Mardi 18 avril 2017

«La Chanson de Craonne »
Chanson des soldats de la bataille du chemin des dames

Le dimanche 16 avril 2017 était le jour de la Pâques chrétienne. C’était Pâques parce qu’il s’agissait du premier dimanche qui suivait la première pleine lune après l’équinoxe de printemps.

Lundi 20 mars 2017 fut le jour de l’équinoxe de printemps.

La pleine lune eut lieu mardi 11 avril (la précédente était le 12 mars, vous trouverez toutes les informations sur les phases de la lune sur ce site).

Et donc le dimanche suivant était le 16 avril et c’est ainsi que chaque année est déterminée Pâques.

Et chaque année, les catholiques et les protestants fêtent la «résurrection du Christ» le premier dimanche qui suit la première pleine Lune après l’équinoxe de Printemps.

En 1917, le 16 avril tombait un lundi, 8 jours après le dimanche de Pâques.

Ce lundi 16 avril 1917, un criminel qui ne fut jamais jugé, même si le tribunal de l’Histoire le condamne, a ordonné à 6 heures du matin le début de la bataille appelé la bataille du chemin des dames. Ce criminel avait pour nom Robert George Nivelle, il ne fut jamais jugé parce qu’il portait l’uniforme de général de l’armée française et qu’il avait agi dans ces fonctions.

La bataille du chemin des dames !

Le chemin des dames est une route qui se situe dans le département de l’Aisne et qui relie, d’ouest en est, les 25,9 km séparant les communes d’Aizy-Jouy et de Corbeny.

Cette route fut baptisée ainsi à la fin du XVIIIème alors qu’il ne s’agissait que d’un petit chemin, peu carrossable parce qu’il fut emprunté entre 1776 et 1789 par Adélaïde et Victoire, filles du roi Louis XV, également appelées Dames de France qui, venant de Paris, se rendaient fréquemment dans un château des environs.

Cette route traverse le village de Craonne qui fut un lieu particulièrement meurtrier de cette bataille qui se déroula du 16 avril jusqu’en juin 1917.

Craonne fut déjà le nom d’une bataille de Napoléon Ier en 1814 où les français battirent les Prussiens et les Russes, au prix de 5 400 morts parmi ses jeunes recrues que l’on appelait les Marie-Louise.

Mais « l’offensive Nivelle » fit beaucoup plus de morts : on estime à près de 200 000 hommes côté français tués au bout de deux mois d’offensives et un chiffre équivalent du côté allemand. Et l’armée française n’avança quasi pas. Tous ces jeunes ont été envoyés à la mort pour aucun résultat. On appela Nivelle « le boucher » du fait de son obstination et son peu de considération pour la souffrance et la mort de ses hommes.

Les hommes exaspérés se révoltèrent, on appela cela des mutineries.

Il y eut de nombreuses condamnations et 43 mutins furent fusillés.

Ils furent fusillés parce que des officiers le décidèrent et parce qu’il y eut suffisamment d’hommes de troupes qui plutôt que de tourner leurs fusils contre leurs officiers, acceptèrent cette décision parce qu’ils croyaient que l’amour et la défense de la Patrie justifiaient ce sacrifice pour l’exemple et la poursuite des combats.

Et c’est à cette occasion que des soldats écriront et chanteront « la chanson de Craonne » une des chansons les plus anti militaristes qui soit.

Elle fut interdite jusqu’en 1974.

Et encore, le 1er juillet 2016, lors de la cérémonie d’anniversaire commémorant les 100 ans de la bataille de la Somme, un secrétaire d’État aux anciens combattants, parfaitement inconnu, Jean-Marc Todeschini refusa que soit entonnée la Chanson de Craonne.

Mais en ce dimanche de Pâques, lors de la commémoration officielle de la bataille du chemin des dames, présidée par François Hollande, la chanson de Craonne put enfin être entonnée en mémoire des soldats morts encore plus inutiles que les autres morts de la première guerre mondiale.

Si le boucher Nivelle subit un moment de disgrâce avérée, en décembre 1917, il fut pleinement réhabilité après la guerre puisqu’il est nommé au Conseil supérieur de la guerre, élevé à la dignité de Grand’croix dans l’ordre de la Légion d’honneur et décoré de la médaille militaire. Il est mort dans son lit en 1924 aux n°33-35 rue de la Tour dans le 16e arrondissement de Paris où une plaque lui rend hommage. 7 ans plus tard, il est même transféré aux Invalides lors d’une cérémonie présidée par le ministre de la Guerre qui était alors André Maginot qui devint célèbre pour une autre immense erreur militaire française.

Voici un lien vers l’interprétation de la <chanson de Craonne par Marc Ogeret>

Et voici ce texte :

Quand au bout d’huit jours le repos terminé
On va reprendre les tranchées,
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile
Mais c’est bien fini, on en a assez
Personne ne veut plus marcher
Et le cœur bien gros, comm’ dans un sanglot
On dit adieu aux civ’lots
Même sans tambours même sans trompettes
On s’en va là-haut en baissant la tête

Refrain :

Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes
C’est bien fini, c’est pour toujours
De cette guerre infâme
C’est à Craonne sur le plateau
Qu’on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés
Nous sommes les sacrifiés

Huit jours de tranchée, huit jours de souffrance
Pourtant on a l’espérance
Que ce soir viendra la r’lève
Que nous attendons sans trêve
Soudain dans la nuit et dans le silence
On voit quelqu’un qui s’avance
C’est un officier de chasseurs à pied
Qui vient pour nous remplacer
Doucement dans l’ombre sous la pluie qui tombe
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes
C’est malheureux d’voir sur les grands boulevards
Tous ces gros qui font la foire
Si pour eux la vie est rose
Pour nous c’est pas la même chose
Au lieu d’se cacher tous ces embusqués
F’raient mieux d’monter aux tranchées
Pour défendre leurs biens, car nous n’avons rien
Nous autres les pauv’ purotins
Tous les camarades sont enterrés là
Pour défendr’ les biens de ces messieurs là

Refrain :

Ceux qu’ont le pognon, ceux-là reviendront
Car c’est pour eux qu’on crève
Mais c’est fini, nous, les troufions
On va se mettre en grève
Ce sera vot’ tour messieurs les gros
De monter sur le plateau
Si vous voulez faire la guerre
Payez-la de votre peau

Le mot du jour du 28/07/2014 citait Paul Valéry « La guerre, c’est le massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent et ne se massacrent pas ».

<Ali Baddou a reçu sur France Inter Nicolas Offenstadt qui a parlé de cette bataille et de la chanson>

<Patrick Cohen a aussi évoqué cette chanson ce même vendredi>

Et <ICI> vous trouverez un site commémoratif de la bataille du chemin des Dames

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Lundi 13/02/2017

Lundi 13/02/2017
« La liberté de penser, la liberté d’opinion, […] n’existent pas seulement pour satisfaire le désir de la connaissance individuelle, le bien-être intellectuel de chaque citoyen. […] Elles [existent]  aussi parce que ces libertés sont consubstantielles à l’existence d’une société démocratique »
François Sureau devant le Conseil Constitutionnel
J’ai déjà cité plusieurs fois, sans jamais en faire l’exergue d’un mot du jour, cette sentence de Benjamin Franklin, l’un des Pères fondateurs des États-Unis (1706-1790) : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux.»
Nous sommes dans les pays occidentaux et particulièrement en France, dans cette dérive, cette faiblesse, cette lâcheté.
Heureusement il existe des contre-pouvoirs comme le conseil constitutionnel et des défenseurs de la liberté comme Maître François Sureau qui est intervenu comme avocat de la Ligue des droits de l’homme
Le texte qui avait été porté devant le Conseil Constitutionnel était l’article 412-2-5-2 du code pénal, créé par la loi du 3 juin 2016 «renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement», et  punissait «de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende» le fait de «consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes».
Et voici cette remarquable plaidoirie de Maître François Sureau que je vous engage vraiment à lire  :
« Le 20 avril 1794, le comité de salut public institua à Orange, département du Vaucluse, une commission populaire de trois membres, sorte de tribunal révolutionnaire destiné à juger les ennemis du peuple trouvés dans ces régions reculées. A peine installé, son président, Fauvety, entreprit de dénoncer à Robespierre son premier assesseur, un nommé Meilleret. On trouve cette lettre aux archives et l’on peut y lire : « Meilleret ne vaut rien comme juge, il lui faut des preuves ».
Remplacez le mot de preuves par celui d’intention, au moins dans le sens où le droit criminel l’entend depuis cinq siècles, et vous aurez à peu près l’affaire que vous avez à juger aujourd’hui. […]
C’est à ma connaissance la première fois en France qu’une démarche purement cognitive fait naître la présomption d’une intention criminelle. Le délit d’éventuelle intention terroriste dont on parle ici repose sur une double supposition. D’une part, la supposition d’un endoctrinement « radical », comme on le dit aujourd’hui ; d’autre part, la supposition que cet endoctrinement est susceptible par nature de déboucher sur un projet terroriste effectif. La notion d’acte préparatoire devient liquide, nébuleuse, subjective, et recule dans le temps. […]
Je le dis avec gravité : même l’inquisition de Bernardo Gui n’est pas allée aussi loin. Elle se fondait également sur le for interne, mais celui-ci n’était pas supposé, et sûrement pas d’aussi loin. Il fallait qu’il se soit vu traduit par des prises de position hérétiques explicites. Et d’autre part, il fallait que des manifestations tangibles de l’option hérétique aient pu être relevées par les inquisiteurs. En sens inverse, il pouvait suffire d’abjurer l’expression publique de l’opinion émise pour échapper aux poursuites.
[…], le premier ministre parlant de la « première extériorisation d’une participation active à un endoctrinement terroriste » que manifesterait la consultation. Passons sur ce langage étrange, qui cache quelque chose d’assez simple. Aucune opinion n’est demandée pour poursuivre. La simple démarche intellectuelle suffit. La consultation seule. Nous avons à l’évidence passé les bornes du raisonnable. Cette guerre de perpétuelles surprises que fut, selon Marc Bloch dont je reprends ici les termes, celle de 1940, il jugeait, avant même d’entrer en résistance, que les Français l’avaient perdue par incuriosité intellectuelle. […]
En réalité, l’incrimination en question a pour effet direct et nécessaire, et je ne parle même pas ici des chercheurs, ou des journalistes, d’empêcher radicalement, si vous me passez cet adverbe fâcheux, le citoyen d’une démocratie de se former une opinion justifiée sur l’une des menaces les plus graves qui pèsent sur notre société, sur sa nature et sur ses formes. […] C’est un pan entier de la liberté de penser qui passe tout d’un coup dans l’ombre policière et répressive. Et l’on peut penser que ce naufrage est d’autant plus regrettable qu’il s’agit de combattre un fléau politique, culturel et social.
C’est là-dessus que je voudrais en finir avec le droit, par mon troisième point. Je m’en voudrais de vous infliger un cours de philosophie politique, mais je ne détesterais pas que les grands principes pussent, à cette occasion être rappelés au gouvernement.
La liberté de penser, la liberté d’opinion, et je n’aurai pas l’outrecuidance de citer la foule des grands auteurs, n’existent pas seulement pour satisfaire le désir de la connaissance individuelle, le bien-être intellectuel de chaque citoyen. Elles ne sont pas protégées seulement à ce titre par la déclaration que vous avez mandat d’appliquer. Elles le sont aussi parce que ces libertés sont consubstantielles à l’existence d’une société démocratique, dont le premier devoir de l’Etat est de garantir le perfectionnement incessant. C’est l’éducation de l’homme à la raison politique de Kant. Et c’est ce devoir que l’Etat méconnaît ici, ruinant, sous prétexte de sécurité immédiate, ce mouvement même de la connaissance et du choix à la fin, est seul susceptible de protéger notre société du péril qui la menace. Ce n’est pas en ôtant du cerveau du citoyen, selon le mot de Tocqueville, le trouble de penser, qu’on peut espérer triompher de ceux qui précisément veulent qu’on ne pense pas. Cette question est aussi vieille que la démocratie elle-même.
Tous les auteurs l’ont vue, qu’ils se soient intéressés davantage à la liberté d’opinion ou à la qualité de la répression pénale. Tous les auteurs l’ont vue, sauf notre législateur. Comme s’il ne s’agissait pas de questions anciennes, et qu’il fallût à chaque fois réinventer le monde pour la satisfaction politique, électorale, ou d’opinion de la génération présente. Prenez Beccaria par exemple, dans son traité : « La vraie mesure des crimes est le tort qu’ils font à la nation et non l’intention du coupable (…). Celle-ci dépend des impressions causées par les objets présents et de la disposition précédente de l’âme, lesquelles varient chez tous les hommes et dans chacun d’eux selon la succession rapide des idées, des passions et des circonstances. Il serait donc alors nécessaire de rédiger un code particulier pour chaque citoyen et de nouvelles lois pour chaque crime ». Tout est dit. Il suffisait d’ouvrir les vieux livres et de réfléchir un peu.
Et devant tout cela, vous ne pourrez que constater l’indigence de la défense du gouvernement. Je ne vois pas qu’en matière de liberté de pensée, de garanties individuelles ou de formation du citoyen libre, l’on puisse remettre toute notre tradition à la discrétion d’un policier ni même d’un juge, sous prétexte de bonne foi. Et je ne vois pas non plus comment on pourrait sauver ce texte par la notion de « consultation habituelle ». Il y a des esprits lents qui ont besoin et j’en fais partie, d’y revenir longtemps pour comprendre. Tout cela n’est pas le moins du monde sérieux.
J’en viens à présent au contexte, c’est-à-dire aux excuses qu’on se donne. Car je sais bien ce qu’on dira, ce que le gouvernement dira, ce que la police dira : « Voilà bien des grands mots, et les temps sont si difficiles ». C’est une chanson souvent entendue et qui sert depuis quelques années à faire passer toutes les atteintes aux libertés : une réforme pénale par an, l’état d’urgence maintenu jusqu’à on ne sait quand, mettant notre genre de vie, pour employer un euphémisme, à la merci du moindre attentat.
Mais si les temps sont difficiles, ce que personne ne conteste, les principes dont je parle ne sont pas réductibles à […] de grands mots. Il y va de ce que nous sommes, si nous ne voulons pas finir, une loi après l’autre, par ressembler à cette Russie dont parlait Custine en disant : « J’ai senti au fond de cet exercice une volonté de fer employée à faux, et qui opprime les hommes pour se venger de ne pouvoir vaincre les choses ». Et le soupçon peut, en effet, nous traverser l’esprit qu’il est plus facile de plaire à tout le monde en passant des lois excessives qu’en réformant la police pour la rendre mieux adaptée aux nécessités de l’heure.
Les temps sont difficiles bien sûr, mais ceux de nos grands ancêtres ne l’étaient pas moins. L’idée informulée des gouvernements et des législateurs contemporains, c’est que les principes ne valent que par temps calme. C’est à l’évidence le contraire qui est vrai, et là-dessus nos prédécesseurs ne se trompaient pas. Quand Beccaria écrivait son traité célèbre dont j’ai cité tout à l’heure un passage, on ne pouvait pas traverser la forêt de Bondy sans escorte armée. Et quand, à l’inverse, le parlement meurtri par la bombe de Vaillant a fait voter des dispositions analogues dans leur nature à celles dont vous êtes saisis aujourd’hui, il a aussitôt subi l’opprobre d’avoir édicté ce que les historiens appelle encore aujourd’hui des « lois scélérates », qualificatif infamant qui dure. […]
Non, rien n’a changé. Les temps, au fond, sont toujours difficiles pour ceux qui n’aiment pas la liberté. La tristesse de ce temps ne tient pas seulement à ce climat de violence civile […] pour notre génération de citoyens. Il tient aussi à l’évidente fragilité des grands principes dans notre conscience même. Il tient à la fréquence avec laquelle il nous faut désormais rappeler ces évidences qui renferment en elles-mêmes une part de notre honneur collectif.
Les gouvernements ont cédé. Les parlements ont cédé. Personne je crois n’aurait pu, dans notre jeunesse nourrie des grands exemples et des drames du passé, imaginer qu’ils céderaient aussi facilement, par lâcheté, par inconséquence ou par calcul. Il est sûr que cela nous rendra moins sévères à l’égard de nos aînés, mais c’est une bien faible consolation.
Vous êtes, et je voudrais le dire au-delà même de l’émotion, les derniers gardiens de cet honneur et de nos libertés. Permettez-moi d’espérer que vous les défendrez encore, alors qu’elles cèdent un peu partout dans le monde et que personne, ce qui est aussi grave que le reste, ne semble en faire un drame.
Car ce qui est en jeu ici n’est pas seulement cette disposition particulière, mais cette disposition prise comme partie d’un mouvement qui s’étend et s’accélère partout, et qui chez nous a commencé voilà près de vingt ans. C’est ce mouvement lui-même qui est destructeur. « L’esclavage, disait Simone Weil dans l’un de ses derniers écrits, avilit l’homme jusqu’à s’en faire aimer ; la vérité, c’est que la liberté n’est précieuse qu’aux yeux de ceux qui la possèdent effectivement ». Par la médiocrité de son inspiration, par le vague de son contenu, la disposition en cause s’oppose à cette possession effective. Il est déjà infiniment surprenant, et infiniment triste, qu’elle soit arrivée jusqu’à vous. C’est la raison pour laquelle, au nom de la Ligue des droits de l’homme, je vous demande de la déclarer contraire à la Constitution.»
Le Conseil Constitutionnel a suivi Maître Sureau et é écrit notamment : « Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées portent une atteinte à l’exercice de la liberté de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée. L’article 421-2-5-2 du code pénal doit donc, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres griefs, être déclaré contraire à la Constitution. »
Vous trouverez sur Youtube cette plaidoirie : https://www.youtube.com/watch?v=i1u16BdE8tQ
Derrière ce lien sur le site du Conseil Constitutionnel vous verrez les différentes interventions pour éclairer la décision du Conseil :  http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/videos/2017/janvier/affaire-n-2016-611-qpc.148570.html
« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux.»
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Jeudi 09/02/2017

«Le népotisme»
Mot utilisé dans l’actualité
Le terme a été emprunté en 1653 à l’italien nepotismo, lui-même dérivé de nepote qui signifie « neveu », par référence au favoritisme accordé par un pape à l’un de ses neveux par la cession indue de titres ecclésiastiques ou de donations réservés au Vatican.
Au Moyen Âge, le mot désigne normalement dans ce contexte, les enfants des frères et sœurs des ecclésiastiques. Mais souvent, par euphémisme, les mots « neveux » et « népotisme » désignaient aussi les propres enfants des ecclésiastiques. »
En politique, le népotisme est caractérisé par les faveurs qu’un homme ou une femme au pouvoir montre envers sa famille ou ses amis, sans considération du mérite ou de l’équité, de leurs aptitudes ou capacités.
Un mot du jour court aujourd’hui.
Il me semblait pertinent de rappeler la signification et l’origine de ce mot.
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Mercredi 01/02/2017

Mercredi 01/02/2017
« Un salarié allemand sur quatre a un bas salaire, contre un sur dix en France »
Catherine Chatignoux
On nous raconte tant de choses. On nous explique surtout que l’Allemagne est un pays bien mieux géré que la France et que nous devrions nous en inspirer pour toutes nos politiques économiques.
Et il est vrai que l’Allemagne est plus riche, est moins endettée et dispose d’une balance commerciale bien plus favorable que la France.
Certes, mais cette politique économique a un prix ou disons son côté obscur qui est de plus en plus éclairé par des études internationales.
Catherine Chatignoux est journaliste dans le journal « Les Echos ». Elle a écrit un article en s’appuyant sur une étude statistique produite par Eurostat qui a a calculé la proportion de « bas salaires » dans les différents pays de l’Union européenne.
Vous trouverez cet article, derrière ce lien : <Un salarié allemand sur quatre a un bas salaire>
Mais Grâce à cet article, ce mot du jour et les deux précédents, j’espère que plus personne ne pensera que je n’aime pas les chiffres. Mais un chiffre n’est pas neutre, je vous l’ai déjà écrit…
Je cite l’article : « Si l’Union européenne est toujours considérée comme un îlot de prospérité relative dans le monde, les dernières données de l’office statistique Eurostat montrent que la précarité n’épargne aucune de ses économies et révèlent quelques anomalies. »
Mais montrant d’abord le schéma :
«Première indication : la proportion de bas salaires parmi l’ensemble des salariés de l’Union européenne atteint 17,2 %, la zone euro en compte un peu moins, 15,9 %, ce qui est logique compte tenu de sa plus grande homogénéité économique. Est considéré comme un bas salaire celui qui touchait en 2014 deux tiers ou moins du salaire horaire national brut médian. Il s’agit donc d’un niveau relatif et non en valeur absolue.
S’il n’est pas étonnant de trouver le plus grand nombre de ces bas salaires en Lettonie (25,5 %), en Roumanie (24,4 %) ou en Pologne (23,6 %), leur forte proportion est plus inattendue en Allemagne (22,5 %), au Royaume-Uni (21,3 %), en Irlande (21,6 %), et même aux Pays-Bas (18,5 %). A noter que, pour des raisons liées à la réorganisation du système de collecte, les données de la Grèce n’apparaissent pas.
A l’inverse, les pays scandinaves continuent de mériter leur réputation de pays plus égalitaires puisque moins de 10 % des salariés percevaient des bas salaires en Suède (2,6 %), en Finlande (5,3 %) et au Danemark (8,6 %). La France (8,8 %) et la Belgique (3,8 %) apparaissent également plus équitables tandis que les pays du sud de l’Europe, Espagne, Portugal et Italie, affichent un niveau de bas salaires intermédiaire, inférieur à 15 %.
Concernant le niveau du salaire brut médian, les écarts restent très importants dans l’Union européenne puisqu’ils s’échelonnent de 1 à 15. Le niveau le plus élevé a été enregistré au Danemark (25,50 euros de l’heure), devant l’Irlande (20,20 euros) et la Suède (18,50 euros). A l’autre bout de l’échelle, le salaire médian le plus faible se trouve en Bulgarie (1,70 euro) et en Roumanie (2 euros). En Allemagne, il s’élève à 15,70 euros et en France à 14,90 euros. »
L’étude d’Eurostat confirme par ailleurs que les femmes sont davantage concernées par les bas salaires (21,1 %) que les hommes (13,5 %) et les moins diplômés (28,2 %) bien plus que ceux qui ont un niveau d’éducation supérieur (6,4 %). Les faibles rémunérations concernent enfin davantage les CDD (31,9 %) que les CDI (15,3 %).
Ces chiffres que nous disent-ils ?
On nous dit que le Royaume-Uni et l’Allemagne ont un taux de chômage nettement inférieur à la France, c’est vrai !
Mais parallèlement ils ont aussi le système qui produit une plus grande précarité et une plus grande inégalité des salariés.
Bien sûr que la France a un grand problème avec le chômage, mais quand j’entends certains politiques dirent nous allons appliquer les recettes qui ont marché ailleurs en pensant à l’Allemagne et à la Grande Bretagne je ne peux être qu’inquiet.

Mardi 29 novembre 2016

Mardi 29 novembre 2016
« Mettre définitivement l’homme à l’abri du besoin, en finir avec la souffrance et les angoisses du lendemain »
Ambroise Croizat, ministre du Travail de 1945 à 1947

C’est encore un film récent <La Sociale> de Gilles Perret qui est à l’origine de ce mot du jour qui concerne la mise en place de la Sécurité Sociale au lendemain de la guerre.

Ce sont les ordonnances du 4 octobre 1945 qui ont constitué la naissance juridique de cette magnifique institution.

TELERAMA rappelle que l’on attribue toujours cette création à Pierre Laroque, haut fonctionnaire, le « père » officiel de la Sécu et qu’on laisse dans l’ombre, Ambroise Croizat, l’homme politique qui fut le ministre du Travail du général de Gaulle, certains prétendent que c’est en raison de son appartenance au Parti communiste. C’est aussi TELERAMA qui donne cette phrase d’Ambroise Croizat que j’ai utilisée comme exergue de ce mot du jour.

Comme les choses ne sont jamais simples et évidentes, il faut savoir que Pierre Laroque était aussi Haut fonctionnaire du Régime de Vichy.

Il était entré dans le cabinet du ministre René Belin dans le premier gouvernement du régime de Vichy, et a participé à la rédaction de la loi du 16 août 1940 sur la réorganisation économique et a suivi le dossier des assurances.

Avec Alexandre Parodi, qui fut par la suite le premier ministre du travail du gouvernement provisoire de De Gaulle, précédant immédiatement à ce poste Ambroise Croizat, Pierre Laroque rédige un projet de « réforme des législations sur les Assurances sociales, les Allocations familiales et les congés payés ». De ce projet aboutira l’allocation aux vieux travailleurs salariés qui instaure en France le régime de retraite par répartition, formant ainsi la base de ce que sera la Sécurité Sociale. Bref la sécurité sociale eut des prémices sous le Régime de Vichy et les hommes qui ont travaillé sur ce projet étaient les mêmes que ceux qui allaient le faire avec De Gaulle.

Il faut noter cependant que Pierre Laroque fut Révoqué en octobre 1940 pour des origines juives et qu’il participa à Lyon à l’organisation de résistance « Combat » et rejoignis Londres en avril 1943.

Parodi fut également résistant. Ce n’était pas deux collaborateurs, mais c’est le Régime de Vichy, si on veut respecter l’Histoire qui commença cette aventure.

Contrairement aux Ministres d’aujourd’hui, Ambroize Croizat avait un métier en dehors de la politique. Il travaille en usine dès l’âge de 13 ans lorsque son père est appelé sous les drapeaux en 1914. Apprenti métallurgiste, il suit en même temps des cours du soir et devient ouvrier ajusteur-outilleur dans la région lyonnaise. Il est mort à 50 ans d’un cancer du poumon.

Pour en dire un peu plus je voudrai revenir à une histoire que l’on attribue à Raymond Lulle philosophe, poète, théologien, apologiste chrétien et romancier majorquin (1232-1315).

« C’est l’histoire de 3 tailleurs de pierre. Ils sont côte à côte, et font exactement les mêmes gestes techniques. Mais le premier semble épuisé et triste. Je lui demande :
– Que faites-vous ?
Il me répond énervé : – ben ! Vous l’voyez bien !  Je taille une pierre !

Je regarde le deuxième, qui semble moins malheureux et moins épuisé que le premier. Je lui demande :
– Que faites-vous ?
Il me répond gentiment : – ben ! Vous l’voyez bien ! Je construis un mur !

Alors je regarde le troisième, qui lui, paraît très joyeux et lumineux. Il siffle en réalisant son ouvrage. Je lui demande :
– Que faites-vous ?
Alors il me répond avec passion : – ben ! Vous l’voyez bien ! Je construis une cathédrale ! »

C’est une histoire du moyen-âge, où on construisait des cathédrales en pierre pour la religion.

AU XXème siècle on a construit des cathédrales non matérielles mais sociales pour L’Humanité, comme la Sécurité Sociale, pour « en finir avec la souffrance et les angoisses du lendemain » selon les mots d’Ambroize Croizat.

Une partie des français a désigné François Fillon comme candidat à la Présidence de la République. Il est possible qu’il devienne Président. Constatons que lui contrairement à Ambroise Croizat n’a jamais eu un emploi autre que Politique. Il est devenu député à l’âge de 27 ans en 1981 et avant il était assistant parlementaire de Joël Le Theule.

Concernant la santé, il a un projet : « Offrir la meilleure couverture santé possible à tous nos concitoyens en redéfinissant les rôles respectifs de l’assurance maladie et de l’assurance privée : focaliser l’assurance publique universelle notamment sur les affections graves ou de longue durée, le panier de soin « solidaire », et l’assurance privée sur le reste, le panier de soin « individuel ». Les moins favorisés ne pouvant accéder à l’assurance privée bénéficieront d’un régime spécial de couverture accrue. Les patients seront responsabilisés par l’introduction d’une franchise maladie universelle dans la limite d’un seuil et d’un plafond

Je ne veux pas déformer, donc je cite intégralement et si vous voulez vérifier c’est après ce lien : https://www.fillon2017.fr/participez/sante/propositions-pour-les-patients/

En bon chrétien, les pauvres ont droit à la charité : « Les moins favorisés  bénéficieront d’un régime spécial de couverture accrue.»

Mais pour les autres il y aura les affections graves prises en charge par la Sécurité Sociale publique et le reste par les assurances privées que vous paierez selon vos choix pertinents, vos moyens et votre tendance plus ou moins affirmée à la prudence par rapport à votre santé et votre volonté de sacrifier d’autres consommations à celle-ci.

Les États-Unis  montrent, en grandeur réelle, ce que ce type de système produit : Une médecine de très haute qualité certes, mais une offre de soins très chers et une inégalité extrême par rapport à la santé, qu’Obama a tenté de réduire un peu.

C’est très simple à comprendre. C’est aussi évident qu’une équation mathématique.

Quand l’offre de soins est publique, l’objectif est de soigner le mieux possible au coût le moins élevé pour la collectivité.

Quand l’offre de soins est privée, l’objectif est de soigner le mieux possible en obtenant le meilleur profit pour la société privée qui assure le soin.

Je ne dis pas que le premier système ne peut pas être amélioré notamment en obtenant un coût moins élevé, mais je dis que le second système est tendanciellement plus onéreux pour la collectivité.

Quand on commence à s’attaquer aux cathédrales d’une civilisation, on peut penser que son déclin est proche.

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Vendredi 21 octobre 2016

Vendredi 21/10/2016
« La France n’est pas le pays des droits de l’Homme, elle n’est que le pays de la déclaration des droits de l’Homme »
Robert Badinter, invité des matins de France Culture le 10 octobre 2016

Le 9 octobre 1981, il y a 35 ans, la loi d’abolition de la peine de mort est promulguée en France.

Le 10 octobre 2016 célébrait la 14ème journée mondiale d’abolition de la peine de mort.

A cette occasion, Les matins de France Culture était allé rendre visite à Robert Badinter, le ministre de l’abolition pour un entretien.

Robert Badinter a 88 ans, sa voix est plus faible mais garde la force de la conviction qui est la marque de ce grand homme.

Dans cette émission, il a déclaré :

« Pour moi, l’abolition était inévitable. Elle a été trop tardive par rapport aux autres pays de l’Europe occidentale. […] La conscience des français que c’était fini a été plus lente que je ne le pensais. Aujourd’hui c’est terminé. »

A la question, du retour de la peine de mort que préconisent certains politiques en raison du terrorisme, il affirme d’abord que ce sont des démagogues qui prétendent que la France pourrait à nouveau recourir à la peine de mort :

« Ceux qui demandent le rétablissement de la peine de mort font preuve d’une prodigieuse méconnaissance des principes de notre Etat de droit. Ils oublient que l’abolition ne relève pas seulement de la loi de 1981, due à l’initiative de François Mitterrand.

Aujourd’hui, grâce à Jacques Chirac, à la fin de son mandat en 2007, l’abolition est une loi constitutionnelle. Il faudrait donc modifier la Constitution pour rétablir la peine de mort.

De surcroît, l’abolition est inscrite dans une série de conventions internationales dont la force juridique est supérieure à celle de la loi nationale. Je citerai, parmi d’autres, les 6e et 13e protocoles annexes à la Convention européenne des droits de l’homme et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Sur le plan mondial, l’abolition est aussi consacrée par des protocoles de l’ONU auxquels la France est partie. Or les conventions internationales ont une valeur juridique supérieure à la Loi française.

Cette question est ainsi enserrée dans toute une série d’obligations, rendant juridiquement le rétablissement de la peine de mort quasi impossible.»

C’est l’Article 66-1 de notre constitution qui déclare simplement : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort

Ensuite, il montre avec lucidité combien la peine de mort contre les terroristes seraient contre productives :

«Plus que jamais il nous faut refuser la tentation de la peine de mort. On dit qu’elle serait une arme de dissuasion. Mais pour celui qui se fait exploser à l’aide d’une ceinture, la peine de mort ne peut le faire reculer car il aime la mort. La peine de mort, elle n’est pas dissuasive ici mais elle serait incitative.

Pendant le procès, le terroriste justifierait son action par ses convictions et ferait de ce moment une tribune de propagande.

Pour ceux qui partagent les mêmes convictions, le fait d’aller jusqu’à la mort pour défendre ses convictions donnerait un surcroit de foi dans leurs croyances morbides.

Le condamné deviendrait un martyr.

Et un commando de vengeurs recommencerait.»

Dans un article de l’Express il réaffirme avec encore plus de clarté ce point de vue :

«La peine de mort ne peut pas être dissuasive pour des terroristes qui périssent dans un attentat, en même temps qu’ils donnent la mort à des victimes innocentes. Il existe entre la mort et le terrorisme un rapport secret, une alliance névrotique. De surcroît, pour ceux qui partagent les convictions des djihadistes, celui qui meurt pour la cause qu’il sert est un héros. Le lendemain d’une exécution capitale, on verrait naître des commandos de militants portant le nom de celui qu’ils appelleraient martyr, et la peine de mort susciterait ainsi encore plus de vocations et d’attentats terroristes.»

Dans cet entretien il parle aussi de l’instinct de mort de l’homme, et c’est donc un immense pas vers la civilisation de renoncer à donner la mort. Selon lui, l’homme n’a, dans l’espèce animal dont il fait partie, qu’un seul exemple comparable d’un animal qui tue son semblable sans raison de nourriture, de défense de territoire ou de conquête d’une femelle. Cet instinct de mort, l’homme le partage avec le rat.

Badinter cite son ami Michel Serres qui a dit « L’homme est un rat pour l’homme. »

Robert Badinter montre aussi que l’abolition, même s’il y a des résistances : Chine, certains Etats des Etats-Unis, des dictatures et les pays théocratiques islamiques, est en progrès partout dans le monde.

L’optimisme de Robert Badinter peut se trouver dans ce document qui révèle l’évolution du monde vers l’abolition.

Mais l’exergue de ce mot du jour est une réflexion quant au fait que la France a été l’un des derniers pays d’Europe occidentale à abolir la peine de mort et que d’ailleurs la France est rarement en tête pour les avancées sociétales et les libertés.

Nos prisons ne respectent pas les droits de l’homme, notre traitement des migrants pas davantage et bien d’autres choses.

Hélas, la France n’est pas la patrie des droits de l’homme, elle n’est que le pays de la déclaration des droits de l’Homme comme le dit Robert Badinter

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Mercredi 19 octobre 2016

« Le roman de renart »
Ensemble médiéval de récits animaliers écrits en ancien français et en vers

La question qui semble première en France, dans l’esprit ou au moins dans les paroles de certains, est donc celle de l’identité de la France.

Or, dans l’identité de la France il y a eu, au long des siècles, des récits qui ont construit l’imaginaire des français. Il en fût ainsi du récit né au moyen âge le roman de renart, attribué à différents auteurs et notamment Pierre de Saint Cloud.

A cette époque, l’animal que nous connaissons sous le nom de renard, s’appelait goupil. Le roman de renart mettait en scène un goupil ayant pour nom «Renart» avec comme adversaire principal «Ysengrin», un loup. Et c’est depuis le roman de Renart qu’on appelle les goupils des renards.

Ce récit issu du roman mythique de la France mettait donc au premier plan un animal, voleur de poules, rusé, manipulateur.

Je me souviens, qu’enfant, donc dans les années 60, on m’avait offert un livre pour enfant qui avait pour titre le roman de renart et relatait certaines des aventures de Renart et Ysengrin. Preuve que ce récit du moyen âge avait bien traversé les siècles de l’Histoire de France.

C’est Raphaël Glucksman qui vient de publier un livre :  <Notre France ; Dire et aimer ce que nous sommes> qui a remis ce poème issu du moyen-âge dans la longue histoire de ce qui a fait la France et les français.

Libération écrit :

«C’est ainsi à une promenade subjective mais véridique dans le passé de la vraie France qu’il emmène le lecteur. De manière inattendue, cette saga ne commence pas avec la Renaissance, les Lumières ou la Révolution. Elle remonte au Moyen Age, dans la première grande fiction française, plus populaire à l’époque que la plus populaire des séries d’aujourd’hui : le Roman de Renart. Ce conte animalier en vers, récité à haute voix dans les villes et les villages pendant de nombreuses décennies, est la première œuvre discrètement séditieuse qu’on connaisse dans la littérature française.

Renart (d’où viendra ensuite le nom commun «renard») est un «goupil», comme on disait à l’époque (un renard, donc), malicieux, insolent, rusé et rebelle aux autorités. Il est le premier exemple d’une longue série de héros réels ou imaginaires où l’on trouve Till l’Espiègle, Mandrin, Cartouche, Fanfan la Tulipe, Figaro ou Camille Desmoulins. Individualiste, farceur, moqueur, irrespectueux, Renart se rit des prescriptions de l’Eglise, se gausse des romans de chevalerie si prisés par l’aristocratie, tourne en ridicule les croisades, les guerres de la noblesse, la domination de l’aristocratie.

Ainsi, le peuple trouve dans le rire un remède à son infortune, une revanche toute symbolique sur les classes dominantes. Au fil des pages, par flash-back successifs, Glucksmann retrace la longue histoire d’une France qui aime la liberté, la révolte, les influences étrangères, l’indifférence religieuse, l’égalité et qui progresse peu à peu vers le régime républicain que nous connaissons : l’histoire de la France qu’on aime et que détestent en fait ceux qui s’en réclament avec le plus de clameurs.»

Quand on fait des recherches sur le roman de renart sur Internet, on trouve finalement beaucoup de pages qui l’évoque. Par exemple  <Cette page qui à la fois l’analyse et en cite des extraits>

<Mais le site le plus savant et le plus beau est celui de la BNF, sur lequel vous pourrez feuilleter un livre magnifique faits d’enluminure>

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Vendredi 30 septembre 2016

Vendredi 30 septembre 2016
«Avant cela, avant qu’il ne faille quitter cette vie pour nous fondre dans l’autre, nous sommes responsables de notre destinée.
Je ne serai pas accusée de m’être dérobée.»
Leonora Miano, Crépuscule du tourment
Voici ce premier paragraphe :
« On étouffe comme avant l’orage. Il approche, prend son temps, strie le ciel d’éclairs soudains et espacés, lance sur nos existences d’indéchiffrables imprécations. J’en ai vu d’autres. Le tonnerre s’apprête en coulisse, on l’entend qui prépare ses grondements pour tout à l’heure, ce ne sont encore que des roulements sourds. La Mère du monde doit faire, en cet instant, quelques discrets gargarismes. Sous peu, sa voix se fera puissante, mais qui saura en décrypter les arrêts ? On a beau écouter, on n’entend que ce qui est au fond de soi. Le temps viendra, pour que la divinité révèle la vérité, approuve ou non notre conduite sur la terre des vivants. Avant cela, avant qu’il ne faille quitter cette vie pour nous fondre dans l’autre, nous sommes responsables de notre destinée. Je ne serai pas accusée de m’être dérobée.»
Léonora Miano est une écrivaine de langue française franco camerounaise. Elle a été invitée à France Inter par Patrick Cohen le 23 septembre 2016.
Pour comprendre le choix de ce mot du jour, il faut que je parle un peu de moi.
Je suis très sensible aux sons, aux timbres. J’aime le beau son, l’orchestre philharmonique de Berlin avec Karajan délivrait une pâte sonore  qui immédiatement enclenchait dans mon corps des réactions émotionnelles.
La voix humaine se trouve pour moi dans ce même registre. Joan Baez ou Jean Ferrat pour quitter le monde de la musique classique possèdent de ces voix qui ouvrent immédiatement l’attention auditive.
Et puis il y a la voix même sans musique.
Marie-France Pisier, qui nous a, hélas, quitté en avril 2011, était une écrivaine, une actrice merveilleuse, une personne lumineuse et c’était une voix !
Et ce matin du 23 septembre 2016, quand Leonora Miano a simplement répondu «bonjour» à Patrick Cohen, mon attention auditive bienveillante a été immédiatement captée.
Très bien Alain… Mais on peut avoir une merveilleuse voix et dire des choses très banales, stupides voire répugnantes.
Evidemment, mais une fois entré dans l’attention par la grâce du son, j’ai écouté ce que disait cette voix grave, douce, chaleureuse et enveloppante : et c’était très intelligent, rempli d’expériences critiques et positives.
Et puis Augustin Trapenard a invité en fin d’émission Leonora Miano à lire le début de son <dernier livre : Crépuscule du tourment> paru en août 2016.  Et cette lecture m’a touché et c’est pourquoi j’ai partagé cet extrait avec vous.
Née au Cameroun, elle explique qu’il existe une sorte de déification de l’Occident [au sein des élites africaines] ce qui les a poussées à ne pas transmettre la culture ancestrale africaine à leurs enfants. Ce qui n’est jamais positif car cette rupture coupe les individus de leurs racines tellement importantes dans la construction de l’être.
Elle a refusé d’aller au lycée français en 6e, car elle avait vu des jeunes y aller et « les a vu changer ». On comprend : « pas dans le bon sens ». J’ai cru comprendre qu’ils devenaient prétentieux et méprisants à l’égard de celles et ceux qui n’avaient pas le même parcours.
Elle a pris la nationalité française parce que sa fille était française et que cette démarche simplifiait beaucoup sa vie administrative. Au début, elle ne se sentait pas française de cœur, mais au fur à mesure de sa vie en France son attachement à la France s’est peu à peu construit. Quelquefois sur des détails, elle avoue ne pas pouvoir se passer du « Comté » et plus généralement des fromages français.
Mais son identité, elle la dit « frontalière, je me tiens là où les mondes se rencontrent en permanence »
Et elle affirme :
« Être français, c’est vouloir participer au projet ‘France’, ce qu’on va en faire, gaulois ou pas. La France est encore un projet, nous ne sommes pas encore en pleine époque de fraternité et d’égalité. La France est avant tout un projet qu’il faut faire passer de la virtualité à la réalité : faut bosser »
 
<J’ai trouvé cet article très intéressant de 2012 : Léonora Maino un auteur qui dérange> où elle évoquait l’intention de quitter la France, mais selon l’émission de France Inter ce n’est plus le cas. Dans cet article, est évoqué une de ses quêtes : travailler sur les non-dits.
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Lundi 26 septembre 2016

Lundi 26 septembre 2016
« Je ne viens pas prêcher la tolérance. »
Mirabeau
La réflexion de Régis Debray que j’ai tenté de synthétiser la semaine dernière sur la croyance, le sacré et le monothéisme me semble particulièrement riche et féconde. Et il faut constater que s’il aborde tous ces sujets avec une pensée et une démarche scientifique de l’agnostique qu’il est, il reste très empathique avec la croyance, le sacré et même Dieu. Dans la conclusion de sa quatrième émission, celle consacrée à Dieu, il récuse ceux qui voudraient faire du Dieu monothéiste un bouc émissaire et lui faire porter la responsabilité de nos malheurs actuels. A tout prendre, il pense même que le Dieu monothéiste est une solution bien meilleure que les autres religions que l’Homme a inventé pour essayer de le remplacer.
Et que dire de la religion de l’argent ? Devenir milliardaire semble être l’objectif de vie de certains. Cette quête permet-elle de faire vivre les hommes ensemble ? Permet-elle de créer le « Nous » indispensable à cimenter une société humaine ?
Pour finir, provisoirement, cette réflexion sur le religieux, je voudrai encore partager avec vous ce développement de Régis Debray sur la tolérance qu’il a mené dans l’émission sur la laïcité.
Car, dans ce domaine de la cohabitation des croyances concurrentes, la tolérance me paraissait une valeur positive à encourager.
Tel n’est pas l’avis de Mirabeau, ni de Debray qui en appelle au premier :  
« La laïcité n’est pas non plus la tolérance. La tolérance est un mot que Mirabeau jugeait injurieux.
Pourquoi ?
Parce que la tolérance c’est de l’indulgence. C’est une indulgence propre à l’ancien régime. C’est la condescendance d’un supérieur qui lève un interdit parce que cela lui parait bon ou qui octroie l’impunité à un inférieur.
Disons, le maître tolère, le maître souffre la différence d’un obligé qui n’est pas son égal, il le fait mais il pourrait ne pas le faire. Ainsi de l’Edit de tolérance du 29 novembre 1787 qui fut une concession de Sa Majesté à l’égard de la minorité protestante.
Un droit n’est pas concédé, il est reconnu.
Et la tolérance est à la laïcité ce que la charité est à la justice »
Oui, la sécurité sociale, les allocations chômage, les pensions d’invalidité sont chez nous des droits, non de la charité. La dérégulation générale, et si nous n’arrivons pas à stabiliser notre Etat social conduira très probablement à diminuer les droits et redonner beaucoup de place à la charité, autrement dit au bon vouloir des riches.
Régis Debray fait une juste comparaison avec « la tolérance face à la laïcité ».
Et vous trouverez le propos de Mirabeau page 166 dans ce livre « Chefs-d’œuvre oratoires de Mirabeau » qui a été numérisé par notre « ami Google » et dont je cite l’extrait complet :
« Je ne viens pas prêcher la tolérance. La liberté la plus illimitée de religion est à mes yeux un droit si sacré, que le mot tolérance, qui voudrait l’exprimer, me paraît en quelque sorte tyrannique lui-même ; puisque l’existence de l’autorité qui a le pouvoir de tolérer attente à la liberté de penser, par cela même qu’elle tolère, et qu’ainsi elle pourrait ne pas tolérer. »
Vous trouverez le travail de notre ami <ICI>

Vendredi 23 septembre 2016

Vendredi 23 septembre 2016
«Laïcité
Le cadre laïc se donne les moyens de faire coexister sur un même territoire des individus qui ne partagent pas les mêmes convictions, au lieu de les juxtaposer dans une mosaïque de communautés fermées sur elles-mêmes et mutuellement exclusives »
André Philip à l’Assemblée constituante de 1945

D’abord une petite anecdote, quand je vais à mon travail le matin et que je prends le bus C25, j’emprunte la rue André Philip, car il fut député du Rhône et résistant. En outre, Le maire de mon arrondissement, le 3ème de Lyon, est Thierry Philip qui est le petit-fils de cet homme qui était d’origine protestante.

Régis Debray affirme que ce propos qu’André Philip a tenu à la Tribune de l’Assemblée Nationale en 1945, constitue la définition la plus sobre et la plus exacte du terme de laïcité dont il est beaucoup question ces temps-ci.

Car la laïcité ne fait pas l’objet d’une définition explicite dans nos textes fondamentaux. Notamment la loi de 1905, de la séparation de L’Église et de l’État, ne la définit pas et même le mot de laïcité n’y figure pas, pas plus que celui de religion remplacé par le mot de culte.

La laïcité est une « originalité française » affirme Régis Debray.

Et il introduit ce sujet de cette manière :

« Qu’avons-nous donc en commun, vous et moi ? à part le français pour s’exprimer et dans le meilleur des cas des papiers en règle dans la poche. Qu’est ce qui relie 60 millions de nombrils juxtaposés dans un même hexagone ? Qu’est ce qui peut, en cas de crise, empêcher un espace de solidarité de voler en éclat ? Comme cela se voit en ce moment même dans une dizaine de pays. Avec la centrifugeuse du tout à l’ego et les réclamations communautaires, c’est une question qu’on commence à se poser dans la France du chacun chez soi.

Nous cherchons tous un principe symphonique capable de faire un « Nous ». C’est d’ailleurs le cas de tous les agrégats humains, tant qu’ils rechignent à se désagréger. Oui ! L’unité d’un mille-feuille, c’est cela l’exploit à recommencer chaque jour et partout. […] faire d’une multitude de populations, un peuple […]. [La devise des Etats-Unis] résume cela très bien : « E pluribus, Unum » c’est-à-dire « Faire de plusieurs, Un » »

<Wikipedia>, nous apprend que cette devise empruntée à un poème attribué à Virgile fut considérée comme la devise des États-Unis jusqu’en 1956 quand le Congrès des États-Unis passa une loi (H.J. Resolution 396) adoptant « In God We Trust » (« En Dieu nous croyons ») comme devise officielle. Il me semble que cette évolution, qu’on pourrait qualifier de théocratisation des USA, est loin d’être neutre et explique beaucoup de malentendus ou d’incompréhensions entre les Etats-Uniens et les Français.

Mais pour revenir au propos introductif de Régis Debray, il pose cette question : « La question préalable qu’on pourrait poser aux 193 États réunis aux Nations-Unies : Comment faites-vous chez vous ? »

Et il ajoute pour la France : « la manière d’y répondre a un nom : laïcité »

Je ne doute pas que le texte de la  constitution de 1958 constitue un de vos livres de chevet.

Toutefois, je me permets de vous en rappeler l’article 1 :

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »

Ce mot ne figure pas dans la constitution fédérale américaine, ni la constitution fédérale allemande, ni dans aucune constitution d’un Etat européen. C’est Régis Debray qui l’affirme.

Dans les autres pays

« Ce que professe, l’état de Droit des pays occidentaux ordinaires c’est la liberté de croyance. [Ce qui est fort différent]. Cela n’exclut pas qu’une religion puisse être une religion d’Etat à condition qu’elle ne constitue pas une atteinte aux droits des autres citoyens qui n’adhèrent pas à cette religion.

En Allemagne, par exemple, l’Etat recouvre le denier du culte par l’impôt. En Grande Bretagne, le chef de l’Etat, aujourd’hui la Reine est le chef spirituel de l’Eglise anglicane, depuis Henry VIII. L’Eglise orthodoxe est reconnue comme religion principale en Grèce. En Italie où le blasphème (Comme en Grande-Bretagne) continue à constituer un délit, les crucifix ornent toujours les salles de classe et les salles des tribunaux.

On comprend, dès lors, que notre pays offre à tous les fous de Dieu une cible de choix. »

Notre pays n’est pas en odeur de sainteté, auprès de ses propres homologues.

[Ainsi] la France est dans un statut d’accusé dans une liste de 28 États où la liberté de conviction est dite maltraitée ou minorée.

C’est dans un rapport de l’ONU de 2004 traitant de la liberté de religion dans le monde.

Voici un article qui parle de ce rapport à l’égard de la France. <Ici> vous trouverez ce rapport dans son intégralité.

Régis Debray explique que « [dans notre pays] le contrôle et la répression des sectes et le fait de ne pas donner des droits particuliers à des minorités sont tenus aux Etats-Unis pour des atteintes aux droits humains. D’ailleurs le mot « secte » est tenu chez nous pour un terme péjoratif, ce qu’il n’est pas du tout dans le monde anglo-saxon. »

On se souvient que les autorités américaines s’étaient notamment émues, du « mauvais traitement » que la France infligeait à l’Eglise de la Scientologie.

Mais pour cette « secte » en particulier qui compte parmi ses rangs John Travolta, Tom Cruise, Chick Correa, la France n’est, pour une fois pas seule, et par exemple l’administration de Bill Clinton est intervenue auprès du gouvernement d’Helmut Kohl pour défendre cette organisation qui lui semblait malmenée en Allemagne. 

Même le droit européen sous hégémonie anglo-saxonne et en particulier les derniers arrêts de la Cour Européenne des droits de l’homme mettent la France en difficulté par la création de ce nouveau concept  « la libre jouissance des droits à la liberté religieuse ».

La définition et la traduction de la laïcité française, pose beaucoup de soucis dans quasi toutes les langues du monde.

Originellement le laïc s’oppose au clerc.

Le droit canon de 1983 de l’Église catholique définit précisément ces deux catégories (canon 207 §1) :

« il y a dans l’Église, parmi les fidèles, les ministres sacrés qui en droit sont aussi appelés clercs, et les autres qui sont aussi appelés laïcs. ».

Le laïc est donc, au sens catholique, un croyant mais qui n’a pas été consacré dans un ministère et qui dès lors n’a pas, en principe, le droit d’administrer un sacrement de l’Eglise ou de tenir la messe.

C’est donc, comme le dit Debray, un contre-sens de faire de la laïcité un outil contre les religions :

« La confusion la plus navrante qui sévit dans le monde arabo musulman, c’est la traduction de « laïc » par « sans religion » ce qui dans ce monde est une insulte. C’est un lamentable contre-sens. [D’ailleurs] la laïcité qui fut créée par la 3ème République fut en grande partie l’œuvre de croyants protestants. […] La laïcité n’est pas un athéisme soft, elle n’est pas un parti pris anti religieux. »

C’est à ce stade qu’il en vient à l’intervention orale d’André Philip à l’Assemblée constituante de 1945 :

« Le cadre laïc se donne les moyens de faire coexister sur un même territoire des individus qui ne partagent pas les mêmes convictions au lieu de les juxtaposer dans une mosaïque de communautés fermées sur elles-mêmes et mutuellement exclusives ».

Pour Debray : Tout est dit.

D’abord, un cadre qui peut se remplir comme on veut, par la sagesse et la spiritualité que l’on souhaite.

Ensuite un territoire, c’est-à-dire un ancrage territorial, une nation.

Nous n’avons pas affaire à une morale atmosphérique mais à un cadre juridique.

La coexistence qui évite la juxtaposition d’une mosaïque de communautés fermées sur elles-mêmes et qui risquent ainsi de se haïr les unes les autres.

Et il ajoute :

« La laïcité est un cadre de coexistence qui ne prétend pas au statut d’idéologie. La laïcité met la transcendance en autogestion, elle donne à chacun la liberté de remplir le cadre comme il l’entend tant qu’il respecte la règle du jeu.

Quand on a une foi, on a une conviction et une conviction ce n’est pas une opinion ! On ne prend pas le mors aux dents pour une opinion, il nous arrive d’en changer [d’opinion] et même d’en rigoler de bon cœur. […] Nous avons des colères mais elles sont courtes. […] Une opinion, ça ne se blesse pas et ça ne crie pas vengeance.

Mais il y a en Europe, des minorités et à nos frontières des peuples entiers quoi n’ont pas des opinions mais des convictions. […]

Une Foi religieuse cela engage le corps et l’esprit. Et certains croyants sont même capables de donner leur vie pour ce qu’ils croient être leur cause.

Et ceci pose un grand problème de coexistence, parce qu’il n’est jamais facile de vivre quand on a une conviction, au milieu de gens qui ont en d’autres, non moins fortes et susceptibles que les vôtres.

Et c’est encore plus difficile de faire cohabiter des « je m’enfoutiste » et des illuminés, des gens à sang froid et des gens à sang chaud. »

Et comme le fait remarquer le philosophe, l’accélération des migrations et des mélanges de population que nous vivons augmente encore la tendance naturelle de tout le monde animal, dont fait partie le genre humain, du rejet viscéral du dissemblable.

Mais le philosophe est vigilant est nous met en garde :

« Notre laïcité est un chef d’œuvre en péril qui non seulement doit faire face à l’isolement international mais aussi à des menaces à l’intérieur de notre pays. »

Pour la menace intérieure, il parle d’une triple crise d’autorité : 1/ le Vrai, 2/ l’Etat, 3/ L’Ecrit.

D’abord le Vrai :

« L’unité du peuple humain a pour preuve, pour garantie, l’universalité du savoir : Il n’y a pas de mathématiques luthériennes, il n’y a pas de physique hindouiste ou de chimie coranique. Or, le Savoir cela ne se transmet pas par des gènes ou par des prières. Cela se transmet par un enseignement. La république laïque, elle est enseignante ou elle n’est pas. Son pivot c’est l’Ecole. […] Les convictions sont particulières et la règle de trois, elle est universelle. [Et il faut que l’on sache séparer l’un et l’autre, que la création de l’univers en 7 jours ou l’infériorité congénitale de la femme n’aient pas le même statut que le raisonnement scientifique] »

L’apprentissage de la Raison rend l’individu libre des opinions, les siennes propres comme celle des autres. Mais probablement à cause d’Hiroshima et d’autres fractures de notre monde technologique, la confiance en la science et dans le progrès a reculé. […] Ainsi un ami de Régis Debray, professeur de SVT qui expliquait la formation de la croûte terrestre a vu au fond de sa classe, une main se lever pour lui dire que si telle était son opinion à lui (au professeur) et il en était libre, lui élève il en a une autre parce qu’il la tient de l’imam de son quartier…

Et Régis Debray de conclure :

« Quand le socle du savoir tremble, l’idée républicaine n’est plus sûre de ses bases ».

Je résumerai plus rapidement les deux autres facteurs d’inquiétude.

 

L’Etat : Le désarmement de la puissance publique par rapport à la privatisation du Monde. Toutes les mesures de laïcisation ont été le fruit d’une volonté politique, c’est-à-dire d’en haut vers le bas. De l’Etat vers la société. Ce fut le cas de la 3ème République en France, de l’Etat Kemaliste en Turquie ou de la volonté politique de Bourguiba en Tunisie. 

Encore faut-il un Etat, ajoute t’il et d’expliquer que l’Etat a perdu peu à peu de sa consistance.

 

Enfin l’écrit. Aujourd’hui nous sommes entrés dans le monde des écrans.

Or l’écran préfère l’image à l’écrit.

Et l’image appelle davantage à l’émotion qu’à la réflexion, au court terme qu’au long terme qui s’inscrit dans l’écrit.

Or la laïcité s’inscrit dans la durée.

Et il ajoute « La partie n’est pas perdue mais il faut attacher sa ceinture parce que ça va secouer »

Et en conclusion, il se permet un avertissement :

« La laïcité n’est pas le laïcisme. La laïcité ne cherche pas à neutraliser, à aseptiser la société en la nettoyant de toute trace de religiosité.
Ce serait totalitaire et parfaitement idiot. [..]
Le religieux ce n’est pas le spirituel. Le spirituel cela concerne la vie intérieure. […]
Le religieux ça se professe en dehors et en public. Cela crée des processions, des associations, des journaux.
Le religieux c’est même fait pour cela, pour arborer des signes extérieurs d’appartenance.
Ne faisons pas de notre laïcité une anti-religion pour ceux qui n’ont en pas, dans le sens « ôte toi de là que je m’y mette ». Soyons plus modeste.

Il ne faut pas demander à la laïcité, ce qu’elle ne peut nous donner […]

La laïcité est une construction juridique et une législation ne donne pas un sentiment d’appartenance, d’entraide mutuelle et de fierté collective.

La laïcité ne répond pas aux questions fondamentales : d’où venons-nous, où allons-nous ? […]

La laïcité ne peut pas remplacer la religion sinon elle devrait devenir elle-même une religion.

Et si elle devenait une religion, elle ne serait plus ce qu’elle est : elle serait la religion de certains contre d’autres et non pas un cadre de coexistence de plusieurs valeurs, simplement une valeur parmi d’autres. »

Oui la laïcité n’a rien de comparable avec la religion, elle ne saurait prétendre à ce rang qu’en se reniant elle-même.

Je trouve la réflexion de Régis Debray sur ce sujet de laïcité encore, s’il est possible, plus accomplie que sur les autres sujets abordés cette semaine.

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