Mercredi 20 décembre 2017

« Mais je suis persuadé qu’on arrive dans l’âge de l’entraide parce que ce sont les plus individualistes qui crèveront les premiers. »
Pablo Servigne

Avant d’écrire le livre sur l’entraide évoqué lundi, Pablo Servigne associé à Raphaël Stevens avait écrit en 2015 : « Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes »

Ils avaient inventé à cette occasion le mot «collapsologie» du latin collapsus «qui est tombé en un seul bloc » et qui a pour définition : « Étude multidisciplinaire de l’effondrement des civilisations industrielles et de ses suites. »

Pablo Servigne et ses collègues voudraient en faire une discipline scientifique. Ils ont d’ailleurs consacré un site à cet effet : http://www.collapsologie.fr/

Pour poursuivre la réflexion de lundi et de mardi, je voudrai partager un article auquel Pablo Servigne a participé à la suite de la publication de son livre et de ses réflexions sur la collapsologie.

Dans cet article il écrit par exemple :

« On croit souvent que le progrès est naturel. En fait, ce sont des choix politiques. Des élites au pouvoir ont imposé le pétrole, par exemple. Ça a créé des monopoles et on a détruit les trains, les trams et les autres sources d’énergie. Un régime énergétique fait émerger un régime politique. C’est bien montré dans Petrocratia (Editions Ere, 2011), de Timothy Mitchell. Le charbon a permis l’émergence de la démocratie de masse et des mouvements ouvriers ; l’arrivée du pétrole a détruit ces mouvements par la qualité même de cette énergie et a mis au pouvoir une élite technocratique. Le changement climatique est connu depuis longtemps. Les élites ont décidé de l’ignorer pour faire plus d’argent. Par ailleurs, des théories disent que notre cerveau n’est pas façonné pour voir les problèmes à long terme et à grande échelle. »

Son propos parle d’effondrement et il l’analyse de la manière suivante :

« Certains scientifiques parlent de limits (« limites »), d’autres de boundaries (« frontières »). Prenons la métaphore de la voiture. Notre société ne va pas dans le mur, mais elle a deux problèmes. D’abord, le réservoir (les limites). Une fois qu’il n’y a plus d’essence, on ne peut pas aller plus loin. L’autre, ce sont les frontières, la transgression de certains seuils qui dérèglent le système-terre. Ça, c’est le bas-côté. On est sortis de la route goudronnée, on navigue à vue dans un monde incertain, avec la possibilité de grands chocs. On est sortis des conditions normales. C’est ça dont il faut prendre acte. Parmi les frontières, il y a le climat, la biodiversité, le cycle de l’azote, celui du phosphore… Les entomologistes parlent d’effondrement des insectes – pas seulement des abeilles –, il y a un effondrement des populations d’oiseaux, de poissons, des grands mammifères…

[…]

Il peut y avoir des étincelles climatiques ou dues au manque de ressources, mais il est plus logique de penser que les crises financières jouent un rôle moteur et qu’elles peuvent se transmettre à l’économie. Ça peut ensuite muter en effondrement politique. Avec une crise financière, il n’y a plus rien dans les distributeurs de billets ; avec une crise économique, plus rien sur les étalages. L’effondrement politique, c’est l’apparition de mafias, de l’économie informelle, de la corruption et la machine de l’Etat se déglingue. C’est le bloc soviétique dans les années 1990. »

Il explique aussi que les interconnexions de notre monde conduisent à sa fragilité :

« En un sens, notre monde est assez résilient : en cas de choc économique dans une région, il y a tellement de commerce et de réseaux qu’il est finalement rapidement absorbé. Mais on a découvert récemment que, quand un système devient hyperconnecté et très homogène, comme notre économie mondiale, il est résilient au début mais se fragilise en silence, jusqu’à dépasser un seuil qui provoque un effondrement brutal. Alors que les systèmes très peu connectés et très hétérogènes, comme ceux d’avant la mondialisation, encaissent moins bien les chocs, mais sont plus résilients à long terme. Avec la mondialisation est né le risque systémique global. Pour prendre un exemple, imaginons qu’un champignon ravage la production de blé d’une année dans la Beauce. Au Moyen-Age, ça n’aurait pas impacté beaucoup les autres régions, car elles étaient moins connectées et chacune avait ses céréales. Aujourd’hui, l’impact serait fort partout. Et il y a des effets en cascade. Il y a quelques années, des pluies torrentielles en Thaïlande ont provoqué l’explosion des cours des disques durs ! Notre système est beaucoup plus efficace… et plus fragile. »

Dès la rédaction de ce premier ouvrage, Pablo Servigne pensait que l’entraide devait être valorisée et prendre toute sa place dans notre imaginaire :

« On sait aussi que l’entraide et la coopération peuvent se créer contre un ennemi : une guerre, ça soude un peuple ! Mais je suis persuadé qu’on arrive dans l’âge de l’entraide parce que ce sont les plus individualistes qui crèveront les premiers. »

Lui-même a choisi de vivre dans un éco-hameau en Ardèche :

« Ce n’est pas la panacée ! J’ai fait ce choix du monde rural et du soleil parce que j’ai des jeunes enfants, que j’ai vécu vingt ans en Belgique et que j’en avais marre de la pluie ! Surtout, je voulais expérimenter la vie collective. C’est passionnant, mais c’est dur. Je pense qu’une grande partie de la résilience, c’est l’environnement affectif et social : la famille, les amis, les voisins, les élus communaux… C’est plus important que l’argent ou les stocks de nourriture. L’essentiel, c’est de retrouver du collectif. En ville ou à la campagne. La ville a des forces : beaucoup de gens, de culture… En temps d’incertitude, il n’y a pas un modèle à appliquer, c’est l’intuition qui compte. »

Je trouve préférable d’entrer dans la réflexion de Pablo Servigne par son dernier ouvrage centré sur l’entraide que par celui-ci qui explique l’effondrement possible de notre civilisation.

Rappelons cependant que le pire n’est jamais certain.

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Mardi 19 décembre 2017

« Et de nos jours encore, c’est dans une plus large extension de l’entraide que nous voyons la meilleure garantie d’une plus haute évolution de notre espèce. »
Pierre Kropotkine dans « L’entraide, un facteur de l’évolution »

Pablo Servigne a expliqué que le titre du livre qu’il a écrit avec Gauthier Chapelle : « L’entraide, l’autre loi de la jungle » doit beaucoup à Pierre Kropotkine que j’ai découvert à cette occasion.

Dans l’émission la Grande Table dont il était question hier, Pablo Servigne présente cet homme de la manière suivante :

« Kropotkine était un prince russe et quand il était jeune il a aimé la lecture de Darwin. Il a refusé un poste dans l’armée à Moscou et a préféré  partir en scientifique en Sibérie, pour vérifier les idées de Darwin. Darwin était parti dans un pays d’abondance, alors que Kropoktine est parti en milieu hostile où régnait la pénurie. Et ce que Kropotkine a observé pendant des années, c’est plutôt que les êtres vivants s’entraident.

Et mieux, ceux qui survivent ne sont pas forcément les plus forts, ce sont ceux qui s’entraident. Et il en a écrit un livre qui s’appelle « l’entraide un facteur d’évolution.[…] Il a été oublié, mais aujourd’hui les scientifiques recommencent à le citer, depuis les années 2000, on va dire, parce qu’il avait apporté cette idée majeure : l’entraide n’a pas pour cause la génétique [on est dans l’entraide parce qu’on est proche génétiquement] l’altruisme et l’entraide émergent dans la nature par les conditions du milieu hostile Et c’est le fait qu’on s’associe qui permet la survie. Et c’est pour cela qu’on recommence à citer Kropotkine. »

Pablo Servigne explique aussi qu’il avait été oublié par les milieux politiques parce qu’il était anarchiste. Les marxistes n’aimaient pas les anarchistes et n’aimaient pas non plus les arguments biologiques. L’idée de Kropotkine était incroyable, il faut plutôt lutter contre l’Etat, car c’est en détruisant l’Etat qu’on pourra faire sortir les capacités altruistes de l’être humain. Les marxistes quant à eux pensaient pouvoir créer un homme nouveau sur une page blanche à partir de l’idéologie.

Cette introduction m’a conduit à essayer d’en savoir un peu plus sur cet homme qui a été confronté à la fin du régime tsariste, les révolutions russes et le début du régime Bolchevique.

Quand on s’intéresse à Pierre Kropotkine, sa dimension d’anarchiste apparaît en premier. Il est très présent sur des sites libertaires et anarchistes.

Pierre Alexeïevitch Kropotkine est né le 26 novembre 1842 à Moscou (Russie) et il est descendant de la famille du grand-prince de Kiev. Il embrasse donc la carrière militaire et ayant conquis ses galons d’officier, demanda, comme nous l’a appris Pablo Servigne à être affecté à un régiment de Cosaques en Sibérie. Il peut ainsi explorer le bassin du fleuve Amour et la Sibérie orientale.  Un évènement marquant va décider de son avenir et probablement de certaines de ses idées politique : l’insurrection polonaise de 1863 et la terrible répression qui s’en suit. Cet évènement provoque sa démission de l’armée impériale russe. Il s’installe à Saint-Pétersbourg où il suit des études de mathématiques et de géographie. Au début des années 1870, il voyage en Extrême-Orient puis en France et en Suisse. C’est au cours d’un ces voyages à l’étranger qu’il se rapproche des milieux anarchistes et surtout des Nihilistes. En 1872, il adhère à la Fédération jurassienne de la Première Internationale et se rallie au groupe révolutionnaire de Mikhaïl Bakounine, qui s’oppose alors à Karl Marx.

Wikipedia nous apprend en outre :

« Qu’en raison de son activité d’anarchiste, il est arrêté à Lyon en 1883 et puis condamné à 5 ans de prison. Une pétition pour sa remise en liberté est signée par Victor Hugo et il est amnistié en 1886.
Après des années d’exil, il retourne en Russie en 1917, après la révolution de Février. Fidèle à ses convictions anarchistes, il refuse un poste de ministre proposé par Aleksandr Kerenski, même s’il soutient son gouvernement.
Après la révolution d’Octobre, il critique ouvertement le nouveau gouvernement bolchévique, la personnalité de Lénine et la dérive dictatoriale du pouvoir.

Le 8 février 1921, Kropotkine meurt à l’âge de 78 ans, à Dmitrov, près de Moscou. Sa famille et ses amis refusent au gouvernement bolchevique des funérailles nationales, celles-ci sont organisées par une commission composée de militants anarchistes. Le 10 février, le cercueil est transféré à Moscou dans un train orné de drapeaux noirs et de banderoles arborant des slogans comme « Là où il y a autorité, il ne peut y avoir de liberté », « Les anarchistes demandent à être libérés de la prison du socialisme » ou « La libération de la classe ouvrière, c’est la tâche des travailleurs eux-mêmes ». Le cercueil est exposé durant deux jours dans la salle des colonnes de la Maison des syndicats, au fronton de laquelle est accroché un énorme calicot portant une inscription dénonçant le gouvernement bolchevique et sa répression.

L’enterrement a lieu le 13 février. Bravant le froid, 20 000 Moscovites suivent le cortège qui s’arrête une première fois au musée Léon Tolstoï où est jouée la Marche funèbre de Frédéric Chopin, puis une seconde fois au niveau de la prison de la Boutyrka où s’entassent nombre de prisonniers politiques qui manifestent en frappant sur les barreaux. Kropotkine avait demandé que ne soit pas chantée L’Internationale lors de ses funérailles, tant elle ressemblait déjà « à des hurlements de chiens faméliques ».

L’enterrement de Kropotkine est la dernière manifestation libertaire de masse sous un gouvernement bolchevique. Dès le mois de mars, toutes les organisations anarchistes sont interdites, leurs militants persécutés. »

Mais ce qui m’intéresse précisément chez cet homme c’est son étude qui nuance la théorie de Darwin sans la contredire. Il a donc écrit ce livre dont parle avec admiration Pablo Servigne : « L’entraide, un facteur de l’évolution »

Un article de Mediapart revient sur cet ouvrage en éclairant le nouveau livre de Servigne et Chapelle :

[..] un récit différent du passé, initié par la figure géniale de Pierre Kropotkine, prince de famille royale, géographe et scientifique, qui préféra, à un destin familial tout tracé, partir en Sibérie, l’année même où Darwin publie De l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle (1859). Il « y observe surtout de l’entraide – des espèces animales, comme les loups, et des petites sociétés sans État, qui s’associent pour survivre dans des conditions climatiques difficiles, voire hostiles ». Kropotkine est ainsi le premier « à mettre en évidence le rôle fondamental des conditions environnementales dans l’évolution de l’entraide ». Il est d’ailleurs, jugent les chercheurs, « intéressant de constater que Darwin a effectué ses observations principalement sous les tropiques, un milieu de relative abondance et de confort thermique comparé à la Sibérie de Kropotkine ».

Toutefois, « une deuxième raison pour laquelle Kropotkine a plus facilement observé l’entraide que Darwin tient probablement à sa culture. Éduqué dans les valeurs humanistes des Lumières, il a ensuite beaucoup voyagé en Europe occidentale au contact de la classe ouvrière, qui développait une culture de la solidarité et de l’association ». En outre, sa vision « d’une nature coopérative ne collait pas avec celle de la biologie évolutive moderne, très majoritairement anglophone, imprégnée d’anti-communisme et travaillant de plus en plus sur les gènes et les individus ».

Mais l’originalité de Kropotkine tient surtout « au fait qu’il entre dans le débat politique avec des arguments naturalistes. Partant à la recherche des fondements biologiques de l’entraide, il prend à contre-pied la majorité de la gauche de son époque (dont les partisans de Marx), qui adopte au contraire une conception anti-déterministe de la nature humaine – une vision qui considère que l’être humain n’est pas soumis aux lois de la nature ». Une discordance qui vaudra à Kropotkine des décennies d’oubli de sa pensée et de ses écrits […]

Un des points forts de l’ouvrage est de montrer que, […] c’est dans les conditions les plus difficiles que l’entraide se développe le mieux. Ainsi de la cohabitation entre pins et sapins, « des arbres qui entrent en compétition lorsque les conditions de vie sont bonnes, mais s’entraident lorsqu’elles se durcissent (froid, vent, pauvreté des sols…). Jusqu’à ce qu’une équipe américaine s’intéresse à cela dans les années 1990, on n’avait vu que la moitié du tableau ».

Quand on connaît le titre de l’ouvrage et l’auteur, il est possible de trouver beaucoup de références sur internet.

Mais encore mieux, l’ouvrage intégral est publié sur ce site : <https://fr.wikisource.org/wiki/L’Entraide, un facteur de l’évolution>

Je peux donc vous livrer une partie de la conclusion :

Attribuer le progrès industriel de notre siècle à cette lutte de chacun contre tous qu’il a proclamée, c’est raisonner comme un homme qui, ne sachant pas les causes de la pluie, l’attribue à la victime qu’il a immolée devant son idole d’argile. Pour le progrès industriel comme pour toute autre conquête sur la nature, l’entr’aide et les bons rapports entre les hommes sont certainement, comme ils l’ont toujours été, beaucoup plus avantageux que la lutte réciproque.

Mais c’est surtout dans le domaine de l’éthique, que l’importance dominante du principe de l’entr’aide apparaît en pleine lumière. Que l’entr’aide est le véritable fondement de nos conceptions éthiques, ceci semble suffisamment évident. Quelles que soient nos opinions sur l’origine première du sentiment ou de l’instinct de l’entr’aide — qu’on lui assigne une cause biologique ou une cause surnaturelle — force est d’en reconnaître l’existence jusque dans les plus bas échelons du monde animal ; et de là nous pouvons suivre son évolution ininterrompue, malgré l’opposition d’un grand nombre de forces contraires, à travers tous les degrés du développement humain, jusqu’à l’époque actuelle. Même les nouvelles religions qui apparurent de temps à autre — et toujours à des époques où le principe de l’entr’aide tombait en décadence, dans les théocraties et dans les États despotiques de l’Orient ou au déclin de l’Empire romain — même les nouvelles religions n’ont fait qu’affirmer à nouveau ce même principe. Elles trouvèrent leurs premiers partisans parmi les humbles, dans les couches les plus basses et les plus opprimées de la société, où le principe de l’entr’aide était le fondement nécessaire de la vie de chaque jour et les nouvelles formes d’union qui furent introduites dans les communautés primitives des bouddhistes et des chrétiens, dans les confréries moraves, etc., prirent le caractère d’un retour aux meilleures formes de l’entr’aide dans la vie de la tribu primitive.

Mais chaque fois qu’un retour à ce vieux principe fut tenté, l’idée fondamentale allait s’élargissant. Du clan l’entr’aide s’étendit aux tribus, à la fédération de tribus, à la nation, et enfin — au moins comme idéal — à l’humanité entière. En même temps, le principe se perfectionnait. Dans le bouddhisme primitif, chez les premiers chrétiens, dans les écrits de quelques-uns des docteurs musulmans, aux premiers temps de la Réforme, et particulièrement dans les tendances morales et philosophiques du XVIIIe siècle et de notre propre époque, le complet abandon de l’idée de vengeance, ou de « juste rétribution » — de bien pour le bien et de mal pour le mal — est affirmé de plus en plus vigoureusement. La conception plus élevée qui nous dit : « point de vengeance pour les injures » et qui nous conseille de donner plus que l’on n’attend recevoir de ses voisins, est proclamée comme le vrai principe de la morale, — principe supérieur à la simple notion d’équivalence, d’équité ou de justice, et conduisant à plus de bonheur. Un appel est fait ainsi à l’homme de se guider, non seulement par l’amour, qui est toujours personnel ou s’étend tout au plus à la tribu, mais par la conscience de ne faire qu’un avec tous les êtres humains. Dans la pratique de l’entr’aide, qui remonte jusqu’aux plus lointains débuts de l’évolution, nous trouvons ainsi la source positive et certaine de nos conceptions éthiques ; et nous pouvons affirmer que pour le progrès moral de l’homme, le grand facteur fut l’entr’aide, et non pas la lutte. Et de nos jours encore, c’est dans une plus large extension de l’entr’aide que nous voyons la meilleure garantie d’une plus haute évolution de notre espèce.

Il me semble que cette réflexion et notamment cette dernière phrase est encore plus juste de notre temps.

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Lundi 18 décembre 2017

« L’autre loi de la jungle : l’entraide »
Pablo Servigne et Gauthier Chapelle

On nous a appris que la nature obéissait à la loi de la jungle, c’est-à-dire la loi du plus fort, qui peut être traduite par la compétition de tous contre tous. On nous explique que la nature est ainsi faite.

Et c’est vrai, cette loi de la nature existe.

Mais ce que les sciences dans de nombreux domaines ont démontré, c’est que n’est pas la seule loi qu’on peut observer dans la nature. Il existe une autre loi de la jungle et cette loi c’est l’entraide, la coopération. La compréhension, l’observation du vivant révèle que les humains, les animaux, les plantes, les champignons et les micro-organismes pratiquent l’entraide.

Et probablement que ceux qui survivent le mieux aux conditions difficiles ne sont pas forcément les plus forts, mais ceux qui s’entraident le plus.

Pablo Servigne et Gauthier Chapelle viennent de publier un livre «L’entraide: l’autre loi de la jungle» aux éditions Les Liens qui Libèrent.

Pour présenter son ouvrage, Pablo Servigne était l’invité de « La Grande Table » du vendredi 15 décembre.

Il avait déjà été question de ce livre dans une autre émission de France Culture <Avis critique du 4 novembre 2017>. Dans cette émission, le présentateur Raphaël Bourgois introduisait cet ouvrage de la manière suivante :

« [C’est un essai] du biologiste Gauthier Chapelle et de Pablo Servigne qui est ingénieur agronome. L’entraide. L’autre loi de la jungle est paru aux éditions Les Liens qui Libèrent… c’est un essai qui entend résumer les travaux scientifiques qui de l’éthologie à l’anthropologie en passant par l’économie, la psychologie et les neurosciences ont entamé l’idée, très ancrée dans la pensée occidentale, selon laquelle c’est la compétition entre les espèces qui est la matrice de l’évolution.

Par la multiplication des exemples, ils montrent sans nier le rôle de la compétition, qu’elle est en réalité trop risquée et consommatrice d’énergie et que la nature lui a bien souvent préféré la coopération ou l’entraide. C’est un véritable défi au cynisme et les auteurs s’en rendent bien compte, ils prennent la peine à plusieurs reprises de bien montrer que leur démarche n’a rien d’irénique… il ne s’agit pas de dire qu’il y a une supériorité morale à la coopération plutôt qu’à écraser son voisin… l’enjeu est aussi l’efficacité et la survie.

Le livre fait une place centrale à l’homme mais montre aussi comment les phénomènes de symbiose… à l’origine par exemple de la formation des barrières de corail… offrent une grille de lecture pertinente pour comprendre les comportements au sein d’un groupe, ou bien des groupes entre eux. »

Au début de l’émission « La Grande Table » Pablo Servigne a défini le concept d’entraide :

« L’entraide est, dans le vivant, tout ce qui associe les êtres : la coopération, le mutualisme, l’altruisme. Il y a tout une diversité de manière d’être ensemble.

On a choisi « entraide », parce qu’il […] a une connotation chaleureuse dans le langage courant. [Mais] c’est surtout un clin d’œil au géographe et anarchiste Pierre Kropotkine qui avait publié en 1902 « Mutual Aid: : A Factor of Evolution », un formidable ouvrage qui a été traduit en français et dont le titre traduit utilisait le terme « entraide » et c’est [ainsi] que ce mot a été offert à la langue française. »

Il y a deux ans, Pablo Servigne avait co-écrit avec Raphaël Stevens, au Seuil, un autre ouvrage qui montrait la situation de l’humanité sous un regard plus inquiétant : «Comment tout peut s’effondrer ». C’était un livre qui évoquait toutes les possibilités qui pouvaient conduire à l’effondrement de notre société. Ce nouveau livre constitue une réponse positive, un espoir pour ce qui s’annonce.

«On peut connecter les deux réflexions. Quand nous avons écrit le précédent ouvrage, nous avions fait une synthèse transdisciplinaire, comme nous le faisons maintenant pour l’entraide. […] C’est en lien avec l’entraide. Quand nous faisons des conférences, très souvent la question vient : « est ce que nous allons tous nous entretuer si notre ordre social venait à disparaître, ou allons-nous plutôt nous entraider ?  » Avec Gauthier Chapelle et Raphaël Stevens nous pensons plutôt que nous arrivons à l’âge de l’entraide.»

La thèse défendue par ces auteurs est qu’il faut combattre l’idée est que la nature est gouvernée par le seul égoïsme, la loi de la jungle, la loi du plus fort. Il y a moyen d’imaginer autre chose. Ils pensent, en fait, que nous ne sommes pas prédestinés à l’égoïsme préprogrammé de nous entretuer, en tout cas pas davantage qu’à l’option de nous entraider :

«Nous sommes toujours à l’heure des choix. […] Ce que l’on remarque surtout c’est que notre société est en train de se décomposer. Je prends la métaphore de l’arbre : Il y a un grand arbre qui s’effondre, mais c’est parce qu’il s’effondre que les jeunes pousses peuvent émerger. Nous sommes à ce moment, à ce carrefour. Il y a plein de jeunes pousses prêtes à se développer, il y a une nouvelle société qui émerge. On le voit avec la société de la collaboration, avec le peer to peer, l’économie collaborative tout cela est en train d’émerger, tout cela est très puissant. Cela ne fait pas encore société, mais on voit un vieux monde qui s’effondre.»

En écho au mot du jour de vendredi, il revient à la critique de l’organisation pyramidale en la confrontant à la nature et à l’organisation du vivant :

«Les entreprises à hiérarchie pyramidale sont des anciens modèles qui ne tiennent plus la route.
[…] La hiérarchie pyramidale peut être efficace à court terme, mais cela ne tient pas à long terme. Dès que les conditions du milieu changent, l’efficacité disparaît. C’est pour cela que dans la nature on ne voit presque pas de hiérarchie pyramidale.»

La thèse la plus porteuse d’espoir de cette pensée est le constat que si dans les sociétés d’abondance, la compétition est de rigueur, dans les périodes de rareté ou de pénurie l’entraide et la collaboration se développent davantage. Dans la catastrophe, les hommes montrent des signes positifs de résilience. Selon Pascal Servigne nous serions naturellement des êtres collaboratifs.

«Globalement l’idée du livre, ce n’est pas du tout de nier qu’il y a de la compétition. Au contraire, mais il s’agit d’arrêter de nier qu’il y a de l’entraide partout. C’est plutôt une invitation à rééquilibrer le curseur. D’ailleurs lorsqu’il y a de l’entraide ou de la coopération il y a toujours un peu de compétition. A l’inverse, quand on voit qu’il y a de la compétition, on s’aperçoit aussi qu’il y a de la collaboration derrière. […]

Quand on observe les autres êtres du vivant, c’est fascinant. Il y a énormément de découvertes, en ce moment. Par exemple des expériences économiques ont mis ensemble des individus pour participer au bien commun. Et ce que les chercheurs ont mis en lumière : quand on stresse les gens, on les force à répondre vite, de manière plus spontanée ils sont plus collaboratifs, plus pro sociaux et quand on les force à réfléchir et à utiliser la raison, ils sont plus égoïstes et participent moins au bien commun. Cela corrobore assez bien tous les récits des rescapés et des survivants des catastrophes, des tsunamis des tremblements de terre, des attaques terroristes etc., tous les récits convergent pour décrire qu’il n’y a pratiquement jamais de panique et qu’il y a de l’auto-organisation et des comportements extrêmes d’altruisme.

Et en fait avec Gauthier Chapelle, on est allé voir dans tout l’éventail du vivant, des bactéries, au phyto planctons, aux arbres etc et ce qui est fascinant est que l’entraide émerge quand il y a pénurie, quand le milieu est hostile.

Lorsqu’il y a de l’abondance, le milieu est riche alors la compétition peut émerger. C’est complétement contre intuitif avec l’idée qu’on se fait de la nature et c’est cela qui est fascinant.»

Car en effet, notre intuition surtout celle du consommateur compulsif que nous sommes devenus tendrait à croire que moins il y en a, plus on va se battre pour acquérir le peu qu’il y a.

C’est une grande leçon, c’est notre richesse qui nous pousse à l’égoïsme.

Pablo Servigne évoque sa démarche :

« Je suis plutôt issu d’une formation scientifique de biologie, d’écologie. J’ai étudié les fourmis pendant quelques années. La sociabilité de l’insecte. J’ai été voir ce que les sciences sociales faisaient, je n’étais pas formé à cela et j’ai constaté aussi que les sciences sociales n’étaient pas formées à la biologie non plus. Et ce qu’on a voulu faire, ce sont des ponts, des ponts entre disciplines. […] Cela fait dix ans que je me passionne pour le sujet, chaque discipline était un peu cloisonné et avançait avec ses hypothèses qui pouvaient apparaître contradictoires entre elles.. […] Depuis 5 ans, on arrive à faire des liens, il y a des découvertes majeures qui sortent, en particulier dans la théorie de l’évolution qui permettent d’avoir une vision cohérente de ce que nous avons appelé « l’autre loi de la jungle : l’entraide ».

Si on prend l’exemple des fourmis ou des rats : :

« Chez les rats ou les fourmis, il y a une sorte d’altruisme en famille, Il y a plusieurs types d’entraide dans le monde vivant. L’altruisme, c’est quand un individu se sacrifie pour sa famille. C’est le cas des ouvrières qui ne se reproduisent pas et qui participent donc à un super organisme pour le bien de leur famille. Et puis il y a de la coopération entre les lionnes, la chasse est une compétition, mais les lionnes coopèrent pour chasser. Il y a toujours un peu des deux. Et cela c’est au sein d’une espèce.

Mais il y a des milliers d’études désormais qui montrent la coopération entre les espèces. Les scientifiques appellent cela <les mutualismes>. C’est la pollinisation, la dispersion des graines, les oiseaux qui nettoient les tiques de certains mammifères, il y énormément d’exemples. Et nous avons voulu englober toute la diversité de ces manières de s’associer par le terme la « symbiodiversité ». Chez les humains aussi il y énormément de mécanismes très fins qui font appel à l’empathie, la réciprocité, la réputation, des normes sociales, des institutions, c’est très complexe parce que chez les humains il y a aussi une couche culturelle. Couche culturelle qui existe aussi chez les primates ou les orques. Nous avons tout un éventail de mécanismes et de processus évolutifs.

L’idéologie ambiante de l’hyper compétitivité n’est pas du tout représentatif du monde vivant. Gauthier Chapelle et moi-même avons une sensibilité du monde vivant, de naturalistes, ce n’est pas cela que l’on observe dans la nature.

On n’aurait même pas dû avoir à l’écrire ce livre, on devrait l’apprendre dès la maternelle. On naît dans un bain idéologique qui fait que l’on prend la compétition l’agression pour une donnée naturelle. »

Il ne s’agit pas de sombrer dans une vision utopique de bisounours car Servigne reconnaît que l’homme naît à la fois égoïste et altruiste mais qu’on ne peut ignorer la seconde qualité et que c’est à nous de faire bouger le curseur vers la position qui nous semble la plus pertinente.

«[Nous sommes à un moment où il existe] une opportunité de renaissance. Ce livre n’apporte pas un modèle de société. Ce que j’aime c’est de provoquer des déclics comme moi j’en ai eu à la lecture de tous ces travaux scientifiques. Des déclics qui font des fissures dans notre imaginaire, notre imaginaire ultra compétitif. […]»

Des fissures dans notre imaginaire ultra compétitif !

Il explique ainsi que le cœur du social ce n’est pas du tout le marché ou le dilemme du prisonnier mais c’est vraiment le don et la réciprocité. Mais la réciprocité entre personnes ne suffit pas, car elle peut se diluer dans un grand groupe où l’anonymat règne. Pour stabiliser l’entraide, les humains ont trouvé des mécanismes comme la réputation (je vais coopérer avec cette personne parce qu’elle a bonne réputation et lui j’ai entendu dire que c’est un tricheur qu’il est égoïste, je ne vais pas coopérer avec lui)  Le mécanisme de la réputation est un des ciments de la société, c’est fondamental dans le fait social. Après il y a les normes sociales et la punition des tricheurs… Tous les principes moraux qui font société commencent par cette règle de punir les égoïstes et les tricheurs et récompenser les comportements pro-sociaux.

Mais la pensée de Pablo Servigne est d’une grande lucidité :

«Il y a aussi des écueils à l’entraide. On peut s’entraider pour massacrer ses voisins. Et plus on soude un groupe, plus il y a un risque d’exclusion de ce qui n’appartient pas au groupe. […] Pour souder un groupe on peut créer un ennemi commun.»

Mais il semble que les études scientifiques ont montré que les groupes aussi peuvent s’entraider comme les individus à l’intérieur d’un groupe.

Ainsi nous pourrions espérer que la question du climat pourrait fédérer les humains contre un ennemi commun : le dérèglement climatique. Mais pour l’instant cela a l’air compliqué en raison des différences de taille et d’intérêt entre les acteurs qui négocient.

Il conclut l’émission :

« C’est une boutade de dire que nous arrivons dans l’âge de l’entraide, cela ne signifie pas du tout que nous arrivons dans l’âge des bisounours.
Cela peut être difficile, cela peut être très conflictuel. Mais le pari d’une transition [..] c’est le fait de créer une culture de l’entraide, de coopération par anticipation.
Parce que le problème ce n’est pas vraiment les pénuries, cela fait des centaines de milliers d’années que les humains gèrent les pénuries. Le problème c’est d’arriver dans les pénuries et les tempêtes qui s’annoncent avec une culture de l’égoïsme. Et c’est là qu’on risque de s’entretuer. […] Et l’entraide doit s’élargir au monde vivant non humains si nous voulons continuer à vivre longtemps sur cette terre. »

Le problème c’est d’arriver dans les pénuries et les tempêtes qui s’annoncent avec une culture de l’égoïsme !

Matthieu Ricard commente ainsi ce livre :

« La coopération a été, au fil de l’évolution, beaucoup plus créatrice de niveaux croissants de complexité que la compétition. Il ne fait aucun doute que l’entraide est omniprésente dans la nature. Chez les humains, elle est l’une des manifestations les plus directes de l’altruisme. Elle mène au double accomplissement du bien d’autrui et du sien propre. L’étude pénétrante de Pablo Servigne & Gauthier Chapelle, qui dresse le portrait de cette autre « loi de la jungle », est donc plus que bienvenue à une époque où nous avons tant besoin de favoriser la coopération, la solidarité et la bienveillance, pour construire ensemble un monde meilleur. »

Etes-vous en mesure d’accepter de fissurer votre imaginaire ultra compétitif ?

Il me semble tout à fait convaincant de dire que l’éventail du vivant révèle que l’entraide est absolument partout, qu’elle fait partie des instincts humains, mais aussi qu’elle est là depuis la nuit des temps. Tout le monde est impliqué́ dans des relations d’entraide. Même les plantes, les animaux, les bactéries. Même les économistes. Mais notre société n’a pas voulu voir que dans la jungle, en réalité́, il règne un parfum d’entraide.

SI vous n’êtes toujours pas convaincu…

Napoléon disait un dessin vaut mieux qu’un long discours. Aujourd’hui, il remplacerait le mot dessin par vidéo.

Aller donc voir <cette vidéo filmée> dans le zoo de Budapest : Vous verrez un immense ours et un corbeau qui est tombé dans le bassin d’eau de l’ours. Ce corbeau essaye désespérément de sortir de l’eau et n’y parvient pas, il va mourir. L’immense ours s’approche, il va l’écraser probablement. Eh bien non, il plonge son bras dans l’eau, s’empare du corbeau et le sort du bassin et puis s’en retourne tranquillement manger. Pourquoi a-t-il fait cela ? Quel bénéfice en tire t’il ?

Il montre simplement aux humains figés dans nos certitudes que l’entraide toute simple entre les êtres vivants franchit la barrière de l’espèce.

Je vous rappelle aussi <le mot du jour du 22 septembre 2017> où une vidéo montrait une lionne qui épargnait un bébé gnou.

Peut-être pourriez aussi vous intéresser au « microbiote intestinal humain » où des milliards d’êtres vivants collaborent, sans organisation pyramidale, pour nous aider à vivre et à digérer.

<990>

Jeudi 14 décembre 2017

« Nous avons 3 cerveaux : le cerveau, l’intestin et le cœur »
Frédéric Laloux

Je partagerai demain des réflexions sur le management que fait Frédéric Laloux via cette vidéo où il présente son livre « Reinventing Organizations ».

Au début de cette vidéo, il pose la question à la salle : « Savez-vous combien vous avez de cerveaux ? ».
Cette question ne peut que nous interpeller alors qu’il y a peu, une semaine avait été consacrée à notre cerveau, celui qui est dans notre tête, et qu’on croyait unique.

Et puis il donne sa réponse : trois.

  • Le premier est évident, c’est celui qui se trouve dans notre boite crânienne et qui porte précisément le nom de cerveau.
  • Le second est désormais bien établi c’est l’intestin.
  • Et le troisième est plus surprenant, il s’agirait du cœur.

En premier lieu, il s’agit de définir ce que signifie le terme de « cerveau » dans la question : combien avez-vous de cerveaux ?

Dans cette question ce terme signifie, « un centre de décisions ». Plus prosaïquement cela signifie que l’organe concerné donne des ordres et que nous agissons en suivant cet ordre.

La sagesse populaire ancienne avait annoncé cette réalité :

  • On dit par exemple : « Cette décision, je l’ai prise avec mes tripes ! », donc l’intestin.
  • Et bien sûr, « C’est une décision que j’ai prise avec le cœur ».

Ainsi, selon Frédéric Laloux, nous avons trois cerveaux, parce que nous avons trois systèmes nerveux indépendants, trois  systèmes  neuronaux indépendants  et  complémentaires. L’un  piloté  par  le  cerveau  situé  dans  la  tête,  bien  connu. Un deuxième centre neuronal, de la taille de celui d’un rat de laboratoire, est logé dans le cœur, tandis que le troisième, de la taille de celui d’un chien, est logé dans les intestins.

Mais la communauté scientifique est-elle globalement convaincue ?

Pour les intestins la chose semble établie :

<Un livre a d’ailleurs pour titre : l’intestin notre deuxième cerveau> . C’est un ouvrage de Francisca Joly Gomez, gastroentérologue et professeur en nutrition à L’Université Paris VII Denis Diderot.

Un livre a fait encore plus de bruit, il est l’œuvre d’une jeune allemande : Giulia Enders « Le charme discret de l’intestin »

Certains pensent, à raison probablement que nous avons certainement « digéré » avant de « penser ». Parce que notre système digestif abrite 200 Millions de neurones soit approximativement le même nombre de cellules nerveuses que dans le cerveau d’un chien, comme écrit ci-avant, ou d’un chat  En outre, … il y a 100 fois plus de bactéries dans notre intestin que de cellules dans notre corps. Et il a été démontré dans de nombreuses études que ces bactéries, si elles ont bien un rôle dans notre bien-être digestif, seraient aussi responsables de la manière dont nous « digérons » nos émotions.

Je crois que c’est l’expérience de beaucoup que les émotions peuvent immédiatement impacter notre système digestif.

Mais concernant le cœur, il semble que selon mes recherches, les choses soient un peu moins établies.

Je n’ai pas trouvé de publication scientifique indiscutable.

Sur ce site : « alternative santé » qui est un site spécialisé dans la médecine non conventionnelle, il est affirmé que :

On a découvert que le cœur contenait un système nerveux indépendant et bien développé, avec plus de 40.000 neurones et un réseau complexe et dense de neurotransmetteurs, de protéines et de cellules d’appui. Grâce à ces circuits, il semble que le cœur puisse prendre des décisions et passer à l’action indépendamment du cerveau et qu’il puisse apprendre, se souvenir et même percevoir.

Il existe quatre types de connexions qui partent du cœur et vont vers le cerveau de la tête.

  • Première connexion : neurologique
    Entre cœur et cerveau il y a une communication neurologique au moyen de la transmission d’impulsions nerveuses. Le cœur envoie plus d’information au cerveau qu’il n’en reçoit, il est l’unique organe du corps doté de cette propriété, et il peut inhiber ou activer des parties déterminées du cerveau selon les circonstances. Cela signifie-t-il que le cœur peut influencer notre manière de penser ? Il peut influer sur notre perception de la réalité, et de ce fait sur nos réactions.
  • Deuxième connexion : biochimique
    Le cœur envoie des informations biochimiques au moyen des hormones et des neurotransmetteurs. C’est le cœur qui produit l’hormone ANF, celle qui assure l’équilibre général du corps : l’homéostasie. L’un de ses effets est d’inhiber la production de l’hormone du stress, et de produire et de libérer l’ocytocine, connue comme hormone de l’amour.
  • Troisième connexion : biophysique
    Elle se fait au moyen des ondes de pression. Il semble qu’au travers du rythme cardiaque et de ses variations, le cœur envoie des messages au cerveau et au reste du corps.
  • Quatrième connexion : énergétique
    Le champ électromagnétique du cœur est le plus puissant de tous les organes du corps, 5.000 fois plus intense que celui du cerveau. Et on a observé qu’il varie en fonction de l’état émotif. Quand nous avons peur, que nous ressentons une frustration ou du stress, il devient chaotique. Et se remet-il en ordre avec les émotions positives ? Oui. Et nous savons que le champ magnétique du cœur s’étend de deux à quatre mètres autour du corps, c’est-à-dire que tous ceux qui nous entourent reçoivent l’information énergétique contenue dans notre cœur.

Et l’article continue :

« À quelles conclusions nous amènent ces découvertes ?

Le circuit du cerveau du cœur est le premier à traiter l’information, qui passe ensuite par le cerveau de la tête. Ce nouveau circuit ne serait-t-il pas un pas de plus dans l’évolution humaine ? Il y a deux types de variation de la fréquence cardiaque : l’une est harmonieuse, avec des ondes amples et régulières, et prend cette forme quand la personne a des émotions. L’autre est désordonnée, avec des ondes incohérentes. Elle apparaît avec la peur, la colère ou la méfiance.

Mais il y a plus : les ondes cérébrales sont synchronisées avec ces variations du rythme cardiaque, c’est-à-dire que le cœur entraîne la tête. La conclusion en est que l’amour du cœur n’est pas une émotion, c’est un état de conscience intelligente… N’est-ce pas, finalement, une confirmation supplémentaire de la théorie de la Médecine Chinoise, qui dit que le Coeur est le centre du Shen (terme chinois qui englobe les émotions, la conscience, l’esprit et le psychisme). »

Un autre article développe aussi cette thèse : http://www.epochtimes.fr/le-coeur-fonctionnerait-il-comme-le-cerveau-25065.html

Certains membres de la communauté scientifique sont, pour l’instant, fermés à cette hypothèse. Ainsi Jean-Didier Vincent, neurobiologiste, professeur à l’Institut Universitaire de France et à la faculté de médecine de Paris-Sud affirme avec netteté

« Le cerveau c’est l’origine de l’individuation, nous n’avons qu’un cerveau et nous sommes ce qu’est notre cerveau. Tout se passe dans notre cerveau. Ce n’est pas la raison qui est là, ce sont les sentiments. Si on parle encore du cœur : « Il a du cœur« , c’est toujours le cœur qui garde la prééminence. Pourtant c’est dans le cerveau que tout se passe et pas ailleurs.. »

Pour l’instant, il me semble donc que dire que le cœur est notre troisième cerveau n’a pas encore convaincu toute la communauté scientifique. Mais attendons, peut être que de nouvelles découvertes donneront encore davantage corps à cette  belle théorie.

<988>

Mardi 12 décembre 2017

« Le livre de la nature est écrit en langage mathématique »
Galilée

Je m’aperçois que je n’ai encore consacré aucun mot du jour à la mathématique qui fut pourtant un amour de jeunesse.

Je me suis appuyé sur un article de « Pour la Science » pour trouver l’exergue de ce mot du jour.

Cet article débute ainsi :

« Pythagore et ses disciples pensaient que le secret du monde tenait en quelques mots : « Toute chose est nombre. » Aujourd’hui, la science est parfois tentée de reprendre l’idée pythagoricienne en l’étendant sous la forme « Tout est mathématique », ce que Galilée disait déjà : « Le livre de la nature est écrit en langage mathématique. » Le sens et la portée de ces liens entre la science et les mathématiques sont un permanent sujet d’intérêt. »

Notre Député mathématicien Cédric Villani ne dit pas autre chose : « L’univers est sous-tendu par des concepts mathématiques »

Grâce à Twitter et à un compte qui fait référence au grand mathématicien Fermat (Fermat’s Library), nous constatons une fois de plus que le monde s’explique par les mathématiques.

Alors suivez-moi pas à pas, c’est très simple :

1 jour = 24 heures donc 24 = 4 x 3 x 2

Et 1 heure = 60 minutes donc 60 = 5 x 4 x 3

Et de même 1 minute = 60 secondes, à nouveau 60 = 5 x 4 x3

Pour finir, une mesure un peu plus inhabituelle la milliseconde

Bien sûr 1 seconde = 1000 millisecondes donc 1000 = 10 x 20 x 5 donc (2 x 5) x (5 x 4) x 5 et si on remet dans l’ordre 1000 = 5 x 5 x 5 x 4 x 2

Si vous avez suivi jusqu’ici et que nous repartons au départ :

Nous pouvons écrire 1 jour = (4x3x2) x (5x4x3) x (5x4x3) x (5x5x5x4x2) millisecondes.

Et si vous remettez tout dans l’ordre et utilisez la notation des puissances


La mathématique c’est cela : ordre, rigueur et poésie…

<986>

Vendredi 1 décembre 2017

«A la naissance, un bébé humain distingue l’ensemble des phonèmes humains [mais un] mécanisme d’oubli progressif commence assez tôt avant l’âge d’un an»
Lionel Naccache, « Le cerveau bilingue » 32ème émission de la série « Parlez-vous cerveau ? »

Même ma mère, qui avait arrêté l’école à 14 ans, le disait : « Un enfant apprend mieux une langue étrangère qu’un adulte ». Elle le savait, mais elle ignorait pourquoi.

Lionel Naccache va nous l’expliquer :

« Parler une langue, requière déjà de reconnaître ses phonèmes, les unités de son élémentaire que composent ses mots parlés. Les linguistes ont dénombré plusieurs centaines de phonèmes distincts, à travers les milliers de langues parlées par l’homme.

Premier scoop : chaque langue n’utilise en général que quelques dizaines de phonèmes. 36 précisément en français.
C’est pourquoi un locuteur japonais adulte sera sourd à la différence des phonèmes « re » et « le » qui sont différenciés en français mais pas en japonais. »

Et Lionel Naccache de s’amuser en s’écriant : « palfaitement ».

« Inversement nous sommes sourds à des phonèmes distingués en japonais et non en français. »

Second scoop : merveilleux argument en faveur de l’universalité de l’espèce humaine : A la naissance, un bébé humain distingue l’ensemble des phonèmes humains.

Comment le sait-on ?

Par exemple en comptant le taux de succions d’une tétine par un bébé de trois mois, alors qu’on lui fait écouter des phonèmes. Ce taux de succion augmente, lorsque le phonème change. Ce qui permet donc de vérifier si le cerveau du bébé a fait la différence entre des sons que nous adultes sommes incapables de distinguer, avec ou sans tétine.

Moralité : l’apprentissage d’une langue repose sur un mécanisme de renforcement des sons utiles, mais également un mécanisme d’oubli des sons inutilisés. Ce mécanisme d’oubli progressif commence assez tôt avant l’âge d’un an.

C’est pourquoi notamment l’apprentissage d’une seconde langue sera d’autant plus efficace, qu’il surviendra tôt dans la vie.

Après 25 ans, par exemple, aucun espoir de la parler avec un accent parfait et ceci quelle que soit votre intelligence. »

En 1988, j’avais assisté au mariage d’un ami en Allemagne avec sa compagne allemande. Un moment, la mère de la mariée est venue me voir et m’a posé la question (en allemand bien sûr) : êtes-vous vraiment français ? Je lui ai répondu : Oui pourquoi ? Mais vous n’avez aucun accent ! Quand j’étais bébé, mes deux grands-mères ne parlaient qu’allemand et ce sont donc régulièrement adressées à moi dans cette langue. Je suis assez mauvais en grammaire allemande, j’écris avec pas mal de fautes, mais je parle sans accent. J’ai entendu un discours de Jean-Marc Ayrault, alors premier ministre de la France, lui est agrégé en allemand il connait beaucoup mieux cette langue que moi. Mais quand il parle, il n’y a aucun doute, il n’est pas allemand.

Ce constat : «A la naissance, un bébé humain distingue l’ensemble des phonèmes humains. » est très révélateur. Il signifie qu’un bébé humain ne naît pas français, allemand, espagnol, chinois, sénégalais, israélien, syrien, il le devient.

Lionel Naccache invite bien sûr l’éducation nationale à tirer toutes les conséquences de cette connaissance des neuro sciences :

« La plasticité cérébrale des réseaux impliqués dans la prononciation et la perception des phonèmes présentent donc des périodes critiques. Périodes critiques dont il faudrait s’inspirer pour élaborer les programmes d’apprentissage linguistique à l’école.

Il semble d’ailleurs que l’exposition précoce et la maîtrise de deux langues différentes soit à l’origine d’une meilleure flexibilité mentale. Comme si la gymnastique permanente de savoir jongler entre deux ou trois langues bénéficiait à notre agilité cognitive en général. »

Vous trouverez l’émission de Lionel Naccache derrière ce lien : <Le cerveau bilingue>

J’arrête ici, la série de mots du jour consacré aux 35 émissions de « Parlez-vous cerveau », mais il y en a beaucoup qui sont tout aussi passionnants.

Je citerai particulièrement avec entre parenthèse le numéro de l’émission

  • La prise de conscience (24)
  • La conscience de soi (25)
  • La créativité (26)
  • La société comme un cerveau (28)
  • Le système de récompense (29)
  • La matrice de la douleur (30)
  • Les neurones miroirs (31)
  • Le cerveau de demain (35)

Dans la société comme un cerveau, Lionel Naccache ose une analogie hardie entre la mondialisation et le cerveau humain :

« L’une des facettes de la mondialisation tient au contraste d’une part d’une accélération inédite des moyens de voyager et d’autre part une atténuation sans cesse croissante de l’expérience de dépaysement.

J’ai bougé sans difficulté et en même temps je n’ai pas vraiment bougé, à cause de l’uniformisation du monde.

Cet oxymore du voyage immobile peut être éprouvé à plusieurs échelles spatiales : entre les différents quartiers d’une même ville, entre les différentes villes d’un même pays, ou entre différents endroits du monde. Son illustration, la plus parfaite est <le mall>, le centre commercial identique à Los Angeles, à Paris et à Tokyo.

Ce voyage immobile associe donc l’uniformisation et l’appauvrissement des lieux avec l’augmentation massive de communication entre eux.

Une analogie s’imposa à moi.

Il existe dans le cerveau une situation de voyage immobile marquée par ces 3 propriétés : Excès de communication entre lieux cérébraux, uniformisation et appauvrissement de ces lieux, c’est une crise d’épilepsie.

Ce qui reviendrait donc à traduire en langue du cerveau, l’expression «méfaits de la mondialisation» par crise d’épilepsie.
Une crise d’épilepsie du monde.

Or, dès qu’une crise d’épilepsie s’étend dans notre cerveau et gagne le réseau cérébral de la conscience, que se passe t’il ?
Le patient demeure éveillé, il continue à agir de manière automatique, mais il perd conscience.

Si nous rebasculons du côté du macrocosme social, un nouveau concept apparaît alors :
Celui d’une perte de conscience épileptique d’une société. »

Il pousse l’analogie un peu loin, vous ne trouvez pas ?

En tout cas tout cela est passionnant vous trouverez les 35 émissions derrière ce lien

<J’ai trouvé aussi ce site qui a pour vocation de comprendre le cerveau et son fonctionnement>

<979>

Jeudi 30 novembre 2017

« Le cerveau vit dans un temps particulier : le futur du présent »
Lionel Naccache, « Le cerveau parle au futur du présent» 33ème émission de la série « Parlez-vous cerveau ? »

Dans cet épisode, il n’y a pas de révélation aussi étonnante que celles concernant la plasticité ou l’invention du monde que le cerveau réalise à partir des informations envoyées par ce que les yeux voient.

Ici nous sommes dans l’univers de l’intelligence et de la philosophie.

Car Lionel Naccache s’interroge sur le temps du cerveau. Notre cerveau vit au présent mais pas seulement. Il y a un temps particulier plus important pour notre vie.

Car le cerveau anticipe continuellement pour connaître l’univers immédiat futur vers lequel nous nous engageons :

« Contrairement à notre intuition immédiate, notre cerveau ne vit pas au présent. Ou plus exactement pas uniquement au présent.

Il vit dans un temps particulier que j’aime à appeler le futur du présent.

A chaque instant notre cerveau construit ce à quoi devrait ressembler notre futur immédiat. Ce que nous devrions percevoir et vivre dans l’instant qui suit : le futur du présent. »

Lorsque son anticipation est confirmée par la réalité, Lionel Naccache conclut : « le cerveau sourit silencieusement ».

Mais quand le cerveau se rend compte que son anticipation était erronée :

« Il chamboule son modèle du futur à venir. Et cela correspond à d’amples réponses cérébrales que nous enregistrons avec nos outils de neuro-imagerie.

Prenons un exemple.
Imaginons que j’enregistre l’activité de votre cerveau pendant que je vous fais écouter un même son (un bip assez agaçant à mon oreille) qui se répète inlassablement.
Voici la réponse que j’enregistrerai : Une première réponse très ample des zones auditives de votre cortex, liée à la surprise du premier son entendu, suivie de réponses de plus en plus atténuées au fil des bips. »

Lionel Naccache explique que cette atténuation vient de la partie du cerveau qui réfléchit au futur du présent. Car plus le même son se répète, plus le modèle prédictif mis en place constate la diminution de l’incertitude pour l’avenir immédiat. Il peut donc mettre au repos cette fonction.

Ainsi, la partie du cerveau qui pense au présent reste stable, alors que celle qui pense au futur du présent voit son activité tendre vers zéro.

« Bien entendu, si j’arrête brutalement le son. J’enregistrerai une réponse ample de votre cerveau, car il a dû chambouler son modèle du futur immédiat qui vient d’être contredit. »

Et puis Lionel Naccache va plus loin dans son analyse de cette fonction du cerveau à toujours anticiper le futur prévisible :

« Ce n’est pas du cerveau au singulier qu’il faut parler, En réalité il faut imaginer les réseaux de notre cerveau, comme une foule d’acteurs produisant des anticipations différentes de l’avenir. Des anticipations inconscientes mais aussi des anticipations conscientes qui peuvent se jouer, elles, sur des intervalles très long.

Même lorsque nous décidons d’effectuer un geste, nous simulons ce à quoi il devra ressembler et quelles seront les conséquences après son exécution.

En parlant au futur du présent, notre cerveau ne cesse donc d’anticiper ce qu’il va vivre.
Cela fait partie de notre condition humaine.
Une anticipation qui peut constituer un avantage de survie précieux dans un monde dangereux et mouvant.

Une anticipation qui permet aussi d’envisager que le monde puisse être autre qu’il n’est. De simuler mille et un scénarios possibles vers lesquels se projeter.
Une anticipation qui illustre comment le futur pensé par notre cerveau puise dans son passé et aussi dans les données les plus immédiates.

Cet infime décalage entre le présent et le futur du présent est précieux
C’est, en lui, me semble t’il que se joue la seule forme de liberté qui est à notre portée.

Si «time is money» pour certains.
Il n’est pas exagéré d’affirmer que « time is freedom » pour notre cerveau.

Il me semble que nous sommes plus savants de savoir et de comprendre que notre cerveau vit au futur du présent.

Vous trouverez l’émission de Lionel Naccache derrière ce lien : <Le cerveau parle au futur du présent>

<978>

Mercredi 29 novembre 2017

« Notre cerveau est une sculpture vivante ininterrompue »
Lionel Naccache, « La plasticité cérébrale» 17ème émission de la série « Parlez-vous cerveau ? »

Lors de la 16ème émission Lionel Naccache avait évacué scientifiquement le mythe selon lequel nous n’utilisions que 10% de notre cerveau. Les neuro-sciences montrent que nous utilisons bien 100% de notre cerveau.

Mais la plasticité du cerveau permet de dépasser les limites du 100%.

Le cerveau utilisé à 100%, ne cesse de se transformer, c’est ce qu’on appelle la plasticité cérébrale.

Lionel Naccache dit que contrairement au mythe des 10%, la plasticité cérébrale est une réalité quotidienne qu’il va pouvoir nous révéler par des exemples concrets.

Il commence son émission en faisant écouter plusieurs fois un enregistrement d’une phrase reproduite à une vitesse très accélérée. Il prétend qu’au bout de plusieurs essais vous arrivez à la comprendre grâce à la plasticité de votre cerveau.

Moi je n’y suis pas arrivé, mais Lionel Naccache en explique la raison, avec l’âge la plasticité diminue. Je comprends donc que je suis âgé.

Pour celles et ceux pour qui ça marche :

« La structure de votre cerveau s’est modifiée à chaque audition.
Notre cerveau est une sculpture vivante ininterrompue ».

Ce qui est vrai pour cette phrase, sans intérêt, est vrai pour chaque instant de votre existence, depuis votre vie utérine jusqu’à votre dernier souffle.

Notre cerveau est la sculpture de notre vie. Sculpture qui résulte certes de nos actions volontaires : pratiquer telle ou telle activité, apprendre telle ou telle langue, mais aussi de tout ce que nous vivons en relation avec les autres et avec l’environnement dans lequel nous baignons ; indépendamment de tout contexte d’apprentissage.

Si l’on devait choisir une devise pour la plasticité cérébrale, ma préférence irait pour la célèbre citation d’Héraclite : « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». C’est-à-dire que le cerveau ne vit jamais deux fois la même expérience de manière identique.»

Et Lionel Naccache de préciser qu’Il n’existe pas un seul mécanisme de plasticité cérébrale mais de nombreux mécanismes qui mobilisent différentes structures du cerveau : synapse, récepteurs membranaires, neurones, réseau de neurones etc..

Il donne alors trois exemples :

1 – Une étude restée célèbre a montré que la mémoire des lieux et la matière grise des hippocampes, ces GPS du cerveau, sont plus développés chez les chauffeurs de taxi londoniens que chez le commun des mortels. Outre-manche comme ailleurs la structure du cerveau est affectée par l’expérience vécue.

2 – De la même manière les régions visuels du cerveau des aveugles congénitaux sont recyclés en région tactile. Lorsqu’ils lisent un texte en braille avec leurs doigts, ils utilisent la région du cerveau normalement utilisée pour la lecture visuelle.

3 – Le troisième exemple a été rapporté par mon collègue Laurent Cohen et concerne une petite fille à laquelle il a fallu retirer une région déterminante pour l’apprentissage de la lecture à un âge où elle ne savait pas encore lire. Contre toute attente, cette enfant a pu apprendre à lire. Et c’est la région de l’hémisphère droit, symétrique de celle qui lui a été retirée à gauche qui a pris en charge cette fonction qui normalement n’est pas de son ressort.

Les exemples pourraient être multipliés à l’envie.

Il existe des plasticités cérébrales de courtes et de longues durées. Certaines sont accessibles à notre conscience alors que la plupart ne le sont pas.

Pour approfondir ce sujet, je vous conseille cette vidéo de : < Philippe Fait qui fait une conférence TED à Montréal sur la plasticité cérébrale>

Il introduit, en outre, son propos par une présentation du cerveau par des comparaisons qui montrent le côté exceptionnel du cerveau.

Par exemple, le cerveau est irrigué par le sang. Pour ce faire il utilise un réseau de vaisseaux sanguins qui mit bout à bout représentent 160 000 km ce qui permet de faire 4 fois le tour de la terre.

Il compare aussi le diamètre d’un neurone par rapport à celui d’un cheveu : un cheveu c’est 0,1 mm, un neurone 0,004 soit 25 fois plus petit.

Il revient aussi sur l’étude concernant les chauffeurs de taxi londoniens.

Et il évoque une autre expérience où des tests ont été effectués sur le développement de la plasticité chez des sujets âgés. On leur a proposé des exercices intensifs de jonglerie . Même chez les vieux cela fonctionne, le cerveau continue à se développer. Dans l’expérience donnée c’est la partie du cerveau qui gère la coordination des mains qui s’est renforcée. Et quand on arrête pendant un temps les exercices, comme chez tous les individus, l’évolution est réversible et la partie du cerveau qui s’est développé régresse.

Philippe Fait prétend que trois pratiques sont indispensables, à tout âge, pour exercer la plasticité du cerveau

  • Il faut être actif physiquement et aussi cognitivement. Ne jamais cesser d’apprendre des choses nouvelles.
  • Il faut avoir une bonne hygiène du sommeil. Le sommeil réparateur va beaucoup servir à la neuroplasticité, comme d’ailleurs des micro-pauses au milieu de la journée.
  • Enfin avoir une activité sociale, c’est-à-dire inter agir avec d’autres humains.

Vous trouverez énormément de vidéo sur internet parlant de cette plasticité cérébrale. Pour ma part j’ai encore regardé avec beaucoup d’intérêt : <Catherine Vidal, neurobiologiste, directrice de recherche à l’Institut Pasteur>.

Vous trouverez l’émission de Lionel Naccache derrière ce lien : <Plasticité cérébrale>

<977>

Mardi 28 novembre 2017

« Notre cerveau invente le monde qu’il ne voit pas selon ce qu’il suppose qu’il doit être »
Lionel Naccache, « la perception est une construction » 20ème émission de la série « Parlez-vous cerveau ? »

Pour tous ceux qui ont la chance d’être voyant, leurs yeux voient le monde et transmettent ces images au cerveau. Lionel Naccache, nous apprend que la réalité est beaucoup plus complexe. Le cerveau invente, reconstruit, sélectionne les informations qu’il reçoit pour nous offrir l’image que nous voyons.

Lionel Naccache décrit ce phénomène par l’expression : « La perception est une construction ».

« La perception est une construction
Dans cette expression on associe deux notions a priori contradictoires : la perception qui est passivité et la construction qui est action.
Mais les sciences du cerveau nous ont montré que la perception est une action.
Il ne s’agit pas d’un slogan politique mais d’un résultat spectaculaire et puissant des neurosciences de la perception. »

Première transformation : notre cerveau colore les images qu’il reçoit.

« Un exemple simple. Ouvrez grand les yeux et fixez votre regard droit devant vous. Que voyez-vous ?
Je ne prends pas trop de risque pour dire que l’image que vous voyez est colorée.
Oui et alors ?

Alors cela ne va pas de soi.
Les cellules qui tapissent la rétine transforment la lumière en impulsions nerveuses.
Mais il y a un hic.
Nos rétines contiennent deux types de cellules.
Les premières situées au centre sont sensibles aux couleurs, tandis que les secondes ne voient le monde qu’en noir et blanc.

Si le cerveau se contentait de recevoir passivement les informations envoyées par nos rétines nous devrions voir le monde en couleur autour du point que nous observons et tout le reste du monde devrait nous apparaître en noir et blanc.

Quelle implacable conclusion en déduisez-vous alors ?
Notre cerveau colore les images lumineuses qu’il reçoit en noir et blanc. »

Le cerveau efface des informations parasites.

« D’autre part les images qui proviennent de nos rétines contiennent une foultitude d’informations qui n’intéressent personne, comme par exemple les reflets des vaisseaux qui les vascularisent. A nouveau si notre cerveau recevait passivement les informations transmises par nos rétines, nous devrions tout voir à travers un réseau de vaisseaux. En réalité, notre cerveau visuel efface tout ce qui est immobile sur nos rétines, dont les vaisseaux en question. »

Le cerveau stabilise l’image tremblotante que les rétines lui envoient

« Lorsque nous marchons, nos yeux et notre cerveau n’ont de cesse de bouger, ce qui signifie qu’un visage perçu devant nous ne cesse de sauter sur la surface de nos rétines. Conséquence : notre perception visuelle devrait ressembler alors à un film de John Cassavettes tourné caméra à l’épaule

Conclusion : notre cerveau visuel stabilise en permanence les images brutes reçues de nos yeux. »

Le cerveau invente ce que le point aveugle lui cache

Faisons un pas de plus.
Sur le côté de chacune de nos rétines, il y a un trou par lequel passent des vaisseaux et le nerf optique en partance vers le cerveau.
Nous devrions donc percevoir le monde visuel avec deux tâches aveugles sur les côtés.

Conclusion : Notre cerveau remplit ce trou de la rétine par des inventions visuelles de son propre goût.
Ce phénomène de remplissage a été découvert par l’Abbé naturaliste Edme Mariotte dès le XVIIème siècle

Ce point aveugle ou tâche aveugle a été d’ailleurs appelé « tâche de Mariotte ». Il correspond à la partie de la rétine où s’insèrent le nerf optique qui relaye les influx nerveux de la couche plexiforme interne jusqu’au cortex cérébral, ainsi que les vaisseaux sanguins arrivant à l’œil et quittant l’œil. Dans la pratique, il s’agit donc d’une petite portion de la rétine qui est dépourvue de photorécepteurs et qui est ainsi complètement aveugle. (Citation de wikipedia)

« Notre cerveau invente le monde qu’il ne voit pas selon ce qu’il suppose ce qu’il doit être.

Il se passe donc énormément de choses en coulisse pour que nous soyons en mesure de voir ce que nous voyons. Le cerveau nous permet de voir ce qui nous intéresse, ce que nous cherchons, ce qui fait sens pour nous et pour ce faire il colorie, efface, stabilise, remplit, invente, sélectionne.

La conclusion de Lionel Naccache :

« La perception est une construction active permanente de notre cerveau.
Une construction qu’on pourrait presque dire qu’elle se joue les yeux fermés. »

Vous trouverez l’émission derrière ce lien : <La perception est construction>

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Lundi 27 novembre 2017

« La double vie des hippocampes »
Lionel Naccache, « L’hippocampe» 10ème émission de la série « Parlez-vous cerveau ? »

Le cerveau est le siège des fonctions cognitives.

De manière plus empirique, il est l’organe qui commande, qui raisonne et qui donne des ordres. C’est un organe d’une complexité inouïe qui nous permet de percevoir, découvrir et agir sur le monde qui nous entoure.

Quand nous disons « Je », le cerveau joue le rôle principal dans cette manifestation de l’identité.

Cet été, sur France Inter, à 8h52, pendant 4 minutes et 35 chroniques le neurologue Lionel Naccache, a raconté le cerveau dans une émission qu’il a appelé « Parlez-vous cerveau ? »

En quelques minutes, il racontait le fonctionnement d’un des rouages de notre cerveau.

Les premières émissions ont conduit à présenter les différents éléments du cerveau : Le neurone, la glie, les neurotransmetteurs, les récepteurs membranaires, la synapse, les réseaux de neurones, le cortex cérébral, les ganglions de la base, le lobe frontal, le corps calleux, le cortex visuel, l’aire de Broca etc.

Il a résumé ces premières émissions par cette formule brillante mais austère :

« Le neurone communique avec ses congénères au niveau des synapses sous l’œil bienveillant des cellules gliales et ce grâce à des neuros transmetteurs qui se fixent sur des récepteurs membranaires. »

Le journal La Croix avait présenté cette émission de la manière suivante :

« C’est une des pépites de l’été. Tous les matins, sur France Inter, le neurologue Lionel Naccache raconte en quelques minutes le fonctionnement d’un des rouages de notre cerveau. »

Vous trouverez l’ensemble de ces 35 émissions derrière ce lien.

Pour ma part j’en ai choisis 5 pour cette semaine de mots du jour, pour partager les informations qui m’ont le plus étonné ou même fasciné.

Parmi les différentes structures étudiées celle qui m’a le plus intrigué est l’hippocampe qui existe en deux exemplaires présents, de manière symétrique, dans chaque hémisphère.

Lionel Naccache commence sa chronique de la manière suivante :

« Lové dans les profondeurs de nos lobes temporaux siègent effectivement deux hippocampes. L’un à droite, l’autre à gauche. C’est à dire deux petites régions dont la forme épouse fidèlement celle d’un véritable hippocampe. Ces mignons petits poissons du cerveau sont en réalité de véritables palais de la mémoire. »

Puis il nous apprend que les hippocampes mènent une double vie.

« Tout commence en 1953, lorsque un jeune canadien épileptique subi une intervention chirurgicale, terriblement efficace, qui consista à lui enlever ses deux hippocampes. Intervention efficace car il n’a plus jamais fait de crise d’épilepsie jusqu’à son décès à l’âge de 82 ans. Mais intervention terrible aussi, car il lui a été impossible depuis lors de mémoriser le moindre nouveau épisode de son existence. Les hippocampes sont tout simplement indispensable à la création de nouveaux souvenirs conscients. »

Vous trouverez dans la revue <Pour la science> un article sur cette opération et les conséquences scientifiques qu’elle entraîna. On apprend aussi que ce patient a été opéré à l’âge de 27 ans.

La capacité d’assimiler de nouveaux souvenirs constitue la première vie des hippocampes.

« En 1971, le biologiste John O’Keefe découvre que chez le rat des neurones de l’hippocampe code la position que l’animal occupe dans l’espace. Il baptise ces neurones « les cellules de lieu ». Ces cellules de lieu existent aussi dans nos hippocampes humains où ils jouent une véritable fonction de GPS cérébral.

A chaque instant :

– Nous savons où nous nous trouvons ;
– Nous pouvons nous orienter ;
– Nous souvenir des lieux ;
– Les imaginer grâce à ce système de navigation.

Voilà pour la deuxième vie de nos hippocampes. »

Outil de la mémoire et GPS, Lionel Naccache montre que ces deux fonctions sont reliées.

« Mais cette double vie sert la même cause.
Il s’agit ici d’une découverte scientifique majeure. La mémoire des épisodes de notre vie et notre orientation spatiale reposent sur le même système cérébral.
Une illustration ?
Lorsque nous déambulons et vivons des scènes de notre vie quotidienne, les GPS de nos hippocampes codent nos trajectoires.
La nuit, lorsque nous sommes plongés dans les profondeurs du sommeil, nos GPS se rallument et se mettent à jouer, en accéléré, ces trajectoires de la journée. Des centaines de fois !
Conséquence, ce replay nocturne permet de consolider les souvenirs des épisodes que nous avons vécus au cours de cette journée.
La mémoire des lieux sous-tend ainsi la mémoire des scènes que nous avons vécu.»

 

Et ainsi Lionel Naccache en appelle aux grands anciens qui connaissaient ce lien sans connaître l’hippocampe et son utilité :

« Dès l’antiquité, Cicéron avait remarqué qu’une excellente méthode pour apprendre, par cœur, une longue tirade consiste à imaginer une promenade dans un lieu familier, une rue, une maison et à déposer chaque fragment du texte en question sur une étape de cette navigation mentale. C’est ce qu’on appelle « la méthode des lieux » encore appelé « méthode des palais de la mémoire »

Vous trouverez plusieurs articles sur internet concernant la méthode des lieux appelés aussi « La méthode des loci », Wikipedia confirme que plus récemment on l’a appelé « palais de la mémoire ». C’est une méthode mnémotechnique, ou « art de mémoire », pratiquée depuis l’Antiquité.

Le comité Nobel a, attribué son prix 2014 de physiologie et médecine à John O’Keefe associé à un couple de Norvégiens, May-Britt et Edvard Moser pour les récompenser pour leurs découvertes sur les «cellules qui constituent un système de géoposition dans le cerveau», une forme de GPS biologique et cellulaire embarqué dans une précieuse région du cerveau. C’est ce qu’expliquait le comité Nobel dans son souci de vulgariser ce que peut être l’apport des sciences fondamentales au service, proche ou lointain, de la médecine. Vous pourrez lire ces réflexions dans cet article du site <Slate.fr>

Vous trouverez l’émission de Lionel Naccache derrière ce lien : <L’hippocampe>

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