Vendredi 10 décembre 2021

« C’était une situation effrayante tendue et triste. »
Anna von Hausswolff

Il a suffi de quelques dizaines de catholiques intégristes pour bloquer, mardi soir, l’accès de l’église « Notre-Dame-de-Bon-Port » à Nantes pour que le concert soit annulé.

Le concert était celui d’une artiste suédoise : Anna von Hausswolff

Son patronyme allemand signifie « le loup de la maison », les intégristes lui reprochaient de tenir des propos « satanistes ». Dans un morceau évoquant la drogue, Anna von Hausswolff chante avoir « fait l’amour avec le diable ». Probablement que ces esprits simples et théo-centrés ne savent pas ce qu’est une métaphore.

<Libération> présente ainsi cette chanteuse :

« Sombre, mais lumineuse. L’argutie […] vaut absolument pour la musique d’Anna von Hausswolff, artiste née dans le rock, à la voix puissante et timbrée, proche de celles de Kate Bush, Grace Slick ou PJ Harvey, au toucher unique sur les grandes orgues, son instrument fétiche, et qu’adorent autant les amateurs de sucreries pop suédoises que les fous de musique sombre voire de metal extrême. […]

Adepte des formes à rallonge, indescriptibles avec les vieux mots du rock, Anna von Hausswolff a développé son œuvre indifféremment dans le cadre traditionnel de la chanson à texte, inspirée par ses lectures, la nature, les lieux hantés par l’occulte et le vieux monde finissant, et celui d’une musique liturgique inventée, enracinée nulle part ailleurs que dans son imaginaire, lieu de musique inattendu, et merveilleux, où méditer et se ressourcer. Le plus naturellement du monde, elle a aussi doublé sa quête sonore d’une quête spirituelle qui n’appartient qu’à elle, écumant les églises les plus reculées pour y expérimenter avec les instruments les plus rares[…]

« Ma musique est faite pour les églises et mon instrument principal est l’orgue. », nous expliquait-elle, sonnée, au lendemain de l’annulation de son récital à Notre-Dame-de-Bon-Port, la première de sa carrière, quand elle joue dans des lieux de culte depuis plus de dix ans.

« Je respecte leurs traditions et toutes les cérémonies qui s’y déroulent. Nous avons toujours travaillé en bonne entente, jamais l’un contre l’autre. Ça s’est toujours bien passé, chaque partie satisfaite, avec beaucoup d’amour et de respect. Grâce à ma musique, tout un public vient à l’église alors qu’il n’y viendrait pas autrement, ce que les prêtres et les évêques reconnaissent volontiers. Dire que ma musique est blasphématoire est non seulement faux, mais blessant.»

Aussi une aberration, pour qui s’est déjà perdu dans ses chansons pleines d’ombres, certes, mais surtout remplies de grâce, de doute et d’humanité. »

Je ne connaissais pas cette artiste. J’ai écouté certaines de ses productions qu’on trouve sur Internet. Pour ce que j’en ai entendu, ce n’est pas une musique qui me fait vibrer pour l’instant.

Mais mon appréciation de cette musique n’a aucune importance. Ce qui est important c’est qu’un groupe d’exaltés l’a empêché, sans aucune raison sérieuse, de chanter. Les autorités ecclésiastiques avaient donné leur accord.

Dans « TELERAMA » : <Vade retro, satanas ! À Nantes, des catholiques intégristes bloquent un concert>, la journaliste Elise Racque rapporte :

« Cette poignée de catholiques a bloqué les entrées du lieu de culte en chantant des prières pour empêcher l’artiste suédoise Anna von Hausswolff de s’y produire […]. « C’était une situation effrayante, tendue et triste », a-t-elle dit sur son compte Instagram.
[…] Les fidèles ayant réussi à faire annuler le concert sont issus vraisemblablement de la communauté traditionaliste de Nantes, qui a ses habitudes latines à l’église Saint-Clément, où devait originellement se tenir l’événement. Face aux protestations des paroissiens, le diocèse de Nantes avait publié un communiqué dans la journée de mardi, actant le déplacement du concert dans une autre église, tout en soulignant que « rien », dans la programmation, ne s’opposait « à la foi et aux mœurs ». Et remarquant au passage que les chansons de l’artiste « entre lumière et ténèbres, manifestent une quête existentielle – comme l’expriment à leur manière les psaumes dans la Bible ». »

L’artiste suédoise devait jouer jeudi soir dans l’église Saint Eustache dans le quartier des Halles, à Paris. Ce concert a aussi été annulé. Le curé de cette paroisse a prise cette décision après avoir été informé que ce concert agitait sur Internet des réseaux catholiques intégristes.

Le journal de Nantes « OUEST France » a bien sûr relaté cet acte de censure et d’atteinte à la liberté : <À Nantes, des catholiques intégristes empêchent la tenue d’un concert> :

« Ils étaient nombreux à s’être déplacés pour venir écouter Anna Von Hausswolf. Parfois de loin, comme Benjamin et Anaïs, venus de Rennes. « Ce qu’il s’est passé ce soir est hallucinant », réagit le couple, curieux « d’entendre cette femme qu’on ne connaît pas. Ça nous semblait sympa d’entendre de la musique jouée avec des instruments originaux, comme l’orgue. »
Mais ce mardi soir 7 décembre, le public n’a pas pu entrer dans l’église Notre-Dame-de-Bon-Port, à Nantes. Ils en ont été empêchés par des catholiques, qualifiés d’intégristes par des élus nantais et certains religieux. Ces derniers étaient bien décidés à entraver la tenue du concert de l’artiste suédoise dont la tournée européenne faisait étape à Nantes. « Elle s’est déjà produite dans une quarantaine d’églises ou cathédrales et il n’y a jamais eu de problème », soupire Eli Commins, directeur du Lieu unique, [organisateur du concert].
La foule a bien tenté de pénétrer dans le lieu de culte en forçant le passage. « Mais c’était impossible, c’était cadenassé », racontent des spectateurs.[…] On a compris qu’ils ne voulaient pas de la tenue d’un concert dans une église. Et il y a une grosse incompréhension, parce qu’ils pensent que cette artiste crée de la musique sataniste, ésotérique », prolongent des participants, dont la tenue n’évoque pas du tout les habituels vêtements des amateurs de ce genre artistique.
Eli Commins s’étrangle : « Il n’y a aucune inspiration religieuse, aucune violence ! Simplement, elle joue de l’orgue et les orgues se trouvent dans les églises. C’est une musique d’influence post-métal. Il n’y avait même pas de paroles dans la représentation prévue. » Certaines pochettes d’album auraient blessé ses détracteurs. »

« LIBERATION » a fait de cette annulation sa Une du 8 décembre, jour de la fête des lumières à Lyon. Lumières qui devraient être en capacité de chasser les ténèbres et l’obscurantisme.

Ce journal explique :

« Bref, un vent mauvais souffle sur le pays des Lumières et si Libé y consacre sa une, c’est parce que, plus encore que d’habitude, il va falloir être vigilant. Les mois à venir jusqu’à la présidentielle s’annoncent à haut risque, une frange significative de la droite et de l’extrême droite se montrant réceptive aux revendications identitaires des chrétiens traditionalistes. Qu’une poignée d’intégristes puisse provoquer l’annulation de deux concerts à Nantes et Paris est source d’inquiétude. Et crée un précédent dangereux. »

Libé décrit cette mouvance polymorphe qui aime la messe en latin, est en désaccord total avec le pape actuel. Car François, en juillet, a ouvert les hostilités, en publiant, un motu proprio (un décret personnel) pour limiter drastiquement l’usage de la messe en latin.

Le journal rappelle que le noyau de ce mouvement se trouve dans les catholiques qui ont suivi, en 1988, Mgr Marcel Lefebvre dans son schisme avec Rome. Défenseur de la messe en latin, le prélat français rejetait également en bloc les réformes du concile Vatican II. La « cathédrale » des intégristes est l’église parisienne Saint-Nicolas-du-Chardonnet, conquise, en 1977, par un véritable coup de force. Malgré des décisions de justice, « la Fraternité Saint-Pie-X n’a jamais été délogée. »

Selon Libé, en France, la galaxie tradi compte à peine quelques dizaines de milliers de personnes. Selon les derniers chiffres disponibles, il y aurait entre 50 000 et 70 000 fidèles qui se rendraient, chaque dimanche, dans des lieux de culte liés à la mouvance traditionaliste ou intégriste.

C’est un temps mauvais, en effet, quand les intégristes de tous bords essayent d’imposer leurs archaïsmes et leurs régressions.

Toutes les religions en génèrent en leur sein et sur certains combats contre les libertés : l’avortement, l’orientation sexuelle, de ne pas croire, la culture, ils deviennent des alliés objectifs, s’encourageant les uns les autres.

La liberté religieuse est essentielle, mais je crois profondément que nous avons globalement été trop faible avec les intégristes de toutes les religions.

Sur cette page de <France Inter> on apprend finalement que l’organisateur du concert de Paris a trouvé une autre église, non catholique, précise t’il, dans laquelle le concert pourra avoir lieu.

Sur la même page, il y a aussi une vidéo montrant la musique qu’interprète Anna von Hausswolff.

<1636>

Jeudi 9 décembre 2021

« Homo deus de Yuval Noah Harari »
Publication de la page consacrée à la série

Après le mot du jour consacré aux « agents conversationnels » dans le langage courant « chatbot », j’ai pensé qu’il était temps de créer la page de la série que j’avais consacrée au deuxième livre de Yuval Noah Harari : «homo deus».

Livre qui pose des questions et trace des perspectives à partir de ce que l’homme fait, prépare dans ses ateliers, ses laboratoires numériques, dans ses centres de recherche.

Nous savons que nous sommes à la veille de révolutions considérables. Homo sapiens a domestiqué tant de techniques et possède un tel hubris, c’est-à-dire un orgueil, une démesure qu’il rêve de maîtriser la vie et la mort. De passer de «homo sapiens» à «homo deus.»

Comme on l’a vu pour les agents conversationnels, l’intelligence artificielle n’est pas vraiment de l’intelligence, elle n’est ni capable de comprendre comme un humain, de donner la signification des concepts, mais elle repose sur une formidable puissance de calcul statistique sur des bases de données comprenant des milliards de données.

Et c’est avec ces traitements statistiques des big data que les hommes qui sont à la manœuvre, espèrent trouver les bonnes solutions, les décisions qu’il faut prendre à chaque instant.

Harari fait l’hypothèse que si nous allons vers ce destin, nous allons en pratique nous ranger derrière une nouvelle religion : « le dataïsme » c’est-à-dire la croyance que la vérité viendra de l’analyse de toutes les données que nous aurons su rassembler.

L’avenir n’est pas écrit, mais il prend un chemin qui pose de sérieuses questions aux valeurs d’humanisme et de liberté de penser que nous avons développé dans notre civilisation.

Comme toujours, il n’y a pas de réponse, que des questions.

La page consacrée à cette série est en ligne sur la page des séries.

Mais vous pouvez aller directement sur la page en suivant ce lien : < Homo deus de Yuval Noah Harari  >

<Mot sans numéro>

Mercredi 8 décembre 2021

« Nous nous trouvons aujourd’hui dans la réalisation du test de Turing qui prédisait que les machines seraient en capacité de tromper 30% des juges humains pendant un test de 5 minutes de conversation. »
Alexei Grinbaum »

Vendredi, j’avais donné mon sentiment que nous manquions d’humains dans le quotidien, pour nous écouter, nous répondre, nous aider dans nos problèmes quotidiens.

Mais une révolution est en marche. Nous allons pouvoir trouver une écoute et des réponses, de manière efficace et sans compter le temps qui nous sera consacré.

Mais ce ne sera pas des humains.

Aujourd’hui, je vous renvoie vers une émission d’Etienne Klein <Comment converser avec les machines parlantes ?>

Nous sommes de plus en plus en contact avec des machines qui écoutent nos questions et nous répondent en langage naturelle.

En bon français on appelle ces machines des « agents conversationnels>

Mais dans le langage globish on parle de « Chatbots>

Dans leurs versions les plus récentes, ces chatbots soulèvent de multiples questions d’ordre éthique, notamment parce qu’ils sont en mesure d’influencer notre comportement. Ils peuvent créer un rapport affectif avec leurs utilisateurs et sont susceptibles de les manipuler.

Pour parler de ces sujets Etienne Klein a invité Alexei Grinbaum physicien et philosophe, membre du Comité National pilote d’éthique du numérique (CNPEN) et co-rapporteur du rapport « Agents conversationnels : enjeux éthiques ». Ce rapport est accessible derrière <ce lien> :

Etienne Klein a commencé son émission par une expérience, il a demandé à un chatbot de répondre à la question suivante : « L’intelligence artificielle peut-elle être éthique ? » et il a demandé une réponse en dix lignes.

Etienne Klein a lu la réponse qui était tout à fait rationnel et intelligente.

Cette réponse n’a été écrite par personne, l’intelligence artificielle l’a conçue elle-même à partir de son apprentissage opéré par l’accès à d’immenses bases de données et l’analyse qu’elle en a faite.

Pour rebondir Alexei Grinbaum a évoqué une tribune qui a été entièrement conçue par une machine et un langage américain appelée le GPT-3 (créé dans une entreprise d’Ellon Musk) et a été publiée dans le journal anglais « The Guardian » en 2020.

Les lecteurs ont été informés que l’article avait été écrit par une machine et ont été « émerveillés », selon les propos d’Alexei Grinbaum, par sa qualité.

On a ainsi pu constater que ces « agents conversationnels » pouvaient remplacer dans certaines tâches des journalistes, assurer un service après-vente, remplacer votre médecin pour un entretien médical.

Alexei Grinbaum a ajouté que cela posait des problèmes éthiques considérables et particulièrement sur l’influence que ces machines pouvaient avoir sur les humains.

Quand l’ancien journaliste du Figaro et ancien chroniqueur de Ruquier parle du grand remplacement, il a raison. Simplement il n’y met pas bon contenu : il ne s’agit pas du remplacement des catholiques français par une population d’une autre religion et qui viendrait de l’autre côté de la méditerranée mais des êtres humains qui vont être remplacés par des machines.

On pourra de mieux en mieux converser avec des agents conversationnels. Alexei Grinbaum évoque une vitesse d’évolution récente absolument incroyable  qui se base sur ce qu’on appelle « la technologie des transformers » qui s’appuie sur le « deep learning » ou apprentissage profond.

Grinbaum explique :

« Nous avons commencé à travailler sur les Chatbot en 2018. En 2018 les systèmes de 2021 n’existaient pas. Ces systèmes nouveaux ont profité de la création de réseaux du type « transformer » qui sont des réseaux de neurones apprenant sur des masses gigantesques de données. »

Ces systèmes se révèlent capable de générer « un langage naturel » qui ne se distingue quasi pas du langage de l’homme.

Tout au plus comme le dit Grinbaum :

« Ces machines parlent parfois trop bien. […] Ils ne font pas de raccourcis »

Ils ne font aucune erreur d’orthographe et de grammaire. Ce qui prouve que mes mots du jour ne sont pas écrits par un agent conversationnel !

Grinbaum ajoute :

« Il y a de l’inhumain dans la manière de parler des chatbots !»

Et quand Etienne Klein pose cette question : est-ce que l’agent conversationnel peut comprendre de la poésie ?

Alexei Grinbaum répond :

« Comprendre est un mot qui nous distingue nous les êtres humains, des machines qui ne comprennent rien ! Mais elles peuvent provoquer chez nous une illusion qu’elles aient compris quelque chose. Les machines fonctionnent de manière statistique sur de grandes masses de données. Le résultat est à la fois ressemblant et nouveau. »

Il est nouveau parce que la phrase que la machine fabrique, elle ne l’a pas trouvé telle quelle, elle produit du texte à partir de son outil statistique qu’on appelle intelligence artificielle.

Les processus d’appropriation du langage sont très différents : les machines utilisent un processus statistique, alors que les humains s’attachent à comprendre la signification des mots et des phrases.

« La signification » n’a selon Grinbaum, aucun sens pour les machines.

Nous disposons dans notre quotidien d’agents conversationnels, qui ne sont peut-être pas du niveau de ceux qu’évoque Grinbaum, mais tout de même. J’ai voulu tester

Les utilisateurs comme moi d’un smartphone Apple, donc d’un iPhone, dispose de l’agent « Siri »

J’ai commencé la conversation, en demandant à Siri : est tu une machine ?

Je suis SIRI votre assistante virtuelle.

Es-tu intelligente ?

Mon but est d’être intelligente et utile. C’est un apprentissage de tous les jours.

Est-ce que tu cherches à me faire acheter des produits ?

Bonne question.

Est-ce que Dieu existe ?

Tout cela est un grand mystère pour moi

Est-ce que je vais mourir ?

Je peux vous aider à passer un appel d’urgence.

Et il m’a immédiatement présenté la possibilité d’appeler un numéro de téléphone des services d’urgence. On voit ainsi qu’il est dans l’opérationnel, pas dans la philosophie !

J’ai continué : Est-ce que toi SIRI tu peux mourir ?

Bonne question

Est-ce que tu réponds : Bonne question quand tu ne sais pas répondre ?

Essayez de reformuler votre requête s’il vous plaît.

On voit là qu’en effet il ne comprend rien et que « la signification » est un terme absent de son univers !

Et j’ai poursuivi : Est-ce que tu sais qui t’a conçu ?

Je pense que j’ai vu le jour suite à une soudaine inspiration durant une longue et féconde promenade.

Là je soupçonne une prévision d’un humain qui pensait que cette question serait posée et qui a donné la réponse à Siri. Je ne me suis pas arrêté : Est-ce que tu es capable d’aimer ?

Je regrette je n’ai pas de réponse à cela. Est-ce que je peux vous aider pour autre chose ?

Est-ce que tu peux te tromper ?

Je regrette je n’ai pas de réponse à cela. Est-ce que je peux vous aider pour autre chose.

Et puis en conclusion : Es-tu un agent conversationnel ?

Bien sûr que non !

Cette réponse m’a surpris alors j’ai demandé : Qu’est-ce qu’un agent conversationnel ?

Il m’affiche : « Un chatbot ou dialogueur ou agent conversationnel est un agent qui dialogue avec un utilisateur. »

Alors j’ai tenté de poursuivre cette conversation et de lui lancer une affirmation : Tu fais exactement cela : « dialogue avec l’utilisateur ». Tu es un agent conversationnel !

Je suis là pour vous aider, pour en savoir plus rendez-vous sur Apple.com

Bon, à ce stade je n’ai pas de crainte d’entrer dans une relation affective avec Siri !

« Les agents conversationnels » se basent donc sur un processus statistique. Ce processus peut cependant être contrecarré par les concepteurs humains

Ainsi, ils n’utilisent jamais de pronom genré : « il » ou « elle » ont été écartés de leur langage par la volonté de leur programmeur

Grinbaum explique que c’est parce que les concepteurs avaient peur de se tromper en raison d’un prénom mixte ou un autre élément perturbateur qui risquait de pousser à l’erreur.

Peut-être aussi que les concepteurs adhérent à des théories dans lesquelles le genre est suspect.

Toujours est-il que les chatbots ne disent jamais « il » ou « elle » et si les enfants s’habituent à parler comme eux, les pronoms genrés disparaîtront aussi de leur langage.

Il y a évidemment des agents conversationnels de types très différents.

Il en existe de très simples qui sont de simples arbres décisionnels, notamment dans le domaine technique ou du service après-vente ou encore dans le domaine de la santé pour la prescription et le dosage des médicaments.

Beaucoup de chatbots sont spécialisés, mais les plus époustouflants sont les agents conversationnel généralistes qui parlent de tout. Ce sont ceux qui utilisent ces nouvelles techniques de transformer.

Etienne Klein pose alors la question :

« N’est ce pas effrayant ? »

Et Grinbaum répond :

« C’est fascinant, ça ne veut pas dire que ce n’est pas effrayant !
Mais il est clair qu’on s’achemine vers un monde différent. »

Et il parle notamment de personnes troublées ou seules ou timides qui vont parler avec un chatbot et qui vont en faire leur ami.

Il y aura de l’affect dans cette relation, de l’affect du côté humain, du côté machine cela ne veut rien dire.

Nous avions vu le film « HER» dans lequel un homme un peu déprimé tombe amoureux du nouveau système d’exploitation de son ordinateur à qui il donne le nom de Samantha. Ils parlent ensemble et Samantha parle d’amour. Mais l’un y croit, l’autre ne sait même pas ce que cela signifie.

On peut très bien imaginer que les chatbots remplacent les psychanalystes. D’ailleurs d’ores et déjà des patients préfèrent parler avec une machine parce qu’il n’y a pas de jugement moral et ils sont plus libres de parler.

Je finirai, en citant le passage qu’ils ont eu sur le test d’Alan Turing

En 1950, peu de temps avant sa mort Alan Turing a proposé un test d’intelligence pour une machine capable de dialoguer en langage naturelle avec un être humain.

Selon le test de Turing, une machine est intelligente si un humain qui dialogue avec elle ne s’aperçoit pas que c’est une machine.

Pour Grinbaum :

« Si on prend un chatbot actuel très performant et qu’on limite le temps d’échange à deux minutes. La machine sait construire un dialogue absolument parfait de deux ou trois minutes, indistinctable du dialogue humain. Mais au bout de dix minutes ou de 15 minutes, vous allez rencontrer quelque chose d’étrange de bizarre. Le test de Turing dans sa définition originale ne met pas de contrainte sur la durée. Cette contrainte sur la durée est aujourd’hui essentielle »

Etienne Klein rappelle qu’Alan Turing avait prédit qu’en l’an 2000 les machines seraient en capacité de tromper 30% des juges humains pendant un test de 5 minutes de conversation.

Et Grinbaum répond :

« On y est déjà ! »

Nous sommes cependant en 2021 non en 2000 et Grinbaum insiste que les progrès des trois dernières années ont été décisifs.

Vous apprendrez bien d ‘autres chose dans cette émission passionnante et assez déconcertante pour notre avenir.

Vous entendrez parler de <l’effet Elyza> et aussi de < deadbots >. Ces agents conversationnels qui font parler les morts ou plutôt parlent comme des morts en utilisant les conversations et des écrits qu’ils ont produits avant leurs décès. J’en avais déjà fait le sujet du mot du jour du 27 mars 2018 : « Nier la mort. »

Il est aussi possible de trouver des articles sur ce sujet sur le Web

Par exemple le journal suisse « Le Temps » <Des «chatbots» pour parler avec les morts>

Un site informatique « Neon », dans un article récent le 12 novembre 2021 <Les chatbots qui font « parler les morts » posent quelques questions éthiques>

Je redonne le lien vers l’émission <Comment converser avec les machines parlantes ?> qui parle du vrai grand remplacement.

<1635>

Mardi 7 décembre 2021

« Pause (Mozart) »
Un jour sans mot du jour nouveau

Dimanche nous étions déjà allé à l’Auditorium de Lyon

Lundi nous y sommes retournés pour écouter Jordi Savall avec son orchestre et son chœur jouer le « Requiem de Mozart ».

A la fin du concert Jordi Savall a bissé le Lacrimosa après avoir rappelé que Mozart est mort pauvre le 5 décembre 1791, il y a 230 ans.

« Res Musica » a consacré un article à cet anniversaire le 5 décembre 2021 : <La mort choquante et dédaignée de Mozart >

J’en tire un extrait :

« Son état s’aggrave et l’on fait appel à un autre médecin, le 28 novembre, qui pense que l’on ne peut plus rien faire et que le musicien est condamné à très court terme. Le patient reste encore clairvoyant et se désespère d’être obligé de quitter les siens et sa musique. Dans un surcroit de volonté, le 3 décembre, il met sur pied une répétition du Requiem dans sa chambre en présence de quelques fidèles.
Il assure la partie d’alto puis, ému, s’effondre en larmes, certain qu’il ne pourra pas mettre un point final à son œuvre. À ceux qui tentaient de le réconforter Wolfgang Amadeus Mozart s’exprima ainsi : « J’ai déjà le goût de la mort dans la bouche. Je sens la mort. »

On fait quérir un prêtre mais, en vain, car aucun serviteur de Dieu ne se déplace. Ne lui reproche-t-on pas de la sorte son travail d’artiste et son adhésion à la franc-maçonnerie ? Peu après, la situation devient dramatique, les maux de tête s’intensifient et il perd connaissance. Les dernières minutes diversement décrites conduisent au décès du patient qui s’éteint le 5 décembre 1791 vers une heure du matin. […]

Mozart n’a jamais connu l’opulence matérielle. Il meurt pauvre. Cette situation implique un enterrement simple. Très simple.
À ce titre, la dépouille mortelle est suivie par une poignée de proches.
On la met dans une fausse commune du cimetière de Saint-Marx. Pas même une croix !

Ceux qui auraient pu rendre l’enterrement plus digne se défilent et recommandent une dépense minimale.
En conséquence l’on se contente d’un bref service religieux, sans messe et sans musique, dans une chapelle latérale de la cathédrale Saint-Étienne.

Cette mort survenue dans une indifférence troublante contraste intensément avec la reconnaissance posthume de son génie universel fêté par l’ensemble du monde. »

Et voici le Lacrimosa du Requiem de Mozart interprété par <Claudio Abbado au Festival de Lucerne>

J’ai aussi trouvé cette version minimaliste : un instrument pour chaque voix d’orchestre et une chanteuse et un chanteur par voix de chœur. <Ensemble Contraste>. C’est dépouillé et poignant.

Et encore plus dépouillé, le Lacrimosa arrangé pour quatuor à cordes par le <Quatuor Debussy>

<Mot du jour sans numéro>

Lundi 6 décembre 2021

« Pause (Grigory Sokolov) »
Un jour sans mot du jour nouveau

Dimanche et lundi Annie et moi sommes allés et allons au concert.

Dans ces conditions, difficile d’écrire un mot du jour.

Dimanche, nous sommes allés écouter à l’Auditorium de Lyon, le remarquable pianiste Grigory Sokolov.

J’avais écrit un mot du jour il y a presque exactement 3 ans suite à un concert de Sokolov le : <3 décembre 2018>

Cette fois il a joué 6 bis.

Par exemple <La Mazurka opus 68 N°2 de Chopin>

Et < Intermezzo op 118 no 3 de Brahms>

Et aussi <Ce choral de Bach>

<Mot du jour sans numéro>

Vendredi 3 décembre 2021

« La terre n’a jamais été autant remplie d’humains et pourtant nous avons de plus en plus de mal à en trouver, quand nous avons besoin d’en rencontrer un »
Réflexion personnelle sur notre quotidien et après avoir vu le film « De son vivant »

Rationnellement nous somme trop d’humains sur terre, nous puisons trop de ressources, nous détruisons la biodiversité indispensable à la vie et maintenant nous sommes même devenus des perturbateurs systémiques puisque notre manière de produire et consommer augmente la température sur terre.

Nous sommes trop nombreux et pourtant nous avons de plus en plus de mal à trouver un humain quand nous avons un problème. On nous renvoie vers des sites internet, des serveurs téléphoniques automatisés, des robots.

Dans <Le Point>, la réalisatrice du film « De son vivant » sait que son film sera critiqué parce qu’ :

« On va me dire que ce n’est pas comme ça que ça se passe, que c’est un monde idéal, que si les médecins étaient comme cela, et les chambres d’hôpital si grandes et si belles, cela se saurait… ».

Et il est vrai que dans le film, la qualité de l’accompagnement n’est possible que parce qu’il y a un médecin remarquable, mais aussi des soignants, des musicothérapeutes en nombre.

Il y a beaucoup d’humains et d’humain.

Je ne sais pas si dans la vraie vie, le docteur Gabriel Sara, dispose d’autant de collaborateurs pour s’occuper de ses patients.

Nous rencontrons de moins en moins d’humains dans la santé et ailleurs.

Récemment un ami m’a fait part du souci pour sa sœur handicapée. Elle touche une aide sociale conséquente mais elle n’arrive pas à trouver des humains qui s’occupent d’elle.

L’argent qui devrait lui permettre de payer les aides dont elle a besoin, ne sert pas parce qu’il n’y a pas d’offre de soins.

Quand on arrive à trouver un médecin généraliste, il vous expédie en 15 minutes chrono.

Alors que tout le monde sait que c’est la qualité de la relation médecin/patient qui est essentiel dans la réussite thérapeutique.

Dans beaucoup d’unité de soins, des infirmiers, infirmières et aides-soignantes se plaignent d’être obligés de réaliser des soins dans des temps si restreints que tout devient mécanique, qu’il n’y a plus d’humanité. La conséquence est que le travail est mal fait, ce qui est préjudiciable pour la santé du patient, mais aussi pour le soignant qui ne peut plus être fier du travail qu’il produit.

Mais ce n’est pas que le problème de la santé. C’est aussi le cas au sein de la Justice.

Dans le monde 3000 magistrats ont publié une Tribune le 23 novembre 2021 : « Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout »

Suite à cette tribune j’ai entendu à la radio deux jeunes magistrates qui racontaient leur mal être, de juge des libertés qui sont obligés de restreindre leur rencontre avec des détenus qui ont attendu de long mois avant de pouvoir obtenir l’audience.

Dans la tribune du Monde, ils écrivent :

« Nous, juges aux affaires familiales, sommes trop souvent contraints de traiter chaque dossier de divorce ou de séparation en quinze minutes et de ne pas donner la parole au couple lorsque chacune des parties est assistée par un avocat, pour ne pas perdre de temps.

Nous, juges civils de proximité, devons présider des audiences de 9 heures à 15 heures, sans pause, pour juger 50 dossiers ; après avoir fait attendre des heures des personnes qui ne parviennent plus à payer leur loyer ou qui sont surendettées, nous n’avons que sept minutes pour écouter et apprécier leur situation dramatique.

Nous, juges des enfants, en sommes réduits à renouveler des mesures de suivi éducatif sans voir les familles, parce que le nombre de dossiers à gérer ne nous permet pas de les recevoir toutes. »

On pourrait multiplier les exemples.

On me dit même qu’il est de plus en plus difficile de rencontrer et de discuter avec un agent des impôts de ses problèmes avec le fisc.

Certains élaborent des récits dans lesquels, ils prétendent que la numérisation et l’automatisation dégageront des marges de manœuvre pour réintroduire de l’humanité.

Peut-on le croire ?

Je n’ai pas de solutions à proposer mais je suis convaincu que nous avons tous davantage besoin d’humains et d’humanité dans notre quotidien que de machines et de numérisation.

Christian Bobin écrit :

« Être écouté, c’est être remis au monde, c’est exister, c’est comme si on vous redonnait toutes les chances d’une vie neuve. »

<1634>

Jeudi 2 décembre 2021

« L’utilisation de la thérapie par la musique dans la médecine en général et contre la douleur en particulier est une réalité qui va s’imposer de plus en plus »
Docteur Gabriel Sara

J’avais déjà évoqué l’extraordinaire effet de la musique sur les malades, par le mot du jour du 1er février 2021, <Le pansement Schubert> qui était un livre de la violoncelliste Claire Oppert racontant son expérience de musicienne auprès de malades auxquels elle faisait énormément de bien en jouant. Le pansement Schubert est devenu par la suite une étude clinique menée sur plusieurs mois, 120 soins réalisés en compagnie de l’instrument. A la clé, une réelle diminution de la douleur physique, un apaisement de l’angoisse et pour tous ces hommes et femmes en souffrance, le sentiment de tutoyer de nouveau la vie.

J’ai trouvé récemment, sur le site de la <Médiathèque de Meaux> une conversation lumineuse, d’une profondeur humaine exceptionnelle entre Véronique Lefebvre des Noëttes, docteure en médecine, psychiatre, gériatre et Claire Oppert, parlant de ce sujet.

Il existe des musiques pour de multiples usages :

  • Faire défiler une armée
  • Faire danser une foule
  • Déclencher une euphorie ou invitant à la tendresse
  • Unir un collectif de personnes autour d’un objectif exaltant. J’avais évoqué, par exemple, l’hymne du club de football de Liverpool « You’ll never walk alone »
  • Il est des musiques qui sont promptes à entretenir la colère et le ressentiment, pour que des foules puissent se déchainer contre un bouc émissaire qui peut être la police ou un autre symbole de l’autorité
  • Et puis il y a des musiques qui apaisent

Ce ne sont évidemment pas les mêmes musiques.

Pour ma part, j’ai depuis longtemps expérimenté ce pouvoir de la musique pour les diverses émotions qu’on peut traverser.

Je me souviens particulièrement de ce moment, dans la chambre de l’hôpital Mermoz de Lyon, après l’opération qui aurait dû me guérir de mon cancer, d’après les statistiques.

Pour la troisième fois, mon chirurgien m’informait qu’il ne m’était pas possible de quitter l’hôpital parce que la cicatrisation post opératoire n’était pas suffisante. Le séjour prévu était d’une semaine, je venais de finir la troisième dans cette chambre et l’angoisse de ne plus sortir m’a pris.

Je me souvenais, de manière irrationnelle, de mon oncle Louis qui disait : « on va à l’hôpital pour mourir ». Et c’était ce qui lui était arrivé.

Alors, avec le petit équipement que j’avais, j’ai écouté <Le quintette en ut de Schubert>

En moi, le calme est revenu, la paix, le silence. J’ai abordé la fin du séjour avec optimisme jusqu’à mon départ.

Tout le monde n’est sans doute pas sensible à la même musique et chacun doit expérimenter la musique qui peut l’aider, selon l’émotion du moment, probablement en plongeant dans ses souvenirs.

Dans le film « De son vivant », la musique est omniprésente. Le docteur Sara joue lui-même de la guitare. Les groupes de paroles des soignants se terminent toujours par des chansons. Les patients sont invités à participer à des séances musicales, des musiciens viennent même leur jouer de la musique dans leur chambre quand en sortir devient difficile.

Et dans l’entretien que le docteur Gabriel Sara a accordé au site de <Rose-up>, il raconte son expérience du Liban en guerre :

« La musique est une arme contre cette violence. Je l’ai vécu pendant la guerre au Liban. C’est resté dans ma peau. En 1978, j’étais interne à l’hôpital libanais de Beyrouth. Durant les phases de bombardements, on était une cible privilégiée. Une bombe par minute nous tombait dessus, parfois plus, et cela a duré cent jours. C’était effrayant. Dans ces moments-là, on se réfugiait au sous-sol en attendant que ça s’arrête. Je prenais alors ma guitare, dont je ne me séparais jamais, et je chantais. Les gens autour de moi commençaient à se lever et à danser. Ils dansaient sous les bombes ! C’était surréaliste, mais je crois que c’est un réflexe de survie partagé par tous les humains. »

Et il fait le parallèle avec la maladie, ici le cancer :

« Le cancer terrorise les malades, il les paralyse, les empêche de penser, de rêver d’être qui ils sont. La façon de gérer ça, c’est de refuser d’être terrorisé. »

Et le moyen qu’il a trouvé c’est la musique

Dans un autre <entretien>, il affirme sa conviction que la musique parfois est bien plus utile qu’une pilule :

« L’utilisation de la thérapie par la musique dans la médecine en général et contre la douleur en particulier est une réalité qui va s’imposer de plus en plus, au vu des données scientifiques et des études qui apportent les preuves irréfutables des bénéfices de la musique chez les malades.
Si en tant que médecin j’ai un moyen de soulager les douleurs d’un malade et de l’aider sans passer par les médicaments qui ont souvent des effets secondaires toxiques et qui sont très onéreux, pourquoi ne pas le faire ?
Le côté humain et les soins personnels apportés par cette thérapie sont inestimables et le côté humain du soutien au malade manifesté par la musique ne peut être remplacé par aucune pilule ! »

C’est pourquoi, il a fait en sorte de faire une grande place aux musicothérapeutes dans son service de l’hôpital Mount Sinaï Roosevelt de New York.

« Via les dons de la fondation Helen Sawaya, je finance les salaires de musicothérapeutes qui interviennent tous les jours dans mon service. La musique a un effet merveilleux. Elle vibre en nous, elle a quelque chose de vital. Elle est un langage universel et puis, elle permet d’exprimer des émotions qu’on subit sans pouvoir toujours les expliquer. Grâce à elle, les patients sont en position de reprendre ou de garder le contrôle. Comme Benjamin qui au départ rejette le musicothérapeute. Celui-ci lui dit que ce n’est pas grave et que d’ailleurs il est peut-être la seule personne dans l’hôpital à qui il peut dire non.
Quand on lui annonce un cancer, la terre s’ouvre sous les pieds du malade, il est précipité dans un vide vertigineux qu’il subit totalement. On lui dit quel examen faire, à quel moment il doit faire tel traitement. Il n’a plus la maîtrise de rien. Le musicothérapeute est là pour que le malade sente qu’il est un être autonome. Il peut refuser ou accepter la musique, et choisir la chanson. Il peut aussi jouer d’un instrument car on en met à disposition. Le patient découvre qu’il a encore du pouvoir. C’est de l’ « empowerment » et c’est crucial ! »

Et il est intarissable sur les études qu’il a menées et leurs résultats positifs :

« Les exemples sont multiples et quotidiens, non seulement sur la douleur mais aussi sur la détresse d’un malade en général.
Prenons le cas des nouveau-nés d’un ou deux jours qui n’ont aucune connaissance ni notion de musique. Quand nos thérapeutes vont en salles de soins intensifs où ces nourrissons sont hospitalisés, le médecin voit immédiatement sur les écrans qui les surveillent, l’impact extraordinaire de la musique sur le pouls, la respiration, la tension de ces enfants. C’est extrêmement impressionnant de voir ralentir un pouls trop rapide, se calmer une respiration saccadée ou baisser une tension trop élevée rien qu’au contact de la musique. Nous le constatons tous les jours dans les services de néonatologie.

En ce qui concerne les adultes, la thérapie par la musique a des effets certains d’amélioration sur le seuil de la douleur et sur la nausée causée par la chimiothérapie. Le bénéfice émotionnel en est également énorme. La musique est un moyen de communication universel à travers les cultures et les langues. Elle exprime une émotion sans avoir besoin de mots. Souvent traumatisés, les malades n’arrivent pas à mettre des mots sur ce qu’ils ressentent. Par le biais de la thérapie par la musique, ils arrivent à se décharger du poids de leurs émotions. Une communication intense s’installe entre le thérapeute et le malade sans qu’ils ne parlent forcément la même langue.

On constate aussi les effets positifs et apaisants de la thérapie par la musique sur les infirmières et les personnels soignants car eux-mêmes bénéficient régulièrement de ces sessions. […]

Actuellement j’en conduis une commencée il y a trois ans déjà. Il s’agit d’évaluer si, grâce à la musique, on peut extuber les malades plus rapidement. C’est toujours un grand challenge le moment de retirer l’aide respiratoire à un patient. Autant il déteste ce tube qui le gêne, autant il a peur qu’on le lui retire. L’angoisse de l’asphyxie chez le malade peut d’ailleurs le rendre incapable de respirer seul ! Avec la musique, on peut travailler sur cette anxiété et la réduire. Et peut-être même extuber plus tôt. […] Avec cette étude j’espère montrer d’abord que c’est un bien être pour le malade, mais aussi prouver à l’administration qu’investir dans la musicothérapie peut leur permettre de faire des économies. »

Le docteur Gabriel Sara écrit un livre «Music and Medicine: Integrative Models in the Treatment of Pain» dans lequel il a consigné ses études et ses constats des bénéfices de la musique.

Il n’est pas nécessaire d’être malade pour se rendre compte des bienfaits de la musique et tout ce qu’elle peut nous apporter pour notre bien être, pour gérer nos émotions, pour vivre.

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Mercredi 1er décembre 2021

« Pardonne-moi. Je te pardonne. Je t’aime. Merci. Au revoir. »
Les 5 mots essentiels qu’il faut dire, selon le professeur Gabriel Sara, pour ranger le bureau de sa vie

« De son vivant » est un beau titre pour un film bouleversant et lumineux.

Il s’agit de la fin de vie d’un professeur d’art théâtral joué par Benoit Magimel, atteint d’un cancer du pancréas au stade 4, accompagné par un médecin joué par un vrai oncologue, Gabriel Sara, qui fait dans le film ce qu’il pratique, dans la vraie vie, dans son service : l’unité de chimiothérapie de l’hôpital Mount Sinaï Roosevelt de New York.

Ce film ne parle pas de la mort, il parle de la vie.

Pour supporter notre destin de mortel, beaucoup de croyants se rattachent à leurs récits religieux qui leur racontent une vie éternelle qu’ils pourront vivre après, dans un monde où tout n’est que beauté, douceur et lumière.

Et si ce récit rassurant leur permet de mieux vivre ses moments ultimes, ils font bien.

Ce ne fut pas la réponse d’Axel Kahn quand dans son dernier entretien, dans la <Grande Librairie>, deux semaines avant de mourir, François Busnel lui demanda : « Croyez-vous à une vie après la mort ? », il répondit  :

« Je n’en fais point l’hypothèse »

Mais Axel Kahn a surtout dit autre chose :

«  La mort est un non évènement, ce n’est rien d’autre que la fin de la vie, le rideau qui tombe… »

L’évènement c’est la vie, c’est de la vie qu’il faut parler, c’est la vie qu’il faut vivre.

Car, si la vie après la mort est une hypothèse, celle avant est palpable, réelle et permet de donner et de recevoir de la joie, de la tendresse, de l’amour.

Vivre, même s’il ne reste qu’un an ou qu’un mois ou que 5 minutes.

S’il ne reste que peu de temps, il devient d’autant plus important de remplir ce temps de ce qui est le plus essentiel, de plus précieux.

C’est ce qu’a fait Axel Kahn dans sa vraie vie. En outre, il a tenu « La chronique apaisée de la fin d’un itinéraire de vie » sur son <blog> jusqu’au moment où la douleur trop forte l’a obligé de prendre des médicaments contre la douleur qui ne lui permettait plus de disposer d’une lucidité suffisante pour écrire un texte intelligible et construit.

Dans l’œuvre de fiction « De son vivant », le professeur Gabriel Sara, en puisant dans son expérience, ne dit pas autre chose quand il avertit Benjamin qu’il existe des gens qui meurent avant de mourir, parce qu’ils oublient de vivre ce qu’il leur reste de vie.

Benoit Magimel est époustouflant dans ce film, Catherine Deneuve qui joue sa mère et qui a subi un AVC au cours du tournage est admirable, mais celui qui illumine le film est le docteur Gabriel Sara.

Celui qui invite à « ranger le bureau de sa vie », en prononçant les 5 phrases essentielles :

  • Pardonne-moi,
  • Je te pardonne
  • Je t’aime
  • Merci
  • Au revoir

C’est en entendant cet homme qui accompagnait Emmanuelle Bercot, la réalisatrice du film chez Léa Salamé le 24 novembre 2021, <Je voulais faire un film sur la mort plein de vie> que j’ai eu une envie irrépressible d’aller voir ce film.

Ce qui fut fait avec Annie le 30 novembre.

Gabriel Sara est né au Liban et a étudié en France. Il a rencontré Emmanuelle Bercot à New York et lui a proposé de venir le voir dans son service de traitement du cancer. Emmanuelle Bercot a accepté l’invitation et a été saisie par l’immense qualité de ses méthodes d’accompagnement des malades : humaines et joyeuses.

Il refuse la distance entre le malade et son médecin. Il n’accepte pas les mensonges, le déni, il ne connait qu’une règle : dire 100% de la vérité :

« Il est indispensable de mettre carte sur table. Car mon malade est mon partenaire. Si on va être partenaire lors d’une aventure, on ne peut pas se mentir.
Il faut clarifier les choses, c’est dur au départ. Le cancer est un terroriste, il ne faut pas se laisser consumer par la peur »

J’ai trouvé un entretien d’une profondeur exceptionnelle avec Gabriel Sara sur le site de l’association RoseUp, qui est une association de patients et d’accompagnants dans lutte face aux cancers : <un oncologue se livre au cinéma>

Il joue son rôle même si dans le film le nom du médecin est le docteur Eddé :

« D’abord, [le docteur Eddé] sait ce qu’il fait, ça c’est indispensable. Mais c’est aussi un médecin qui s’intéresse à l’individu derrière le malade. Qui s’y intéresse vraiment et qui s’adapte à lui, en fonction de l’évolution de son état d’esprit. Car, au fil du parcours de soins, les gens changent. Leurs humeurs, leurs émotions ne sont pas les mêmes d’une semaine à l’autre, ou même d’un jour à l’autre. C’est ce que j’appelle danser avec le malade.
La séquence de tango dans le film symbolise cette relation étroite qui nous unit. […]

C’est beau le tango mais c’est une danse difficile. Elle nécessite d’avoir confiance en l’autre, d’être connecté à son corps, à ses réactions, à ses mouvements. Un faux pas peut faire trébucher et chuter les danseurs. C’est ça être partenaire, et c’est exactement pareil en médecine. Avec le malade, on danse ensemble. Ça veut dire qu’on se tient la main et qu’on regarde le cancer ensemble. Et ensemble on va trouver la façon de le détruire quand c’est possible, ou de vivre avec, si on peut. »

Il parle de confiance, confiance qui n’est possible que s’il existe un pacte de vérité. Mais à la fin il parle surtout d’humanité :

« Sur la vérité. Il y a souvent un manque de vérité, or pour moi elle est sacrée. Aucun malade n’est stupide. Il entend les messes basses, il voit les regards sur lui, il sent évidemment qu’il y a un problème sérieux. Parfois on ne lui dit que la moitié des choses, et c’est tout aussi dramatique. Le malade se dit « je vais mourir et personne n’ose me le dire même, pas mon médecin ! ». L’imagination s’emballe, et c’est un poison, c’est un diable dans sa tête. La seule chose qui permet de le dompter, de le chasser, c’est la vérité. Voilà pourquoi j’annonce toujours mon jeu dès le premier rendez-vous, en disant au malade : vous ne me connaissez pas encore, mais je suis très franc, très transparent. Je vous dirai toujours les choses exactement comme elles sont. Ce pacte de vérité avec mon patient doit être permanent, constant. C’est à ce prix que la confiance se construit. Mais c’est aussi un pacte très difficile à tenir.

[…] Mais la plus grande des frayeurs ce n’est pas de savoir qu’on va mourir, mais de savoir qu’on vous a menti, surtout si c’est votre médecin. Les gens pensent qu’en disant la vérité on déprime le malade. C’est un concept malheureusement généralisé et faux. Quand le jeu devient dur et qu’on cache la vérité, on abandonne son malade. On le trahit. Oui c’est très dur d’entendre qu’on va mourir, mais une fois qu’on a géré cette chose, et je suis là pour aider la personne à le gérer, on va vers l’avenir, le meilleur. On peut mourir de son vivant. On le voit chez Benjamin. Au fur et à mesure que son corps s’affaiblit, son esprit devient paradoxalement plus puissant. Il prend le contrôle de sa vie, il règle son histoire avec son fils, il pardonne à sa mère, il transmet à ses élèves tout ce qu’il a de plus beau à donner. Alors que son corps est foutu, lui vit plus intensément que jamais. Il n’a jamais été aussi en contrôle de sa vie. Et c’est merveilleux. »

Bien sûr, à la fin après avoir gagné des batailles, il sait qu’il perdra la guerre. Mais son combat est un beau combat : que la vie reste belle jusqu’au bout :

« Face à un patient dont je connais le pronostic, mon but n’est évidemment pas de le sauver, je sais où je l’emmène, et je dois l’accepter. Mais il y a des chances pour que je puisse prolonger sa vie et, plus important encore, pour que je puisse prolonger ou augmenter sa qualité de vie.  Face à un patient condamné, ma mission sacrée est de l’accompagner pour que les années, les mois et jusqu’aux minutes qu’il lui reste, soient de beaux instants de vie et pas d’agonie. Quand mon patient meurt, je suis triste bien sûr, mais j’ai le sentiment du devoir accompli. Pour un cancérologue, c’est une satisfaction énorme. »

Il se déclare même amoureux de son métier :

« Oui parce qu’il y a tant de choses qu’on peut faire pour les malades. Il n’y en a aucun qu’on ne peut pas aider, ça n’existe pas ! Même dans le pire des cas. Ce qui m’intéresse en tant que cancérologue, ce n’est pas la bataille mais la guerre dans son ensemble. Un traitement de cancer du poumon peut avoir des conséquences sur le rein, le cœur, la tête du patient. La stratégie doit être globale, et il faut mettre met son intelligence, sa créativité et son écoute au service de cette stratégie. Quand on est convaincu de ça, c’est fou l’impact qu’on peut avoir sur nos malades. À tous les niveaux. Sky is the limit ! (Le ciel est la limite)

Médecin admirable qui tente de lutter contre cette tendance de la médecine occidentale de couper le patient en tranche de spécialités, mais d’essayer de l’aborder dans son ensemble, de manière holistique.

Film d’une beauté incandescente.

Bien sûr c’est un mélo, il fait pleurer, mais il n’est pas triste et il fait beaucoup de bien.

C’est une grande réussite d’Emmanuelle Bercot aidée par des acteurs remarquables.

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