Lundi 18 juin 2018

« Le Tsu chu chinois et le Kemari japonais »
Ancêtres du football

Un passionné d’Histoire comme moi, quand il veut approfondir le football va forcément s’intéresser à l’origine de ce jeu. Un groupe d’homo sapiens se partage en deux équipes et tape dans un ballon ou quelque chose qui peut faire office de balle.

<Ce documentaire très intéressant> commence par évoquer un jeu qui a été inventé il y a 3 400 ans au Mexique puis qui a été adopté par les Mayas. Il n’en reste pas moins que ce jeu ne se jouait pas au pied. Les « arènes » dans lesquelles se déroulaient cette pratique sont visibles dans toutes les villes vestiges des peuples mayas dans le sud du Mexique, notamment dans la péninsule du Yucatan. Munies d’une balle en caoutchouc pouvant peser jusqu’à plus de 3 Kg, deux équipes s’affrontent en se renvoyant la balle en la frappant à l’aide des hanches, des coudes des fesses ou des genoux, l’usage des mains et des pieds étant interdit. L’objectif est de renvoyer la balle sans qu’elle ne retouche le sol. A chaque faute, c’est-à-dire balle touchant le sol ou usage d’une partie interdite, l’équipe fautive perd un point et l’autre équipe en gagne un.

Ce jeu avait pour nom « le pok-a-tok ». Le terrain de jeu le plus ancien connu, découvert à Paso de la Amada, au Mexique, daterait de 1 600 avant J.-C. Le terrain mesurait environ 80 mètres de long entre deux murs ou deux rangées de gradins. Le terrain de Chichen Itza, le plus grand du monde maya, mesure 140 mètres sur 35 mètres.

<Cet article> en dit plus et évoque notamment le sujet du sacrifice humain à l’issue du jeu sans pouvoir déterminer si c’est le capitaine vainqueur ou perdant qui était tué.

Mais pour en savoir plus j’ai emprunté « Le Dieu football – Ses origines – ses rites – ses symboles » de Philippe Villemus.

Dans ce livre, l’auteur pense que dès le début de l’histoire de l’humanité, les hommes ont dû jouer. Pour être plus précis, en remontant à l’aube des temps, le jeu débuta sans doute quand les premiers humains commencèrent à se transformer de chasseurs-cueilleurs en paysans-agriculteurs. Le temps des loisirs devint un élément de la vie quotidienne. Les jeux et les activités récréatives, individuels ou collectifs, apparurent dans une société où jusqu’alors les individus et les groupes étaient seulement préoccupés par la quête de nourriture, la protection contre les éléments et les ennemis, et l’affirmation de leur supériorité sur la nature

Et comme toujours, homo sapiens va inclure cette activité, a priori ludique dans notre ressenti moderne, dans des rites, des mythes et du religieux. Je cite le livre (page 30) :

« Dans les sociétés traditionnelles, toutes les activités sont marquées par les rites et le sacré. Nous verrons que les jeux de balle originels n’échappent pas à cette règle, en étant adroitement associés à des rituels religieux. »

Et, il est bien possible que les premiers ballons utilisés pour jouer à un football antique fussent des crânes humains :

« À Kingston-on-Thames, en Angleterre, on raconte une histoire tenace. Au XIe siècle, les Saxons vainquirent les Vikings qui venaient de débarquer et allaient envahir le bourg. Le chef viking eut la tête coupée par les vainqueurs. Les seigneurs saxons, selon la légende, poussèrent sa tête à coups de pieds dans les rues du village, comme un vulgaire ballon de foot. Bien avant cette triste histoire, dès que l’homme se tint sur ses deux jambes, on a dû jouer avec un crâne humain, d’abord avec les mains, ensuite avec les pieds. »

En tout cas, l’étrange fascination des hommes pour les jeux de balle remonte à la nuit des temps. Car les marques sont flagrantes et les historiens formels : dans toutes les civilisations, depuis que les hommes jouent, on a joué au « ballon », sous tous les cieux. Des traces de jeux de balle collectifs remontent à la plus haute Antiquité, en Asie, en Égypte, en Assyrie, en Grèce et à Rome. […] La maîtrise de la balle avec les pieds est sans doute apparue très tôt comme un art difficile qui exigeait une habileté très spéciale.

Mais Philippe Villemus cite comme premier jeu de balle au pied un jeu chinois, dans l’Empire du Milieu appelé : « Le Tsu Chu » (parfois on trouve l’orthographe suivant « cuju »):

« Le premier témoignage de l’histoire du jeu de balle au pied nous provient de l’empire chinois des Shang, près de 2 000 ans avant J.-C.[…] Les Shang connaissaient déjà l’écriture.[…] La légende attribue à l’empereur mythique Huang-Ti, vers 2 500 avant J.-C., l’invention d’un jeu de balle. Cette pratique faisait partie de l’entraînement militaire. La balle était ronde et en cuir de porc ou de chien. Elle devait être lancée au-delà de deux bâtons plantés.

Les autres traces avérées du football en Chine remontent à la période de 200 avant J.-C. Le livre des Han ( Han Shu ) retrace l’histoire de la première partie de la dynastie des Han (206 av. J.-C., 220 apr. J.-C.). Cet ouvrage a enregistré les faits et gestes des empereurs et parle d’un jeu de balle au pied. Pour les militaires chinois, cette activité au pied s’appelait tsu chu. Littéralement tsu chu signifie «frapper la balle avec le pied » ( tsu voulant dire « frapper du pied » et chu désignant la balle). Les scribes de la dynastie des Han nous apprennent que le ballon était fait de cuir rembourré de cheveux et de plumes. La balle devait être poussée avec les pieds et projetée dans un filet d’environ quarante centimètres, fixé à des bambous. Les joueurs pouvaient aussi utiliser la poitrine, le dos ou les épaules. Un poème attribué à Li Yu (136-50 av. J.-C.) décrit le jeu ainsi : « La balle est ronde, Le terrain carré pareil à l’image du ciel et de la terre. La balle vole au-dessus de nous comme le soleil Tandis que deux équipes se font face. » On notera l’analogie cosmique. Sous le règne de l’empereur Chengti, les soldats chinois jouaient au tsu chu en l’honneur de son anniversaire. Les vainqueurs devenaient rapidement des héros nationaux. On punissait les vaincus à coups de lanières. Le jeu devait donc être extrêmement violent et demandait une habileté diabolique pour faire passer la balle dans un filet de quarante centimètres de diamètre, situé parfois à plus de neuf mètres de hauteur entre deux bambous. […]

Toutes les parties du corps, sauf les mains, étaient autorisées pour marquer. »

Certains contestent absolument la descendance entre le Tsu chu chinois et le football, ainsi l’historien « Paul Dietschy » connu pour son ouvrage : « L’histoire du football ». Il développe cette thèse dans <cet article>

Et si la Chine connaissait le Tsu Chu, les japonais pratiquaient un autre jeu de balle au pied : « Le Kemari »

« Il y a plus de 2 500 ans, les Japonais pratiquaient aussi un jeu de balle au pied : le kemari . Cette activité était bien distincte du tsu chu chinois, puisque c’était un divertissement plus « paisible », et non pas un entraînement militaire suivi de punition.

Les joueurs pratiquaient le kemari avec beaucoup de courtoisie. La balle était en bambou recouverte de cuir. Pour y jouer, les princes et les courtisans, vêtus de costumes traditionnels, se réunissaient dans une cour ou un terrain bien délimité. L’objectif était de ne pas laisser tomber la sphère d’environ vingt centimètres de diamètre, à terre. Pour y parvenir on pouvait utiliser la tête, le genou ou le pied. Ce jeu, hautement symbolique, n’avait pas la violence du voisin chinois. Il était joué par huit personnes, au plus. Le terrain de jeu s’appelait le kikutsubo ; il était de taille rectangulaire avec un arbre planté à chaque coin (la version classique présentait quatre arbres différents : un érable, un pin, un cerisier et un saule pleureur). Les Japonais avaient même leur jargon kemari : quand il frappait la balle, le joueur criait ariyara ! (« Allons y ! ») Et quand il la passait à un autre joueur ari ! (« Ici ! »).

C’étaient les équivalents, en quelque sorte, des « la passe ! », « ici ! » ou « devant ! » des footballeurs d’aujourd’hui. La période d’or du kemari s’étala entre le Xème et le XVIème siècle. Le jeu se répandit dans les classes populaires et devint source d’inspiration pour les poètes et les auteurs. Une anecdote japonaise rapporte qu’un empereur et son équipe maintinrent la balle en l’air avec plus de mille coups de pied. Les poètes contemporains écrivirent que la balle « semblait suspendue en l’air, accrochée au ciel » Après cet exploit, la balle fut retirée et ennobli par l’empereur lui-même !

[…] Au musée de la FIFA, une estampe japonaise représente d’ailleurs des kemari japonais, en costume traditionnel, s’adonnant à cet ancêtre du football, dans une enceinte bien délimitée. Enfin, il y a des traces suggérant que les joueurs de kemari japonais et de tsu chu chinois s’affrontèrent en 50 avant J.-C. Ce fut, sans aucun doute, la première rencontre internationale de football, qui dut se dérouler dans une ambiance fascinante !

Le kemari est toujours pratiqué aujourd’hui par les Japonais qui veulent préserver les traditions anciennes.

Vous trouverez d’autres illustrations et d’explications sur <ce blog>

L’Égypte et la Mésopotamie qui constituent les racines de notre civilisation occidentale plus que les chinois et les japonais pratiquèrent aussi des jeux de balle, mais on n’en conserve pas le nom.

«  Les Assyriens et les Égyptiens ont, eux aussi, pratiqué des jeux de balle. On a retrouvé, à Beni Hassan, en Haute Égypte, des peintures représentant des scènes de jeux de ballon. De nombreuses tombes de l’époque pharaonique contenaient des balles. Henri Garcia, dans La fabuleuse histoire du rugby, cite Frédéric Dillaye : « À Thèbes, dans des tombeaux égyptiens, on a trouvé des balles de son recouvertes de peau, et absolument faites comme les nôtres. » À Beni Hassan, la frise égyptienne représente plutôt des jongleries avec les mains et un jeu appelé la « balle cavalière », où des personnages juchés sur le dos de deux autres personnes se lancent alternativement des balles. Quand le cavalier, monté sur le dos de son équipier, ratait la balle, il devenait cheval ou âne à son tour. […]

Mais dans cette région d’Égypte, on a également trouvé une balle pleine, faite de feuilles de palmier, et une autre remplie de son et revêtue d’un cuir cousu avec de la ficelle, ce qui laisse à penser qu’elles étaient poussées avec les pieds. Les reliques remonteraient à 2 500 ans avant J.-C […]. Le manque d’information sur ces activités et leurs règles empêche d’en faire l’ancêtre direct du football. D’après certains historiens, les ballons remplis de graines, enrobés de linges coloriés, étaient envoyés avec les pieds dans les champs, durant les rituels de la fertilité en Ancienne Égypte. Pour un meilleur rebond, sans doute, les balles étaient aussi faites de boyaux de chats attachés en forme de sphère, et entourées de cuir ou de peau d’antilope.

En ce qui concerne les Assyriens, on sait qu’ils jouaient eux aussi à des jeux de boules.»

Ce sera tout pour aujourd’hui, mais l’Histoire est encore longue jusqu’à la coupe du monde de la FIFA.

<1090>

Vendredi 15 juin 2018

«Le football n’est pas une question de vie ou de mort, c’est quelque chose de bien plus important que cela.»
Bill Shankly, (1913-1981) entraîneur de Liverpool de 1959 à 1974

Liverpool est avec Manchester United le plus grand club de football anglais.

Bill Shankly (1913-1981) fut un de ses plus célèbres entraineurs.

Il était connu pour ses aphorismes sur le football :

«Quand vous êtes premier, vous êtes premier. Quand vous êtes deuxième, vous n’êtes rien.»

«Dans un club de foot, il y a une sainte trinité: les joueurs, les entraîneurs, les supporters. Les dirigeants ne sont là que pour signer des chèques.»

« La pression, c’est travailler à la mine. La pression, c’est être au chômage. La pression, c’est essayer d’éviter de se faire virer pour 50 shillings par semaine. Cela n’a rien à voir avec la Coupe d’Europe ou la finale de la Cup. Ça, c’est la récompense ! »

Mais il semble que pour les véritables passionnés de football en Angleterre la phrase la plus célèbre concernant le football est celle mise en exergue.

Il semble que la phrase exacte serait celle-ci :

«Certaines personnes pensent que le football est une question de vie ou de mort. Je n’aime pas cette attitude. Je peux leur assurer que c’est beaucoup plus sérieux que cela.»

Un article de Slate du 31 août 2013 fait l’histoire de cette phrase et raconte :

« Finalement, la version la plus facilement trouvable de la phrase a été prononcée par Shankly en avril 1981, six mois avant sa mort, lors d’une interview pour la chaîne de télévision Granada TV : »

«Tout ce que j’ai, je le dois au football. Vous obtenez seulement de ce jeu ce que vous y investissez. Je m’y suis donc jeté corps et âme, à tel point que ma famille en a souffert.
– Avez-vous le moindre regret?
– Je le regrette beaucoup. Quelqu’un m’a un jour dit: « Pour vous, le football est une question de vie et de mort. ». J’ai répondu: « Ecoutez, c’est bien plus important que cela. » Et ma famille en a souffert, elle a été négligée.»

Il semblerait selon l’article que cette phrase a en réalité pour origine des entraineurs américains de football américain.

Mais le journaliste de Slate Jean-Marie Pottier analyse de manière plus approfondie le sens de cette phrase :

« Reste le principal débat: celui sur le sens de cette citation. Depuis la mort de son auteur, elle a souvent été réfutée: comment le football pourrait-il être encore plus important que la vie et la mort? Plus important que la vie d’un joueur, que le meurtre d’un arbitre, qu’une guerre, que le 11-Septembre?

L’aphorisme paraissait d’autant plus décalé [que] deux autres coachs mythiques de l’époque, Matt Busby et Jock Stein (qui lui ont été associés dans un beau documentaire) ont vu le foot les meurtrir dans leur chair: le premier a été grièvement blessé dans la catastrophe aérienne de Munich, en 1958, le second est mort d’une crise cardiaque sur le banc, lors d’un match qualificatif pour la Coupe du monde en 1985.

Quant au club de Liverpool, il fut, après la mort de Shankly, au cœur des deux grands drames du football des années 80: le Heysel en 1985 (39 morts à la suite d’une charge de supporters anglais sur une tribune) et Hillsborough en 1989 (96 morts dans un mouvement de foule). Dans son autobiographie, l’ailier des Reds John Barnes jugeait que cette dernière catastrophe faisait sonner la phrase de Shankly «encore plus faux»:

Les évènements du 15 avril 1989 à Hillsborough m’ont fait réaliser ce qui est vraiment important dans la vie. […] Le football a perdu sa signification obsessionnelle; il n’avait pas à être tout et l’aboutissement de tout. Comment pouvait-il l’être quand 96 personnes sont mortes, quand des parents ont perdu un enfant et des enfants un parent? La phrase de Bill Shankly selon laquelle « le football n’est pas une question de vie ou de mort, c’est bien plus important que cela » sonnait encore plus faux après Hillsborough. Le football est un jeu, une quête glorieuse, mais comment pourrait-il être plus important que la vie elle-même?»

Barnes n’est pas le seul à s’être servi de la phrase de Shankly comme d’un repoussoir: elle est régulièrement citée par les journalistes dès qu’un problème de violence envahit le football. Mais sans doute l’ont-ils comprise de travers: son auteur n’a pas asséné que «le football n’est pas qu’une question de vie ou de mort», mais «n’est pas une question».

Nuance de taille. Au Heysel comme à Hillsborough, le football était justement devenu une question de vie ou de mort, et rien d’autre, rendant le jeu dérisoire: des gens y sont passés de la vie à la mort lors d’un match de football. La phrase de Shankly, elle, écarte ce moment où l’on bascule entre vie et mort (voire entre victoire et défaite: il est d’ailleurs l’entraîneur le plus célèbre de Liverpool alors que c’est pourtant son successeur qui a de loin le palmarès le plus fourni) au profit de tout le reste.

De la façon, «bien plus importante», dont le football occupe une vie entière, au quotidien, dans les moments les plus intimes et infimes. Jour après jour, entraînement après entraînement, match après match, saison après saison.

Dans sa fameuse interview de 1981, Shankly, socialiste convaincu, échangeait ainsi sur sa vision du football avec l’ancien Premier ministre travailliste Harold Wilson:

«WILSON: C’est une religion aussi, n’est-ce pas?
SHANKLY: Je le pense, oui.
WILSON: Une façon de vivre.
SHANKLY: C’est une bonne expression, Sir Harold. Une façon de vivre. Tellement important que cela en devient incroyable.»

Le football n’est donc en effet pas une question de vie ou de mort. Lorsqu’il devient question de mort, il devient dérisoire.

Mais pour beaucoup c’est une question essentielle qui occupe tout l’espace de la vie disponible.

On peut certes juger cela excessif, déraisonnable mais cela correspond au quotidien d’un grand nombre de personnes et notamment des supporters des clubs anglais : Manchester United, Liverpool, Arsenal, Chelsea…

On dit toujours qu’un anglais quand il se présente ne parle pas comme un français du métier qu’il exerce mais du club de football dont il est le supporter.

Je ne juge pas, je constate.

Le football est quelque chose de très important pour un grand nombre de personnes.

En montant sur un piédestal et en me réfugiant derrière ma prétention d’obsession intellectuelle et artistique je dirais : « Le football occupe leurs journées, mais ne la remplit pas».

Mais en descendant de ce piédestal et en redevenant humble, comme il sied à quelqu’un qui a la tentation de comprendre le monde, je dois reconnaître que : « Le football remplit leurs journées ».

Et qui suis-je pour juger ?

Même si je peux éprouver un regret, en constatant comme Eduardo Galeano que derrière cette passion dévorante de gens que je ne permets pas de juger, des personnes cupides tirent les ficelles et profitent de l’importance que le football représente dans la vie de ces passionnés pour en tirer des profits indécents.


Vous voyez ci-dessus la porte du stade de Liverpool qui a pour nom « Shankly Gate »
Cette porte est surmontée du titre du chant que les supporters de Liverpool entonnent pour encourager leur équipe : « You’ll never walk alone ».

Derrière <ce lien> vous trouverez une des nombreuses vidéo qui vous montrent le peuple des supporters d’Anfield chanter leur hymne.

Ces supporters communient ensemble et son unis par une cause qui les dépasse.
Exactement comme une communauté religieuse rassemblée par une ferveur mystique.
La vidéo n’est certainement qu’un pâle reflet de ce qui se vit et se passe dans le stade.

En tout cas cela explique mieux que par des mots ce que j’ai écrit ci-avant.

<1089>

Mercredi 11 avril 2018

« 300 imams de France sont des fonctionnaires d’Etats étrangers »
Réalité de la France contemporaine et acceptée dans le cadre d’accord bi-nationaux

Nos politiques parlent toujours d’islam de France. La réalité est un peu moins franco-française.

Nous savons qu’il existe des financements étrangers de l’Islam de France, on parle beaucoup du Qatar et aussi de l’Arabie Saoudite. Mais concernant les responsables religieux, les imams, trois pays, pour l’essentiel, se chargent d’envoyer des imams en France : La Turquie, l’Algérie et le Maroc et de les rémunérer.

Ces situations existent dans le cadre d’accord bilatéraux avec la France.

Et <le site BFM TV> nous apprend en outre que ces religieux sont des fonctionnaires des pays qui les envoient :

« Parmi les imams exerçant en France, 300 sont des fonctionnaires d’Etats étrangers qui les rémunèrent: à savoir la Turquie, l’Algérie et le Maroc. Ces expatriations de fonctionnaires de la foi musulmane se font dans le cadre de conventions bilatérales signées par ces trois pays. […] On peut partir du principe qu’il y a 3000 mosquées en France. […] Dans ce schéma, les imams détachés, fonctionnaires turcs, algériens ou marocains, représenteraient 10% environ de l’ensemble.

Parmi ces fonctionnaires religieux déployés par des Etats étrangers, on trouve ainsi […] « 151 imams turcs, 120 Algériens, et 28 Marocains ». L’addition de ces trois groupes n’atteint pas la barre des 300. La raison? Le départ récent de deux imams marocains. »

Le JDD du 11 février 2018 dans un article « Islam de France : ce que veut faire Macron » précise quelques points supplémentaires :

« [Macron] n’a guère apprécié que son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, profite d’une visite à Paris pour s’entretenir avec les dirigeants du Conseil français du culte musulman (CFCM) et afficher outrageusement le poids de son pays au sein de l’islam français. […]

Désormais, le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, a pour mission de préparer la réforme du CFCM, institution créée en 2003 sous l’égide de Nicolas Sarkozy, mais qui n’est jamais parvenue à s’imposer – à peine un tiers des musulmans connaissent son existence […] Tous les experts consultés ont livré le même diagnostic : le mode de désignation des membres du CFCM est en soi un facteur d’immobilisme, une sorte de péché originel. Ils sont élus dans les mosquées selon une répartition des sièges proportionnelle à la surface des bâtiments et dans un scrutin où l’influence des pays étrangers (Algérie, Maroc, Turquie, Arabie saoudite, Qatar) se révèle déterminante.

Capital qui a consacré un article à ce sujet : « Comment sont financées les mosquées en France ? » explique :

« S’il est effectivement difficile d’obtenir des données précises sur le sujet, un rapport parlementaire publié le 5 juillet estimait que le financement des mosquées par des pays étrangers restait « marginal », l’essentiel étant assuré grâce aux dons des fidèles (la loi interdisant aux pouvoirs publics de subventionner les cultes). « Le financement du culte musulman se rapproche de celui des autres cultes, notamment du culte catholique, qui provient à 80 % des dons des fidèles », soulignent les auteurs.

Le rapport cite notamment le président de l’Union des organisations islamiques de France, Amar Lasfar, pour qui « hormis une vingtaine de mosquées financées par des organisations ou des États étrangers, l’immense majorité est financée par la communauté musulmane ».

Parmi les pays concernés, figure l’Arabie Saoudite qui affirme avoir « participé au financement de huit mosquées françaises : les aides ont varié entre 200.000 et 900.000 euros par projet. Au total, nous avons versé 3.759.400 euros ». Il s’agit principalement de lieux situés en banlieue parisienne (Cergy, Nanterre, Asnières…), à Strasbourg ainsi qu’à Givors près de Lyon.

L’Algérie, de son côté, évoque une subvention de 2 millions d’euros par an allouée à la Grande Mosquée de Paris, qui l’utilise pour son fonctionnement et les répartit ensuite vers des dizaines d’associations ou lieux de culte affiliés. Le Maroc, lui, est propriétaire de la mosquée d’Evry et a participé à la construction ou la restauration de celles de Saint-Étienne, Strasbourg et Mantes-la-Jolie. Le Royaume chérifien a consacré 6 millions d’euros en 2016 à cette activité ainsi qu’à la rémunération de 30 imams envoyés en France. […]

Par ailleurs, l’Arabie Saoudite a indiqué prendre en charge le salaire d’environ 14 imams exerçant dans des mosquées en France, sans que ces derniers soient détachés par les Saoudiens.

Reste la question des financements par des particuliers étrangers, pour lesquels c’est beaucoup plus flou : seule l’Arabie Saoudite indique « 3 dons privés » versés pour la construction de mosquées. « Ces dons privés étrangers, éclatés, ne peuvent faire l’objet d’une collecte statistique exhaustive. Ils sont pourtant, sans nul doute, ceux qui suscitent, dans l’opinion publique, le plus de suspicion, quant à l’orientation idéologique qui les anime », regrettent les auteurs du rapport. L’initiative de Manuel Valls permettra peut-être, à terme, d’améliorer la transparence sur ce point… »

La Loi de séparation de l’église de l’Etat interdit à l’Etat de financer les activités cultuelles ou la construction des édifices religieux. Mais cette loi était destinée aux églises chrétiennes qui avaient eu le temps et l’argent pour s’implanter dans le pays au cours des siècles.

Rien de tel pour l’Islam.

Or comme le proclame le titre du livre d’Hakim El Karoui « L’islam, une religion française  », nous ne pouvons pas nier cette réalité que l’islam existe et est pratiquée dans notre pays.

Il est probable que la loi de 1905 n’est pas adaptée à cette situation.

<1054>

Mardi 10 avril 2018

« 100 imams algériens envoyés en France pour le ramadan »
Arrangement entre Le ministre des cultes français Gérard Collomb et le ministre des Affaires religieuses algériens, Mohamed Aïssa.

J’ai été étonné lorsque, lors d’une émission de radio, un des intervenants a évoqué ce sujet d’un accord de notre ministre de l’intérieur avec le ministre algérien des affaires religieuses.

J’ai fait des recherches internet, peu de grands médias français en ont parlé.

Le Figaro a donné la parole à Jeannette Bougrab «On nous casse les oreilles avec l’islam de France et on fait venir des imams d’Algérie

LCI aussi en fait mention en évoquant un propos de Manuel Valls : « De quoi parle Manuel Valls ? »

Sur ce site nous pouvons lire :

« Une dépêche de l’agence officielle de presse algérienne reprend en effet cette citation du ministre annonçant : « Nous avons choisi 150 imams, parmi les meilleurs qui ont exprimé le vœu d’aller à l’étranger pour diriger les prières durant le mois sacré de Ramadhan. » Parmi ces 150 imams, la France en recevra 100 « vu la forte concentration de la communauté algérienne qui y est établie et les 50 autres seront répartis à travers plusieurs pays, comme l’Allemagne, l’Italie, la Grande-Bretagne, la Belgique et le Canada »

[…] Djelloul Seddiki, directeur de l’institut Al-Ghazâli de la grande mosquée de Paris, chargé d’accueillir les imams étrangers [a expliqué] : «  Ces imams « viennent pour 29 jours. Nous les accueillons, leur réservons une nuit d’hôtel et nous occupons des affectations en amont. Ils n’ont pas de formation en arrivant car ils vont simplement réciter les 60 chapitres du Coran en arabe, ils n’ont pas besoin de savoir parler français. »

Le directeur fait ainsi une distinction avec d’autres imams, venant eux aussi d’Algérie – mais pour quatre ans cette-fois – dans le cadre d’un accord passé à l’époque avec Bernard Cazeneuve. « Ceux-là, nous les accueillons à l’institut pendant 3 semaines car ils doivent savoir parler français et prendre des cours sur les institutions françaises, la laïcité… Ils passent également un diplôme universitaire par la suite dans le cadre d’un accord avec l’université Paris1 La Sorbonne »

Et cet accord, passé entre la France et l’Algérie à l’occasion du Ramadan, est loin d’être nouveau, ou même isolé. Déjà en 2011, par exemple, le Conseil français du culte musulman (CFCM) annonçait la venue de 180 imams marocains : « C’est devenu une tradition. Chaque année, le Maroc nous envoie en renfort des imams pour assurer la lecture du Coran et les prêches durant le mois sacré du Ramadan où les fidèles sont plus nombreux à se rendre sur les lieux du culte musulman » expliquait alors Mohamed Moussaoui, le président. […]

Toujours dans l’agence de presse algérienne, on peut lire que ces imams ont été « sélectionnés pour la maîtrise des règles de la psalmodie et les aptitudes à diffuser un discours religieux ‘modéré et éclairé’, à être les « ambassadeurs de la paix » et à faire valoir la véritable image de l’Islam dans le monde. »

Djelloul Seddiki explique par ailleurs qu’ils ont été choisis aussi sur le critère de leur savoir-faire : « Ils ont été choisi pour leur belle voix », nous dit-il, « pour faire plaisir aux fidèles ». »

J’ai aussi trouvé le site Atlantico qui a donné la parole à Alexandre del Valle qui est un géopolitologue et essayiste franco-italien et qui soutient plutôt cette initiative. « Un des pôles les plus modérés de l’Islam de France est depuis longtemps l’Islam algérien de la Grande Mosquée de Paris»

Il précise que :

« La Mosquée de Paris avant cela était marocaine mais est depuis des décennies algérienne. Les imams de la Mosquée de Paris sont souvent nommés par l’Algérie, elle est co-financée par l’Algérie. Il est vrai, et on le constate, que ce n’est pas parce qu’un Islam est français qu’il est modéré. Il y a des salafistes, Français de troisième génération qui ne sont pas particulièrement financés par l’Arabie Saoudite, et inversement, des immigrés algériens qui sont parmi les plus modérés qu’on ait en France. Il n’y a donc pas de règles : ce n’est pas parce qu’on est Français qu’on est modéré et parce qu’on est étranger qu’on est radical. Aujourd’hui le plus grand lieu représentant d’un Islam tolérant et correct (même s’il y a des choses à critiquer), c’est la Mosquée de Paris et le réseau qu’elle dirige en France. »

Gérard Collomb parie sur la promotion d’un islam de «modération » et du « juste milieu» en France. Ce sont ses mots.

Plusieurs sites algériens parlent de cet accord.

Si les grands médias français, mis à part le Figaro n’en parle pas, en revanche les sites d’extrême droite comme résistance républicaine ou français de souche en parle abondamment pour dénoncer cette ingérence étrangère.

La réalité c’est qu’il n’y a pas suffisamment d’imams en France et qu’il faut donc faire appel à une main d’œuvre étrangère ou des voix étrangères.

Peu de publicité est faite sur ce sujet, le gouvernement a probablement peur d’aggraver les tensions.

Gérard Collomb a-t-il raison de parier sur la modération des imams algériens ?

Alexandre del Valle  sur le site Atlantico nuance son propos optimiste à la fin de son entretien :

« C’est souhaitable. Mais les faits sont relativement différents. Autant je vous ai dit que la Mosquée de Paris est un pôle relativement modéré, en revanche en Algérie, la situation est différente. Les athées sont persécutés, on s’en prend à ceux qui ne fêtent pas le Ramadan, des lois sont venues renforcer la ségrégation des chrétiens, la conversion à une autre religion que l’Islam est interdite… Si l’Algérie était un havre de tolérance républicaine, cela se saurait. Cette volonté de l’Islam de Cordoue est peut-être la volonté de quelque personnes, mais dans les faits, même si l’Algérie combat l’islamisme politique et le terrorisme (et ce depuis la guerre civile), elle a connu un durcissement des conditions de vie des musulmans non-pratiquants, des autres croyants, des apostats.

Je pense donc que malheureusement, dans ces propos [du ministre algérien], il y a une part de double-jeu qui m’ennuie. »

<1053>

Jeudi 29 mars 2018

« Carême »
Période de jeûne et d’abstinence de quarante jours

Pour tous ceux qui ont une culture religieuse chrétienne « le temps de carême » est bien connu. Mais pour les autres ?

Le plus simple serait, semble t’il, de comparer : Le carême est le ramadan des chrétiens.

Mais comment dire ou écrire cela, aujourd’hui en France …

  • Certains réagiront de manière sereine :il faut bien expliquer les choses avec des notions actuelles, des références connues !
  • D’autres seront effarés, scandalisés : Comment peut-on, en terre chrétienne, définir un des moments forts du calendrier chrétien par une référence islamique !

Alors parlons de Carême, sans faire référence à l’Islam.

Nous sommes Jeudi 29 mars 2018, dimanche ce sera Pâques et donc demain nous serons vendredi saint, jour férié en Allemagne, dans les pays protestants et en Alsace Moselle.

Le jour précédent Vendredi Saint est aussi saint. Nous sommes donc Jeudi Saint, dernier jour de Carême comme le dit le site des Évêques de France.

Ce qui contredit ce site et même le journal « La Croix » et beaucoup d’autres sites qui prétendent que Carême s’arrête le dimanche de Pâques.

Nous savons donc que le carême finit Jeudi Saint, mais quand commence t’il ?

Cette année, selon le site des évêques de France, Carême a commencé le 14 février. A quoi correspondait ce 14 février ?

Dans l’année liturgique chrétienne, c’est le Mercredi des Cendres. Le Mercredi des cendres, premier jour du Carême, est marqué par l’imposition des cendres : le prêtre dépose un peu de cendres sur le front de chaque fidèle.

C’est encore le site des Évêques de France qui donne des explications sur la symbolique des cendres:

« On trouve déjà le symbolisme des cendres dans l’Ancien Testament. Il évoque globalement la représentation du péché et la fragilité de l’être. On peut y lire que quand l’homme se recouvre de cendres, c’est qu’il veut montrer à Dieu qu’il reconnaît ses fautes. Par voie de conséquence, il demande à Dieu le pardon de ses péchés : il fait pénitence.

[…] La cendre est appliquée sur le front pour nous appeler plus clairement encore à la conversion, précisément par le chemin de l’humilité. La cendre, c’est ce qui reste quand le feu a détruit la matière dont il s’est emparé. Quand on constate qu’il y a des cendres, c’est qu’apparemment il ne reste plus rien de ce que le feu a détruit. C’est l’image de notre pauvreté. Mais les cendres peuvent aussi fertiliser la terre et la vie peut renaître sous les cendres. »

Avant mercredi des cendres, il y a mardi gras. Mardi gras est une période festive, qui marque la fin de la « semaine des sept jours gras ». La semaine des sept jours gras qui, elle, termine la période Carnaval. Carnaval qui est un emprunt à l’italien carnevale ou carnevalo. Il a pour origine carnelevare, un mot latin formé de carne « viande » et levare « enlever ». Mais je ferais probablement un mot du jour sur carnaval.

Ici ce qui est important c’est de faire le lien entre la nourriture grasse et la viande jusqu’à mardi gras qui est le summum de cette période et auquel succède le Mercredi des cendres et le carême, où les chrétiens sont invités à « manger maigre » en s’abstenant de viande.


Carême a commencé le 14 février et se termine donc aujourd’hui le Jeudi 29 mars 2018. Si vous comptez le nombre de jours vous aboutirez à 44 jours. Pourtant, il est écrit partout que le Carême dure 40 jours.

Mais, si on en revient au site de référence des Évêques nous pouvons lire :

La durée du Carême – quarante jours sans compter les dimanches – fait en particulier référence aux quarante années passées au désert par le peuple d’Israël entre sa sortie d’Égypte et son entrée en terre promise ; elle renvoie aussi aux quarante jours passés par le Christ au désert entre son baptême et le début de sa vie publique. Ce chiffre de quarante symbolise les temps de préparation à de nouveaux commencements.

Nous comprenons donc qu’il faut enlever les dimanches. Seulement vous constaterez que pendant cette période il y a 6 dimanches. 44 – 6 donne 38, nous ne sommes toujours pas à 40.

Fernand Braudel disait : «en Histoire les choses sont toujours vraies à peu près», probablement qu’en religion il en va de même.

Pourquoi Quarante ? Comme l’explique le site des évêques cette durée fait référence aux quarante jours où Jésus serait resté dans le désert pour résister aux tentations de Satan. C’est ainsi que l’histoire chrétienne le raconte. Et ce chiffre quarante fait lui-même référence à un autre épisode mythique de l’histoire biblique : les quarante années passées au désert par le peuple d’Israël entre sa sortie d’Égypte et son entrée en terre promise.

Rappelons que la Pâque juive, «  Pessa’h », célèbre justement l’Exode des juifs hors d’Égypte. Or le Christ serait venu à Jérusalem pour fêter la Pâque Juive et c’est ainsi qu’il aurait institué la « Sainte Cène » où il a partagé le pain et le vin avec ses disciples. Cet épisode se serait passé Jeudi Saint. Léonard de Vinci a immortalisé ce « moment culte » comme on dirait aujourd’hui. Il me semble que cette expression est particulièrement appropriée pour ce que De Vinci a peint.

Cette peinture murale a été réalisée de 1495 à 1498 pour le réfectoire du couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie à Milan et était une commande de Ludovic Sforza, Duc de Milan.

Les chrétiens reprendront le terme de Pâque pour célébrer la « résurrection du Christ » qui constitue le centre de leur croyance et de leur Foi.

Mais le sujet principal de ce mot du jour est « Carême ».

Le site savant Lexilogos précise :

Le carême vient du latin quadragesima (dies) : quarantième (jour). En ancien français, on écrivait quaresme. On devrait même plutôt dire : la carême, comme l’italien quaresima et l’espagnol cuaresma. Autrefois, on employait aussi le terme de (sainte) quarantaine pour désigner le carême.

C’est un calque du grec ecclésiastique : τεσσαρακοστή (tessarakostè). Si le carême évoque à l’origine le 40e jour avant Pâques , il s’oppose à la Pentecôte qui évoque le 50e jour après Pâques. La Pentecôte vient du grec ancien πεντηκοστή (pentèkostè) : cinquantième (jour).

Nous apprenons qu’il faut dire : « la Carême » et que carême a une racine latine qui signifie quarante. Constatons aussi que le polygone à quatre côtés s’appelle un carré. Alors que celui à cinq côtés est un pentagone, et que donc Pentecôte vient de la même racine et signifie cinquante.

Selon Wikipedia le catholicisme a institué la carême au IVème siècle.

Et si nous revenons à la première comparaison problématique entre le ramadan et la carême, le journal « La Croix » pose explicitement la question : Le (la) carême est-il le ramadan des chrétiens ?

Et y répond négativement de la manière suivante :

« Disons-le tout de suite, carême et ramadan sont des réalités différentes qui, pour l’essentiel, ne peuvent être comparées. Le ramadan n’est pas le carême des musulmans et le carême n’est pas le ramadan des chrétiens. Dans la tradition chrétienne, le carême désigne les quarante jours de préparation à la fête de Pâques. Il s’inspire du temps que Jésus a passé au désert pour se préparer à sa mission. (Matthieu 4, 2). Pour vivre ce temps, l’Église propose aux chrétiens trois moyens pour se garder disponibles envers Dieu et les autres : la prière, le jeûne et l’aumône.

Si le carême chrétien est jeûne et privations, aumône et prière, il n’est pas simple obéissance à une loi « promulguée par Dieu dans sa sagesse ». Il est un temps de marche vers un objectif précis : la Résurrection de Jésus. Dans le carême, il y a une démarche personnelle de conversion individuelle (se tourner vers) et un mouvement collectif de l’ensemble des chrétiens en vue de l’édification du Corps du Christ qui est l’Église.

Le ramadan est le 9e mois de l’année musulmane, année lunaire comportant 11 ou 12 jours de moins que l’année solaire. Le jeûne rituel du mois de ramadan, quatrième pilier de l’Islam, fut décrété deux ans après l’Hégire. C’est au cours de ce mois que la tradition musulmane fixe la transmission du Coran à Muhammad par l’ange Gabriel. Globalement, le jeûne du mois de ramadan consiste à s’abstenir de toute nourriture et boisson, de relations sexuelles et à ne pas fumer du lever au coucher du soleil. La validité du jeûne exige un état de pureté légale. Parmi les anniversaires de la vie du Prophète célébrés au cours du mois de ramadan, la 27e nuit est le plus important.

On y commémore la Nuit du Destin, nuit solennelle au cours de laquelle le Coran est descendu parmi les hommes. « Elle est meilleure que mille mois » et « elle est un Salut jusqu’au lever de l’aurore » (Q. 97, 3.5.). Temps de partage, le mois de ramadan l’est à double titre. Pendant la journée, celui qui possède partage le sort du pauvre en se privant. Pendant la nuit et lors de la fête de la rupture du jeûne, il doit veiller à ce que son voisin pauvre ait le nécessaire pour rompre le jeûne. Si le jeûne du ramadan est obéissance à la Loi que Dieu a donnée à l’humanité dans sa sagesse et un temps de partage, il est aussi un moyen de purification et de lutte contre les convoitises. »

Ce n’est donc pas la même chose, il en reste pas moins qu’il s’agit dans les deux cas d’un exercice spirituel pendant lequel le croyant doit s’abstenir de faire des choses que son corps et sa chair désirent.

Résumons : nous sommes jeudi saint, jour de la Sainte Cène, j’ai donc opportunément ajouté une photo du chef d’œuvre de Léonard de Vinci.

Jeudi Saint étant aussi la fin de la Carême, il paraissait donc pertinent de consacrer un mot du jour à ce terme.

Enfin, étant donné mes racines mosellanes, j’ai été habitué à ce que vendredi saint soit férié, je m’octroie donc une trêve pascale.

Le prochain mot du jour sera publié mardi 3 avril, après lundi de Pâques.

<1047>

Mercredi 10 janvier 2018

« Les trois utopies humaines à l’œuvre aujourd’hui : La religion, l’écologie et le transhumanisme »
Réflexions personnelles après l’écoute de deux émissions de radio

Yuval Noah Harari, Régis Debray et bien d’autres nous rappellent l’importance des utopies dans les sociétés humaines.

Si on observe le monde, on constate qu’il y a essentiellement trois utopies à l’œuvre aujourd’hui :

  • La première est la plus ancienne, elle fait appel à la spiritualité, à Dieu pour espérer d’une manière ou d’une autre un monde meilleur.
  • La seconde est celle qui dresse le constat que l’évolution de notre société basée sur la croissance et le consumérisme amène à une impasse. Elle considère que la terre est pour nous le seul horizon et que pour sauver l’humanité il faut rendre l’homme compatible avec la nature.
  • La troisième ne nie pas les problèmes qui se posent aux humains mais elle prédit que les humains disposent des ressources techniques et intellectuelles pour surmonter les difficultés.

Toute classification est toujours réductrice, mais elle permet d’esquisser une réflexion. Dans chacune de ces catégories, il existe des nuances, des courants différents mais il existe quand même une homogénéité de comportement et de discours pour chacune d’entre elles.

Pour simplifier nous pourrions nommer la première Religion ; la seconde Ecologie et la troisième Transhumanisme.

Il y a certainement de nombreuses personnes qui ne se raccrochent à aucune de ces utopies et cherchent simplement à vivre au jour le jour ou même à s’amuser pour ne pas penser à toutes ces choses. L’Histoire nous apprend cependant que ce ne sont pas ces gens-là qui font l’histoire, mais bien celles et ceux qui s’inscrivent dans les utopies.

La religion est la plus ancienne de ces utopies. Nous avons du mal, en tant que français qui voyons nos églises vides et qui vivons au quotidien la sortie de la religion, à prendre cette utopie au sérieux. Je veux dire d’estimer que la religion pourra avoir une importance stratégique pour l’avenir de l’humanité. Mais nous sommes probablement assez différents du reste du monde et même des Etats-Unis où la religion reste extrêmement prégnante. Savez vous que le Vice Président des Etats-Unis Mike Pence est un créationniste, il est certain que la création de la terre a été faite comme cela a été décrit dans la bible.

Et lorsqu’un journaliste essaye de savoir ce qu’il pense de la théorie de l’évolution de Darwin, il répond :

« ça, je ne peux pas le dire. Je le Lui [Dieu] demanderai. Mais je crois en cette vérité fondamentale [de la création divine] ».

Il est vice-président des Etats-Unis !

Vous pouvez aussi vous intéresser à un autre membre du gouvernement des Etats-Unis : Ben Carson. Je ne prends qu’un de ces propos qui avait été rapporté par le Washington Post :

« En 1998, il considère, en se référant à la Bible que les pyramides d’Egypte n’ont pas été construites pour abriter les pharaons défunts mais que Joseph (de l’ancien Testament) les a bâties pour stocker du grain »

Vous trouverez aussi dans cet article des Echos des témoignages qui montrent l’influence des évangélistes auprès des Républicains et de Donald Trump, et notamment sur la décision de transférer l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem.

Parmi ces évangélistes, il en est un certain nombre qui sont millénaristes. C’est-à-dire qu’ils attendent la fin du monde et le retour du Christ. Et que dans cette perspective, accélérer la fin des temps est une solution envisageable. L’Église adventiste du septième jour fait partie de cette mouvance, or Ben Carson, cité précédemment, appartient à cette église.

J’aurais pu parler des fondamentalistes dans d’autres religions. Mais j’ai trouvé plus pertinent de mettre en avant des chrétiens dans le pays le plus riche et le plus développé de la planète. Parce que ces gens sont puissants, il y en a beaucoup qui sont riches et globalement ils ont une grande influence aux Etats-Unis.

Ces gens croient que de toute façon tout est entre les mains de Dieu, même l’apocalypse et qu’il suffit de prier pour que finalement tout se passe bien pour les croyants. Si vous avez lu les mots du jour consacrés à Luther, vous comprendrez certainement un peu mieux ces croyances.

Cette utopie peut-elle l’emporter ?

A priori non. Mais qui sait, si l’Humanité est confrontée à d’immenses problèmes écologiques dont on ne voit pas d’issue. La pensée magique peut redevenir une option pour des désespérés.

 

La seconde qu’on appellera, par facilité, utopie écologique mais qui peut mieux se définir comme la tentative de rendre compatible la vie des humains avec la nature terrestre et les ressources de notre planète. Elle n’a pas pour l’instant la puissance de la première. Cette utopie est probablement la plus raisonnable et c’est cela peut être sa faiblesse. Elle part du constat simple qu’il n’est pas possible de croitre à l’infini dans un monde fini. Elle ne croit pas à la toute-puissance de la technique humaine pour trouver des solutions à tous les problèmes qui se posent à nous. Elle ne croit pas non plus que nous pourrons nous échapper de notre vaisseau terrestre pour pouvoir continuer à vivre avec la même soif de consommation et nos besoins énergétiques sur d’autres planètes de l’univers.

Cette utopie entrainerait l’humanité vers des ruptures de comportement auxquelles aujourd’hui il ne semble pas que la plus grande part des humains soit prête. Il existe, de plus en plus nombreuses, des initiatives encourageantes. Le film « Demain » en a montré certains. Mais pour entraîner la masse est-ce suffisant ?

 

Car il y a la troisième qu’il est commode de nommer le transhumanisme. Cette utopie croit à la toute-puissance de la technique. Et si l’intelligence humaine est manifestement insuffisante, il suffit de faire appel à l’intelligence artificielle.

Si dans l’utopie écologique il s’agit de rendre l’homme compatible avec la nature, ici il s’agit, ici, de rendre l’homme compatible avec l’intelligence artificielle. Et elle promet tant de choses, une meilleure santé, la diminution du risque. Il faudra que je revienne sur ce que la Chine réalise dans le domaine de la reconnaissance faciale, le big data et la notation généralisée des citoyens. Je pourrais appeler ce futur mot du jour « l’œil de Pékin ». Cet univers de contrôle généralisé permet de vivre en bien meilleure sécurité puisque cette technique a pour ambition la prédiction des crimes et donc de les éviter. Et puis avant d’entreprendre une quelconque relation économique, sentimentale ou de travail avec quelqu’un vous pourrez d’abord consulter la base de données des chinois pour connaître la note qui lui est attribuée. C’est cela la diminution du risque !

Mais pour l’instant les plus grandes évolutions se trouvent en Californie.

Elon Musk, né en 1971, PDG de la société Tesla et maintenant de Space X. Il réalise des prodiges et pense que l’homme et l’intelligence artificielle sont en capacité de réaliser des performances que nous ne pensons pas possible aujourd’hui. Il est tout à fait d’accord avec les écologistes : la terre ne pourra bientôt plus supporter l’empreinte humaine sur ses ressources. Lui ne croit pas que l’humanité est prête à des ruptures de comportement. Il est même probable, que pour sa part il ne le souhaite pas. Donc lui envisage très sérieusement de créer les instruments, les vaisseaux et l’infrastructure permettant aux humains, à quelques humains seraient plus juste, de quitter la planète pour coloniser d’autres endroits de l’espace. Dans sa réflexion actuelle il pense possible de créer des conditions de vie sur mars.

Je ne sais pas jusqu’où ira cette utopie, mais pour les prémices elle est en marche et même dans un rythme soutenu. L’outil de contrôle général de la population chinoise a des probabilités fortes d’être mis en œuvre et assez rapidement. L’intelligence artificielle est dans une phase exponentielle de développement, le domaine de la santé et toute l’activité humaine vont être bouleversés.

Ces réflexions m’ont été inspirées par de nombreuses lectures, mais particulièrement par deux émissions :

  • La première mettait face à face Laurent Alexandre et le mathématicien Olivier Rey. Laurent Alexandre qui a écrit « La guerre des intelligences » et dont j’avais évoqué une présentation au Sénat sur l’intelligence artificielle est ambigüe. Dès qu’il s’exprime on le sent enthousiasmé par les perspectives que révèlent l’intelligence artificielle. Mais dès qu’on le contredit qu’on le pousse dans ses retranchements, il prétend qu’il n’aime pas du tout ces évolutions et qu’il s’en méfie beaucoup. La position mathématicien Olivier Rey, auteur notamment de «Quand le monde s’est fait nombre» est plus claire, il est très méfiant. Cette confrontation est très féconde. Voici cette émission : <Répliques du 23/12/2017>.
  • La seconde avait pour sujet l’exploitation spatiale, sa privatisation, le concept du « new space ». Il était question de l’accélération technique, de la rencontre entre le spatial, le numérique et l’intelligence artificielle et aussi d’Elon Musk. Voici cette émission <Affaires étrangères du 30/12/2017>

Et puis si vous voulez en savoir davantage sur l’évolution de la Chine, vous pouvez utilement lire cet article : <le big data pour noter les citoyens>

<998>

Mercredi 8 novembre 2017

« Avec plus de 500 portraits, [Luther] est l’homme le plus représenté de son temps, devançant même les monarques ! »
Marion Deschamp dans un article dans la Revue Histoire (Hors série de septembre 2017)

Je vais finir, aujourd’hui, avec cette série de mots sur Luther.

Luther ne peut se résumer ni à son antisémitisme que j’ai évoqué hier, ni sa soumission à l’injustice du monde que j’ai rapportée lundi.

Mais Luther, ce croyant irréductible, a aussi écrit ces textes assez terrifiants, haineux et manquant beaucoup de l’amour qu’il prêchait par ailleurs.

Il y aurait encore tant de choses à raconter sur lui. Notamment son conflit avec le grand humaniste Erasme qui fut avant tout philosophe, humaniste et théologien né à Rotterdam dans le comté de Hollande, bien qu’aujourd’hui il soit surtout connu parce que son nom a été utilisé pour le célèbre programme «Erasmus» de l’Union européenne.

Probablement que dans le conflit entre le réformateur intraitable et l’humaniste pondéré nous serions aujourd’hui beaucoup plus proche d’Erasme.

Lucien Febvre dans son ouvrage de référence cite encore un écrit de Luther :

« Je hais Erasme du fond du cœur »
Martin Luther un destin page 82

Et un peu plus loin : « En ces matières, Erasme est bien plus ignorant que Lefèvre d’Etaples. Ce qui est de l’homme l’emporte en lui sur ce qui est de Dieu »

En titre de ce chapitre, Lucien Febvre cite l’accusation principale de Luther à l’encontre d’Erasme :

« Du bist nicht fromm !»

Tu n’es pas pieux. Voilà le grand reproche, Erasme n’était pas assez illuminé par la Foi ! Il s’intéressait trop à l’homme et à l’humanité.

En creux, cela dessine encore une fois Luther en croyant radical, absolu. Je n’utilise pas à dessein le terme « intégriste » qui serait décalé et utiliserait un terme d’aujourd’hui pour décrire un monde qui était si différent. Le terme exact pour qualifier cette erreur est «anachronisme».

Mais Luther a déclenché un mouvement d’une telle ampleur que probablement il n’avait pas imaginé et même pas voulu :

  • Il ne voulait pas le schisme avec l’église catholique, mais il l’a provoqué.
  • Il voulait convaincre, faire évoluer la théologie catholique. Il a provoqué les guerres de religion, la terrible guerre de trente ans.
  • Il pensait que l’alphabétisation générale servirait à l’unique but que chacun passe tout son temps disponible à lire et à commenter la Bible et les autres textes saints. Il ne pensait pas que cela permettrait aux ouvriers de lire Marx ou d’autres penseurs socialistes, par exemple.
  • De même la liberté de penser devait permettre à chacun de mieux interpréter la parole divine et non pas de blasphémer, de réaliser des caricatures du Christ et d’appeler à la révolte contre les classes possédantes.

Mais il a aussi provoqué cela.

Avant que je ne m’intéresse de plus près à son destin et à ce qu’il a vraiment écrit et professé, je le trouvais plutôt sympathique. Notamment dans son évolution entre le moine rigide, austère passant son temps et son énergie à se soumettre à des contraintes disciplinaires dans l’espérance de plaire à Dieu au vieux bourgeois gras, aimant la bonne chère, le vin et aussi le sexe.

Lucien Febvre cite une lettre à sa femme Catherine de Bore qui avait été nonne et qu’il a libéré de ses vœux puis épousé dans laquelle il reconnaît que l’âge l’a rendu impuissant et que s’il ne l’était pas, il lui ferait bien l’amour.

De multiples convives ont rapporté les « Tischreden », « ses propos de table » pleins de verves, d’outrance et de vulgarité.

Il fait ainsi plusieurs fois l’éloge de l’alcool et même plus… :

« Il y a des fois où il faut boire un coup de trop, et prendre ses débats et s’amuser, bref commettre quelque péché en haine et en mépris du diable.»

Pour boire et pratiquer les choses du sexe, il évoque le diable pour mieux s’en moquer :

« Au moment des épreuves spirituelles les plus graves, j’ai souvent saisi les seins et les tétons de ma Käthe, mais cela ne m’a pas aidé et n’a pas chassé mes mauvaises pensées .»

Ou encore :

« Oh ! si je pouvais enfin imaginer quelque énorme péché, pour décevoir le diable et qu’il comprenne que je reconnais aucun péché, que ma conscience ne m’en reproche aucun ! »

Il allait parfois si loin dans ses extravagances que son plus fidèle collaborateur Philippe Mélanchthon s’est écrié « Utinam Lutherus etiam taceret » Ah si Luther pouvait seulement se taire !.

Pour comprendre comment avec un tel homme à l’origine, les protestants ont pu devenir des « puritains » dénoncés pour leur rigidité par Ingmar Bergman et tant d’autres cinéastes ou écrivains ayant vécu en terre protestante, il faut comprendre que d’autres influences, d’autres hommes comme Calvin par exemple ont joué un rôle essentiel dans le développement du protestantisme

Mais Luther ce n’est pas qu’un vieil homme autoritaire, aimant boire et faire la fête.

Lucien Febvre écrit page 182 de son ouvrage :

« Il ignore l’avarice, et même l’économie. Il aime donner. Il se montre très simple, très accessible à tous. Peu à peu, il reçoit dans son logis des pensionnaires. Des privilégiés, […] et qui, à table du grand homme, ouvre les oreilles pour bien tout écouter. Souvent Luther se tait. Il s’assied sans mot dire. On respecte son silence, lourd de méditation et de rêverie. Souvent aussi, il parle. Et des propos épais sortent de sa bouche : grossier mais, car le maître a pour un certain genre d’ordures, pour la scatologie, un goût qui ne fait que s’affirmer davantage, à mesure que passent les années. Mais parfois aussi, de ce gros corps qui s’enlaidit, un autre homme se dégage et surgit. Un poète, qui dit sur la nature, sur la beauté des fleurs, le chant des oiseaux, le regard brillant et profond des bêtes, toutes sortes de choses fraîches et spontanées. »

Et je voudrais finir par la grande modernité de Luther. Je tire cet extrait d’un article du hors série Histoire publiée par la Vie consacrée à Luther :

« Luther est instrumentalisé dès sa mort en 1546. Un dispositif mémoriel se met en place, et son discours est recyclé à des fins politiques. Le réformateur y a lui-même contribué en pariant de son vivant sur une diffusion de son message par l’image. Avec plus de 500 portraits, c’est l’homme le plus représenté de son temps, devançant même les monarques ! Cette culture du souvenir, alimentée sous toutes les formes possibles, traduit une modernité dans la communication : Luther parlait au peuple, pas seulement aux élites. »

<962>

Mardi 7 novembre 2017

« En premier lieu, il faut mettre le feu à leurs synagogues et à leurs écoles,et enterrer et couvrir de saletés ce qui n’aura pas brûlé,de sorte qu’aucun homme ne puisse jamais en retrouver la moindre pierre ou cendre. »
Martin Luther «Des Juifs et de leurs mensonges »

Luther a écrit, a beaucoup écrit.
Il a eu un rôle primordial dans l’émergence de la modernité occidentale.
Il a aussi par son combat de 1517 et les années suivantes, peut-être à son corps défendant, libéré la parole, les énergies et le dynamisme occidental.

Mais il va vivre bien au-delà de 1517, jusqu’en 1546. Et en 1543 il a écrit l’ouvrage de trop : « Des Juifs et de leurs mensonges »

Les protestants et les luthériens peuvent expliquer et défendre Luther contre beaucoup des controverses, mais là ils ne peuvent plus.

Les historiens expliquent toujours qu’au début, Luther était très compréhensif à l’égard des juifs.

Wikipedia rappelle qu’il avait écrit un essai en 1523 « Que Jésus-Christ est né juif  dans lequel il condamne le traitement inhumain des Juifs et presse les chrétiens de les traiter avec bienveillance.

Mais comme je l’ai écrit plusieurs fois, Luther était un homme de Foi, plus précisément un fondamentaliste, aujourd’hui on dirait un intégriste. Sa bienveillance à l’égard des juifs entraîne chez lui pour seul but de les convertir au christianisme.

Et Luther pense que si les Juifs entendent l’Évangile exprimé clairement, ils seront poussés naturellement à se convertir au christianisme. Et il écrit en 1523 :

« Si j’avais été un Juif, et avais vu de tels balourds et de tels crétins gouverner et professer la foi chrétienne, je serais plutôt devenu un cochon qu’un chrétien. Ils se sont conduits avec les Juifs comme s’ils étaient des chiens et non des êtres vivants ; ils n’ont fait guère plus que de les bafouer et saisir leurs biens. Quand ils les baptisent, ils ne leur montrent rien de la doctrine et de la vie chrétiennes, mais ne les soumettent qu’à des papisteries et des moineries […] Si les apôtres, qui aussi étaient juifs, s’étaient comportés avec nous, Gentils, comme nous Gentils nous nous comportons avec les Juifs, il n’y aurait eu aucun chrétien parmi les Gentils… Quand nous sommes enclins à nous vanter de notre situation de chrétiens, nous devons nous souvenir que nous ne sommes que des Gentils, alors que les Juifs sont de la lignée du Christ. Nous sommes des étrangers et de la famille par alliance ; ils sont de la famille par le sang, des cousins et des frères de notre Seigneur. En conséquence, si on doit se vanter de la chair et du sang, les Juifs sont actuellement plus près du Christ que nous-mêmes… Si nous voulons réellement les aider, nous devons être guidés dans notre approche vers eux non par la loi papale, mais par la loi de l’amour chrétien. Nous devons les recevoir cordialement et leur permettre de commercer et de travailler avec nous, de façon qu’ils aient l’occasion et l’opportunité de s’associer à nous, d’apprendre notre enseignement chrétien et d’être témoins de notre vie chrétienne. Si certains d’entre eux se comportent de façon entêtée, où est le problème ? Après tout, nous-mêmes, nous ne sommes pas tous de bons chrétiens. »

Bref, pour l’instant les chrétiens s’y sont mal pris, mais si les chrétiens se comportent bien, avec la foi de Luther et avec amour, nul doute que quasi tous les juifs se convertiront à la seule Foi, à la vérité, au christianisme.

Mais seulement cela ne s’est pas passé ainsi. Luther a compris que très peu de juifs accepteront de se convertir. Il le reconnait dès le début de son ouvrage « Des Juifs et de leurs mensonges » :

« Je me propose encore moins de convertir les Juifs, car c’est impossible. »

Cet ouvrage de 1543, dont la première phrase est :

« Je m’étais fait à l’idée de ne plus écrire à propos des Juifs ou contre eux. Mais depuis que j’ai appris que ce peuple méchant et détestable n’arrête pas de nous attirer à lui par la ruse, nous les Chrétiens, j’ai publié ce petit livre, afin d’avoir ma place parmi ceux qui s’opposent aux activités diaboliques des Juifs et qui recommandent aux Chrétiens de rester sur leur garde en ce qui les concerne. »

Et puis il parle d’eux comme «  une portée de vipères et enfants du diable » , « misérables, aveugles et stupides », « des fripons paresseux », « des meurtriers permanents », et « de la vermine » et les apparente à de la « gangrène ».

Son ouvrage est encore un ouvrage théologique où sur la base des textes bibliques, il entend démontrer qu’il a raison et que les juifs sont dans l’erreur, du point de vue de la Foi.

A partir de la page 119, il commence à décliner un plan d’action :

En premier lieu, il faut mettre le feu à leurs synagogues et à leurs écoles, et enterrer et couvrir de saletés ce qui n’aura pas brûlé, de sorte qu’aucun homme ne puisse jamais en retrouver la moindre pierre ou cendre. Cela doit être fait en l’honneur de Dieu et de la chrétienté, pour que Dieu puisse voir que nous sommes Chrétiens, et que nous ne fermons pas les yeux ou supportons sciemment ces mensonges, malédictions et blasphèmes publics contre son Fils et ses Chrétiens.

[…]

En second lieu, je recommande de raser et détruire les maisons des Juifs. Car ils poursuivent là les mêmes buts que dans leurs synagogues. Ils devraient plutôt être logés sous un abri ou dans une grange, comme les bohémiens.

[…]

En troisième lieu, je recommande de leur retirer leurs livres de prières et les écrits talmudiques, qui enseignent cette idolâtrie, ces mensonges, ces malédictions et ces blasphèmes.

[…]

En quatrième lieu, je recommande que leurs rabbins soient dorénavant interdits d’enseigner sous peine d’être frappés dans leur corps et dans leur vie ; car ils ont trahi le droit à cette fonction.

[…]

En cinquième lieu, je recommande d’abolir complètement les sauf-conduits sur les routes principales pour les Juifs. Car ils ne font pas d’affaires dans la campagne, étant donné que ce ne sont pas des seigneurs, des fonctionnaires, des commerçants, etc.

[…]

En sixième lieu, je recommande qu’on interdise l’usure aux Juifs, et que toutes leurs espèces et leur fortune en argent et en or leur soient confisquées et mises de côté en lieu sûr. La raison en est que, comme nous l’avons dit plus haut, ils n’ont pas d’autre moyen de gagner leur vie que l’usure et que, de cette manière, ils nous ont volé et dérobé tout ce qu’ils possèdent.

[…]

En septième lieu, je recommande de mettre entre les mains des jeunes et solides Juifs et Juives un fléau, une hache, une houe, une bêche, une quenouille, ou un fuseau, et de les laisser gagner leur pain à la sueur de leur front, comme il se doit pour les enfants d’Adam (Genèse 3 [: 19]). Il n’est pas normal qu’ils nous laissent trimer en suant, nous maudits Goyim, tandis qu’eux, le peuple saint, passent leur temps dans l’oisiveté derrière le poêle, festoyant et pétant et, par-dessus tout, blasphémant et se vantant de leur pouvoir sur les Chrétiens par l’utilisation de notre sueur. Non, il faut jeter dehors ces gredins paresseux par leur fond de culotte

Violent, grossier, criminel voici comment apparaissent aujourd’hui les propos écrits par Luther.

Et cela se poursuit sur des dizaines de pages dans lesquelles alternent des citations de la bible, des controverses théologiques et des insultes à l’égard du peuple juif.

Ce texte a été relativement peu publié, même si selon Wikipedia des groupes antisémites ou le ku klux klan ont donné une certaine publicité à cet écrit.

Mais bien sûr ce sont les nazis qui se sont emparés avec délice de ce texte.

L’Allemagne a eu deux pères fondateurs : Luther et Bismarck. Les outrances de Luther étaient pains bénis pour les nazis.

On voit à gauche, une affiche nazi.

Son commentaire : « Le combat d’Hitler et l’enseignement de Luther sont la bonne défense du peuple allemand »

Bien sûr, les racines de l’antisémitisme des nazis et de Luther ne sont pas les mêmes.

L’antisémitisme nazi est un antisémitisme génétique (pour ne pas dire raciale puisque les race n’existent pas). C’est pour cela qu’il y a génocide. Un juif même non croyant ne peut échapper à la haine des nazis.

L’antisémitisme de Luther n’est que d’origine religieux. Si le juif se convertit, Luther aurait probablement ajouté sincèrement, il devient un frère en foi et tout conflit est oublié.

Hier nous voyions Luther, dans sa croyance intransigeante faire une séparation nette entre deux mondes, notre monde réel et le second monde celui de la promesse de la religion.

Ici, Luther dans son délire antisémite montre la seconde faille des monothéismes : la certitude que sa croyance est la vérité.

« Le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes

Dans son univers mental, Luther ne peut concevoir que les juifs pensent différemment de lui, possèdent d’autres croyances. Dans son univers, ils se trompent !

Et fait aggravant, alors qu’il leur explique calmement et de manière didactique, selon lui, ils persistent dans l’erreur.

Dès lors ils deviennent méchants, détestables et on peut user de violence à leur égard.

<961>

Lundi 6 novembre 2017

«La rébellion est chose intolérable.»
Martin Luther,pendant la guerre des paysans

J’ai l’intuition que certains trouvent que j’exagère de consacrer autant de temps à Martin Luther. Car ils pensent que c’est de l’histoire ancienne.

Le croyez-vous vraiment ?

Boris Cyrulnik vient d’écrire un livre « Psychothérapie de Dieu », dans lequel il affirme :

« Aujourd’hui, sur la planète, 7 milliards d’êtres humains entrent plusieurs fois par jour en relation avec un Dieu qui les aide.
Ils sont mus par le désir d’offrir à Dieu et aux autres humains leur temps, leurs biens, leur travail et parfois leur corps pour éprouver le bonheur de donner du bonheur. »

C’est probablement mu par un fantasme quantophrénique, qu’il se sent obligé de citer un chiffre de 7 milliards, sans justifier comment il le détermine. Mais il dit une réalité, si nous autres européens largement agnostiques sommes sortis de la religion, il n’en va pas du tout de même pour les autres pays de la planète.

Et notamment aux Etats-Unis, il serait impossible à quelqu’un qui dirait qu’il ne croit pas en Dieu d’être élu Président. Les américains sont capables d’élire un Trump, mais incapable d’élire un incroyant assumé.

Les Etats-Unis sont un pays encore largement protestant, un pays très riche mais un pays très inégalitaire. Les croyants sont enclins à la charité, c’est-à-dire donner ce qu’ils jugent juste aux pauvres qu’ils ont choisis. La justice sociale n’est pas dans leur univers mental.

Je crois que la religion leur permet de vivre sereinement dans une société où l’injustice sociale est la norme. Et je pense pouvoir éclairer cette réalité à travers un exemple explicite de la vie de Luther.

Gérald Chaix, historien professeur à l’Université de Tours a écrit dans le numéro spécial de la revue Histoire : « Luther 1517, Le grand schisme » un article sur « la guerre des paysans » qui eut lieu en 1524-1525 en Allemagne.

« Tout commença en juin 1524, à Forchheim, au nord de Nuremberg, et dans le comté de Stühlingen au sud de la Forêt Noire. […] Suite à des abus, notamment fiscaux, les insurgés remettaient en cause les droits et les usages locaux. […] Au printemps 1525, les troubles avaient gagné toute la partie méridionale de l’Empire, de l’Alsace jusqu’au Tyrol et la région de Salzbourg, en passant par la Souabe supérieure et en s’étendant au nord vers la Franconie et la Thuringe.»

C’est une jacquerie pour reprendre le terme français dans laquelle les paysans se révoltaient contre leurs seigneurs parce qu’ils estimaient qu’ils subissaient trop de taxes et de corvées au profit des chefs féodaux.

Les paysans de Souabe ont notamment rédigés leurs revendications dans « douze articles ». L’article 3 réclamait notamment « la suppression du servage » ou l’article 5 « Le maintien des forêts communales », c’est-à-dire le refus de leur privatisation au profit des seigneurs.

Les auteurs de ces douze articles avaient mis résolument ces 12 articles sous la tutelle de la religion. L’article 12 disposait en effet :

« la Sainte Ecriture [est] la seule autorité que veulent suivre les paysans »

Mon objet, n’est pas de décrire précisément les péripéties de cette guerre des paysans, ni même de décrire plus précisément les revendications des paysans, mais de faire le lien entre ce soulèvement et Luther.

Si vous voulez en savoir davantage <Vous pouvez utilement lire ce qu’en dit Wikipedia>

Luther a déclenché un mouvement de liberté en prêchant que chaque chrétien peut accéder par lui-même au message biblique. C’était donc une invitation pour chacun à réfléchir par lui-même. Pour Luther cette réflexion était cependant très contrainte, contrainte par la foi et les commandements de Dieu. Mais certains ont voulu réfléchir sur les relations entre les paysans et leurs seigneurs et y ont constaté de grandes inégalités. Ancien partisan de Luther, Thomas Müntzer qui est un pasteur va prendre fait et cause pour les paysans et même prendre la tête de l’insurrection. Il souhaiterait mettre en place un ordre social équitable : suppression des privilèges, dissolution des ordres monastiques, abris pour les sans-logis, distribution de repas pour les pauvres.

Luther est directement confronté à la révolte, en Thuringe, les paysans voudraient qu’il agisse en tant que médiateur.

Ainsi il rédigea un opuscule : « Exhortation à la paix en réponse aux 12 articles des paysans de Souabe ». Dans cet écrit, il exhortait à l’apaisement mais surtout récusait aux paysans le droit de se soulever. Dans un raisonnement théologique il oppose la liberté spirituelle qui lui a permis de s’opposer au Pape à la soumission aux autorités temporelles, c’est-à-dire non religieuses. Il refusait notamment de tirer de l’évangile la suppression du servage.

Lucien Febvre résume dans son livre consacré à Luther (page 161), cet écrit de la manière suivante :

« L’Evangile ne justifie pas, mais condamne la révolte, Toute révolte. »

Son écrit se répandit à travers l’Allemagne mais ne ramena pas la paix. Au contraire l’insurrection, pris de l’ampleur. Et suite à cette aggravation, je cite à nouveau Gérald Chaix :

Luther se rendit à la cour de Weimar pour réclamer une intervention princière. L’Electeur y répugnait, mais il mourut le 5 mai 1525. Luther profita d’une réédition de l’Exhortation pour y ajouter quelques pages, achevées le 6 mai : « Contre les bandes criminelles et meurtrières des paysans : «C’est pourquoi, chers seigneurs, délivrez, sauvez, secourez, ayez miséricorde de ces pauvres gens. Poignardez, pourfendez et égorgez à qui mieux mieux […]. Si tout cela parait trop dur à quelqu’un, qu’il songe que la rébellion est chose intolérable, et qu’à tout moment il faut s’attendre à la destruction du monde. » »

Il fut fait selon les souhaits de Martin Luther et Gérald Chaix de préciser :

« En quatre batailles, les paysans furent écrasés : le 12 mai à) Böblingen, en Souabe, le 15 mai à Frankenhausen en Thuringe, un jour plus tard à Saverne, en Alsace, et le 2 juin à Königshofen, en Franconie. Le 27 mai 1525, Müntzer était exécuté. Au total, entre 70 000 et 100 000 révoltés perdirent la vie. »

Probablement que sans Luther, les princes auraient également écrasé cette révolte dans le sang. Mais Luther a utilisé de sa plume et de son magistère pour soutenir pleinement la répression. Il nous a facilité l’analyse historique, en écrivant sur du papier explicitement son opinion : « Poignardez, pourfendez et égorgez ». Alors qu’auparavant, le mouvement qu’il avait déclenché avait justement pour fonction de conduire les masses à s’interroger et à réfléchir par eux même. Et cette prédication a conduit les paysans à considérer que leurs revendications étaient légitimes.

Comment expliquez cela ? Comment justifiez cela ?

Les marxistes ont une explication claire : « Luther était intiment lié aux princes et à leurs protections, il a donc pris fait et cause pour ses amis de classe ». L’ami, le confident de Marx, Friedrich Engels a écrit un ouvrage sur la guerre des paysans que vous trouverez sur internet derrière ce <lien>.

J’en tire ce paragraphe

« Avec sa traduction de la Bible, Luther avait donné au mouvement plébéien une arme puissante. Dans la Bible, il avait opposé au christianisme féodalisé de l’époque l’humble christianisme des premiers siècles  à la société féodale en décomposition, le tableau d’une société qui ignorait la vaste et ingénieuse hiérarchie féodale. Les paysans avaient utilisé cet outil en tous sens contre les princes, la noblesse et le clergé. Maintenant, Luther le retournait contre eux et tirait de la Bible un véritable hymne aux autorités établies par Dieu, tel que n’en composa jamais aucun lèche-bottes de la monarchie absolue ! Le pouvoir princier de droit divin, l’obéissance passive, même le servage trouvèrent leur sanction dans la Bible. Ainsi se trouvaient reniées non seulement l’insurrection des paysans, mais toute la révolte de Luther contre les autorités spirituelles et temporelles. Ainsi étaient trahis, au profit des princes, non seulement le mouvement populaire, mais même le mouvement bourgeois. »

J’expliquerai, pour ma part, la position de Luther d’une manière plus simple et encore plus radicale.

Je prends acte que Luther est un croyant absolu dans sa Foi.

Nous avons déjà vu que son combat était un combat théologique, non un combat de morale.

Qu’applique t’il dans cet épisode ?

Je rejoins sur ce point Michel Onfray qui explique que les religions monothéistes ont théorisé l’existence de deux mondes, celui que nous connaissons et dans lequel nous vivons et l’autre monde dont nous ne savons rien sauf ce qu’en disent les religieux. Dans le monde que nous connaissons, nous savons que nous ne vivrons que quelques années, dans le monde mythique d’après la mort nous vivrons éternellement selon la croyance monothéiste.

Dès lors, le monde réel, celui que nous connaissons a beaucoup moins d’importance, une importance quasi négligeable.

Ici-bas nous devons vivre dans la soumission de l’ordre établi pour être récompensé dans l’autre.

Harari, l’auteur de « Sapiens » a eu cette formule saisissante : « Jamais vous ne convaincrez un singe de vous donner sa banane en lui promettant qu’elle lui sera rendue au centuple au ciel des singes»

Et si la première fonction de la religion n’était pas celle-ci : « Faire accepter l’injustice sur terre et enseigner l’esprit de soumission ? »

L’Histoire de Luther me semble particulièrement révélatrice de ce point de vue.

<960>

Vendredi 27 octobre 2017

« L’Allemagne, le protestantisme et l’alphabétisation universelle »
Emmanuel Todd Titre du chapitre 5 du livre « Où en sommes-nous ? Une esquisse de l’Histoire Humaine »

Le protestantisme a joué un rôle majeur dans le monde occidental. Notamment parce qu’il a été la religion des pays les plus dynamiques de la révolution industrielle et économique : La Grande Bretagne, les Etats-Unis, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suisse et les pays nordiques Suède, Danemark, Norvège.

Emmanuel Todd s’est surtout fait connaître ces dernières années comme polémiste, polémiste sur des options douteuses, notamment après l’attentat contre Charlie-Hebdo.

Mais c’est aussi un démographe et un chercheur rigoureux qui réalise des études sérieuses.


Son dernier livre plonge dans son domaine de recherche privilégié : « l’analyse des structures familiales ».

Ce livre <Où en sommes-nous ?> publié le 31/08/2017 par les éditions du Seuil, évoque l’Allemagne et le protestantisme.

Emmanuel Todd, d’abord centré sur son domaine de recherche, insiste sur la structure familiale de l’Allemagne qui est la famille souche.

Wikipedia nous apprend que le concept de famille souche a été forgé par Frédéric Le Play au XIXe siècle pour décrire un mode de dévolution préciputaire (c’est-à-dire à héritier unique) des biens, matériels et éventuellement non matériels, les enfants exclus de l’héritage étant dédommagés par différents moyens (par exemple la dot). La famille souche qui est donc une famille inégalitaire et autoritaire, concentre le plus souvent plusieurs générations sous le même toit avec application d’un droit d’aînesse masculine.

Mais au-delà de focus mis sur la structure familiale Emmanuel Todd dans son chapitre 5 « L’Allemagne, le protestantisme et l’alphabétisation universelle » s’intéresse aux conséquences du protestantisme en Allemagne, puis en Europe.

La conséquence majeure est l’alphabétisation universelle :

« Avant la révolution politique, scientifique et industrielle anglaise, il y avait eu Réforme protestante et l’alphabétisation de masse, venues d’ailleurs. Crise religieuse et décollage éducatif ont trouvé leur origine en Allemagne, disons à partir de 1517 si nous retenons les 95 thèses de Luther comme point zéro de ces bouleversements. »

Bien sûr, comme cela avait été souligné dans les mots précédents, avant l’alphabétisation il a fallu l’invention de l’imprimerie et sa généralisation :

Entre le XVIème et le XVIIIème siècle, la moitié des paysans du monde germanique sont devenus protestants ; répondant à l’injonction de Luther, ils ont appris à lire. La famille-souche, avec son autoritarisme interne et son principe de continuité, peut contribuer à expliquer le caractère « total » de l’alphabétisation protestante. […] L’existence, au XVIème siècle, de l’imprimerie est de toute évidence le facteur principal du succès de la Réforme dans son œuvre d’alphabétisation.

[…]

L’imprimerie en caractères mobiles fut mise au point à Mayence sur le Rhin par Gutenberg vers 1454 ; La Réforme protestante fut lancée par Luther en 1517, lorsqu’il afficha ses 95 thèses […] Le lien entre ces deux évènements et l’alphabétisation de masse est une évidence historique. L’imprimerie a permis un abaissement radical du coût de la reproduction des textes. La Réforme d’emblée a voulu instaurer, pour chaque homme, un dialogue personnel avec Dieu, sans l’intermédiaire du prêtre, exigeant, comme le judaïsme un millénaire et demi plus tôt, l’accès direct des fidèles aux textes sacrés.

Citons Egil Johansson, pionnier suédois de l’étude historique de l’alphabétisation :

« Ce ne fut qu’au XVIIème siècle que la capacité de lire, but des réformateurs, a atteint progressivement les masses. Alors apparut une différence claire entre l’Europe protestante et l’Europe non protestante. Si peu de gens savaient lire dans le sud catholique et l’est orthodoxe de l’Europe – moins de 20 % – une augmentation drastique était intervenue dans le centre et le nord protestants de l’Europe. L’Italie du Nord et certaines parties de la France occupaient une position intermédiaire, grâce à une tradition d’usage de l’écriture remontant au moyen âge, du moins dans les villes […].

Dans l’Europe protestante, on peut estimer de 35 à 45% de la population savait lire vers 1700.

La Réforme a créé les protestants mais elle a aussi eu une conséquence sur les catholiques qui vont se lancer dans une réaction qu’on va appeler « la contre-réforme » et qui va se structurer dans le fameux <Concile de Trente>. Cette contre-réforme va aussi créer le corps des Jésuites qui va jouer un rôle majeur dans l’éducation des masses et sur l’alphabétisation. Emmanuel Todd insiste sur la concurrence, en Allemagne, entre catholiques et protestants sur ce terrain de l’alphabétisation.

Dans l’Allemagne protestante, les seuils d’alphabétisation de 50% ne furent franchis qu’au XVIIème siècle, mais des résultats déjà substantiels avaient été obtenus dès le XVIème siècle. […] Dans l’espace germanique, la compétition religieuse a conduit à une alphabétisation à peine plus lente des régions qui n’avaient pas adopté la Réforme et étaient restées catholiques.

Pourtant, en 1930, la carte que donne Todd montre que l’Europe européenne protestante reste davantage alphabétisée que l’Europe catholique :

Vers 1930, la carte des taux d’alphabétisation européens restait centrée sur son pôle allemand initial et, plus généralement, sur le monde luthérien, auquel on peut ajouter l’Ecosse calviniste. Mais le mécanisme de diffusion ne s’est pas arrêté en Europe. Les Etats-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada anglophone, issus de l’Angleterre des XVIIème et XIXème siècles, ont bénéficié dès leur fondation de ses taux d’alphabétisation élevés. L’Amérique latine a, pour ce qui la concerne, hérité du retard et des rythmes plus lents de l’Espagne et du Portugal. Mais, toujours, la colonisation s’est accompagnée d’une diffusion de l’alphabétisation qui, partout, a avancé à partir des points d’entrée ou de pression européens.

Luther en conceptualisant l’idée que la vérité théologique, ce qui a son époque constituait la quête majeure des homo sapiens, pouvait être trouvée sans la médiation d’un prêtre par l’accès direct au livre sacré du christianisme a entraîné plusieurs conséquences :

  • La première est ce besoin d’une alphabétisation générale ;
  • La seconde est le développement d’un esprit critique puisque chacun va pouvoir se faire sa propre opinion ;
  • La troisième est bien sûr que à travers l’alphabétisation et l’accès à la lecture et la culture, un formidable développement de l’innovation et du dynamisme économique va pouvoir s’épanouir

Concernant la deuxième conséquence, le développement de l’esprit critique, Luther va être confronté rapidement à un dilemme qu’il résoudra d’une manière qui nous apparaît aujourd’hui comme profondément condamnable. C’est ce que l’on va appeler « la guerre des paysans ».

Nous verrons cela au prochain mot du jour. Ce mot du jour ne sera pas publié lundi 30 octobre, parce que je prends une semaine de repos..

Au lundi 6 novembre donc.

<959>