Vendredi 14 octobre 2016

« Les contradictions sociales du capitalisme contemporain »
Nancy Fraser, 38ème conférence Marc Bloch

Depuis lundi les mots du jour tournent autour de l’économie, des affaires, du profit et de l’argent qui corrompt.

Hier nous parlions du « consensus de Washington » qui selon les spécialistes a imposé le néo-libéralisme au monde par l’action du FMI et de la banque mondiale, en imposant des solutions dogmatiques aux pays endettés. Parallèlement la financiarisation de l’Économie a progressé.

Aujourd’hui je vous invite à une réflexion d’une autre consistance. Elle est l’œuvre d’une grande intellectuelle américaine, Nancy Fraser née en 1947. Elle est philosophe, enseigne la science politique et la philosophie à la New School de New York. C’est aussi une féministe affirmée, ce qui n’est pas pour me déplaire. Elle a été invitée par l’École des Hautes Études en Sciences Sociales à participer, le 14 juin 2016, à la 38ème conférence Marc Bloch.

Vous trouverez le discours de cette conférence <ICI>, je vous invite à le lire, vous apprendrez beaucoup.

Je vais essayer de vous en dire quelques mots, à ma manière, et d’instiller une saine curiosité.

On pourrait décrire ce dont nous avons parlé depuis lundi comme d’une pièce de théâtre qu’on voit se jouer devant nous. Beaucoup en parle, les journalistes, les économistes, les politiques. Mais il existe en coulisse des choses essentielles qui se passent. Si ces choses n’existaient pas, la pièce de théâtre ne pourrait se jouer. Sur scène, nous sommes dans le monde des échanges marchands, dans la recherche du profit, dans la vie économique telle qu’on la raconte dans les livres et les écoles de commerce. Dans ce monde, la partie mâle de l’humanité reste largement prédominante. Nancy Fraser ne parle pas de théâtre, c’est une invention personnelle pour présenter sa réflexion.

Dans les coulisses se trouve le monde du « Care » selon le terme utilisé par Nancy Fraser, du «prendre soin » si on parle français, mais Nancy Fraser utilise le concept de « Reproduction sociale ».

Nancy Fraser évoque :

« les « pressions qui, de nos jours s’exercent, de toutes parts, sur toute une série de capacités sociales essentielles, à savoir la mise au monde et l’éducation des enfants, la sollicitude envers amis et membres de la famille, la tenue des foyers et des communautés sociales, ainsi que, plus généralement, la pérennisation des liens sociaux. Historiquement, ce travail de « reproduction sociale », comme j’entends le nommer, a été assigné aux femmes, bien que les hommes s’en soient aussi toujours en partie chargés. Etant à la fois affectif et matériel, souvent non rémunéré, c’est un travail indispensable à la société. Sans cela, il ne pourrait y avoir ni culture, ni économie, ni organisation politique. Toute société qui fragilise systématiquement la reproduction sociale ne peut perdurer longtemps. Et pourtant, c’est aujourd’hui précisément ce qu’est en train de faire une nouvelle forme de société capitaliste »

Nancy Fraser inscrit cette réflexion dans 3 étapes historiques :

La première phase est celui du capitalisme libéral et concurrentiel au XIXe siècle. Le temps où massivement l’exode rural a poussé les pauvres vers les villes et les centres industriels. Dans un premier temps, les femmes et les enfants dès leur plus jeune âge étaient mobilisés pour le travail productif, pour des salaires de misère, dans un univers de pauvreté et de misère sociale incommensurable. Mais les combats sociaux ainsi que la pensée humaniste venant de la bourgeoisie ont abouti à des lois qui ont réglementé le travail des enfants et aussi des femmes.

« Le second régime est celui du capitalisme géré par l’État du XXe siècle. Fondé sur la production industrielle à grande échelle et le consumérisme domestique dans son centre, soutenu par la poursuite de l’expropriation coloniale et post-coloniale dans sa périphérie, ce régime a internalisé la reproduction sociale à travers l’engagement de l’État et des entreprises dans la protection sociale. Faisant évoluer le modèle victorien des sphères séparées, ce régime promut ce qui de prime abord pouvait sembler plus moderne : l’idéal d’un « revenu familial », » c’est-à-dire qu’un seul salaire devait permettre de faire vivre une famille. C’était bien évidemment celui de l’homme de sorte que la femme puisse s’occuper de la reproduction sociale. »

Elle ajoute cependant : « même si, encore une fois, un nombre relativement limité de familles pouvaient l’atteindre. ». Cette seconde étape se caractérise par l’émergence et la consolidation de l’Etat providence ou l’Etat social.

Et puis nous arrivons à notre époque :

« Le troisième régime est celui du capitalisme financiarisé et globalisé de notre époque. Les activités de production manufacturière sont délocalisées dans les régions à bas coûts salariaux ; les femmes ont été intégrées à la main-d’œuvre salariée ; enfin, le désengagement de l’État et des entreprises de la protection sociale est encouragé. Il y a bien externalisation des activités de care vers les familles et les communautés, mais dans le même temps leurs capacités à les mettre en œuvre ont été atrophiées. Dans un contexte d’inégalités croissantes, il en résulte une organisation duale de la reproduction sociale : marchandisée pour ceux qui peuvent payer, « familiarisée » pour ceux qui ne le peuvent pas – l’ensemble se retrouvant enjolivé par l’idéal encore plus moderne de la « famille à deux revenus » »

Nancy Fraser, à travers ce regard décalé de la « reproduction sociale » examine l’ensemble des questions économiques. Elle explique ainsi la dette :

« Le principal moteur de cette évolution du capitalisme, et le trait caractéristique du régime actuel, est la dette. La dette est l’instrument par lequel les institutions financières mondialisées font pression sur les États pour réaliser des coupes claires dans la dépense sociale, pour imposer l’austérité et plus généralement pour agir de concert avec les investisseurs afin d’extraire de la valeur des populations sans défense. A mesure que les emplois de service mal payés et précaires remplacent le travail industriel protégé par la négociation syndicale, les salaires tombent en dessous des coûts socialement incompressibles de la reproduction ; dans cette « économies des petits boulots », le maintien des dépenses de consommation impose d’accroître la dette des consommateurs, celle-ci augmentant donc de manière exponentielle. En d’autres termes, c’est de plus en plus à travers la dette qu’aujourd’hui le capital se nourrit du travail, discipline les États, transfère la richesse depuis la périphérie vers le centre et, tel une sangsue, extrait de la valeur des foyers, des familles, des communautés et de la nature.

Il en résulte une exacerbation de la contradiction intrinsèque au capitalisme entre production économique et reproduction sociale »

Nous entendons nos élites politiques et économiques parler d’adaptation, de compétitivité, d’auto entrepreneuriat, de travail du dimanche, ou même de ce nouveau concept de slasheurs qui serait l’avenir des emplois. Jamais, ils ne nous expliquent quel projet de société impliquent ces évolutions.

Quand Nancy Fraser analyse ces évolutions pour leurs conséquences dans la reproduction sociale, elle explique :

« Non content de diminuer l’investissement de l’État tout en intégrant les femmes dans le travail salarié, le capitalisme financiarisé a aussi réduit les salaires réels, ce qui oblige les membres du foyer à augmenter le nombre de leurs heures travaillées, et ce qui les pousse à une course effrénée pour se décharger sur d’autres des activités de care. Pour combler ces « déficits de care », ce régime emploie dans les pays plus riches des travailleurs migrants qu’on fait venir des pays plus pauvres. Sans surprise, ce sont les femmes racialisées et/ou issues du monde rural pauvre qui prennent en charge le travail reproductif et de soin qui était auparavant assuré par les femmes plus privilégiées. Mais pour ce faire, les immigrés doivent transférer leurs propres responsabilités familiales à des travailleurs de care encore plus pauvres qui doivent, à leur tour, faire de même, et ainsi de suite dans des « chaînes de care mondialisé » aux ramifications toujours plus étendues. »

Et si on regarde du côté des femmes les plus dynamiques de l’économie moderne, totalement intégrées dans la high tech et ayant la volonté de concilier leur carrière professionnelle et leur épanouissement familial, Nancy Fraser raconte deux exemples américains :

« Le premier est la popularité croissante de la « congélation d’ovules », une procédure coûtant normalement 10 000 $ mais qui est offerte à leurs employées femmes hautement qualifiées par des entreprises de l’informatique comme un des avantages négociés dans leur contrat. Désireuses d’attirer et de garder ces employées, des firmes comme Apple ou Facebook les gratifient ainsi d’une forte incitation à décaler leur grossesse. En substance le message est le suivant : « attendez d’avoir 40, 50 ans, voire 60 ans, pour avoir des enfants ; consacreznous vos années les plus productives, les années où vous avez le plus d’énergie»

Un second développement aux États-Unis est tout autant symptomatique de la contradiction entre production et reproduction : la prolifération d’appareils mécaniques high-tech et très coûteux pour tirer le lait maternel. Eh bien oui : voilà la solution qu’on adopte dans un pays où il y a un taux d’emploi élevé des femmes, où il n’y a pas de congé maternité ou parental rémunéré obligatoire, et où l’on est amoureux de la technologie. C’est aussi un pays où l’allaitement est de rigueur, mais cela n’a plus rien à voir avec ce que c’était par le passé que d’allaiter son enfant. On ne fait plus téter le sein à son enfant, on « allaite » désormais en tirant son lait mécaniquement et en faisant des stocks pour que la nounou puisse ensuite donner le biberon au bébé. Dans le contexte actuel de pénurie chronique de temps, les appareils à double coque, fonctionnant en « kit mains libres », sont ceux qui sont le plus recherché car ils permettent de tirer le lait des deux seins en même temps, tout en conduisant sa voiture sur la voie rapide, en route pour le travail.

Au vu de ces pressions actuelles, est-il surprenant que les luttes autour de la reproduction sociale aient éclaté ces dernières années ? Les féministes du Nord disent souvent que le cœur de leurs revendications se trouve dans « l’équilibre entre la famille et le travail » »

Pour finir je cite sa conclusion :

« Plus précisément, j’ai voulu expliquer que les racines de la crise actuelle du care sont à chercher dans la contradiction sociale intrinsèque au capitalisme, ou, mieux, dans la forme exacerbée que cette contradiction revêt aujourd’hui dans le contexte du capitalisme financiarisé. Si cette interprétation est correcte, cette crise ne sera pas alors résolue en bricolant la politique sociale. La solution à cette crise ne pourra se faire qu’en empruntant le chemin d’une profonde restructuration de l’ordre social actuel Ce qui est nécessaire, avant tout, c’est de mettre un terme à la soumission de «la reproduction» à «la production» que le capitalisme prédateur a réalisée Par voie de conséquence, il faut réinventer cette distinction et ré-imaginer l’ordre de genre. Reste à voir si l’issue de ce processus pourra encore être compatible avec le capitalisme »

Nancy Fraser donne des clés pour que nous puissions réfléchir et nous demander dans quelle société voulons-nous vivre ? Et de manière plus immédiate, quelle société implique les choix économiques qui nous sont vendus comme ceux de la modernité.

<J’ai découvert l’existence de cette conférence grâce à l’émission “la suite dans les idées” où Nancy Fraser était invitée>

<769>

Jeudi 13 octobre 2016

Jeudi 13 octobre 2016
«Le consensus de Washington »
John Williamson
Dans les émissions consacrées à l’économie que j’écoute, le «consensus de Washington» est souvent évoqué, rarement pour en dire des choses positives, presque toujours pour expliquer qu’il a gouverné les affaires économiques mondiales et qu’il continue encore grandement à les influencer.  
L’expression «consensus de Washington» trouve son origine dans un article de l’économiste John Williamson en 1989, très largement inspirées de l’idéologie de l’école de Chicago et de Milton Friedman, bref ce qu’on appelle le néo-libéralisme.
Le consensus de Washington est un corpus de mesures standard appliquées aux économies en difficulté face à leur dette, notamment en Amérique latine, par les institutions financières internationales siégeant à Washington (Banque mondiale et Fonds monétaire international) et soutenues par le département du Trésor américain.
En Amérique latine, [les] années 1980 avait été marquée par une profonde crise économique, une hyperinflation dévastatrice, la déstructuration sociale et des instabilités politiques. La crise de la dette extérieure, écartant le sous-continent des marchés financiers, le priva d’investissements extérieurs, avec un transfert net (négatif) de ressources financières, de près de 25 milliards de dollars en moyenne annuelle, en direction du Nord.
Le « paquet » de réformes recommandées à ces États, est résumé dans l’article paru en 1989 sous la plume de l’économiste John Williamson, qui met en avant dix propositions :

Une stricte discipline budgétaire ;

Cette discipline budgétaire s’accompagne d’une réorientation des dépenses publiques vers des secteurs offrant à la fois un fort retour économique sur les investissements, et la possibilité de diminuer les inégalités de revenu (soins médicaux de base, éducation primaire, dépenses d’infrastructure) ;

La réforme fiscale (élargissement de l’assiette fiscale, diminution des taux marginaux) ;

La libéralisation des taux d’intérêt ;

Un taux de change unique et compétitif ;

La libéralisation du commerce extérieur ;

Élimination des barrières aux investissements directs de l’étranger ;

Privatisation des monopoles ou participations ou entreprises de l’État, qu’il soit — idéologiquement — considéré comme un mauvais actionnaire ou — pragmatiquement — dans une optique de désendettement ;

La déréglementation des marchés (par l’abolition des barrières à l’entrée ou à la sortie) ;

La protection de la propriété privée, dont la propriété intellectuelle.

Il est possible de résumer cela en 2 mots : dérégulation et privatisation et une conséquence : l’augmentation des inégalités.
L’un des arguments en faveur de ce programme était l’existence d’administrations étatiques pléthoriques et parfois corrompues et bénéficiait du contexte de crise idéologique globale lié à l’effondrement du communisme soviétique. Et le Fonds monétaire international et la Banque mondiale exigeaient la mise en place de politiques inspirées de ces principes pour l’octroi de prêts aux États qui leur demandaient de l’aide.
Aujourd’hui, il y a peu d’articles qui continuent à défendre ces propositions. J’ai trouvé : http://www.captaineconomics.fr/-consensus-de-washington-liberaliste-williamson qui explique :
«Le Consensus de Washington a donc une vision plutôt libérale certes, mais pas ultra-libérale ni impérialiste ! Par exemple si l’on regarde le point (1) sur la nécessité d’une discipline budgétaire et le (2) sur la redéfinition des dépenses publiques, le consensus de Washington ne prône ni nécessairement un équilibre budgétaire (type règle d’or) ni la nécessité de couper dans toutes les dépenses publiques, mais explique qu’il est important de restaurer un déficit à un niveau acceptable n’augmentant pas la dette en % du PNB à long-terme (bien qu’il existe plusieurs vues différentes sur les modalités exactes au sein même du consensus), et qu’il est nécessaire de réorienter certaines dépenses publiques “peu utiles” (subventions entraînant des distorsions économiques) vers les secteurs pouvant apporter de la croissance et réduire les inégalités, comme l’accès aux soins primaires et l’éducation.»
Mais l’essentiel des articles d’aujourd’hui prétend que ces préconisations ne fonctionnent pas : http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/473965/le-consensus-de-washington-de-mea-culpa-en-mea-culpa : (article du 22 juin 2016) : 
«Trois économistes chercheurs associés au FMI, Jonathan Ostry, Prakash Loungani et Davide Furceri, ont effectivement pris une position pour le moins surprenante dans le dernier numéro de la revue Finance and Development (« Neoliberalism : Oversold ? »). Ils y remettent en question deux piliers du néolibéralisme : la libre circulation des capitaux et la priorité donnée à la réduction des déficits. En bref, comme très bien résumé par un chercheur de l’IRIS, le FMI conclut qu’une diminution majeure de la dette publique par des mesures d’austérité n’aurait que des effets limités sur la prévention de crises économiques.
Ce n’est pas la première fois que le FMI ou la Banque mondiale rectifient leur discours après des conséquences désastreuses de leurs conditionnalités. Par exemple, la « décennie perdue » des années 1980 en Amérique latine n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd. La mise en place en 1999 de la Stratégie de réduction de la pauvreté en remplacement des Programmes d’ajustement structurels avait été qualifiée par certains commentateurs de « changement de paradigme », et certains entrevoyaient même la chute imminente du consensus de Washington.
L’inclusion du concept de développement humain dans les politiques du FMI et de la Banque mondiale, ainsi que l’accent mis sur l’empowerment des pays du Sud dans la rédaction de leurs programmes de développement sont autant de preuves d’un changement sinon idéologique, du moins rhétorique. […] En 2013, le FMI avait d’ailleurs déjà fait un mea culpa pour l’échec grec. Un rapport de l’organisation admettait alors que malgré les politiques d’austérité, « la confiance des marchés n’a pas été rétablie, le système bancaire a perdu 30 % de ses dépôts et l’économie a fait face à une récession beaucoup plus forte que prévu et à un chômage exceptionnellement élevé. […]
En somme, le FMI a certes modifié substantiellement sa rhétorique récemment. Toutefois, il serait hâtif de crier à une remise en question des préceptes fondateurs du néolibéralisme : privatisation, libéralisation et stabilité macroéconomique. Ce que Stiglitz qualifiait de fondamentalisme de marché n’a pas tout à fait disparu dans les corridors du FMI. Personne ne peut nier que le discours émanant du FMI et de la Banque mondiale a évolué depuis les années 1980, mais les discours changent toujours plus rapidement que les pratiques. Les nombreuses critiques sur la nouvelle stratégie de réduction de la pauvreté en font état.
Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme. Nous ne sommes plus sous le consensus de Washington tel que formulé par Williamson en 1989. Toutefois, nous n’avons pas non plus dépassé cette forme de néolibéralisme qui appauvrit les pays débiteurs et enrichit les pays créditeurs. L’article publié dans la revue Finance and Development par les économistes du FMI ne signifie donc pas qu’ils ont coupé la ligne du téléphone rouge avec l’école de Chicago.».
Et un des principaux pourfendeurs du consensus de Washington est Joseph Stiglitz : http://www.rfi.fr/france/20140604-joseph-stiglitz-savoir-inegalite-consensus-washington-tiger-forum
Joseph Stiglitz :
«La plus grande part de l’amélioration du niveau de vie qui a été réalisé au cours des 100 dernières années n’est pas liée à l’accumulation du capital ou même à une meilleure redistribution des ressources, mais au savoir. Au fait d’apprendre à mieux faire. Au fait d’obtenir plus, avec moins d’entrants. N’oublions pas que, pendant des milliers d’années, jusqu’aux années 1800, le niveau de vie stagnait. Et soudain, il y a une augmentation incroyable du niveau de vie, qui vient de l’acquisition des savoirs. […]
Ce qui me préoccupe, c’est que produire juste des minerais, des hydrocarbures, ce n’est pas la base d’un développement durable. En partie parce que cela peut augmenter vos revenus, c’est important. Cela compte, l’argent, mais ça ne vous donne pas un accès direct à la connaissance. Une de mes critiques contre les politiques passées, issues du consensus de Washington, est qu’elles ont conduit à la désindustrialisation. Une idée importante, en Economie, est que les pays apprennent en faisant. La seule façon d’apprendre à produire de l’acier, c’est d’en fabriquer. Mais si vous désindustrialisez, vous n’allez pas apprendre à produire des marchandises. Et donc, les politiques issues du consensus de Washington ont maintenu l’Afrique au niveau d’industrie qu’elle connaissait il y a 40 ans. Ce qui a eu probablement un effet négatif sur l’acquisition des savoirs. […]
Ce qui s’est passé ces cinq – dix dernières années est intéressant. Enfin, on reconnaît que la montée des inégalités est un problème. Les inégalités se sont accrues dans la plupart des économies développées, au cours de ces 30 – 35 dernières années. Elles ont atteint un niveau qu’on ne peut plus ignorer. Il n’y a pas seulement des inégalités de revenus, mais aussi des inégalités d’opportunités. Et c’est contraire aux principes de base de la démocratie moderne, à nos valeurs, qui sont de plus en plus partagées dans le monde. La question qui se pose maintenant dans le monde entier est de savoir comment on change les choses, comment on crée une société juste, une société qui offre plus de chances.»
Un autre article très détaillé sur ce sujet : http://www.melchior.fr/notion/le-consensus-de-washington
On comprend donc que nous sommes ici dans le domaine de la croyance et du dogme, non dans le savoir. Que ces croyances continuent à influencer profondément la marche de l’économie et la politique des Etats, mais qu’elles semblent bien produire des conséquences fâcheuses et contre-productives.
Il me semble comprendre que dans une analyse économique traditionnelle, le problème général de l’économie mondiale est un problème de demande : Il n’y a pas en face de l’offre, une demande suffisante et solvable. L’accumulation des richesses dans un trop petit nombre de poches et la stagnation générale des revenus ne permettent plus d’avoir une demande suffisante. Pour pallier cette situation, les consommateurs des pays riches et même des pays émergents se sont massivement endettés pendant des années. Aujourd’hui on parle de l’explosion de la dette mondiale et cela crée d’autres problèmes.
Cette situation découle directement de ce qu’on a appelé le consensus de Washington.
Et au-delà de ces difficultés considérables, d’autres penseurs affirment que nos défis écologiques devraient nous conduire à sortir de la pensée économique traditionnelle et de la recherche à tout prix de la croissance et donc de l’augmentation de l’offre et de la demande de consommation. Dans ce cas, le consensus de Washington serait non seulement nuisible dans le cadre du système de pensée dans lequel il raisonne, mais ne poserait même pas les bonnes questions pour l’avenir de l’humanité. 

Mercredi 12 octobre 2016

Mercredi 12 octobre 2016
«Projet 226»
Nom d’une manipulation de l’industrie sucrière aux Etats-Unis en 1965
C’est toujours l’argent qui est la cause de cette manipulation qui a eu lieu aux Etats Unis dans les années 1960 et qui a été révélé récemment. La revue de presse internationale de Thomas Cluzel sur France Culture du 14/09/2016 a signalé un article du New York Times où on apprend que l’industrie du sucre a agi de la même manière que l’industrie du tabac pour essayer de cacher le fait qu’elle vendait un produit dont la consommation à haute dose était mauvaise pour la santé :
«Au milieu de la masse d’informations et alors que circulent de plus en plus de théories du complot, c’est peu de dire que les partisans de la vérité doivent aujourd’hui redoubler d’efforts pour rassembler des preuves. C’est le cas, en particulier, de ce chercheur de l’université de Californie à San Francisco dont THE NEW YORK TIMES nous apprend qu’il a récemment découvert des documents internes à l’industrie du sucre. Ces documents inédits, datant de la fin des années 1960, révèlent comment un géant de l’agroalimentaire a faussé les règles en matière de nutrition, en prétendant que les risques de maladies cardio-vasculaires n’étaient pas liés à la consommation de sucre.
Ces documents ont d’abord fait l’objet d’une publication, lundi, dans la revue JAMA INTERNAL MEDICINE avant d’être repris par l’ensemble de la presse anglo-saxonne. Et sans entrer dans les détails de cette vaste mystification (un scandale très proche, d’ailleurs, de ceux liés aux marchands de tabac), on retient que, des décennies durant, l’industrie sucrière a menti en vantant les prétendus mérites de ses produits.
Elle a menti ou plus exactement elle a réussi à nous tromper et mieux encore, à nous convaincre. Car comme l’explique un professeur de psychologie à l’université d’Austin, interrogé par le magazine QUARTZ : «Si je commence à vous dire en quoi vous avez tort, cela ne crée aucune envie en vous de coopérer. Mais si je commence par dire “vous avez raison sur ce point, je pense que ce sont des problèmes importants”, alors vous donnez à votre interlocuteur une raison de coopérer.» Et c’est ce qu’a bien compris l’industrie sucrière qui, en 1965, a lancé ce qu’elle a appelé le «Projet 226», qui consistait à financer des scientifiques de Harvard pour publier une étude dans le prestigieux NEW ENGLAND JOURNAL OF MEDICINE sur le sucre, les graisses et les maladies cardiaques. Ce faisant, sans nier les risques liés aux maladies cardio-vasculaires, l’industrie a réussi le tour de force de faire dérailler la discussion à propos du sucre. Comment ? En se contentant de minimiser le rôle du sucre dans ces pathologies, tout en incriminant à sa place le rôle du gras. De telle sorte que pendant de nombreuses décennies, les responsables de la santé ont donc encouragé les Américains à réduire leur consommation de matières grasses, ce qui a conduit beaucoup de gens à consommer des aliments à faible teneur en graisses mais, en revanche, hautement sucrés.
Parmi les plus de 700 commentaires liés à l’article du NEW YORK TIMES, LE TEMPS a notamment relevé celui-ci : ce scandale est «un exemple dégoûtant de plus du pouvoir du néolibéralisme capitaliste sur les populations». Mais surtout cette gigantesque arnaque donne raison, 350 ans plus tard, à l’inventeur de la machine à calculer et qui s’intéressait, aussi, à la psychologie humaine : Blaise Pascal. Dans “Les Pensées”, il donne en effet une méthode extrêmement efficace pour parvenir à faire changer d’avis une personne. La chose essentielle, explique le philosophe dans un fragment repéré par le site BRAIN PICKINGS, est de prendre en considération son interlocuteur et les arguments qu’il avance. Car le mépris ne fait que braquer la personne en face. En clair, il n’y a pas de raisonnement faux, dit en substance Pascal, il n’y a que des raisonnements incomplets. Envisager sous cet angle, personne ne se trompe totalement, vous vous contenter de faire entendre à votre interlocuteur qu’il ne détient simplement qu’un morceau de vérité. Et c’est ainsi qu’utilisé à des fins purement mercantiles et hautement dommageables sur la santé, un géant de l’agroalimentaire a réussi, tout en pointant les risques liés aux maladies cardiaques, à faire porter le chapeau sur les graisses saturées plutôt que sur le sucre, alors même que les deux sont des facteurs de risques tout aussi importants.
Et le magazine SLATE d’en conclure : nous sommes entrés aujourd’hui dans l’ère du mensonge, où certains n’hésitent plus, désormais, à affirmer des choses qu’ils savent pertinemment fausses. Bref, une ère où nous avons, en réalité, plus que jamais besoin de Pascal, pour changer les esprits mais dans le bon sens, cette fois-ci, c’est-à-dire en les conduisant à penser de manière plus précise et plus vraie.
Dans cette recherche de la vérité, Pascal ajoute qu’il peut être utile de bien connaître celui qu’on veut persuader
Quelle que soit la chose dont on cherche à persuader l’autre, il faut d’abord savoir à qui on s’adresse, connaître son cœur, son esprit, ses principes. Et ensuite seulement, chercher (dans la chose dont il s’agit), les rapports que cette personne entretient avec ses principes avoués.»
Quand on parle d’industrie sucrière, on semble parler d’un concept éthéré, d’un objet virtuel comme lorsqu’on évoque le système financier ou l’industrie pharmaceutique ou encore l’industrie nucléaire.
Ces entités sont des constructions juridiques qui cachent la réalité qui est simplement constituée d’un petit groupe d’humains qui n’ont aucun souci de l’intérêt général mais simplement le goût du seul profit et qui pour protéger cette soif sans limite, sont prêts quasi toujours à toutes les compromissions pour parvenir à leur fin.
Et ces humains criminels ne sont jamais sanctionnés. Si la justice, dans de très rares cas, les poursuit quand même personnellement, des armées d’avocats arrivent à faire traîner les choses jusqu’à ce que la mort les fassent échapper à la justice humaine.
Prenons simplement le scandale du Mediator qui a débuté en 1998, année où en savait qu’il était dangereux et que des gens sans scrupules et soucieux de continuer à gagner beaucoup d’argent n’ont pas agi conformément à l’éthique. Il a fallu des années pour convaincre la justice d’intervenir et elle fut tant empêchée que Jacques Servier a eu le temps de mourir en 2014 avant le procès qui devait le mettre en cause.

Mardi 11 octobre 2016

Mardi 11 octobre 2016
«Malscience, De la fraude dans les labos»
Nicolas Chevassus-au-Louis
C’est encore l’argent qui est au centre de ce scandale.
L’argent me fait  toujours penser à deux réflexions :
La première me rend un peu triste et mélancolique quand on examine ce qui s’est passé après. C’était lors du Congrès fondateur du PS à Epinay, le discours de François Mitterrand :
«l’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui écrase, l’argent qui tue, l’argent qui ruine, et l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes !»
La seconde est un peu plus équilibrée, elle fut le mot du jour du 26 octobre 2012, soit le 9ème mot :
« L’argent qu’on possède est l’instrument de la liberté; celui qu’on pourchasse est celui de la servitude. » Jean-Jacques Rousseau.
Un journaliste qui est aussi docteur en biologie, Nicolas Chevassus-au-Louis vient de publier le 01/09/2016 un livre <Malscience : De la fraude dans les labos>
La quatrième de couverture explique :
« […] D’apparence de plus en plus sophistiquée mais produite en masse, de plus en plus vite et de moins en moins fiable.
Interrogés de manière anonyme, 2 % des scientifiques reconnaissent avoir inventé ou falsifié des données. Soit pas moins de 140 000 chercheurs fraudeurs de par le monde. Biologie et médecine sont, de loin, les plus touchées. Et ces fraudes manifestes ne sont rien à côté des petits arrangements avec la rigueur devenus fréquents dans les laboratoires. Est-ce grave ? Très grave. Car la biologie et la médecine traitent de la santé, de la vie, de la mort. Est-il acceptable que de nouveaux médicaments soient testés, et peut-être autorisés, sur la base d’expériences plus ou moins truquées ?
Comme le secteur financier miné par ses créances irrécupérables, la littérature scientifique en biologie et en médecine, mais aussi en physique et en chimie, s’avère gangrenée par des articles toxiques. Ce livre revient sur une série de scandales internationaux – de la thèse des frères Bogdanoff à des cas moins médiatisés mais non moins fâcheux – et se propose de réfléchir aux causes d’une telle dérive et aux moyens d’y remédier.
À la fois enquête de terrain et essai critique, il met en lumière un aspect fondamental et trop ignoré de l’évolution actuelle des pratiques scientifiques.»
Mais c’est encore une chronique de Xavier de la Porte que vous trouverez derrière ce lien : http://rue89.nouvelobs.com/2016/10/06/lalgorithme-a-mis-foutoir-recherche-psychologie-265352, qui m’a conduit vers ce livre :
«Dans un livre récemment publié aux éditions du Seuil et intitulé « Malscience – De la fraude dans les labos », le journaliste Nicolas Chevassus-au-Louis met au jour une pratique de plus en plus répandue dans le monde scientifique : la falsification des données. Le phénomène n’est pas récent, mais depuis une vingtaine d’années, le phénomène augmente et touche les revues scientifiques les plus prestigieuses. Bien sûr cette falsification ressortit plus souvent du petit arrangement avec les données que de l’invention pure et simple, bien sûr toutes les disciplines ne sont pas concernées au même titre, mais cela illustre selon lui – et il n’est pas le seul à le penser – un travers de la recherche scientifique contemporaine, où l’on est incité à publier vite pour occuper le terrain où le premier à publier emporte tous les bénéfices et où le résultat quantitatif est privilégié à la rigueur de la méthode.
Cela n’empêche pas les découvertes, mais les ralentit parfois, et surtout peut avoir pour conséquence de détourner les chercheurs les plus scrupuleux. La question déprimante que l’on se pose en refermant le livre est la suivante : à part révolutionner l’écosystème de la recherche scientifique, que peut-on faire ?
C’est là qu’on apprend l’existence d’un algorithme fabriqué par deux doctorants de l’Université de Tilburg aux Pays Bas, et qui répond au joli nom de « Statcheck ». A l’origine, ce petit programme a été écrit pour corriger les erreurs d’arrondis dans les statistiques souvent utilisées par les articles de psychologie (le fait qu’une célèbre histoire d’arnaque ayant touché en 2011 le département de psychologie sociale de l’Université de Tilburg n’est peut-être pas étranger à cette initiative).
Quoi qu’il en soit, une fois écrit, le programme a passé en revue 50 000 articles, et ce qu’il a trouvé est assez inquiétant. Près de la moitié des papiers révisés par le robot contiennent au moins une erreur. Mais, plus étonnant, la plupart des erreurs ne sont pas le fruit du hasard puisqu’elles vont dans le sens du résultat annoncé par le papier.
Et même, 13% des papiers contiennent une erreur qui aurait pu en changer la conclusion. Et les deux doctorants ont décidé de publier leurs résultats sur un forum scientifique très populaire dans la recherche, du nom de Pubpeer. C’est là que le foutoir a commencé.
Parce que si certains chercheurs en psychologie ont vu dans cette démarche un moyen de corriger et améliorer leur travaux, d’autres ont réagi assez violemment. Susan Fiske, chercheuse en psychologie à Princeton et ancienne directrice de l’Association pour la science psychologique est particulièrement remontée.
Elle a même parlé de « terrorisme méthodologique ». Ses reproches portent principalement sur la méthode, le fait que tout cela se joue dans un forum et sur les réseaux sociaux académiques, dans des lieux où les mécanismes traditionnels de la publication scientifique sont court-circuités pour une conversation à bâtons rompus, directe, moins policée, plus personnelle. Et de fait, manifestement, c’est dans ces espaces, mais aussi, par blogs interposés, que les chercheurs en psychologie du monde entier sont en train de s’écharper depuis quelques semaines.
[…] »
Suzan Fiske ne s’intéresse pas au fond, la falsification, mais au fait que ces pratiques soient dénoncées en dehors des circuits officiels maîtrisés par les mandarins de la recherche scientifique.
L’argent qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes….

Lundi 10 octobre 2016

Lundi 10 octobre 2016
« Faussaires de génie »
Wolfgang et Hélène Beltracchi
Plusieurs articles évoquent ce sujet d’actualité dans le monde de l’Art : des musées, Sotheby’s, des experts auraient été abusés et des dizaines de tableaux présentés comme des tableaux de maître : de Frans Hals ou de Lucas Cranach seraient des faux : http://www.latribunedelart.com/adoubes-par-de-grands-musees-plusieurs-tableaux-soupconnes-d-etre-faux ou https://fr.sputniknews.com/societe/201610031028029289-tableau-faux/
Ces scandales montrent la place qu’a prise l’argent dans le monde de l’art, apportant avec lui toujours son lot de perversité et de tromperie.
Cette actualité m’a fait penser au destin d’un couple de faussaires qui ont agi plusieurs années sur ce marché.
<Faussaires de génie> est un livre paru en 2015 où un artiste et son épouse, mot que je préfère à celui de faussaire, racontent de manière autobiographique leurs années de flamboyance où ils ont trompé le monde de l’art. Plutôt que monde de l’art, il serait plus juste de parler du business de l’art. En effet, des années durant, Wolfgang et Hélène Beltracchi leurrent le monde de l’art (experts, galeristes, collectionneurs) en créant des tableaux qu’il signe Max Ernst, Georges Braque, André Derain, Fernand Léger pour n’en citer que quelques-uns. Son stratagème ? S’imprégner du style du maître et peindre des tableaux n’ayant jamais existé ! Sa femme Helene l’aide avec culot et raffinement. Le marché a besoin de marchandise. 
Né en 1951, Beltracchi est initié, très jeune déjà, à la peinture par son père. Après quelques études artistiques, le jeune homme parcourt le monde, mène une vie de bohème, où alcool et drogues font partie de son quotidien. En même temps, il multiplie les visites de musées, les rencontres et les lectures. Son activité de faussaire démarre d’abord par quelques petits trafics, puis c’est avec Helene dont il tombe fou amoureux dès le premier regard que l’entreprise prend tout son ampleur. Il peint, elle se charge de vendre les tableaux par les circuits professionnels. Ils gagnent beaucoup d’argent, voyagent de longs mois, achètent des propriétés. Jusqu’au jour où tout s’écroule. Parce que Beltracchi a commis une négligence.
La négligence commise est l’utilisation par Beltracchi d’un pigment “le blanc de titane” qui ne serait apparu qu’aux environs des années 1950 alors que la toile était datée de 1914. C’est un laboratoire scientifique, non les experts qui a découvert la supercherie. En 2010, un procès révèle au monde entier l’incroyable supercherie
Ont-ils des regrets ? Helene répond :
«On est en démocratie, il y a des règles. Si on commet une faute, il est normal d’être puni.»
Wolfgang acquiesce :
«Oui, c’est OK. Mais je tiens à dire quand même que je n’ai pas fait de copies. J’ai créé des œuvres en m’inspirant du style des artistes. J’ai beaucoup travaillé, j’ai fait des tas de recherches dans les livres d’art et les catalogues.»
C’était là toute l’astuce du faussaire : repérant des œuvres réputées disparues, il les faisait revivre à sa façon. Son principal gisement fut les catalogues de la galerie d’un juif allemand, Alfred Flechtheim. Ayant fui Berlin dès 1933, ce grand amateur d’art mourut à Londres en 1937. Les Beltracchi imaginent alors un scénario, assurant aux marchands et galeristes que les tableaux qu’ils leur vendaient avaient été acquis par le grand-père d’Helene.
[…]  Leur procès les a rendus stars. Dans la presse allemande, Wolfgang le facétieux a été surnommé “Till l’Espiègle”, quotidiens et magazines publiant à la une les photos du couple qui s’enlaçait tendrement avant de prendre place sur le banc des accusés.  
La sortie de leur autobiographie, “Faussaires de génie”, les a placés à nouveau sous les projecteurs. […] sur le conseil de leur avocat, il a fallu faire des coupes. Pourquoi ? Helene affirme :
«Des collectionneurs possèdent encore des tableaux de Wolfgang, ils ne veulent pas les déclarer comme des faux. Il y en a même qui en ont revendu à d’autres amateurs et, chaque fois, les prix montent.»
La remarque amuse Wolfgang. Quand on lui demande si sa principale motivation n’a pas été de faire du fric, il rétorque, dans un franglais imparfait :
«Au premier rang, le marché de l’art, c’est du business, au dernier rang, c’est encore du business. Alors, l’argent, oui, j’en ai gagné mais ce qui m’intéressait surtout, c’était de me glisser dans la peau des peintres. J’ai fait les tableaux qu’ils rêvaient peut-être de faire. Je les ai peints avec le plus grand soin.»
Aujourd’hui il cherche à peindre sous son propre nom et trouve des galeries qui l’exposent mais l’article ajoute : «Avouons cependant qu’il semble avoir du mal à trouver un style réel.»

Vendredi 7 octobre 2016

Vendredi 7 octobre 2016
«Personne au monde, ni en Algérie, ni au Sénégal, ni en Chine, ne souhaite devenir minoritaire dans son village. »
Christophe Guilluy, lors des matins de France Culture du 13 septembre 2016
Christophe Guilluy est géographe et présente des analyses très intéressantes sur la France d’aujourd’hui, la répartition des richesses sur le territoire, le rapport qu’il définit comme « complexe » à l’autre et la distance de plus en plus grande qui devient une séparation entre la France d’en haut et la France d’en bas.
L’exergue du mot du jour est sa réponse à la citation de Guillaume Erner qui reprenait une des affirmations de son dernier ouvrage  < Le crépuscule de la France d’en haut>  : « L’opinion, il n’y a pas trop d’étrangers en France, n’est majoritaire que chez les cadres !».
Le rapport à l’autre constitue un vrai sujet selon lui, mais :
« Avant d’aborder ce sujet je voudrais savoir :
1° Combien tu gagnes ?
2° Où vis-tu ?
3°A quoi ressembles les gens qui habitent dans ton immeuble ?
4° et où as-tu scolarisé tes enfants ?
Après la réponse à ces questions, on peut parler. »
Le clivage se fait selon classes supérieures et classes prolétaires.
« Le multiculturalisme à 1000 euros par mois, ce n’est pas la même chose que le multiculturalisme à 10 000 euros par mois.  »
Mais il considère que cette fracture se trouve dans les discours pas dans les faits. Il explique ainsi que : « Les bobos qui aident les immigrés sont probablement et dans leur plus grande majorité sincère dans leurs démarches » mais quand il s’agit de choix résidentiel ou du choix de la scolarisation des enfants, le choix est celui du séparatisme.
Et il élargit son propos en disant bien qu’il ne parle pas que du « petit blanc », il en va de même pour la population d’origine maghrébine bien implantée en France qui va aussi pratiquer l’évitement et la fuite lorsqu’elle constate que le quartier, dans lequel elle vit, voit affluer une nouvelle population d’immigration subsaharienne.
Et il précise :
« Ce que je critique c’est la condamnation des gens d’en bas par les gens d’en haut. Le rapport avec l’autre est plus complexe pour les gens d’en bas. »
Avant son dernier ouvrage, Christophe Guilluy en avait publié 2 autres qui avaient fait grand bruit et déclenché des polémiques :
Dans ce dernier ouvrage, le géographe détaille sa vision de la fracture territoriale en France.
Il oppose les grandes métropoles où sont produits les richesses et où vivent les dominants et les gagnants de la mondialisation et la France périphérique, c’est-à-dire le reste du territoire donc hors grandes métropoles où vivent la majorité des classes populaires.
Plus précisément, il décrit trois territoires : la France périphérique, les Grandes métropoles et les banlieues des grandes métropoles  qu’il décrit comme « les coulisses » ou « les vestiaires » des métropoles où vivent les émigrés qui travaillent dans le BTP, comme serveur ou dans les emplois de service au profit des dominants des métropoles. La Seine Saint Denis est le meilleur exemple de telles « coulisses ».
Il montre cette évolution où les classes populaires ne vivent plus à l’endroit où se créent les richesses. Le besoin d’ouvriers dans les usines nécessitait leur présence. Paris était une ville remplie d’ouvriers et de classes populaires. Le marché immobilier, la logique économique s’est chargée d’évacuer les gens qui n’étaient plus utiles pour les besoins de l’économie. Aujourd’hui les classes populaires ne peuvent plus habiter près des grandes métropoles que dans le parc social, alors qu’au XXème siècle, les ouvriers étaient logés pour leur plus grande part dans le parc des logements privés.
Ce découpage du territoire correspond d’assez près au vote pour ou contre le Front national.
Cette pensée très riche aurait probablement mérité plusieurs mots du jour. Dans son dernier ouvrage il insiste sur la rupture et l’incommunicabilité entre la France d’en haut qui profite de la mondialisation et la France d’en bas qui est la perdante de la mondialisation. Je finirai par cette réflexion du géographe : « On a un système économique qui marche mais qui ne fait pas société ».
 
Et aussi deux articles plus critiques <Slate> et <Libération>

Jeudi 6 octobre 2016

«La quantophrénie»
Pitirim Sorokin (1889-1968)

Aujourd’hui, je vais vous parler d’une maladie.

Ou disons plutôt un dérèglement des sens et du jugement dont la pathologie consiste à vouloir traduire systématiquement les phénomènes sociaux et humains en langage mathématique et en chiffre.

C’est un sociologue américain Pitirim Sorokin qui l’a conceptualisé, l’a nommé « la quantophrénie » et l’a défini par la fascination du chiffrage des phénomènes.

C’est une chronique de Guillaume Erner qui me l’a faite découvrir, chronique qu’il a appelé les crétins quantophrènes, en abrégé les CQ.

C’était lors de la découverte du scandale des tests des moteurs diesels Volkswagen :

« Encore une fois les CQ sont au cœur de l’actualité. C pour crétin Q pour quantophrène.

La quantophrénie, la maladie qui consiste à croire qu’il n’y a de vérité que chiffrée. Que tout chiffre est une vérité.

Les crétins quantophrènes s’ébrouent dans le scandale Volkswagen. Des années à prendre des mesures bidons, à respirer des moteurs diesels en les décrétant bon pour le service. Crétinisme chiffrée de la mesure, qui ne croit qu’en la mesure, alors que tout test peut être biaisé ou contourné. Crétinisme endormi par deux chiffres après la virgule, équation somnifère concoctée tout exprès par une batterie d’ingénieurs automobiles.

Que les adorateurs du diesel, se rassurent, ils sont rejoints depuis hier par d’autres crétins quantrophènes selon lesquels les inégalités en France ont baissées […] pour dire que le taux de pauvreté a diminué de 14,3% à 14%. Encore une fois la magie hypnotique du chiffre. […] Les crétins quantophrènes veillent. Combien de temps encore, faudra t’il subir les méfaits de ces quantificateurs de l’absurde.

Car contrairement à ce qu’on pense, les gouvernements n’édictent plus de mesures, ce sont les mesures qui nous gouvernent.

Alfred Binet, l’inventeur des tests d’intelligence croyait que l’intelligence c’est ce qui est mesurée par ces tests. Et bien, la bêtise c’est ceux qui croient en ces mesures. »

Voilà, tout est dit !

Mais cela n’est pas suffisant, car exactement comme pour l’essentialisme que nous subissons et que nous pratiquons aussi, si notre vigilance est prise à défaut (quand nous les disons les jeunes sont ainsi et les musulmans sont comme cela, sans compter les auvergnats, les anglais etc.), nous subissons également et pratiquons cette bêtise quantophrénique au quotidien.

Nous sommes fascinés par les chiffres. A partir du moment où il y a un chiffre, il y a un début de vérité et nous pouvons raisonner. C’est une bêtise. Il faut en être conscient.

Dans notre quotidien professionnel, cela représente une autre réalité qui a pour nom «la gouvernance par les nombres». J’en avais fait le mot du jour du 3 juillet 2015, ce titre correspondant à un cours au Collège de France d’Alain Supiot.

Le chiffre ne représente aucune vérité. Il s’éloigne encore davantage de la vérité, quand on y attache une trop grande signification. Parce qu’alors il pervertit le jugement car on ne regarde plus que le chiffre sans essayer de comprendre ce que ce chiffre veut dire, ce qu’il compte ou même ce qu’il est sensé compter.

Le premier chiffre qui obscurcit le jugement est certainement le PIB. Dans des moments de lucidité, il arrive qu’on le critique. Même Nicolas Sarkozy, avait mis en place une commission, dont faisait partie Stiglitz, pour essayer de trouver un autre indicateur. Mais après le questionnement, on en revient bien vite à la mollesse et à tradition conformiste du PIB. Vous pouvez tous les écouter, de droite comme de gauche, ils n’ont qu’un mot à la bouche : croissance ! Or la croissance, c’est l’augmentation du PIB.

Le regretté Bernard Maris disait :

« Quand vous prenez votre voiture à Paris et que vous consommez pendant deux heures de l’essence inutilement parce que vous êtes dans un embouteillage, vous faites augmenter le PIB.
Si vous prenez un vélo pour éviter la pollution, vous n’abondez pas le PIB. »

Que compte le PIB ? Quand les industries produisent et vendent des armes, le PIB est impacté favorablement. Quand il y a des accidents et qu’il faut réparer les véhicules et les humains blessés le PIB augmente.

Quand une mère ou un père s’occupe d’éduquer, de jouer, d’enseigner leurs enfants pour en faire des citoyens et des humains capables de liens sociaux et de vivre selon une éthique, le PIB ne le voit pas.

Quand ces parents préfèrent payer des personnels pour s’occuper de leurs enfants, le PIB en tient compte.

Quand un humain tente de vivre de manière saine pour essayer de préserver sa santé, il participe moins au PIB qu’un autre qui vit sans tenir compte de tels principes et qui doit avoir recours aux médicaments, aux médecins pour soigner ses excès.

Le PIB est un de ces chiffres fétiches qui symbolise de manière remarquable la quantophrénie.

Mais ce n’est pas le seul.

Tout chiffre n’est cependant pas crétin !

Dans les sciences exactes, on a mesuré que la vitesse de la lumière était de 299 792 458 m / s. Ceci a un sens, des raisonnements exacts et des conséquences scientifiques peuvent être tenus à partir de ce chiffre.

Mais il n’y a pas que les sciences exactes.

Tous les chiffres des sciences humaines ne sont pas vains ou mous comme dirait Emmanuel Todd. Il existe des chiffres durs qui ont du sens : par exemple la mesure de la mortalité infantile dans un pays, ou le nombre moyen d’enfants par femme en âge de procréer, l’âge moyen de mortalité. Ces chiffres donnent de vraies indications sur l’état du système de santé ou des mœurs d’un pays.

Mais maintenant quand on lit <La pollution tue 7 millions de personnes par an dans le monde> quel crédit accorder à ce chiffre ? Quasi aucun. Je ne dis pas que la pollution ne contribue pas à augmenter la mortalité, mais je prétends que celui qui affirme que le nombre de morts de ce fait est de 7 millions est un CQ.

Récemment l’Institut Montaigne avec L’IFOP ont publié une étude sur les musulmans de France. Dans cette étude, un chiffre a été produit : <28 % des musulmans sont radicalisés et ont adopté un système de valeurs clairement opposé à celles de la République.> Ce chiffre a été répété à satiété par les médias. Les réseaux sociaux s’en sont emparés. Quand certains osent mettre en cause la méthode, d’abord se poser la question dans 28% quels sont les 100 %, quel est le dénominateur ? Quelle est exactement la population testée ? Et puis à partir de quelles questions, de quelles analyses classent-on la personne interrogée dans cette catégorie qui représente 28%.

De telles questions sont incongrues dans l’esprit de beaucoup, seul reste 28% et on ajoute «28% vous vous rendez compte !»

Je pourrais allonger ce mot du jour à l’envie par des dizaines d’exemple de chiffres qui nous sont assénées quotidiennement comme autant de vérités, de certitudes.

Quand on a enfin conscience de ce phénomène, de cette fascination maladive du chiffrage, il faut d’abord s’appliquer à soi-même cet enseignement et user de chiffres avec grande modération et sans y accorder trop d’importance. Le chiffre n’est jamais la vérité sauf dans ces cas très limités dont j’ai évoqué certains.

Et ensuite quand nous sommes dans la position du receveur, de celui à qui on assène un chiffre nous devons faire usage de la même intelligence et du même scepticisme.

La bonne question qu’il faut toujours se poser : d’où vient ce chiffre ? Quel peut être sa dose de crédibilité ? Sommes-nous en présence d’un crétin quantophrène ?

Ce crétin peut parfois être notre supérieur hiérarchique, lui-même victime de la fièvre quantophrène à l’insu de son plein gré. Dans ces échanges, le chiffre peut être utilisé pour tenter de clore tout débat, toute analyse, toute réflexion et il devient alors un totem ou le centre de la discussion alors que la raison ne devrait lui allouer, le plus souvent, qu’un rôle accessoire.

<Si vous voulez aller à la source de l’analyse vous trouverez sur ce site universitaire canadien, l’ouvrage de référence de Sorokin>

<763>

Mercredi 5 octobre 2016

Mercredi 5 octobre 2016
«L’externalisation de notre vie amoureuse»
Christopher Trout, journaliste sur le magazine en ligne Engadget
Xavier de la Porte suit avec attention les dernières nouveautés qui nous viennent le plus souvent des Etats-Unis.
Externaliser est le maître mot des grandes entreprises pour toutes les tâches peu rentables ou celles dont elles ne veulent pas s’encombrer.
Et certains ont donc imaginé, d’externaliser aussi certaines des phases de la vie amoureuse…
«Vous connaissez tous les sites et applications de rencontres amoureuses, de OkCupid à Tinder. Tous ces lieux, pour apporter satisfaction à celui ou celle qui les fréquente nécessitent, du temps et des compétences. Il faut savoir se présenter, bien choisir les profils des cibles potentielles, il faut discuter – même un minimum – il faut fixer un rendez-vous etc. D’aucun diraient que c’est un vrai boulot.
D’où l’idée ingénieuse d’en faire un business, en proposant aux usagers de ces plateformes de le faire pour eux. Dans un papier tout à fait instructif du magazine Engadget, le journaliste Christopher Trout raconte ce nouveau business de l’externalisation de notre vie amoureuse. Il raconte donc ces entreprises qui s’appellent TinderDoneForYou ou Swagoo, qui vous proposent d’atteindre exactement votre but. Qu’il soit une rencontre d’un soir ou l’amour d’une vie, ces entreprises les promettent (TinderDoneForYou vous garantit qu’il vous faudra au maximum 12 rendez-vous pour trouver l’homme ou la femme de votre vie). Pour ce faire, il va d’abord s’agir d’optimiser votre profil. Il y aura d’abord de longues conversations avec un conseiller auquel vous direz tout. L’entreprise peut si vous le voulez, rédiger la présentation qui sera inscrite sur le site. Puis il faudra faire des photos qui vous avantagent (où l’on apprend au passage que des photographes se sont professionnalisés dans la photographie à destination des réseaux sociaux, et de Tinder en particulier) Celles-ci seront sélectionnées par un panel de conseillers humains (12 femmes si vous êtes un homme). Ensuite, ce sont encore des conseillers qui vont sélectionner les profils qui sont susceptibles de vous intéresser (en fonction de ce que vous leur avez dit) et qui vont même caler les rendez-vous. (Certaines entreprises vous faisant des propositions de lieux, de vêtements à porter, et même de sujets de conversation). Bref, vous payez (de 450 à 1300 dollars) et vous n’avez plus qu’à vous asseoir en face du sujet de votre désir.
Mais cette économie de l’amour externalisé ne se limite pas à la rencontre. Il existe des sites qui promettent d’être un meilleur amoureux, en, par exemple, vous faisant parvenir un cadeau à destination de la femme aimée, dont vous avez forcément oublié l’anniversaire (ces sites visent un public masculin, allez savoir pourquoi). D’autres sites vous aident à quitter l’être anciennement aimé en rédigeant le texto ou le mail de rupture (voire en envoyant un cadeau de rupture, où l’on apprend aussi qu’il existe des cadeaux de rupture). Et il y a même des sites qui vous promettent la gestion la plus parfaite de votre divorce, depuis le choix de l’avocat jusqu’à la proposition d’agendas partagés pour la gestion des enfants.
Notre premier réflexe serait de trouver cela complètement débile. Mais ce serait en négliger certains aspects. D’abord, malgré la grande naïveté de ces entreprises (et d’ailleurs, le journaliste se rit des choix qui sont faits pour lui), elles vont à l’encontre d’une algorithmisation des processus amoureux puisque à chaque étape, même si elles recourent à des data-scientists (des spécialistes des données), elles font une large part à l’humain. Ce qui est en soi intéressant.
Malgré tout, on pourrait trouver étrange cette proposition de délégation de nos choix amoureux. Cela dit, je me souviens avoir discuté à Mumbai avec de jeunes indiennes appartenant manifestement aux classes les plus élevées. Elles parlaient un anglais parfait, se destinaient à de brillantes carrières et étaient, à leur manière, tout à fait entreprenantes. Pourtant, elles défendaient mordicus le mariage arrangé. A mes questions étonnées, elles répondirent : “eh bien nos parents sont ceux qui nous connaissent le mieux et ils ont une expérience que nous n’avons pas, ils feront le meilleur choix pour nous.” Après tout, tous ces sites et applications ne promettent pas autre chose, mais dans un autre horizon culturel, où la tradition cède la place à une marchandisation extensive.
Bref, on accuse beaucoup les machines et l’informatique de prendre des décisions à notre place, mais il faudrait plutôt regarder notre paresse, notre crainte du choix, et l’aptitude de certains à en faire une économie.»
Voilà, quand on pensait que les algorithmes allaient tout faire, on en revient à l’archaïsme des mariages arrangés par les parents ou à la modernité de la sous traitance de toutes les étapes qui mènent au couple, voire au-delà …

Mardi 4 octobre 2016

Mardi 4 octobre 2016
«Les Rohingyas forment une des minorités la plus persécutée au monde.»
Selon l’ONU
J’ai déjà expliqué mon scepticisme quant à cette expression utilisée par tous les responsables religieux du monde : «Nous sommes une religion de paix.»
Dans un monde de complexité, il faut être précis. Je ne nie pas que dans les textes sacrés des religions il existe des paragraphes concernant la paix, l’amour du prochain, le pardon. Je ne nie pas davantage que dans les diverses religions, il existe des femmes et des hommes qui aspirent profondément à la paix et vivent dans ce sens.
Ce que je conteste c’est le fait qu’une communauté d’individus très croyants dans une religion soit forcément plus pacifique qu’une communauté non croyante. Et je pense même que c’est plutôt le contraire lorsqu’une religion dirige un Etat soit directement comme en Iran, soit possède une telle emprise sur la société que l’autorité politique est nécessairement soumise à elle, comme en Birmanie. Une religion n’apporte pas la paix, son but premier est de créer un «Nous» qui rassemble une communauté. Ce «Nous» devient souvent violent lorsqu’il se compare à «Eux» qui ne sont pas «Nous».
Beaucoup pensaient peut être que si le christianisme et l’Islam pouvaient, par leur Histoire, donner de la consistance à cette thèse, il existait au moins une religion qui échappait à cette malédiction : le bouddhisme.
Raté.
Le dalai lama est certainement un homme de paix, mais la religion qu’il représente quand elle se trouve dans une position hégémonique, fonde un «Nous»  qui trouve un «Eux» à qui s’opposer possède également dans ses rangs des hommes violents capable des pires atrocités.
Nous sommes en Birmanie, la religion majoritaire est la religion bouddhiste. Et il existe une minorité qui est de religion musulmane : les Rohingyas.
Les Rohingyas se considèrent comme descendants de commerçants arabes, turcs, bengalis ou mongols. Ils font remonter leur présence en Birmanie au XVe siècle. Le gouvernement birman estime pourtant qu’ils seraient arrivés au moment de la colonisation britannique et les considère comme des immigrants illégaux bangladais. En 1982, une loi leur a retiré la citoyenneté birmane. Après plus de 30 ans d’exactions, ils ne sont plus que 800.000 dans un pays de plus de 51 millions d’habitants.
Dans ce pays, les bouddhistes birmans ne font pas simplement comme les autres religions, ils font pire car, selon l’ONU, les Rohingyas forment une des minorités la plus persécutée au monde.
Je tire de cet article de <RFI> : « […] Selon les Nations unies, cette minorité souffre notamment de déni de citoyenneté, de travail forcé et de violences sexuelles. Le Haut-Commissariat des droits de l’homme de l’ONU a rendu un rapport [dans lequel il] dénonce « une série de violations grossières des droits de l’homme contre les Rohingyas […] qui laisse supposer une attaque de grande ampleur ou systématique […] qui pourrait déboucher sur une possible accusation de crimes contre l’humanité devant un tribunal . […]
Le rapport de l’ONU souligne que les Rohingyas, apatrides, sont exclus du marché du travail, du système éducatif et de santé et soumis à des menaces pour leur vie et leur sécurité, au travail forcé, à la violence sexuelle. Les enfants rohingya ne reçoivent pas de certificat de naissance depuis les années 1990. […]
Aung San Suu Kyi, qui évite soigneusement le sujet et qui ne semble pas avoir de programme pour faire respecter les droits des Rohingyas, rapporte notre correspondant à Rangoon, Rémy Favre. […]
Aung San Suu Kyi refuse d’ailleurs d’utiliser le mot « Rohingya », une appellation très controversée en Birmanie. Les extrémistes bouddhistes la réfutent. Pour eux, la minorité n’existe pas. En visite officielle jusqu’à ce dimanche en Birmanie, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault n’a pas non plus prononcé publiquement le terme « Rohingya », mais il l’a utilisé en privé avec son homologue birmane, Aung San Suu Kyi.»
Ce reportage de France 24 montre de manière plus concrète cette histoire de la haine ordinaire.
Vous verrez Ashin Wirathu, un moine bouddhiste qui a l’air doux comme tout autre moine bouddhiste dire tranquillement :
«Il y a dans notre pays deux problèmes qui nous préoccupent :
Le premier est la transition démocratique.
Le second est la propagation de l’Islam.
Je vais vous dire […] les musulmans sont plein de haine».
Ces moines bouddhistes parle de protection de leur race et de leur religion.
Je vous rassure le Dalai lama condamne ces exactions. Aung San Suu Kyi est beaucoup plus ambigüe.
Dès qu’on s’intéresse à ce sujet on trouve de très nombreuses pages sur Internet.
J’ai consulté :

Lundi 3 octobre 2016

Lundi 3 octobre 2016
«La première victime du carnage de Nice, le 14 juillet 2016, était une musulmane.»
Rappel d’un simple fait objectif
Comme, le journal le Monde l’avait fait pour la tuerie du Bataclan et de Paris, il publie un article par victime du 14 juillet 2016 à Nice.
Ce 1er octobre, le journal a publié un article sur Fatima Charrihi qui fut la première victime du camion et de son conducteur meurtrier et haineux.
Fatima Charrihi, la première victime était musulmane.
Elle avait presque le même âge que moi, même un peu plus jeune, elle portait un voile qui lui couvrait les cheveux.
Le lendemain, sa fille Hanane, qui porte aussi le voile, est venue sur la promenade des anglais accompagnée de sa sœur, pour se recueillir à l’endroit où sa mère a perdu la vie.
Hanane raconte : «Lundi, sur la Promenade des Anglais, j’ai ressenti avec ma famille le besoin de venir déposer des fleurs en hommage à ma mère. Sur le chemin, nous avons été alpagués par un homme qui nous a dit : “On ne veut plus de vous chez nous.
Ça m’a fait de la peine, mais j’ai préféré ne pas réagir. Plus tard, un homme assis à la terrasse nous a balancé : « Maintenant, vous sortez en meute. »
Cette fois-ci, je n’ai pas pu m’empêcher de lui dire que nous étions en deuil, que notre mère faisait partie des victimes. Il nous a rétorqué : “Tant mieux, ça fait un en moins.”
Je me suis mise à trembler de tous mes membres, mais j’ai réussi à garder mon sang-froid. Ma sœur a commencé à lui crier dessus. Lui s’est levé et nous a menacé de nous frapper. Nous sommes partis en vitesse. »
L’article du Monde nous parle un peu de Fatima Charrihi :
«Son petit-fils sur les genoux, bien installée sur une large balançoire, Fatima Charrihi énumère en riant les noms de ses nombreux petits-enfants tandis que le garçonnet de 6 ans les répète à tue-tête. Depuis la mort de leur mère, les sept enfants de Fatima, âgés de 14 à 37 ans, regardent souvent cette vidéo, qu’ils se sont partagée sur le groupe WhatsApp baptisé « Famille Charrihi ». Comme image d’illustration, ils ont choisi une photo de leur mère : visage poupon, regard nimbé de douceur, sourire éclatant qui donne à ses yeux une forme de demi-lune.
« C’était le pilier de la famille », résume Ali, le fils aîné de 37 ans, qui voyait sa mère au moins trois fois par semaine. Fatima avait une attention particulière pour chacun de ses enfants. A la prière de l’aube, elle laissait ses chaussons encore chauds à Hanane, qui détestait les levers aux aurores. La fratrie tisse le portrait d’une femme « patiente », « humble », « douce », « tolérante », « généreuse » et « pieuse ».
Hanane, 27 ans, que sa mère appelait quotidiennement, précise que Fatima était aussi une femme autoritaire, notamment lorsqu’il s’agissait des devoirs scolaires. Issue d’une famille de paysans berbères impécunieux, elle n’était jamais allée à l’école et ne savait pas lire. « Elle demandait aux plus grands de vérifier que tout le monde avait bien fait ses devoirs », se souvient Hanane, préparatrice en pharmacie pour la plus grande fierté de sa mère. « Elle savait que c’est grâce à l’école que l’on aurait une situation », ajoute Ali, la voix éteinte.
[…] Comme des centaines de personnes qui ont croisé le chemin de Fatima, la femme qui l’employait depuis seize ans s’est rendue à la prière funéraire en son hommage. Elle a pleuré la mémoire de cette femme « pleine de bons conseils » qui « avait toujours un mot pour réconforter. » D’autres ont salué la bonté de cette mère de famille qui partageait volontiers les plats traditionnels qu’elle cuisinait. Tous se sont souvenus de la complicité inébranlable qui unissait Fatima et Hamed, son mari depuis quarante-trois ans. « Je ne les ai jamais vus se disputer mais ils se taquinaient tout le temps », abonde Latifa, la fille aînée, trouvant les mots à la place de son père, trop ému pour exprimer l’ineffable.
Le soir du 14 juillet, le couple s’est justement chamaillé. Fatima voulait accompagner ses petits-enfants sur la promenade. Hamed, lui, aurait préféré observer le feu d’artifice de son balcon. Sa femme a eu le dernier mot. Alors qu’il garait la voiture, le camion a percuté Fatima, première victime de l’attentat.»
Quelquefois raconter simplement les faits, la réalité, constitue la plus simple et grande leçon de philosophie.
Fatima était une femme simple, taquine, mère, grand-mère, elle voulait que ses enfants réussissent dans la vie et elle était habitée de bons sentiments à l’égard des autres.​
Elle a rencontré la haine d’un musulman criminel.
Le lendemain, ses filles ont aussi rencontré la haine, la haine de personnes qui veulent cultiver une communauté de “Nous” opposés à “Eux”.
Posément, calmement et résolument, je m’inscris dans le “Nous” dans lequel se trouve Fatima Charrihi, femme musulmane voilée qui voulait que ses enfant réussissent en France. Et je ne veux pas faire partie du “Nous” imaginé par les gens haineux qu’ont rencontré les filles de cette femme qui a été la première victime de tuerie de la promenade des anglais.