Lundi 16/11/2015

Lundi 16/11/2015
«Il fait beau à n’y pas croire
Il fait beau comme jamais
C’est un temps contre nature
[…]
Il fait beau comme jamais
un temps à rire et courir
Un temps à ne pas mourir
Un temps à craindre le pire»
Louis Aragon, Maintenant que la jeunesse
Que dire ?
Comment éviter le verbiage révélant des abimes de vacuité.
Nous avons eu un week end ensoleillé, un ciel d’un bleu azur.
Nous connaissons un automne magnifique,  où des feuilles de toutes les couleurs recouvrent le sol alors que beaucoup d’autres continuent à garnir les arbres, en restant accrochées aux branches comme autant de décorations belles et apaisantes.
Oui, Il fait beau à n’y pas croire, Il fait beau comme jamais, C’est un temps contre nature.
Un temps à rire et courir, un temps à ne pas mourir.
Dans ce décor propice aux ballades, au retour vers la nature, ou dans les villes aux repas ou simplement à un verre pour échanger sur les terrasses de café ou de restaurant, des armes de guerre ont fauché des centaines de femmes et d’hommes, surtout des jeunes de tout origine qui voulaient simplement vivre, vibrer aux sons d’un concert ou fêter un anniversaire ou d’autres choses encore qui font que la vie est si belle quand l’esprit de liberté règne.
Un temps à craindre le pire…
A ce texte, je me contenterai, aujourd’hui, d’ajouter ce magnifique discours où Angela Merkel a su trouver les mots de compassion, de compréhension et aussi de combat en 2 minutes.
Je n’en ai pas trouvé de traduction, alors j’ai tenté de la réaliser.
Vous trouverez, plus loin, le texte original et ma tentative de traduction dont je tire les extraits suivants :
«Nous venons de vivre une des nuits les plus horribles que l’Europe a vécu depuis longtemps.
Les personnes à Paris ont eu à vivre un cauchemar de violence, de terreur et de peur, et je voudrai avant tout, aujourd’hui, leur dire ainsi qu’à tous les Français : Nous, vos amis allemands, nous nous sentons si proche de vous.
Nous pleurons avec vous.
Nous poursuivrons avec vous, ensemble, le combat contre les responsables de ces actes inconcevables.
[…]
Les personnes dont  nous portons le deuil, ont été assassinées au restaurant, dans une salle de concert ou dans la rue. Ils voulaient vivre une vie d’hommes libres dans la ville qui célèbre la vie et ils sont tombés sur des meurtriers qui justement haïssent la vie dans la liberté.
Cette attaque contre la liberté compte non seulement pour Paris, elle atteint chacun d’entre nous et nous touche tous. Voilà pourquoi nous agirons ensemble pour donner la réponse.
[…]
Et puis nous donnons aussi, comme citoyen, une réponse claire qui est celle-ci : Nous vivons par la compassion, par la charité, par la joie de la communauté. Nous croyons aux droits individuels, au droit de chercher son bonheur, de vivre dans le respect d’autrui et dans la tolérance.
Nous savons que notre vie libre est plus forte que le terrorisme.
Répondons aux terroristes en vivant dans nos valeurs, dans la confiance dans la vie, en fortifiant ces valeurs pour l’ensemble de l’Europe, maintenant plus que jamais.»
Traduction du discours d’Angela Merkel

Meine Damen und Herren, hinter uns liegt eine der schrecklichsten Nächte, die Europa seit langer Zeit erlebt hat.

Mesdames et Messieurs, nous venons de vivre une des nuits les plus horribles que l’Europe a vécu depuis longtemps.

Die Menschen in Paris müssen einen Alptraum von Gewalt, Terror und Angst durchleiden, und ich möchte ihnen und allen Franzosen heute von hier aus vor allem eines sagen: Wir, die deutschen Freunde, wir fühlen uns Ihnen so nah.

Les personnes à Paris ont eu à vivre un cauchemar de violence, de terreur et de peur, et je voudrai avant tout, aujourd’hui, leur dire ainsi qu’à tous les Français : Nous les amis allemands, nous nous sentons si proche de vous.

Wir weinen mit Ihnen..

Nous pleurons avec vous.

Wir werden mit Ihnen gemeinsam den Kampf gegen die führen, die Ihnen so etwas Unfassbares angetan haben

Nous poursuivrons avec vous, ensemble, le combat contre les responsables de ces actes inconcevables.

Ich bin in Gedanken bei den mehr als 120 Menschen, denen das Leben geraubt wurde, und ich bin in Gedanken bei den Familien und Angehörigen. Seien Sie versichert: Deutschland fühlt mit Ihnen in Ihrem Schmerz und in Ihrer Trauer.

Je suis en pensée avec les plus de 120 personnes, à qui la vie a été dérobée et je suis en pensée avec les familles et les proches. Soyez assurés que l’Allemagne partage votre douleur et votre chagrin.

Ich denke auch an die Verletzten  mögen sie genesen, körperlich und seelisch.

Je pense aussi aux blessés, puissent-ils guérir dans leur corps et dans leur âme..

Die Menschen, um die wir trauern, wurden vor Cafés ermordet, im Restaurant, im Konzertsaal oder auf offener Straße. Sie wollten das Leben freier Menschen leben, in einer Stadt, die das Leben feiert  und sie sind auf Mörder getroffen, die genau dieses Leben in Freiheit hassen.

Les personnes dont nous portons le deuil, ont été assassinées au restaurant, dans une salle de concert ou dans la rue. Ils voulaient vivre une vie d’hommes libres dans une ville qui célèbre la vie et ils sont tombés sur des meurtriers qui justement haïssent la vie dans la liberté.

Dieser Angriff auf die Freiheit gilt nicht nur Paris  er meint uns alle und er trifft uns alle. Deswegen werden wir auch alle gemeinsam die Antwort geben.

Cette attaque contre la liberté compte non seulement pour Paris, elle atteint chacun d’entre nous et nous touche tous. Voilà pourquoi nous agirons ensemble pour donner la réponse.

Da ist zunächst die Antwort der Sicherheitskräfte: Die Bundesregierung steht dazu im engen Kontakt mit der französischen Regierung und hat jedwede Unterstützung angeboten. Wir werden alles tun, um bei der Jagd auf die Täter und Hintermänner zu helfen und gemeinsam den Kampf gegen diese Terroristen zu führen.

C’est d’abord la réponse des forces de sécurité : Le gouvernement fédéral est en contact étroit avec le gouvernement français et a offert son assistance. Nous ferons tout notre possible pour aider dans la capture des auteurs et des commanditaires et pour mener conjointement la lutte contre ces terroristes.

Ich werde heute im Laufe des Tages mit den zuständigen Ministern zusammenkommen, um die weitere Entwicklung der Lage in Frankreich und alle damit verbundenen Fragen zu erörtern

Je vais réunir au cours de la journée les ministres compétents pour discuter du développement de la situation en France et de toutes les questions liées.

Und dann geben wir auch als Bürger eine klare Antwort, und die heißt: Wir leben von der Mitmenschlichkeit, von der Nächstenliebe, von der Freude an der Gemeinschaft. Wir glauben an das Recht jedes Einzelnen  an das Recht jedes Einzelnen, sein Glück zu suchen und zu leben, an den Respekt vor dem anderen und an die Toleranz.

Et puis nous donnons aussi, comme citoyen, une réponse claire qui est celle-ci : Nous vivons par la compassion, par la charité, par la joie de la communauté. Nous croyons aux droits individuels, au droit de chercher son bonheur, de vivre dans le respect d’autrui et dans la tolérance.

Wir wissen, dass unser freies Leben stärker ist als jeder Terror.

Nous savons que notre vie libre est plus forte que le terrorisme.

Lassen Sie uns den Terroristen die Antwort geben, indem wir unsere Werte selbstbewusst leben und indem wir diese Werte für ganz Europa bekräftigen  jetzt mehr denn je

Répondons aux terroristes en vivant dans nos valeurs, dans la confiance dans la vie, en fortifiant ces valeurs pour l’ensemble de l’Europe, maintenant plus que jamais

Et voici le poème d’Aragon :
Maintenant que la jeunesse
Maintenant que la jeunesse
S’éteint au carreau bleui
Maintenant que la jeunesse
Machinale m’a trahi
Maintenant que la jeunesse
Tu t’en souviens souviens-t-en
Maintenant que la jeunesse
Chante à d’autres le printemps
Maintenant que la jeunesse
Détourne ses yeux lilas
Maintenant que la jeunesse
N’est plus ici n’est plus là
Maintenant que la jeunesse
Sur d’autres chemins légers
Maintenant que la jeunesse
Suit un nuage étranger
Maintenant que la jeunesse
A fui voleur généreux
Me laissant mon droit d’aînesse
Et l’argent de mes cheveux
Il fait beau à n’y pas croire
Il fait beau comme jamais
Quel temps quel temps sans mémoire
On ne sait plus comment voir
Ni se lever ni s’asseoir
Il fait beau comme jamais
C’est un temps contre nature
Comme le ciel des peintures
Comme l’oubli des tortures
Il fait beau comme jamais
Frais comme l’eau sous la rame
Un temps fort comme une femme
Un temps à damner son âme
Il fait beau comme jamais un temps à rire et courir
Un temps à ne pas mourir
Un temps à craindre le pire
Il fait beau comme jamais

Mardi 10/11/2015

Mardi 10/11/2015
« Les gens achètent ce qui rend jaloux le voisin,
Voilà le créneau qui nous intéresse. »
Caius Saugrenus personnage du « Obélix et Cie » (avant dernier album) créé par René Goscinny
René Girard nous a expliqué que le désir était mimétique, nous désirons ce que désire l’autre.
Si l’objet de ce désir est unique, le désir fait naître la violence. Mais la révolution industrielle et la production d’un grand nombre d’objets  identiques a fait naître dans le monde moderne un autre phénomène : la consommation de masse.
Le désir est toujours mimétique mais la conséquence n’est plus la violence mais l’achat d’objets parfaitement inutiles ou le remplacement inutile d’objets que nous possédons déjà et qui répondent parfaitement à nos besoins.
Goscinny a magnifiquement expliqué cela dans sa BD “Obélix et Cie”
Ainsi un économiste antique (ayant vaguement ressemblance avec Jacques Chirac…jeune) et fraîchement sorti de l’Ecole Nouvelle d’Affranchis va expliquer à César que pour anéantir le village d’Astérix il faut les pousser à n’avoir plus qu’une idée : produire des menhirs.
Pour que ceci soit possible il faut que César achète massivement ces menhirs.
Mais dans un second temps il faudra que César puisse les revendre.
Et là nous arrivons à cette démonstration d’Economie antique où grâce à la publicité, César va parvenir à convaincre les romains d’acheter cet objet parfaitement inutile qu’est le menhir.
Le désir mimétique étant magnifiquement mis en scène par René Goscinny en montrant cette femme qui dit : “tu sais nos voisins les incongrus ont déjà acheté un menhir”
Après cet effort de pédagogie, je vais me reposer quelques jours, le prochain mot du jour est prévu pour le 16 novembre.

Lundi, le 09/11/2015

Lundi, le 09/11/2015
« La tendance à effacer le sacré, à l’éliminer entièrement, prépare le retour subreptice du sacré, sous une forme non pas transcendante mais immanente, sous la forme de la violence et du savoir de la violence. »
René Girard
La violence et le sacré
éd. Hachette, coll. Pluriel, 2004 (ISBN 2-01-278897-1), p. 480
René Girard était un géant de la pensée, né en Avignon le jour de Noël 1923.
Il était français.
Mais les élites françaises notamment universitaires ne l’ont pas reconnu, pas accepté.
Et c’est aux Etats-Unis qu’il a pu déployer son intelligence, son savoir et ses fulgurances.
Après mes 20 ans, je suis entré avec passion dans la lecture des ouvrages de René Girard.
Je ne dis pas que j’ai tout compris, tout saisi, mais j’ai été ébloui par cette pensée qui plonge au plus profond de l’homme, des sociétés, du désir et de la violence.
Je reviendrai sans doute sur cette explication du monde qui débute par le désir mimétique, car nous ne désirons pas un objet en raison de sa valeur, de sa rareté ou de son intérêt intrinsèque mais parce qu’un autre le désire.
Le désir n’est pas une relation binaire entre moi et un objet désiré, mais une relation triangulaire où se trouve l’autre celui qui entraîne mon désir mimétique.
Ce désir mimétique engendre évidemment la violence.
Violence que veut apprivoiser le sacré dans une société par des mythes, des rites, des sacrifices et enfin l’invention du concept de bouc émissaire.
J’ai choisi, comme mot du jour, cette phrase de Girard dans “la violence et le sacré” qui semble annonciatrice des violences d’aujourd’hui. C’est une phrase qui se situe dans la conclusion, à l’avant dernière page de l’édition que je possède.
Car nous autres européens et particulièrement français avons voulu chasser la religion et le sacré, particulièrement de la sphère publique.
C’est pour nous, je continue à parler au présent et je me demande si cela est judicieux, quelque chose qui appartient au passé, à des mœurs un peu archaïques qui s’adressent à des gens qui n’ont pas voulu embrasser la modernité et la philosophie de la raison.
Alors que répondre quand Girard prétend que la tendance à effacer le sacré prépare son retour sous la forme de la violence ?
Mais pour ce premier mot du jour consacré à Girard je voudrai revenir à ce fait : La France a engendré un des plus grands penseurs du XXème siècle, mais ses élites universitaires l’ont simplement ignoré.
Il a enrichi plusieurs universitaires américaines, pour finir à Stanford, où enseigne aussi Michel Serres.
Et que représente Stanford ?
Dans le classement des universités qui prend pour critère le nombre de prix Nobel obtenus par ses enseignants et chercheurs l’université californienne de Stanford est première. Pour la suite du podium on trouve l’université de Columbia de New York et en troisième Berkeley aussi Californienne à San Francisco.
Wikipedia nous apprend que l’université de Stanford, est une université américaine privée, située au cœur de la Silicon Valley au sud de San Francisco, séparée de Paolo Alto par une avenue. Paolo Alto qui est considérée comme le berceau de la Silicon Valley.
C’est dans ce lieu de l’hyper modernité qu’a œuvré et est mort le 4 novembre 2015, ce penseur des sciences humaines, de la réflexion sur l’origine du sacré, de la violence archaïque.
La France n’a pas eu cette intelligence. Très tardivement, comme la réparation d’un remord, l’Académie Française l’a accueilli en 2005, alors qu’il avait 82 ans. Il faut être juste, l’Académie française lui avait délivré son prix  en 1972 pour «La Violence et le Sacré».
C’est pourquoi dans son discours de réception René Girard a eu cette réflexion : «Je peux dire sans exagération que, pendant un demi-siècle, la seule institution française qui m’ait persuadé que je n’étais pas oublié en France, dans mon propre pays, en tant que chercheur et en tant que penseur, c’est l’Académie française.» Il fut élu au trente-septième fauteuil, dont le second titulaire fut Bossuet.
Cette attitude des élites françaises à l’égard de René Girard n’est-elle pas révélatrice d’un mal plus grand ?
Ne sont-elles pas simplement incapables de sortir de leur univers de clones ? Où on n’accepte que celles et ceux qui pensent comme les autres de la même caste, dans un moule rassurant mais aussi castrateur ?
Si cette hypothèse est exacte et s’il y a bien fuite des cerveaux elle pourrait avoir une cause bien plus profonde que celle si souvent évoquée du matraquage fiscal.
Pour prolonger cette réflexion je vous propose cet excellent article de Slate : http://www.slate.fr/story/109455/rene-girard-mort-violence-sacre
Et aussi un court extrait d’une interview de René Girard. <Présentation du désir mimétique>
Et puis si vous voulez faire comme ce que je vais faire dans les jours prochains, voici la page vers toutes émissions de France Culture consacrées à René Girard : http://www.franceculture.fr/2015-11-05-mort-de-l-anthropologue-et-philosophe-rene-girard-nouveau-darwin-des-sciences-humaines

Vendredi, le 06/11/2015

Vendredi, le 06/11/2015
«  je vais vous prendre. Depuis ce matin, je n’ai vu défiler que des “voilées”. Finalement, vous êtes la moins pire ! »
Une maman de Chatou qui cherche une baby Sitter à une fille voilée qui postule pour ce travail Dans « En France  » de Florence Aubenas, pages 197 à 200, 8 juillet 2013
Le texte de l’annonce disait : «Urgent : maman parfaite mais surbookée cherche garde pour ses deux p’tits loups pendant l’été. Prolongation possible si atomes crochus.» L’adresse est à Chatou et, avant même d’être arrivée, Rim a averti les deux copines qui l’accompagnent : «C’est un coin perdu avec que des Français. » Dans le RER, on devise paisiblement des nouveaux parfums de glace chez
Haagen-Dazs et d’un DVD de Gad Elmaleh.
Il est convenu que les copines attendent devant la résidence, pendant que Rim se présente au rendez-vous. Quand elle ouvre, la “maman-parfaite-mais-surbookée» pousse un cri : “Mon Dieu !» Elle recule de deux pas.
«Je vous avais prévenue au téléphone que je portais le foulard, soupire Rim.
– Je n’avais pas réalisé. Je croyais que c’était juste un petit bandana.»
Sabrina est vêtue d’un jilbeb, robe noire tout en drapé tombant jusqu’au sol, manches longues et voile marron qui ne laisse voir que l’ovale du visage. Elle l’a acheté 37 euros dans son magasin préféré au métro Couronnes.
« Je suis opé tout de suite », poursuit Rim, comme si de rien n’était. La maman parfaite tente de reprendre ses esprits : «C’est-à-dire ?»
« Opérationnelle. Je ne fume pas, je ne bois pas, je travaille pendant les congés des Français, Noël, le 14-Juillet, et même le dimanche si vous voulez. »
La maman surbookée est déjà en train de rabattre la porte : « Je suis confuse, mais je n’assume pas par rapport aux voisines. »
En bas, les trois copines n’ont pas l’air surpris. Elles sont en jilbeb, elles aussi. Rim a été la première à le porter, il y a quatre ans. “Pas de ça à la maison !”, s’est fâché son père. Il l’a prévenue qu’il ne sortirait plus avec elle dans la rue. “On va croire que c’est moi qui t’oblige. D’ailleurs, ils le disent à la télé, c’est contre la liberté de la femme. Pourquoi il a fallu que ça m’arrive à moi ?”[…]
Elle était encore en terminale à l’époque où elle l’a mis, le genre bonne élève qui en veut. Le proviseur l’avait d’abord exclue, puis convoquée pour un compromis : les robes longues, d’accord, mais achetées dans les magasins style H & M. Et pas de foulard. Sa mère pleurait à côté d’elle à l’entretien. « On a voulu lui donner toutes les chances, celles qu’on n’a pas eues nous-mêmes. Et voilà, elle se bloque toute seule. »[…]
Les copines remontent jusqu’aux Champs-Elysées, temps gris et déprimant. «Il était bien payé, en plus, ce boulot à Chatou”, râle Sabrina. Fatoumata boude, elle voudrait rentrer dans le quartier, vers La Courneuve. « Là-bas, on est tranquilles, on n’est pas obligées de se promener à trois pour se donner du courage. »
Le portable de Rim sonne. Dans l’appareil, une voix dit : « Vous ne pouvez pas l’enlever, rien que pour l’été ? » C’est la «maman-parfaite-mais-surbookée».
«Imaginez que je le retire…, lance Rim, en raccrochant.
– Je te tue», rigole Fatoumata.
[…] Sabrina devient nostalgique. Elle y buvait des coups quand elle travaillait dans le quartier, assistante de direction. Aujourd’hui, elle rêve encore de ce boulot, de la vie qu’elle s’était créée, aller à droite à gauche, faire les magasins, rigoler. A la fois, elle avait toujours cette impression de devoir jouer un rôle. La religion avait commencé à la travailler, mettre le foulard aussi. Elle s’est lancée, c’était un lundi matin, elle s’en souvient.
A l’entrée de la boîte, on ne veut pas lui ouvrir. Elle répète dans l’Interphone : «Je suis salariée.» Elle entend répondre la standardiste, avec qui elle déjeune tous les jours : «Madame, il n’y a personne comme vous ici.» Elle donne les numéros de postes de sa hiérarchie, arrive à l’accueil, où elle est à nouveau bloquée. «Je ne peux pas prendre seule la responsabilité de vous laisser entrer. Il faut qu’un chef vienne voir.» La directrice du personnel arrive, Sabrina remonte avec elle le long couloir vitré. Dans les bureaux, les gens s’arrêtent de travailler pour la regarder passer, bouche bée.
Elle veut hurler : « C’est moi Sabrina. J’ai mis un voile, mais je suis toujours la même ! » Pas un son ne sort et, en même temps, elle sent monter en elle une sensation intense et inconnue, celle d’être devenue extralucide et de voir pour la première fois les gens “en vrai”, avec tout ce qu’ils pensaient d’elle sans oser le lui dire. Elle aperçoit Georges, son boss au bout du couloir. Se croit sauvée : elle a toujours été sa chouchou. Il dit : «Je ne te voyais pas comme ça. » Elle le déçoit, elle le sent, et c’est ce qui lui fait le plus mal. Le lendemain, elle envoie sa démission.
 
Fatoumata commande un deuxième Coca light. “Pour nous, il n’y a que des boulots de garde d’enfants.” Sabrina est partie se remaquiller. Le téléphone de Rim sonne à nouveau. « Ecoutez, je vais vous prendre. Depuis ce matin, je n’ai vu défiler que des “voilées”. Finalement, vous êtes la moins pire ! »
Ainsi se termine les 5 reportages que j’ai choisis arbitrairement dans ce livre où Florence Aubenas raconte simplement les gens, en ne jugeant pas et plutôt avec bienveillance.
Il y a les dogmes, des théories, de grandes évolutions économiques, des indicateurs, des politiques ou des non politiques (laisser faire) économiques et puis il y a les gens qui n’ont pas les clés, qui ont peut être fait des mauvais choix, mais qui pour la plupart sont surtout nés au mauvais endroit, au mauvais moment et dans un milieu qui n’a pas les clés, pas les réseaux. Pourtant la plupart de ces personnes ne se plaignent pas, elles cherchent à s’en sortir, comme elles peuvent…

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Jeudi, le 05/11/2015

Jeudi, le 05/11/2015
« un pays de gosses qui font des gosses »
Florence Aubenas
Dans « En France  » de Florence Aubenas, pages 225 à 228, 17 février 2014
 Sa première visite dans les bourgades de la Thiérache l’a sidéré, « un choc visuel », dit-il. Pourtant, Franck Audin est né ici, ou pas très loin, à Saint-Quentin, 40 km vers le Nord. Il a voyagé aussi, des missions humanitaires dans des contrées déchirées. Pourtant, dans ces rues de brique et d’ardoise, il ne parvient pas à détourner les yeux de ces filles, si jeunes, si nombreuses, la sortie de l’école, croirait-on, si chacune ne poussait un landau avec un bébé : la traversée d’un pays de gosses qui font des gosses. Bien sûr, Audin a la sale impression de basculer dans la caricature, lui qui fédère les centres sociaux de l’Aisne.
Déjà, la région de la Thiérache, collée à la frontière belge, se remet à peine d’avoir été baptisée « Chômeurland », avec ses 17,9 % de sans-emploi. Et voilà les « grossesses précoces », comme disent les institutions, deux fois plus nombreuses qu’ailleurs. Au début, on parlait de « problème ».
On évite maintenant. « Problème pour qui ? La plupart de ces jeunes filles disent désirer avoir un enfant », explique Véronique Thuez, infirmière et conseillère au rectorat d’Amiens.
[…] En fait, elles étaient quatre au collège à accoucher cette année-là. Les autres ont abandonné l’école. « De toute façon, un diplôme, ça ne veut plus rien dire », proteste une autre, deux couettes nouées haut sur la tête, comme sa toute petite fille. Sa voisine hausse les épaules : « Même les patrons n’en veulent plus, d’un CAP : on serait trop cher payées. »[…]
A la protection maternelle et infantile, Mademoiselle Couettes, 17 ans, a pris de haut les questions au sujet du père : « On a droit à sa vie privée, comme les stars, pas vrai ? » Elle compte vivre « en famille ». Avec le papa ?
Ça rigole franchement par-dessus les frites. Non, Mademoiselle Couette veut dire « vivre avec [ses] parents à [elle] »
[…]
« A une époque, les filles comme nous devaient se cacher, la honte », reprend la brune au tatouage. Les autres écarquillent les yeux. « Aujourd’hui, c’est l’inverse : on compte pour quelque chose quand on a un enfant. » Elle a été étonnée de toucher de l’argent pour sa fille. « Je savais qu’on en recevait, mais pas autant. » Ce n’est pas la fortune, bien sûr, mais une « sécurité ». « L’avenir », s’enflamme sa voisine, remuant les draps de son fils comme on tisonne. « Un enfant, c’est déjà ça, toujours quelque chose qu’on a », dit-elle […]

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Mercredi, le 04/11/2015

Mercredi, le 04/11/2015
« C’est vrai, on est le dernier crédit sans intérêts.»
Une employée de l’office d’HLM à une locataire qui se présente avec des loyers impayés
Dans « En France  » de Florence Aubenas, pages 42 à 45, 20 mai 2013
[…], pour les loyers impayés de son T3, Cassandra s’est résolue à aller à l’office HLM, “comme tout le monde”. Bouboulette l’accompagne. Depuis qu’il a pu s’offrir le permis de conduire, on le croirait promu nouveau chef de toute la famille. L’événement a été fêté, presque autant que son diplôme d’instituteur l’an dernier.
A l’office HLM, une brune enjouée avec un chignon les reçoit sous des photos de la région, la Normandie pittoresque […]
Cassandra en vient au but. Elle n’arrive plus à payer son loyer.
“On va regarder ensemble votre budget”, reprend l’employée en souriant.
Cassandra commence par le “poste numéro un”, les factures, “qu’on est obligé de payer, sinon ils vous coupent tout de suite” : le téléphone portable et Internet. “Sans ça, on est mort : surtout mon mari, en recherche d’emploi.” Il était commercial et “bricole dans l’informatique en attendant mieux”.
Autrement dit, il achète des sacs imitation Vuitton en Chine sur le Net et les revend en France sur le site Le Bon Coin. “Au black”, précise Cassandra. Elle n’y voit aucun mal, au contraire. “Vous préféreriez qu’il ne fasse rien ? On a un fils.”
Ensuite, vient le remboursement de trois crédits à la consommation pour un frigo, un scooter d’occasion et un home-cinéma (“On doit bien se faire plaisir parfois”, glisse Bouboulette, qui prend des notes). Là aussi, il faut payer, et très vite. Les boîtes de crédit ne lâchent jamais. Ils vous mettent des pénalités féroces. Ils scotchent des autocollants humiliants sur votre boîte aux lettres. Ils vous harcèlent devant l’école ou au boulot. Ils vous attaquent au tribunal. C’est l’obligation numéro deux.
[…] Après seulement, en troisième position, arrive la nourriture, surtout par la carte de crédit de l’hypermarché local. Cassandra l’a obtenue sans difficulté : elle y travaille le week-end et en nocturne. “Je fais des affaires, la baguette coûte 35 centimes, il n’y a plus personne chez le boulanger où elle est à 80.”
[…]  « Pour le reste, je vous mentirais en disant que je n’ai pas de dettes.” Le gaz et l’électricité, par exemple. “Mais là, ils comprennent. Ils patientent, pas comme les organismes de crédit.” Et pas comme les opérateurs de téléphonie, non plus. ” Le public, quand même, c’est politique, analyse Bouboulette. L’Etat ne peut pas se permettre de couper et de laisser des familles normales sans courant. »
Et pour les loyers de l’appartement ? Cassandra devient toute rouge. Elle risque : « C’est pareil, non ? On ne met pas dehors les gens comme nous ?”
L’employée la coupe, toujours souriante : « C’est vrai, on est le dernier crédit sans intérêts. »
Et soudain, Bouboulette et Cassandra pensent à leurs parents, pour qui le toit et la lumière étaient sacrés, les priorités à honorer par-dessus tout, pour les enfants et les voisins. Tout s’est inversé, cul par-dessus tête.

<591>

Mardi, le 03/11/2015

Mardi, le 03/11/2015
« Je ne m’étais jamais posé de questions : je me sens français, c’est tout. Ou plutôt je me sentais français. »
Farid, habitant d’origine musulmane de Hénin Beaumont
Dans « En France  » de Florence Aubenas, pages 25 à 30, 15 juin 2012
[…] On est dimanche 10 juin à Hénin-Beaumont, dans le bassin minier du Pas-de-Calais, au premier tour des législatives où se présente – entre autres – Marine Le Pen, la patronne du Front national.
Et Rachida trouve l’ambiance étrange, elle ne peut pas s’en empêcher, sans trop savoir pourquoi. [Quand elle rentre chez elle] La table est dressée avec attention, il y a son mari, ses enfants, quelques amis aussi. Tous ont des boulots solides, les hommes comme les femmes, Mohamed à la tête d’un cabinet d’assurances, Nacéra, qui est professeure ou Said, ingénieur. Les enfants font du théâtre, fréquentent les clubs de sport.
[…]
Farid, un autre voisin, près du lac, a mis un certain temps à réaliser que l’« Arabe » d’Hénin- Beaumont, montré du doigt pendant toute la campagne, désigné dans les tracts du FN et dont chacun commente la “dangerosité”, c’est lui aussi.
Il s’est regardé dans la salle de bains, lunettes d’écaille, raie sur le côté, les rides précoces du type qui travaille tard.
Il a dit à sa femme en pointant sa propre image dans le miroir : « Tu crois que je vais finir par avoir peur de ce bougnoule en face de moi ? » Ils ont ri et pensé à leur vie dont il n’y a pas grand-chose à dire et tant mieux, une vie rangée et invisible comme celle des gens à l’aise.
Brusquement, ils ont eu l’impression que toute cette quiétude venait d’être balancée sur la place publique, exposée.
« Je ne m’étais jamais posé de questions : je me sens français, c’est tout, dit Farid. Ou plutôt je me sentais français. » Leurs parents venaient de la mine, comme tout le monde ici.
[…]
Déjà, à l’époque, “les houillères vivaient de l’immigration, mais pas tellement venue du Maghreb”, explique Jean-François Larosière, professeur à la retraite et militant syndical.
“On en comptait peut-être trois ou quatre élèves par classe contre une douzaine d’enfants ‘polonais’.” Les mines fournissaient tout, même travail, même toit, même identité.
Et à la question “d’où viens-tu ?”, il n’y avait qu’une seule réponse qui vaille : annoncer le numéro de la fosse où chacun s’enfonçait au petit jour, avec sa lampe et son casque.
Au milieu des villages miniers, Hénin-Beaumont, 25 000 habitants aujourd’hui, était la belle ville du canton, trois cinémas, autant de lycées, des cafés et des dancings réputés, le plus grand Auchan d’Europe qui vient de fêter ses quarante ans. […]
La nostalgie a sans doute embelli le passé, fait oublier, par exemple, que les mineurs algériens étaient désignés par des numéros, pas par leur nom. Il n’empêche.
[…] A quel moment le temps s’est-il mis à marcher à l’envers ? Quand a-t-on commencé à entendre claquer le mot “Arabe” comme un reproche, à relever qui l’était et qui ne l’était pas, autrement que pour blaguer ou pour les matchs de foot ? Il y a quelques années, Mustapha a eu le cœur brisé quand son fils lui a appris qu’une boîte de nuit, près de Béthune, lui avait refusé l’entrée.
Le gamin a lancé à son père : “Votre jeunesse était plus belle que la nôtre.”
[…] La famille de Mériem, qui voulait faire construire, s’est vu conseiller par une commerçante compatissante : “Dépêchez-vous, si Marine Le Pen passe, les gens comme vous n’auront plus rien du tout.”[…]
Vers Arleux, une large bande rurale derrière Douai, des parents ont confié aux professeurs que leurs gamins placardaient des Hitler en poster sur les murs de leur chambre.
Certains élèves, dans des établissements d’Hénin-Beaumont, revendiquent la “mode Marine Le Pen”, qui consiste essentiellement à rouler des yeux fâchés, écouter de la musique électro et graver “Bougnoules” sur les tables de classe en clamant : “Ici, on est connu mondialement pour voter FN.” Peu à peu, la campagne a fini par tout envahir, les maisons, les esprits.
[…] Chez Rachida, dans la villa blanche du Bord des eaux, le résultat du vote vient de tomber. Marine Le Pen arrive en tête sur la circonscription, avec plus de 40 %, frôlant les 50 sur la ville même d’Hénin- Beaumont.
Une invitée murmure juste : “On ne mérite pas ça”, et puis plus rien.

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Lundi 2 novembre 2015

« Ce qui était une fatalité pour nous est devenu le rêve de nos enfants. »
Un ouvrier en CDI parlant de ses enfants.
Dans « En France  » de Florence Aubenas, pages 185 à 188, 6 mai 2013
C’est en écoutant Florence Aubenas dans l’émission <Répliques> que j’ai eu envie de lire son livre <En France>.
Comme beaucoup, j’ai appris l’existence de Florence Aubenas lorsqu’elle a été kidnappée et retenue en otage en Irak en 2005. Depuis j’ai appris à connaître la remarquable journaliste qu’elle est. Comme le préconisait le journaliste suisse, Serge Michel, créateur du Bondy Blog, elle va sur le terrain, en immersion, pour réaliser ses reportages.
Elle avait publié un premier travail de reportage en France <Le quai de Ouistreham>, livre qu’elle a écrit après avoir, pendant six mois, essayé de « vivre la vie » des plus démunis, ceux et surtout celles qui tentent de s’en sortir en enchaînant des travaux précaires (femme de ménage par exemple) et du temps partiel. Elle a mené cette enquête à Caen. C’est un des emplois qu’elle a occupé : nettoyer un quai qui a donné le titre du livre.
Son livre <En France> est constitué d’une série de reportages pour «Le Monde». Elle a parcouru la France, les villages et les gens de France et a simplement rapporté ce qui se passait en France ailleurs que dans les riches métropoles , là où il devient de plus en plus difficile ou compliqué de vivre.
Je vous avais proposé une semaine de mots du jour, sur une émission et un livre de Daniel Cohen. C’était alors une réflexion érudite, argumentée, conceptuelle du monde économique dans lequel nous vivons et ensuite des questions sur l’avenir qui se prépare.
Je vous propose cette fois, 5 mots du jour, non d’érudition conceptuelle mais de reportages, de la vie vue à hauteur d’homme, comment les choses se passent et se disent dans le quotidien de cette économie en crise, parmi celles et ceux qui en sont les victimes
Je vous en proposerai quelques extraits qui expliquent la phrase que j’ai choisie comme mot du jour :
« Le rendez-vous est fixé sur le parking d’un fast-food juste à l’entrée de Montbéliard (Doubs), à quelques mètres de la grille de l’usine Peugeot. Une vingtaine de personnes attendent la camionnette qui les conduira jusqu’aux ateliers de la première équipe. Dans le froid du ciel s’étirent des nuages noirs et roses. Il doit être 4 h 30 du matin. […]
 David […] a déjà bossé dans la restauration, les espaces verts, une usine de contreplaqué, le triage des cerises. Contrats précaires, à chaque fois. Ce coup-ci, il a décroché Peugeot, ou plus exactement une mission de quatre mois en atelier par le biais d’une boîte d’intérim, qui recrute pour un sous-traitant qui travaille pour Peugeot. Peugeot ! Il répète le nom, soufflé lui-même par sa chance.
Le père de David bosse là depuis toujours. Lui se retrouve dans le même atelier, père et fils côte à côte, mais séparés par un gouffre : le contrat de travail. “Mon père, c’est un embauché”, résume David. “Tous nos vieux sont des embauchés”, tranche un blond d’une voix assez forte pour couvrir la musique qui sort de son portable. Il s’étonne qu’on ne connaisse pas le mot : “Ça veut dire qu’ils ont un contrat de travail à durée indéterminée.” Eux sont intérimaires, tous. Eux sont jeunes, tous sauf un grand maigre qui doit avoir la cinquantaine. Dans le groupe, ils se mettent à sourire, pas revanchards pour un sou, attendris au contraire par ces pères dont ils parlent comme si c’étaient eux les enfants, des créatures innocentes à protéger d’un monde mutant.
Quelqu’un lance : “Vous imaginez nos vieux à la case chômage, comme nous ?” Rires. Et le blond, à nouveau, un peu bravache : “Ils n’y arriveraient pas.”
 Le contrat est devenu l’unité de valeur, et le CDI, la valeur suprême. Les deux tiers des salariés qui entrent à Pôle emploi ne demandent plus un métier mais “un CDI”. Pour les employeurs, c’est l’inverse : 49 % des offres proposent de l’intérim, 30 % des CDD. L’explosion date du début des années 2000, où les entreprises ont commencé à gérer les variations de production avec un “matelas d’intérim”   […]
Tout le monde est intérimaire dans la famille […], sauf le père, ça va de soi. L’autre jour, ils en ont parlé à table. Le père a dit : “Il faut aborder ouvertement ce qui se passe : quelle boîte peut dire où en sera le carnet de commandes dans six mois ? C’est malheureux, mais s’il faut en passer par là pour sauver le reste…” Tout le monde a rigolé. “Qu’est-ce qui t’arrive, papa ? Tu parles comme à la télé.” […]
 
En général, on apprend le vendredi pour le lundi que le contrat ne sera pas renouvelé et, afin de maintenir la motivation jusqu’à la dernière heure, on délivre un certificat de bons services nécessaire pour un nouvel intérim.  […]
A la grille de l’usine, le bus des “embauchés” est déjà là. Un type à l’avant est en train de caler sa gamelle dans son sac. En 1975, quand lui a été recruté, “le terme ouvrier à la chaîne était synonyme d'”esclave moderne”. Aujourd’hui, on nous appelle “privilégiés””. Il a fini par y croire. “Ce qui était une fatalité pour nous est devenu le rêve de nos enfants.”
Son fils est juste derrière, sur le parking du fast-food. Il monte dans la camionnette des intérimaires en faisant le V de la victoire, suivi des autres qui font pareil, pendant que le blond filme la scène sur son portable. Il est 4 h 58 quand le véhicule démarre, soulevant en gerbes éclatantes les flaques laissées par l’orage. »
N’hésitez pas à acheter ce petit livre, il coûte 6,90 €.

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