Jeudi 17 novembre 2016

Jeudi 17 novembre 2016
«L’islam des lumières»
Malek Chebel

Malek Chebel était un musulman à la voix douce qui donnait une belle image de l’Islam, il vient de mourir à 63 ans, le 12 novembre 2016.

Il avait écrit notamment <Manifeste pour un islam des lumières>.

Il s’était aussi illustré pour écrire sur la sexualité dans le monde de l’Islam. En 2006, il publiait ainsi « le Kama sutra arabe » et il déclarait dans un entretien :

« J’ai pris le parti de chercher la lumière dans le monde arabe. Je suis tenu par un souci de vérité et je veux m’approcher au plus près possible de ce que je pense être cette vérité»

Sur ma tablette, je dispose de sa traduction moderne du Coran.

Le Figaro Magazine avait publié une interview qu’il avait accordée en septembre dernier.

FIGAROVOX. – Vous vous battez pour un «islam des Lumières». Quelles seraient selon vous les conditions de cet islam compatible avec la modernité? Que faudrait-il faire pour «réformer l’islam de France»?

MALEK CHEBEL. – En effet, depuis trente ans, je cherche à mettre en place ce que j’appelle l’«islam des Lumières» inspiré des Lumières occidentales, et dont la liberté de conscience, l’émergence de l’individu, la raison et l’égalité stricte de droits entre hommes et femmes sont les prérequis. Cet islam des Lumières est d’abord un islam de paix, principale garantie de son succès.

Comment le promouvoir?

 Il nous faut mettre en place au profit de la France exclusivement un grand imam de France avec les attributs et/ou prérogatives suivantes :

– Être Français ;
– Être francophone ;
– Avoir suivi une formation théologique (entre la licence et le master, ou plus, si besoin est);
– Être laïc;
– Ne faire allégeance à aucune instance religieuse exogène;
– Être élu sur la base d’un programme défendu devant le plus grand nombre de musulmans français sans exclusive de sexe, d’âge ou d’origine.
Une commission indépendante se chargerait au nom de la République de donner un avis consultatif (ou de validation) pour que les musulmans trouvent le chemin du dialogue et de l’apaisement entre eux et avec les autres composantes de la nation. […]

L’islam traditionnel n’est-il pas en train de perdre la bataille au sein de l’orthodoxie sunnite, au profit d’une lecture littéraliste du Coran ?

Oui, en effet, l’islam apolitique de nos grands-parents et de nos parents a perdu la partie face à l’islam idéologisé des années 1980, puis 1990, puis 2000. Le changement structurel de génération – combien de jeunes qui «posent» problème ont moins de 30 ans actuellement? – a été un bouleversement dont les conséquences sont encore visibles aujourd’hui. Il s’agit d’un séisme profond, avec son immense faille autour de la cité. Depuis deux décennies, le combat était piloté par les fondamentalismes religieux, non seulement extérieurs à l’Hexagone, mais encore au sein même des associations périphériques. Combien de jeunes encadreurs dans le périurbain ont cherché vainement à tirer la sonnette d’alarme ? […]

Que répondez-vous à ceux qui considèrent l’islam comme une religion intrinsèquement violente et hégémonique ?

Il y a au moins deux types d’islam, l’un violent, l’autre non. L’un est inscrit dans une longue durée. Il est vain d’en nier la dimension expansionniste et donc la violence. Cela commence par l’épopée dite arabe qui a porté le sabre jusqu’en Andalousie. Et je ne suis pas de ceux qui se voilent la face, les liens de cet islam violent avec le Califat et les chefs de l’EI sont publiquement affirmés. L’EI se réclame sans aucune ambiguïté de cet islam violent. Peu de musulmans normalement constitués l’aiment vraiment, ils l’exècrent sans ambages, et hors la peur viscérale qu’ils ruminent intérieurement, le déclameraient entre nation et République.

L’islam aujourd’hui, fait peur à nombre de Français. Comprenez-vous cette peur? Comment la désamorcer?

Cet islam fait peur à tous les Français, individuellement et massivement, car outre qu’il est foncièrement létal, il est aveugle et frappe sans discernement. À l’inverse, ce que les musulmans refusent d’admettre, c’est de considérer cette religion comme exclusivement violente, et la seule à en être «affectée». À cet effet, l’autocritique papale peut les soutenir. Enfin, pour désamorcer la peur, il faut la verser dans le grand chaudron national, en faire un travail d’appropriation national, le récit d’une tension à gérer mutuellement, tenir des forums, les animer sans les arrimer au chiffre trompeur d’une déradicalisation qui, hélas, n’a pas tenu ses promesses. Là encore, une autorité centrale de l’islam peut, avec le charisme de sa fonction, appeler au refus net et radical de la violence au nom d’Allah, ce Dieu qui est «beau et qui aime la beauté» (j’en ai fait le titre de mon dernier ouvrage), au dire même du Prophète ! »

Vous pourrez lire le reste de cette interview derrière ce <lien>.

Après ces trop nombreux mots sur Donald Trump, il fallait revenir à un homme qui portait haut les valeurs des lumières.

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Lundi 26 septembre 2016

Lundi 26 septembre 2016
« Je ne viens pas prêcher la tolérance. »
Mirabeau
La réflexion de Régis Debray que j’ai tenté de synthétiser la semaine dernière sur la croyance, le sacré et le monothéisme me semble particulièrement riche et féconde. Et il faut constater que s’il aborde tous ces sujets avec une pensée et une démarche scientifique de l’agnostique qu’il est, il reste très empathique avec la croyance, le sacré et même Dieu. Dans la conclusion de sa quatrième émission, celle consacrée à Dieu, il récuse ceux qui voudraient faire du Dieu monothéiste un bouc émissaire et lui faire porter la responsabilité de nos malheurs actuels. A tout prendre, il pense même que le Dieu monothéiste est une solution bien meilleure que les autres religions que l’Homme a inventé pour essayer de le remplacer.
Et que dire de la religion de l’argent ? Devenir milliardaire semble être l’objectif de vie de certains. Cette quête permet-elle de faire vivre les hommes ensemble ? Permet-elle de créer le « Nous » indispensable à cimenter une société humaine ?
Pour finir, provisoirement, cette réflexion sur le religieux, je voudrai encore partager avec vous ce développement de Régis Debray sur la tolérance qu’il a mené dans l’émission sur la laïcité.
Car, dans ce domaine de la cohabitation des croyances concurrentes, la tolérance me paraissait une valeur positive à encourager.
Tel n’est pas l’avis de Mirabeau, ni de Debray qui en appelle au premier :  
« La laïcité n’est pas non plus la tolérance. La tolérance est un mot que Mirabeau jugeait injurieux.
Pourquoi ?
Parce que la tolérance c’est de l’indulgence. C’est une indulgence propre à l’ancien régime. C’est la condescendance d’un supérieur qui lève un interdit parce que cela lui parait bon ou qui octroie l’impunité à un inférieur.
Disons, le maître tolère, le maître souffre la différence d’un obligé qui n’est pas son égal, il le fait mais il pourrait ne pas le faire. Ainsi de l’Edit de tolérance du 29 novembre 1787 qui fut une concession de Sa Majesté à l’égard de la minorité protestante.
Un droit n’est pas concédé, il est reconnu.
Et la tolérance est à la laïcité ce que la charité est à la justice »
Oui, la sécurité sociale, les allocations chômage, les pensions d’invalidité sont chez nous des droits, non de la charité. La dérégulation générale, et si nous n’arrivons pas à stabiliser notre Etat social conduira très probablement à diminuer les droits et redonner beaucoup de place à la charité, autrement dit au bon vouloir des riches.
Régis Debray fait une juste comparaison avec « la tolérance face à la laïcité ».
Et vous trouverez le propos de Mirabeau page 166 dans ce livre « Chefs-d’œuvre oratoires de Mirabeau » qui a été numérisé par notre « ami Google » et dont je cite l’extrait complet :
« Je ne viens pas prêcher la tolérance. La liberté la plus illimitée de religion est à mes yeux un droit si sacré, que le mot tolérance, qui voudrait l’exprimer, me paraît en quelque sorte tyrannique lui-même ; puisque l’existence de l’autorité qui a le pouvoir de tolérer attente à la liberté de penser, par cela même qu’elle tolère, et qu’ainsi elle pourrait ne pas tolérer. »
Vous trouverez le travail de notre ami <ICI>

Vendredi 23 septembre 2016

Vendredi 23 septembre 2016
«Laïcité
Le cadre laïc se donne les moyens de faire coexister sur un même territoire des individus qui ne partagent pas les mêmes convictions, au lieu de les juxtaposer dans une mosaïque de communautés fermées sur elles-mêmes et mutuellement exclusives »
André Philip à l’Assemblée constituante de 1945

D’abord une petite anecdote, quand je vais à mon travail le matin et que je prends le bus C25, j’emprunte la rue André Philip, car il fut député du Rhône et résistant. En outre, Le maire de mon arrondissement, le 3ème de Lyon, est Thierry Philip qui est le petit-fils de cet homme qui était d’origine protestante.

Régis Debray affirme que ce propos qu’André Philip a tenu à la Tribune de l’Assemblée Nationale en 1945, constitue la définition la plus sobre et la plus exacte du terme de laïcité dont il est beaucoup question ces temps-ci.

Car la laïcité ne fait pas l’objet d’une définition explicite dans nos textes fondamentaux. Notamment la loi de 1905, de la séparation de L’Église et de l’État, ne la définit pas et même le mot de laïcité n’y figure pas, pas plus que celui de religion remplacé par le mot de culte.

La laïcité est une « originalité française » affirme Régis Debray.

Et il introduit ce sujet de cette manière :

« Qu’avons-nous donc en commun, vous et moi ? à part le français pour s’exprimer et dans le meilleur des cas des papiers en règle dans la poche. Qu’est ce qui relie 60 millions de nombrils juxtaposés dans un même hexagone ? Qu’est ce qui peut, en cas de crise, empêcher un espace de solidarité de voler en éclat ? Comme cela se voit en ce moment même dans une dizaine de pays. Avec la centrifugeuse du tout à l’ego et les réclamations communautaires, c’est une question qu’on commence à se poser dans la France du chacun chez soi.

Nous cherchons tous un principe symphonique capable de faire un « Nous ». C’est d’ailleurs le cas de tous les agrégats humains, tant qu’ils rechignent à se désagréger. Oui ! L’unité d’un mille-feuille, c’est cela l’exploit à recommencer chaque jour et partout. […] faire d’une multitude de populations, un peuple […]. [La devise des Etats-Unis] résume cela très bien : « E pluribus, Unum » c’est-à-dire « Faire de plusieurs, Un » »

<Wikipedia>, nous apprend que cette devise empruntée à un poème attribué à Virgile fut considérée comme la devise des États-Unis jusqu’en 1956 quand le Congrès des États-Unis passa une loi (H.J. Resolution 396) adoptant « In God We Trust » (« En Dieu nous croyons ») comme devise officielle. Il me semble que cette évolution, qu’on pourrait qualifier de théocratisation des USA, est loin d’être neutre et explique beaucoup de malentendus ou d’incompréhensions entre les Etats-Uniens et les Français.

Mais pour revenir au propos introductif de Régis Debray, il pose cette question : « La question préalable qu’on pourrait poser aux 193 États réunis aux Nations-Unies : Comment faites-vous chez vous ? »

Et il ajoute pour la France : « la manière d’y répondre a un nom : laïcité »

Je ne doute pas que le texte de la  constitution de 1958 constitue un de vos livres de chevet.

Toutefois, je me permets de vous en rappeler l’article 1 :

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »

Ce mot ne figure pas dans la constitution fédérale américaine, ni la constitution fédérale allemande, ni dans aucune constitution d’un Etat européen. C’est Régis Debray qui l’affirme.

Dans les autres pays

« Ce que professe, l’état de Droit des pays occidentaux ordinaires c’est la liberté de croyance. [Ce qui est fort différent]. Cela n’exclut pas qu’une religion puisse être une religion d’Etat à condition qu’elle ne constitue pas une atteinte aux droits des autres citoyens qui n’adhèrent pas à cette religion.

En Allemagne, par exemple, l’Etat recouvre le denier du culte par l’impôt. En Grande Bretagne, le chef de l’Etat, aujourd’hui la Reine est le chef spirituel de l’Eglise anglicane, depuis Henry VIII. L’Eglise orthodoxe est reconnue comme religion principale en Grèce. En Italie où le blasphème (Comme en Grande-Bretagne) continue à constituer un délit, les crucifix ornent toujours les salles de classe et les salles des tribunaux.

On comprend, dès lors, que notre pays offre à tous les fous de Dieu une cible de choix. »

Notre pays n’est pas en odeur de sainteté, auprès de ses propres homologues.

[Ainsi] la France est dans un statut d’accusé dans une liste de 28 États où la liberté de conviction est dite maltraitée ou minorée.

C’est dans un rapport de l’ONU de 2004 traitant de la liberté de religion dans le monde.

Voici un article qui parle de ce rapport à l’égard de la France. <Ici> vous trouverez ce rapport dans son intégralité.

Régis Debray explique que « [dans notre pays] le contrôle et la répression des sectes et le fait de ne pas donner des droits particuliers à des minorités sont tenus aux Etats-Unis pour des atteintes aux droits humains. D’ailleurs le mot « secte » est tenu chez nous pour un terme péjoratif, ce qu’il n’est pas du tout dans le monde anglo-saxon. »

On se souvient que les autorités américaines s’étaient notamment émues, du « mauvais traitement » que la France infligeait à l’Eglise de la Scientologie.

Mais pour cette « secte » en particulier qui compte parmi ses rangs John Travolta, Tom Cruise, Chick Correa, la France n’est, pour une fois pas seule, et par exemple l’administration de Bill Clinton est intervenue auprès du gouvernement d’Helmut Kohl pour défendre cette organisation qui lui semblait malmenée en Allemagne. 

Même le droit européen sous hégémonie anglo-saxonne et en particulier les derniers arrêts de la Cour Européenne des droits de l’homme mettent la France en difficulté par la création de ce nouveau concept  « la libre jouissance des droits à la liberté religieuse ».

La définition et la traduction de la laïcité française, pose beaucoup de soucis dans quasi toutes les langues du monde.

Originellement le laïc s’oppose au clerc.

Le droit canon de 1983 de l’Église catholique définit précisément ces deux catégories (canon 207 §1) :

« il y a dans l’Église, parmi les fidèles, les ministres sacrés qui en droit sont aussi appelés clercs, et les autres qui sont aussi appelés laïcs. ».

Le laïc est donc, au sens catholique, un croyant mais qui n’a pas été consacré dans un ministère et qui dès lors n’a pas, en principe, le droit d’administrer un sacrement de l’Eglise ou de tenir la messe.

C’est donc, comme le dit Debray, un contre-sens de faire de la laïcité un outil contre les religions :

« La confusion la plus navrante qui sévit dans le monde arabo musulman, c’est la traduction de « laïc » par « sans religion » ce qui dans ce monde est une insulte. C’est un lamentable contre-sens. [D’ailleurs] la laïcité qui fut créée par la 3ème République fut en grande partie l’œuvre de croyants protestants. […] La laïcité n’est pas un athéisme soft, elle n’est pas un parti pris anti religieux. »

C’est à ce stade qu’il en vient à l’intervention orale d’André Philip à l’Assemblée constituante de 1945 :

« Le cadre laïc se donne les moyens de faire coexister sur un même territoire des individus qui ne partagent pas les mêmes convictions au lieu de les juxtaposer dans une mosaïque de communautés fermées sur elles-mêmes et mutuellement exclusives ».

Pour Debray : Tout est dit.

D’abord, un cadre qui peut se remplir comme on veut, par la sagesse et la spiritualité que l’on souhaite.

Ensuite un territoire, c’est-à-dire un ancrage territorial, une nation.

Nous n’avons pas affaire à une morale atmosphérique mais à un cadre juridique.

La coexistence qui évite la juxtaposition d’une mosaïque de communautés fermées sur elles-mêmes et qui risquent ainsi de se haïr les unes les autres.

Et il ajoute :

« La laïcité est un cadre de coexistence qui ne prétend pas au statut d’idéologie. La laïcité met la transcendance en autogestion, elle donne à chacun la liberté de remplir le cadre comme il l’entend tant qu’il respecte la règle du jeu.

Quand on a une foi, on a une conviction et une conviction ce n’est pas une opinion ! On ne prend pas le mors aux dents pour une opinion, il nous arrive d’en changer [d’opinion] et même d’en rigoler de bon cœur. […] Nous avons des colères mais elles sont courtes. […] Une opinion, ça ne se blesse pas et ça ne crie pas vengeance.

Mais il y a en Europe, des minorités et à nos frontières des peuples entiers quoi n’ont pas des opinions mais des convictions. […]

Une Foi religieuse cela engage le corps et l’esprit. Et certains croyants sont même capables de donner leur vie pour ce qu’ils croient être leur cause.

Et ceci pose un grand problème de coexistence, parce qu’il n’est jamais facile de vivre quand on a une conviction, au milieu de gens qui ont en d’autres, non moins fortes et susceptibles que les vôtres.

Et c’est encore plus difficile de faire cohabiter des « je m’enfoutiste » et des illuminés, des gens à sang froid et des gens à sang chaud. »

Et comme le fait remarquer le philosophe, l’accélération des migrations et des mélanges de population que nous vivons augmente encore la tendance naturelle de tout le monde animal, dont fait partie le genre humain, du rejet viscéral du dissemblable.

Mais le philosophe est vigilant est nous met en garde :

« Notre laïcité est un chef d’œuvre en péril qui non seulement doit faire face à l’isolement international mais aussi à des menaces à l’intérieur de notre pays. »

Pour la menace intérieure, il parle d’une triple crise d’autorité : 1/ le Vrai, 2/ l’Etat, 3/ L’Ecrit.

D’abord le Vrai :

« L’unité du peuple humain a pour preuve, pour garantie, l’universalité du savoir : Il n’y a pas de mathématiques luthériennes, il n’y a pas de physique hindouiste ou de chimie coranique. Or, le Savoir cela ne se transmet pas par des gènes ou par des prières. Cela se transmet par un enseignement. La république laïque, elle est enseignante ou elle n’est pas. Son pivot c’est l’Ecole. […] Les convictions sont particulières et la règle de trois, elle est universelle. [Et il faut que l’on sache séparer l’un et l’autre, que la création de l’univers en 7 jours ou l’infériorité congénitale de la femme n’aient pas le même statut que le raisonnement scientifique] »

L’apprentissage de la Raison rend l’individu libre des opinions, les siennes propres comme celle des autres. Mais probablement à cause d’Hiroshima et d’autres fractures de notre monde technologique, la confiance en la science et dans le progrès a reculé. […] Ainsi un ami de Régis Debray, professeur de SVT qui expliquait la formation de la croûte terrestre a vu au fond de sa classe, une main se lever pour lui dire que si telle était son opinion à lui (au professeur) et il en était libre, lui élève il en a une autre parce qu’il la tient de l’imam de son quartier…

Et Régis Debray de conclure :

« Quand le socle du savoir tremble, l’idée républicaine n’est plus sûre de ses bases ».

Je résumerai plus rapidement les deux autres facteurs d’inquiétude.

 

L’Etat : Le désarmement de la puissance publique par rapport à la privatisation du Monde. Toutes les mesures de laïcisation ont été le fruit d’une volonté politique, c’est-à-dire d’en haut vers le bas. De l’Etat vers la société. Ce fut le cas de la 3ème République en France, de l’Etat Kemaliste en Turquie ou de la volonté politique de Bourguiba en Tunisie. 

Encore faut-il un Etat, ajoute t’il et d’expliquer que l’Etat a perdu peu à peu de sa consistance.

 

Enfin l’écrit. Aujourd’hui nous sommes entrés dans le monde des écrans.

Or l’écran préfère l’image à l’écrit.

Et l’image appelle davantage à l’émotion qu’à la réflexion, au court terme qu’au long terme qui s’inscrit dans l’écrit.

Or la laïcité s’inscrit dans la durée.

Et il ajoute « La partie n’est pas perdue mais il faut attacher sa ceinture parce que ça va secouer »

Et en conclusion, il se permet un avertissement :

« La laïcité n’est pas le laïcisme. La laïcité ne cherche pas à neutraliser, à aseptiser la société en la nettoyant de toute trace de religiosité.
Ce serait totalitaire et parfaitement idiot. [..]
Le religieux ce n’est pas le spirituel. Le spirituel cela concerne la vie intérieure. […]
Le religieux ça se professe en dehors et en public. Cela crée des processions, des associations, des journaux.
Le religieux c’est même fait pour cela, pour arborer des signes extérieurs d’appartenance.
Ne faisons pas de notre laïcité une anti-religion pour ceux qui n’ont en pas, dans le sens « ôte toi de là que je m’y mette ». Soyons plus modeste.

Il ne faut pas demander à la laïcité, ce qu’elle ne peut nous donner […]

La laïcité est une construction juridique et une législation ne donne pas un sentiment d’appartenance, d’entraide mutuelle et de fierté collective.

La laïcité ne répond pas aux questions fondamentales : d’où venons-nous, où allons-nous ? […]

La laïcité ne peut pas remplacer la religion sinon elle devrait devenir elle-même une religion.

Et si elle devenait une religion, elle ne serait plus ce qu’elle est : elle serait la religion de certains contre d’autres et non pas un cadre de coexistence de plusieurs valeurs, simplement une valeur parmi d’autres. »

Oui la laïcité n’a rien de comparable avec la religion, elle ne saurait prétendre à ce rang qu’en se reniant elle-même.

Je trouve la réflexion de Régis Debray sur ce sujet de laïcité encore, s’il est possible, plus accomplie que sur les autres sujets abordés cette semaine.

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Jeudi 22 septembre 2016

Jeudi 22 septembre 2016
«Dieu
C’est l’Infini qui dit « Moi, je » et qui de surcroit pense à moi.»
Régis Debray

Pour qu’il n’y ait pas d’ambigüité, Régis Debray précise toute de suite que son sujet est précis et délimité, il va parler de « Dieu » avec D majuscule, l’Unique.

Celui qui a émergé dans une région précise : le croissant fertile en Mésopotamie, entre l’Irak et l’Egypte d’aujourd’hui et qui dans le chapitre 3, §6 du livre de l’Exode s’est présenté à Moïse par ces mots :

« Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. »

Celui que les hébreux ont désigné par le tétragramme « YHWH », que les chrétiens ont plutôt appelé « Seigneur » ou « Mon Père » et qui a pour nom arabe et pour les musulmans du monde entier « Allah ». Car il y a bien continuité entre les 3 religions du Livre et qui tous parle de la même entité transcendante, universelle et unique.

Le Dieu du monothéisme ! Alors que Régis Debray précise

« Le terme de monothéisme ne figure pas dans l’Ancien Testament, pas plus que celui de religion dans le nouveau. ».

Et Régis Debray de définir :

« C’est l’Infini qui dit « Moi, je » et qui de surcroit pense à moi. Il allie ces deux qualités a priori incompatibles qui sont la Transcendance et la proximité. D’une part, le Créateur est radicalement supérieur et distinct du monde créé, du monde sensible qui m’entoure mais il m’est possible de l’interpeller, dans un rapport intime de personne à personne. Autrement dit c’est un dehors absolu qui peut me parler du dedans. Il nous entend, nous voit et nous console. Et on peut s’adresser à lui non seulement par un datif cérémonieux : « Deo Gratias », « Merci à Dieu », mais par un vocatif plein de reproches : « Mon Dieu, pourquoi m’as-Tu abandonné ? ». […] Tutoyer l’Absolu un peu rudement, c’est bel et bien une révolution dans l’Histoire de l’esprit…»

Et Régis Debray de nous inviter :

« Alors ouvrons le dossier »

Je vous avoue que cette émission est encore plus compliquée à résumer que les quatre autres, tant le cheminement intellectuel du philosophe sur ce sujet est fécond, imbriqué, large et laisse peu de place à la possibilité de simplement picorer.

Je vous en livre l’introduction :

« Ce Dieu majuscule n’est pas né de rien, ni n’importe où, il a donc une Histoire. Il a une écologie, c’est-à-dire un milieu… Il a une logistique, c’est-à-dire des moyens de transport et il a un medium, c’est-à-dire un support. Il a aussi des problèmes à résoudre, certains d’ordre intellectuel et il a des responsabilités d’ordre historique. L’affaire on le voit n’est pas simple.

L’Historique d’abord ! Car l’Eternel n’a rien d’éternel. Celui qui est entré dans l’Histoire des hommes a lui-même une Histoire toute fraiche. « Dieu » est un « tard venu » dans l’Histoire des entités célestes. L’homo sapiens a environ 100 000 ans d’existence, l’âge des toutes premières sépultures. »

Et il pose cette question et donne cette réponse : « Et Dieu quel âge a-t-il ? 2500 ans ! »

Et il continue

« C’est un  parachuté de dernière minute sur les terres de sapiens sapiens et même sur ceux  du peuple Hébreux. […] Cette tribu fut d’abord, comme tous les autres, polythéistes, puis monolâtre c’est-à-dire avec un Dieu national identitaire qui en tolère d’autres chez les voisins, avant d’embraser la cause d’un Dieu universel à tous les peuples et singulier, ayant conclu une alliance avec le seul peuple hébreux.

Ce Dieu dont nous parlons a émergé entre le 7ème et le 6ème siècle avant notre ère. Entre le règne centralisateur de Josias (-627) et l’exil à Babylone (-587). Sa première apparition incontestable, apparaît dans les derniers chapitres du Livre d’Isaïe dans la Bible, livre écrit après le retour des Judéens captifs à Babylone, après leur libération par le perse Cyrus.

Dieu le père, fut l’enfant d’une catastrophe, d’une catastrophe humiliante qu’a été la destruction du royaume de Juda et du Premier Temple de Jérusalem par Nabuchodonosor en -587.

C’est le fruit d’une grande construction rédactionnelle, d’une rédaction « ex post ante », faite après coup. Une reconstruction littéraire par une élite captive à Babylone et qui a voulu s’expliquer le pourquoi de sa défaite et de sa déportation, en réécrivant tout son passé, en s’inventant à titre rétrospectif un Dieu aussi protecteur que le puissant Dieu babylonien Mardouk, Dieu avec lequel cette élite avait fait alliance. Et c’est pour avoir rompu ce pacte d’alliance qu’est intervenu la punition divine et l’envoi en exil pour cause de désobéissance. Ce fut une terrible mésaventure qui est consignée dans le Deutéronome, non sans quelque mégalomanie propre à réparer une honte nationale »

Arrivé à ce stade vous êtes à la 11ème minute de l’émission qui dure 1 heure et dont vous trouverez l’intégralité derrière ce lien : <Allons aux faits : Que faut-il entendre par Dieu ?>.

<La datation scientifique de l’écriture de la bible hébraïque la situe bien autour de la déportation à Babylone>.  Si la rigueur scientifique ne permet pas d’affirmer que le personnage de Moïse a été inventé à ce moment-là, [il faut cependant savoir qu’aucune source historique en dehors des textes bibliques ne fait mention de Moïse], on a écrit l’histoire de ce personnage à ce moment de l’Histoire. Pour Abraham et ses enfants qui sont encore plus éloignés de cette période, il en va de même.

Régis Debray montre aussi que l’émergence de Dieu a dû attendre l’apparition de l’écriture, dans la même région du croissant fertile.

En outre, le Dieu monothéiste présente cet avantage par rapport aux dieux statufiés qu’il est facile de l’emmener avec soi. Les hébreux ont trouvé cette solution d’emmener avec eux, l’arche d’alliance c’est à dire les tables sacrés des commandements divins. Les autres peuples étaient incapables d’emmener avec eux la grande statue de Baal ou de Marmouk. Le monothéisme aime la dématérialisation.

Le croyant sincère peut être choqué que l’on écrive : ton Dieu a 2500 ans. En effet, si Dieu existe, il a toujours existé, sinon il ne serait pas Dieu.

Certes !

Mais ce que montre Régis Debray, c’est que Sapiens Sapiens a vécu 97 250 ans sur ses 100 000 ans d’existence sans Dieu monothéiste. Aujourd’hui encore, d’immenses civilisations comme la chinoise, l’indienne se passent très bien d’un Dieu unique et universel.

Régis Debray a écrit un livre, paru en 2003, que nous possédons dans notre bibliothèque et que je n’ai pas encore lu <Dieu un itinéraire>.

<Vous pourrez aussi regarder ce dialogue d’une grande intelligence entre Régis Debray et Jean-François Colosimo>

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Mercredi 21 septembre 2016

Mercredi 21 septembre 2016
«La religion
Le spirituel nous prépare à la mort, la religion prépare les obsèques»
Régis Debray

Régis Debray nous apprend d’abord que le mot « religion » est une particularité locale, c’est-à-dire un mot créé dans l’Occident chrétien.

Selon lui, ce mot n’a pas d’équivalent dans les autres civilisations.

Il traque dans les grandes langues de l’humanité les différents mots que l’Occident a traduits par le mot « religion », en montrant que cette traduction est erronée et très approximative.

C’est le sociologue Emile Durkheim qui a tenté de définir de manière savante ce mot :

« Une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent. ».

On constatera, l’incongruité de l’utilisation du mot « église » qui ramène irrémédiablement au christianisme.

« Religion » vient du latin « Religio ».

Et dans la Rome antique, « Religio » signifiait le respect des institutions établies.

Et le christianisme, dans ses débuts, a été traité par les érudits romains face à la Religio, de superstition.

Ainsi Tacite (58-120) dans ses Annales, en évoquant les persécutions de Néron a écrit :

« Néron […] fit souffrir les tortures les plus raffinées à une classe d’hommes détestés pour leurs abominations et que le vulgaire appelait chrétiens. Ce nom leur vient de Christ, qui, sous Tibère, fut livré au supplice par le procurateur Pontius Pilatus. Réprimée un instant, cette exécrable superstition se débordait de nouveau, non-seulement dans la Judée, où elle avait sa source, mais dans Rome même, où tout ce que le monde enferme d’infamies et d’horreurs afflue et trouve des partisans. »

Une exécrable superstition… écrivait Tacite.

On attribue à <Tertullien qui vécut autour des années 200> le fait d’être parvenu par son érudition et sa force de conviction à inverser le sens des termes et de rendre respectable le christianisme en lui attribuant le nom de « religio » alors que les autres pratiques romaines et notamment le paganisme devenaient des « superstitions »

Il existe deux étymologies du mot : la païenne – relegere, recueillir (Cicéron) – et la chrétienne : religare, relier (Lactance).

Régis Debray précise : « relegere, c’est relire avec attention, d’où vient l’expression accomplir religieusement une tâche ». Pour lui le contraire de ce sens est « distraction »

L’étymologie du mot nous enjoint donc à comprendre la religion comme rassemblement (religare) et recueillement (relegere), ou encore communauté et prière, lecture des textes saints.

Non seulement le mot religion n’existe pas dans les autres civilisations, mais on ne trouve pas trace, selon Régis Debray, du mot religion dans la bible hébraïque (ancien testament), ni dans les évangiles.

Au moment des débats sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, les républicains de 1905 ont choisi de ne pas parler de la religion mais des cultes.

Régis Debray écrit :

« Le mot de culte me paraît plus adéquat. Le culte c’est deux choses : une réunion (des assemblées) et des rituels.
Il y a culte dès qu’il y a une croyance qui réunit des gens et que cette croyance est une croyance en une réalité ou un sujet méta-empiriques.
Ce peut être un ancêtre, un événement passé, une déité, une personnalité. »

Mais si le mot « religion » s’est imposé dans le monde comme l’« étalon maître des croyances » c’est en raison de la colonisation occidentale et de la suprématie des nations chrétiennes pendant la phase de la révolution industrielle.

L’Islam en outre sur bien des points et notamment sur celui-ci s’est inscrit dans l’héritage chrétien. L’Islam ayant vocation de constituer la religion monothéiste qui accomplit les deux autres qui l’ont précédé.

Car le terme de religion est intimement lié à ces cultes monothéistes dont Régis Debray explique :

« Non seulement, ces religions [monothéistes] entendent régler nos mœurs et notre vie intime mais ce sont elles qui ont liées la notion de croyance et la notion de vérité et ça c’est de la dynamite. – vera religio veri Dei – « la vraie religion du vrai Dieu. »

Et je finirai par cette brillante étude comparative de civilisation :

« Cette idée que nous a rendu naturelle des siècles d’enseignement religieux dans notre culture, semblera totalement barbare ou idiote à un chinois, à un japonais ou à un indien.
Cette idée que parce qu’on a une religion on ne pourrait pas en avoir une autre.
Un japonais né en milieu shinto n’hésitera pas à se marier chrétien et à mourir bouddhiste. Un chinois han se promène en souplesse entre Bouddha, Confucius et le Tao, sans avoir à renier un « isme » par un autre.
[En outre] les mots « bouddhisme », « taoïsme » et « confucianisme » sont des inventions des intellectuels occidentaux, non des penseurs asiatiques.
D’ailleurs les temples en Chine sont la demeure de toutes les divinités, et l’encens ne fait pas le détail. Et en Inde, un fidèle de Vishnou ne trouvera pas répréhensible d’aller fleurir l’autel de Shiva »

Vous trouverez tous ces développements <Ici>

Vous y trouverez aussi la phrase qui sert d’exergue à ce mot du jour, tellement explicite et juste qu’il n’est pas nécessaire d’expliquer davantage.

<752>

Mardi 20 septembre 2016

Mardi 20 septembre 2016
« Le sacré.
Il n’y a pas de sacré pour toujours, mais il y a toujours du sacré»
Régis Debray

La seconde émission de Régis Debray avait pour thème le sacré.

Dans notre monde sécularisé, nous pensons que le sacré s’est éloigné de notre univers, ou nous le pensions. Depuis le massacre de Charlie Hebdo, nous avons avec effarement eu des débats sur ce mot qui nous paraissait d’un autre temps : « le blasphème ». Mais Régis Debray nous montre qu’en réalité le sacré ne nous a jamais quitté. Ce n’était pas forcément un sacré religieux, mais il y a toujours du sacré. Le fait est que dans notre langage nous avons exclu de notre vocabulaire le mot « sacré » et ses dérivés mais pas sa réalité.

Régis Debray introduit le sujet de la manière suivante :

« Que faut-il entendre par sacré ?

Rien n’est sacré en soi, mais on ne connait pas de société même laïque qui n’ait en son sein un point de sacralité, quelque chose qui autorise le sacrifice et interdit le sacrilège. […]

Etrange destin que celui de ce mot. […]

Hier dans toutes les bouches […], il n’est plus bien porté, il n’a plus droit de cité.

« Sacré » est devenu tabou ou malséant. Le substantif fait peur par ce qu’un référent ainsi baptisé suppose de révérence et l’épithète « sacré » fait sourire par la nuance d’ironie admirative qu’on y met : oui parce que « une sacrée musique » n’est pas « une musique sacrée ».[Cette utilisation de l’adjectif veut probablement conjurer d’autres utilisations anciennes comme] « l’amour sacré de la patrie » qui fait trop sentir la terre et les morts, le cantique des armes et l’hécatombe des corps.

Ainsi le mot sacré s’est-il absenté des discours publics, il est proscrit de nos textes législatifs. On peut dire par exemple qu’une sépulture a été profanée, on peut écrire un texte contre l’outrage à la marseillaise ou au drapeau, on peut interdire la manipulation du génome de l’espèce humaine […].

Mais on ne peut revenir aux sources pour dire qu’une sépulture, qu’un drapeau, ou que le génome humain ont quelque chose de sacré en eux.

Oui, parce que c’est logique, s’il n’y avait rien de sacré dans tout cela, il n’y aurait ni profanation, ni outrage, […].

« Profaner » oui ! Cela se dit couramment. Sacralité, halte là !

C’est comme un livre de cuisine qui parlerait du cuit mais pas du cru ou d’un bulletin météo qui parlerait du froid mais pas du chaud. […]

Nous nous étonnerions sans doute d’entendre dans la bouche de nos politiques le mot de « sacré ». Ils utilisent le terme doucereux et sucré de « valeur ».

La valeur est molle, le sacré est dur.

La valeur ça plaît à tout le monde, c’est la fonction du kitsch.

Le sacré ça effraie !

Le sacré peut se définir comme cela : qui légitime le sacrifice et qui interdit le sacrilège.

Or nous n’avons aucune intention de nous sacrifier pour quoi que ce soit et nous détestons viscéralement les interdits, sauf pour avoir la gloriole de les enfreindre. […]

Nous nous vantons de ne plus rien tenir pour sacré, mais nous trouvons fort normal que des auteurs d’une BD ironisant sur les nazis et les déportés juifs soient condamnés à une forte amende et leur ouvrage interdit.

Nous estimons que la pédophilie est un crime sans pardon. Ou qu’aller se faire cuire un œuf sur la flamme du soldat inconnu à l’arc de triomphe ou pire ouvrir une crêperie sous le portique de l’entrée du camp d’extermination d’Auschwitz constitue plus qu’une incongruité ou un acte de mauvais goût. Mais surtout que le mot sacrilège ne soit pas prononcé !»

Ainsi Régis Debray raconte comment à Moscou, un policier est venu lui intimer l’ordre d’immédiatement éteindre la cigarette qu’il fumait non dans mais devant le mausolée de Lénine. Il en a tiré la conclusion que l’athéisme officiel n’est pas « sacrifuge » mais au contraire « sacrophile », il aime le sacré jusqu’à la manie.

Il affirme aussi que « le premier réflexe d’une société qui sent son délitement c’est de sacraliser, de consacrer pour consolider et affirmer. » L’exemple qu’il donne est dans toutes les mémoires, vous vous souvenez que la marseillaise a été sifflée lors du match de football France-Algérie, le 6 octobre 2001.

En réaction, le législateur a fait une loi qui se retrouve dans le Code Pénal article 433-5-1. :

« Le fait, au cours d’une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques, d’outrager publiquement l’hymne national ou le drapeau tricolore est puni de 7 500 euros d’amende. Lorsqu’il est commis en réunion, cet outrage est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. »

Bref un sacrilège et une sanction pour celui qui le commet !

Il est toujours important de revenir à l’étymologie : Le mot « sacré » vient du  latin « sacer » qui signifie « séparation ». Nos ainés en monothéisme, la religion juive avait structuré cette séparation dans le Temple de Jérusalem qui avait une structure concentrique, avec des parties publiques et des parties toujours plus sacrées et toujours plus rarement accessibles, jusqu’au centre, le « Saint des saints » ou était conservée l’Arche d’alliance et qui était l’endroit le plus séparé du reste.

L’antinomique du « sacré » est « profane », du latin « profanus » (de pro «devant» et fanum «lieu consacré»). Le profane est donc ce qui se trouve à l’extérieur du sacré.

Mais la religion juive, exprime encore de manière plus explicite cette équivalence entre le sacré et la séparation. Régis Debray nous explique :

« « Soyez Saint » enjoint le Lévitique aux Hébreux !  Traduction « écartez-vous ne vous assimiliez pas.» »

Le texte exact est Levitique 20:26

« Soyez saints, consacrés à mon service, parce que je suis saint, moi, le Seigneur. Je vous ai mis à part des autres peuples pour que vous soyez à moi. »

Et Debray de continuer :

« Ne mélangez pas la laine d’origine animale avec le lin d’origine végétale (Deutéronome 22-11). Ne mélangez pas le lait avec la viande (Exode 23-19). Et, ne vous mélangez pas avec les goyims.
Ce qui vaut pour le textile et les aliments vaut pour l’humain et le territoire.
Israël doit rester séparer des autres nations et son territoire a été proclamé inaliénable par le peuple Juif. »

Le sacré fait frontière et les frontières c’est sacré.

<Ainsi le dieu latin Terminus était le maître des bornes et des limites>. Et on se souviendra que selon une légende, Romulus tua son frère Rémus parce que ce dernier avait sauté le sillon qu’il venait de tracer pour délimiter le mur, c’est à dire la frontière de la ville de Rome qu’il entendait créer.

Pour Debray, les églises chrétiennes, catholiques et protestantes préféreront la sainteté au sacré :

« Le sacré concerne les choses, la sainteté concerne les hommes. […] Le sacré est primitif, il est là avant le divin, le Dieu unique est encore postérieur. […] Rien n’est sacré par nature, mais n’importe quoi peut le devenir : un arbre comme pendant la révolution française, la source d’un fleuve, un parchemin. »

Vous savez sans doute que les saxons avaient un arbre sacré « Irminsul » qui fut abattu en 772 sur l’ordre de Charlemagne. A l’époque c’était des fanatiques chrétiens qui faisaient disparaître le patrimoine sacré d’autres peuples, mais cet épisode est souvent célébré dans nos livres d’Histoire. Pourtant, dans l’histoire de l’Humanité, ce fait n’est pas différent de celui où les talibans ont fait exploser les Bouddhas de Bamiyan.  Certes l’Unesco n’existait pas à cette époque.

J’ai tiré l’exergue du mot du jour, de ce développement de Régis Debray :

« Le sacré se désacralise. Je peux proclamer dans la cité du Vatican que le Christ n’est pas ressuscité, le genre de propos qui m’aurait fait sentir le fagot il y a quelques siècles d’ici, mais si je venais proclamer sur les trottoirs du Caire que Mahomet n’a jamais rien reçu de l’ange Gabriel alors je risquerai ma peau. Notez qu’au Caire si il y a 3000 ans, si j’avais nié la résurrection d’Osiris, j’aurais été assez vite expédié au royaume des morts.

Le sacré d’aujourd’hui n’est pas le sacré d’hier, ils peuvent même se succéder sans grave difficultés. C’est pourquoi je dis qu’il n’y a pas de sacré pour toujours, mais il y a toujours du sacré. 

Et il y a toujours en France des gens capable de donner leur vie pour une cause.

Certes, il n’en existe plus beaucoup qui réciteraient : « Mourir pour la patrie, c’est le sort le plus beau, le plus digne d’envie »

Et rare sont les chrétiens qui seraient prêts, en France, de donner leur vie en l’honneur d Dieu et de la Foi. Même s’il y en eut, à Tibhirine en Algérie par exemple.

En revanche pour la maisonnée, pour les enfants ce ne serait pas impossible. Comme on dit « la famille c’est sacré ! » Il y a comme un retour sur le noyau dur, c’est-à-dire la famille.

Et je ne parle pas bien sûr des « humans bombs » qui impose leur martyr aux autres au nom de leur Foi.»

Une autre sacralisation moderne est celle du patrimoine culturel, les œuvres qui sont inscrits dans ce patrimoine sont inaliénables. Et Régis Debray de raconter :

« Le sacré ne se marchande pas, ainsi Fidel Castro visitant le Louvre a demandé devant « La Joconde » combien cela coûte ? Il lui fut répondu, ce tableau n’a pas de prix, il n’est pas sur le marché. De même si à Madrid, un prince Qatar souhaite acheter « Guernica » de Picasso, on lui expliquera fermement, cette œuvre « sacrée » ne peut s’acheter.

Enfin, on peut l’espérer et ce sera le cas tant que ces œuvres seront sacralisées. »

Et le philosophe d’expliquer :

« Le sacré c’est ce qui me rattache au passé et me fait la promesse d’un avenir. »

Même si ce mot du jour est encore très (trop ?) long, je suis incapable d’en présenter toute la richesse que vous trouverez derrière ce lien : <Réalités religieuses (2/5) : Que faut-il entendre par sacré>

Je finirai par cette conclusion qui est une quasi-prière :

« Sacralisons, ce qui nous fait tenir debout et ne profanons pas jusqu’à l’indispensable. En France, on peut se prendre à penser que la République aurait un avenir plus assuré du jour où le Chef de l’Etat oserait évoquer à voix haute, en haut d’une tribune, non des valeurs en carton-pâte mais notre Sacré laïque et républicain. »

<751>

Lundi 19 septembre 2016

Lundi 19 septembre 2016
« La croyance
Je n’hésiterai pas à inscrire la croyance en tête de liste de nos nécessités vitales, en tête de liste des aides à la personne […] propre à l’entretien de ce qu’on appelle la vie, à savoir l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort. »
Régis Debray

Que nous arrive-t-il ?

En Europe, nous pensions que le progrès, issu de la révolution des Lumières et des découvertes scientifiques et techniques permises grâce à elle, était en marche de manière irrésistible.

Cette évolution était accompagnée de manière continue et inexorable de la sortie du religieux.

C’est pourquoi, le retour du fait religieux nous laisse désemparé, dans l’incompréhension.

Dans ce questionnement, j’ai écouté, avec un immense, intérêt 5 émissions produites par Régis Debray, cet été, sur France Culture et qui avaient pour thème : les réalités religieuses <Allons au fait – les émissions>.

Il a interrogé successivement ces 5 notions :

  • La croyance
  • Le sacré
  • La religion
  • Dieu
  • La Laïcité

Un livre est annoncé pour le 3 octobre : <Allons aux faits – le livre>

Commençons par la croyance.

Croire !

Pour philosopher sur la croyance, il introduit son sujet en montrant combien croire fait partie de notre quotidien :

« Le monde où on vit n’est pas le monde où on pense. Pour les têtes pensantes, il est mal vu de croire et conseillé de savoir !

Depuis Platon, le philosophe met la croyance sur la sellette. […] C’est le degré zéro de l’intelligence. […] La science est une machine à « décroire ».

Mais dans le monde où on vit ? Le vôtre, le mien ?

Chaque geste, chaque parole nécessite un acte de foi.

Quand je dépose un chèque à la banque, ou encore plus risqué quand je mets un bulletin de vote dans l’urne.

Quand je me rends à un rendez-vous qu’on m’a donné la veille, quand je lis dans le journal ou quand je m’adresse à mon fils comme étant véritablement mon fils, je fais confiance, spontanément !

Je tiens sur sa bonne mine, tel candidat comme crédible.

Je compte bien que le billet que j’ai en poche peut s’échanger contre un vrai paquet de cigarettes.

D’ailleurs sous la révolution, un assignat s’appelait un billet de confiance. »

Dans tous ces cas énumérés, il ne s’agit pas de savoir mais de croyance, « nous croyons que »…, sans nous rendre compte que dans ces cas, nous croyons. »

Après nous avoir montré que la croyance fait partie de notre vie, même si nous ne nous déclarons pas croyant, il va tenter de donner les raisons de la force de la croyance :

« A la croyance nous devons signer une reconnaissance de dettes, pour 3 motifs :

Si nous n’avions pas la faiblesse, mais la force de croire :

– nous n’aurions pas l’avenir devant nous ;

– nous n’aurions pas une société ou vivre et

– nous n’aurions pas d’actions à entreprendre.

Disons que l’incroyance absolue est un luxe de légume et que nous aurions tort d’en abuser.»

Et il développe et explicite ces trois raisons :

«1° La croyance fait respirer le temps, elle desserre l’étau du présent.

Credo vient d’une racine indo-européenne qui désigne le fait de donner une chose à quelqu’un avec la certitude de la récupérer plus tard. Je fais faire une offrande à un Dieu, auquel je crois, avec l’idée qu’il va me rétribuer, qu’il me le rendra un jour. Je prends une créance sur l’avenir.

De celui ou de cela auquel je crois, j’attends une rétribution en différé.

Autrement dit, le croyant c’est un homme en attente, qui met ses verbes au futur, comme Jaurès, ainsi que le lui reprochait Clemenceau. Oui parce que Jaurès était un croyant impénitent, croyant dans l’avenir et même peut être en Dieu.  […]

Un croyant n’est jamais seul, en fait un croyant croit pour ne plus être seul […].

Ce n’est pas toujours facile de croire, en dépit des réalités, mais c’est un plus, malgré tout. Parce que c’est épouser une communauté et rentrer dans l’orchestre. […]

Alors quand on dit à un croyant : c’est idiot ce que vous croyez, d’ailleurs ce que l’on croit n’est jamais vrai, c’est Valery qui l’a dit, il vous répondra peut-être : Je sais bien, mais quand même, j’ai un toit pour m’abriter et des frères et des sœurs pour me tenir chaud, j’ai un parti, j’ai une église, j’ai une confrérie […]. Votre vérité, elle est froide, elle ne me rapporte rien, alors que ma croyance m’augmente. Elle me rend fier d’être ce que je suis, parce qu’elle m’assure une appartenance. Elle m’insère dans un « nous » beaucoup plus grand et plus fort que moi, le « nous » de tous les croyants, à la même croyance que moi.

Vous pouvez dire que les religions, les idéologies sont des mythes. Oui ! Mais des mythes au service d’une société d’entraide et d’admiration mutuelle.

Pour être savant : « La logique du collectif ne relève pas de critères cognitifs »

Croire c’est se mettre en mouvement. C’est sortir de sa passivité et de la résignation.

Dire que nous croyons en quelque chose, c’est dire que nous ferons quelque chose. […] C’est prendre des risques »

[…] L’homme de cœur va peut-être dans le mur, mais il y va, l’homme de pensée voit plus clair mais reste en arrière.

Il y a une preuve à contrario, il suffit de regarder autour de nous

La France qui n’y croit plus c’est un mélange de chacun pour soi et de maintenant c’est maintenant. On n’attend plus grand-chose, on prend plus beaucoup de risques et on ne se tient même plus les coudes. […]»

Et il ajoute ce que les lecteurs du « Sapiens » d’Hariri comprennent immédiatement :

« Un spermatozoïde et un ovule cela peut faire un fœtus, mais pour faire un petit homme il faut beaucoup plus. Il faut des prohibitions, des lois, des mythes, bref il faut du fantastique, [il faut du récit]. »

Et c’est sa conclusion que j’ai utilisé comme exergue de ce mot du jour :

« La croyance est à la fois nécessaire et dangereuse. Je n’hésiterai pas à inscrire la croyance en tête de liste de nos nécessités vitales, en tête de liste des aides à la personne […] propre à l’entretien de ce qu’on appelle la vie, à savoir l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort. »

C’est tout simplement passionnant.

Ce message ne donne qu’un petit aperçu de cette réflexion féconde et intelligente dans le sens où l’intelligence vous montre un aspect de la question qui vous surprend et change votre perception : <Réalités religieuses 1/5 Que faut-il entendre par croyance ? >

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Jeudi 15 septembre 2016

« Va, vis et deviens Français. »
Ahmed Meguini

Dans le mot du jour d’hier, la petite Mariam, originaire du Tchad, posait cette question et on sent l’importance qu’elle y accordait :

Madame, est ce que vous vous sentez française ?  Qu’est-ce que vous avez fait pour devenir française ?

La France est vraiment un curieux pays, voici que le gouvernement met en place une «Fondation pour l’Islam en France» et y met à la tête un ancien ministre de l’intérieur Jean-Pierre Chevènement.

Ceci constitue une double incongruité. D’abord, je crois qu’aucun autre Etat démocratique et défenseur des libertés ne penserait faire créer par son gouvernement une institution pour une communauté. Et puis…Mais nul besoin de conceptualiser, imaginons que le gouvernement mette autoritairement à la tête d’une association juive, un catholique ou à la tête d’une association catholique, une personne d’origine musulmane…

J’ai écouté sur ce sujet, une émission très intéressante : <France Culture – Du grain à moudre les musulmans français ont-ils besoin d’être représentés ?>
De cette émission, outre la dénonciation de l’incongruité, il ressort surtout que « le musulman » et même « le musulman français » n’existe pas.

Il existe des musulmans et même beaucoup de personnes dont les parents étaient de confession musulmane et qui n’ont plus qu’un rapport très faible avec la religion.

Et je voudrais partager avec vous un témoignage trouvé sur le site de la règle du jeu : http://laregledujeu.org/2015/02/06/19074/va-vis-et-deviens-francais/

Je vous en donne de très larges extraits :

« Je m’appelle Ahmed et je ne suis pas Musulman. Habituellement, comme tous les athées, je le tais. D’abord parce que c’est intime, l’athéisme est une solitude et la solitude ça ne se partage pas. Il y a une autre raison : j’ai souvent eu peur de froisser mes ex- coreligionnaires. Pour un grand nombre de Musulmans, je suis ce qu’il y a de pire : un apostat. Dans la plupart des pays musulmans, je risquerais la mort pour cela.

Je suis un citoyen français et je n’ai pas d’autre identité à défendre que celle qui a permis mon émancipation. Je suis libre de croire ou de ne pas croire et pourtant, pour ma sécurité, jusqu’à aujourd’hui, j’ai cru bon de ne pas exposer ma non–foi.

Cette lâcheté, que j’assume comme telle, n’est plus permise aujourd’hui. En nous attaquant et en nous tuant, les assassins ont révélé une terrible faille sismique. Elle n’était pas nouvelle mais, comme vous, je me mentais à moi-même.

[…]

Je réponds à leur question : « l’Islam est-il compatible avec la République ? » en disant simplement que c’est la République qui ne sera jamais compatible avec l’Islam, comme avec n’importe quelle autre religion. C’est pourquoi il y a plus d’un siècle, nous avons assigné Dieu à résidence. Parce que c’est le concept même de Dieu qui n’a pas sa place dans la République. Je ne vois pas, je ne fréquente pas et je ne parle pas à des Musulmans, à des Catholiques et à des Juifs, et ça n’arrivera jamais.

Je ne reconnais que mes concitoyens, et qu’ils croient aux extra-terrestres ou à un homme qui change l’eau en vin, cela ne m’intéresse absolument pas. À ceux qui en réponse aux actes de terrorisme souhaitent débattre de l’Islam, je les invites à entamer au plus vite un cursus en théologie islamique, mais laissez-moi ma France !

Celle où je dois pourvoir vivre sans Dieu et sans me faire insulter dans ma non-foi. Frappez la République à coups de tête pour y enter en tant que Musulman, Catholique, Protestant, Bouddhiste ou Juif. Frappez encore, frappez plus fort et nous verrons bien qui de votre tête ou de la République cèdera en premier. Même si nous, Républicains laïcs, étions demain pris de panique, terrorisés par nos ennemis et prêts à tout céder, nous ne le pourrions même pas. Cette idée de liberté et de justice qui s’est affutée à travers le temps ne nous appartient pas, elle nous dépasse, un peu comme votre Dieu. La laïcité, c’est ce que nous avons trouvé de mieux pour vous permettre de vivre vos croyances tout en admettant la primauté des lois de la République sur vos lois divines. D’autres pays n’ont pas laissé ce choix à leur population. Les uns interdisent la religion, d’autres la rendent obligatoire. Si vous ne comprenez pas en quoi la laïcité vous protège, je ne vous l’expliquerai pas, je vous opposerai la loi, parce qu’elle me protège moi aussi. Si vous voulez comprendre, je vous invite à vous rendre dans une bibliothèque.

Je n’ai pas d’autre choix que d’engager un combat, que je promets féroce, contre ceux qui préfèrent s’adresser aux Musulmans plutôt qu’à leurs concitoyens. Comme d’autres, j’ai consacré toute ma vie d’adulte à devenir et à être admis en tant que Français. Je suis de la première génération à être né en France. Sur mon acte de naissance, il est écrit « père soudeur » et « mère femme de ménage », comprenez : « T’es plutôt mal barré dans la vie ». Aujourd’hui je suis père, chef d’entreprise et j’ai une vie relativement confortable. À l’école, j’ai fait le minimum, j’ai terminé mon parcours scolaire crashé dans une voie de garage au milieu d’un BEP grotesque. Cet enseignement minimum obligatoire m’a offert une barque et une paire de rames. Alors j’ai ramé, j’ai ramé la nuit et j’ai ramé le jour, scrutant inlassablement l’horizon à la recherche d’une terre, la France. […]

Je voulais devenir Français, parce que dans mon esprit, j’étais d’ici ; parce que contrairement à beaucoup de Français qui ont les mêmes origines que moi, mon père est enterré ici et c’est ici que je finirai ma vie. Mais je ne savais pas ce que ça voulait dire, être Français. J’ai dû inventer, me jeter loin de moi, de ce que je croyais savoir. J’ai par exemple porté l’uniforme, je me disais qu’ainsi on ne pouvait pas penser que j’étais autre chose qu’un Français. Si je ne savais toujours pas ce que ça voulait dire au moins j’en avais l’air. Adolescent, j’étais jeune sapeur-pompier, je m’exerçais à des manœuvres incendie, au secourisme. À peine majeur, je suis devenu sapeur-pompier volontaire. Et puis il y a eu l’armée, je voulais absolument partir en opération à Sarajevo. Je pensais qu’en servant la France dans un pays en guerre, j’aurais alors un argument de poids à opposer à ceux qui pouvaient douter de mon attachement à mon pays. Le seul moyen de partir en opération extérieure dans mon régiment était de s’engager, je me suis donc engagé. Un mois plus tard, j’étais en territoire bosniaque et je regardais fièrement l’écusson tricolore sur mon épaule. Je m’appliquais sans le savoir ce mot de Kennedy : « Ne demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, demande-toi ce que tu peux faire pour ton pays ».

Oui, il a été sinueux ce chemin vers la France qui me fit faire un détour par la case prison. Arrêté dans une manifestation et condamné à tort pour violence sur agent des forces publiques, j’ai été incarcéré trois mois dans une maison d’arrêt alsacienne. Ce que j’y ai vu m’a profondément bouleversé. La première fois que j’ai vu une promenade, j’ai été choqué de n’y voir que « des Arabes et Noirs ». Je les regardais tourner en rond, ils étaient là, rassemblés, les pérégrins pérégrinaient. J’ai été très en colère, j’aurais pu sortir de là fou de haine si je n’avais pas eu le soutien de milliers de militants, de Français qui avaient pris fait et cause pour moi. Ils m’ont aidé à comprendre que la France c’est aussi une ambition qui appartient à ceux qui la défendent et comme dans les mariages, il n’y a pas que des jours heureux. Eh oui, bien souvent j’ai eu l’impression d’aimer la France comme un mari cocu.

Souvent je repense à cette promenade de prison comme la manifestation la plus évidente de notre échec. L’échec d’un pays tout entier, où chacun a sa part de responsabilité. L’État, bien sûr, mais aussi certains employeurs qui quand ils ne pratiquent pas ouvertement la discrimination à l’embauche, font preuve de peu de créativité. De nos préjugés, à chacun de nous, d’avoir cru que la police et la prison étaient la réponse à tout, faisant semblant d’oublier que les détenus ont vocation à sortir, et souvent, plus en colère encore que quand ils y sont entrés. C’est aussi l’échec des familles de ces prisonniers, et des prisonniers eux-mêmes, qui doivent assumer leur part de responsabilité.

Nous ne sortirons pas de cette impasse si chacun ne fait son autocritique. Si nous retombons dans ce débat stérile de la xénophobie à géométrie communautaire variable, l’auto-flagellation d’un côté et les revendications victimaires de l’autre. Nous serons condamnés à la guerre de tous contre tous. […]

Il faut encourager la prise de parole à l’initiative de ceux qui adhèrent pleinement aux valeurs de la République et qui se taisent aujourd’hui. Il faut réduire la capacité de nuisance de ceux qui ont le génie de la division, qui nous accablent en nous faisant éternellement le coup de la victime. Pour cela nous devons savoir être nous-mêmes, apprendre à être sereins et implacables avec nos valeurs. Cessons cet autodénigrement permanent. À être trop vigilant quant à notre propre xénophobie, on en devient un xénophobe bienveillant. Je rencontre parfois des gens qui ne m’aiment pas parce qu’ils n’aiment pas les Arabes et je ne peux rien y faire. Mais le pire pour moi, c’est de rencontrer des gens qui m’aiment bien parce qu’ils aiment bien les Arabes. La xénophobie bienveillante, qui au nom de la tolérance me voit, comme les autres, comme un Arabe. Alors pour me faire plaisir, pour être gentil avec moi, ils veulent discuter de la place que l’Arabe, maintenant le Musulman, mérite. Je vous le dis ici : je n’ai pas besoin de vous, par pitié arrêtez de vouloir m’aider. Je me suis fait une belle place de Français dans mon pays, grâce à mon pays et grâce à ma brave mère qui m’a élevé du mieux qu’elle a pu avant de me laisser partir avec pour seule consigne : « Va, vis et deviens Français. »»

Ce témoignage qui me semble être très équilibré entre les efforts nécessaires des uns et l’ouverture des autres, rappelle aussi qu’il existe encore des lieux où ne pas croire reste un combat.

Pour celles et ceux qui ne le sauraient pas, je souligne que l’exergue fait référence à «Va, vis et deviens » qui est le titre d’un film magnifique réalisé par Radu Mihaileanu (2005) et qui parle de l’intégration en Israël d’un enfant d’Ethiopie.

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Mardi 12 Janvier 2016

« Bonne Année »
Vœu que l’on formule le premier jour de l’année.

Je vous convie aujourd’hui à une réflexion sur la relativité. Réflexion qui n’a rien à voir avec la théorie d’Einstein sur l’espace et le temps.

Quoique …

Si nous revenons à cette question qui occupe tellement l’espace public ces derniers temps : la religion et que nous posons de manière rationnelle la question pourquoi un être humain a-t-il une telle religion ?

Du point de vue scientifique et donc statistique, l’explication quasi unique est : Parce qu’il est né dans une famille qui avait cette religion et plus largement dans un pays qui est majoritairement de cette religion. Les conversions existent mais sont, à l’aune de cette première réflexion, très marginales.

Je pense que cette prise de conscience ne peut qu’avoir une grande influence sur notre analyse de la croyance religieuse.

Mais ce n’est pas de cela que je souhaite parler aujourd’hui.

Quoique …

Bonne année, c’est le premier jour de la nouvelle année. Qui dit année, dit calendrier. Souvent le calendrier est lié à une religion.

Et nous sommes à nouveau plongés dans la relativité.

Notre bonne année est la bonne année de l’ère et du calendrier chrétien. Plus précisément le calendrier grégorien [du pape Grégoire XIII] qui a complété et modifié en 1582 le calendrier Julien créé sous Jules César.

La tentative des révolutionnaires français à modifier cette institution chrétienne a échoué.

Pour les chinois, les coréens et les vietnamiens, c’est-à-dire 1/5 de l’humanité, la bonne année se souhaitera le 8 février qui correspond au premier jour de leur calendrier.

Pour une beaucoup plus petite communauté, les sikhs, ce sera le 14 mars.

Et le 20 mars ce seront les iraniens et les kurdes qui souhaiteront la bonne année avec Norouz.

Le 15 avril ce sera le tour des thaïlandais, des birmans, des sri lankais et d’une partie des indiens.

Le Nouvel an juif, ce sera du deux au quatre octobre, à peu près en même temps que le nouvel an musulman, du premier au trois octobre.

Enfin, le trente octobre, ce sera Diwali, la fête des lumières, pour plus d’un milliard d’Indiens.

Je serai, comme toujours, franc avec vous, je n’ai pas vérifié l’exactitude de toutes ces dates, j’ai fait confiance à Anthony Bellanger sur France Inter qui a donné cette énumération.

Mais ce qui m’intéresse ainsi est la prise de conscience que ce que je pensais universelle, la bonne année pour tous les terriens, comme l’exprime souvent nos chaines de télévision notamment en annonçant le matin du 31 décembre en France, « C’est déjà la nouvelle année en Nouvelle-Zélande » avec ce postulat que tous les terriens vont passer, en suivant les méridiens, dans un même référentiel, à la nouvelle année, unique et universelle.

Ainsi, si je vous souhaite une bonne année, c’est une bonne année du calendrier chrétien.

Et encore pas de tous les chrétiens, car certains chrétiens orthodoxes ont conservé le calendrier julien.

Et si on souhaite aller encore plus loin dans l’érudition on constatera que le premier janvier n’a pas toujours été le premier jour de l’année en France et qu’il existait même des jours différenciés selon les provinces : à Lyon, c’était le 25 décembre, à Vienne [France], le 25 mars.

Et c’est  l’édit de Roussillon de 1564 de Charles IX [le roi de la Sainte Barthélémy] qui harmonisa les pratiques et fixa le nouvel an au premier janvier.

En conclusion, dans un monde de relativité je vous souhaite une bonne année selon le calendrier actuel du plus grand nombre des chrétiens.

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Lundi, le 09/11/2015

Lundi, le 09/11/2015
« La tendance à effacer le sacré, à l’éliminer entièrement, prépare le retour subreptice du sacré, sous une forme non pas transcendante mais immanente, sous la forme de la violence et du savoir de la violence. »
René Girard
La violence et le sacré
éd. Hachette, coll. Pluriel, 2004 (ISBN 2-01-278897-1), p. 480
René Girard était un géant de la pensée, né en Avignon le jour de Noël 1923.
Il était français.
Mais les élites françaises notamment universitaires ne l’ont pas reconnu, pas accepté.
Et c’est aux Etats-Unis qu’il a pu déployer son intelligence, son savoir et ses fulgurances.
Après mes 20 ans, je suis entré avec passion dans la lecture des ouvrages de René Girard.
Je ne dis pas que j’ai tout compris, tout saisi, mais j’ai été ébloui par cette pensée qui plonge au plus profond de l’homme, des sociétés, du désir et de la violence.
Je reviendrai sans doute sur cette explication du monde qui débute par le désir mimétique, car nous ne désirons pas un objet en raison de sa valeur, de sa rareté ou de son intérêt intrinsèque mais parce qu’un autre le désire.
Le désir n’est pas une relation binaire entre moi et un objet désiré, mais une relation triangulaire où se trouve l’autre celui qui entraîne mon désir mimétique.
Ce désir mimétique engendre évidemment la violence.
Violence que veut apprivoiser le sacré dans une société par des mythes, des rites, des sacrifices et enfin l’invention du concept de bouc émissaire.
J’ai choisi, comme mot du jour, cette phrase de Girard dans « la violence et le sacré » qui semble annonciatrice des violences d’aujourd’hui. C’est une phrase qui se situe dans la conclusion, à l’avant dernière page de l’édition que je possède.
Car nous autres européens et particulièrement français avons voulu chasser la religion et le sacré, particulièrement de la sphère publique.
C’est pour nous, je continue à parler au présent et je me demande si cela est judicieux, quelque chose qui appartient au passé, à des mœurs un peu archaïques qui s’adressent à des gens qui n’ont pas voulu embrasser la modernité et la philosophie de la raison.
Alors que répondre quand Girard prétend que la tendance à effacer le sacré prépare son retour sous la forme de la violence ?
Mais pour ce premier mot du jour consacré à Girard je voudrai revenir à ce fait : La France a engendré un des plus grands penseurs du XXème siècle, mais ses élites universitaires l’ont simplement ignoré.
Il a enrichi plusieurs universitaires américaines, pour finir à Stanford, où enseigne aussi Michel Serres.
Et que représente Stanford ?
Dans le classement des universités qui prend pour critère le nombre de prix Nobel obtenus par ses enseignants et chercheurs l’université californienne de Stanford est première. Pour la suite du podium on trouve l’université de Columbia de New York et en troisième Berkeley aussi Californienne à San Francisco.
Wikipedia nous apprend que l’université de Stanford, est une université américaine privée, située au cœur de la Silicon Valley au sud de San Francisco, séparée de Paolo Alto par une avenue. Paolo Alto qui est considérée comme le berceau de la Silicon Valley.
C’est dans ce lieu de l’hyper modernité qu’a œuvré et est mort le 4 novembre 2015, ce penseur des sciences humaines, de la réflexion sur l’origine du sacré, de la violence archaïque.
La France n’a pas eu cette intelligence. Très tardivement, comme la réparation d’un remord, l’Académie Française l’a accueilli en 2005, alors qu’il avait 82 ans. Il faut être juste, l’Académie française lui avait délivré son prix  en 1972 pour «La Violence et le Sacré».
C’est pourquoi dans son discours de réception René Girard a eu cette réflexion : «Je peux dire sans exagération que, pendant un demi-siècle, la seule institution française qui m’ait persuadé que je n’étais pas oublié en France, dans mon propre pays, en tant que chercheur et en tant que penseur, c’est l’Académie française.» Il fut élu au trente-septième fauteuil, dont le second titulaire fut Bossuet.
Cette attitude des élites françaises à l’égard de René Girard n’est-elle pas révélatrice d’un mal plus grand ?
Ne sont-elles pas simplement incapables de sortir de leur univers de clones ? Où on n’accepte que celles et ceux qui pensent comme les autres de la même caste, dans un moule rassurant mais aussi castrateur ?
Si cette hypothèse est exacte et s’il y a bien fuite des cerveaux elle pourrait avoir une cause bien plus profonde que celle si souvent évoquée du matraquage fiscal.
Pour prolonger cette réflexion je vous propose cet excellent article de Slate : http://www.slate.fr/story/109455/rene-girard-mort-violence-sacre
Et aussi un court extrait d’une interview de René Girard. <Présentation du désir mimétique>
Et puis si vous voulez faire comme ce que je vais faire dans les jours prochains, voici la page vers toutes émissions de France Culture consacrées à René Girard : http://www.franceculture.fr/2015-11-05-mort-de-l-anthropologue-et-philosophe-rene-girard-nouveau-darwin-des-sciences-humaines