Jeudi 8 avril 2021

« Tant qu’un homme pourra mourir de faim à la porte d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines. »
Eugène Varlin
Je m’aperçois, en cheminant dans cette série, que je ne connaissais vraiment pas grand-chose à la Commune.

Quand je m’empare d’un sujet et que j’essaie de l’approfondir un peu, je fais des rencontres.

Et dans mes rencontres avec les femmes et les hommes du passé qui ont fait la Commune, Eugène Varlin occupe une place particulière, comme celle d’un juste. Un juste qui est mort en martyr.

Hippolyte Lissagaray qui participa au combat de la commune mais qui est surtout connu comme le premier historien de la Commune puisqu’il écrivit une <Histoire de la Commune de 1871> dès 1876 disait d’Eugène Varlin que

« Toute sa vie est un exemple »

Quand on parle de lui, on dit « Eugène Varlin, l’ouvrier relieur ». C’est le titre du livre que Michèle Audin, la fille du mathématicien Maurice Audin, déjà évoquée lors du mot du jour du 26 mars, qu’elle lui a consacré.
Ce livre n’est pas une biographie mais le recueil de tous ses écrits retrouvés à ce jour : articles, proclamations, lettres.

Parmi ces textes, on cite souvent cette vision de la société dont j’ai extrait l’exergue :

« Consultez l’histoire et vous verrez que tout peuple comme toute organisation sociale qui se sont prévalus d’une injustice et n’ont pas voulu entendre la voix de l’austère équité sont entrés en décomposition ; c’est là ce qui nous console, dans notre temps de luxe et de misère, d’autorité et d’esclavage, d’ignorance et d’abaissement des caractères, de pervertissement du sens moral et de marasme, de pouvoir déduire des enseignements du passé que tant qu’un homme pourra mourir de faim à la porte d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines. »

Varlin est né en 1839 dans une famille de paysans pauvres de Claye-Souilly (Seine-et-Marne). Il va à l’école jusqu’à l’âge de 13 ans, puis fait un apprentissage à Paris où il devient ouvrier relieur. Il suit des cours du soir, participe aux premières grèves autorisées en 1864, devient membre et rapidement responsable de la toute jeune Association internationale des travailleurs (AIT), ce qui lui vaut trois mois de prison en 1868. Il mène une inlassable activité d’organisation des ouvriers à Paris et en province. Il est élu à la Commune en 1871 et participe activement à la défense de Paris pendant la Semaine sanglante et est assassiné le 28 mai 1871, dans des conditions atroces.

<Wikipedia> souligne aussi son ouverture au féminisme et son souci de l’égalité entre les hommes et les femmes

«  En 1864-1865, il anime la grève des ouvriers relieurs parisiens. Il devient président de la société d’épargne de crédit mutuel des relieurs qu’il a aidé à créer (partisan de l’égalité des sexes, il y fait entrer à un poste élevé Nathalie Lemel). En 1864 est créée l’Association internationale des travailleurs (AIT), souvent connue sous l’appellation de « Première Internationale ». Varlin y adhère en 1865 et participe, avec son frère Louis et Nathalie Lemel, à la première grève des relieurs. Il est délégué en 1865 à la conférence de l’AIT à Londres, puis en 1866 au premier congrès de l’AIT à Genève, où il défend contre la majorité des autres délégués le droit au travail des femmes. »

Nathalie Le Mel fut aussi une des femmes qui participa activement à la Commune.

Elle a été dans beaucoup des combats d’Eugène Varlin dont elle partageait le métier de relieuse.

Tous les deux avaient adhéré à l’AIT

Eugène Varlin n’était pas que dans le concept, il travaillait aussi dans le concret et les besoins immédiats des ouvriers :

À la même époque, il crée la Société de solidarité des ouvriers relieurs de Paris, dont les statuts évoquent la nécessité de « poursuivre l’amélioration constante des conditions d’existence des ouvriers relieurs en particulier, et, en général, des travailleurs de toutes les professions et de tous les pays, et d’amener les travailleurs à la possession de leurs instruments de travail. » Ses efforts contribuent à la création, le 14 novembre 1869, de la Fédération parisienne des sociétés ouvrières, qui plus tard passe à l’échelle nationale et devient ultérieurement la Confédération générale du travail.

Varlin participe à la création d’une coopérative, « La Ménagère », en 1867, et à l’ouverture, en 1868, d’un restaurant coopératif, « La Marmite ». Ce dernier compte 8 000 adhérents et ne ferme qu’après la Commune. »

Il était donc aussi à l’origine des prémices de la CGT.

Nathalie Le Mel jouera également un rôle essentiel dans l’organisation de « La Marmite » et des sociétés d’alimentation, de consommation et de production qu’Eugène Varlin voulait pour améliorer le sort des ouvrier et des pauvres.

L’historien moderne de la commune Jacques Rougerie écrit :

« Pendant toute la durée de l’insurrection, Varlin ne se consacrera qu’aux tâches concrètes ; il ne s’agit rien moins que de faire vivre et combattre Paris et cela peut tenir au moindre détail. »

Pendant la commune il sera nommé à la commission des finances. Il assure la liaison entre la Commune et les sociétés ouvrières.

<Le Maitron> publie un récit biographique assez détaillé.

Le journal <LES INROCKS> le décrit ainsi :

« Varlin milite sans relâche pour la réduction de la durée de la journée de travail, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la liberté de la presse et d’association, l’instruction laïque et obligatoire ou encore l’impôt progressif. « L’association n’a pas pour but d’organiser les travailleurs en vue de soutenir une lutte permanente contre les détenteurs de capitaux. Elle vise plus haut. Elle se propose de réaliser l’affranchissement complet du travail, en amenant les travailleurs à la possession de l’outillage social et les éléments naturels indispensables à la production. Loin de vouloir organiser la guerre, elle a la prétention d’établir la fraternité entre les hommes sans distinction de race, de couleur, ou de croyance », écrit-il. Sous la Commune, dont il fut délégué aux Finances et membre de la Commission de la Guerre, il prit notamment la décision de suspendre la vente des objets au Mont-de-Piété, cette institution de prêts sur gage qui finissait par ruiner les pauvres. »

Le 28 mai, reconnu et dénoncé par un prêtre rue Lafayette, il est arrêté par le lieutenant Sicre et amené à Montmartre, rue des Rosiers, où il est lynché, éborgné par la foule et, finalement, fusillé par les soldats près de l’endroit où avaient été fusillés les généraux Lecomte et Clément-Thomas. Précision sordide : Les ouvriers relieurs lui avaient offert une montre qui lui fut volée, après qu’il eut été massacré.

<Le Maîtron> précise que : « Dans un rapport à son colonel, le lieutenant Sicre avait déclaré : ” Parmi les objets trouvés sur lui [Varlin] se trouvaient : un portefeuille portant son nom, un porte-monnaie contenant 284 f 15, un canif, une montre en argent et la carte de visite du nommé ” Tridon “. Sicre s’appropria la montre — présent des ouvriers relieurs en 1864»

Voici la description que Louise Michel fait de son assassinat dans ses Mémoires :

« La Commune était morte, ensevelissant avec elle des milliers de héros inconnus. Ce dernier coup de canon à double charge énorme et lourd ! Nous sentions bien que c’était la fin ; mais tenaces comme on l’est dans la défaite, nous n’en convenions pas…

Ce même dimanche 28 mai, le maréchal Mac-Mahon fit afficher dans Paris désert : “Habitants de Paris, l’armée de la France est venue vous sauver ! Paris est délivré, nos soldats ont enlevé en quatre heures les dernières positions occupées par les insurgés.

Aujourd’hui la lutte est terminée, l’ordre, le travail, la sécurité vont renaître”.

Ce dimanche-là, du côté de la rue de Lafayette, fut arrêté Varlin : on lui lia les mains et son nom ayant attiré l’attention, il se trouva bientôt entouré par la foule étrange des mauvais jours. On le mit au milieu d’un piquet de soldats pour le conduire à la butte qui était l’abattoir. La foule grossissait, non pas celle que nous connaissions : houleuse, impressionnable, généreuse, mais la foule des défaites qui vient acclamer les vainqueurs et insulter les vaincus, la foule du vae victis éternel. La Commune était à terre, cette foule, elle, aidait aux égorgements.

On allait d’abord fusiller Varlin près d’un mur, au pied des buttes, mais une voix s’écria : “il faut le promener encore” ; d’autres criaient : “allons rue des Rosiers”.

Les soldats et l’officier obéirent ; Varlin, toujours les mains liées, gravit les buttes, sous l’insulte, les cris, les coups ; il y avait environ deux mille de ces misérables ; il marchait sans faiblir, la tête haute, le fusil d’un soldat partit sans commandement et termina son supplice, les autres suivirent. Les soldats se précipitèrent pour l’achever, il était mort.

Tout le Paris réactionnaire et badaud, celui qui se cache aux heures terribles, n’ayant plus rien à craindre vint voir le cadavre de Varlin. Mac Mahon, secouant sans cesse les huit cents et quelques cadavres qu’avait fait la Commune, légalisait aux yeux des aveugles la terreur et la mort. […] Combien eût été plus beau le bûcher qui, vivants, nous eût ensevelis, que cet immense charnier !

Combien de cendres semées aux quatre vents pour la liberté eussent moins terrifié les populations, que ces boucheries humaines ! Il fallait aux vieillards de Versailles ce bain de sang pour réchauffer leurs vieux corps tremblants. »

Wikipedia rapporte que pendant la Semaine sanglante, il avait tenté en vain de s’opposer à une exécution d’otages, rue Haxo.

<France Culture> donne la parole à l’historien de l’action culturelle Mathieu Menghini :

« Eugène Varlin, […] s’est instruit en autodidacte, s’intéressant à de nombreuses disciplines comme la géométrie, le latin, l’orthographe, la grammaire.

A force de fabriquer des livres, Eugène Varlin les a dévorés. On lui connaît une obédience doctrinale qui le situe du côté des communistes non-autoritaires, mais on pourrait mieux le définir par ses combats pour les droits des femmes, pour l’émancipation intellectuelle des travailleurs, pour leur instruction intégrale et polytechnique.

Eugène Varlin a contribué à former la classe ouvrière française, […], à établir parmi les ouvriers une conscience de classe. A une époque où Paris était déjà en train de se gentrifier, un des enjeux pour la classe ouvrière était d’améliorer concrètement leurs conditions matérielles, qui souvent se nourrissait mal tout en payant très cher. Avec sa collègue militante Nathalie Lemel, Eugène Varlin a établi des restaurants ouvriers coopératifs nommés “La Marmite”. Un lieu de vie, et de nourriture intellectuelle.

On raconte qu’une fois les estomacs sustentés, ces cantines ouvrières se transformaient en véritables foyers dans lesquels on rêvait la transformation du monde, entre femmes et hommes de divers courants doctrinaux. Certains artistes, favorables à l’auto-émancipation des travailleurs, venaient y entonner un air lyrique une fois leur spectacle terminé. »

Michèle Audin <parle> du premier article d’Eugène Varlin qu’elle a lu et qui lui a donné l’envie de réaliser son livre sur les écrits de cet homme singulier et épris de justice sociale :

« Il est clair, précis, rigoureux, il s’adresse directement à ses lecteurs et il pense aux lecteurs du futur, nous, qui lirons le journal relié. J’ai trouvé le style et les aspects humains de cet article, la dignité de ce jeune ouvrier, ce qu’il appelle dans un autre article « la timidité ordinaire du travailleur » et en même temps sa confiance en ses compétences, très séduisants. Je n’ai pas lu beaucoup d’articles où un ouvrier parle de ses connaissances et de son goût, avant de les appliquer au sujet. »

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Lundi 29 mars 2021

« Malgré toutes les hontes de la Commune, j’aime mieux être avec ces vaincus qu’avec [leurs] vainqueurs. »
Louis Nathaniel Rossel

La commune fut l’histoire de femmes et d’hommes qui se sont retrouvés d’abord parce qu’ils n’acceptaient pas la défaite contre les troupes de Bismarck, ensuite parce qu’au sein d’eux et venant d’univers ou d’écoles de pensées différentes, une haute conscience des inégalités au sein de la société était présente.

Il me parait utile d’évoquer certaines de ces figures.

Dans le numéro de « L’histoire » de janvier 2021, plusieurs fois cité, l’historien Michel Winock a évoqué l’un d’eux « Louis Rossel : Portrait d’un rebelle ».

Son article commence ainsi :

« De tous les communards le colonel Louis Rossel est le plus flamboyant, le plus inattendu, le plus scandaleux aux yeux de ses pairs. Son adhésion à la révolution de 1871 a son origine directe dans la reddition, le 27 octobre 1870, du maréchal Bazaine à Metz, livrant aux Prussiens plus de 170 000 hommes et près de 1 600 canons. »

Michel Winock rapporte que trois jours plus tard il publie un article dans L’Indépendance belge :

« Metz est rendu : la plus honteuse capitulation que l’histoire militaire ait jamais enregistrée a mis aux mains des Allemands une forteresse intacte, gardée par une armée intacte, et dans cet éclatant désastre de l’honneur militaire français, aucune apparence même n’a été sauvée. »

Michel Winock nous révèle, à travers le jugement de Louis Rossel, une autre analyse de la défaite militaire française :

« Le capitaine Rossel avait tenté de tout mettre en œuvre pour éviter la capitulation. Mais il n’avait pas été en mesure de renverser l’avis majoritaire des généraux en place, réfractaires à la république et inspirés par la réaction politique plus que par la défense de la patrie. »

Dans cette vision, les officiers préféraient la défaite à se battre pour une France dirigée par la République. Dans un premier temps, ces officiers ont vu leur désir se réaliser : la défaite militaire a amené une majorité monarchiste à l’Assemblée. Ce sont les contradictions internes des monarchistes qui leur ont interdit une nouvelle restauration et ont finalement permis la naissance de la 3ème République.

Rossel est décidé à se battre jusqu’au bout contre l’envahisseur et propose ses services à Gambetta, qui dirige depuis octobre la délégation du gouvernement à Tours où il a reconstitué trois armées. Gambetta est un des membres du gouvernement qui souhaitait continuer la guerre. Il a de l’admiration pour l’homme politique et le tribun mais se désole de son incompétence en stratégie militaire. Il dit de lui :

« C’est un drapeau plutôt qu’un chef »

Alors, quand il apprend le 19 mars 1871, l’insurrection parisienne de la veille, Rossel décide de rejoindre ceux qui veulent continuer à se battre et d’abandonner ceux qui acceptent ou pire préfèrent la défaite.

Il envoie le 19 mars 1871 sa lettre de démission au ministre de la Guerre :

« J’ai l’honneur de vous informer que je me rends à Paris pour me mettre à la disposition des forces gouvernementales qui peuvent y être constituées. Instruit par une dépêche de Versailles rendue publique aujourd’hui qu’il y a deux partis en lutte dans le pays, je me range sans hésitation du côté de celui qui n’a pas signé la paix et qui ne compte pas dans ses rangs de généraux coupables de capitulation. »

Un ordre d’arrestation est immédiatement lancé contre lui, il est menacé du Conseil de guerre.

Rossel rejoint Paris le 20 mars.

Le général de De Gaulle avait une profonde admiration pour ce colonel.

Natacha Polony dans une courte vidéo d’hommage <De la Commune gardons le souvenir de Louis Rossel> commence son intervention par une anecdote : Michel Debré accompagnait le général de Gaulle dans une visite du fort d’Issy

Il faut savoir que la bataille du fort d’Issy est une de celle qui a été déterminante pour la victoire des Versaillais. Elle se déroule du 25 avril au 8 mai 1871 et se termine par la victoire des Versaillais qui se rendent maîtres du fort.

Et donc lors de la visite du fort d’Issy, Debré demanda à De Gaulle « Finalement que reste -il de la Commune ? » et le général lui répondit « Il reste le colonel Louis Rossel »

De Gaulle admirait bien sur le refus de la défaite et la volonté de trouver toutes les solutions pour continuer la lutte.

Contrairement à beaucoup de communards, Louis Nathaniel Rossel n’était pas anti-religieux : il est chrétien, protestant. Bien que né à Saint Brieuc où son père militaire aussi avait été affecté, il est issu d’une famille bourgeoise protestante nîmoise, et descendant de camisards cévenols.

Il n’a donc pas comme point commun l’anticléricalisme des autres communards. Mais il partage avec eux une autre aspiration que le refus de la défaite : il possède une fibre sociale très développée. Natacha Polony insiste sur ce point. En 1867, il se lie d’amitié avec Jean Macé, qui crée la Ligue de l’enseignement. Rossel commence l’enseignement de cours de grammaire aux classes défavorisées et s’engage pour l’école laïque. C’est ici qu’il a ses premiers véritables contacts avec des ouvriers. Il découvre la société de classes :

« Pourquoi, lorsque l’égalité est inscrite partout dans nos droits, lorsque l’égalité est un de nos premiers besoins, sommes-nous forcés de reconnaître qu’il y a dans l’État deux classes comme au temps du privilège, deux classes profondément distinctes et d’un autre côté profondément mêlées ? »

L’instruction lui paraît le premier remède.

Il est très brillant : admis à dix-huit ans à l’École polytechnique avec le n° 79 et en sortit 12e sur une promotion de 131.

Arrivé à Paris, on lui donne immédiatement un rôle de première importance dans l’organisation de l’armée de la commune.

Michel Winock écrit :

« Pendant la dizaine de jours où il dirige les forces armées de la Commune, Rossel fait preuve de remarquables qualités d’organisateur, de stratège, mais, simultanément, il ne comprend pas la nature de cette révolution parisienne. Il reste un soldat ; les fédérés, eux, sont des révolutionnaires, réfractaires au commandement central. Il y a un style Rossel – mélange de raideur et d’humour, de rigueur et d’insolence – qui, d’emblée, ne plaît pas à tout le monde. »

Mais il est exaspéré par le manque de discipline de ses soldats et le manque de rigueur du comité central de la garde nationale qui dirige Paris.

Après la prise du fort d’Issy par l’armée de Versailles le 8 mai, Rossel fait placarder le 9 sur les murs de Paris, et sans avertir la Commune, une affiche déclarant la perte du fort.

« Le drapeau tricolore flotte sur le fort d’Issy, abandonné hier par sa garnison. »

Puis il écrit une lettre de démission adressée à la Commune :

« Citoyens membres de la Commune, chargé par vous à titre provisoire de la délégation à la Guerre, je me sens incapable de porter plus longtemps la responsabilité d’un commandement où tout le monde délibère et où personne n’obéit. […] Sachant que la force d’un révolutionnaire ne consiste que dans la netteté de la situation, j’ai deux lignes à choisir : briser l’obstacle qui entrave mon action, ou me retirer. Je ne briserai pas l’obstacle ; car l’obstacle, c’est vous et votre faiblesse ; je ne veux pas attenter à la souveraineté publique. Je me retire, et j’ai l’honneur de vous demander une cellule à Mazas. »

Il va être arrêté par d’autre communards qui veulent le traduire en cour martiale. Mais il parvient à s’enfuir et à se cacher quelques temps.

Michel Winock raconte la suite :

« Il est arrêté sur une dénonciation, après la Semaine sanglante, le 7 juin 1871, et envoyé à Versailles où il est jugé par un conseil de guerre, pour avoir déserté et « porté les armes contre la France ». En dépit du soutien actif de ses parents, de ses avocats, d’une petite partie de la presse, d’une pétition de polytechniciens, Rossel est condamné à mort ; le 25 novembre, […] il est exécuté le 28 novembre malgré une campagne en sa faveur lancée notamment par Victor Hugo. […] Tout au long de sa détention, Louis Rossel n’a cessé d’écrire, laissant notamment un mémoire sur son rôle pendant la Commune. Il y expose ses idées politiques. A aucun moment il ne regrette son engagement. Il dit son estime pour un certain nombre de ses dirigeants, Jourde, Paschal Grousset, Delescluze, Varlin. Il rend hommage aux combattants de la Semaine sanglante, plus à l’aise derrière les barricades que dans les rangs d’une armée disciplinée. « Malgré toutes les hontes de la Commune, j’aime mieux être avec ces vaincus qu’avec [leurs] vainqueurs. » Républicain, il n’est pas socialiste, mais il a rencontré l’injustice sociale. Il a constaté l’état misérable de la population ouvrière : « Parmi les bataillons que j’avais l’honneur de commander, certains étaient affligeants à voir. […] En passant devant ces malheureux, je me disais : ces gens ont raison de se battre. Ils se battent pour que leurs enfants soient moins chétifs, moins scrofuleux, moins vicieux qu’ils ne sont eux-mêmes. »

Vous trouverez une biographie sur le site <Maitron> et aussi sur ce blog consacré aux protestants bretons.

Deux films furent consacrés à Rossel :

Enfin une chanson lui a été consacrée <La complainte de Rossel>

Louis Nathaniel Rossel est mort sous les balles des versaillais à 27 ans

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Mardi 23 février 2021

«Marie France [Pisier] remet les choses à l’endroit !»
Camilla Kouchner

J’adorais Marie France Pisier. C’était une merveilleuse actrice, d’une grande intelligence, très cultivée. Mais c’était avant tout une voix. Une voix bouleversante et pleine de chaleur et de distinction.

Je me souviens aussi d’avoir lu avec beaucoup de bonheur, son premier roman : « Le bal du gouverneur ».

J’avais appris avec beaucoup de tristesse sa mort en avril 2011, la nuit, dans sa villa située dans le Var.

Sa mort est obscure et mystérieuse : elle a été retrouvée au fond de sa piscine par son mari, portant des bottes en caoutchouc, sa tête et ses épaules coincées dans le croisillon métallique d’une « lourde chaise en fer forgé ».

Elle n’est pas morte noyée, l’autopsie n’a pas trouvé d’eau dans les poumons.

Depuis la parution du livre « La familla grande », tout le monde sait ce qu’une toute petite élite germanopratine savait depuis plusieurs années : Marie-France Pisier était dévorée par une colère et une révolte de ce qu’elle avait appris au sein de sa famille : son beau-frère Olivier Duhamel avait abusé de son neveu, fils de sa sœur Evelyne Pisier et de Bernard Kouchner. Elle le racontait à toutes celles et ceux qu’elle connaissait pour tenter de construire un vide sanitaire autour du prédateur.

A plusieurs reprises, elle a essayé de convaincre son neveu et sa nièce Camilla de porter plainte. Elle n’a pas porté plainte parce que la victime, son neveu ne le voulait pas.

Marie-France Pisier était une fille de mai 1968, elle était totalement libre dans sa vie affective et sexuelle.

On peut lire partout qu’elle a accumulé les amants, qu’elle en a même échangé avec sa sœur Evelyne dont elle était si proche.

Mais Marie-France Pisier dans sa liberté, avait les pieds ancrés profondément dans le sol des valeurs. Elle savait qu’il y avait des limites à ne pas franchir.

C’est la victime, le fils, qui a raconté à sa mère Evelyne ce que son compagnon lui avait fait subir.

Evelyne n’a pas consolé son fils, elle s’est enfuie auprès de sa sœur, sa confidente de toujours.

Elle lui a raconté l’innommable et elle espérait l’empathie de sa sœur.

Camilla Kouchner raconte dans l’émission «la Grande Librairie» qui a été consacrée à son livre :

« Elle va se réfugier chez sa sœur Marie France. Et puis, elle trouve chez Marie France assez peu d’empathie. Marie France lui dit : ça c’est non ! Ce que tu me racontes c’est impossible. C’est impossible que tu viennes me dire que tu es mal ! Ce n’est pas toi qui est mal, ce sont tes enfants qui sont mal ! Marie France remet les choses à l’endroit ! »

Et Marie France n’aura de cesse d’exiger que sa sœur quitte le prédateur. Elle s’engage à l’aider financièrement et moralement pour affronter cette rupture.

Evelyne Pisier n’en fera rien. Comme d’autres mères, elle restera dans le déni, défendra son homme, bien qu’il soit prédateur.

Elle accusera même ses enfants de l’avoir provoqué, d’avoir séduit le mâle alpha de la famille.

C’est pourquoi, il est tellement important qu’il existe des personnes comme Marie-France Pisier qui remettent les choses à l’endroit.

Il existe des situations qui sont complexes et dans lesquelles les responsabilités ne sont pas claires.

Rien de tel quand il s’agit d’un acte sexuel que commet un adulte sur un enfant de 13 ans surtout lorsqu’il exerce une autorité paternelle sur lui.

Il n’y a pas de complexité, il y a asymétrie, il y a emprise, il y a crime.

Evelyne Pisier tergiverse, cherche des échappatoires et finalement accuse les enfants.

Marie-France Pisier dit non ! et choisit son camp, celui de ses neveux et se fâche avec sa sœur avec laquelle elle était si liée.

Mon éducation religieuse revient parfois par des paroles de sagesse qui m’ont construit.

Et l’attitude remarquable et juste, oui juste de Marie France Pisier me font songer à celle-ci :

« Et si ta main droite est pour toi une occasion de chute, coupe-la et jette-la loin de toi; car il est avantageux pour toi qu’un seul de tes membres périsse, et que ton corps entier n’aille pas dans la géhenne. »
Evangile selon Matthieu 5:30

Pour Marie France Pisier, sa sœur était l’équivalent de sa main droite. Elle n’a pas accepté d’être entrainé dans sa chute, dans le mauvais combat ou dans le combat du mauvais côté.

Camilla Kouchner était l’invitée de Quotidien de Yann Barthès le 15 février et quand Yann Barthés lui a demandé ce que représentait sa tante pour elle, elle a répondu :

« Elle est essentielle.
Elle est essentielle à tout point de vue. C’était notre tante chérie. […]

Moi elle m’a écoutée, et elle m’a bousculée, elle m’a dit ‘fais toi confiance, il y a des choses qui sont autorisées et il y a des choses qui sont interdites. Ce qu’on m’a raconté est interdit.

Marie France était pleine de joie pleine de liberté.
Au bon sens du terme, pas au sens dévoyé du terme.
Elle était pleine d’inventivité, mais elle avait des limites.
Et là, elle a très clairement marqué la limite quand elle a appris ce qui était arrivé. »

Il faut davantage de Marie-France Pisier dans la société.

S’il nous arrive d’être confronté à de tels agissements et nous savons qu’il en est beaucoup, puissions-nous nous inspirer de Marie-France Pisier.

L’émission La grande librairie, n’est plus en ligne intégralement mais cette émission de BFMTV : « Affaire Duhamel, un si lourd secret » décrit fidèlement les faits que j’ai repris dans ce mot du jour.

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Vendredi 12 février 2021

« Beaucoup de gens ne se rendent pas compte du privilège extraordinaire que ce qu’est “être vivant” car nous n’aurons qu’une vie, il faut en profiter pour qu’elle soit belle pour soi et qu’elle soit bonne pour les autres, et utile si possible. »
Jean-Claude Carrière

Quel homme, quelle culture, quel talent !

Frédéric Pommier dans un tweet a écrit « Dans ma prochaine vie, je voudrais la carrière de Jean-Claude Carrière. ».

Je l’ai découvert, dans les chroniques matinales de France Inter qu’il a tenu seulement pendant quatre mois, entre septembre 2003 et janvier 2004. Il racontait pendant 3 minutes, à la fin de la matinale de France Inter, une histoire, une réflexion, une chronique historique, enfin quelque chose qui était en relation avec les événements du monde qui venaient d’être analysés par les journalistes d’information. Il l’a conceptualisé sous le nom « d’à-coté ». C’était toujours un moment de sagesse et de lumière.

Il était écrivain, scénariste, parolier, metteur en scène et acteur, mais lui se définissait comme « un conteur ». Il possédait aussi la voix chaude et profonde du conteur qui immédiatement captivait votre attention.

Ces « à-côté » ont fait l’objet d’un livre.

Une fois connu le nom de Jean-Claude Carrière, j’ai pu constater à combien d’œuvres exceptionnelles il a participé.

Annie, m’avait raconté avec plein d’enthousiasme le cycle du «Mahabharata» quelle avait vu au Théâtre du Bouffes du Nord, spectacle de 9 heures. Elle parlait de l’œuvre de Peter Brook, c’est-à-dire le metteur en scène. Mais le scénario avait été écrit par Jean-Claude Carrière en se fondant sur des textes de la tradition indienne.

<Slate> écrit :

« On songe évidemment à l’immense cycle du Mahabharata conçu aux côtés de Peter Brook en 1985, à l’intelligence des puissances de la scène déployées par les deux complices pour magnifier à des yeux occidentaux et ignorants l’immense saga hindoue.

Événement inoubliable, à Avignon, au Théâtre des Bouffes du Nord ou en tournée mondiale, pour tous ceux qui l’ont connue –et dont témoignera à nouveau le film réalisé par Brook à nouveau avec l’aide de Carrière, qui n’est pas une captation mais une nouvelle adaptation au sens le plus élevé, du théâtre vers le cinéma, par les mêmes auteurs– est un tour de force presqu’inimaginable. »

Et Peter Brook, de 6 ans son ainé, mais toujours vivant, lui rend hommage dans « Libération » :

« Jean-Claude a travaillé pendant dix ans à l’adaptation du Mahabharata, cette longue épopée en sanskrit. C’était comme si la pièce renaissait sans cesse. Pour cela, il fallait voyager, et on est partis partout en Inde, consulter les grands gourous et les peuples, voir les petites pièces qui se jouaient dans la rue, dans les théâtres les plus minables. On traversait des kilomètres en taxi, et immédiatement, pendant le trajet, Jean-Claude sortait son stylo et un calepin et il écrivait. Il ne cherchait pas la gloire, mais elle est venue malgré lui. Il a reçu un oscar [d’honneur, en 2014, ndlr], et des hommages extraordinaires. Il était unique, tellement doué, et tellement peu soucieux que ça se sache. Il évitait la décoration, détestait les jolies phrases, l’ornement. Et cherchant l’essentiel, il l’était, lui, essentiel.»

Dans ce même article le jeune réalisateur, Louis Garrel avec qui il a fait « L’Homme fidèle » en 2018 le décrit ainsi : .

« Jean-Claude était comme un immense arbre avec beaucoup de feuilles qui ne faisait de l’ombre à personne. « Je lui avais demandé de relire [un] scénario […] Il m’a donné un premier conseil toujours valable : “Quand tu as un problème avec deux personnages dans une scène, rajoutes-en un troisième qui écoute.” Il avait cet incroyable talent de savoir écrire ce qui pouvait prendre forme visuellement sur un écran. […] Il me faisait penser à cette phrase de Rimbaud : “Le monde est très grand et plein de contrées magnifiques que l’existence de mille hommes ne suffirait pas à visiter.” Sauf qu’il était l’inverse, il intégrait tous les signes du monde. Mais mille personnes n’auraient pas suffi à l’explorer.»

Et quand mon fils, Alexis, a travaillé un texte en classe qui l’avait beaucoup intéressé : « La controverse de Vallalodid », c’était encore un texte, un roman plus précisément de Jean-Claude Carrière qui narre ce débat historique voulu par Charles Quint et qui s’est tenu en 1550 au collège San Gregorio de Valladolid et qui a opposé le dominicain Bartolomé de las Casas, grand défenseur des peuples autochtones d’Amérique et le théologien Juan Ginés de Sepúlveda qui défendaient l’idée que l’enseignement chrétien n’empêchait pas de réduire en esclavage les indigènes pour le plus grand profit des bons chrétiens venus d’Europe.

Texte passionnant pour regarder en face ce crime qui a été commis pendant des siècles : l’esclavage.

Dialogue d’une grande richesse qui dans un téléfilm a opposé Jean-Pierre Marielle jouant Bartolomé de Las Casas et Jean-Louis Trintignant interprétant son contradicteur sous l’arbitrage du légat du Pape joué par Jean Carmet.

Il fut, bien sûr, le scénariste de Luis Bunuel, mais aussi de Jacques Tati « Les Vacances de monsieur Hulot », de Louis Malle « Viva Maria ! » et « Milou en mai », Milos Forman « Les Fantômes de Goya », Volker Schlöndorff « Le Tambour », Nagisa Ōshima « Max mon amour », Michael Haneke « Le Ruban blanc » et tant d’autres.

Il s’intéressait à toutes les cultures, à toutes les civilisations. Il s’est ainsi énormément intéressé au bouddhisme et a publié, en 1994, « La Force du bouddhisme » sur la base d’entretiens avec le dalaï-lama.

<Libération raconte> que dès ses 5 ans, il avait demandé à sa mère l’autorisation de placer un bouddha dans la crèche de Noël parmi les anges, les mages, les bergers, démarche que le curé du village, dûment consulté, autorisa.

L’obs a republié un dialogue de 2010 avec Jean Daniel dans lequel il exprime cette vision de nos fameuses valeurs universelles :

« Le mot « valeur » au sens que nous essayons d’utiliser aujourd’hui n’est pas traduisible dans quatre cinquièmes des langues de la planète. On ne peut pas traduire « valeur » en sanscrit, en chinois, en japonais, en persan… Cette notion même n’existe pas. Peut-on alors parler d’universalité à propos d’un mot qui ne se communique pas à d’autres pays et à d’autres peuples ? C’est une première remarque. La seconde est historique. Quand nous, Européens, parlons de valeurs universelles à d’autres Européens, nous faisons immédiatement allusion aux droits de l’homme et aux valeurs démocratiques et républicaines qui sont nées du travail des philosophes du XVIIIe siècle et qui ont été exprimées clairement par les révolutionnaires français.

Cette valeur, que nous voudrions universelle, n’existe donc que depuis peu de temps et dans peu d’endroits. De ce point de vue, les élus français de la Révolution se sentaient légitimes pour faire des lois qu’ils affirmaient universelles. Pour faire des lois universelles, il faut se référer à ces fameuses valeurs, comme si la valeur (laissons de côté la valeur marchande et militaire) était la transcendance de la loi. Comme si, avant de faire des lois, des décrets et des règlements, il fallait se référer à des valeurs « supra-existantes » et, pour employer un mot d’aujourd’hui, durables. Ces valeurs, ils les ont affirmées dans la « Déclaration des droits de l’homme » et dans d’autres textes avec beaucoup de lucidité. Ils les ont voulues si rapidement et brutalement universelles qu’ils n’ont pas hésité, dans certains cas, à les propager par la force armée.

[…] Il y a l’impérialisme culturel, c’est-à-dire le désir d’imposer aux autres des idées que nous croyons justes. Si quelqu’un me dit qu’il ne partage pas les idées que je veux lui inculquer et que je les lui impose par la force armée, je déclenche une guerre, alors que je tendais à l’universel. D’un autre côté, pour que des individus à l’intérieur d’une société et des peuples vivent ensemble le plus harmonieusement possible, il faut bien qu’ils respectent un certain nombre de valeurs, qui ne sont pas forcément transcendantales et universelles et peuvent être relatives. Quand on dit « valeur universelle » – j’ai beaucoup travaillé sur des cultures lointaines -, je me rebiffe. Je ne vois aucune raison d’imposer ma foi ou mon absence de foi à tel ou tel peuple très loin de moi. Mais en même temps je me dis : peut-être a-t-il quelque chose à prendre de moi, et moi de lui. Là, la notion d’universel devient différente. Elle devient valeur d’échange. Y a-t-il entre les peuples apparemment différents des expériences, des notions, voire ce que nous appelons (encore un mot intraduisible) des « concepts » à échanger ? C’est une vraie question. »

J’avais mentionné Jean-Claude Carrière dans le mot du jour <du 10 Juillet 2015> parce qu’il mettait en garde sur la captation du concept de spiritualité par les religions. Car spiritualité signifie « esprit », « pensée » alors que les religions, le plus souvent, conduisent à éviter de penser pour remplacer la recherche spirituelle par le «dogme».

J’avais aussi parlé de son livre « La Paix » publié en 2016 dans le mot du jour du <9 janvier 2017> et je le citais :

« On n’écrit jamais sur la paix comme s ‘il n’y avait rien à en dire, tandis que les ouvrages sur la guerre fleurissent de tout côté. »

La dernière fois que j’ai entendu sa chaude voix de conteur, c’est quand il était venu présenter son livre, consacré à la mort, « La Vallée du Néant » sur France Inter, fin novembre 2018 : <Le sens de la vie de Jean-Claude Carrière>.

Il explique qu’il est difficile de définir le « néant », « la mort » en le rapprochant à l’idée du « rien » dans lequel les hommes de toute culture et de tout temps, ont mis beaucoup de choses.

Il s’amuse de notre espérance : « Ce qui est formidable, c’est qu’on se dit toujours que quand nous serons morts, nous le saurons » et il cite Sénèque :

« Tout le monde sait qu’il doit mourir, mais personne n’a jamais su qu’il était mort »

Il fait aussi cette objection aux transhumanistes qui rêvent d’immortalité :

« Nous oublions que nous sommes condamnés à mort dès notre naissance […] la naissance n’est possible que grâce à la mort. Or, aujourd’hui, il est impossible d’accepter l’idée que nous devons un jour disparaître.

C’est l’obsession de l’immortalité qui nous pose problème. Interdire la mort serait aussi interdire la naissance. La fin de la mort ne saurait pas se concevoir sans la fin de la naissance. Or, interdire la naissance sur toute la surface de la planète, qui s’y risquerait ? »

Mais quand il évoque la mort, il parle de la vie, de sa vie :

« Quand je regarde en arrière, je me dis que si le petit garçon que j’étais avait su ce qui l’attendait… C’était tellement imprévisible. Je dois cela à une bourse de la République. Si j’ai une chose à dire, c’est “Vive la République !”

[…] Les gens qui craignent le plus la mort, qui en parlent beaucoup, qui la redoutent, qui, tous les matins, s’examinent, sont ceux qui, en général, vivent avec la mort tandis qu’ils sont encore vivants. Ce qui n’est pas du tout mon cas.

[…] Vieillir est le seul moyen que nous ayons trouvé pour vivre longtemps.»

Il explique par d’autres mots que si l’on ne sait pas s’il y a une vie après la mort, au moins nous devons nous imprégner de cette réalité qu’il existe une vie avant la mort

Et, il finit par cette ode à la vie, que j’ai choisi comme exergue de ce mot du jour :

« Beaucoup de gens ne se rendent pas compte du privilège extraordinaire que ce qu’est “être vivant” car nous n’aurons qu’une vie, il faut en profiter pour qu’elle soit belle pour soi et qu’elle soit bonne pour les autres, et utile si possible. »

Un peu plus de deux ans après avoir écrit cet ouvrage sur la mort, Jean Claude Carrière a quitté la communauté des vivants, le 8 février 2021. Sa fille a précisé qu’il était mort dans son sommeil et qu’il n’a pas été victime de la Covid19.

Il avait 89 ans.

<1524>

Lundi 7 décembre 2020

« Tous les mots du jour sur De Gaulle que je n’écrirai pas. »
Un acte manqué mais écrit

L’année 2020 restera probablement dans l’Histoire comme celle où une grande partie de l’Humanité, pour lutter contre une pandémie, a fait appel à cette technique archaïque du confinement.

Ce confinement et la Covid19 auront beaucoup occupé notre temps de cerveau disponible et peut être même un peu plus…

Dans mon écriture du mot du jour, je n’ai pas échappé à cette pente qui a consisté à accorder une grande place à ces sujets.

Or, 2020 est proche de son terme et elle est aussi une année de trois grands anniversaires que je cite dans l’ordre chronologique inverse :

  • Le 60ème anniversaire de la mort d’Albert Camus
  • Le 130ème anniversaire de la naissance de Charles de Gaulle, mais aussi le 80ème anniversaire de l’appel du 18 juin et encore le 50ème anniversaire de sa mort.
  • Le 250ème anniversaire de la naissance de Ludwig van Beethoven

Je voulais consacrer une série de mots du jour à chacun de ces 3 grands hommes.

Régis Debray dit souvent :

« La culture, c’est le culte de nos grands morts »

La série sur Camus a été écrite. Mais je n’ai pas la possibilité et l’énergie d’écrire deux autres séries, d’ici la fin de l’année.

Il faut donc faire un choix. Ce choix sera d’écarter celui qui occupe une place de centriste, dans l’énumération chronologique citée ci-dessus.

Mais je vais quand même, sans développer, citer quelques questions que j’aurais aimé poser et certaines réflexions qui me viennent parfois, à l’écoute de certains propos d’hommes politiques ou de commentateurs.

Car en effet, quand on écoute aujourd’hui les représentants de tout l’échiquier politique, tous se réclament de l’héritage de De Gaulle et surtout on a l’impression que sous sa présidence nous vivions un âge d’or et dans un monde où tout n’était qu’ordre, luxe et volupté.

Il ne s’agit pas de contester la dimension historique de Charles De Gaulle et son rôle positif et éminent pour la France et encore ses qualités d’homme D’État.

Mais il s’agit de s’interroger si on n’en fait pas un peu trop ?

Et une autre question : Est-ce que vraiment vous auriez envie, si la possibilité technique était à votre portée, de revenir vivre dans la France de De Gaulle ?

J’aurais fait appel à Jacques Julliard pour reconnaître que «De Gaulle était un génie de l’incarnation», incarnation de l’État et de la France.

J’aurais beaucoup utilisé des chroniques de Thomas Legrand sur France Inter et La Croix, pour approfondir certains sujets :

Et soit j’aurais nuancé le propos de Julliard ou j’aurais écrit un autre mot du jour sur cette autre réalité :  «  De Gaulle et l’incarnation… le drame de ses successeurs »

Il aurait alors fallu, entre autres questions, reparler de ces institutions de la Vème république qui avait été faites pour De Gaulle. Le pouvoir disproportionné d’un seul homme en est le fruit. Encore faut-il se rappeler que De Gaulle avait institué, en quelque sorte, le référendum révocatoire. Il considérait que le Président de la République avait un lien fort et particulier avec le peuple qui pouvait justifier ce pouvoir. C’est pour cela qu’il a imposé la réforme de l’élection au suffrage universel du président. Mais dans l’esprit et dans la pratique de De Gaulle, il était nécessaire de retourner régulièrement devant le peuple, entre les élections, par la voie du référendum pour s’assurer que ce lien particulier existait toujours et en cas de désaveu, il fallait partir. C’est qu’il a fait.

Aucun de ses successeurs n’a eu ce cran.

Certains diront que cette manière de pratiquer le référendum n’est pas sain parce qu’il le pousse vers le plébiscite. C’est vrai, mais le pouvoir excessif du président de la république n’est pas sain non plus et le référendum révocatoire donnait au moins la possibilité de mettre fin au mandat quand le peuple n’avait plus confiance en son monarque républicain.

Un autre sujet qui me tient à cœur c’est que De Gaulle fut un des premiers adepte des fake news, ou pour parler français des infox.

Thomas Legrand parle de « Mythes et de mensonges de De Gaulle »

Parce que quand même il a prétendu que :

  • La France n’avait pas perdu la guerre en 1940
  • Qu’elle l’avait gagnée en 1945
  • Que la France était uniformément résistante sauf quelques cas très marginaux
  • Que le Régime de Vichy n’a jamais représenté la France
  • Que la France est restée une des grandes Nations qui influence les affaires du monde

C’est ce qui s’appelle un récit, en l’occurrence le récit gaulliste. Le récit comme pour les religions, n’a qu’un rapport ténu avec la réalité et la vérité mais constitue le fondement de la croyance. Or la croyance est essentielle pour que la société tienne ensemble. Le récit permet de croire à quelque chose qui nous dépasse et nous survit.

La revue « L’Histoire » avait aussi écrit sur ce sujet : « Le mensonge patriotique » qui permettra par ce fameux récit à ce que la France ne tombe pas dans la guerre civile à la sortie de la guerre.

A côté de ces mythes, il y a les mensonges comme celle de ‘Algérie Française et le fameux : « Je vous ai compris ».

J’aurais aussi souhaité m’interroger sur les sujets :

  • « De Gaulle et la liberté de l’information »

La presse écrite était à peu près libre, en revanche les sources principales d’information du plus grand nombre de français : la télévision et la radio étaient sévèrement encadrés. Il existait un ministre de l’Information. Les titres du journal de 20 heures étaient envoyés à ce ministre avant diffusion. Les membres de l’opposition n’étaient jamais invité à la télévision sauf pendant les campagnes électorales. Il faut se rappeler que la radio faisait partie de l’ORTF, c’est-à-dire de la même maison que la télévision et ne jouissait également que d’une liberté surveillée. Aucune radio privée ne pouvait émettre sur le sol français. D’où la notion de radio périphérique qui est une station de radio que l’on pouvait écouter en France jusqu’en 1981, mais dont l’émetteur ne se trouvait pas sur le sol français. On peut citer, parmi les plus connues, Europe 1, RTL et RMC, respectivement basées en Allemagne de l’Ouest, au Luxembourg et à Monaco.

  • « De Gaulle et la société française : le culte du chef, de la hiérarchie et du paternalisme »

C’était aussi une société bien plus machiste qu’aujourd’hui et en tout cas très corsetée. Mai 68 n’est pas sorti de nulle part, mais d’une société qui était devenu assez invivable pour de jeunes énergies et épris de liberté de mœurs, d’information.

Il y aurait aussi eu des réflexions sur « la corruption » à cette époque. On vante toujours l’honnêteté de Gaulle et très probablement à juste titre. Mais ce n’était pas le cas de plusieurs personnes de son entourage.

Et dans ce cadre il aurait fallu parler du « Service d’action civique » connu sous l’acronyme « SAC »

  • « De Gaulle et l’économie »

Dans ce domaine il eut fallu parler du PLAN, de la politique industrielle, de l’idée de la participation et aussi « que la politique de la France ne se faisait pas à la corbeille »

Et tant d’autres sujets qui serait venu au cours de l’écriture, le rapport compliqué avec les États-Unis et la Grande Bretagne, la réconciliation avec l’Allemagne, la décolonisation….

Voici la liste des articles de « La Croix » dans lesquels j’aurais puisés :

De Gaulle, un récit hors du commun – Aujourd’hui, la construction du mythe. De Gaulle, le mythe français (1/8)

De Gaulle : la participation, une timide troisième voie – Aujourd’hui, « la question sociale ». De Gaulle, le mythe français (2/8)

De Gaulle, le catholique – Aujourd’hui, sa foi, entretenue comme un jardin secret. De Gaulle, le mythe français (3/8)

De Gaulle et le Volatile – Aujourd’hui, ses prises de bec avec « Le Canard enchaîné ». De Gaulle, le mythe français (4/8)

De Gaulle… même Le Pen ! – Aujourd’hui, l’hommage opportuniste rendu par Marine Le Pen. De Gaulle, le mythe français (5/8)

De Gaulle et l’incarnation… le drame de ses successeurs…- Aujourd’hui, l’incarnation de la France. De Gaulle, le mythe français (6/8)

Les mythes (et mensonges) du général – Aujourd’hui, des coups de bluff magistraux. De Gaulle, le mythe français (7/8)

De Gaulle, l’homme qui pouvait – Aujourd’hui, la nostalgie d’un président en pleine puissance. De Gaulle, le mythe français (8/8)

Et puis les émissions de Thomas Legrand sur France Inter :

https://www.franceinter.fr/emissions/de-gaulle-2020/archives-27-06-2020-24-08-2020

La liste des émissions

En tout cas, pour moi la réponse à la question posée au début est claire : je ne souhaiterais pas revenir à l’époque de De Gaulle, et je trouve assez vain de vouloir aujourd’hui se réclamer du Gaullisme dans un monde qui a si profondément changé.

Le personnage et le rôle de De Gaulle reste dans l’Histoire absolument considérable et je reviendrai vers le livre de Daniel Cordier « Alias Caracalla » qui montre un homme exceptionnel face à des défis qui semblaient hors de portée et qu’il a surmonté grâce à sa force intérieure et son amour pour la France.

<1503>

Vendredi 4 décembre 2020

« J’ai parfois, l’impression que lorsqu’on parle de soi, on fait une sorte de cadeau aux autres en leur disant : vous voyez vous n’êtes pas seul »
Anne Sylvestre

Il n’était pas dans mes projets d’écrire tout de suite un nouveau mot du jour consacré à cette enchanteresse des mots et des chansons.

Mais voilà, un vieil homme est mort, il avait été élu président de la république il y a 46 ans, je n’avais pas encore le droit de vote. C’était il y a donc très longtemps.

Et puis hop, toute l’espace médiatique ne parle plus que de lui, il n’y a plus de place pour la chanteuse de « J’aime les gens qui doutent »

J’aime les gens qui doutent, les gens qui trop écoutent leur cœur se balancer
J’aime les gens qui disent et qui se contredisent et sans se dénoncer
J’aime les gens qui tremblent, que parfois ils ne semblent capables de juger

Marc m’a écrit pour me dire qu’il aimait aussi la version de Vincent Delerm : <Ici il la chante avec Jeanne Cherhal, et Albin de la Simone>

Ce n’est pas que celui qui jouait de l’accordéon à l’Elysée fut un homme sans qualité.

Je lui consacrerai peut-être des mots du jour, mais pas aujourd’hui.

Aujourd’hui je veux continuer d’évoquer celle qui a écrit la chanson que ma belle-maman adorait comme me l’a révélée Annie : <Clémence en vacances>

Clémence, Clémence
A pris des vacances
Clémence ne fait plus rien
Clémence, Clémence
Est comme en enfance
Clémence va bien

Elle n’avait jamais fait la Une des magazines

Parce que vous comprenez, ce n’est pas juste !

Cette fois, l’hommage était unanime, tout le monde avait enfin reconnu son talent, tout le monde l’aimait.

Alors Paris-Match, l’Express et tous les autres prévoyaient de mettre l’auteure d’une « sorcière comme une autre » en couverture. Christiane nous a envoyé un lien vers une interprétation de <Pauline Julien>

Mais pour les couvertures, c’est raté !

Nous verrons sur les couvertures le crâne dégarni du châtelain de Chanonat qui s’est retiré dans l’Aveyron.

Alors moi j’ai continué à chercher des vidéos sur internet

Et j’ai trouvé, Patrick Simonin qui l’avait interviewé <Sur TV 5 Monde>; Elle avait 63 ans et fêtait les 40 ans de scène.

Lors de l’émission elle a dit :

« [Mes chansons] c’est la vie, c’est les gens qui m’intéressent.

Ce qui leur arrive. Ce qu’ils disent, qu’ils vivent.

Quand on parle de soi, on parle des autres.

J’ai parfois, l’impression que lorsqu’on parle de soi, on fait une sorte de cadeau aux autres en leur disant : vous voyez vous n’êtes pas seul.

Je me considère un peu comme une sorte d’écrivain public.

Parce qu’il se trouve que j’ai un don de dire les choses.

Alors je dis peut-être les choses à la place d’autres qui ne trouvent pas les mots. »

Et puis j’ai trouvé une trace encore plus ancienne : <Radioscopie de Chancel en 1978>

Et puis ce duo avec Pauline Julien cité ci-avant : < <Rien qu’une fois>

Dans une interview que j’ai regardé, elle reprochait au journaliste de ne parler que de ces chansons sérieuses, alors qu’elle a écrit beaucoup de chansons pleines d’humour.

Et j’ai trouvé son jubilé des 50 ans de scène <Concert au Trianon – 2007> et c’est vrai qu’elle est très drôle

Dans ce spectacle elle chante notamment : <Ça ne se voit pas du tout>

François Busnel l’avait reçu à la Grande librairie parce qu’elle venait d’écrire <Coquelicot> un livre sur ses mots préférés. Ce même soir Daniel Pennac était invité aussi. Vous apprendrez le sens du verbe : « débarouler »

Et puis il y a les cinq émissions de Hélène Hazéra « A voix nue » qui datent de 2002.

Et pour finir un autre moment d’humour : < Petit bonhomme >

<1502>

Jeudi 03 décembre 2020

« Juste une femme ».
Anne Sylvestre, titre d’une chanson et d’un album

Aujourd’hui, je ne saurais parler que d’Anne Sylvestre.

J’aurais pu connaître ses fabulettes, alors que j’étais enfant puisque le premier album est paru en 1962, j’avais quatre ans.

Mais il n’en fut pas ainsi, je l’ai connue alors que j’étais devenu père et que j’écoutais ces merveilles avec mes enfants.

Ces chansons sont toujours des histoires qu’elle raconte avec malice « Le Toboggan », avec du vécu « Les Sandouiches Au Jambon », pédagogie familiale « Cécile et Céline », naturaliste « Tant De Choses », poésie « Balan Balançoire », lumineuse « La Petite Rivière ».

Les paroles sont simples, compréhensibles par des enfants mais les phrases ont du sens et expliquent les choses de la vie.

Je prends l’exemple de cette chanson « Je t’aime » :

Ce sont les mots les plus doux
Comme deux bras autour du cou
Comme un grand rayon de soleil
Ce sont des mots Merveille
Ce sont des mots légers, légers
Un papillon qui vient voler
Pour faire plaisir à une fleur
Ce sont des mots Douceur

Ce sont des mots tout ronronnants
Comme le chat quand il est content
Comme le duvet d’un poussin
Ce sont des mots Câlin
Ce sont des mots qui tiennent chaud
Comme la laine sur le dos
Comme une lampe dans le noir
Ce sont des mots Espoir

Ce sont des mots qu’on peut garder
Dans son cœur toute la journée
On peut les dire et les redire
Ce sont des mots Sourire
Ce sont les mots les plus précieux
C’est la prunelle de tes yeux
Tu n’entendras jamais les mêmes
Ecoute bien: je t’aime

Mais c’est encore plus tard que j’ai appris qu’Anne Sylvestre n’était pas qu’une chanteuse pour enfants bien qu’elle fut « fabuleuse » dans cette quête de distraire, d’enchanter et d’enseigner les enfants.

Elle était chanteuse tout simplement, chanteuse avec des textes d’une poésie, d’une profondeur et d’une force extraordinaire.

Le spécialiste de musique, Bertrand Dicale, donne un avis avec lequel je suis pleinement d’accord : « Anne Sylvestre était une des plus grandes plumes de l’histoire de la chanson »

Je lis aussi :

« On doit à cette femme des morceaux gigantesques d’intelligence et de subtilité »
Valérie Lehoux, Télérama, 17 septembre 2007.

Elle savait parler aux enfants comme aux adultes, de sujets légers et de sujets beaucoup plus durs.

Elle a toujours défendu la cause des femmes et dénoncé la violence et l’injustice dont elles étaient victimes.

Et j’ai choisi comme exergue de ce 1501ème mot du jour, le titre d’une de ses chansons « féministes » qui était aussi un titre d’album : « Juste une femme ». Et j’ai trouvé pertinent de citer des extraits de cette chanson tout au long de cet article.

« Petite bedaine
Petite sal’té dans le regard
Petite fredaine
Petite poussée dans les coins »

Cette chanson a été créée en 2013, Anne Sylvestre a presque 80 ans puisqu’elle née le 20 juin 1934 à Lyon. Elle écrit cette chanson dans la suite de « l’affaire DSK », et ne le cache pas aux journalistes qui l’interviewent alors. Elle exprime sa colère face à tous ceux qui relativisent la gravité des agressions sexuelles. Le texte d’Anne Sylvestre jette au monde l’indignation et l’exaspération qui explosera quatre ans plus tard des dizaines de milliers de femmes, lors de la déferlante #Metoo.

Mais ce n’était pas sa première chanson qu’on peut déclarer féministe : « La Faute à Eve », « La vaisselle », « Une sorcière comme les autres », et « Rose » peuvent être classés ainsi.

« C’est juste une femme
C’est juste une femme à saloper
Juste une femme à dévaluer »

Un seul mot du jour lui a été dédié jusqu’à présent. C’était lors de la série sur mai 68 et le mot du jour à la lutte pour la dépénalisation de l’avortement. Elle avait écrit en 1973 la chanson : « Non, Non tu n’as pas de nom »

J’avais pris pour exergue un extrait de cette chanson : « Ils en ont bien de la chance, ceux qui croient que ça se pense. Ça se hurle ça se souffre, c’est la mort et c’est le gouffre »

Cette chanson avait été écrite, deux ans après le manifeste publié en 1971 par Le Nouvel Observateur dans lequel 343 Françaises célèbres reconnaissant avoir avorté. L’année suivante, le « procès de Bobigny », celui d’une jeune fille ayant avorté avec l’aide de sa mère et défendue par Gisèle Halimi, fait grand bruit puis en 1973, 331 médecins déclarent publiquement avoir pratiqué des avortements, crime que la loi punit sévèrement.

Anne Sylvestre écrit l’hymne de cette lutte. Mais elle précisait que ce n’était pas une chanson sur l’avortement, mais une chanson sur l’enfant ou le non-enfant.

« Petit pouvoir, p’tit chefaillon
Petite ordure
Petit voisin, p’tit professeur
Mains baladeuses »

Elle portait une blessure intérieure.

Daniel Cordier était du côté de la France Libre et De Gaulle, le père d’Anne Sylvestre était de l’autre côté, celui de Pétain et du Régime de Vichy.

Car elle est née Anne-Marie Beugras. Son père, Albert Beugras, fut l’un des bras droits du collaborateur Jacques Doriot pendant la seconde guerre mondiale. Sauvé de justesse de la condamnation à mort à la Libération, il purgea dix ans de prison à Fresnes. Elle ne s’est libérée de ce secret que dans les années 1990. Elle le partageait avec sa sœur Marie Chaix, écrivaine et secrétaire de Barbara.

<Le Monde> dans l’hommage qu’il lui a consacré, en dit davantage :

« Marie Chaix, […] raconte, dans Les Lauriers du lac de Constance (Seuil, 1974), la fuite, lors de la débâcle allemande – « Anne, assise près de toi, muette, serrant sa poupée » –, l’arrivée semi-clandestine chez un oncle, à Suresnes (Hauts-de-Seine), la disparition de leur frère, Jean, sous un bombardement, les hommes armés qui viennent quelques jours plus tard, cherchant Albert Beugras. « Et la famille du traître. » Marie a 3 ans, Anne 10.

Longtemps Anne Sylvestre a caché son secret, refusant de dire que Marie Chaix était sa sœur : « J’avais 10 ans, la photo d’Albert Beugras était partout, des pages entières dans les journaux. C’était mon père, un père aimant. Je suis allée à son procès, maman y tenait, elle a eu raison. On m’avait mise à l’école chez les dominicaines. Mes camarades chapitrées par leurs parents, m’ont placée en quarantaine. La directrice, qui était la sœur du colonel Rémy, résistant notoire, elle-même déportée, m’a défendue et sauvée. »

[…] Elle aime les marges et déteste la droite radicale. En 1997, elle publie un album succulent, Chante… au bord de La Fontaine, douze chansons inventées à partir du fabuliste, dénonciation des loups patrons de bistrots glauques, qui font la peau du petit mouton noir et frisé qui a taggé leurs murs. « Le racisme, la banalisation de la discrimination me font froid dans le dos, et cette façon de dire : “On n’y peut rien” ! », dit-elle alors. Le spectacle est créé à La Comedia de Toulon, « en solidarité pour ce théâtre qui avait en face de lui une mairie Front national ».

Anne Sylvestre écrira une chansons paru dans l’album « D’amour et de mots », sorti en 1994. Cette chanson a pour titre «Roméo et Judith». Elle y chante ces vers

«J’ai souffert du mauvais côté
Dans mon enfance dévastée
Mais dois-je me sentir coupable»

On ne choisit pas ses parents

« Mais c’est pas grave
C’est juste une femme
C’est juste une femme à humilier
Juste une femme à dilapider »

<Libération a republié un portrait de 2019> la qualifie justement d’artiste féministe et libre. Dans cet article, le journaliste pose la question : « Mais ces chansons, elles ne sont jamais vraiment passées à la radio. Pourquoi ? ».

La réponse d’Anne Sylvestre est dubitative :

«Il ne faut pas trop faire réfléchir les gens, j’imagine.»

Les médias sont, en effet, passés grandement à côté de son immense talent. Pour ma part, je ne l’ai compris que récemment il y a environ 5 ans, après avoir entendu une émission de radio.

Alors Pourquoi ?

« Le Monde  » suggère :

« Anne Sylvestre n’a pas toujours eu la place qu’elle méritait dans la chanson française. Il est vrai qu’elle n’a pas tout fait pour. Elle n’était pas tous les jours de bonne humeur. « »

Une autre explication se trouve peut-être dans les sujets abordés par la chanteuse.

Parmi ses premières remarquables chansons, en 1959 avec « Mon mari est parti» qui est une chanson sur la guerre à l’heure où la France est aux prises avec ce qu’on appelle les «événements» en Algérie.

Et Pendant toute sa carrière, elle s’intéresse aux faits de société, et notamment à la condition des femmes, revendiquant le terme de chanteuse « féministe », qui fut parfois lourd à porter. Elle dit elle-même

« Je suppose que ça m’a freinée dans ma carrière parce que j’étais l’emmerdeuse de service, mais ma foi, si c’était le prix à payer… »

Mais l’explication qui semble la plus vraisemblable est que c’est l’immense succès des « Fabulettes » qui a vampirisé l’autre partie de son œuvre.

Elle a raconté à <France Culture> que le succès des fabulettes ont peut être joué un rôle de frein pour la réputation de sa carrière de chanteuse universelle :

« Je ne me suis pas méfié suffisamment puisque beaucoup de gens ont continué à me considérer comme une chanteuse pour enfants, sans faire attention du tout à mon répertoire qui est quand même un répertoire de chanteuse pour les “gens”, les adultes.

Ainsi, elle évoque l’anecdote de cette petite fille à qui l’on demandait de citer des chanteuses qu’elle aimait. La liste de chanteuses et chanteurs passant à la radio s’allonge. “Mais, et Anne Sylvestre que tu aimes tant ?”. La petite fille de répondre étonnée : “Oooh, mais ce n’est pas pareil, Anne Sylvestre ce n’est pas une chanteuse !”. La chanteuse sourit : “Vous voyez, moi j’étais un meuble”. »

Ainsi le succès des Fabulettes, soutenues par toutes les écoles de France, dont les ventes se comptent en millions ont conduit l’auteure-compositrice-interprète y être exclusivement identifiée, alors qu’elle avait écrit près de quatre cents chansons « adultes », dont des chefs-d’œuvre tels que « Lazare et Cécile », « Les Gens qui doutent », « Maryvonne »

Le Monde rapporte sa colère devant une « fake news » :

« On a dit : quand Anne Sylvestre a eu moins de succès, elle s’est reclassée dans la chanson pour enfants. Faux.
Ce sont deux répertoires distincts, deux activités parallèles.
J’ai commencé à chanter en 1957 et, dès 1961, je me suis mise à écrire des chansons pour les enfants, par plaisir et pour ma fille. Parce que je voulais retarder la crétinisation…
En 1963, pour me faire plaisir, Philips avait accepté d’enregistrer un 45-tours où il y avait Veux-tu monter sur mon bateau, Hérisson.
Je savais ce qui est au centre des préoccupations quotidiennes des enfants, le rôle du vélo, des nouilles…
Avec les Fabulettes, j’ai pu les structurer, leur donner le goût de la liberté, du plaisir de chanter. »

Anne Sylvestre a toujours refusé de chanter ses Fabulettes sur scène. Elle a dit :

«  Et puis une salle remplie d’enfants… ça me fait peur !»

Et dans la Grande table du 06/02/2014 elle a dit :

« Je suis heureuse et fière d’avoir écrit les Fabulettes. Mais je ne suis pas une chanteuse pour enfants. »

Mais celles et ceux qui ont écouté avec attention son autre répertoire savent combien il est grand.

<TELERAMA> raconte

« Une jeune femme vient de lui sourire. Sans rien dire. Mais avec dans les yeux une joyeuse reconnaissance. « Voilà ce qui arrive dans la rue : des gens m’offrent leur sourire. C’est joli. » Ceux-là, c’est sûr, ont écouté son œuvre. Pas seulement ses Fabulettes pour enfants mais aussi ses chansons pour adultes. Ils savent combien elles sont précieuses. Pour qui connaît le répertoire français, le nom d’Anne Sylvestre égale ceux de Brassens, Brel, ­Barbara, Ferré, Trenet. On ne le dit pas assez ? Si seulement les radios et les télés avaient daigné diffuser ses chansons, tout le monde saurait. Mais l’histoire s’est écrite autrement, et le trésor s’est partagé avec plus de discrétion, scène après scène, disque après disque. »

« Mais c’est pas grave
C’est juste une femme
C’est juste une femme à bafouer
Juste une femme à désespérer »

Christine Siméone a titré son hommage : <Mort d’Anne Sylvestre après 300 chansons et une vie passée à raconter les gens> et nous apprend qu’Anne Sylvestre est l’autrice de 18 albums de “Fabulettes”, pour les enfants, et d’une vingtaine d’albums pour les adultes. Parisienne et citadine dans l’âme, Anne Sylvestre est montée pour la première fois sur scène en 1957, dans le cabaret parisien “La Colombe” où ont également débuté Jean Ferrat, Pierre Perret, Guy Béart ou Georges Moustaki.

Et elle cite Georges Brassens qui écrit, en 1962, au dos d’une des pochettes de disques d’Anne Sylvestre :

« On commence à s’apercevoir qu’avant sa venue dans la chanson, il nous manquait quelque chose et quelque chose d’important. »

<TELERAMA> a tenté de sélectionner les dix plus grandes chansons d’Anne Sylvestre, « Juste une femme » en fait partie. Et ajoute :

« Nous en avons choisi dix…Nous aurions pu en prendre vingt, ou trente, tant [son] répertoire est l’un des plus riches et des plus beaux de la chanson française. Curieusement méconnu, mais à la hauteur de ceux de Barbara, Brassens, Brel. »

Il est difficile de choisir parmi tant de beautés, j’avoue une faiblesse pour cette chanson « Écrire pour ne pas mourir »

Elle a dit

« Écrire pour ne pas mourir, écrire fait beaucoup de bien. »

Et aussi « Je me vois comme un écrivain public : je trouve les mots » ou encore « Les mots, il faut les laisser venir, et il faut aller les chercher »

Elle n’a pas arrêté.

« Y a-t-il une vie après la scène ? Je m’aperçois, après cinquante ans de chanson, qu’à part ma famille et mes amis proches, il n’y a qu’une seule chose qui m’intéresse, écrire et chanter. C’est mon bonheur, c’est ma vie », racontait-elle à Bertrand Dicale dans les pages du Figaro pour

Jamais elle n’a posé le micro. Elle avait encore une tournée prévue pour jouer son spectacle « Nouveaux manèges », notamment quatre dates à la Cigale en janvier 2021.

Mais dès qu’une femme […]
Est traitée comme un paillasson
Et quelle que soit la façon
Quelle que soit la femme
Dites-vous qu’il y a mort d’âme

C’est pas un drame
Juste des femmes »

Le texte intégral de « Juste une femme » peut être trouvé <ICI> et son interprétation <ICI>

Je vous donne aussi le lien vers <Ecrire pour ne pas mourir> elle chante dans l’émission de Pivot, puis répond à ses questions.

Et je finirai par ce bel hommage du Rabbin Delphine Horvilleur :

« Anne Sylvestre
Bien souvent, on me demande qui je rêverais de rencontrer.
Depuis longtemps, c’est ton nom que je cite.
Je rêvais de te croiser, pour simplement de te dire merci. »

<1501>

Lundi 30 novembre 2020

« Vous savez Daniel, c’est quelqu’un qui a toujours eu 20 ans, même quand il en avait 100. Parce que ce sont les passionnés qui vivent, les raisonnables, ils ne font que durer. »
Régis Debray à propos de Daniel Cordier à France Inter le 27 novembre 2020

Je n’ai jamais consacré de mot du jour à Daniel Cordier. Je l’ai découvert et cité en 2013 après avoir entendu une émission, aujourd’hui disparue : « La marche de l’Histoire ».

Il rapportait les propos d’un grand résistant, Georges Bidault «Les résistants c’est comme les trotskystes, avec un, tu fais un Parti, avec deux, tu fais un congrès, avec trois, tu fais une scission».

Par la suite, j’ai lu des articles, j’ai vu plusieurs émissions ou vidéo dans lesquelles il intervenait toujours avec mesure et intelligence.

Et puis un jour, j’ai entendu Régis Debray dire lors d’une émission :

« Il faut absolument lire Alias Caracalla de Daniel Cordier»

Alors, pendant l’été 2016, j’ai lu ou plutôt dévoré « Alias Caracalla » et depuis je voulais en faire un mot du jour.

Régis Debray est devenu l’ami de Daniel Cordier .

Il a d’ailleurs réalisé un documentaire sur son action lors de la résistance : <Daniel Cordier la résistance comme un roman>. Ce documentaire peut être vu jusqu’au 23/12/2020 sur le site de France 5.

Régis Debray avait aussi organisé une rencontre entre 4 anciens de la France Libre dont Daniel Cordier : <Des français libres se souviennent> .

Alors, c’est tout naturellement à Régis Debray qu’il faut donner la parole pour décrire le mieux cet homme admirable que fut Daniel Cordier mort le 20 novembre, après qu’il ait fêté son anniversaire de 100 ans, le 10 août 2020. Régis Debray était l’invité de France Inter lors du grand entretien du <27 novembre 2020>. Et voilà ce qu’il a dit :

« Vous savez Daniel, c’est quelqu’un qui a toujours eu 20 ans, même quand il en avait 100.
Parce que ce sont les passionnés qui vivent, les raisonnables, ils ne font que durer.
Et Daniel avait gardé cette passion.
D’abord cette passion de savoir exactement ce qu’il avait fait et pour qui il l’avait fait : pour Jean Moulin et Jean Moulin pour qui : pour la Résistance et la Résistance pourquoi : pour la France.
Il a toujours voulu comprendre, expliquer. Il a trouvé les documents.
Et puis j’aimais en lui, ce côté un peu enfantin, ce sourire narquois, il avait beaucoup d’humour. Et surtout, il ne bombait pas le torse. »

C’est en effet un homme qui a refusé d’être considéré comme un héros.

« Il y avait chez lui à la fois un héros et un dandy. Ce n’est pas contradictoire, il avait cette sorte de détachement, cet humour et surtout cette humilité. »

Demain je tenterais de dire quelques mots d’Alias Caracalla et surtout de citer un extrait qui m’avait marqué.

Aujourd’hui je voudrais simplement parler des quatre vies de Daniel Cordier.

La première vie débute à Bordeaux où il est né dans une famille bourgeoise. Ses parents divorcent et sa mère se remarie avec un autre bourgeois, Charles Cordier. Ce beau-père est d’extrême droite, royaliste, partisan de Charles Maurras, et du mouvement de l’Action française.

Ce milieu est violemment antisémite. Très influencé par son beau-père, Daniel Cordier adhère à cette idéologie et devient membre de <La Fédération nationale des Camelots du roi> qui est un réseau de vendeurs du journal L’Action française et de militants royalistes qui constituent le service d’ordre et de protection du mouvement de l’Action française.
Il fonde à Bordeaux le cercle Charles-Maurras. Et comme il le reconnaît dans Alias Caracalla, en tant qu’admirateur de Charles Maurras, il est, au début de la guerre, antisémite, antisocialiste, anticommuniste, antidémocrate et ultranationaliste.

Mais en 1940, à 20 ans, son patriotisme lui interdit de se soumettre et d’accepter le défaitisme de Pétain que dès lors il considère comme un traitre. Il se détache aussi de Charles Maurras qui soutient Pétain et se rallie à la France libre.

Immédiatement, il cherche et parvient à quitter la France sur un navire belge parti de Bayonne le 20 juin 1940. Son projet avec quelques amis est d’aller en Afrique, dans l’empire français continuer la lutte, mais le bateau fait finalement route vers l’Angleterre.

La deuxième vie de Daniel Cordier commence en Angleterre, il s’engage avec ses camarades dans les premières Forces françaises libres de la « Légion de Gaulle ». Il rencontre Raymond Aron, Stéphane Hessel et Georges Bidault, auxquels il restera lié. Il est aussi impressionné par le charisme de De Gaulle. Il poursuivra une formation militaire et obtiendra le grade de Lieutenant. Il faut bien comprendre qu’il ne fait pas partie de ce qu’on appelle «  la Résistance » mais des « Forces française libres » et parmi les tous premiers. Et puis il rencontre la grande Histoire, parachuté sur la France, le 26 juillet 1942, il va devenir le secrétaire de Jean Moulin, sans savoir qu’il s’agit de Jean Moulin, il ne le connait que sous le nom de « Rex ». Il n’apprendra qu’après la guerre que cet homme qu’il a servi était un ancien préfet et qu’il avait pour nom Jean Moulin.

Il se donnera corps et âme à sa mission. Fasciné par Rex, il le soutiendra jusqu’au bout : son arrestation à Caluire.

Jean Moulin aura une influence déterminante sur sa vision du monde, ses idées politiques qui vont muter vers l’humanisme et le socialisme.

Jean Moulin aura une autre influence déterminante pour la troisième partie de sa vie :

« Jean Moulin fut mon initiateur à l’art moderne. Avant de le rencontrer, en 1942, j’étais ignorant de cet appendice vivant de l’histoire de l’art. Il m’en révéla la vitalité, l’originalité et le plaisir. Surtout il m’en communiqua le goût et la curiosité »
Daniel Cordier, en 1989, dans la préface du catalogue présentant sa donation au Centre Pompidou

Après l’arrestation de « Rex » il continuera le combat jusqu’à la victoire finale.

Et il continuera même après la victoire, mais la démission de De Gaulle met un terme définitif à son engagement public.

Je l’ai entendu dire dans une émission qu’il ne voulait surtout pas ressembler à ces vieux combattants de 14-18 qui racontaient inlassablement à la jeunesse le récit de leur drame et de leur courage.

Et c’est ainsi qu’il ne parlera plus de la Résistance en public pendant plus de trente ans.

La troisième vie est alors consacrée à l’art. Il prend des cours de peinture, commence une carrière de peintre et surtout il achète des œuvres d’art contemporain et commence une collection. Puis ouvre une galerie d’art. Et il deviendra un des plus grands marchands d’art et organisateur d’expositions de la place de Paris.

Et il deviendra aussi mécène et il fera don d’une partie de sa collection à l’État, en particulier au Centre Pompidou. J’ai lu qu’ainsi il a transmis 1000 œuvres au Centre.

La quatrième vie sera une vie d’Historien. J’ai plusieurs fois entendu Daniel Cordier raconter ce qui s’est passé sur le plateau de cette émission de télévision célèbre à l’époque : « Les Dossiers de l’écran », le 11 octobre 1977. Cette émission était consacrée à Jean Moulin. On l’avait invité puisqu’il avait été son secrétaire pendant la période la plus importante : celle au cours de laquelle jean Moulin a tenté de réunir l’ensemble des forces de la Résistance sous un commandement unique rallié à De Gaulle.

<France Info> écrit :

« Le ton monte sur le plateau de la célèbre émission “Les Dossiers de l’écran”, ce 11 octobre 1977. Installés face à face dans de grands fauteuils en cuir camel, Henri Frenay et Daniel Cordier ne s’étaient plus croisés depuis trente-cinq ans. Le premier est un habitué des plateaux télé, présentant son dernier livre, L’Enigme Jean Moulin (éd. Robert Laffont, 1977). A la tête du plus important mouvement de résistance non communiste, Combat, il défend la thèse selon laquelle Jean Moulin n’est pas le résistant que le public connaît, mais plutôt un agent double des services secrets russes.

Face à lui, Daniel Cordier, de 15 ans son cadet, ancien secrétaire de Jean Moulin, balbutie quelques mots avec un léger zozotement, pour défendre celui qui était son chef : “Ce soir, je voulais apporter des documents, mais on m’a dit que ce n’était pas le lieu. Je pouvais apporter un paquet de documents, car… Enfin… C’était mon poste, c’était ma fonction.” En quittant le plateau d’Antenne 2, Daniel Cordier sait qu’il n’a pas convaincu. […]

C’est donc lors de cette fameuse soirée d’octobre 1977 que la vocation de Daniel Cordier est née. De résistant, il est devenu gardien de mémoire, passeur d’histoire, en décidant de se plonger dans les documents qu’il avait scrupuleusement gardés, inconnus de beaucoup d’historiens. Je me suis dit : Mais au fond, depuis la guerre, je vis très heureux, je fais ce qui me plaît. Mais Jean Moulin, c’était mon patron, c’est lui qui m’a appris la peinture et aujourd’hui je suis incapable de le défendre. Je suis un salaud, confiait-il au micro de France Culture en 2013. […]

Après cette débâcle télévisée, la nouvelle carrière d’historien qu’il embrasse le pousse à retrouver pour la première fois depuis trente-cinq ans ses compagnons de guerre. Pendant six ans, Daniel Cordier se plonge dans ses propres archives. Il constitue également une équipe et se fait aider par un historien reconnu, Jean-Pierre Azéma.

“J’ai tiré au clair ces accusations [d’espionnage]”, disait alors Daniel Cordier, toujours dans “Apostrophes”. “Ç’aurait pu être vrai. Je me suis mis au travail dans cette perspective. Comme je connaissais bien les archives de la Résistance, je m’étais mis en tête de faire la preuve que Moulin était cryptocommuniste [dont les idées sont proches de celles des communistes sans être affirmées]. Je me suis vite aperçu qu’il n’y avait absolument rien, aucun indice d’aucune sorte, mais qu’en plus, il existait des documents que j’avais oubliés qui prouvaient exactement le contraire.”

L’autodidacte recoupe toutes les preuves qu’il peut, ne laisse rien au hasard. “Il a une démarche scientifique”, salue Christine Levisse-Touzé, historienne spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, présidente du conseil scientifique du musée de l’Ordre de la Libération, contactée par franceinfo. “Il avait un respect absolu des preuves et des faits.” Daniel Cordier a ainsi apporté des récits précieux pour comprendre le quotidien des résistants. “Il a, pièces d’archives à l’appui, expliqué pourquoi des dissensions existaient entre les chefs de la Résistance, abonde Laurent Douzou, historien spécialiste de la Résistance. Notamment entre Jean Moulin et Pierre Brossolette. Cela se savait avant 1983, mais Cordier a mis en évidence cet affrontement, à partir de pièces d’archives et de rapports mentionnant des disputes précises. »

Son travail immense va alors profondément renouveler l’historiographie de la Résistance.

La figure de jean Moulin va en sortir grandie et hélas les mouvements de résistance sortiront de ce travail avec un certain nombre de réalités peu glorieuses.

Parce qu’après la guerre, bien des chefs de la Résistance ont privilégié une vision édulcorée et idéalisée de leurs actions. Cordier montre leurs querelles, leurs rivalités, leurs divergences politiques et stratégiques qui les avaient opposés entre eux et aussi à Londres. Il a toujours privilégié l’écrit à l’oral qui a toujours tendance à réinventer le passé selon les convictions présentes.

Vous pouvez écouter aussi l’émission de France Culture dans laquelle il parle de ce travail : <La solitude a été la compagne de ma vie>

Aujourd’hui son travail d’Historien est reconnu pour sa qualité et sa grande valeur éthique.

Je crois qu’on peut reprendre pour Daniel Cordier cette phrase de Camus : « Il y a des êtres qui justifient le monde, qui aident à vivre par leur seule présence. »

<1498>

Vendredi 27 novembre 2020

« Dans le football frigide de cette fin de siècle, qui exige qu’on gagne et interdit qu’on jouisse, cet homme est un des rares à démontrer que la fantaisie peut elle aussi être efficace »
Eduardo Galeano à propos de Diego Maradona

Je n’avais pas l’intention de faire un mot du jour sur ce footballeur, certes extraordinairement doué, mais qui avait tant d’ombres : lien avec la mafia, drogue, alcool et par moment des propos injurieux au-delà de l’imaginable.

Et puis par hasard, j’ai vu ce documentaire d’Arte : <Un gamin en or>

Au début je me suis dit : je ne vais regarder que les premières minutes et puis j’ai été happé et je suis allé jusqu’au bout. C’est bouleversant. Bien sûr, il a fait des erreurs, il a eu des faiblesses., mais quel talent et combien d’hostilité il a dû affronter dans le monde du football institutionnel.

Tout le temps agressé sur le terrain, parce qu’il était trop fort et quasi inarrêtable par des moyens licites.

Jusqu’à ce qu’on a appelé l’attentat d’Andoni Goikoextxea que vous pourrez voir sur cette page de <Sofoot>

C’était, le 24 septembre 1983, un match entre Barcelone, équipe dans laquelle jouait Maradona à cette époque, contre le club basque de l’Athletic Bilbao.

Maradona donnait le tournis à ses adversaires et alors « le sinistre boucher de Bilbao » par un tacle d’une violence inouïe venant de derrière la jambe gauche a eu pour conséquence une fracture de la cheville avec arrachement des ligaments. Pour toute sanction de son ignoble besogne, le misérable n’a écopé que d’un carton jaune, alors qu’il aurait dû être suspendu à vie.

Finalement, ce n’est pas totalement absurde après cette longue série sur Albert Camus, de rendre hommage à Diego Armando Maradona, probablement le footballeur le plus extraordinaire que la terre ait porté.

D’abord parce que, nous savons combien le football était important pour Camus, alors rendre hommage au meilleur de ce jeu a du sens.

Ensuite parce que Diego Maradona est né le 30 octobre 1960, cette même année dans laquelle, le 4 janvier, Albert Camus a trouvé la mort dans une voiture qui s’est encastrée dans un platane.

Et puis, celui auquel on a donné le nom de « El Pibe de Oro » « Le gamin en or », venait d’une famille aussi pauvre que Camus. Ils partagent tous les deux ces origines dans la pauvreté économique et la précarité.

Et aussi, tous les deux malgré ces débuts difficiles sont devenus très célèbres, Camus en sachant caresser et jongler avec les mots, Maradona en sachant caresser et jongler avec un ballon.

Et enfin, tous les deux n’ont pas oublié d’où ils venaient et toujours eu à cœur à défendre les humbles, celles et ceux que la vie n’a pas gâté dès leur début.

Dans le documentaire, on le voit participer à un match de bienfaisance dans la banlieue de Naples pour financer des soins coûteux pour un enfant modeste. Le terrain est boueux, de mauvaise qualité et il s’engage avec le même enthousiasme que sur les plus beaux stades.

Son goût de la justice va plus loin. Après que Naples son club après Barcelone, ait gagné pour la première fois le championnat italien grâce à son rayonnement, le Président avait décidé de verser une prime de victoire aux joueurs : une grosse prime pour les titulaires et une petite prime pour les remplaçants. Alors « El Pibe de Oro » est allé voir le président et l’a menacé de quitter le club si la même prime n’était pas versée à tous les joueurs titulaires et remplaçants et il a exigé que tous les salariés du club, même les plus modestes touchent également une prime parce que par leur engagement ils avaient aussi contribué au succès.

J’ai vu aussi ce documentaire qui est publié par la chaîne « Brut » : <Une vie : Diego Maradona>

Le documentaire, commence par cette réponse de Maradona à qui on a probablement demandé comment il avait vécu la pression en tant que footballeur :

« Vous savez qui a vraiment la pression ?

Le type qui doit partir à quatre heures du matin
et qui ne peut pas ramener 100 pesos à la maison,
C’est lui qui a la pression
parce qu’il doit nourrir ses enfants
Je n’ai pas de pression,
chez moi la marmite est remplie, grâce à Dieu. »

Le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Pascal Boniface resitue Diego Maradona dans son contexte sud-américain, la plaie de la guerre des Malouines entre la Grande Bretagne et l’Argentin et la méfiance à l’égard du grand voisin des Etats-Unis d’Amérique : <Géopolitique de Maradona>

Dans ma longue série sur le football, j’avais parlé de celui qui écrivait sur le football avec intelligence, connaissance et philosophie : Eduardo Galeano écrivain uruguayen

Dans son livre « Football, ombre et lumière » il parlait ainsi de Diego Maradona :

« Il était épuisé par le poids de son propre personnage (…) depuis le jour lointain où la foule avait crié son nom pour la première fois. Maradona portait un poids nommé Maradona, qui lui faisait grincer du dos. […]

Quand Maradona fut, finalement, expulsé du Mondial 1994, les terrains de football perdirent leur plus bruyant rebelle. En fin de compte, il était facile de le juger, facile de le condamner, mais il n’était pas facile d’oublier que Maradona commettait le péché d’être le meilleur (…). Dans le football frigide de cette fin de siècle, qui exige qu’on gagne et interdit qu’on jouisse, cet homme est un des rares à démontrer que la fantaisie peut elle aussi être efficace ».

J’ai aussi trouvé cette description du même Galeano :

« Aucun footballeur consacré, n’avait jusqu’à présent dénoncé, sans mâcher ses mots, les maîtres du football — bussines. C’est le sportif le plus célèbre et le plus populaire de tous les temps, qui a plaidé en faveur joueurs qui n’étaient ni célèbres, ni populaires.

Cette idole généreuse et solidaire a été capable de commettre, en cinq minutes, les deux buts les plus contradictoires de toute l’histoire du football. Ses dévots le vénèrent pour les deux buts : le premier est un but d’artiste digne d’admiration, dribblé par la diablerie de ses jambes, mais aussi, et peut-être plus, pour son but de « voleur » que sa main a dépouillé.

Diego Armando Maradona a été adoré non seulement pour ses jongleries prodigieuses mais aussi parce que c’est un Dieu sale, pécheur, le plus humain des dieux. N’importe qui pourrait se reconnaître en lui, une synthèse ambulante des faiblesses humaines, ou du moins masculines : un coureur de filles, un glouton, un ivrogne, un tricheur, un menteur, un fanfaron, un irresponsable.
Mais les dieux ne partent pas à la retraite, aussi humains soient-ils.
Il n’a jamais pu retourner dans la multitude anonyme d’où il venait. La renommée, qui l’avait sauvé de la misère, l’a fait prisonnier.
Maradona a été condamné à se prendre pour Maradona et obligé d’être l’étoile de chaque fête, le bébé de chaque baptême, le mort de chaque veillée.
Plus dévastateur que la cocaïne, est, la réussite. Les analyses d’urine ou de sang, ne dénoncent pas cette drogue. »

Et quand l’écrivain uruguayen est décédé, en 2015, Maradona lui a rendu hommage par <ces mots>

« Merci pour m’avoir appris à lire le football. Merci d’avoir lutté comme un n°5 au milieu du terrain et d’avoir marqué des buts aux puissants comme un n°10. Merci de m’avoir compris, aussi. Merci Eduardo Galeano, dans une équipe il en manque beaucoup des comme toi. »

<1497>

Vendredi 6 novembre 2020

« Résister, c’est d’abord et absolument faire face. Exprimer une force pour en contenir une autre »
Alain Rey

Entre 1993 et 2006, Alain Rey, concluait la matinale de France Inter que j’écoutais chaque jour, par une chronique intitulée « Le Mot de la fin ». Il s’emparait alors d’un mot de notre langue qui était présent dans l’actualité et qui, souvent, avait été cité plusieurs fois dans l’émission d’information qu’il concluait.

Alors, il déshabillait ce mot, l’inscrivait dans l’histoire, examinait les différentes significations, souvent éclairait un autre sens du mot. C’était un moment de poésie et d’érudition que j’attendais toujours avec impatience.

France Inter a republié un certains nombre de ces chroniques sur cette page <(Ré)écoutez “Le Mot de la fin”, la chronique d’Alain Rey>

Vous y trouverez sa dernière chronique, le 29 juin 2006, consacrée au mot « Salut ». Mais aussi :

  • Pandémie
  • Palabre
  • Caricature
  • Sage

Il avait fait sa chronique sur le mot « sage » lors d’une autre élection présidentielle américaine pendant laquelle il a fallu attendre longtemps pour savoir qui serait le président entre Al Gore et George W Bush. C’était sa chronique du 13 décembre 2000 et il s’en prenait aux juges de la Cour Suprême :

« Un mot que je trouve un peu immérité. C’est le mot “sage”. Les juges de la Cour suprême des Etats-Unis, qui viennent de rendre la décision que l’on sait, sont souvent appelés “Les Sages”. Sans commentaire. Mais les commentaires, justement, soulignent le caractère politique de leur décision. Cinq sages républicains contre quatre sages démocrates égalent un président républicain. Voilà la sagesse assimilée à une majorité politique d’ailleurs faiblarde et surtout une sagesse en morceaux puisqu’avec certes, cinq pro-Gore et quatre pro-Bush modèle W, on aurait eu le résultat inverse. »

Cette page a été mis en ligne suite au décès d’Alain Rey, le 28 octobre 2020, à l’âge de 92 ans.

Il était né en 1928, dans le Puy-de-Dôme. Entre autres études, il a fait des études de lettres et d’histoire de l’art à la Sorbonne. Après son service militaire en Tunisie, il répond en 1952 à une petite annonce de Paul Robert qui cherche des linguistes pour faire un dictionnaire. Alain Rey devient son premier collaborateur pour le Dictionnaire alphabétique et analogique.

Il devient alors l’âme des dictionnaires « Robert », il devient le Robert. Le premier dictionnaire « Le Robert » paraît en 1964. Alain Rey rédige et dirige ensuite les autres dictionnaires publiés par les éditions Le Robert dont le célèbre « Le Petit Robert »

Wikipedia écrit :

« S’il ne fut pas universitaire, il a cependant joué un rôle majeur dans le développement de la terminologie, de la lexicologie, de l’histoire du vocabulaire, de la sémantique historique et de l’histoire culturelle des dictionnaires. »

J’ai trouvé dans <un article du Monde>, publié le 24 mars 2016, une ode dont il avait le secret au mot « résister ».

Il me semble que le mot « résister » constitue un verbe important des temps présents.

L’hebdomadaire « Le Un » a consacré un de ces dernier numéros à « résister ».

Alain Rey écrivait :

« Le mot « résister » n’est pas très ancien. Il apparaît au tournant des XIIIe et XIVe siècles, par un emprunt direct au latin. C’est un terme d’origine intellectuelle, donc, qui n’est pas passé par les gosiers romans du haut Moyen Age. Dès son apparition, ce mot inventé par les clercs, en un temps où l’individu ne pèse pas, est posé comme collectif, à résonance plurielle. Du « resistere » latin, il tient sa force, son énergie.

Le préfixe « re » n’indique pas ici le redoublement ou la répétition, mais l’intensif appliqué à une racine, « sistere », qui dit l’arrêt, la station fixe. Une racine que l’on retrouve dans « insister », « persister », ­ « désister », « consister » aussi.

Résister, c’est donc d’abord se tenir debout et être capable de faire face. Faire front. Faire obstacle. Face à une menace, un péril, même intime, venu de l’intérieur en quelque sorte.

De façon frappante, on peut remarquer qu’il y a là comme un écho avec le « djihad », cet ­ « effort suprême » de la langue arabe. Dans les hadiths qui complètent le Coran, le Prophète distingue le petit djihad, qui concerne la guerre menée pour préserver l’islam, et le grand djihad, plus essentiel à ses yeux, qui désigne la lutte à mener en son for intérieur contre ses propres faiblesses, ses passions ou ses facilités.[…]

La notion de « résister » est si claire qu’elle n’a quasiment pas varié au fil du temps. Le mot est des plus stables. Un mot résistant en quelque sorte. Posture d’abord théorique, il trouvera plus tard ses emplois concrets, en métaphore.

Au XVIe siècle, il s’applique aux sentiments : désormais, on résiste à une tentative de séduction. Aux choses également, quand celles-ci, face à l’action d’un agent extérieur, parviennent à conserver leur intégrité sans se détériorer.

Mais c’est la progression dans le champ de la psychologie sociale qui sera la plus flagrante  : résister au sens de refuser, s’opposer à. Vocabulaire de l’opposition à une séduction autant qu’à une oppression, la notion originelle s’étoffe ainsi sans varier sur le fond. Les dérivés qui s’ensuivent sont particulièrement intéressants. Ainsi, le mot « irrésistiblement », employé au siècle des ­Lumières dans le champ psychologique pour signifier une promesse d’agréments. »

Et il compare le mot « résister » et le mot « résistance » en montrant la plus grande stabilité du verbe :

«  Le mot ­ « résistance » – d’abord orthographié « resistence » lors de ses premières occurrences médiévales – s’est coloré différemment selon les circonstances historiques qui en ont régulièrement popularisé l’emploi. Jusqu’à son actuelle acception majuscule – Résistance –, qui la réserve à l’action, menée durant la deuxième guerre mondiale, de ceux qui s’opposèrent à l’occupation de leur pays par les troupes des puissances de l’Axe. Comparé à cette variabilité, le mot « résister », lui, a conservé sa hauteur de vues originelle, intangible. ­ Résister, c’est d’abord et absolument faire face. ­Exprimer une force pour en contenir une autre, comme faire le choix de la non-violence pour s’opposer à l’oppression. »

Et il finit par une anecdote propre à nous encourager à continuer à aimer et défendre les caricatures :

«  Sur un plan plus intime, j’ai été assez séduit par la proposition que me fit naguère Jean-Michel Ribes de participer à la saison 2007-2008 du Théâtre du ­Rond-Point, consacrée au ­ « rire de résistance ». La dérision comme autre réponse que le sérieux pour faire face me convient assez. »

Je vous invite aussi à regarder cet entretien sur TV5 dans laquelle Patrick Simonin recevait Alain Rey à l’occasion de la sortie de son dictionnaire historique de la langue française. Vous apprendrez, entre autres, d’où vient le mot tomate et comment il a voyagé.

L’entretien ne dure que 20 minutes. Si vous disposez davantage de temps, en ces temps de confinement, vous pouvez écouter cette conférence passionnante sur la langue française donnée à l’Université de Genève < Le français, une langue à l’épreuve des siècles>. Elle dure 1:45 et vous verrez qu’il a aussi beaucoup d’humour et de la poésie.

Lui qui écrivait le 24 mars 2020 :

« Confinement est sans aucun doute le mot du jour, jour un peu long, à notre regret, mais qui incite ou qui invite à la réflexion. […]
Acceptons d’être « confinés », mais au sens que ce mot eut à la fin du Moyen Âge : « aller jusqu’aux confins ».
Or, les confins de la langue française, c’est le monde. » 

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