Vendredi 21 décembre 2018

« Bientôt Pâques »
Ma grand-mère maternelle, dès que les fêtes de fin d’année étaient terminées

Il est temps d’arrêter de parler des affaires du monde et de la France, puisque le moment des fêtes de fin d’année débute.

C’est un moment de cadeaux, d’échanges, de repas.

Pour Annie et moi, il s’agit aussi du moment de faire les gâteaux de Noël alsaciens.

Et quand je pense gâteau, je pense à ma grand-mère maternelle dont le nom de Naissance était Franziska Kordonowski.

Elle était polonaise et se disait polonaise, bien que le jour de sa naissance le 15/06/1898, la Pologne n’existait pas, ou n’existait plus ou ne réexistait pas encore.

Un matin, alors que je sortais du métro et que je me demandais quel mot du jour je pourrais bien trouver pour clore cette année 2018, avant la trêve de Noël, le regard doux et bienveillant de ma grand-mère m’est apparu.

Et je me suis souvenu qu’elle disait toujours, à peine les fêtes de fin d’année achevées : « et maintenant, bientôt Pâques »

Bien sûr, le lendemain du lundi de Pâques, elle disait de même : « Et maintenant, bientôt Noël ».

Pour cette femme chrétienne et croyante, l’année était rythmée par les fêtes religieuses et on allait de l’une à l’autre, dans un mouvement cyclique.

Jusqu’au moment où arrivé à un certain âge, on commence à se poser la question : est-ce que je vivrais encore la prochaine fête ?

Nous savons que ces fêtes religieuses ont épousé des fêtes païennes plus anciennes qui justement ponctuaient les saisons.

Le mot du jour du 23 décembre 2016 évoquait justement cette origine païenne de la fête de Noël :

L’empereur Aurélien (270-275), au milieu des divinités multiples qu’honorait le peuple romain, a assuré une place particulière à une divinité solaire : <Sol Invictus> (latin pour « Soleil invaincu »). Il proclame « le Soleil invaincu » patron principal de l’Empire romain et fait du 25 décembre, le jour du solstice d’hiver donc, une fête officielle appelée le « jour de naissance du Soleil » (du latin dies natalis solis invicti).

Parce qu’en effet, ce n’est pas un hasard que Noël se situe à quelques jours du solstice d’hiver. Solstice d’hiver qui a lieu précisément aujourd’hui, le 21 décembre 2018.

D’ailleurs depuis de nombreux siècles, cette fête se situe juste après le solstice d’hiver, lorsque le temps de la nuit commence à refluer devant le jour.

Et Pâques, dans sa formulation même évoque la saison. Je l’avais noté dans un mot du jour non consacré à Pâques, mais à la chanson de Craonne qu’il est bon de rappeler en cette fin d’année commémorative des 100 ans du 11 novembre 1918.

En effet, chaque année les chrétiens fêtent la «résurrection du Christ» le premier dimanche qui suit la première pleine Lune après l’équinoxe de Printemps.

Le printemps qui est bien sûr la saison de la renaissance de la nature.

Et donc, « Bientôt pâques » au moment de Noël pourrait aussi se dire « Bientôt le printemps » au moment de l’hiver.

L’expression « Bientôt pâques » d’une vieille dame de plus de 80 ans, peut aussi s’analyser comme la relativité du temps.

Einstein nous a appris que le temps absolu n’existe pas, il n’existe que des temps relatifs.

Ainsi quand on calcule la durée qui sépare l’hiver et le printemps on trouve environ 90 jours.

Dès lors pour un enfant de 6 ans qui a donc vécu 2 192 jours, cette durée de 90 jours représente 4,11% de son temps passé sur terre.

Pour un jeune homme de 20 ans cela représente 1,23%, et pour une dame de 85 ans qui a vécu 31 046 jours, cela représente 0,29% c’est-à-dire un temps relatif 14 fois plus réduit que celui de l’enfant de 6 ans.

Il apparait donc bien normal que pour cette dame de 85 ans, la période qui sépare l’une et l’autre fête apparaisse très courte dans son échelle de temps.

Pour finir ce mot avec un peu d’ivresse…

Chrystelle est une lectrice du mot du jour et quand elle a vu cette bouteille lors d’un repas convivial auquel elle a participé, elle a immédiatement pris une photo et a pensé à me l’envoyer.

Je ne vais pas la garder pour moi, je la partage donc avec tous ceux qui voudront bien lire ce mot du jour.

Le mot du jour ou the word of the day se met donc en congé pendant quelques temps.

Il reviendra en janvier, à une date qui reste à préciser.

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Jeudi 20 décembre 2018

« C’est trop cher ! »
Réflexions personnelles sur une addiction

Je sais comment conclure ce mot du jour, mais comment le commencer ?

Commençons par les impôts. Ils sont trop chers.

Ils grèvent le pouvoir d’achat, empêchent des investisseurs d’investir, les agents économiques dynamiques et nomades de toucher la juste rémunération de leurs mérites.

Les impôts paient le prix de la civilisation et du lien social de l’État providence, mais ils sont trop chers.

Les impôts servent aussi à payer des fonctionnaires, ils sont trop chers, ils sont trop nombreux.

Il y a trop d’enseignants, trop d’infirmières, trop de juges, trop de policiers… Il faut que cela coute moins cher.

Et les cotisations sociales, c’est comme les impôts ! Rare d’ailleurs sont ceux qui utilisent encore ce mot « cotisations sociales », on les appelle « des charges ». Un auditeur de France Inter, parlait de poids qu’on infligeait aux entreprises françaises dans la compétition mondiale, comme si on envoyait nos athlètes courir aux jeux olympiques avec une charge d’une dizaine de kilos sur les épaules. On ne peut pas gagner dans ces cas !

L’alimentation aussi, c’est trop cher. Je ne regarde pas la télévision et je n’écoute pas beaucoup les radios qui vivent grâce à la publicité. J’écoute, le samedi Europe 1 parce qu’il y a l’émission Mediapolis et pendant cette heure je reçois la dose extrême que je puisse supporter pour une semaine. Quasi tous les spots ont pour unique argument d’appel : c’est moins cher, décliné en promo, en offre spéciale etc. Ces publicités mettent en scène des couples qui hystérisent tel prix de 12 œufs ou d’un lot de pâtes, de cuisses de poulets ou encore d’un lot de 4 pneus. Enfin, n’importe quoi pourvu que le prix soit annoncé comme peu cher.

Jamais je n’entends une publicité qui vante la seule qualité du produit, c’est toujours le prix qui est déterminant.

Et les vêtements ? Les « fringues » comme on dit…

Jamais les conditions de fabrication ne sont évoquées…

Ah si ! Une fois lorsqu’une usine du Bengladesh à Dacca s’était effondrée, on l’avait appelé le drame du « Rana Plaza »

J’en avais fait un mot du jour : « Sommes-nous capables de regarder en face (la vie de) ceux qui nous permettent de consommer comme nous le faisons ? »

Les banques aussi sont trop chers… Il faut choisir des banques en ligne qui peuvent faire appel à des collaborateurs délocalisés qui eux aussi coûtent moins cher.

L’hôtel c’est trop cher. Il faut faire appel à des plateformes numériques qui poussent les hôtels à baisser leurs prix. Et voilà une branche d’activités qui ne peut pas vraiment être délocalisée : si vous allez dans un hôtel à Bordeaux, un salarié en Malaisie ne vous sera d’aucune utilité. Il peut être malaisien, mais il faut qu’il soit en France. Donc c’est une branche d’activité qui cherche des salariés pour faire le job et qui n’en trouve pas. C’est normal leurs salaires sont trop faibles. C’est bien sûr en raison de la rapacité des patrons. Oui, sans doute, mais c’est aussi parce il y a une forte pression sur les prix des chambres.

Et alors l’avion ? Mais enfin ! il faut absolument prendre les compagnies low cost. C’est moins cher. Vous savez que les salariés des compagnies low-cost doivent payer, sur leurs propres deniers, leur formation. Quand une compagnie low cost demande à un de ses pilotes qui habite en France de faire un vol Rome Los Angeles, c’est au pilote de payer son voyage à Rome et son hébergement avant le vol.

Le but n’est pas de multiplier à l’envie les exemples qui montrent toujours la même chose : la recherche du moins cher.

Que tous celles et ceux qui s’adonnent à cette quête quotidienne et obsessionnelle, ne soient point étonnés que le patron, le responsable, la société leur disent :

« Vous aussi vous coutez trop cher, vos salaires sont trop élevés. »

Car c’est bien cela la conclusion de toute cette addiction.

C’est cela que la mondialisation nous a offert : des produits et des services moins chers dans un monde ou peu à peu on nous fait comprendre que nous aussi, les classes moyennes des pays développés, sommes payés trop cher.

Il y là, quelque chose comme une «  dissonance cognitive. »

C’est-à-dire que nous ne voulons pas voir que le malheur que certains vivent et que d’autres craignent, à raison, pour leur futur, provient de notre appétence, notre manière de consommer, l’organisation de la production dans le monde.

Un joueur de football comme Lionel Messi pourra réclamer des sommes exorbitantes, tant que des millions de gens beaucoup plus modestes accepteront de payer des droits télés, acheter des produits chers eux car estampillés “Lionel Messi” et accessoirement quelquefois payer pour aller le voir jouer dans un stade.

Quelques autres emplois de niches ou particulièrement qualifiés et recherchés ou encore des investisseurs disposant d’une puissance financière suffisante pourront continuer à espérer une augmentation forte de leurs revenus.

Pour un salarié ou un entrepreneur de la classe moyenne normale ce sera beaucoup plus compliqué d’avoir des exigences de revenus. L’automatisation et la robotisation vont encore accentuer ce phénomène.

Des économistes savants vous expliqueraient que le fameux « pouvoir d’achat » dont parlent les « gilets jaunes » dépend de ce qu’on gagne mais aussi du prix de ce qu’on souhaite acheter. Et aussi un peu des taxes et prélèvements qui permettent une vie sociale plus harmonieuse et solidaire.

Récemment, Villeroy de Galhau, le directeur de la Banque de France était l’invité des matins de France Culture et expliquait doctement que le protectionnisme, le frein au libre-échange, bref l’arrêt de la mondialisation se paierait immédiatement par une diminution du pouvoir d’achat qui pénaliserait en premier les populations les plus modestes.

Et, il a raison.

Il y a un monde entre :

  • Le Fordisme où le patron disait : il faut que je paye à mes employés un salaire d’un niveau qui leur permette d’acheter les voitures (ou les produits) qu’ils fabriquent et que je vends ;
  • Et la situation actuelle, où l’essentiel est de maîtriser les salaires et les charges en local. Le pouvoir d’achat des salariés étant assurés par tous les produits qu’ils peuvent acheter moins cher parce qu’ils sont fabriqués ailleurs, dans des pays où les salariés sont moins payés et où le coût de la protection sociale n’obère pas les prix.

Un jour, j’étais encore au PS et nous manifestions à Lyon, je crois que c’était contre le contrat premier embauche que voulait mettre en place Dominique de Villepin. C’était pour payer moins les salariés français qui entraient sur le marché du travail, puisque le problème est qu’ils coutent trop chers. Et je me souviens d’un jeune couple qui manifestait avec 4 chaises, chacun en portant deux. Je trouvais ces accessoires baroques et je les interrogeais : « Mais pourquoi avez-vous ces chaises ? ». Et le jeune homme de me répondre avec un grand sourire :

« Avant de venir à la manifestation, nous avons vu un magasin qui vendait ces chaises à 5 euros, alors comme ce n’était vraiment pas cher, nous les avons achetés »

Comment peut-on vendre des chaises à 5 euros ? Qu’est-ce qu’il faut qui se passe en amont pour que, arrivés dans le magasin, le prix soit de 5 euros ?

Et puis, on va manifester pour que le salaire, en France, reste à un niveau acceptable ?

C’est cela la dissonance cognitive.

Bossuet écrivait : « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes. »

Dans cette excellente émission « L’esprit Public » de ce dimanche, Daniel Cohen a cité Hannah Arendt (à 11:40) :

« Il faut accepter qu’on ait une société complexe. Or cette complexité n’est plus intelligible. Dans les sociétés traditionnelles que le monde industriel a portées, il y a des classes sociales, des ouvriers avec des syndicats, des ingénieurs avec leurs clubs d’ingénieurs. Tout ceci est assez visible et chacun sait qu’il a des ressources politiques, sociales, syndicales qui permettent d’exprimer une attente. Nous vivons dans un monde où tout cela est pulvérisé. [dans les années 30] Hannah Arendt disait dans son analyse de la montée du totalitarisme : on est passé d’une société de classe, où chacun comprend son intérêt et est capable de l’opposer à celui des autres, à une société de masse. Une société de masse ce sont des individus isolés qui n’ont plus la conscience collective de leurs souffrances individuelles. Ce mouvement a, autour des ronds-points, donné d’une certaine manière une dimension collective à la souffrance individuelle »

Une société de masse formée d’individus et pour être encore plus précis de consommateurs, n’a que faire des prélèvements publics, chacun préférera trouver sa propre assurance parfaitement adaptée à son profil et à ses revenus et pour le reste l’individu aimera trouver des biens et services au prix le moins cher.

Zygmunt Bauman appelle cette société d’individus et de consommateurs : « une société liquide » par opposition aux sociétés traditionnelles qui étaient des « sociétés solides »

Je ne dis pas qu’il existe une solution dans le système économique dans lequel nous vivons aujourd’hui.

Mais c’est une grande tromperie de le faire croire.

On pourra certainement avoir une société plus égalitaire mais elle sera indiscutablement plus pauvre en pouvoir d’achat.

Elle ne sera pas forcément moins désirable, mais cela induit de grands changements de comportement.

Et probablement que d’individus nous soyons à nouveau capable de faire société, peut-être plus totalement solide mais certainement un peu moins liquide.

Mais est-ce que le plus grand nombre le désire ?

Et est-il possible de faire cela dans un seul pays ?

J’ai peur que dans ce cas le reste du monde ressemble à Astérix et Obélix dans cet extrait « d’Astérix légionnaire » et que la France se trouve dans le rôle du centurion qui veut faire la pause..


Je ne dis pas que nous sommes entièrement responsables de ce qui arrive, mais nous y participons grandement quand nous oublions notre humanité, notre sociabilité, notre citoyenneté pour nous immerger dans notre seule condition de consommateur qui veut être servi tout de suite, à n’importe quelle heure, beaucoup et pour pas cher.

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Mercredi 19 décembre 2018

« La classe moyenne allemande est fracturée. Sa partie centrale subit un vrai mouvement de mobilité descendante. »
Oliver Nachtwey, un sociologue allemand cité par Brice Couturier

Le mouvement social actuel ne concerne pas la partie la plus pauvre de notre population, mais plutôt la classe moyenne inférieure, qui peut être au chômage, mais qui le plus souvent possède un emploi mais ne parvient pas à vivre convenablement de son salaire.

Souvent nous nous comparons à nos amis allemands.

Il y a un point qui fait consensus : l’économie allemande est plus forte que celle de la France, dégage une plus grande productivité et crée des surplus commerciaux avec le reste du monde, alors que la France fait l’inverse.

Il y a un autre point qui fait consensus : le taux de chômage est nettement plus faible en Allemagne qu’en France.

Et puis, il y a un sujet qui crée de grandes dissensions entre les analystes.

  • Les premiers, plutôt de gauche qui prétendent que certes il y a moins de chômage en Allemagne, mais il y a plus de pauvreté qu’en France.
  • Les seconds, plutôt de droite, considèrent cette analyse fallacieuse et affirment qu’il n’y a pas plus de pauvreté en Allemagne.

Le média d’opinion participatif « Agora Vox » est plutôt dans le premier camp surtout dans <cet article> datant de 2015:

« Selon une étude publiée par la fédération d’aide sociale Paritätischer Wohlfahrtsverband, la pauvreté en Allemagne est actuellement à son niveau le plus élevé depuis la réunification, en 1990. A noter que le Paritätischer Wohlfahrtsverband (PW) est une fédération qui regroupe environ 10.000 associations actives dans le domaine de l’aide sociale et de la santé.

Le taux de pauvreté est passé de 15% en 2012 à 15,5% en 2013, un pourcentage qui correspond à 12,5 millions de personnes.[…]

Le directeur général ce cette fédération, Ulrich Schneider, a déclaré : « Depuis 2006, on observe clairement une dangereuse tendance d’augmentation à la pauvreté (…) La pauvreté en Allemagne n’a jamais été aussi élevée et la fragmentation régionale n’a jamais été aussi sévère qu’aujourd’hui », ajoutant que l’Allemagne « a clairement un problème croissant de distribution de la richesse ».[…]

Une autre donnée, toute aussi inquiétante, c’est la forte hausse du nombre de salariés qui se situent sous le seuil de pauvreté. Ce sont aujourd’hui 3 millions de salariés allemands qui se retrouvent dans cette situation, soit une augmentation de 25% en 7 ans (2,5 millions à l’époque). […]

On peut légitimement se poser des questions sur un modèle de société qui n’est pas capable de subvenir aux besoins de sa population, et bien plus grave encore, de ceux qui ont un emploi. »

Le journal « Libération » est plus ambigüe, tout en reconnaissant une augmentation de la pauvreté. Dans un article plus récent, publié le 26 mars 2018, le journal donne la parole à Bruno Amable, professeur à l’université de Genève : <Allemagne : moins de chômeurs, plus de pauvres> :

« Cette situation favorable de l’emploi s’accompagne aussi d’une hausse des inégalités. Celles-ci concernent en premier lieu le niveau des salaires. En moyenne, ils ont recommencé à augmenter en termes réels mais ces augmentations ne concernent pas l’ensemble de la distribution des revenus. Entre 1995 et 2015, alors que les 20 % de salariés les moins bien payés connaissaient une baisse de salaire réel de 7 %, les 30 % de salariés les mieux payés bénéficiaient d’une hausse allant de 8 % à 10 %.

Autre phénomène connu, la baisse du chômage s’est accompagnée d’une hausse de l’emploi atypique (temps partiel, CDD). Celui-ci ne représentait que 13 % de l’ensemble des emplois en 1991. En 2015, c’était plus d’un emploi sur cinq (21 %) qui était atypique. Cela ne signifie pas nécessairement que tous ceux ou celles qui occupent ces emplois vivent dans la précarité, mais d’autres indicateurs témoignent d’une dégradation de la situation des personnes employées. On définit de façon conventionnelle l’emploi mal payé comme celui qui correspond à un salaire inférieur à deux tiers du salaire médian. Les emplois mal payés représentaient à peu près 16 % de l’emploi au milieu des années 90 ; ce chiffre était monté à 22 % ou 23 % dans les années 2010. »

L’article de Libération développe aussi une analyse comparative entre la France et l’Allemagne mais en prenant en compte la structure familiale (célibataire, famille bi-active, ou famille mono-active). Dans cette analyse, les résultats sont différents selon les cas.

On en conclut cependant que s’il n’est pas totalement concluant que la pauvreté soit plus forte en Allemagne, il faut reconnaître selon ces éléments que le surplus de richesse et de force économique ne lui sert pas à diminuer vraiment la pauvreté par rapport à son voisin plus fragile économiquement.

Si « les Echos » (07/03/2017) contestent l’affirmation de Benoit Hamon de la plus grande pauvreté allemande, ils concluent cependant :

« Certes, en ce qui concerne les actifs, ces derniers sont plus nombreux à vivre sous le seuil de pauvreté en Allemagne. Près de 10 % de la population active qui occupe effectivement un emploi sont pauvres chez nos voisins germaniques alors qu’ils ne sont que 7,5 % en France. Cela s’explique largement par l’existence de mini-jobs, dotés de mini-salaires, dans de nombreux secteurs d’activité en Allemagne, et notamment les services à la personne. Et la pauvreté a tendance à augmenter plus vite en Allemagne qu’en France. »

Donc l’Allemagne est un géant économique mais dans la lutte contre la pauvreté, elle ne s’en sort pas mieux que la France.

Olivier Passet de Xerfi (institut d’études économique privé) (16/05/2018) rappelle l’objectif du père de la réforme allemande Peter Hartz :

« On se souvient de la formule de Peter Hartz, l’artisan de la réforme du marché du travail allemand: « Il vaut mieux un peu de travail que pas de travail du tout ». 15 ans après ses réformes, le taux d’emploi allemand a augmenté de 10 points, tandis que celui de la France a fait du sur-place. Avec l’impact que l’on connaît sur le taux de chômage, qui aujourd’hui est à son plus bas depuis la réunification.

Le revers de la médaille de cette politique, on le connaît aussi. C’est la montée de la pauvreté, et notamment de la pauvreté au travail, liée à la montée des mini-jobs. […] »

Et s’il signale l’avantage de la France concernant la lutte contre la pauvreté, il nuance ce jugement en raison d’une structure familiale par rapport au travail très différente en Allemagne, cet aspect est aussi développé dans l’article de Libération  :

« Les écarts demeurent mais sont bien moins spectaculaires, lorsque l’on opère ces calculs sur la base du revenu disponible, après impôts et transferts sociaux donc et en incluant tous les types de revenus. C’est ce que l’on appelle le taux de risque de pauvreté au travail, indicateur largement commenté lui-aussi. La part des personnes en emploi touchant moins de 60% du revenu disponible médian ressort à 7,9% en France contre 9,5% en Allemagne. L’avantage reste à la France, mais l’Allemagne n’est plus en position polaire. […]

Plus récemment un troisième indicateur, produit par l’OCDE, a défrayé la chronique. Il concerne lui aussi la proportion de travailleurs pauvres. Il en ressort que le taux serait de 7,1% en France, tandis qu’il ne serait que de 3,7% en Allemagne. Il a bousculé le discours selon lequel l’Allemagne payerait son faible taux de chômage par une importante précarisation. Mais nuance, l’indicateur parle de pauvreté au niveau du ménage, après redistribution, une fois que l’on intègre l’ensemble des revenus perçus au niveau d’un foyer dans lequel au moins une personne travaille. Cela montre que si la proportion de personnes travaillant à bas salaire est incontestablement plus forte en Allemagne, le risque est mutualisé au niveau du foyer. 1/Il existe une répartition des rôles au niveau du foyer, entre celui qui produit le revenu principal, est celui (le plus souvent celle), qui fournit le revenu d’appoint, souvent à temps partiel). 2/ Il existe des transferts sociaux correcteurs, notamment pour les familles monoparentales, comme au Royaume-Uni notamment 3/ Le taux d’emploi, beaucoup plus élevé, permet de limiter le risque de pauvreté au niveau du foyer.

Point décisif remporté par Peter Hartz apparemment donc, puisque la diffusion des petits jobs réduirait bien le risque de pauvreté au niveau des ménages. Oui à cela près qu’il faut accepter une répartition très sexuée des rôles, de fortes dualités. Et qu’en définitive, cette politique a aussi des effets collatéraux sur les retraités. Beaucoup de petits jobs, c’est beaucoup de petites retraites en perspective et une montée de la pauvreté dans la population toute entière. C’est encore ce que racontent les statistiques sur l’incidence de la pauvreté au niveau de la population totale jusqu’à dernière nouvelle du moins. »

Si vous voulez un article qui réfute le fait qu’il y ait plus de pauvres en Allemagne il faut aller vers « l’Obs » : <Inégalités, pauvreté : non, l’Allemagne n’est pas un désastre social…>

Mais ce qui m’a parait intéressant et instructif, c’est une chronique de Brice Couturier qui est un macroniste revendiqué et qui dans chacune de ses interventions les années précédentes citait l’Allemagne de Merkel en exemple. Dans sa chronique du 14 décembre 2018, il a sensiblement évolué : <Merkel désigne son héritière mais laisse une Allemagne en mauvais état> :

« Un sociologue allemand, Oliver Nachtwey, dresse un sombre tableau de l’Allemagne d’aujourd’hui. « La stabilité et même la monotonie associée à la vie politique allemande sous Merkel apparaît devoir se terminer », dit-il. Et son départ imminent traduit une crise du système politique allemand qui menace l’Europe tout entière.

Mais la crise politique allemande, poursuit-il, traduit une crise sociale beaucoup plus profonde. Malgré l’atout que constitue une monnaie dévaluée de fait par rapport à ses excédents commerciaux, la puissance de son industrie manufacturière, la croissance allemande ne cesse de faiblir depuis une décennie.

Et le fameux modèle social allemand subit une érosion. Ulrich Beck l’avait nommé « l’effet ascenseur ». Des inégalités de revenus assez importantes étaient acceptées par la population parce que tout le monde avait le sentiment justifié d’être dans un ascenseur – même si certains montaient plus haut que d’autres.

C’est fini.

Les salaires du bas de l’échelle stagnent et ont même tendance à baisser. Le nombre de jobs procurant la stabilité et des salaires conséquents, qui étaient la norme il y a trente ans, se réduit progressivement. Les boulots précaires explosent. Ils concernent à présent près d’un tiers des travailleurs.

La classe moyenne allemande est fracturée. Sa partie centrale subit un vrai mouvement de mobilité descendante. Pour eux, l’ascenseur dégringole. »

En conclusion, et même si on reste prudent de savoir qui lutte le mieux contre la pauvreté de l’Allemagne et la France, on s’aperçoit qu’il y a bien un problème plus général dans nos pays occidentaux, qu’on soit un géant économique ou un compétiteur un peu faiblard :

  • La problématique qu’il n’y a plus de travail pour tout le monde, la France ajuste cela par le chômage, l’Allemagne par un travail partiel accru par rapport à la France, surtout réservé aux femmes.
  • L’autre problématique est que le travail des classes moyennes n’est plus suffisamment rémunéré.

Les Etats-Unis vivent exactement la même chose : les salaires des classes moyennes stagnent depuis de très nombreuses années.

La mondialisation a bien des attraits et notamment pour notre pouvoir d’achat puisqu’il est possible d’acheter des biens à des prix bas, mais la pression sur les salaires dans nos pays est terrible.

je ne crois pas un seul instant que Macron, ni d’ailleurs un autre homme politique sera capable de résoudre cette tension interne à la mondialisation actuelle.

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Mardi 18 décembre 2018

« Pris à part, chacun des éléments paraît logique, voire acceptable, mais placés bout à bout, ils finissent par former une infernale machine à broyer. »
Florence Aubenas

Florence Aubenas est allé s’immerger, pendant une semaine, au sein de groupes de gilets jaunes dans la région de Marmande dans le Lot et Garonne et en a tiré un reportage publié dans le journal Le Monde le 15 décembre 2018.

Son reportage est accompagné de photos en noir et blanc réalisés par Edouard Elias.

Florence Aubenas n’est pas une conceptuelle, elle n’est pas giletjaunologue, elle va simplement voir sur place, reste suffisamment longuement pour laisser s’exprimer celles et ceux qu’elle rencontre puis essaye de décrire le plus précisément possible ce qu’elle a vu et compris.

Elle avait publié un premier travail de reportage en France, en 2011, <Le quai de Ouistreham>, livre qu’elle a écrit après avoir, pendant six mois, essayé de « vivre la vie » des plus démunis, ceux et surtout celles qui tentent de s’en sortir en enchaînant des travaux précaires (femme de ménage par exemple) et du temps partiel. Elle a mené cette enquête à Caen. C’est un des emplois qu’elle a occupé : nettoyer un quai qui a donné le titre du livre.

Puis elle avait parcouru la France, les villages et les gens de France, ailleurs que dans les riches métropoles , là où il devient de plus en plus difficile ou compliqué de vivre et l’avait rapporté dans un livre « en France » publié en 2013 et auquel j’avais consacré une série de 5 mots du jour que vous retrouverez sur cette page : « “En France ” – Chroniques dans les villes et villages de France »

Frédéric Pommier a parlé du reportage de Florence Aubenas sur les gilets jaunes lors de <La revue de Presse du week end> du dimanche 16 décembre 2018 :

« Les mouvements de contestation peuvent créer du lien social.

C’est ce qu’on découvre dans le formidable reportage que signe Florence Aubenas dans LE MONDE… « La révolte des ronds-points »… Un journal de bord qu’elle a tenu une semaine durant, s’installant sur les giratoires occupés près de Marmande par des dizaines de Gilets jaunes… Le photographe Edouard Elias était à ses côtés… Il faut lire et il faut dans le même temps regarder pour comprendre cette France qui, depuis plus d’un mois, se retrouve pour mener le combat contre les taxes et pour davantage de justice sociale… »

Et Florence Aubenas était l’invité de Léa Salamé lundi 17 décembre 2018 pour parler de son reportage : <L’invité de 7h50>

Léa Salamé a d’abord posé la question de ce qui l’avait le plus surpris :

« [On a vu sur ces ronds-points] des gens qu’on ne voyait jamais, ce n’était pas des gens qui avaient l’habitude de prendre la parole, ce n’était pas la grande gueule du coin. Pourquoi ces gens ne sortaient pas et sortent aujourd’hui et c’est cela qui serre le cœur. Ils ne sortaient plus de chez eux. […]

au début] Certains ne parlaient pas, ne se présentaient pas, écrivaient juste leur nom sur leurs gilets»

Et puis peu à peu, ils ont commencé à parler. A parler d’argent, de leurs difficultés financières. Sujet tabou qu’ils n’osaient jamais aborder, même avec leurs amis, mais là sur les ronds-points ils et surtout elles ont parlé et ont constaté qu’elles n’étaient pas seules que d’autres vivaient les mêmes choses.

Bien sûr, elle reconnait avoir entendu des propos racistes, et des propos extrêmes, mais elle ajouté tout de suite qu’elle en entend aussi dans les milieux de journalistes à Paris, même si les propos ont plus policés. Et elle a aussi entendu sur ces ronds-points des gens qui disaient « je ne suis pas d’accord » devant ces propos extrémistes.

Surtout le racisme était selon elle marginal et non au cœur des discussions.

Vous trouverez ce long reportage sur le site du Monde : <Sur les ronds-points les gilets jaunes à la croisée des chemins>

Il faut bien sûr être abonné pour pouvoir accéder à l’intégralité de l’article et des photos.

Florence Aubenas raconte par exemple l’expérience de Coralie qui est une gilet jaune rencontrée sur un rond-point :

Coralie arrive la première. A son mari, apiculteur, certains sont allés dire : « On a vu ta femme sur le rond-point avec des voyous et des cas soc’. » « Moi aussi, je suis un cas social », constate Coralie, 25 ans. Elle a mis un temps à digérer le mot, mais « objectivement », dit-elle, c’est bien celui qui pourrait la définir.

Elle vient de déposer à l’école ses deux fils d’un premier mariage. Garde le souvenir amer d’un élevage de chevaux catastrophique. Aimerait devenir assistante maternelle. Il fait très froid, il faudrait rallumer le feu éteint dans le bidon. « Qu’est-ce que je fais là ? », se demande Coralie.

Et puis, un grand gars arrive, qui voudrait peindre un slogan sur une pancarte. « Je peux écrire “Pendaison Macron” ? », il demande.

« Vas-y, fais-toi plaisir », dit Coralie. Personnellement, elle ne voit aucune urgence à pendre Macron. Et alors ? On affiche ce qu’on veut. Le gilet jaune lui-même sert à ça, transformer chacun en homme-sandwich de son propre message, tracé au feutre dans le dos : « Stop au racket des citoyens par les politiques » ; « Rital » ; « Macron, tu te fous de ton peuple » ; « Non au radar, aux 80 km/h, au contrôle technique, aux taxes, c’est trop » ; « 18 ans et sexy » ; « Le ras-le-bol, c’est maintenant » ; « Marre d’avoir froid » ; « Fatigué de survivre » ; « Staff du rond-point » ; « Frexit » ; « Le peuple en a assez, Macron au bucher. »

Depuis des mois, son mari disait à Coralie : « Sors de la maison, va voir des copines, fais les magasins. » Ça a été les « gilets jaunes », au rond-point de la Satar, la plus petite des trois cahutes autour de Marmande, plantée entre un bout de campagne, une bretelle d’autoroute et une grosse plate-forme de chargement, où des camions se relaient jour et nuit.

L’activité des « gilets » consiste ici à monter des barrages filtrants. Voilà les autres, ils arrivent, Christelle, qui a des enfants du même âge que ceux de Coralie, Laurent, un maréchal-ferrant, André, un retraité attifé comme un prince, 300 chemises et trois Mercedes, Sylvie, l’éleveuse de poulets. Et tout revient d’un coup, la chaleur de la cahute, la compagnie des humains, les « Bonjour » qui claquent fort. Est-ce que les « gilets jaunes » vont réussir à changer la vie ? Une infirmière songeuse : « En tout cas, ils ont changé ma vie. »

Le soir, en rentrant, Coralie n’a plus envie de parler que de ça. Son mari trouve qu’elle l’aime moins. Il le lui a dit.

Un soir, ils ont invité à dîner les fidèles du rond-point. Ils n’avaient jamais reçu personne à la maison, sauf la famille bien sûr. « Tu l’as, ton nouveau départ. Tu es forte », a glissé le mari.

Coralie distribue des tracts aux conducteurs. « Vous n’obtiendrez rien, mademoiselle, vous feriez mieux de rentrer chez vous », suggère un homme dans une berline.

« Je n’attends rien de spécial. Ici, on fait les choses pour soi : j’ai déjà gagné. »

Elle raconte aussi à Marmande la relation ambigüe entre le patron d’un Centre Leclerc d’abord soutenant les gilets jaunes puis estimant que la contestation avait assez duré essaye de casser le mouvement.

Ou encore cette réflexion :

« Dorothée, 42 ans, monteuse-câbleuse, 1 100 euros net, est l’une des deux porte-parole des « gilets » de Marmande. « Ça faisait des années que je bouillais devant ma télé, à me dire : “Personne ne pense comme moi, ou quoi ?” Quand j’ai entendu parler des « gilets jaunes », j’ai dit à mon mari : « C’est pour moi.” » »

Je retiens surtout ce besoin d’échanges, de dialogues qui n’existaient plus :

« Et puis, que s’est-il passé ? Comment tout le monde s’est soudain retrouvé à déballer devant de parfaits inconnus – « Des gens à qui on aurait marché dessus chez Leclerc à peine deux semaines plus tôt, sans les saluer » – les choses les plus profondes de sa vie ? Des choses si intimes qu’on les cachait soigneusement jusque-là, « sauf parfois entre amis, mais c’était gênant ». La cahute est devenue le lieu où « les masques tombent ». Plus de honte. « Ça fait dix ans que je vis sans sortir, à parler à ma chienne. Aujourd’hui, les digues lâchent », dit une infirmière. »

Et Florence Aubenas conclut :

« Chacun a son histoire, toujours très compliquée, mais toutes se ressemblent au fond, un enchevêtrement de problèmes administratifs, de santé, de conditions de travail. Pris à part, chacun des éléments paraît logique, voire acceptable, mais placés bout à bout, ils finissent par former une infernale machine à broyer. »

Elle raconte aussi la méfiance et peut être même la haine des politiques :

« La politique est prohibée : un militant communiste a bien essayé de tracter, puis un petit couple – lui en costume, elle en blouson de cuir –, se disant France insoumise. Tous ont été chassés. Le seul discours commun évoque les « privilégiés de la République », députés, énarques, ministres, sans distinction, à qui « on ne demande jamais de sacrifices ». En fait, c’est à eux qu’on en veut, bien davantage qu’aux multinationales ou aux patrons. »

Un reportage à lire.

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Lundi 17 décembre 2018

« Strasbourg »
Une ville chère à mon cœur et à celui d’Annie, une ville aujourd’hui meurtrie

Strasbourg est une de ces villes qui a une âme. Je l’ai rencontrée au sortir du bac pour commencer mes études supérieures dans cette grande ville de l’est de la France.

Mes études dans les classes préparatoires aux grandes écoles au Lycée Kléber, se sont mal passées et ont fini par un échec.

Mais j’ai toujours continué à aimer cette ville.

Annie est venue aussi faire des études à Strasbourg, un an avant et elles se sont terminées, après mon départ, par un succès.

Chaque fois que nous y retournons, nous sommes heureux, émus et émerveillés par la beauté de cette ville.

Les Romains sont arrivés en Alsace en 58 av. J.-C. C’est sous la direction de Jules César que les romains sont intervenus en Gaule, à partir de cette date en 58 avant JC.

Cette intervention qui sera couronnée par la bataille décisive de la guerre des Gaules en 52 av. JC, le siège d’Alésia qui voit la défaite d’une coalition de peuples gaulois menée par Vercingétorix face à l’armée romaine de Jules César..

Finalement Wikipédia, nous apprend que le frère de Tibère, deuxième empereur romain après Auguste le fils adoptif de César, Nero Claudius Drusus fait construire sur le site de Strasbourg en 12 avant JC sur l’emplacement d’une forteresse gauloise, une ville qui s’appellera Argentoratum.

En l’appelant ainsi les romains n’ont fait que latiniser le nom celte de la forteresse gauloise Argentorate.

Rappelons que Strasbourg se trouve sur la rive gauche du Rhin, fleuve qui a souvent joué le rôle de frontière.

Lors de l’expansion de l’empire romain qui s’est étendu à la Germanie au IIe et IIIe siècles, Argentoratum va servir de base de repli pour les troupes romaines installées en Germanie. Mais en 260, les légions quittent définitivement la Germanie et Strasbourg redevient une ville frontière.

Et en 355, la ville est saccagée par des germains qui ont pour nom les « Alamans ».

Et il faut savoir que le nom français donné au pays voisin : « Allemagne » vient du latin « Alemannia » qui signifie le pays des Alamans.

Mais la réalité de nos voisins est complexe puisqu’en allemand ce pays est appelé Deutschland, en anglais Germany et en polonais Niemcy.

Une autre tribu germaine, « les Teutons » est aussi utilisée, en particulier en italien où « tedesco » signifie « allemand ».

Strasbourg va avoir un destin compliqué entre l’Allemagne et la France.

Mais avant cette dispute, ce sont les Huns d’Attila qui vont complétement détruire la ville en 451.

C’est un autre peuple germain « Les francs », qui je le rappelle sont autant nos ancêtres que les gaulois, qui au début du VIe siècle vont reconstruire la ville, sous le nom de Stratae burgus (le bourg de la route). Et Stratae burgus va devenir Strasbourg.

Le christianisme va bien sûr jouer un rôle considérable dans le développement de la ville. Comme pour Lyon, la ville sera essentiellement gouverné par la puissance épiscopale. Wikipedia nous apprend que sous l’impulsion de l’évêque Arbogast de Strasbourg, une première cathédrale et un couvent sont édifiés dès le VIème siècle.

Par la suite vous savez que Charlemagne va tenter de recréer un empire chrétien. Il sera couronné empereur par le Pape en l’an 800. Charlemagne qui est un empereur français comme nous l’apprennent les livres d’Histoire de France. Mais les livres d’Histoire

allemande le désignent comme un empereur germanique donc allemand. Pour départager les deux, il faut se rappeler que la capitale de Charlemagne est Aachen, ville allemande, même si les livres d’Histoire français continuent à la désigner sous le nom d’Aix la Chapelle.

Ceci est très important pour Strasbourg puisque après que le fils de Charlemagne Louis le Pieux lui ait succédé sur le trône de l’Empire, les trois petits fils vont se partager l’empire.

Et c’est alors qu’eut lieu le « Serment de Strasbourg » le jour de la Saint Valentin, le 14 février 842. L’aîné des 3 frères Lothaire avait l’ambition de jouer un rôle primordial dans la succession de son père. Mais les deux autres frères n’étaient pas d’accord et c’est par le serment de Strasbourg qu’une alliance militaire est signée entre Charles le Chauve et Louis le Germanique, contre leur frère aîné, Lothaire Ier.

Ce serment est fondamental à plusieurs titres.

Le premier c’est que la Lotharingie qui occupait une place centrale va être absorbée par les ces deux voisins à l’ouest va émerger la France et à l’est les pays allemands.

Le second c’est que Louis le Germanique prononce son serment en langue romane pour être compris des soldats de Charles le Chauve, et Charles le Chauve récite le sien en langue tudesque pour qu’il soit entendu des soldats de Louis.

Le texte en roman des Serments a une portée philologique et symbolique essentielle, puisqu’il constitue, pour ainsi dire, « l’acte de naissance de la langue française ».

Jusqu’alors ce type de texte était rédigé en latin.

Mais il est important de savoir qu’en 1493, Strasbourg est proclamée ville libre impériale par Charles IV. Ce qui en fait indiscutablement une ville allemande.

Strasbourg qui sera d’ailleurs un centre important de la réforme initiée par Martin Luther.

Mais comme je l’avais écrit lors des mots du jour sur Luther, avant la réforme il fallut inventer l’imprimerie, pour imprimer des livres et d’abord la bible en langue comprise par tous.

Cette invention est le fait Johannes Gutenberg qui est né à Mayence mais qui s’est installé à Strasbourg en 1434 et Strasbourg va devenir un des plus grands centre d’imprimerie d’Europe.

Cependant Wikipedia précise que :

« Gutenberg est retourné à Mayence entre 1444 et 1448 ce qui fait qu’on ignore exactement où a été finalisée cette invention majeure. Toujours est-il que Strasbourg devient très vite un des grands centres de l’imprimerie, puisque dès la fin du XVe siècle la ville compte une dizaine d’ateliers d’imprimerie, notamment la prestigieuse officine des Grüninger. De fait, Strasbourg va attirer nombre d’intellectuels et d’artistes. Sculpteurs, architectes, orfèvres, peintres, horlogers, la ville excelle dans de nombreux domaines. Strasbourg était une ville très influente d’où son statut très spécial et unique de « ville libre » elle produisait sa propre monnaie avec un commerce développé et grâce à sa situation géographique pouvait exporter et importer des produits. »

Une des principales places de Strasbourg a d’ailleurs été nommée du nom de l’inventeur de l’imprimerie.

Dans la suite Strasbourg va devenir un centre de la réforme puisque dès 1519, les thèses de Martin Luther seront affichées aux portes de la cathédrale et les dirigeants de la ville, notamment Jacques Sturm, sont favorables à ce changement. La ville adopte la Réforme en 1525 et devient protestante en 1532 avec l’adhésion à la confession d’Augsbourg.

Mais il va s’en suivre une période de grands conflits religieux qui va notamment donner lieu à la terrible guerre de trente ans. Guerre qui va s’achever par les paix de Westphalie signés le 24 octobre 1648

Ces traités vont conduire qu’une partie de l’Alsace sera rattachée à la France, mais Strasbourg demeure ville libre impériale.

La ville est sortie épargnée par la guerre mais est affaiblie, et l’empire germanique vaincu ne peut lui apporter d’aide.

Et c’est ainsi que le 28 septembre 1681, la ville est assiégée par une armée commandée par Louis XIV. La ville se rend deux jours plus tard et sera rattachée au royaume de France avec l’Alsace tout entière.

Strasbourg redevient ville frontière et abrite environ 6 000 soldats français, basés pour la plupart à la citadelle de Vauban dont les travaux ont débuté dès 1682 et dont on voit toujours les traces dans la ville actuelle.

En 1704, un prince de la famille Rohan devient évêque de la ville. La famille conservera le pouvoir épiscopal jusqu’en 1790 et fera construire le fameux palais des Rohan situé tout près de la cathédrale, sur les rives de l’Ill.

Durant toute cette période, même si le catholicisme va se développer, la ville reste majoritairement protestante.

Une autre institution fondamentale de Strasbourg sera son Université. Strasbourg aura été et reste un immense centre universitaire international.

Et un des plus célèbres étudiants de cette université sera Goethe.

Après la guerre 14-18 et le retour de Strasbourg en France, l’Université de Strasbourg fera l’objet de toutes les attentions du gouvernement français qui y enverra ses plus grands professeurs. Il faut savoir que c’est à Strasbourg en 1929 que fut créée la prestigieuse revue historique « les Annales » par ses deux fondateurs Marc Bloch et Lucien Febvre, tous deux professeurs à l’Université de Strasbourg. Revue qui donnera naissance au courant appelé l’école des Annales.

L’Histoire plus récente de Strasbourg est connue comme son rôle de ville du Parlement de l’Union européenne et du siège du Conseil de l’Europe.

Mais il faut rappeler que lors de la période révolutionnaire, la population strasbourgeoise se soulève. Le 21 juillet 1789, l’hôtel de ville est saccagé. Et c’est le 26 avril 1792 que Rouget de l’Isle compose à la demande du maire de Strasbourg, un chant pour l’armée du Rhin sans se douter qu’il deviendra un symbole de la Révolution française en devenant La Marseillaise.
La Marseillaise fut créée à Strasbourg.

Après avoir accueilli le serment de Strasbourg qui est historiquement le premier document officiel en langue française, avoir été le lieu de la création de l’hymne national montre combien la ville de Strasbourg est importante pour la France, elle qui fut si longuement disputée par les deux entités issues de la dislocation de l’empire de Charlemagne.

Beaucoup des précisions historiques de ce mot du jour sont issues de Wikipedia.

Les photos qui agrémentent ce mot du jour ont toutes été réalisées par mes soins lors de notre visite à Strasbourg en avril 2018.


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Vendredi 14 décembre 2018

« Etant jeunes, ils ignorent ce qu’ils ignorent »
Gaspard Gantzer à propos de l’entourage proche d’Emmanuel Macron et peut être de Macron lui-même


Dans le très bel entretien que Jean-Louis Trintignant a accordé à Léa Salamé, sur France Inter le 13 décembre 2018, il a un peu parlé des évènements actuels de la France :

« Entre les gens qui nous gouvernent et les gens qui souffrent, il y a un fossé. . Macron je pense que c’est un homme honnête mais il n’a jamais eu faim. Il n’est pas assez proche du peuple »

Au-delà du fait d’avoir faim, il est probable que la distance, la différence de vécu est si grande entre celles et ceux qui gouvernent et une grande part de celles et ceux qui sont gouvernés qu’il est difficile pour les premiers de comprendre les seconds.

L’émission du Grain à Moudre du 11 décembre 2018 posait cette question : « Colère Jaune : Les circuits de l’information de l’État sont-ils grillés ? »

Hervé Gardette, le producteur de l’émission avait invité 3 personnes :

  • Jacques Barthélémy, Ancien préfet ;
  • Aurore Gorius, Journaliste d’investigation pour Les Jours ;
  • Et Gaspard Gantzer, ancien conseiller de François Hollande et avant conseiller de Bertrand Delanoë.

L’ancien préfet Jacques Barthélémy racontait combien il était difficile d’être entendu et compris par la technocratie gouvernementale quand on tentait de leur expliquer ce qui pouvait remonter du terrain, chez les gens des provinces et de la France profonde. Et l’émission renvoie vers un article du Monde qui donne justement la parole à des préfets qui, bien sur, restent anonymes.

«Face à la crise du mouvement des « gilets jaunes », les préfets sonnent l’alerte politique »

«Qu’ils soient le bras armé de l’Etat dans un territoire ou chargés d’une mission d’intérêt général spécifique, les préfets manifestent rarement leurs états d’âme. Aujourd’hui, plusieurs d’entre eux, devant la crise engendrée par le mouvement des « gilets jaunes », font part, sous le sceau de l’anonymat, d’une certaine appréhension. Appréhension d’autant plus vive que les autorités centrales leur donnent parfois l’impression de ne pas avoir pris la mesure du problème et de les laisser sans consigne précise.

« Ce qui se passe est le fruit d’années de fragmentation de la société française, juge l’un d’eux. Pour l’heure, la réponse de l’exécutif est à côté de la plaque. » « Je suis très inquiet car le pouvoir est dans une bulle technocratique, renchérit un autre. Ils sont coupés de la France des braves gens qui n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois. Ils n’ont aucun code et aucun capteur. Nous, les préfets, pourrions leur donner des éléments mais ils ne nous demandent rien. Quand ils viennent sur le terrain, c’est parés de leur arrogance parisienne. »[…]

Alors que la préfecture de Haute-Loire, au Puy-en-Velay, a été incendiée, samedi 1er décembre, plusieurs représentants de ce corps de hauts fonctionnaires parlent de situation « explosive et quasi insurrectionnelle », voire « pré-révolutionnaire ». […] Dans le mien, le mouvement agrège des travailleurs pauvres, des retraités avec de petites pensions qui s’estiment touchés dans leur dignité, des dirigeants d’entreprise de travaux publics confrontés à des hausses de prix des carburants et des patrons de sociétés de petite taille, qui affirment ne pas s’en sortir. »

Et Gaspard Gantzer raconte que lorsqu’il était conseiller de Bertrand Delanoë, ce dernier l’engueulait lorsqu’il le trouvait dans son bureau et lui disait, tu ne m’es pas utile dans ton bureau, il faut que tu ailles vers les citoyens dans les taxis, les bistrots et les lieux où tu peux rencontrer les gens et écouter ce qu’ils ont à dire.

La journaliste Aurore Gorius exlique :

« Il y a une administration, Bercy, dont est issue Emmanuel Macron et dont est issue son secrétaire général Alexis Kohler. C’est une administration qui porte des réformes et essaye de les promouvoir. Elle a une approche plus technocratique que d’autres. On retrouve ça dans la façon d’exercer le pouvoir d’Emmanuel Macron. »

Gaspard Gantzer explique que Macron pour gouverner ne s’est entouré que de jeunes esprits brillants, convaincus de leur savoir et il a ajouté cette phrase terrible :

« Et étant jeunes, ils ignorent ce qu’ils ignorent »

Dans ma vie quotidienne, il m’arrive aussi de rencontrer des jeunes pleins de certitudes. Surtout s’ils ont pu poursuivre des études brillantes pendant lesquelles on leur a dit qu’ils étaient les meilleurs. En outre, indiscutablement ils ont beaucoup travaillé intellectuellement et peut être même beaucoup lu des ouvrages souvent techniques.

Alors ils peuvent croire qu’ils savent. Ils savent des choses. Mais s’il est important de savoir ce que l’on sait il est encore plus important de savoir ce que l’on ignore. Au minimum de savoir qu’il y a des choses que l’on ignore. Cette manière de penser et de se comporter s’appelle l’humilité.

J’en avait fait un mot du jour je l’ai rappelé récemment, ce propos de David Axelrod, ancien conseiller de Barack Obama, à propos d’Emmanuel Macron :

« C’est quelqu’un qui a beaucoup de confiance en lui-même. Mais ce poste nécessite de l’humilité. »

J’avais aussi cité et rappelé, un jour de la Saint Valentin, la chanson de Gabin :

« Quand j’étais gosse, haut comme trois pommes,
J’parlais bien fort pour être un homme
J’disais, JE SAIS, JE SAIS, JE SAIS, JE SAIS
C’était l’début, c’était l’printemps
Mais quand j’ai eu mes 18 ans
J’ai dit, JE SAIS, ça y est, cette fois JE SAIS
Et aujourd’hui, les jours où je m’retourne
J’regarde la terre où j’ai quand même fait les 100 pas
Et je n’sais toujours pas comment elle tourne ! »

Savoir ce que l’on sait, mais aussi savoir ce l’on ignore.

Douter souvent, mais ne pas douter que l’on ignore beaucoup.

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Jeudi 13 décembre 2018

« La beauté de la fêlure : Le Kintsugi»
Art japonais pour réparer ce qui est cassé

Le récit japonais raconte qu’à la fin du XVe siècle, le shogun (chef de guerre) Ashikaga Yoshimasa aurait renvoyé en Chine, un bol de thé chinois auquel il tenait et qui était endommagé, pour le faire réparer. Mais la réparation chinoise lui avait fortement déplu. Et il aurait donc demandé à des artisans japonais de trouver un moyen de réparation plus esthétique, et qui prenne en compte le passé de l’objet, son histoire et donc les accidents éventuels qu’il a pu connaitre.

C’est cette démarche qui aurait été à l’origine de l’art traditionnel japonais de la réparation de la céramique cassée avec un adhésif résistant aspergé ensuite de poudre d’or.

Cet art s’appelle « le Kintsugi. ». Le terme «  Kintsukuroi » désignant quant à lui l’art de réparer l’objet de façon à ce qu’il devienne plus solide et plus beau cassé.


Dans cet art, je dirai cette philosophie, La casse d’une céramique ne signifie plus sa fin mais un renouveau.

Il ne s’agit donc pas de cacher les réparations, mais de mettre en avant la zone brisée en recouvrant les fissures d’or. C’est donc par le métal symbole de valeur, symbole de richesse  que les fêlures seront comblées, réparées, embellies.

Il existe des sites qui parlent de cet art pour l’étendre à la vie humaine et à la maladie : « La vie Kintsugi »

Nous sommes ici dans une philosophie de vie qui pense quand quelque chose qui a de la valeur se brise, il ne faut pas le jeter, le mettre de côté, mais le réparer pour qu’il devienne plus beau et plus fort.

Bien sûr cela peut certainement s’appliquer aux humains et aux sociétés humaines.

Le mot du jour du 17 Juin 2016 évoquait une idée proche, un livre d’Abdennour Bidar : «Les tisserands : réparer ensemble le tissu déchiré du monde».

<Le site Cosmopolitan> donne plus de détail sur cette technique :

« De kin, l’or, et tsugi, la jointure, le kintsugi évoque l’art japonais de réparer un objet cassé en soulignant ses fissures avec de l’or plutôt qu’en les camouflant. Les éclats de l’objet cassé sont récoltés, nettoyés et recollés à la laque naturelle. Une fois l’objet sec et poncé, on souligne ses fissures à l’aide de plusieurs couches de laque. Enfin, on saupoudre ses “cicatrices” de poudre d’or.  »

Certaines pages ne parlent que du kintsugi, dans sa mission première de réparer la céramique : « Qu’est-ce que le kintsugi, la technique de réparation à la japonaise ?  »

<J’ai trouvé aussi cette vidéo qui montre cet art en action>

Une jeune auteure veut en tirer des leçons de vie, c’est ainsi que Céline Santini a écrit : «  Kintsugi, L’art de la résilience ».

Céline Santini a un propos plus ambitieux sur le site <esprit-kintsugi>, probablement qu’elle a aussi l’intention de vendre son livre et d’autres services.

Il faut certainement séparer le bon grain et l’ivraie.

Mais j’ai trouvé fécond et apaisant, dans ce monde troublé, insatisfait, violent, qui casse et sépare beaucoup, de mettre en avant un art qui a pour but de réparer, de rendre plus beau et plus fort.


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Mercredi 12 décembre 2018

«Giletjaunologue !»
Julien Damon

« Logue » vient Du grec ancien λόγος, logos (« étude »).

Dès lors, quand on ajoute « logue » à un mot on comprend qu’il s’agit de quelqu’un qui étudie ce que le mot désigne.

Toutefois, l’étude des mots, proprement dits, n’est pas faite par un « motologue ». Etudier les mots c’est la « sémantique ». En général c’est un « linguiste » qui étudie la sémantique.

En revanche :

  • Le météorologue étudie la météo
  • Le criminologue étudie le crime et les criminels
  • Le vulcanologue étudie les volcans
  • Le politologue étudie la politique.

Quelquefois c’est un peu plus compliqué. Ainsi on ne dit pas « vinologue » pour spécialiste du vin mais « œnologue » du grec ancien οἶνος, oînos (« vin »).

C’est qu’il faut faire savant.

Dans le même esprit, tout le monde comprend que le cancérologue est un spécialiste du cancer. Mais on préfère aujourd’hui le terme d’oncologue, De « onco »- (« tumeur », lui-même du grec ὄγκος, onkos, (« tas, masse »)

Toutes ces précisions ont été abondamment copiées dans Wikipedia.

Revenons au politologue, parmi eux, lorsque j’étais jeune il existait une catégorie à part qui s’appelaient les « kremlinologues ».

C’est à dire c’était des spécialistes du Kremlin qui était le palais qui abritait le gouvernement soviétique. C’était donc des spécialistes de la politique soviétique.

Alexandre Adler fut l’un d’eux :

« Je l’utilisai d’abord pour résoudre les énigmes policières de l’histoire soviétique qui m’avait obsédé, non sans quelques succès qui jalonnèrent ma première carrière kremlinologique à Libération. »
(Alexandre Adler, Au fil des jours cruels, 1992-2002, 2003, p.1984)

Je l’ai un jour entendu expliquer ce qu’il faisait en tant que kremlinologue.

Il ne savait rien, les luttes de pouvoir et d’influence chez les responsables soviétiques étaient totalement secrètes et personne ne savait ce qui se passait.

Alors le plus infime détail était analysé : l’absence de tel responsable à telle cérémonie, la place respective des uns et des autres sur une tribune, lorsque tel responsable parlait à l’oreille d’un autre responsable lors d’une cérémonie àlaquelle le kremlinologue pouvait assister.

A partir de ces détails, le kremlinologue tissait des hypothèses, élaborait des théories, osait des prévisions.

Prévisions le plus souvent démenties par les faits

Tout ceci a occupé un grand nombre de gens et leurs analyses étaient abondamment relayées par les journaux occidentaux.

C’est probablement à cette pseudo science de kremlinologie que Julien Damon a pensé pour inventer le concept de cette nouvelle spécialité
le : « Giletjaunologue »

Julien Damon est professeur associé à Sciences Po et conseiller scientifique de l’Ecole Nationale Supérieure de Sécurité Sociale. Il est présenté comme un sociologue des inégalités.

Il a écrit plusieurs ouvrages :

Et il a été invité à l’émission la Grande Table du 3 décembre 2018 : « “Gilets jaunes” : quelles réponses à quelles questions ? »

Et c’est lors de cette émission, qu’il a, en l’appliquant d’abord à lui-même puis à Emmanuel Todd et à d’autres experts auto-désignés, créé cette spécialité de « Giletjaunologue ».

Donc des experts à qui on demande d’expliquer qui sont les gilets jaunes, quelles sont leurs exactes revendications et quels sont leurs objectifs.

Ils n’en savent rien mais ils parlent quand même comme les kremlinologues d’antan.

Car, on ne sait pas très bien qui ils sont, à part une collection d’individus mécontents.

On ne sait pas ce qu’ils pensent puisqu’ils expriment des revendications multiples, diverses, parfois irréalistes et surtout contradictoires.

On ne peut pas leur parler, sauf à des individus qui se représentent eux même. Les gilets jaunes ? Quel numéro de téléphone ? aurait dit Henry Kissinger, puisqu’ils refusent de se désigner des représentants.

Mais nous avons des spécialistes, des experts qui savent décrypter et nous expliquer ce que veulent les gilets jaunes et comment les contenter : ce sont des « Giletjaunologues ».

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Mardi 11 décembre 2018

« Ce n’est pas seulement une question de fiscalité et d’économie qui se pose, c’est de notre système démocratique dont il est question. De la défense de notre modèle social, de la préservation de l’ensemble de notre tissu industriel. »
Bernard Benhamou

J’ai écouté notre jeune président…

Et il me semble qu’après l’avoir entendu, il n’y a que ce chat qui a une attitude raisonnable.

Il faudrait quand même savoir combien cela coute ?

Et où il va trouver l’argent ?

Nos amis allemands qui décrivent les français comme ces personnes qui veulent toujours voyager en première classe avec un billet de seconde classe ne se trompent pas.

Moins d’une heure après l’allocution présidentielle le grand journal <die Frankfurter Allgemeine Zeitung> titrait sur son site en page d’accueil :

Macrons Kehrtwende
La volte-face (ou le demi-tour) de Macron.

Er sei kein Weihnachtsmann, hatte der französische Präsident Emmanuel Macron zuvor gesagt.
Il n’était pas le père Noël, avait déclaré auparavant le président français Emmanuel Macron

Doch fast ein Monat mit teils gewalttätigen Protesten zeigt jetzt Wirkung: Zum 1. Januar gibt es in Frankreich Geldgeschenke.
Mais presque un mois de manifestations, en partie violentes, montre désormais son effet : le 1er janvier, il y aura des cadeaux monétaires en France.

Les allemands ne sont pas très gentils. Il est vrai que notre Président leur avait promis qu’avec lui la France serait gouvernée de manière rigoureuse et arrêterait de creuser la dette.

Je suis un peu dubitatif sur ce qui est annoncé.

A court terme, cela pourra, peut-être, calmer certains, les plus raisonnables des gilets jaunes.

Mais à long terme, qu’en est-il de la transition écologique ? Qu’en est-il des investissements ? Comment faire cela sans creuser davantage la dette.

Toutefois mon intention est de parler d’une autre décision essentielle qui a été prise dans l’Union Européenne et dans laquelle nos amis allemands ne jouent pas le rôle vertueux qu’ils aiment incarner. Ils ont plutôt jouer les peureux et les « courtermistes ».

Ils ont, en effet, lâché la France dans sa volonté de taxer les GAFA.

Parce si les États veulent récupérer de l’argent, il est certain qu’il faut d’abord aller le chercher dans les entreprises très riches, qui gagnent beaucoup d’argents en Europe et paient des impôts ridicules.

Mais l’Allemagne a peur. Peur que Trump taxe en retour les voitures allemandes. Et cela c’est au-dessus de la rigueur et de l’esprit de justice de nos amis issus de la révolution Luthérienne.

Pour illustrer cette situation j’ai trouvé trois articles qui m’ont paru instructifs :

Les Inrocks nous apprennent que selon une estimation de la Commission européenne, les GAFA ne seraient imposés qu’à hauteur de 8,5 % à 10,1 % de leurs profits dans l’Union européenne contre une fourchette de 20,9 % et 23,2 % pour les autres entreprises, dites “classiques”. A titre d’exemple, pour l’année 2017, Amazon aurait ainsi généré 25 milliards d’euros de chiffre d’affaires en Europe pour un impôt quasi nul.

Et les Inrocks de continuer :

« Alors que les gilets jaunes battent le pavé et réclament plus de justice fiscale, le signe aurait été le bienvenu. Loupé. Le projet de taxe européenne sur les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), et plus largement sur les “services numériques” dont le chiffre d’affaire mondial dépasse 750 millions d’euros (et 50 millions en Europe), a été repoussé aux calendes grecques ce mardi 4 décembre. »

Et le Monde d’écrire :

« Mais cette mesure, qui apparaissait comme un signal important pour l’Union européenne (UE) en instaurant un peu plus de justice fiscale, est déjà largement vidée de sa substance et ne sera soumise à l’approbation des Vingt-Sept qu’en mars 2019. Quant à sa mise en œuvre, en cas d’accord, elle n’interviendra pas avant janvier 2021. Une fois de plus, les égoïsmes nationaux et les règles institutionnelles européennes sont en train de conduire à un immobilisme mortifère. »

C’est le site de Capital qui est le plus didactique :

« Pendant longtemps, le point d’achoppement s’est résumé à une confrontation entre Paris et Berlin. Le gouvernement allemand craint des mesures de rétorsion de la part des États-Unis, qui pourraient augmenter les taxes sur l’importation des voitures allemandes. Finalement, un accord a bien eu lieu le 4 décembre, grâce à une concession clé de la part de la France : la taxe de 3% sur le chiffre d’affaires concernera seulement la vente d’espaces publicitaires alors que l’activité globale était initialement concernée. Au terme d’une haute lutte, Berlin a également obtenu du dispositif qu’il ne s’applique pas avant 2021. […]

Cette concession majeure de la part de Paris réduit considérablement la portée de la taxe. Alors qu’une taxation globale aurait dû rapporter autour de cinq milliards d’euros par an à l’Union européenne, la limitation à l’imposition de la publicité ne remplirait les caisses que de 1,3 milliard, selon les estimations de Bercy. La taxe ne concernerait plus que quasi-exclusivement Google et Facebook, excluant de facto Amazon, Netflix, Microsoft, Uber, etc. qui ne vendent pas d’espaces publicitaires. »

Bien sûr, cette idée de taxation était nouvelle, puisqu’il s’agissait de taxer le chiffre d’affaires. Cette mesure disruptive ne va pas sans créer des problèmes juridiques qui pourraient conduire à une impasse.

« Traditionnellement, il est d’usage de taxer les seuls bénéfices des entreprises. Dans le cadre de la taxation des GAFA, les Européens ont quant à eux décidé de s’attaquer au chiffre d’affaires, afin d’éviter au maximum les techniques d’optimisation fiscale. Cette mesure d’efficacité revient néanmoins à traiter les entreprises du numérique différemment des autres, de manière discriminatoire, sans que cela soit justifié. De quoi fournir des arguments aux géants du Net en vue d’une contestation devant la Cour de justice de l’UE. »

Je passe sur la règle de l’unanimité et les Etats qui comme l’Irlande sont tous dévoués au GAFA pour en venir à un lobbying d’entreprises européennes se sentent solidaires des GAFA.

« On imagine que les géants du Net sont tous américains, mais l’Europe compte également quelques pépites. Les patrons de 16 grandes entreprises numériques européennes (Spotify, Zalando, Booking, Rovio, etc.) ont d’ailleurs écrit fin octobre aux 28 ministres des Finances de l’Union Européenne pour le leur rappeler. « Cette taxe a été conçue pour toucher des sociétés immenses et très profitables, mais il faut réaliser qu’elle aurait un impact bien plus important sur les sociétés européennes, et renforcerait la distorsion de concurrence », ont-ils rédigé dans une lettre que le Financial Times s’est procurée. Ils continuent : « Nous avons encore besoin de la totalité de nos ressources pour continuer à croître, et nos profits sont intégralement réinvestis. Cette taxe priverait nos entreprises d’une source indispensable de capital pour mener la compétition à l’échelle mondiale » Cet appel a visiblement été entendu car seule la publicité est désormais concernée par la taxe.»

Le site des Inrocks nous apprennent que les « Empires » sont à l’œuvre pour empêcher l’Union Européenne d’agir :

« Les Etats-Unis n’ont pas été en reste et ont également pesé de tout leur poids pour qu’une telle taxe n’aboutisse pas. De nombreuses sources diplomatiques attestent ainsi de « pressions directes de l’administration américaine ». « N’oublions pas que l’ambassadeur américain en Allemagne a clairement déclaré que son job était de faire monter l’ensemble des droites dures et eurosceptiques en Europe, complète Bernard Benhamou. On se retrouve dans une situation inédite où les trois grandes puissances mondiales, Etats-Unis, Chine et Russie, se retrouvent quant à l’idée de nuire à l’Europe. Ils ont un intérêt commun à la destruction de l’UE ou du moins, à son affaiblissement » ».

Et il donne la conclusion à Bernard Benhamou, secrétaire général de l’Institut de la souveraineté numérique (ISN) et ancien diplomate.

« Les GAFA sont aujourd’hui des sociétés qui interviennent tous secteurs confondus, ce ne sont plus seulement des sociétés technologiques. […]

Si on n’est pas capable de montrer les dents face à ces entreprises, ce n’est pas seulement une question de fiscalité et d’économie qui se pose, c’est de notre système démocratique dont il est question. De la défense de notre modèle social, de la préservation de l’ensemble de notre tissu industriel.

Vous savez ce que disent les diplomates américains au sujet de l’Union Européenne ? Ils disent qu’on a créé un animal sans dents. Un animal qui n’a pas les moyens d’être tranchant, qui ne sait pas mordre. Il faut impérativement créer un rapport de force avec ces entreprises. Et cela passe nécessairement par la constitution d’un axe franco-allemand fort. D’une vision commune”. Nul doute que pour y parvenir, la route reste longue. »

« Un animal sans dents ! »

Voilà ce que disent les américains de l’Union Européenne.

Et pour finir, le Monde reparle de notre jeune Président.

«  Le volontarisme tricolore motivé par l’obsession de permettre à Emmanuel Macron de brandir un trophée avant les élections européennes de 2019 a conduit à braquer certains partenaires, qui ont fini par se lasser du ton professoral adopté par Paris. »

Il n’y a pas que les « gilets jaunes » qui sont agacés par une certaine attitude…

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