Vendredi 8 novembre 2019

« La réunification de l’Allemagne ? Ce fut une annexion – [Non] cela a été tranché par le vote des allemands de l’est»
Jean-Luc Mélenchon & Daniel Cohn-Bendit

Demain, nous commémorerons le 30ème anniversaire de la chute du mur de Berlin : le 9 novembre 1989.

Certains affirment que les années en 9, sont très importantes pour l’Histoire. Je tenterais peut être une série à ce sujet : certaines années se terminant par 9.

Le 9 novembre 1989, j’avais 31 ans et je ne croyais pas ce que je voyais. Je ne m’imaginais pas que le système communiste s’effondrerait aussi rapidement.

Je ne reviendrais pas sur le contexte de cet évènement tout en rappelant qu’à cette date les allemands de l’est pouvaient déjà rejoindre assez massivement l’Ouest en passant par la Hongrie.

Je ne m’étendrais pas davantage sur l’étonnante manière qui a conduit à ce que le 9 novembre 1989, les portes du mur de Berlin s’ouvrent en rendant célèbre pour l’Histoire Günter Schabowski qui était à ce moment-là le porte-parole du gouvernement de la RDA.

Il y a cette petite <vidéo> qui rappelle cela. Et dans l’émission <C a vous> consacrée à cet évènement vous pourrez visualiser la feuille sur laquelle se trouvait les notes de Günter Schabowski et qu’il tenait devant ses yeux pendant sa conférence de presse.
Ce papier griffonné et peu lisible est présenté au musée de Berlin.
Il s’agit d’un document historique.

La chute du mur et l’ouverture des frontières ont rendu la réunification allemande possible.

Sur ce point, il y aurait matière à de très longs développements, sur les réticences de François Mitterrand et de la France, de la volonté sans faille d’Helmut Kohl et du fatalisme de Mikaël Gorbatchev, ainsi que de toutes les longues tractations qui ont rendu la renaissance d’une seule Allemagne possible.

Mais ce n’est pas de cela que je vais parler aujourd’hui.

Au départ, il y a la « Une » du Monde Diplomatique de ce mois de novembre :

« Allemagne de l’Est, histoire d’une annexion »

Puis il y eut la réaction de Jean-Luc Mélenchon sous forme de tweet qui en renvoyant vers cette « Une » a ajouté :

« Enfin le mot juste pour nommer ce qui s’est passé il y a trente ans. Une violence qui n’en finit plus de se payer. »

C’était jeudi de la semaine dernière.

Dimanche, Jean-Luc Mélenchon était l’invité sur France Inter à <Questions Politiques>.

A la fin de l’émission (51:24 de la video), Ali Baddou est revenu sur l’évènement et sur ce tweet.

Et Jean-Luc Mélenchon a confirmé et précisé son « gazouillis » :

« D’abord c’est une annexion, je vous renvoie à mon livre, “le Hareng de Bismarck”, où je fais la démonstration, où je montre comment l’Allemagne de l’Est a été annexée. Ce n’était même pas constitutionnel. Ce n’était pas ce que demandaient les Allemands de l’Est. Ils voulaient, eux-mêmes, faire une Constituante, ils voulaient voter, se prononcer sur l’intégration Est-Ouest et sur la préservation d’un certain nombre de leurs acquis. Dans ce pays, un autre pays voisin a annexé toutes les usines du pays, changé toutes les institutions et modifié le régime de la propriété. Ça s’appelle une annexion. […] C’est une violence sociale inouïe qui a été commise contre les Allemands de l’Est, comme dans tout le reste de l’est de l’Europe et ce n’est pas une bonne chose. »

Le Lundi matin, toujours sur France Inter, l’invité était Daniel Cohn Bendit : <Cette fois la question est posée en début d’entretien>

Daniel Cohn Bendit considère que les propos de Jean-Luc Mélenchon sont d’«une bêtise incroyable »

Et il raconte :

«Ce que fut il y a trente ans la réunification, c’est un mouvement extraordinaire en Allemagne de l’Est pour abattre une dictature. […] Moi, j’ai pleuré, j’ai pleuré… Quand les murs tombent, que cela soit les murs de la dictature au Portugal, que cela soit les murs de la dictature en Espagne, que cela soit les murs au Chili, c’est quelque chose d’extraordinaire. […]

Et ce mouvement non violent extraordinaire de millions de citoyens d’Allemagne de l’Est qui ont fait tomber le mur, ce n’était pas une annexion. »

Il a cependant reconnu que tout n’a pas été parfait et qu’à l’époque d’autres voies auraient peut-être été possible. Mais il ajoute :

« Le débat a été tranché par le vote des gens en Allemagne de l’Est. Ils ont voté à majorité CDU [le parti conservateur, du chancelier Kohl], bah j’y peux rien, c’est la démocratie. »

J’innove aujourd’hui, pour la première fois l’exergue que j’utilise est la concaténation d’avis divergents.

Qui a raison, qui a tort ?

A cet instant je pense à une histoire que me racontait mon père.

Un vieux sage reçoit la visite d’un homme qui lui raconte des faits et tire une conclusion de ces faits. Le vieux sage approuve la conclusion et dit : « tu as raison ».

Un jour plus tard, un autre homme lui rend visite et raconte les mêmes faits, à sa manière et finit par une conclusion diamétralement opposée à celle du précédent visiteur. Le vieux sage approuve aussi cette conclusion et dit : « tu as raison ».

L’épouse du sage qui avait assisté aux deux conversations dit un peu plus tard : « Tu as dit au premier qu’il avait raison, et tu viens de dire au second qui dit l’inverse qu’il a raison aussi ? ».

Je me souviens du sourire malicieux de mon père en rapportant le propos du sage à son épouse : « Tu as raison !».

Il ajouta cependant : « Chacun a raison par rapport au point de vue dans lequel il se place ! »

La réunification de l’Allemagne fut bien une annexion. Les États de la RDA entrèrent dans la République Fédérale Allemande en reprenant la constitution, les règles, l’organisation économique et sociale de la République Fédérale.

D’autres voies auraient été possibles, étaient proposées.

Mais c’est celle qu’avançait le chancelier de l’Allemagne de l’Ouest et son parti la CDU qui fut approuvée par le vote démocratique des allemands de l’Est.

Une annexion n’est pas forcément un acte de guerre. Le dictionnaire du CNRS dit explicitement :

« Tout acte, constaté ou non dans un traité, en vertu duquel la totalité ou une partie du territoire d’un État passe, avec sa population et les biens qui s’y trouvent sous la souveraineté d’un autre État. »

Dans ce sens la réunification fut bien une annexion.

Et comme le montre <cet article> du Monde avec ses cartes, la fracture entre l’Allemagne de l’Est et de l’Allemagne de l’ouest perdure que ce soit selon le critère de la religion, de la présence des jeunes sur le territoire, du taux de chômage, du revenu des ménages et aussi de la taille des exploitations agricoles.

Je finirai par cette photo de Mstislav Rostropovitch jouant Bach, le 11 novembre 1989, devant le mur défait .

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Vendredi 17 avril 2015

Vendredi 17 avril 2015
« Que les idiots disent des idioties, c’est comme les pommiers qui produisent des pommes, c’est dans la nature.
Le problème, c’est qu’il y ait des lecteurs pour les prendre au sérieux. »
Simon Leys

Simon Leys, nom de plume de Pierre Ryckmans, est un écrivain belge, né en 1935 et mort le 11 août 2014 en Australie.

Sa grande œuvre fut de dénoncer la Chine maoïste, son grand combat fut celui contre les intellectuels maoïstes qui étaient très nombreux à l’époque et qui ont tenté par tous les moyens de le dénigrer.

Il a eu cette phrase, mot du jour d’aujourd’hui, dans une émission Apostrophes de Bernard Pivot de 1983 où il dit que le plus grave ce n’est pas que des gens qui ont le pouvoir médiatique ou littéraire,  énonce des contre-vérités mais le plus grave c’est qu’il existe de nombreuses personnes qui les croient et considèrent que c’est la vérité.

En 1971, sous le pseudonyme de Simon Leys, il publia un essai, «Les Habits neufs du président Mao», dénonciation de la Révolution culturelle chinoise. Il sera immédiatement la cible d’une grande partie des intellectuels parisiens dont beaucoup étaient maoïstes.Il sera attaqué  par la revue «Tel Quel» dont Philippe Sollers est un des principaux animateurs et également le journal «Le Monde».

A l’époque, il était assez isolé, soutenu cependant par des intellectuels comme Jean-François Revel et René Étiemble.

Ils étaient peu nombreux à avoir raison devant la cohorte de ceux qui considéraient la Chine de Mao comme un eldorado de la pensée et de l’accomplissement humain.Sartre, Foucault, Barthes, Kristeva étaient dans le camp des idiots.

J’ai choisi cette phrase comme mot du jour, parce que nous sommes le 17 avril 2015 et qu’il y a 40 ans : le 17 avril 1975, alliés de la Chine, les Khmers rouges entraient dans Phnom Penh.<Et vous lirez dans cet article de 2012 de l’Express le même aveuglement d’intellectuels, souvent les mêmes maoïstes, face aux -crimes des khmers rouges>

Les estimations des victimes varient entre 740 000 et 2 200 000 morts sur une population d’un peu moins de 8 000 000 habitants.Vous lirez les noms de ces intellectuels qui ont dit des idioties : Noam Chomsky, Jean Lacouture, Vergés, Serge July et bien d’autres.

Le Monde et la plupart des organes de presse, y compris Le Nouvel Observateur seront du mauvais côté.

La Une de Libération, le 17 avril 1975 s’intitule «Le drapeau de la résistance flotte sur Phnom Penh»
et quelques jours après «7 jours de fête pour une libération

Simon Leys, avait raison à l’époque contre beaucoup.

La question qu’il est légitime de se poser : quelles sont les idioties d’aujourd’hui ? et qui sont les Simon Leys ?

Les idiots devraient être plus faciles à reconnaître : on les voit souvent et ils parlent avec l’assurance de la vérité révélée.

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Jeudi 27 novembre 2014

« L’Épigramme contre Staline »
Ossip Mandelstam

Ceci est le 400ème mot du jour.

Pour cet instant particulier je vous offre un moment d’Histoire, un poème politique écrit il y a 80 ans (81 pour ceux qui aiment la précision – novembre 1933) par un des grands poètes russes :  Ossip Mandelstam

L’épigramme d’Ossip Mandelstam demeure, en seulement seize vers, l’un des textes les plus engageants jamais écrits. L’intransigeance du poète, face à Staline et à la Tchéka, font de lui un homme exceptionnel, un exemple de désobéissance civile et de courage contre la barbarie.

Voici ces seize vers :

« Nous vivons sans sentir sous nos pieds le pays,
Nos paroles à dix pas ne sont même plus ouïes,
Et là où s’engage un début d’entretien, —
Là on se rappelle le montagnard du Kremlin.

Ses gros doigts sont gras comme des vers,
Ses mots comme des quintaux lourds sont précis.

Ses moustaches narguent comme des cafards,
Et tout le haut de ses bottes luit.

Une bande de chefs au cou grêle tourne autour de lui,
Et des services de ces ombres d’humains, il se réjouit.

L’un siffle, l’autre miaule, un autre gémit,
Il n’y a que lui qui désigne et punit.

Or, de décret en décret, comme des fers, il forge —
À qui au ventre, au front, à qui à l’œil, au sourcil.

Pour lui, ce qui n’est pas une exécution, est une fête.
Ainsi comme elle est large la poitrine de l’Ossète. »

D’abord, ce poème a été composé à la voix, de tête, puis Mandelstam livre cette épigramme à un cercle restreint de connaissances.

En 1934, le poète confie à sa femme Nadejda Mandelstam : « Je suis prêt à mourir. »

Un jour, il croise Boris Pasternak et lui récite son poème.

Effrayé, Pasternak ajoute :

« Je n’ai rien entendu et vous n’avez rien récité. Vous savez, il se passe en ce moment des choses étranges, terribles, les gens disparaissent ; je crains que les murs aient des oreilles, il se pourrait que les pavés aussi puissent entendre et parler. Restons-en là : je n’ai rien entendu. »

Mandelstam, reçoit la visite de trois agents de la Guépéou dans la nuit du 16 au 17 mai 1934. Ils lui présentent un mandat d’arrêt et perquisitionnent jusqu’au matin et l’arrêtent.

Mandelstam quitte sa femme Nadejda et ses amis à 7 heures du matin pour la Loubianka.

Tous les manuscrits sont confisqués, lettres, répertoire de téléphone et d’adresses, ainsi que des feuilles manuscrites. Mais pas d’épigramme…

Ce poème ne fut écrit que devant le juge d’instruction de la Loubianka où « le poète coucha ces seize lignes sur une feuille à carreaux arrachée d’un cahier d’écolier. Il a défendu « sa dignité d’homme, d’artiste et de contemporain, jusqu’au bout. »

Cette épigramme sera plus tard cataloguée comme « document contre-révolutionnaire sans exemple » par le quartier général de la police secrète.

Pour Vitali Chentalinski, c’était « plus qu’un poème : un acte désespéré d’audace et de courage civil dont on n’a pas d’analogie dans l’histoire de la littérature. En réalité, en refusant de renier son œuvre, le poète signait ainsi sa condamnation.

<Un article de Wikipedia sur l’épigramme contre Staline>

<Ici la page Wikipedia sur Ossip Mandelstam>

<Un magnifique texte sur Mandelstam>
Et puis il me semble indispensable aussi de dire quelques mots sur son extraordinaire épouse Nadejda Iakovlevna Khazina née à Saratov le 31 octobre dans une famille juive de la classe moyenne, Elle épouse en 1921 Ossip Mandelstam. Quand Ossip est arrêté en 1934 pour son Épigramme contre Staline elle est exilée avec lui à Tcherdyne, dans la région de Perm, puis à Voronej.

Après la deuxième arrestation et la mort de son mari dans le camp de transit de Vtoraïa Rechka (près de Vladivostok) en 1938, Nadejda Mandelstam mène un mode de vie quasi-nomade, fuyant parfois à une journée près le NKVD, changeant de résidence à tous vents et vivant d’emplois temporaires.

Elle s’est fixé comme mission la conservation de l’héritage poétique de son mari. Elle a appris par cœur la majeure partie de son œuvre clandestine, parce qu’elle ne faisait pas confiance au papier.

Après la mort de Staline, elle achève son doctorat en 1956 et est autorisée à revenir à Moscou en 1958.

En 1979, elle fait don de toutes ses archives à l’Université de Princeton.

Nadejda Mandelstam meurt à Moscou le 29 décembre 1980 à l’âge de 81 ans.

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