Les vacances constituent un moment privilégié pour lire des livres, c’est ce que j’ai fait.
Je ne lis quasi jamais le prix Goncourt de l’année, tant il est vrai que cette récompense me parait, avant tout, une opération marketing dans laquelle les manœuvres des maisons d’édition dans les salons parisiens constituent le principal moteur.
Je n’ai fait que deux exceptions.
La première fut, lors de ma longue hospitalisation en 2011, « L’Art français de la guerre » d’Alexis Jenni. Il y avait des circonstances particulières. Parmi celles-ci il y avait le fait que j’ai rencontré Alexis Jenni à plusieurs reprises parce qu’il était le professeur de biologie de mon fils Alexis au Lycée Saint Marc de Lyon. Une autre raison « plus intellectuelle » était que le sujet abordé m’intéressait particulièrement, à savoir les traumatismes français des guerres coloniales perdues en Indochine et en Algérie ainsi que les conséquences dans la société française, de ces évènements.
La seconde a eu lieu lors de ces vacances, j’ai lu le prix Goncourt 2018. « Leurs enfants après eux » de Nicolas Matthieu.
Ce roman est encore un récit des conséquences sur la société française d’un traumatisme : la désindustrialisation de régions françaises dans lesquelles la société s’était construite dans ses valeurs, dans son organisation, dans sa socialisation, autour de ces industries.
Nicolas Matthieu est né en 1978 en Lorraine, dans le département des Vosges, à Épinal.
Il a commencé à faire des études d’histoire et de cinéma puis a exercé une multitude de métiers : scénariste, stagiaire dans l’audiovisuel, rédacteur dans une société de reporting, professeur à domicile, contractuel à la Mairie de Paris….
Et puis, il a commencé à écrire.
En 2014, il a publié son premier roman, « Aux animaux la guerre » qui avait déjà reçu un certain nombre de prix littéraire, moins prestigieux que le Prix Goncourt.
Ce premier roman se passait déjà dans sa région natale et concernait les conséquences sur les salariés et leurs familles de la fermeture d’une usine, dans un lieu sinistré économiquement.
Ce roman a été adapté dans une série télévisée française en six épisodes de 52 minutes, diffusée du 15 au 29 novembre 2018 sur France 3. Nicolas Mathieu avait participé à l’adaptation de son roman pour cette série ayant un titre homonyme : « Aux animaux la guerre ».
Mon premier contact avec cet auteur et le livre qui fait l’objet du mot du jour, a été lors de son entretien sur France Inter le 8 novembre 2018 : « J’ai eu l’impression d’assister en direct à la chute de la classe ouvrière »
Il parlait d’un monde que je connaissais et qui m’était familier : celui de familles qui ont vécu (mal vécu) la fin du monde industriel dans lequel ils connaissaient les règles, leur place, leur environnement et maîtrisaient les liens sociaux.
Dans cet entretien, il dit :
« Je suis né dans ces régions-là. Mon père était ouvrier. J’ai assisté aux plans sociaux. J’ai eu l’impression d’assister en direct à la chute de la classe ouvrière. »
Mais son livre s’intéresse surtout aux enfants des ouvriers qui ont connu cette rupture.
Le lendemain, il a été l’invité d’Olivia Gesbert dans « la Grande Table du 9 novembre ». Il a eu cette autre réflexion :
« Ce qui est décrit dans le roman, c’est une petite vallée où un monde est en train de s’achever. […] [Mais] ce n’est jamais la fin du monde à la fin d’un monde, c’est toujours l’émergence de quelque chose de nouveau. »
Après ces deux émissions, j’ai décidé d’acheter et de lire ce Prix Goncourt là.
Son roman se passe dans une vallée perdue quelque part dans une ville de l’Est avec des hauts-fourneaux qui ne brûlent plus, de rouille, de chômage et dans laquelle se trouve un lac.
Il donne un nom imaginaire à cette ville : « Heillange » dans la « vallée de la Hennenote » en Moselle. Mais tout le monde reconnait dans cette ville imaginaire la ville réelle de Hayange et la vallée de la Fensch.
Dans ma Lorraine et Moselle natale, il y avait deux bassins d’emplois miniers : celui du charbon autour des villes de Forbach et de Freyming-Merlebach et celui du fer dont parle Nicolas Matthieu et dont Hayange est un exemple. Ces deux bassins industriels ont été touchés de la même manière par la fermeture brutale des usines qui structuraient la vie sociale, économique et simplement la vie des gens qui y demeuraient.
Le titre est tiré d’une citation que l’auteur a mise en exergue du roman :
« Il en est dont il n’y a plus de souvenir,
Ils ont péri comme s’ils n’avaient jamais existé ;
Ils sont devenus comme s’ils n’étaient jamais nés,
Et, de même, leurs enfants après eux. »
Et il donne la source de la citation : Siracide ; 44,9.
Il s’agit, en fait, d’un livre apocryphe de l’Ancien Testament, « le livre de Jésus, fils de Sirach » qu’on nomme aussi « Siracide », « l’Ecclésiastique » ou encore « La Sagesse de Ben Sira, »
Comme le décrit cet exergue, ces gens ont vécu ce traumatisme comme une négation de leur existence, touchés dans leur chair et leur esprit avec ce sentiment qu’ils ne servaient à rien.
Comme je l’ai écrit et le titre le suggère, le roman parle surtout des enfants de ces gens.
Le livre s’articule en quatre moments chronologiques : 1992, 1994, 1996, 1998
Il est question d’adolescents : Anthony, « son cousin » qui ne sera jamais désigné autrement et Hacine qui habite un autre quartier de la ville et qui est d’origine maghrébine. On apprendra plus tard que les pères d’Anthony et Hacine travaillaient ensemble à l’usine.
Les garçons sont attirés par les filles et par l’appel de la libido. Deux filles joueront aussi un grand rôle dans le roman : Steph et sa copine Clem qui elles aussi sont dans le désir et la découverte des relations sexuelles mais issues d’un milieu social plus élevé. Il y a d’autres personnages qui tissent des liens d’attirance, de domination, de méfiance et d’affrontement. Il est aussi beaucoup question d’ennui.
Au cœur de l’histoire, il y a l’affrontement d’Anthony et d’Hacine et de leurs familles autour d’une histoire de moto volé puis détruite.
Mais c’est bien la situation sociale provoquée par la fermeture des hauts fourneaux qui trace le ressort du désœuvrement, de l’amertume et des frustrations des personnages qui cohabitent, s’affrontent et se détruisent.
C’est un roman fort et qui permet de percevoir ce que produit ce moment de rupture quand le travail à l’usine s’est arrêté.
C’est un roman à lire, pour comprendre au-delà des chiffres et des statistiques la réalité de la vie et des ressentis des gens touchés par ces évènements.
<Le Masque et la Plume> l’avait aussi chaudement recommandé.
Toutefois, dans cette émission Patricia Martin a cette réserve :
« On se retrouve face à des adolescents d’un autre siècle car c’était avant le portable…
Ce livre, à la fois montre l’explosion de l’adolescence et il est en même temps une restitution très précise d’un monde.
Le seul bémol c’est que selon moi un roman doit avoir un effet hypnotique, ce doit être un lieu de plaisir, une niche… là j’ai eu du mal à dépasser les 70 premières pages. Il y a vraiment des longueurs…
Je dirais aussi que les dialogues entre les adolescents ne m’ont pas du tout emballé, ça ne fonctionne pas du tout selon moi. »
Je la cite parce que j’ai aussi eu le sentiment que la langue et l’écriture n’était pas le point fort de cet ouvrage.
Je n’ai pas été subjugué comme par exemple lors de la lecture du livre d’Arundhati Roy « Le Dieu des Petits Riens »
Nicolas Matthieu écrit et dit cependant des choses très intéressantes comme lors de cette émission de <Répliques> dans laquelle il était invité avec Maria Pourchet auteure de « Toutes les femmes sauf une » qui raconte le combat des femmes, de génération en génération, dans un monde qui les respecte peu et où elles sont assignées à la maternité.
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