Mardi 4 février 2020

« TikTok »
Réseau social, nouvelle application préférée des adolescents

Lorsque j’ai évoqué, hier, la vidéo qui serait à l’origine de la popularisation de l’expression « ok boomer », j’ai omis de dire que cette vidéo avait été publiée sur le réseau social « TikTok ».

La première fois que j’ai entendu parler de ce réseau social, c’était dans l’émission « Esprit Public » du <12/01/2020>. Je vivais donc jusqu’au début de cette année sans connaître cette application qui semble être très prisée par les adolescents.

Cette émission abordait le sujet des tensions entre les Etats-Unis et l’Iran suite à l’assassinat de Ghassem Soleimani par les Etats-Unis.

Emilie Aubry a introduit ce sujet ainsi :

« Si vous avez des ados connectés chez vous peut-être avez-vous comme moi vécu ce moment où l’enfant inquiet a surgi dans le salon pour vous demander : est-ce que c’est vrai ce qu’on dit sur les réseaux sociaux ? C’est le début de la 3ème guerre mondiale ? Aux sources de l’angoisse : depuis l’assassinat du général iranien Ghassem Soleimani par les Etats-Unis. Sur TikTok, la nouvelle appli préférée des ados, le #ww3 (World War 3) cumule plus de 1 milliard de vues.  »

Le boomer que je suis était resté à

  • « Facebook » avec ses 2,2 milliards d’utilisateurs actifs,
  • « Twitter » la plateforme de microblogging, qui permet d’envoyer à des millions de personnes des tweets de 280 caractères maximum pouvant être illustrés de photos, de vidéos, de liens et inventeur des #hashtags. Twitter revendique 326 millions d’utilisateurs actifs mensuels dans le monde, dont Donald Trump mais aussi Barack Obama, Emmanuel Macron et même Edgar Morin.
  • « YouTube », propriété de Google, numéro 1 dans le partage et le visionnage de vidéos ainsi que « Dailymotion », le concurrent de YouTube et « Viméo » réseau plus confidentiel de partage de vidéos.

Je connaissais aussi l’existence des réseaux sociaux professionnels « Linkedin » le réseau social professionnel créé en 2002 en Californie et qui revendique plusieurs centaines de millions de membres et son petit frère français « Viadeo » créé en 2004 à Paris et qui revendique 7,5 millions de membres en France.

Enfin certains noms ne m’étaient pas inconnus : « Instagram », « Pinterest », « Snapchat » « Periscope » et «WhatsApp » que j’utilise depuis qu’Annie était allée à New York rendre visite à Alexis et Marie.

Mais TikTok je n’en ai jamais entendu parler avant ce dimanche 12 janvier dernier.

Dans l’émission, j’ai compris que TikTok était une application chinoise et qu’elle était encore plus problématique que les autres. Il me paraissait donc intéressant d’en savoir un peu plus.

Le premier réflexe est de consulter <Wikipedia> :

« TikTok, aussi appelé Douyin, est une application mobile de partage de vidéo et de réseautage social lancée en septembre 2016. Elle est développée par l’entreprise chinoise ByteDance. Son logo évoque une note musicale. »

Lancée par Zhang Yiming en septembre 2016, l’application s’est très vite développée. TikTok est le principal service de ce type en Asie, et l’application est considérée comme celle ayant la plus forte croissance tous pays confondus. Elle est l’application de partage de clips qui rassemble la plus grande communauté. En juin 2018, TikTok atteint les 500 millions d’utilisateurs actifs mensuellement. Au cours du premier trimestre de l’année 2018, elle est la première application mobile en nombre de téléchargements (45,8 millions selon des estimations). »

Zhang Yiming qui est un ingénieur chinois, avant TikTok, avait donc créé en 2012 <ByteDance> qui est spécialisée en intelligence artificielle et basée à Pékin. Son objectif est la conception d’une « Super Intelligence » qui dépasserait les travaux occidentaux en matière d’Intelligence Artificielle. En août 2018, Bytedance opère une levée de fonds de près de 3 milliards de dollars ce qui en fait la startup la plus valorisée au monde, à 75 milliards, devant Uber.

Si vous voulez en savoir plus vous pouvez lire cet article : <Bytedance le géant derrière tiktok>

Fin 2019, l’application compte désormais plus d’un milliard d’utilisateurs et connait un succès chez les adolescents aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est

Cette page, graphique à l’appui affirme que « TikTok est la nouvelle appli préférée des ados »

<Cet article du Monde> que j’ai survolé semble expliquer assez précisément ce que l’on peut faire sur TikTok.

Pour ma part ce qui m’interpelle c’est qu’en février 2019, Tik Tok a été condamné aux États-Unis à une amende record de 5,7 millions de dollars par la Federal Trade Commission. La plateforme avait été reconnue coupable d’avoir illégalement collectée les données d’enfants de moins de 13 ans.

La même année, l’United States Navy de l’armée américaine ordonne à ses soldats de désinstaller l’application chinoise des smartphones militaires pour des raisons de cybersécurité.

<Ce site> nous apprend que le Royaume Uni a également engagé une enquête sur les agissements de TikTok et s’inquiète notamment de la faible protection des données qui pourrait faciliter les agissements de prédateurs sexuels. Dans Wikipedia il est question de reproche d’encourager le narcissisme et l’hypersexualisation de ses utilisateurs, souvent très jeunes.

Le journal l’Opinion a ainsi publié un article dont le titre est révélateur : « TikTok, l’appli dont les jeunes raffolent…et les pédophiles aussi »

Résumons, un entrepreneur chinois féru d’intelligence artificielle met à la disposition des adolescents chinois et du monde entier une application « sympa » de partage dans laquelle ces jeunes vont pouvoir s’identifier, s’exprimer, créer, révéler ce qu’ils aiment, dévoiler un peu leurs idées et aussi leurs angoisses comme par exemple la crainte d’une 3ème guerre mondiale. Cette application permet à des prédateurs sexuels de trouver un nouvel espace de chasse. Parallèlement ; l’intelligence artificielle chinoise peut collecter et analyser des milliards de données offertes gratuitement par les adolescents du monde entier et notamment occidentaux.

Il me semblait utile de citer « TikTok » dans les mots qui font l’actualité.

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Jeudi 3 mai 2018

«Ne pas devenir les spécialistes de l’éthique tandis que les Chinois et les Américains deviennent des spécialistes du business.»
Antoine Petit, président du CNRS à propos du rapport Villani

Cédric Villani a donc produit un rapport sur l’intelligence artificielle (IA) : « Donner du sens à l’intelligence artificielle »

Je ne l’ai pas lu, j’ai entendu et vu plusieurs interventions de Cédric Villani qui parlait de son rapport et de sa réflexion sur le sujet.

Un spécialiste de l’intelligence artificielle Olivier Ezratty a écrit un article critique très complet sur ce sujet et que vous trouverez derrière ce lien : <Ce que révèle le Rapport Villani>

Mais le mot du jour d’aujourd’hui va insister sur un autre article concernant ce sujet et plus précisément le lien que fait ce rapport entre l’intelligence artificielle et l’éthique.

Cet article m’a été suggéré par Daniel qui me fait le plaisir de commenter très souvent les mots du jour.

Cet article se trouve sur le site dédié à l’innovation : https://www.frenchweb.fr et a été écrit par Philippe Silberzahn, professeur à EMLYON Business School et chercheur associé à l’École Polytechnique.

Il a pour titre : « IA et éthique: le contresens navrant de Cédric Villani »

Et voilà ce qu’il dit en substance :

Il attaque assez fort dès le départ :

«  Avec le rapport Villani sur l’intelligence artificielle, la France a renoué avec une vieille tradition: demander à quelqu’un d’intelligent d’écrire un rapport idiot. Enfin idiot, on se comprendra: le rapport que notre Médaille Fields vient de rédiger n’est pas tant idiot que convenu. »

S’appuyant sur des exemples historiques récents et moins récents, bien connus de nous tous, Philippe Silberzahn conteste fondamentalement la possibilité de donner, a priori, un jugement éthique sur une innovation :

« Le titre-même du rapport « Donner un sens à l’IA » est problématique. Quand on regarde l’histoire de l’innovation, le sens a toujours été donné a posteriori. Et ce pour une raison très simple: les ruptures technologiques présentent toujours des situations inédites sur le plan légal, social et éthique. Il est très difficile, voire impossible, de penser ces ruptures avant qu’elles ne se produisent, et avant que les effets ne soient visibles. On risque de penser dans le vide. Lorsque McKinsey conduit une étude de marché pour AT&T en 1989 pour évaluer le potentiel de la téléphonie mobile, les résultats sont désastreux: personne ne voit l’intérêt d’avoir un téléphone mobile. Personne ne peut simplement imaginer ce qu’on ferait avec. Seule l’utilisation effective a révélé les possibilités de la technologie, de même qu’aujourd’hui seule l’utilisation de Facebook en révèle les dangers pour la vie privée.

Plus généralement, les applications d’une nouvelle technologie sont impossibles à anticiper. Lorsque les ingénieurs français et autrichien découvrent les ultra-sons en 1911, ils s’en servent pour détecter les sous-marins. Quarante ans après, cette technologie est utilisée en médecine, c’est l’échographie. Cette utilisation est totalement imprévue et d’ailleurs, il était initialement question que ce soit pour la détection des cancers. Aujourd’hui, l’échographie est devenue banale et peu chère, à tel point qu’elle est utilisée dans les pays pauvres, en particulier en Chine et en Inde. Utilisée pour l’avortement sélectif, elle est directement responsable du fait notamment qu’environ 25 millions de femmes ne sont pas nées en Chine, causant un déséquilibre des sexes qui entraîne de lourds problèmes sociaux et donc politiques. Qui aurait pu penser qu’une technologie mise au point en Europe pour la lutte anti sous-marine soit la cause, un siècle plus tard, d’un bouleversement social en Asie? Penser les conséquences de l’échographie a priori aurait été totalement vain. »

Il nous pousse ensuite dans nos contradictions et pose la question subtile du constat éthique de l’automobile :

« Mais il y a pire. Toute technologie est duale, au sens où elle peut servir à faire le bien comme le mal. Imaginez que vous soyez ministre de l’environnement dans un pays éthique qui a mis le principe de précaution dans sa constitution (exemple fictif bien-sûr). Un groupe d’industriels vient vous voir pour obtenir l’autorisation préalable nécessaire à la commercialisation de leur nouvelle technologie. Elle apportera de toute évidence des bienfaits immenses, facilitant la vie de nombreux habitants. Son seul défaut: elle tuera environ un million de personnes par an dans le monde.

Que faites-vous?

Vous l’interdirez probablement et mettrez un comité d’éthique sur le dossier.

Cette technologie? C’est l’automobile. »

Michel Serres cite souvent <la fable de la langue> écrit par Esope, le fabuliste grec, au VIème siècle avant notre ère.:

« Le maître d’Ésope lui demande d’aller acheter, pour un banquet, la meilleure des nourritures et rien d’autre. Ésope ne ramène que des langues ! Entrée, plat, dessert, que des langues ! Les invités au début se régalent puis sont vite dégoûtés.

– Pourquoi n’as-tu acheté que ça ?

– Mais la langue est la meilleure des choses. C’est le lien de la vie civile, la clef des sciences, avec elle on instruit, on persuade, on règne dans les assemblées…

– Eh bien achète-moi pour demain la pire des choses, je veux de la variété et les mêmes invités seront là.

– Ésope achète encore des langues, disant que c’est la pire des choses, la mère de tous les débats, la nourrice des procès, la source des guerres, de la calomnie et du mensonge. »

La conclusion de Philippe Silberzahn qui cite le patron du CNRS, citation dont j’ai fait l’exergue de ce mot du jour, constitue un questionnement fort et complexe :

« En plaçant l’IA au service de l’éthique, le rapport commet donc deux erreurs: d’une part il ne se donne aucune chance de penser l’éthique de l’IA correctement, car nous penserons dans le vide – nous ne pourrons penser qu’en faisant, et d’autre part il condamne la France à regarder les autres danser depuis le balcon. Antoine Petit, le patron du CNRS lors de la conférence AI For Humanity où était présenté le rapport Villani, nous invitait ainsi à éviter un écueil: « Ne pas devenir les spécialistes de l’éthique tandis que les Chinois et les Américains deviennent des spécialistes du business. »

C’est tout l’enjeu et à vouloir mettre l’IA d’entrée de jeu au service de la diversité, de l’égalité homme-femme, du bien commun et des services publics, c’est sacrifier aux modes du moment en se trompant de combat.

On demandait à Cédric Villani de nous dire comment la France pouvait rattraper son retard en IA, c’est à dire de poser un raisonnement industriel, pas de signaler sa vertu à l’intelligentsia post-moderniste qui gouverne la pensée de ce pays.

Sans compter que comme souvent dans ces cas-là, le sens que l’on donne à éthique est bien restreint. Il peut être éthique de ne pas vouloir développer une IA aux conséquences négatives, mais il peut être également éthique d’essayer pour voir, car ce n’est qu’en agissant que nous saurons. Les entrepreneurs savent cela depuis longtemps, nos savants intelligents et ceux qui nous gouvernement l’ignorent, et se condamnent peu à peu à la paralysie par excès de prudence et, au fond, par peur du futur.

Nous devenons un vieux pays, et laissons progressivement les autres développer l’avenir.

Au fond, le rapport Villani est un rapport de vieux, la hype de notre ami Cédric en plus. »

Les craintes exprimées ne peuvent que nous interpeller.

Cela étant, au fur à mesure de l’utilisation de l’IA nous devrons rester vigilants.

En serons-nous capable entraînés par le vertige de la modernité ?

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