convaincus que nous sommes l’ultime source du sens, et que notre libre arbitre est donc l’autorité suprême en toute chose. Au lieu d’attendre qu’une entité extérieure nous dise ce qu’il en est, nous pouvons nous remettre à nos sentiments et désirs. Depuis la plus tendre enfance, nous sommes bombardés de slogans humanistes en guise de conseils : « Ecoute-toi, sois en accord avec toi-même, suis ton cœur, fais ce qui te fait du bien. » P. 246

Cette injonction vaut d’abord pour les relations amoureuses, conjugales et les relations amicales mais s’étend à tous les domaines de la vie.

Ceci conduit très largement à des aspirations individualistes et consuméristes.

« Nos sentiments ne donnent pas seulement du sens à notre vie privée, mais aussi aux processus politiques et sociaux. Quand nous voulons savoir qui doit diriger le pays, quelle politique étrangère et quelles mesures économiques adopter, nous en cherchons pas les réponses dans les Écritures. Pas davantage n’obéissons-nous aux commandements du pape ou aux conseils des lauréats du Nobel. Dans la plupart des pays, nous organisons plutôt des élections démocratiques et demandons aux gens ce qu’ils pensent de la question. Nous estimons que l’électeur sait mieux et que les libres choix des individus sont l’autorité politique ultime.

Mais comment l’électeur sait-il que choisir ? Théoriquement, tout au moins, il est censé écouter ses sentiments les plus profonds et s’y fier.

[…] Au Moyen Age, cela serait passé pour le comble de la folie. Les sentiments fugitifs des roturiers ignares n’étaient guère une base saine pour prendre des décisions politiques importantes.»

L’honnêteté nous conduit à reconnaître que le point de vue du moyen âge n’est pas dénué de raison.

Alors vous rétorquerez que comme Churchill : « Que la démocratie est la plus mauvaise solution, mais qu’il n’en existe pas de meilleure ».

Et vous ajouterez, en plus cela marche.

Mais l’esprit incrédule vous dira, oui mais cela marche de moins en moins.

Globalement vous voyez bien qu’en présentant les choses comme cela, nous constatons bien qu’il s’agit d’un mythe. Cela permet de fédérer un grand nombre de personnes derrière cette croyance, mais ce n’est pas la réalité de prétendre que la décision démocratique est la plus intelligente, préserve le mieux le long terme, est la plus rationnelle. C’est un mythe, un mythe qui fonctionne, mais c’est un mythe.

Le monde actuel est donc dominé par l’humanisme libéral avec l’individualisme, les droits de l’homme, la démocratie et le marché.

Et c’est là que les dernières découvertes scientifiques conduisent Harari à questionner la réalité du libre arbitre.

Et c’est encore un récit qui va être révélateur d’une réalité beaucoup plus complexe que celle à laquelle adhère le mythe humaniste :

« Sally Adee, journaliste au New Scientist, a été autorisée à visiter une installation d’entraînement pour snipers et à tester elle-même les effets d’un casque dont le nom technique est : « stimulateur transcrânien à courant direct ».

Elle est d’abord entrée dans un simulateur de champ de bataille sans porter le casque. Sally raconte comment la peur l’a terrassée quand elle a vu vingt hommes masqués, armés de fusils et sanglés pour un attentat suicide qui chargeaient. […] Visiblement je ne tire pas assez vite ; la panique et l’incompétence bloquent constamment mon arme » Heureusement pour elle, les assaillants n’étaient que des images vidéo projetées sur de grands écrans tout autour d’elle.

C’est alors qu’on l’a branchée au casque. Elle raconte n’avoir rien senti d’inhabituel, sauf un léger picotement et un étrange goût métallique dans la bouche. Elle s’est pourtant mise à abattre les terroristes virtuels l’un après l’autre, aussi froidement et méthodiquement que si elle était Rambo ou Clint Eastwood. […] quand l’équipe commence à me retirer les électrodes. Je lève les yeux et me demande si quelqu’un a avancé l’heure. Inexplicablement [le temps était le même que lors de la première expérience]. « J’en ai eu combien ? » demandai-je à l’assistante. Elle m’a regardée d’un air narquois ; « Tous »

L’expérience a changé la vie de Sally. Les jours suivants, elle a compris qu’elle avait vécu une « expérience quasi spirituelle» […] pour la première fois, dans ma tête, tout s’est finalement fermé […]. Que mon cerveau puisse être dépourvu du moindre doute était une révélation. Là, soudain, cet incroyable silence dans ma tête .[…] » p310 et 311

Harari précise que ces stimulateurs transcrâniens d’aujourd’hui sont encore dans l’enfance, mais si la technologie mûrit, ou si l’on trouve une autre méthode pour manipuler la configuration électrique du cerveau, quelle incidence cela aura-t-il sur les sociétés et les êtres humains ?

Et Harari cite beaucoup d’expériences sur les animaux dans lesquelles grâce à des stimulis extérieurs ces animaux font exactement ce que le manipulateur du stimulis veut qu’ils fassent.

Grâce à ces outils sophistiqués, il n’y a plus d’espace de libre arbitre, le manipulateur fait du cerveau de l’autre ce qu’il veut.

Mais cela montre aussi de manière certaine que des manipulations plus grossières, une publicité, une propagande, un récit répété sans cesse peut annihiler le libre arbitre du cerveau humain. Ce que nous savions, mais que la science démontre.

Et Harari conclut :

« Les expériences accomplies sur Homo sapiens indiquent que, comme les rats, les hommes sont manipulables et qu’il est possible de créer ou d’anéantir des sentiments complexes comme l’amour, la colère, la peur et la dépression en stimulant les points adéquats dans le cerveau humain. » p.309

Harari remet aussi en question la croyance de l’humanisme libéral qui nous définit en tant qu’individu, c’est-à-dire une seule entité indivisible. Il prétend que tel n’est pas le cas, qu’en réalité nous somme des « dividus », car il n’existe pas un seul moi qui prend les décisions. Il distingue le moi expérimentateur de notre conscience immédiate et le moi narrateur. Il développe ces expériences et analyses entre la page 312 et 321.

La plus révélatrice me semble être l’expérience menée par Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie en 2002.

« Il invita un groupe de volontaires à participer à une expérience en trois parties.

Dans la partie courte de l’expérience, les volontaires introduisaient leur main une minute dans un récipient d’eau à 14°C, ce qui est désagréable et douloureux. […].
Dans la partie longue de l’expérience on commençait de la même manière mais au bout d’une minute on ajoutait subrepticement de l’eau chaude, portant la température à 15°C. On demandait de retirer la main 30 secondes plus tard. » P. 316

Puis on demanda aux volontaires de réitérer une des deux expériences et de choisir celle qui leur paraissait la moins pénible. 80% ont choisi l’expérience longue. Ils n’en connaissaient pas le détail et n’avaient que leur ressenti.

Mais si on examine cela de manière rationnel :

L’expérience longue comporte l’expérience courte à laquelle on ajoute 30 secondes d’eau à 15° – chose légèrement moins pénible, mais pas agréable non plus, en tout cas qui ne peut rendre l’expérience longue plus agréable. Il eut été rationnel de choisir l’expérience courte sans y ajouter encore 30 secondes d’expérience supplémentaire non agréable aussi.

Harari explique :

« Le moi qui expérimente ne se souvient de rien. Il ne raconte pas d’histoires ; quand sont en jeu de grandes décisions, il est rarement consulté. Exhumer des souvenirs, raconter des histoires, prendre des grandes décisions est le monopole d’une entité très différente à l’intérieur de nous : le moi narrateur. […] Il est perpétuellement occupé à raconter des histoires sur le passé et à faire des projets d’avenir.

[Le moi narrateur] ne raconte pas tout […] c’est la moyenne des sommets et la fin qui détermine la valeur de toute l’expérience [pour lui.] P. 317

C’est ainsi que l’expérience longue qui finit de manière moins désagréable est privilégiée.

Et Harari de conclure :

« La plupart d’entre nous nous identifions néanmoins à notre moi narrateur. Quand nous disons « je », nous voulons parler de l’histoire que nous avons dans la tête, non du flux continue de nos expériences. » P. 320

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Mardi 9 octobre 2018

« Les guerres et les conflits qui ont jalonné l’histoire pourraient bien n’être qu’un pâle prélude au vrai combat qui nous attend : le combat pour la jeunesse éternelle »
Yuval Noah Harari, « Homo deus » page 41

La mort de la mort est un des grands fantasmes de certains transhumanistes de la silicon Valley

Yuval Noah Harari nuance :

« L’immense majorité des chercheurs des médecins et des spécialistes se tiennent encore à distance de ces rêves affichés d’immortalité, affirmant qu’ils essaient simplement de surmonter tel ou tel problème particulier.»

Mais il est une minorité et qui selon Harari voit son nombre croître et qui :

« Parlent plus franchement, ces temps-ci et assurent que le projet phare de la science moderne est de vaincre la mort et d’offrir aux humains l’éternelle jeunesse.

Ainsi du gérontologue Aubrey de Grey et du polymathe et inventeur Ray Kurzweil. En 2012 Kurzweil a été nommé directeur de l’ingénierie chez Google et un an plus tard Google a lancé une filiale, Calico, dont la mission déclarée est de « résoudre le problème de la mort » ».

Vous pouvez aller sur le site internet de cette entreprise à la pointe de la modernité et dont l’objectif est donc de trouver les solutions techniques à la mort.

Et vous pouvez aussi voir cette conférence TED traduit en français dans laquelle Aubrey de Grey prétend « que le vieillissement n’est qu’une maladie — et de surcroît une maladie guérissable ».

Puis cette autre conférence TED dans laquelle Ray Kurzweil, explique comment selon lui « L‘homme sera transformé par la technologie ». Selon lui, d’ici les années 2020, nous aurons démonté le cerveau humain et des nano-robots opéreront notre conscience.

Larry Page et Sergey Brin, les patrons de Google avaient demandé à un autre convaincu de l’immortalité, Bill Maris, un neuroscientifique de formation, de prendre la tête du fonds d’investissement Google Ventures. Harari nous apprend que :

« Dans une interview de janvier 2015, Maris déclarait : «  Si vous me demandez aujourd’hui s’il est possible de vivre jusqu’à 500 ans, la réponse est oui » […] Google Venture investit 36% de ses deux milliards de dollars en portefeuille dans des start-up spécialisées en sciences de la vie dont plusieurs projets ambitieux visent à prolonger la vie. Recourant à une analogie avec le football américain, Maris ajoute : dans le combat contre la mort, « nous n’essayons pas de gagner quelques mères. Nous cherchons à gagner la partie. Parce que mieux vaut vivre que mourir. »

L’édition anglaise d’Homo deus étant paru en 2016, Harari ne savait pas à l’époque que Bill Maris allait quitter Google Venture en août 2016, pour des raisons très louables : « s’occuper de son fils et être davantage avec son épouse » et aussi parce que Google Venture va très bien.

Et Harari cite aussi le cofondateur de PayPal : Peter Thiel :

« Je pense qu’il y a probablement trois grandes façons d’aborder la mort. L’accepter, la nier ou la combattre. Je crois que notre société est dominée par des gens qui sont dans le déni ou l’acceptation ; pour ma part je préfère la combattre. »

Harari explique :

« Le développement à vitesse grand V de domaines comme le génie génétique, la médecine régénérative et les nanotechnologies nourrit des prophéties toujours plus optimistes. Certains experts croient que les humains triompheront de la mort d’ici 2200, d’autres parlent même de 2100. Kurzweil et de Grey sont encore plus confiants. Ils soutiennent qu’en 2050 quiconque possède un corps sain et un solide compte en banque aura une chance sérieuse d’accéder à l’immortalité en trompant la mort de décennie en décennie. Tous les dix ans, selon Kurzweil et De Grey, nous ferons un séjour dans une clinique pour y subir une transformation qui nous guérira de nos maladies, mais régénérera aussi nos tissus en décomposition et améliorera nos mains, nos yaux et notre cerveau. Entre deux hospitalisations, les médecins auront inventé pléthore de nouveaux médicaments, d’extensions et de gadgets. »

Harari rappelle que ces projets s’ils aboutissent ne rendront pas ces humains immortels, mais plutôt a-mortels, car ils pourraient encore mourir dans une guerre ou un accident. Mais je crois qu’on peut rejoindre Yuval Noah Harari dans l’hypothèse, si ces choses arrivent cela ferait :

« Probablement d’eux les gens les plus angoissés de l’Histoire. »

Et Harari d’imaginer ce que cette nouvelle longétivité aurait pour conséquence sur la société et la famille :

« La structure familiale, les mariages et les relations parent-enfant s’en trouveraient transformés. Aujourd’hui, les gens s’imaginent encore mariés « jusqu’à ce que la mort les sépare » et une bonne partie de leur vie tourne autour de l’éducation des enfants.[…]. Une personne dont la durée de vie est de 150 ans […] se marie à 40 ans […] sera-t-il réaliste d’espérer que son couple dure cent dix ans ? […] A 120 ans une femme qui aura eu des enfants à quarante ans n’aura qu’un lointain souvenir des années passées à les élever qui seront comme un épisode plutôt mineur de sa longue vie. […]

Dans le même temps, les gens ne prendront pas leur retraite […] qu’éprouveriez-vous à avoir un patron de 120 ans, dont les idées ont été formulées du temps de la Reine Victoria ? »

Mais Harari n’y croit pas trop :

« Revenons à la réalité : il est loin d’être certain que les prophéties de Kurzweil et de Grey se réalisent d’ici 2050 ou 2100. A mon sens, espérer parvenir à l’éternelle jeunesse au XXIème siècle est prématuré et qui les prend au sérieux est voué à une cruelle déception. Il n’est pas facile de vivre en sachant que vous allez mourir, mais il est encore plus dur de croire à l’immortalité et de se tromper. »

Mais il pense quand même que ce combat restera un combat phare du XXIème siècle :

« Chaque tentative ratée de triompher de la mort nous rapprochera néanmoins un peu plus de ce but, nourrira de plus grands espoirs et encouragera les gens à consentir de plus grands efforts. Calico ne résoudra vraisemblablement pas le problème de la mort à temps pour rendre immortels les cofondateurs de Google […] mais elle réalisera très probablement des découvertes significatives en matière de biologie cellulaire, de médicaments génétiques et de santé humaine »

Et Harari imagine plus largement les conséquences de ce combat :

« L’establishment scientifique et l’économie capitaliste seront plus heureux d’épauler ce combat. La plupart des hommes de science et des banquiers se fichent pas mal de ce sur quoi ils travaillent, du moment que c’est l’occasion de nouvelles découvertes et de plus gros profit […]

Vous trouvez impitoyables les fanatiques religieux au regard brulant et à la barbe fleurie ? Attendez un peu de voir ce que feront les vieux nababs entrepreneurs […] s’ils pensent qu’un élixir de vie est à portée de main. Le jour où la science accomplira des progrès significatifs dans la guerre contre la mort, la vraie bataille se déplacera des laboratoires vers les parlements, les tribunaux et la rue. Dès que les efforts scientifiques seront couronnés de succès, ils déclencheront d’âpres conflits politiques. Les guerres et les conflits qui ont jalonné l’histoire pourraient bien n’être qu’un pâle prélude au vrai combat qui nous attend : le combat pour la jeunesse éternelle. »

Tous ces développements se situent entre les pages 35 et 41.

J’ajouterai une première limite à tous ces espoirs et développements, encore faut-il que la vie sur terre soit toujours possible à l’homme au-delà des années 2100, ce qui ne me semble pas totalement acquis.

Pour le reste le combat contre les maladies, pour la santé et pour éviter les morts prématurés ne peuvent que nous réjouir, notamment lorsque nous avons été confronté à la maladie ou à la mort prématurée d’un proche.

Mais Harari nous parle aussi d’une autre évolution qui est celle du big data et de l’intelligence artificielle dans ce domaine. Il est persuadé et probablement a-t-il raison que la plupart des humains accepteront d’ouvrir totalement les données privées de santé qu’ils livreront sans coup férir à ces outils à cause de la promesse d’une meilleure santé, promesse qui sera pour une part certaine respectée.

Ce sera un monde étrange dans lequel toutes les données de santé d’homo sapiens seront à la disposition de l’intelligence artificielle et probablement aussi des assurances et autres institutions financières qui feront tout ce qui est possible pour y avoir accès.

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