Mardi 17 janvier 2017

Mardi 17 janvier 2017
« Les hommes regardent la réalité virtuelle, un homme regarde rien qu’avec ses yeux »
Mark Zuckerberg , photo prise à Barcelone à la veille de l’​ouverture du Mobile World Congress de Barcelone
Mark Zuckerberg,  traverse une foule assise et aveugle. Ceux qui la composent ont un casque de réalité virtuelle vissé sur le crâne, plongés dans un autre monde et ne voient pas le patron de Facebook déambuler parmi eux.
Bien sûr cette photo peut techniquement s’expliquer , des journalistes sont en train de tester un casque de réalité virtuelle et Mark Zuckerberg traverse tranquillement la salle pour aller sur la tribune vanter les mérites de cette nouvelle technologie..
Mais dans l’imaginaire cette photo peut être vue autrement. Ainsi, elle a été publiée dimanche 21 février sur le compte Facebook de Mark Zuckerberg et a été massivement partagée et commentée sur les réseaux sociaux.
Un internaute a écrit : « Mark – ça ne te semble pas étrange d’être le seul à marcher avec tes propres yeux, alors que tous les autres sont des zombies dans la Matrice ? » . Les internautes rapprochent en effet cette photo de la trilogie de Matrix.
Et si on la rapprochait plutôt de cette sentence de William Shakespeare dans le roi Lear: « Quelle époque terrible que celle où des fous dirigent des aveugles. » et qui avait fait l’objet du mot du jour du 01/04/2014.
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Lundi 16 janvier 2017

Lundi 16 janvier 2017
«Alep»
Une photo de l’année 2016
Le mot du jour avait déjà plusieurs fois pour objet une photo.
Cette semaine je vous propose 5 photos prises en 2016.
La première concerne la ville d’Alep, des hommes marchent dans une rue jonchée de débris qu’on a cependant dégagé vers les côtés pour essayer de continuer à vivre. ​Des câbles pendent, les bâtiments sont en ruines, probablement qu’au moment de leurs destructions des enfants, des femmes et des hommes sont morts
J’ai eu l’idée de faire une thématique sur des photos de 2016 en écoutant cette émission :https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/iconographie-de-lannee-2016
Le titre de l’émission était : « Iconographie de l’année 2016 », l’émission a ciblé deux photos que nous verrons demain et après-demain.
J’ai aussi été inspiré par deux articles :
Il faut cependant rappeler que la violence a reculé dans le monde par rapport aux siècles précédents et que la probabilité qu’un terrien meurt de mort violente aujourd’hui par rapport aux précédentes périodes historiques a diminué de manière considérable. Mais aujourd’hui grâce aux outils de communication, ces drames se sont rapprochés de nous.
Pour finir je vous oriente vers cette chronique sur la chute d’Alep de Nicole Ferroni et où dans sa conclusion très émue elle partageait une réflexion de son père :  « Autrefois, les hommes se mangeaient et on appelait cela du cannibalisme, eh bien, un jour, peut-être que la guerre sera si loin derrière l’humanité, qu’on pourra dire que les hommes se tuaient et qu’ils appelaient cela la guerre. »
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Vendredi 13 janvier 2017

Vendredi 13 janvier 2017
«S’émerveiller »
Belinda Cannone
J’ai découvert Belinda Cannone en écoutant cette émission de France Culture :https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/resister-en-semerveillant
Née en 1959, Belinda Cannone est romancière et essayiste. Elle a déjà publié plusieurs romans et <S’émerveiller est son dernier livre, un essai, qui vient de paraître>
Pour Belinda Cannone, la société vit actuellement une forme d’enténèbrement. C’est pourquoi elle nous propose de tenter de retrouver les petits bonheurs simples de la vie, ceux qui ne sont pas grand-chose mais qui pourtant nous réjouissent, bref, elle nous invite à nous émerveiller d’avantage. Un paysage, une action de courage ou un éclat de rire, la possibilité d’une lumière plus joyeuse apportée sur nos quotidiens mornes est à portée de main de tout un chacun.
Son ouvrage débute ainsi :
« L’autre fois (l’automne) je notais : Ce matin, je contemple mon chêne, cette torche de temps pur qui se dresse à deux ou trois cents mètres devant la fenêtre du bureau, dans ma maison des champs, la vision est d’autant plus nette que l’herbe à son pied est rase, ultime fenaison faite, et le soleil dissipe lentement la couverture de nuages légers. À mon lever, la brume de chaleur (un si doux septembre) le dissimulait tout à fait. Tandis que l’arbre émergeait – le détail de sa ramure devenant de plus en plus net, la haie d’arbres du fond perdant son indistinction ombreuse –, j’observais, de l’autre côté du carreau, deux merles cherchant leur nourriture, et je me suis sentie émerveillée, par la beauté du chêne, du champ, des oiseaux noirs, par le silence ouaté et la solitude.
Ce chêne, encadré par la fenêtre (je l’appelle mon chêne, bien qu’il ne m’appartienne pas), provoque souvent mon émerveillement. S’il est assez parfait (sa ramure arrondie, son tronc bien droit, sa taille vénérable), il a pourtant, dans les campagnes, des semblables par milliers. Mais sa position isolée dans un vaste champ, outre qu’elle lui confère une sorte de majesté, le désigne à mon attention qui lui fait rendre sa dimension merveilleuse : la beauté secrète du chêne apparaît sous mon regard assidu.
Depuis que j’ai acquis un téléphone qui me le permet, je photographie le chêne chaque fois que se produit une variation (oiseau, renard, lumière, nuages, ombre). Si elle en vaut la peine, j’envoie la photo à des destinataires choisis selon mon cœur. Car l’émerveillement, rarement silencieux, aime à se dire, comme s’il s’agissait de remplir l’écart entre le spectacle et mon œil, ou parce que, animaux bavards, nous réagissons toujours ainsi à la commotion de la joie – par un faire-part.
Le sentiment que j’aimerais ici décrire n’est qu’un aspect du vaste espace couvert par la notion d’émerveillement. Je pourrais le dire modeste, non parce qu’il manquerait de puissance mais parce que les objets susceptibles de l’éveiller le sont souvent. De même que le chêne que je contemple n’est qu’un arbre, l’être que j’aime n’est qu’un homme : rien de grandiose en eux mais dans mon regard, sous mon attention, ils sont l’aimé et mon chêne. Pour quelqu’un d’autre, tel jeu de lumière sur un mur en face de sa fenêtre, les variations du couchant sur un bâtiment, le chant des oiseaux juste avant la nuit – que sais-je ? –, pour quelqu’un d’autre l’émerveillement pourra être provoqué par un spectacle, des sons ou des êtres différents de ceux qui me touchent, mais il sera voisin de celui que je veux saisir s’il est lié à un objet simple, de ceux que nous croisons chaque jour sans toujours être capables d’en percevoir la beauté.
Car s’émerveiller résulte d’un mouvement intime, d’une disposition intérieure par lesquels le paysage à ma fenêtre ou l’homme devant moi deviennent des événements. L’événement survient au présent pur, dans une épiphanie. Alors je ne me projette plus dans un avenir rêvé, ni ne m’abandonne, mélancolique, à la contemplation du chimérique passé : je suis entièrement requise ici et maintenant. Savoir se rendre disponible à ces événements qui émerveillent est une voie vers le bonheur, dans la mesure où la vie heureuse est celle vécue au présent. Mais parce que nous en sommes la plupart du temps incapables, submergés par les projets, les anticipations, les choses à faire, nous devons plus d’une fois admettre, comme Pascal (quoique d’une autre manière) : « Nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre. » Vivre (intensément) exige de se tenir dans le présent pur, et rien n’est moins aisé. Je le puis dans la joie de la danse, de l’étreinte, du rire et de la contemplation.
Le reste du temps, je vis légèrement en avant de moi-même, ce qui exclut l’émerveillement.»
Dans l’émission évoquée elle a cette belle formule : il n’y a pas plus grande urgence que de partager son émerveillement.
Je ne vous ai pas encore présenté mes meilleurs vœux pour l’année 2017,
Qu’elle soit remplie, pour vous, de santé, de paix intérieure et d’émerveillement.
Et que collectivement apparaissent des idées nouvelles  pour faire progresser le monde dans lequel nous vivons.
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Jeudi 12 janvier 2017

Jeudi 12 janvier 2017
« Non, les hommes n’ont pas toujours fait la guerre »
Marylène Patou-Mathis
Lors de l’émission <du grain à moudre : pourquoi n’aimons-nous pas la paix ? >  qui ont servi directement à inspirer les deux premiers mots du jour de la semaine et indirectement celui d’hier, Hervé Gardette, le journaliste responsable de l’émission a diffusé un enregistrement d’une émission ancienne où la préhistorienne Marylène Patou-Mathis intervenait pour révéler les découvertes récentes des scientifiques sur la préhistoire concernant l’entraide et l’empathie qui existait à l’intérieur des groupes humains. Elle cite l’exemple d’un squelette dont les anthropologues ont pu déterminer qu’il s’agissait d’un homme qui était né, privé d’un bras et qui est mort vers la cinquantaine, ce qui était extrêmement âgé à cette période. Ils ont donc pu en conclure que cet homme handicapé (trouvé en Irak, vers – 45000) a pu bénéficier de l’entraide du groupe dans lequel il était né. Sinon il n’aurait pas pu vivre si longtemps. [à partir de 33:50 de cette émission]
Marylène Patou-Mathis a publié en 2013, un livre chez Odile Jacob : <Préhistoire de la violence et de la guerre> où elle tente de répondre à cette question : l’Homme a-t-il toujours été violent ?
L’exergue de ce mot du jour est le titre d’un article qu’elle a consacré à ce sujet : « Non, les hommes n’ont pas toujours fait la guerre »
Dans ce long article que je vous invite à lire, Marylène Patou-Mathis écrit notamment :
« L’image de l’homme préhistorique violent et guerrier résulte d’une construction savante élaborée par les anthropologues évolutionnistes et les préhistoriens du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Elle a été gravée dans les esprits à la faveur du présupposé selon lequel l’humanité aurait connu une évolution progressive et unilinéaire. Dès la reconnaissance des hommes préhistoriques, en 1863, on a rapproché leur physique et leurs comportements de ceux des grands singes, gorilles et chimpanzés. Pour certains savants, cet « homme tertiaire » représentait le chaînon manquant entre la « race d’homme inférieur » et le singe. Puis la théorie dite « des migrations », apparue dans les années 1880, a soutenu que la succession des cultures préhistoriques résultait du remplacement de populations installées sur un territoire par d’autres ; elle a enraciné la conviction que la guerre de conquête avait toujours existé. […]
Aujourd’hui, l’hypothèse selon laquelle l’homme, parce que prédateur, descendrait de « singes tueurs » est abandonnée, de même que celle de la « horde primitive » proposée par Sigmund Freud en 1912. Défenseur de la théorie de Jean-Baptiste de Lamarck sur l’hérédité des caractères acquis, le père de la psychanalyse soutenait que, en des temps très anciens, les humains étaient organisés en une horde primitive dominée par un grand mâle tyrannique. Celui-ci s’octroyait toutes les femmes, obligeant les fils à s’en procurer à l’extérieur par le rapt. Puis, un jour, « les frères chassés se sont réunis, ont tué et mangé le père, ce qui a mis fin à l’existence de la horde paternelle », écrit-il dans Totem et Tabou, en 1912. Freud développe également les notions de « primitif intérieur » et de « pulsion sauvage » ; les conflits internes représenteraient l’équivalent de luttes extérieures qui n’auraient jamais cessé.
[…] En outre, de nombreux travaux, tant en sociologie ou en neurosciences qu’en préhistoire, mettent en évidence le fait que l’être humain serait naturellement empathique. C’est l’empathie, voire l’altruisme, qui aurait été le catalyseur de l’humanisation.
[…] D’après les vestiges archéologiques, on peut raisonnablement penser qu’il n’y a pas eu durant le paléolithique de guerre au sens strict, ce qui peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Une faible démographie, d’abord : en Europe, on estime à quelques milliers d’individus la population durant le paléolithique supérieur. Les communautés étant dispersées sur de vastes territoires, la probabilité qu’elles se soient affrontées est faible, d’autant qu’une bonne entente entre ces petits groupes d’au maximum cinquante personnes était indispensable pour assurer la reproduction.
[…] au cours du néolithique, le besoin de nouvelles terres à cultiver entraînera des conflits entre les premières communautés d’agropasteurs, et peut-être entre elles et les derniers chasseurs-cueilleurs, en particulier lors de l’arrivée en Europe de nouveaux migrants, entre 5 200 et 4 400 ans av. J.-C. (à Herxheim, en Allemagne, par exemple). Une crise profonde semble marquer cette période, comme en témoigne aussi le nombre plus élevé de cas de sacrifices humains et de cannibalisme.
[…]Ce n’est qu’au cours de la mutation socio-économique du néolithique qu’émergent en Europe les figures du chef et du guerrier, avec un traitement différencié des individus dans les sépultures et dans l’art. L’utilisation de l’arc se généralise ; pour certains préhistoriens, cette arme utilisée pour la chasse aurait joué un rôle dans l’augmentation des conflits, comme semblent l’attester les peintures rupestres du Levant espagnol.
Le développement de l’agriculture et de l’élevage est probablement à l’origine de la division sociale du travail et de l’apparition d’une élite, avec ses intérêts et ses rivalités.  »
J’en arrive à la conclusion :
«  la « sauvagerie » des préhistoriques ne serait qu’un mythe forgé au cours de la seconde moitié du XIXe siècle pour renforcer le concept de « civilisation » et le discours sur les progrès accomplis depuis les origines. A la vision misérabiliste des « aubes cruelles » succède aujourd’hui — en particulier avec le développement du relativisme culturel — celle, tout aussi mythique, d’un « âge d’or ». La réalité de la vie de nos ancêtres se situe probablement quelque part entre les deux. Comme le montrent les données archéologiques, la compassion et l’entraide, ainsi que la coopération et la solidarité, plus que la compétition et l’agressivité, ont probablement été des facteurs-clés dans la réussite évolutive de notre espèce. »
Je vous renvoie vers l’article complet : « Non, les hommes n’ont pas toujours fait la guerre »
J’avais déjà évoqué Marylène Patou-Mathis lors du mot du jour du 6 juin 2016, dans la série de mots consacrée au livre « Sapiens : Une brève histoire de l’humanité »
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Mercredi 11 janvier 2017

Mercredi 11 janvier 2017
« Ignace Philippe Semmelweis »
Médecin obstétricien hongrois qui œuvra pour l’hygiène dans un grand climat d’hostilité (1818-1865)
Hier si j’ai écrit cette phrase « Au début, quand les premiers esprits éclairés ont voulu enseigner l’hygiène, on les a pris au mieux pour des rêveurs, au pire pour des fous. », c’est parce que dans une conférence consacrée aux inventeurs et aux découvreurs, Michel Serres m’a fait découvrir le médecin Semmelweis et son destin tragique.
Je ne sais pas si vous avez déjà entendu parler de ce médecin hongrois du XIXème siècle, né à Buda une des parties de Budapest le 1er juillet 1818.
Je tire la suite de son histoire de Wikipedia :
Au milieu du XIXème siècle il devint responsable d’une maternité de Vienne. Le problème le plus pressant qui se pose à lui est le taux de 13 % de mortalité maternelle et néonatale due à la fièvre puerpérale. En avril 1847, ce taux atteignit 18 %. Le fait est connu, et bien des femmes préfèrent accoucher dans la rue plutôt qu’à l’hôpital.
Curieusement, un autre service, a, pour la même maladie, un taux de mortalité de 3 % seulement, alors que ces deux services sont situés dans le même hôpital et emploient les mêmes techniques. Le recrutement des soignants en est a priori identique. La seule différence est le personnel qui y travaille : le premier sert à l’instruction des étudiants en médecine, tandis que le second a été choisi, en 1839, pour la formation des sages-femmes. Le premier pratique des autopsies sur des cadavres, le second non.
Semmelweis émet plusieurs hypothèses, successivement réfutées par ses observations et ses expériences. Et c’est en 1847, que la mort de son ami Jakob Kolletschka, professeur d’anatomie, lui ouvre enfin les yeux : Kolletschka meurt d’une infection après s’être blessé accidentellement au doigt avec un scalpel, au cours de la dissection d’un cadavre. Sa propre autopsie révèle une pathologie identique à celle des femmes mortes de la fièvre puerpérale. Semmelweis voit immédiatement le rapport entre la contamination par les cadavres et la fièvre puerpérale, et il étudie de façon détaillée les statistiques de mortalité dans les deux cliniques obstétriques. Il en conclut que c’étaient lui et les étudiants qui, depuis la salle d’autopsie, apportent sur leurs mains les particules de contamination aux patientes qu’ils soignent dans la première clinique. À l’époque, la théorie des maladies microbiennes n’a pas encore été formulée, c’est pourquoi Semmelweiss conclut que c’est une substance cadavérique inconnue qui provoque la fièvre puerpérale. Il prescrit alors, en mai 1847, l’emploi d’une solution d’hypochlorite de calcium pour le lavage des mains entre le travail d’autopsie et l’examen des patientes ; le taux de mortalité chute de 12 % à 2,4 %, résultat comparable à celui de la deuxième clinique.
Il demande que ce lavage à l’hypochlorite soit étendu à l’ensemble des examens qui mettent les médecins en contact avec de la matière organique en décomposition. Le taux de mortalité chute alors encore, pour atteindre 1,3 %.
Mais il y eut rejet par l’institution médicale des thèses de Semmelweis.
Pour ne pas succomber aux critiques de mots du jour trop long je vous invite, si cela vous intéresse à continuer la lecture sur Wikipedia.
Toujours est-il que Semmelweis fut rejeté, humilié, non reconnu et il devint fou. Il fut interné dans un asile privé de Vienne où il fut victime de mauvais traitements du personnel de l’asile au point de se faire battre par le personnel de l’asile et mourir de ses blessures quinze jours plus tard.
Par la suite, d’autres médecins reprirent les thèses de Semmelweis, les approfondirent et imposèrent l’hygiène médicale que Semmelweis avait découvert.
Je reprendrais le mot de Shopenhauer : «Chaque nouvelle idée passe d’abord par être ignorée, puis ridiculisée avant de devenir évidente »…
Ignace Philippe Semmelweis
mort le 13 août 1865 (à 47 ans)
Mon ami Fabien m’a rappelé que Louis Ferdinand Céline a réalisé sa thèse de médecine en 1924 précisément sur <La Vie et l’Œuvre de Philippe Ignace Semmelweis>
À la suite du succès littéraire de ses deux premiers romans, Céline la publia, sous le titre de <Semmelweis>, dans une version à peine corrigée en 1936 ; elle fut rééditée plusieurs fois.

Mardi 10 janvier 2017

« La paix ça s’apprend »
David Van Reybrouck

J’évoquais, hier, le second invité de l’émission <du grain à moudre : pourquoi n’aimons-nous pas la paix ? > : David Van Reybrouck.

David Van Reybrouck est un auteur belge archéologue et philosophe qui s’est associé à un psychothérapeute spécialisé dans la communication non-violente : Thomas d’Ansembourg pour écrire un petit ouvrage de 96 pages : « La paix ça s’apprend : comment guérir de la violence et du terrorisme » paru à Actes Sud, en novembre 2016.

David Van Reybrouck compare la paix avec la santé en disant que celui qui est en bonne santé l’exprime rarement.

On parle de santé quand on est malade et il a cette expression : « la santé c’est le souvenir d’un malade » et il exprime la même chose pour la paix :  « on ne se rend pas compte quand on est en paix, c’est banal presque un peu trivial, la paix c’est le souvenir de quelqu’un qui est en guerre »

Et il a ce constat qu’il existe des écoles de guerre où on apprend à faire la guerre, à tuer.

Ces écoles sont subventionnées par l’Etat et payées par nos impôts.

Mais il n’existe pas d’écoles de la paix, où on enseignerait la paix, l’empathie, la pleine conscience. Car selon lui avant de vouloir créer la paix à l’extérieur, il faut d’abord pacifier l’individu, la paix commence à l’intérieur de l’individu.

Or, selon lui, on peut enseigner la paix et il exprime ce curieux parallèle avec l’hygiène.

Au début, quand les premiers esprits éclairés ont voulu enseigner l’hygiène, on les a pris au mieux pour des rêveurs, au pire pour des fous.

Mais peu à peu, on a enseigné l’hygiène puis on l’a imposé.

Et l’Humanité grâce à cette prise de conscience et à l’enseignement de cette exigence a fait un remarquable bond en avant. En dehors de tout délire quantophrénique, la réalité lourde de la démographie nous le révèle : l’espérance de vie a explosé et l’hygiène plus que les progrès de la médecine a joué le rôle premier.

Et j’ai trouvé un article dans un journal belge où Van Reybrouk complète les propos tenus lors de l’émission précitée : http://www.alterechos.be/fil-infos/david-van-reybrouck-la-paix-mentale-contribue-a-la-paix-sociale/

J’en tire quelques extraits :

« […] Face au déferlement d’actes guerriers et barbares, appeler la paix de ses voeux ne suffit pas, il faut l’apprendre, la construire à l’intérieur de nous-mêmes et dans nos structures sociales. […]

Mais parler de la paix n’est pas si simple… On n’utilise plus jamais le mot « paix », c’est une notion qui semble gênante, et encore plus en néerlandais: «vrede».

Ça fait catho ou John Lennon. Pour nous, c’était une réponse évidente au lendemain des attentats. La violence est partout et la meilleure façon de pacifier une société est la démocratie. La meilleure façon de pacifier l’individu, c’est de lui accorder des moments de silence et de contemplation, choses qu’on a oubliées ou perdues depuis plusieurs décennies.

[…] Nous sommes convaincus qu’une partie de la paix sociale repose sur la paix mentale. C’est ça l’équilibre entre mon approche politique et l’approche psychologique de Thomas.

[…] Je vois mal comment on peut rendre une société plus pacifiste, moins violente, moins agressive, moins raciste si on ne travaille que sur les structures sociétales. Il faut aussi travailler sur l’individu. Je ne dis pas qu’il suffit que les jeunes radicalisés de Molenbeek méditent quelques minutes par jour. Ce serait de la fausse conscience. Mais je ne vois pas non plus comment régler le défi majeur de la radicalisation si on limite l’action à des mesures sécuritaires, militaire, juridiques et politiques. Et même si on lutte contre la discrimination au niveau du marché du travail, de l’éducation ou du logement, je ne pense pas que cela débouchera sur une paix sociétale durable. Il faut en fait travailler sur l’extérieur et sur l’intérieur. Le livre est un plaidoyer pour une double action : sur les injustices sociales et sur la pacification de l’individu. […]

C’est une question de recherche scientifique. Il y a une centaine d’années, la gymnastique était intégrée dans le cursus scolaire. Pour l’époque, cela paraissait très insolite dans un contexte où les enfants devaient être sages. Mais les recherches scientifiques de l’époque – fin XIX ème début XXème – ont montré que c’était important d’avoir des exercices physiques pour le développement du corps, de l’esprit et des mœurs de l’enfant… C’était devenu une chose normale et évidente. On peut parler du sport mais aussi du brossage des dents, exemple qu’on donne dans nos livres. Grâce aux études sur l’hygiène buccale ont montré la nécessité de se brosser les dents et la pratique est rentrée dans les mœurs, y compris dans des endroits où ça n’était pas du tout gagné comme dans la campagne profonde d’où provient Thomas.

Je prends ces exemples pour montrer qu’aujourd’hui, de multiples recherches démontrent qu’il est possible d’apporter de la santé physique et mentale à un enfant en lui permettant de respirer dix minutes par jour calmement. On voit que l’apprentissage de la communication non violente stimule beaucoup d’empathie vis-à-vis des autres enfants, que cela leur apprend à gérer les conflits, à vivre avec, avant qu’ils ne deviennent de vraies bagarres.

C’est l’essence de la démocratie. Il faut insuffler ce goût pour l’exercice psychique dès la maternelle. »

Et quand le journaliste l’interpelle :

« Vous comprenez qu’on peut vous prendre pour des «bisounours» pour reprendre vos mots, ou en tout cas que vous pouvez susciter le scepticisme …»

Il en appelle à Schopenhauer :

« Chaque nouvelle idée passe d’abord par être ignorée, puis ridiculisée avant de devenir évidente »…

Et pour compléter le propos de Van Reybrouck, vous pourrez lire un texte d’Edgar Morin publié dans le Monde le 5 février 2016 : « Éduquer à la paix pour résister à l’esprit de guerre » qu’il conclut ainsi :

« C’est ici qu’un humanisme régénéré pourrait apporter la prise de conscience de la communauté de destin qui unit en fait tous les humains, le sentiment d’appartenance à notre patrie terrestre, le sentiment d’appartenance à l’aventure extraordinaire et incertaine de l’humanité, avec ses chances et ses périls.

C’est ici que l’on peut révéler ce que chacun porte en lui-même, mais occulté par la superficialité de notre civilisation présente : que l’on peut avoir foi en l’amour et en la fraternité, qui sont nos besoins profonds, que cette foi est exaltante, qu’elle permet d’affronter les incertitudes et refouler les angoisses. »

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Lundi 9 janvier 2017

« La paix »
Jean-Claude Carrière

En début d’année, les vœux que les humains échangent comprennent souvent le souhait de la paix.

Nous ne vivons pas la période la plus conflictuelle de l’histoire d’homo sapiens mais les médias rapprochent de nous tous les théâtres de conflits du monde et nous montrent des images insoutenables de guerre.

La menace terroriste, faible cependant au regard de tous les autres dangers qui peuvent nous faire mourir comme la voiture ou le tabac, nous entraîne aussi vers un désir de paix.

« La paix » est un ouvrage de Jean-Claude Carrière, le scénariste de Luis Bunuel, l’inoubliable collaborateur de Peter Brook pour le <Le Mahabharata>, l’auteur de <la controverse de Valladolid> et de tant d’autres œuvres érudites et passionnantes.

Pour parler de son livre, il était l’invité de l’émission <du grain à moudre : pourquoi n’aimons-nous pas la paix ? >

Jean Claude Carrière qui dit :

« On n’écrit jamais sur la paix comme s ‘il n’y avait rien à en dire, tandis que les ouvrages sur la guerre fleurissent de tout côté. Non seulement les ouvrages sur la guerre, mais les éloges de la guerre. Il y a deux chapitres dans mon ouvrage dans lesquels j’ai rassemblé des textes d’auteurs parfois très connus de Joseph de Maistre à Maurice Barrès, à Proudhon qui ont chanté l’aspect sublime de la guerre, l’aspect divin de la guerre d’une manière presque incroyable. Comme si la guerre était la plus belle et la plus souhaitable des activités humaines et comme si mourir à la guerre était le sort le plus beau. »

La Paix est d’ailleurs difficilement définissable, souvent on la décrit comme une période entre deux guerres. On la définit toujours de manière négative : « absence de perturbation, de trouble, de guerre et de conflit. »

Jean Claude Carrière est d’ailleurs optimiste :

« Ma génération a entendu pendant longtemps dire que toute paix était impossible en Irlande entre les protestants et les catholiques, or cette paix s’est établie et apparemment elle dure depuis plusieurs décennies […] Quand on dit que le conflit entre palestinien et israélien est insoluble, Non ! Certainement il y a une solution, il y a une possibilité pour les hommes de vivre ensemble.

Hitler disait : L’Allemagne a besoin d’une bonne guerre tous les 12 ou 15 ans. Or l’Allemagne est en paix depuis 70 ans, elle ne s’en porte pas plus mal, bien au contraire !

La paix n’est pas quelque chose d’impossible à atteindre. »

Et puis il évoque l’Histoire et porte un regard décalé sur la fin de l’empire romain, en évoquant la « Pax romana »

« L’empereur qui est mon favori est Antonin le Pieux qui a régné 25 ans au deuxième siècle de notre ère, à l’apogée de l’Empire romain. Il n’a pas connu une seule révolte dans un Empire qui allait de l’Ecosse à la Jordanie, Pourquoi ? […]

L’empire romain, à cette époque, accepte toutes les religions, toutes les croyances, toutes les manières de vivre à condition d’accepter les Lois de Rome.
Il y a même un temple à Rome « Au dieu inconnu » pour tous les dieux qui auraient été oubliés.

Quand un siècle plus tard, l’empereur Théodose édicte que toute la population de l’empire romain doit être chrétienne, sous peine de mort, quelques décennies plus tard l’empire romain est disloqué et disparaît ».

Il est vrai que l’évangile selon Matthieu (10-34) fait dire à Jésus : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. »

L’émission de France Culture avait invité un autre auteur : David Van Reybrouck, mais j’y reviendrai demain.

La paix Odile Jacob, 2016 Jean-Claude Carrière

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