Mercredi 12 juillet 2023

« Dissuasif »
Terme peu compris et usité dans la société française

Un policier, après 9 jours de travail sans repos, au terme d’une course poursuite d’un délinquant conduisant sans permis et enfreignant le code de la route, a commis la grave erreur de dégainer son arme, puis de tirer sans maîtriser son tir.

Il a commis une faute !

Mais quand j’entends et je lis les médias et la plupart des hommes politiques de gauche, il semblerait que « LE PROBLEME » est ce policier et le cortège de violences policières qu’ils énumèrent.

Je ne dis pas qu’il ne faille pas s’interroger sur les méthodes, la formation et certaines dérives racistes de la Police, mais il y a un moment où quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limite.

Libération dans un article : <comment Gérald Darmanin soutient financièrement le policier mis en examen> s’offusque du fait que l’administration a trouvé un moyen juridique, pour permettre au policier de continuer à toucher une partie de son traitement, bien qu’il ne travaille plus et que de manière factuelle en l’«absence de service fait», il ne devrait pas être payé.

Ce policier a commis une faute, encore faut-il laisser la Justice trancher, mais ce n’est pas le plus grand criminel de la terre.

Il est aussi possible d’exprimer de la bienveillance à son égard.

Il a eu mauvaise réaction prise dans l’urgence, dans un quart de seconde, qui a causé des conséquences terribles.

Mais pourquoi s’arrête t’on à ce tir du policier, en considérant qu’il s’agit de l’alpha et l’oméga du problème posé à la société française ?

Ce tir est la fin d’une histoire, la dernière étape de toute une série de manquements, de lâchetés, de dénis dans lesquels nous nous sommes enfermés.

Dans le mot du jour précédent, j’avais déjà noté que si le jeune Nahel n’avait pas pris le volant de ce bolide ou s’il s’était soumis à l’injonction des policiers, il serait toujours vivant.

Mais si un individu n’avait pas créé, trois mois auparavant, une société de location de voiture de « frimeur » avec la complicité de vendeurs polonais, dans le but de permettre à des dealers ou autres trafiquants des quartiers de jouir de ce symbole de réussite qu’est de conduire de telles automobiles qui ne servent à rien d’autre que de satisfaire le mâle alpha dans sa bêtise et sa vacuité, Nahel serait aussi en vie.

Mais pourquoi existent-t ‘il de telles sociétés de location dans des quartiers que les mélenchonistes décrivent simplement comme pauvres et délaissées ?

Parce que s’il y a de la pauvreté, il y a aussi de la richesse dans des zones que l’État a accepté de laisser devenir des zones de non droit.

Lors du mot du jour du « 20 janvier 2015 » je citais Régis Debray :

« Lorsque l’Etat se dégrade et perd en autorité symbolique
il y a deux gagnants : les sectes et les mafias. »

Verser de l’argent dans ces quartiers ne sert à rien, s’il n’existe pas en parallèle des humains qui accompagnent, dialoguent et peuvent aussi aider à sanctionner, le cas échéant.

Rappelons que c’est le Président Nicolas Sarkozy qui a mis fin à la Police de Proximité.

Les travailleurs sociaux sont manifestement insuffisants et insuffisamment soutenus.

Ce sont des problèmes d’une grande complexité, les aborder de manière simpliste est une faute.

Mais je voudrais aujourd’hui parler d’un mot qui je crois n’est pas bien compris, voire accepté en France.

La première fois que j’ai été confronté, dans ma vie, au terme dissuasif c’était au moment de l’achat de notre appartement de Montreuil.

Les propriétaires étaient un couple en instance de divorce et l’appartement était toujours occupé par l’épouse. Certaines réflexions et signes, m’ont donné l’intuition que cette dame ne quitterait peut-être pas l’appartement après la vente.

Nous en avons parlé à notre notaire qui nous a suivi. Au moment de la promesse de vente, il a donc demandé à son collègue d’introduire dans l’acte, la mention d’une astreinte de mille francs par jour, si l’appartement n’avait pas été totalement vidé, le jour de la vente.

Je me souviens encore de la réaction offusquée de la Dame qui s’exclama :

« Mais c’est plus cher qu’une nuit d’hôtel »

Et j’ai trouvé sur ce <site> qu’en effet, en 1991, année de cet achat, le prix d’une chambre d’hôtel de qualité se situait autour de 400 Francs.

Mais devant la réaction de la dame scandalisée, son notaire lui a répondu simplement :

« Oui Madame c’est beaucoup plus cher qu’une nuit d’hôtel. Mais c’est fait pour cela. C’est une mesure qui présente un caractère dissuasif ».

Dans cette situation, le caractère dissuasif était d’autant plus affirmé que le montant de la vente serait dans les mains du notaire et qu’il n’y avait dès lors aucune échappatoire au déclenchement effectif de l’astreinte.

Plus récemment, j’ai eu la compréhension de la signification du mot dissuasif par le témoignage de mon fils lors de son séjour à New York. Je me plaignais que souvent en France, aux carrefours, les voitures déclenchaient un embouteillage néfaste à la sécurité des cyclistes et à la fluidité de la circulation. Mon fils m’a dit qu’à New York un tel phénomène n’existait pas. Les règles imposaient qu’une voiture ne devaient jamais s’engager dans un carrefour si elle n’avait pas la certitude de pouvoir en sortir avant le changement de feu. Et toute voiture égarée au milieu d’un carrefour n’ayant pas respecté cette règle était sanctionnée par une amende d’un montant très sévère.

Mon frère Gérard était allé dans la ville allemande, voisine du domicile parental, Sarrebruck. Il s’était garé sur une grande avenue. Partout des panneaux indiquaient qu’il fallait qu’aucune voiture ne soit garée sur cette avenue à partir de 17 heures. C’était expliqué, il fallait que les grandes avenues de la ville soient dégagées à l’heure où les salariés allemands quittaient leur travail pour fluidifier la circulation. Mon frère, français de son état, est arrivé à sa voiture à 17h01, la discussion entre lui et l’autorité allemande a tourné court. Il a dû s’acquitter d’une sévère amende. Mais il jura qu’on ne le reprendrait plus.

Alors en France on ne fait pas comme ça. Les dirigeants jusqu’au français modestes estiment toujours qu’il est possible de s’arranger avec les règles et que si on ne les respecte pas, ce n’est pas très grave, c’est quasi excusable et presque compréhensible.

Évidemment si la sanction est une amende de 80 ou de 130 euros, que parfois d’ailleurs on ne paie pas, nous ne sommes pas dans le domaine du dissuasif mais de la taxe : On paie une taxe et on a le droit de ne pas respecter la règle.

Alors en France :

  • Énormément de cyclistes ne respectent pas les feux rouges, ni d’ailleurs les passages pour piétons !
  • Des parents insultent des enseignants
  • Des personnes sans permis conduisent des voitures (vous comprenez ils ont en besoin !). Selon une étude de l’Observatoire de la sécurité routière, 800 000 conducteurs rouleraient sans permis. Quasi autant circulent sans assurance.
  • Des pompiers, des médecins sont agressés et bien sûr la Police. Et pour les pompiers et les médecins, les arguments de certaines associations et groupes politiques ne peuvent même pas évoquer les violences policières…

Alors, peut être existe-t-il trop de règles en France.

Mais quand il existe une règle, on la respecte et on l’a fait respecter.

Et parallèlement on s’attaque aux autres problèmes, tous plus compliqués les uns que les autres, mais dans une société de règles acceptées, défendues et respectées sinon sanctionnées.

Les élites doivent bien entendu donner l’exemple.

Sans ce socle, le reste est inatteignable.

Jean-Pierre Colombies, ex-policier, analyse l’affaire de manière qui me semble très pertinente dans <Le Media pour tous>.
Il critique sévèrement l’intervention des deux policiers. Mais il ne s’arrête pas là et analyse plus profondément les problématiques de la sécurité, des quartiers et de la politique .

<1754>

Mercredi 12 octobre 2022

« Négocier avec le diable. »
Pierre Hazan

Pierre Hazan, est suisse, il a été un temps journaliste puis s’est tourné vers le rôle de médiateur sur des lieux de conflits et de guerre. Il a été présent sur la guerre en Yougoslavie, au Rwanda, au Soudan et sur de nombreux autres lieux où les humains s’affrontaient et se massacraient.

Aujourd’hui il est conseiller senior auprès du Centre pour le Dialogue Humanitaire dont le siège est à Genève et qui est l’une des principales organisations actives dans la médiation des conflits armés. Il a conseillé des organisations internationales, des gouvernements et des groupes armés sur notamment les questions de justice, d’amnistie, de réparations, de commissions vérité, de disparations forcées et de droit pénal international et de droits de l’homme.

Pierre Hazan a aussi travaillé au Haut-Commissariat de l’ONU pour les droits de l’homme et a collaboré avec les Nations unies dans les Balkans.

Parallèlement, en juin 2015, Pierre Hazan a fondé justiceinfo.net, un média de la Fondation Hirondelle, dédié à la gestion des violences politiques dans les sociétés en transition. Il fut aussi commissaire de l’exposition Guerre et Paix (octobre 2019-mars 2020) qui s’est tenue à la Fondation Martin Bodmer organisée en partenariat avec les Nations unies et le Comité international de la Croix-Rouge.

C’est ce qu’on apprend sur le site qui lui est consacré : https://pierrehazan.com/biographie/

Il est invité sur beaucoup de plateaux de media et fait l’objet d’entretien dans les journaux, à cause du conflit d’agression de la Russie à l’égard de l’Ukraine et aussi parce qu’il vient de faire paraître en septembre 2022, un livre qui a pour titre : « Négocier avec le diable, la médiation dans les conflits armés  »

C’est un homme de terrain, ce qu’il dit ne vient pas d’une réflexion conceptuelle mais de son expérience.

Pour ma part je l’ai écouté avec beaucoup d’attention et d’intérêt sur le site Internet « Thinkerview » que j’ai évoqué plusieurs fois et que j’apprécie particulièrement parce qu’il ne se centre que sur l’invité et le laisse s’exprimer pour aller au bout de ses idées.

Cela a bien sûr pour conséquence que l’émission dure un peu plus longtemps. Dans ce cas particulier 1h37 : <Faut-il accepter de négocier avec le diable ?>

Pierre Hazan souligne que nous vivons dans un monde toujours plus chaotique dans lequel l’Occident n’est plus hégémonique. Il parle aussi des dérives de la « guerre contre le terrorisme » à la suite des attentats du 11 septembre.

Avec beaucoup de prudence, de doute, il parle de la nécessité, malgré tout, de la médiation, même avec son pire ennemi.

Il donne comme exemple la médiation qui a permis à l’Ukraine de recommencer à exporter des céréales, cen qui a eu pour conséquence de sauver des gens de la famine et de permettre à l’Ukraine d’obtenir des ressources.

La négociation a permis aussi d’échanger des prisonniers russes et ukrainiens.

Il a rapporté que même avec Daech il a été possible de négocier, notamment pour faire passer de l’aide humanitaire pour secourir des populations en grande difficulté.

<Le Monde> présente son livre ainsi :

« Peut-on parler avec des groupes terroristes au risque de les légitimer ? Tenter d’arrêter un carnage peut-il justifier de discuter avec des régimes criminels ? A partir de quand la négociation devient-elle un alibi à la non-action ? Ce sont les éternels dilemmes de la médiation dans la quête de la paix ; souvent, le choix n’est pas entre le bien et le mal mais entre le mauvais et le pire. « Depuis longtemps, j’ai abandonné le confort de l’éthique de conviction, ce luxe d’être cohérent avec soi-même, pour assumer l’éthique de responsabilité », écrit Pierre Hazan, évoquant « une éthique de la responsabilité tournée vers l’efficacité qui encourage le compromis et le pragmatisme, selon les aléas de l’action et au nom de la finalité recherchée. »

Il montre que si on se bloque sur une vision qui prétend n’accepter aucun compromis et avoir pour seul but d’éradiquer « le mal », on refusera tout dialogue avec des auteurs de crimes de guerre et des organisations « terroristes » Et dans ce cas ce sont les populations qui paient le prix de cette impossibilité de médiation.

L’enjeu d’une médiation n’est pas de choisir ses interlocuteurs, mais de déterminer si le dialogue ou la négociation peut soulager des populations en souffrance.

Il évoque aussi Cicéron et la désastreuse affaire de Libye dans laquelle les anglais et les français aidés des américains vont outrepasser le mandat de l’ONU, ce que Poutine et les chinois ne pardonneront jamais aux occidentaux.

Il revient aussi sur ces deux points dans un entretien avec Pascal Boniface <4 questions à Pierre Hazan>

D’abord Cicéron :

« Cicéron parlait des pirates comme « les ennemis du genre humain ». À toutes les périodes, il y a eu la tentation d’isoler, voire d’éradiquer ceux qui représentent le mal. Dans l’après-guerre froide, après le génocide au Rwanda (1994) et les massacres de Srebrenica (1995), la figure du mal a été représentée par les criminels de guerre. Après les attentats du 11 septembre 2001, ce furent « les terroristes ». Le fait est que la lutte antiterroriste a montré ses limites, et les États-Unis ont signé un accord de paix avec les talibans après 20 ans de guerre et d’innombrables morts. Le traité de paix en Bosnie-Herzégovine a été possible parce qu’à cette époque, le chef de l’État serbe n’était pas encore inculpé. La justice doit passer. Mais elle doit être articulée avec la recherche de la paix. »

Ensuite la Libye :

« Le moment de bascule, c’est le moment où symboliquement se termine la Pax Americana avec l’intervention en Libye en 2011. L’intervention de l’OTAN en Libye a été justifiée par une résolution des Nations unies au nom de « la responsabilité de protéger » les populations civiles. La Russie et la Chine avaient accepté à l’époque de s’abstenir. Elles ont eu le sentiment d’avoir été trompées, puisque l’intervention occidentale s’est soldée par un changement de régime (chute de Mouammar Kadhafi). À partir de ce moment-là, alors que la révolte commence en Syrie et que la répression sera impitoyablement sanglante, la Russie va s’opposer à toute intervention de la justice pénale internationale, de la responsabilité de protéger, des mécanismes des droits de l’homme en Syrie, jugeant que ce sont des instruments contrôlés par les Occidentaux. »

Et il parle aussi de la limite de la Justice Internationale, la Cour pénale internationale, n’ayant pour l’instant que juger des responsables africains. La justice pour les criminels de guerres dans les Balkans ayant été traité par un Tribunal spécifique pour l’ex Yougoslavie :

« Il y a une soif inextinguible de justice au sein de sociétés qui ont été violentées et où de terribles crimes ont été commis. Comment ne pas comprendre cette exigence de dignité et de justice en vue d’un vivre ensemble pacifié ? Malheureusement, la morale est trop souvent instrumentalisée à des fins politiques. Il en est de même de la justice internationale, dont le principe moral est ô combien important, mais dont l’application est trop souvent sélective. La création de la Cour pénale internationale (CPI) avait suscité un immense espoir dans une grande partie du monde, mais hors de l’Occident, elle a généré un sentiment de frustration, estimant que la Cour fonctionne sur le principe de deux poids, deux mesures. »

Et dans l’entretien passionnant sur Thinkerview, il rapporte un échange incroyable avec l’ancien ministre des affaires étrangères de François Mitterrand : Roland Dumas.

Cet épisode, il le raconte aussi dans un article de Libération : « Il faut parler avec des criminels de guerre y compris quand ça tue. »

« Je me souviens d’une interview avec Roland Dumas. Je vais le voir avec une incroyable naïveté. Je lui dis : «Vous êtes l’homme de la révolution judiciaire des années 90. C’est vous qui portez la résolution 808 et 827 [au Conseil de sécurité qui fonde le TPIY, ndlr]. Elle engendre, une année plus tard, la résolution 955 qui crée le TPIR [tribunal pénal international pour le Rwanda, ndlr]».
Et là, il me fixe, avec un regard ironique et me dit :
« Mon problème était très différent. Je craignais que Mitterrand et moi, soyons un jour accusés de complicité pour les crimes de guerre commis par les Serbes de Bosnie. Alors quand Robert Badinter est venu avec son idée un peu idéaliste de tribunal, je me suis dit que c’était formidable parce que, d’un côté, on aurait une épée de Damoclès pour effrayer les auteurs de crimes de guerre et, de l’autre, une sorte de bouclier juridique.»
Je n’en croyais pas mes oreilles.
C’est pour ça que la France ne collaborait pas avec le TPIY. Il a fallu attendre Jacques Chirac pour qu’elle le fasse. J’étais étonné du cynisme par lequel la justice pénale internationale était née. Je me suis dit qu’après l’os humanitaire, on jetait un os juridique pour calmer les opinions publiques. Parce que la question de fond qui se posait à l’époque en ex-Yougoslavie, c’était intervenir ou ne pas intervenir. Il y avait la peur des représailles, ou que ça dégénère avec une implication plus importante. »

Et il finit cet article avec ce conseil pour le conflit russo-ukrainien :

«  Nous sommes aujourd’hui face à des défis globaux qui demandent une responsabilité maximale à chacun. Vouloir fermer des fenêtres de dialogue me semble extraordinairement dangereux. Aujourd’hui, des voix se manifestent – la présidente de la Commission européenne semble le souhaiter– pour inculper Vladimir Poutine. Si on le fait, on risque de se fermer des portes dans le processus de négociation qui devra forcément avoir lieu un jour. »

Je finirai par un autre extrait de l’entretien Thinkerview :

Quand l’animateur lui demande de parler de ce qu’il a vu de pire sur les théâtres de guerre. Il dit son embarras et refuse de faire un palmarès.

Il évoque rapidement un lieu de massacre dans les Balkans et aussi un lieu du génocide au Rwanda où il sentait l’odeur de mort.

Et il ajoute :

« Il faut voir l’étincelle de vie en chacun de nous.
Il faut réfléchir, comment vivre.
Comment avoir du plaisir, comment reconstruire.
Comment faire avec, comment avec ce qui s’est passé.
Comment réapprendre à être des hommes et des femmes.
Réapprendre à être soi.
Réapprendre à aimer, tout simplement.
Et je crois que c’est sur ça qu’il faut regarder ! »


<1722>

Jeudi 30 juin 2022

« Je suis hyper émue d’avoir vécu cette expérience, de m’être fait prendre dans cette rivière-là. »
Aurélie Sylvestre épouse de Matthieu assassiné au Bataclan le 13 novembre 2015

Ce fut le plus long procès criminel de la France de l’après-guerre : Après neuf mois d’audiences hors norme, les cinq magistrats de la cour d’assises spéciale ont rendu leur décision contre les vingt personnes (dont six « jugées en absence ») accusées d’avoir participé aux attentats du 13 novembre

« Libération » parle d’un « verdict pour l’Histoire » en narrant l’ensemble des peines prononcées

Hier le journal publiait en Une : « L’humanité a gagné »

Nous autres français sommes souvent critiques sur notre pays, mais je crois que pour ce procès nous pouvons être fier.

Les américains n’ont pas su le faire, ils ont inventé Guantanamo et n’ont pas su mettre en pratique un procès digne de l’état de droit et d’une démocratie libérale.

Le Un Hebdo a aussi consacré le numéro de cette semaine à ce procès : « Je ne suis plus victime, je suis un survivant »

Et dans ce numéro, l’écrivain Robert Solé interroge le mot « Partie civile »

« À l’ouverture de ce procès hors norme, ils étaient déjà 1800. Par la suite, quelque 700 autres rescapés, blessés ou proches des victimes se sont également constitués partie civile pour avoir subi, eux aussi, un préjudice corporel, matériel ou moral ce funeste 13 novembre 2015.

Un procès pénal oppose l’accusé au ministère public. Cependant, un troisième acteur s’est introduit peu à peu dans le prétoire, sans se limiter à un strapontin : devenue « partie au procès », la victime bénéficie de droits croissants, notamment celui de pouvoir s’exprimer à l’audience.

Des juristes contestent cette évolution, estimant qu’un « parquet bis » vient porter atteinte à l’équilibre entre l’accusation et la défense. Mais on peut se demander ce qu’aurait été le « procès du Bataclan » sans les témoignages bouleversants de ces hommes et de ces femmes, frappés par la foudre il y a six ans : ceux qui s’étaient interdit de pleurer ; ceux qui se sont adressés sans haine aux accusés ; ceux qui ne se pardonnent pas d’être vivants…

Chaque drame est unique, « mais il y a dans cette salle des mains qui se touchent, des familles qui s’étreignent, des amis qui se réconfortent », disait à la barre Aurélie, une « partie civile » qui a perdu son compagnon dans le massacre, alors qu’elle était enceinte et mère d’un enfant de trois ans. « Il y a ici tout ce qui faisait de nous une cible : l’ouverture à l’autre, la capacité d’aimer, de réfléchir, de partager, et c’est incroyable de constater qu’au milieu de tout ce qui s’est cassé pour nous ce soir-là, ce truc-là est resté intact. »

En l’entendant, on se disait que le terme glacial de « partie civile » était bien mal adapté à tant de douleurs, de larmes et d’humanité. »

Aurélie, c’est Aurélie Sylvestre qui a perdu son compagnon Matthieu Giroud au Bataclan alors qu’elle était enceinte de leur deuxième enfant. Son témoignage puissant et plein d’humanité lors du procès a marqué beaucoup de monde et a été relayé massivement dans les médias et sur les réseaux sociaux.

Le <mot du jour du 8 février 2022> avait été consacré à ce moment.

A la veille du verdict, « Libération » est allé l’interviewer : «Plus tu touches à l’intime et à la sincérité, plus tu es universel. »

« Je me souviens du premier jour, quand le président de la cour a lu la liste des victimes des attentats, tous ces noms égrenés : on convoquait les fantômes. Et puis, dans la salle, il y avait toutes les autres parties civiles, moi qui avais vécu complément recroquevillée sur mon chagrin, j’ai vu tous ces gens et j’ai pensé : « On a tous été brûlés à la même flamme. » »

Toutes les parties civiles, ce n’est pas un beau mot, mais il permet d’inclure la communauté de celles et ceux qui sont victimes ou parents de victimes de cet attentat, ont raconté peu ou prou la même chose : ils ont fait de merveilleuses rencontres au cours de ce procès qui leur a fait du bien

Aurélie Sylvestre le dit ainsi :

« Pendant six ans, j’ai négligé mon traumatisme. Epuiser le récit de cette nuit-là, rencontrer d’autres personnes qui ont vécu ça, a vraiment eu une vertu. Oui, ce procès nous répare, je le découvre. Et je trouve important de le dire. On a tous cheminé dans cette salle : les accusés, les avocats, les parties civiles… On n’est plus du tout au même endroit qu’en septembre. Je suis hyper émue d’avoir vécu cette expérience, de m’être fait prendre dans cette rivière-là.
[…] La femme que j’étais vraiment a explosé la nuit du 13 Novembre. Pendant six ans, j’ai eu l’impression d’avoir ramassé mes petits morceaux de moi. Avec ce procès, j’ai pu rassembler ces débris et sculpter, réanimer la femme que j’étais avant. Ces dix mois, à la fois très longs et très courts, ont été une avancée spectaculaire. Cela m’a permis de métaboliser mon drame. J’ai pourtant longtemps cru qu’il fallait que je me trouve ailleurs, comme disait Marguerite Yourcenar. Il fallait tout ce temps-là. Il fallait six ans et dix mois pour me retrouver. Je vais tourner une énorme page, et après ça, la vie recommencera. C’est sûr, il y aura un après. »

Répondre à la barbarie par de l’humanité, c’est ce qui honore une civilisation.

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Vendredi 18 février 2022

« Le gosse »
Véronique Olmi

« Ce livre est glaçant… Et ne me quitte pas. Remarquable » a dit François Busnel dans son émission « La Grande Librairie du 2 février »

Ce livre est « Le gosse » de Véronique Olmi

Ce roman révèle une société violente et monstrueuse contre les enfants orphelins confiés à l’assistance publique, au sortir de la Grande Guerre.

Le gosse a pour nom Joseph. Il est né en 1919, à Paris

Son père revenait de la grande guerre, il avait la gueule cassée.

C’était un survivant, mais il ne le restera pas longtemps. Nous savons qu’il y eut à cette époque un fléau encore plus meurtrier que la guerre : une pandémie, à laquelle on donnera pour nom, la grippe espagnole.

Sa mère, Colette, était plumassière.

Grâce à « Wikipedia » nous apprenons qu’une plumassière exerce l’activité de « la plumasserie ». C’est-à-dire la préparation de plumes d’oiseaux et leur utilisation dans la confection d’objets ou d’ornements souvent vestimentaires et particulièrement les chapeaux.

Et à la mort du père, cette modeste ouvrière doit seule subvenir aux besoins de l’enfant et aussi de sa mère qui perd, peu à peu, la raison.

La vie est rude, il y a peu de loisirs. La mère rencontre un jeune homme, elle tombe enceinte. Il n’y a pas de contraception, l’avortement est interdit, pénalisé.

Cette grossesse tombe mal. Elle se confie entre les mains d’une femme qu’on appelait « faiseuse d’ange » et comme cela arrivait trop souvent, elle meurt.

Joseph se retrouve donc seul avec sa grand-mère qui n’a plus toute sa tête.

Alors que Joseph joue au football avec ses copains, on vient le chercher. Sa grand-mère vient d’être conduite à l’hôpital Sainte Anne qui est l’asile psychiatrique de Paris depuis 1651. Joseph est donc pris en charge par l’assistance publique.

Non seulement, il est orphelin. Mais il est aussi fils d’une avorteuse.

Véronique Olmi insiste sur le fait que la société d’alors jugeait les gens selon leur hérédité. Si la mère n’était pas une femme digne dans l’ordre moral, l’enfant était suspect.

Elle fut aussi invité d’Augustin Trapenard, le 8 février 2022 : <Les mots de Véronique Olmi>. Dans cette émission elle a dit :

« Le droit à l’avortement, c’est une conquête à ne jamais oublier. Je ne sais pas si le système patriarcal s’effritera un jour, ce sera un processus sûrement très long, mais le corps de la femme est toujours celui qui souffre dans ce système. »

Et il est vrai qu’alors que nous pensions que ce combat était gagné en Occident, des forces obscures, au sein des religions établies, parviennent à faire reculer cette liberté des femmes aux États-Unis, en Pologne et de manière plus insidieuse en France : < Près de 8 % des centres pratiquant l’IVG en France ont fermé en dix ans>

Joseph est d’abord confié à un orphelinat, mais très rapidement il est placé dans une ferme, près d’Abbeville. Après la grande guerre, les paysans manquaient de bras, alors il faisait appel à l’assistance publique pour en récupérer.

On les appelait « les parents nourriciers » mais Joseph considère ce lieu plutôt comme une souricière. La société d’alors considérait le travail de la terre comme quelque chose de particulièrement sain et rédempteur pour les enfants mal nés. Joseph est un gavroche parisien, cette vie à travailler dans la ferme ne lui convient pas, surtout que les parents souriciers sont âpres aux gains et brutaux.

Il retournera à Paris, mais pour le pire. Il est mal noté par l’inspecteur qui ordonne son retour dans la capitale et son incarcération à la prison de la Petite-Roquette dans le quartier de la Bastille.

Ce que j’ai appris sur cette prison pour enfant m’a sidéré et atterré.

Il en est encore capable de dire que c’était mieux avant !

<Le ministère de la justice> fait un court résumé de cette prison construite en 1836 et qui ne se videra de ses enfants qu’en 1930 pour devenir une prison pour femmes avant d’être détruite en 1974, remplacée depuis par le square de la Roquette. Le ministère de la Justice cite Victor Hugo qui trouvait cet établissement très bien en 1847.

Le principe de cette prison était l’isolement et le silence.

« 20 minutes » cite Véronique Blanchard, historienne qui a coécrit : « Mauvaise Graine: Deux siècles d’histoire de la justice des enfants » :

« Près de 500 enfants y sont incarcérés. On leur intime le silence absolu. « On applique un système philadelphien où le temps d’enfermement est plus important que les moments passés en collectivité. Les enfants passent 22 heures en cellule », raconte Véronique Blanchard. Ils n’ont pas le droit de se voir, ni de se parler. Quand ils sont amenés à se déplacer, on leur pose un sac sur la tête pour éviter qu’ils ne croisent le regard de leurs camarades. Les promenades dans les couloirs sont individuelles. « Et quand, le dimanche, ils assistent à la messe dans la chapelle, ils sont placés dans des box individuels pour limiter toute communication », poursuit l’historienne.

« Les cellules sont des cages infectes, à peines convenables pour un animal », relate le journaliste Henry Danjou. Trois mètres de long et deux mètres de large. « Le jour n’y arrive que par les vitres dépolies d’une fenêtre, dont l’espagnolette est cadenassée. Elles ne sont pas éclairées la nuit. Ni chauffées. J’y ai vu des enfants qui n’avaient plus de visages humains, hirsutes, sales, couverts de poils, jetant sur moi un regard égaré » »

« Paris Match » a aussi publié, en 2021, un article instructif : « L’histoire oubliée des enfants abandonnés de la Petite Roquette » qui rapporte que des pères mécontents de leurs enfants pouvaient les faire enfermer dans ce terrible endroit et aussi que la mortalité était de 12% par an. La nourriture y était médiocre et insuffisante.

Par la suite Joseph quittera cette prison pour être envoyé dans un domaine agricole en Touraine : «  La Colonie agricole et pénitentiaire de Mettray », véritable bagne pour enfants ouverts en 1839 et fermé en 1939.

C’est encore le mythe de la terre rédemptrice qui était à l’œuvre dans ce lieu de travail acharné, de privations de liberté et privations de soin.

Un des pensionnaires les plus célèbres de ce bagne sera Jean Genet qui décrit la vie des enfants là-bas dans son livre « Le Miracle de la rose ». Il raconte que « chaque paysan touchant une prime de cinquante francs par colon évadé qu’il ramenait, c’est une véritable chasse à l’enfant, avec fourches, fusils et chiens qui se livrait jour et nuit dans la campagne de Mettray. ».

Véronique Olmi dit dans les deux émissions ce qu’elle doit à Jean Genet

« Les mots de Genet m’ont apporté le vertige. Je l’ai lu adolescente, et c’était trop troublant. Des années après, ça m’a coupé le souffle : c’est cru, c’est violent, mais toujours pris dans une violence à nu, sublimée en permanence. Genet, c’est l’intranquillité. »

Joseph parviendra à surmonter ces épreuves et trouvera la liberté et la joie grâce à la musique et l’amour.

Lors de cette période d’avant, où ce n’était pas mieux, l’éducation des enfants qui étaient dans les griffes de l’assistance publique constituait une barbarie, quasi un esclavage et on faisait trimer ces pauvres enfants pour le plus grand bénéfice de leurs tortionnaires ou même l’État.

On ne leur apprenait rien, notamment pas l’écriture.

François Busnel parle d’une « partie méconnue de l’Histoire de la République ».

C’est la grandeur de ce livre et de Véronique Olmi de dévoiler cette partie.

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Mercredi 9 février 2022

« J’admire la capacité des victimes à ne pas céder à la haine, à ne pas faire d’amalgames, à croire en notre démocratie et en l’Etat de droit. […] Cela redonne confiance en l’humanité dont nous serions parfois tentés de désespérer. »
Georges Salines

Le témoignage d’Aurélie Sylvestre que j’ai évoqué hier, je l’ai découvert en écoutant l’émission de Philippe Meyer « Le nouvel Esprit Public » du <26 décembre 2021>, consacrée au Procès des attentats du 13 novembre 2015.

Philippe Meyer avait invité Georges Salines qui est médecin comme son épouse Emmanuelle. Le couple qui a eu trois enfants, deux garçons et une fille, a perdu sa fille Lola, assassinée au Bataclan.

Comme pour toutes les autres victimes, « Le Monde » a consacré une page à <Lola Salines, 29 ans>

J’avais déjà écrit un mot du jour parlant de Georges Salines, c’était il y a un environ un an : « Il nous reste les mots » qui est le titre d’un ouvrage écrit par deux hommes, le premier père de Lola assassinée, le second Azdyne Amimour, père d’un des assassins.

Azdyne Amimour semble être mis en difficulté lors du procès. « Libération » évoque les doutes sur le récit qu’il fait notamment sur un voyage en Syrie à la recherche de son fils : < Azdyne Amimour est-il réellement allé en Syrie pour ramener son fils, kamikaze du Bataclan ?>

« Le Monde » décrit le manque de clarté dans ses réponses < le vain interrogatoire des pères de deux terroristes du Bataclan>

Lors de l’émission de Philippe Meyer, Georges Salines est plein de bienveillance disant simplement qu’Azdyne Amimour a des problèmes avec sa mémoire.

Je crois qu’il faut écouter cette émission. Georges Salines est un exemple d’homme qui rend fier d’appartenir à l’espèce homo sapiens, ce qui n’est pas toujours simple, vous en conviendrez.

David Djaïz , un des intervenants de l’émission, s’est adressé à lui :

« Il est difficile de trouver les mots, mais je voudrais d’abord vous exprimer ma compassion, mon admiration et mon respect. […] J’admire la dignité et la discipline avec lesquelles vous faites face, vous continuez à vous tenir droit et à témoigner. »

Et Jean-Louis Bourlanges a ajouté :

« Je partage absolument ce qu’a dit David sur le respect qu’inspire votre attitude, cette discipline, cet effort d’objectivation, de mise à distance intellectuelle, tout cela est admirable. Je le dis d’autant plus volontiers que j’occupe le rôle de l’homme politique dans cette émission, et je ressens qu’un homme politique devrait avoir le même courage que vous, cette capacité de traiter intellectuellement des problèmes aussi chargés émotionnellement. Personnellement, je m’en sais incapable. »

Je soulignerai trois moments dans l’intervention de Georges Salines :

D’abord son indulgence devant l’erreur humaine :

« Je suis a priori plutôt indulgent face aux erreurs ou aux faiblesses des pouvoirs publics : parce que c’est très compliqué, parce que les moyens ne sont pas là, et parce que l’erreur est humaine. Je ne m’attendais pas à ce qu’on débatte autant de ces problèmes, car les assassins de nos enfants sont les terroristes, pas François Hollande ou la police belge […]. Mais il y a tout de même des manquements sérieux. Côté français, Samy Amimour avait été arrêté et placé en garde-à-vie en 2012 à cause d’un projet de départ en zone djihadiste. Placé sous contrôle judiciaire par le juge d’instruction Marc Trévidic, ses papiers lui ont été confisqués. Or, un an plus tard, il a pu quitter le territoire national avec une vraie carte d’identité. Soit le fonctionnaire qui a refait les papiers n’a pas vérifié dans le fichier d’interdiction de sortie du territoire, ce qui est une faute, soit ce fichier n’avait pas été renseigné correctement (autre faute, de la Justice cette fois), soit on ne lui a retiré que son passeport, mais pas sa carte d’identité. Pour le moment, on ne sait pas quelle hypothèse est la bonne, mais on ne peut s’empêcher de penser à ce qui se serait passé si tout le monde avait fait son travail correctement …
Tout ne fonctionne pas en France, mais c’est bien pire en Belgique. Un véritable désastre à vrai dire. Je ne vais pas entrer dans les détails, d’autant que l’on ressent ce procès par phases, et je sors d’une semaine de dépositions des enquêteurs belges, dont les dépositions ont révélé des manquements graves. Mais on ne peut pas refaire l’Histoire, et s’appesantir sur ces manquements ne fera pas revivre nos enfants. »

Ensuite cette difficulté de comprendre comment on devient terroriste et aussi le constat que les idéologues de Daesh ont décidé d’attaquer la France depuis longtemps non pour se venger de bombardements, mais parce qu’ils haïssent notre manière de vivre :

« Comment devient-on un terroriste ? C’est la question qui me taraude depuis le début. Le 14 novembre, je me demandais déjà comment faire pour que ce qui venait de m’arriver n’arrive pas à quelqu’un d’autre. J’ai intégré mes réflexions à mes livres, […] Ce que je peux faire, c’est prêter mon concours à des activités de type éducatif. Je le fais, dans les collèges, les lycées, ou en prison. Je ne sais pas si cela sert à quelque chose, je demande d’ailleurs à ce que ce soit évalué. Mais pour que ce type d’action soit efficace, il nous faut mieux comprendre la manière dont on franchit le pas du terrorisme. Le procès m’apprend beaucoup, j’ai également beaucoup lu et échangé à ce sujet. Il n’y a manifestement pas un modèle unique, mais des parcours de vie très différents. Ce qui est frappant au procès, c’est que presque tous les membres de la cellule terroriste se connaissaient. Ils étaient frères, cousins, vivaient à quelques centaines de mètres les uns des autres, fréquentaient le même bistrot … Il ne faut pas oublier le rôle que jouent les prédicateurs ou certains sites internet dans la radicalisation. Dans ces affaires-là, il faut se garder de la naïveté, et s’efforcer de ne pas faciliter la tâche des recruteurs. Par exemple, il est tout à fait évident que le discours de Daech (dans les communiqués revendiquant les attentats, dans les déclarations des trois terroristes du Bataclan à leurs victimes, et dans ce que répète Salah Abdeslam à la Cour), consistant à dire que les attentats ne sont que des représailles après les bombardements français, est mensonger. C’est absolument faux : on sait que Daech a commencé à préparer ces attentats avant que la France ne bombarde quoi que ce soit. »

Enfin, quand nous renonçons à nos valeurs, cela ne joue aucun rôle auprès des idéologues, en revanche cela leur permet de trouver beaucoup plus facilement des exécutants au sein de certaines franges de la communauté musulmane :

« Nos manquements vis-à-vis de nos propres principes peuvent faciliter le recrutement de certains à qui l’on monte la tête sur le thème de la malfaisance de l’Occident. Hugo Micheron, expert de l’islamisme, remarquait que Guantanamo était du pain béni pour Daech. Évitons donc ce genre d’erreur. »

Georges Saline a fondé l’association « 13Onze15 Fraternité et vérité »

Avant d’écrire « Il nous reste les mots », il avait publié un livre racontant sa douleur et son combat pour la fraternité, la vérité et la justice : « L’Indicible de A à Z »,

Devant la Cour d’Assises, il a eu ces mots :

« J’admire la capacité des victimes à ne pas céder à la haine, à ne pas faire d’amalgames, à croire en notre démocratie et en l’Etat de droit. […] Cela redonne confiance en l’humanité dont nous serions parfois tentés de désespérer. »

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Mardi 8 février 2022

« Et chaque jour je remplis un peu davantage mes cuves d’humanité. »
Aurélie Silvestre

En ce moment se tient le procès des attentats du 13 novembre 2015. Initialement prévu à partir de janvier 2021, le procès fut reporté en raison de la pandémie de Covid-19.

Il s’est ouvert le 8 septembre 2021 et il est prévu qu’il se déroule jusqu’à fin mai 2022 devant la cour d’assises spéciale de Paris.

Ces attentats au Bataclan, contre des terrasses de café de Paris et au stade de France ont entraîné la mort de 131 personnes et 413 blessés.

Tous les terroristes à l’exception d’un seul ont été tués ou se sont suicidés.

Le terroriste survivant et 19 complices présumés sont jugés mais 6 d’entre eux sont « jugés en absence »

Présidée par Jean-Louis Périès, cinq magistrats professionnels composent la cour d’assises spéciale, trois avocats généraux représenteront l’accusation avec un dossier d’instruction de 542 tomes.

1 765 personnes physiques et morales sont constituées partie civile.

Parmi ces 1 765 personnes, il y a Aurélie Sylvestre.

Le 13 novembre 2015, Aurélie Sylvestre avait 34 ans, un enfant de trois ans Gary et un bébé dans le ventre. Son compagnon Mathieu Giroud, rencontré 15 ans plus tôt, était au Bataclan. Elle n’y était pas allée pour se reposer parce qu’elle portait son bébé.

Aurélie et Mathieu savent que ce sera une petite fille, une échographie l’a révélé le 6 novembre. Thelma naîtra quatre mois après les attentats.

Matthieu est prof à la fac en géographie et Aurélie travaille avec une amie, créatrice de bijoux.

Elle a livré un témoignage bouleversant que France Inter a restitué intégralement.

Elle raconte sa vie avant, pendant et après l’attentat,

Pendant, un appel téléphonique lui avait annoncé que Mathieu était vivant. Elle n’apprendra officiellement sa mort que le 14 novembre au soir.

Et elle finit son récit en disant qu’elle n’osait pas venir à ce procès, qu’elle avait peur. Mais elle a trouvé la force d’y aller le premier jour et elle a pensé ne pas revenir.

Et puis elle raconte :

« Mais je suis revenue le lendemain, et le jour d’après aussi.
Quasiment tous les jours en fait. Et petit à petit j’ai compris. Je viens ici pour entendre ce qu’il se dit – et c’est souvent très dur – mais je repars plus souvent encore galvanisée par ce qu’il s’y passe. Il y a dans cette salle des mains qui se touchent, des familles qui s’étreignent, des amis qui se réconfortent.
On décrit l’horreur et au milieu – souvent involontairement – se glisse l’amour, la grande amitié, les verres partagés sur une terrasse, le bonheur d’écouter du son ensemble.

C’est assez subtil mais par moments suffisamment puissant pour que j’arrive à sentir quelques notes du parfum de la vie d’avant. Ça ne dure souvent qu’une seconde mais nous le savons mieux que personne ici : il y a des secondes qui contiennent des vies.

 C’est assez fou mais je crois qu’il y a ici tout ce qui faisait de nous une cible : l’ouverture à l’autre, la capacité d’aimer, de réfléchir, de partager et c’est incroyable de constater qu’au milieu de tout ce qui s’est cassé pour nous ce soir-là, ça – ce truc là – est resté intact je crois.
Alors je continue à venir ici.
Et chaque jour je remplis un peu davantage mes cuves d’humanité.
J’entends des histoires de héros de coin des rues et je les rapporte à mes enfants le soir. Je leur raconte ce frère qui a sauvé sa sœur en la plaquant au sol.
Je leur dis cet homme qui a décidé de rester avec mon amie Edith quand son corps lui empêchait de se sauver et moi je ne suis pas près de me remettre de l’histoire de ce policier qui s’est couché sur le terroriste pour que les otages puissent passer après l’assaut.
Je dis aussi à mes enfants qu’un soir, quand il se faisait tard, des parties civiles ont fait passer de la nourriture aux accusés.
Et même, que les avocats se sont cotisés pour payer une bonne défense aux “méchants”. Je peux expliquer à mes enfants qu’il n’y a que ce qui est équitable qui est juste.
L’autre jour une de mes amies m’a dit que cette salle était le pays dans lequel on voulait vivre.
Je crois qu’elle a raison.
Je vous remercie d’avoir pris le temps de m’écouter. ».

Des hommes, car c’étaient des hommes, souvent anciens délinquants, ont adhéré à un récit religieux fanatique et violent.

En se référant à une organisation et des décisions prises par des criminels religieux venant du Moyen-Orient et se réclamant de l’Islam, ces monstres ont tiré avec des armes de guerre sur des civils désarmés qui vivaient une vie paisible et conviviale.

Notre réponse ne peut pas, ne doit pas se situer dans le même registre de violence et de vengeance de ces égarés en voie de déshumanisation.

Notre réponse doit être celle du droit et de notre humanisme.

C’est ce que les mots d’Aurélie Sylvestre expriment avec une clarté et une émotion saisissantes.

L’intégralité de son témoignage se trouve sur le site de France Inter <Je suis devenue une athlète du deuil>

Elle a écrit un livre : <Nos 14 novembre>

« L’Humanité » a consacré un article à ce livre : <La leçon de vie d’Aurélie Silvestre>

« Elle » a réalisé une interview à l’occasion de la sortie du livre : <leçon de survie>

Dans cet interview, elle dit puiser sa force dans la beauté de ce monde. :

« C’est ce qui me sauve. J’ai palpé la folie du monde, à défaut de la comprendre et de pouvoir l’arrêter. Le lendemain, alors que l’homme de ma vie venait de mourir sous les balles des terroristes, j’ai traversé Paris pour me rendre au centre de crise de l’École militaire. Ce matin-là, j’aurais pu ne rien voir. Et pourtant, j’ai vu le soleil se lever sur la grande roue, place de la Concorde, c’est un résidu de beauté qui m’a fait basculer. À ce moment précis, j’ai décidé que j’allais continuer à vivre.

[…] Tout cela aurait pu me terrasser, m’abattre définitivement, mais non. Mes enfants vont bien, je vais bien. Mon quotidien est loin d’être simple, mais je suis « debout » et je sais que ma capacité à aimer est intacte. Elle est même décuplée. »

Sur France 2, elle avait témoigné sur le plateau du <20 heures> et a aussi été interviewée dans le cadre de l’émission : <La Maison des maternelles>.

Vous pouvez aussi lire le témoignage d’Aurélie Sylvestre devant la Cour d’Assises derrière ce <Lien>

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Vendredi 21 mai 2021

« Il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent»
Voltaire « Zadig »

La mission des policiers est compliquée et indispensable dans un État de Droit.

Lors des manifestations des gilets jaunes, j’avais rédigé un mot du jour le <10 décembre 2018> dans lequel je citais un article qui rapportait les violences auxquels les policières et policiers avaient à faire face.

J’avais écrit alors : « Ces personnes sont des fonctionnaires comme moi. Ils ont fait le choix de se mettre au service de L’État et de la République. Mais quand ils sont appelés à assurer leur mission, sur un théâtre d’opération, ils ne sont pas certains de rentrer en bonne forme le soir, en retournant dans leur famille retrouver leurs enfants, leur compagne ou compagnon. »

Et c’est exactement ce qui est arrivé à quatre fonctionnaires de police, le 8 octobre 2016, quand ils ont été agressés par plusieurs personnes à Viry-Châtillon en Essonne.

<France Info> donne un résumé de l’affaire.

« La tension était vive dans la ville après l’installation d’une caméra pour surveiller un endroit où de nombreux vols avaient lieu. De passage, deux véhicules de police ont alors été attaqués à coups de pierres et de cocktails molotov par une vingtaine de personnes masquées. Les voitures ont pris feu mais, aidés par des habitants, les quatre policiers sont parvenus à s’en sortir. Ils ont été blessés, l’un d’entre eux a été grièvement brûlé. »

Son <pronostic vital> avait été engagé

L’enquête avait été difficile pour retrouver la trace des responsables. Près d’un millier de personnes ont été interrogées mais la loi du silence s’est installée. Au final, 13 jeunes âgés de 19 à 24 ans avaient été envoyés devant la Cour d’assises.

Huit des treize accusés étaient condamnés, en 2019, à des peines allant de 10 à 20 ans de prison, les 5 autres étaient acquittés faute de preuves. Mais, le Parquet, qui avait requis de 20 à 30 ans de prison, avait fait appel. <Wikipedia> donne davantage de détails.

Le procès en appel a eu lieu. Et en avril 2021, à l’issue de 14 heures de délibération et six semaines d’audience à huis clos, cinq condamnés ont été reconnus coupables de tentative de meurtre sur personnes dépositaires de l’autorité publique.

Trois ont été condamnés à 18 ans de prison, un autre à 8 ans de prison, et le dernier à 6 ans. Ils encouraient la réclusion criminelle à perpétuité. Le nombre d’acquittés est passé de cinq à huit.

Un avocat des victimes <a déclaré>, à l’issue du procès,

« Nous venons d’assister à un naufrage judiciaire (…) alors que l’on sait qu’il y avait 16 assaillants, on se retrouve avec cinq condamnations »

Il est nécessaire de protéger nos policiers et de sanctionner sans trembler ceux qui les attaquent et plus encore ceux qui mettent leur vie en danger.

Mais il faut que ceux qui sont condamnés soient avec certitude les coupables.

Or « Mediapart » vient de dévoiler qu’au moins pour un des condamnés du premier procès et acquitté du second, les preuves n’existaient pas et qu’il y a eu parmi les enquêteurs des personnes qui n’ont pas eu un comportement éthique.

<L’article> de Mediapart est en accès libre.

Je partage ci-après, le résumé qu’en a fait Claude Askolovitch lors d’une ses <revue de presse>

« Un jeune homme innocent qui pourtant a passé quatre années et trois mois en prison, condamné en première instance pour un crime scandaleux, un piège tendu à des policiers qui auraient pu bruler vifs en octobre 2016 à Viry-Châtillon – mais il a été acquitté en appel dimanche par la Cour d’Assises de Paris, le dossier d’accusation finalement ne tenait pas…
Et ce matin, Mediapart affirme que ce dossier avait été initialement manipulé contre le jeune homme par des policiers enquêteurs, qui aurait transmis à la justice une version tronquée de son interrogatoire en garde à vue, que Mediapart a pu visionner… Ce serait là le vrai scandale du procès en appel de l’agression de Viry-Châtillon, dont le verdict, cinq condamnations et huit acquittement, jugé trop clément par des organisations de policiers et des politiques, provoque des débats et hier des manifestations -mais cette clémence en fait serait une réparation.

Nous sommes en janvier 2017, devant des policiers qui le traitent de con, qui lui disent qu’il n’assume pas, Foued -ainsi Mediapart rebaptise le jeune homme pour garantir son anonymat- Foued, donc jure son innocence, cent fois, dit le journal, mais il finit par craquer, un instant, sous la pression conjuguées des policiers et -étonnamment- de son avocat de l’époque, commis d’office, qui contribue à faire perdre sa lucidité au jeune homme, il lui suggère qu’il est victime d’un black-out, qu’il a participé au guet-apens mais qu’il l’a occulté, ces choses-là arrivent, tiens, c’est arrivé à un de ses clients…

Alors Foued se prend la tête, “Mon Dieu, comment vient ce phénomène…”… et quelques minutes plus tard, interrogé par les policiers, il répond : « Je ne m’en souviens pas une seconde si je l’ai faite ou pas. » Et cette phrase se retrouvera dans le dossier transmis à la justice… mais pas celles-ci, qui montrent un jeune homme sur le point de perdre la raison. « Je vais être fou. Il reste une boule en moi. Je ne sais pas c’est quoi. Dans ma tête, je ne l’ai pas fait. Si je dis que je l’ai fait, si je vous le dis, la boule va rester parce que dans ma tête je ne l’ai pas fait. »

Foued avait été condamné à 18 ans de prison dans le premier procès aux assises, la cour disait que Foued avait « implicitement admis de façon très ambiguë avoir pu participer aux faits”, le procès en appel a balayé ceci pour innocenter le jeune homme, il dit à Mediapart que les enquêteurs ne cherchaient pas les coupables mais des coupables. »

La Justice n’est pas la vengeance, surtout pas la vengeance aveugle.

Dans un État de droit, nos valeurs nous poussent à préférer qu’il puisse exister un coupable en liberté qu’un innocent condamné.

Mais je laisserai le mot de fin à Voltaire :

« Le roi avait perdu son premier ministre. Il choisit Zadig pour remplir cette place. […] C’est de lui que les nations tiennent ce grand principe : qu’il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent »
Zadig ou La destinée – Histoire orientale, Chapitre VI, Le Ministre.

Le mot de jour sera en congé les deux prochaines semaines. Il reviendra le 7 juin.

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Mercredi 21 avril 2021

« [La sanction contre Madoff] montre qu’aux Etats Unis, on a le droit d’escroquer les pauvres, mais on n’a pas le droit d’escroquer des riches »
Dominique Manotti

Bernard Madoff purgeait une peine de 150 ans de prison. C’est la justice américaine, en France il n’est pas possible d’être condamné à de telles peines. En outre, il y a toujours des remises de peine lorsque le prisonnier se comporte convenablement en prison. Ce n’est pas le cas aux Etats-Unis. Aux Etats-Unis même vieux on meurt en prison.

Madoff a fini ses jours dans un pénitencier de Caroline du Nord ce mercredi 14 avril 2021.

Est-ce que je vais plaindre ou défendre Madoff ?

Certes non !

Toutefois il convient quand même de s’interroger sur ce que le cas Madoff révèle du monde, et notamment du monde des États-Unis.

Pour ceux qui ne le saurait pas, pendant de longues années, Madoff a escroqué les gens en mettant en place une chaine de Ponzi. C’est-à-dire qu’il incitait des gens à lui confier leur argent et promettait, en sortie, une rémunération de 12 % par an. Quand un des clients demandaient sa mise, Madoff lui versait la rémunération promise à partir du versement en capital de nouveaux entrants.

L’argent n’était pas investi et Madoff vivait grand train avec l’argent dont il disposait grâce à tous les dépôts.

La crise financière lui sera fatale et provoquera sa chute en accélérant la révélation inéluctable de son escroquerie. En effet, la crise incitera un plus grand nombre de ses clients à demander le retour de leur placement et Madoff ne sera pas en mesure d’honorer sa promesse.

Cette chute va entraîner le suicide de l’un de ses fils Mark qui se pendra en décembre 2010. Et Andrew Madoff, son fils cadet, décédera le 3 septembre 2014 d’un cancer.

En janvier 2020, Bernard Madoff déposera une demande de libération anticipée pour raison médicale, indiquant qu’il souffre d’une maladie terminale des reins et n’aurait plus que 18 mois à vivre. Âgé de 81 ans, il ne se déplaçait plus qu’en fauteuil roulant et avec un corset. Mais il ne fut pas libéré et mourut donc en prison.

Guillaume Erner a invité Dominique Manotti, écrivaine, ancienne professeure de l’histoire économique du XIXe siècle parce qu’elle avait écrit un livre : « Le rêve de Madoff » paru en 2013 aux éditions Allia.

Dominique Manotti a expliqué son parcours :

« Il débute très modestement, puis épouse la fille d’un courtier bien installé, dont il hérite du carnet d’adresse. Ensuite, il devient un des principaux acteurs de la nouvelle économie. Lorsque la crise éclate, il a le plus gros cabinet de courtage des Etats-Unis. Il est sur la liste des cinq présélectionnés pour devenir le président de la SEC,  l’organe de contrôle de la Bourse. Et ce n’est pas finit : il a créé le Nasdaq, qui est la deuxième Bourse américaine, entièrement informatisée. C’est une idée géniale qu’il a eu très tôt : dès qu’il a vu arriver les ordinateurs, il a inventé une machine qui couple l’ordinateur sur le téléphone et permet à tout moment d’avoir l’information des Bourses dans l’ensemble du monde. Il a l’intuition que cela va changer la vie financière, et c’est le cas. Enfin, il est devenu le Président du Nasdaq pendant 10 ans ! »

Mais le plus intéressant est la réflexion que cette écrivaine va faire, suite à la question de Guillaume Erner pour savoir pour quelle raison elle s’était intéressée à Madoff.

Le déclic a eu lieu quand elle a entendu le procureur qui s’était occupé de la négociation dans l’affaire Madoff dire :

« C’est le pire criminel que je n’ai jamais rencontré. »

Comme souvent aux États-Unis, il n’y a pas eu procès mais négociation. Madoff a accepté de plaider coupable et il a été condamné à 150 ans de prison. Normalement la négociation a pour but d’accélérer le processus judiciaire et comme contrepartie une peine plus clémente pour celui qui accepte de plaider coupable.

On se demande à quoi il aurait été condamné s’il y avait eu procès ?

Donc pour le procureur c’est le pire criminel !

Alors Dominique Manotti dit la chose suivante :

« C’est le pire criminel que je n’ai jamais rencontré. »

Et là franchement j’ai eu un coup de sang, un coup de colère. Et je me suis du coup beaucoup intéressé au personnage.

Cela arrive quand même en 2012. Il vient d’y avoir la crise de 2008.

On a des millions d’américains, entre 5 et 6 millions d’américains qui ont perdu leurs jobs, perdu leurs maisons dans la crise des subprimes.

Et Madoff n’a escroqué que des riches, environ 30 000 personnes.

En gros, il n’y a absolument aucune sanction contre les responsables des subprimes.

Mais Madoff va se retrouver en prison.

Et donc cette façon de le voir comme le pire des criminels, signifie qu’aux Etats Unis, on a le droit d’escroquer les pauvres, mais on n’a pas le droit d’escroquer des riches. »

C’est une conclusion à laquelle, il faut hélas se résigner. C’est révoltant !

Dominique Manotti ajoute par ailleurs :

« La chaine de Ponzi consiste à avoir continuellement de nouveaux adhérents : l’argent ne produit rien, car on paie les intérêts des anciens avec l’argent des nouveaux arrivants. A mon avis, ce n’est absolument pas ça qui a fonctionné. La réalité est très supérieure à ce qu’on raconte habituellement. La pyramide de Ponzi est une escroquerie très simple, je n’imagine pas un personnage comme Madoff pratiquer une entourloupe aussi simple. D’autant que le taux pratiqué par Madoff était de 12%, c’est énorme pendant 20 ans ! Les gens savaient que de toutes façons il y avait quelque chose d’illégal derrière. »

Ceux qui donnaient leur argent à Madoff et pensait pouvoir récupérer 12% d’intérêt sans fluctuation et sans risque ne pouvait pas ignorer qu’il y avait un problème. Ils ne pensaient pas être victime d’une escroquerie, ils devaient donc penser autre chose.

Dominique Manotti suppose qu’il devait penser à des activités illégales. J’ai lu par ailleurs, sans que Madoff ne l’avoue ou qu’une preuve n’ait pu être établie, que ce système servait aussi à recycler de l’argent sale.

Le destin de Madoff nous dit beaucoup de la manière dont notre société fonctionne.

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Jeudi 18 février 2021

« Je pense qu’entre un parent et un enfant, il n’y a pas d’inceste heureux.»
Eva Thomas pendant l’émission les dossiers de l’Ecran du 2 septembre 1986

Le 2 septembre 1986, L’émission de France 2, « Les dossiers de l’écran » décide de parler de l’inceste en France. C’est une première.

L’INA a pris la décision pertinente de remettre en ligne cette émission. Vous la trouverez derrière ce lien <1986 : Le tabou de l’inceste – Archive INA>

Le début est remarquable et saisissant.

Trois femmes victimes apportent leurs témoignages : deux de manière anonyme et une Eva Thomas, l’auteur du livre paru en 1986 : « Le viol du silence » à visage découvert.

La première femme qui témoigne est la mère d’une fille qui a dénoncé son mari à la gendarmerie dès qu’elle a su qu’il avait violé une de leurs filles. Ce mari a été en détention provisoire, mais la procédure judiciaire s’est achevée par un non lieu. Elle explique qu’après cela, sa fille et elle-même ont été ostracisées par leurs voisins comme par leur belle famille. Les voisins qui lui ont parlé, lui ont reproché d’avoir dénoncé son mari à la justice. Ils expliquaient qu’ils auraient compris qu’elle divorce, mais que l’affaire reste discrète.

Il ne fallait pas salir la famille et la justice ne savait pas condamner !
C’est ainsi qu’on réagissait en 1986 !
J’espère que nous n’en sommes plus là.

A cette époque cette femme devait tout porter, puisqu’il lui a fallu trouver un emploi, car elle était femme au foyer et en outre elle était rejetée par la société, car on l’accusait d’avoir causé un trouble. Alors que nous étions en présence d’un criminel et d’un crime. Enfin, à l’époque ce n’était pas aussi clair, l’avocate qui avait été invitée sur le plateau rapportait que la plupart des affaires se traitait devant la justice correctionnelle qui juge des délits et qu’elle n’avait plaidé qu’une affaire aux Assises qui est le tribunal des crimes.

Nous sommes là en présence d’« un système d’impunité des agresseurs » comme le révélait le magistrat Édouard Durand que je citais dans le mot du jour de ce lundi.

La seconde femme anonyme a raconté une autre histoire, mais avec la même conséquence qui a été que ce fut elle qui a été condamnée par sa famille. Elle avait été violée par son frère. Les parents avaient recueilli l’enfant et s’était empressé de trouver un mari pour leur fille qui reconnut l’enfant. Le frère continuait à être reçu comme un prince dans sa famille, alors que la fille était le « mouton noir ».

On jugeait la fille, l’enfant coupable d’avoir provoqué la libido du garçon.
C’est ce qu’on appelle la culture du viol.
Une inversion perverse de la responsabilité.

Puis ce fut Eva Thomas qui témoigna avec beaucoup de dignité et de sensibilité du viol subi vers 15 ans par son père. Elle dit :

« J’ai choisi de témoigner à visage découvert parce que j’aimerais sortir de la honte. »

Elle raconta que c’est par l’écriture qu’elle arriva à se libérer, à pardonner et à retrouver une relation apaisée avec ses parents et son père.

Contrairement aux deux autres victimes, son père lui demanda pardon et reconnut le mal qu’il lui avait fait.

Elle raconta aussi sa sidération et son incompréhension devant l’acte qu’elle avait subi. Elle ne comprenait pas, n’avait pas de mots au moment où cela s’est passé pour dire la chose. Et elle n’osait pas alors le dire à sa mère, elle vivait dans la crainte que le fait de le dire, tuerait sa mère.

Et elle s’est sentie coupable, coupable de ne pas avoir crié, ne pas s’être débattu.

Elle a ajouté cependant que depuis qu’elle avait approfondi ce sujet, elle se rendait compte que tous les enfants ont dit la même chose : la surprise et l’incrédulité les paralysaient.

Elle a créé à l’automne 1985, à Grenoble, une association : « SOS inceste ».

Dans la suite de l’émission, plusieurs spécialistes sont intervenus

Lumineux, quand l’ethno-psychanalyste Tobie Nathan explique le tabou de l’inceste, sa transgression et le mythe qui y est rattaché.

Précis et rigoureux, quand le juge Bernard Leroy donne des chiffres et expliquent les limites de la justice sur les affaires d’inceste qui sont portées auprès d’elle.

Vindicative, lorsque l’avocate associée de Gisèle Halimi, Maître Dominique Locquet se révolte contre le laxisme de la justice sur ces affaires dans les années 80.

Et puis il y eut des médecins dont le docteur Gilbert Tordjman qui ont tenu des propos hallucinants, inécoutables avec notre sensibilité d’aujourd’hui. ; C’étaient des hommes évidemment.

Ils tentaient d’expliquer ou plutôt ils affirmaient du haut de leur science qu’il y avait plusieurs types d’inceste : le brutal, le violent condamnable et puis une autre forme d’inceste, d’amour, d’échanges, d’initiation… Ou encore expliquant que des relations inabouties entre les parents conduisaient le père à aller chercher du côté de la fille. Des fadaises, s’il ne s’agissait de monstruosités…

Et puis des téléspectateurs ont appelé pour dire qu’ils vivaient une relation incestueuse épanouie et heureuse des deux côtés. On entend : « Je suis amoureux de ma fille adoptive. Pourquoi semez-vous la zizanie dans les familles ». Un autre assume aimer caresser sa fille de 10 ans. Un troisième témoigne qu’il a des relations quotidiennes avec sa fille de 13 ans.

Eva Thomas après avoir secoué plusieurs fois la tête, digne, émue, les yeux un peu rougis a alors dit simplement.

« Je pense qu’entre un parent et un enfant, il n’y a pas d’inceste heureux »

Et elle ajouté, au moins pour l’enfant, il n’y a pas d’inceste heureux.

C’était un autre temps.
C’est de là que nous venons.

Eva Thomas a écrit un autre livre, publié en 1992, « le sang des mots ».

Elle l’a écrit sur le choc d’une victime d’inceste qui a été condamnée par la justice, parce qu’elle avait rendu public l’inceste alors que les faits étaient prescrits. Elle a été condamnée pour diffamation. La justice n’a pas contesté l’inceste, mais interdit d’en parler. Le criminel ne pouvait plus être jugé, il fallait même empêcher qu’il fût embêté par des souvenirs déplaisants.
C’est une décision de justice de 1989.
Quelle honte !

Plus récemment, en 2017, l’Obs a interviewé Eva Thomas, à l’âge de 75 ans : <Eva Thomas : celle qui en 1986 a brisé le silence sur l’inceste>

L’obs rappelle combien son témoignage fut retentissant et constitue une des étapes qui a fait bouger les lignes.

A 75 ans elle avoue

« J’avais l’impression de me jeter dans le vide »

Elle explique qu’elle voulait à tout prix rompre le silence, s’attaquer à « l’attitude hypocrite et lâche de la société face à l’inceste ».

Anne-Claude Ambroise-Rendu, auteure de « Histoire de la pédophilie » (éd. Fayard, 2014) explique :

« La télévision, comme média de masse, a été un puissant vecteur de ce changement sociétal. Il a permis de voir et d’entendre ces victimes. Il offre la possibilité de l’empathie, de l’émotion et de l’identification. A ce moment, le visage d’Eva Thomas, en plan serré sur Antenne 2, se suffit à lui-même. »

Elle parle de sa solitude, de l’incompréhension manifestée par les médecins dont certains lui ont même rétorqué qu’il n’y avait rien de grave à coucher avec son père.

Elle reconnait que le fait que sont père reconnut sur le tard son acte détestable l’a aidé :

« Son ancien compagnon, le père de sa fille unique, a été le premier homme auprès de qui elle s’est confiée. C’est lui qui l’a convaincue d’écrire une lettre à son père. Alors qu’elle entamait l’écriture de son livre, ce dernier a reconnu les faits et lui a demandé pardon – “une chance incroyable”, précise-t-elle. Il a lu son livre, aussi.

Il m’a dit que jamais il n’avait imaginé que ça provoquerait de tels dégâts sur ma vie. »

Elle raconte que de nombreuses femmes lui ont écrit pour la remercier d’avoir ouvert la voie. Ces multiples échanges lui ont également permis de comprendre l’ampleur considérable de ce désastre.

Dans son village natal, il y avait deux camps ceux qui trouvaient qu’elle était une héroïne et les autres qui trouvaient que c’était un scandale : « on n’attaque jamais ses parents. ».

Elle raconte alors son parcours dans son association et d’autres interventions :

« La libération de la parole qui éclate dans les années 1980 est euphorisante. […] Ça a été une espèce de jubilation collective dans les groupes de parole. […] C’était joyeux, au point de désarçonner un journaliste venu en reportage dans le local associatif. . […] On se vivait comme des guerrières, des combattantes. […] C’était extraordinaire de voir à quel point on était heureuses de se retrouver face à quelqu’un qui nous comprenait puisqu’on avait vécu les mêmes trajets, on était passées par les mêmes chemins.

C’était très rassurant quand on en parlait ensemble parce que tout à coup, à force d’entendre les mêmes mots, les mêmes phrases, les mêmes itinéraires, la façon dont on s’était battues chacune de notre côté, il y avait une forme de normalité qui ressortait.

Nous, qui nous étions fait jeter avec l’idée qu’on était un peu folles, hystériques, réalisions qu’on avait eu des réflexes normaux, en réaction à un traumatisme. »

Elle revient aussi sur la relation avec ses parents après :

« Jusqu’à leur décès, au début des années 2000, Eva Thomas a entretenu une relation apaisée avec ses parents, une fois le pardon accepté.

A partir du moment où tout était clair, où tout avait été dit, je me suis réconciliée avec eux. Régulièrement, je suis allée passer des vacances chez eux. J’étais heureuse d’être avec mes parents. […]

On peut vivre avec cette cicatrice-là comme avec une autre. »

On peut parler de résilience.
Mais combien ce chemin fut difficile.

Et si nous sommes en progrès, nous ne sommes pas encore au bout de ce combat : « Une relation sexuelle avec un enfant n’est jamais négociable. Jamais, Jamais !»

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Jeudi 8 novembre 2018

«L’opinion pense […] que l’esclavage est un phénomène anecdotique.Prendre conscience de son ampleur est difficile car il s’agit d’une réalité souterraine cachée.»
Sylvie O’DY, présidente du comité contre l’esclavage modernedans le Un du 17 octobre 2018

J’ai déjà évoqué à plusieurs reprises l’hebdomadaire « Le Un » qui chaque semaine ne traite que d’un sujet.

Le N° 221 du 17 octobre 2018 traitait du sujet de l’esclavage moderne et portait pour titre : « Esclavage : ça se passe près de chez vous »

Ce qu’il y a de bien avec ce journal c’est qu’on peut acheter facilement des numéros anciens par exemple sur ce site.

Nous apprenons donc que :

« Depuis l’abolition de 1848, l’esclavage est censé avoir disparu du territoire français. Il persiste pourtant dans les faits, et son ampleur est loin d’être anecdotique. Selon l’Organisation internationale du travail, il y a en France près de 129 000 personnes victimes d’une forme « moderne » de cette pratique. Des réseaux criminels, organisant la traite humaine, jouent d’ailleurs un rôle majeur dans ce phénomène dont les migrants, en particulier les femmes et les enfants, sont les premières victimes. Pour les associations, il est urgent que les autorités comme les citoyens prennent davantage conscience de cette situation. »

Le journal donne notamment la parole à Sylvie O’Dy membre fondateur du comité contre l’esclavage moderne (CCEM) qui détaille les principales formes de l’esclavage moderne en France au nombre de quatre  :

  • l’esclavage sexuel ;
  • l’esclavage domestique ;
  • le travail forcé ;
  • la mendicité forcée.

Elle explique :

« À chaque fois, les victimes, le plus souvent d’origine étrangère, ont reçu la promesse d’un travail rémunéré et d’une régularisation de leur situation. Ce sont des personnes trompées. Des personnes qui arrivent pleines d’espoir et qui se retrouvent en enfer. Elles sont sous l’emprise de leurs exploiteurs, enfermées, maltraitées, privées de leurs papiers d’identité.

Quand la journaliste Dominique Torrès a fondé le Comité contre l’esclavage moderne en 1994, c’était pour dénoncer l’esclavage domestique. Puis nous nous sommes aussi intéressés aux victimes du travail forcé. Des associations s’occupaient déjà de la prostitution forcée.

Pendant très longtemps nous avons accueilli 95% de femmes. Aujourd’hui elles représentent 70% des victimes pour 30% d’hommes »

Les chiffres qui sont donnés sont les suivants :

  • 40,3 millions de personnes seraient victimes d’esclavage moderne dont 129 000 en France.
  • Parmi elles, 24,9 millions seraient victimes de travail forcé.
    Dont :
    • 16 millions dans le secteur privé (travail domestiques, bâtiment ou agriculture)
    • 4,8 millions seraient exploitées sexuellement
    • Et 4 millions contraintes de réaliser des travaux forcés par des autorités publiques
  • 15,4 millions seraient prisonnières d’un mariage forcé

Et une victime sur 4 est un enfant.

L’agriculture est un domaine où l’esclavage moderne existe. Un article est consacré à ce sujet : « Des tomates au goût de sang »

Cet article est écrit par l’écrivain Laurent Gaudé, qui a eu le prix Goncourt en 2004 :

« Chaque été, dans les Pouilles, à la fin du mois d’août, c’est le même ballet : les camions se chargent de cagettes de tomates récoltées dans la plaine de Foggia et roulent vers Naples en une longue file ininterrompue de véhicules. Cet été, la tragédie est venue rappeler à l’Italie ce qu’elle savait déjà mais qu’elle s’était empressée d’oublier : les tomates ont parfois le goût du sang. Les 4 et 6 août 2018, coup sur coup, deux accidents terribles ont coûté la vie à seize travailleurs agricoles, tous étrangers. L’Italie a alors découvert qu’il existait des ombres en Europe, des travailleurs invisibles dont on ne connaît l’existence qu’en apprenant leur mort.

A la suite de ces accidents, les langues se sont déliées pour décrire ce qu’on ose à peine appeler des « conditions de travail » […]

D’un coup la tomate, symbole ensoleillé de l’Italie, devient aussi celui de l’exploitation. La sauce que l’on trouve en bouteille dans les supermarchés, la sauce qui s’étale sur les pizzas ou sert à faire le sugo della pasta est le fruit d’un travail d’esclaves. […]

Ces évènements tragiques nous saisissent parce que nous découvrons avec stupéfaction que les objets que nous utilisons au quotidien peuvent avoir été fabriqués dans des conditions de misère. Soit sur le sol européen. Soit à l’autre bout du monde.

Le paradoxe d’aujourd’hui est que notre monde exploite un autre monde, tout en ignorant parfaitement qu’il le fait. »

 

Il est aussi question d’une nigériane qui a été recrutée pour servir d’esclave sexuelle en France :

« Mains tendues face à elle, paumes vers le ciel, Rose* répète les mots du sorcier, une pointe de nervosité dans la voix : « Je jure d’obéir et de ne jamais contacter la police, quoi qu’il arrive. » Nous sommes en 2016, dans l’État d’Edo, au sud-ouest du Nigeria. À l’intérieur d’un temple de l’époque précoloniale, une adolescente se soumet, comme des milliers d’autres femmes avant elle, à la cérémonie du « juju », un rituel de magie noire.

Intimidée, Rose se plie aux ordres de l’homme au visage maquillé et vêtu d’une étoffe rouge et blanche. Elle ingère un foie de volaille cru, une poignée de noix de kola et une fiole d’alcool, avant de se laisser couper les ongles. Voués à être conservés par le sorcier, ces derniers ont tout d’une relique de mauvais augure. Si la jeune femme rompt sa promesse, le mauvais sort s’abattra.

À 16 ans, Rose est candidate pour l’Europe. Sa vie vient de basculer, quelques heures avant la cérémonie, lorsqu’« une amie de la famille » qu’elle « considère comme sa mère » l’a abordée alors qu’elle se promenait seule aux abords du village : « Rose, que dirais-tu d’aller étudier en France ? »

Avant-dernière d’une fratrie de sept enfants, l’adolescente a vu sa sœur aînée partir en Europe quelques années plus tôt pour rejoindre les bancs de l’école. Rêvant de marcher dans ses pas, elle accepte sur-le-champ. »

Puis l’article raconte son odyssée à travers la Libye où elle doit payer une rançon et voit des geôliers libyens tuer des récalcitrants en vendre d’autres pour du sexe.

En France elle tombe entre les mains d’une souteneuse qu’elle appelle « madam »et qui la force à se prostituer pour lui faire rembourser une dette que cette dernière prétend correspondre aux dépenses engagées pour lui payer le voyage depuis le Nigeria. Elle parviendra à s’échapper et même à retrouver sa sœur qui était tombé dans des mains similaires.

« En France, le nombre de victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle a considérablement augmenté au sein de la communauté nigériane ces deux dernières années. Selon le dernier rapport du GRETA – un groupe d’experts en lutte contre la traite des êtres humains, rattaché au Conseil de l’Europe –, cette recrudescence concerne tout particulièrement des mineures de moins de 15 ans, les plus jeunes étant âgées de seulement 11 ans. Un phénomène observé par le Bus des femmes, une structure parisienne destinée aux personnes prostituées, où « 300 à 400 victimes potentielles de traite sont identifiées chaque année », selon sa responsable, Vanessa Simoni. »

Julien Bisson le rédacteur en chef du magazine « Lire » a écrit un article : « Se forcer à les regarder » qu’il conclut ainsi :

« Ceux qui ne veulent pas le croire doivent lire ce numéro pour prendre la mesure du phénomène. Ou encore regarder le documentaire Cash Investigation diffusé il y a quelques jours et qui dévoile les sombres dessous du luxe à la française : des travailleurs sénégalais, contraints de travailler treize par jour dans des tanneries, au milieu des vapeurs chimiques, sous une température de 45 degrés, dans des conditions qu’on croyait d’un autre siècle. Alors la France peut bien annoncer la construction prochaine d’un mémorial, dans le jardin des Tuileries, pour rendre hommage aux victimes de l’esclavage, ce dernier n’est pas seulement une affaire de mémoire. C’est encore, hélas ! Une (mauvaise) histoire, qu’il faudra bien se forcer, un jour à regarder en face. »

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