Mercredi 16 novembre 2016

Mercredi 16 novembre 2016
«Jusqu’à très récemment, la folle inégalité de richesse entre les Américains était un sujet tabou.
Aujourd’hui, pour la première fois en quarante ans, on en parle, tant à droite qu’à gauche. Et là, peut-être, réside un espoir.»
Philipp Meyer,  écrivain, auteur de Un arrière-goût de rouille (éd. Folio) et Le Fils (éd. Albin Michel)
TELERAMA a publié la réaction de 3 écrivains américains après la victoire de Donald Trump.
L’un d’entre eux, Philipp Meyer, a écrit : « C’est une erreur de penser que Trump a gagné l’élection uniquement parce qu’il a fait appel au thème du racisme, à la crainte que l’Amérique devient moins blanche. Tous les candidats de droite ont toujours fait de même. Trump a gagné l’élection parce qu’il était le seul Républicain qui parlait constamment des dégâts que la mondialisation, les marchés financiers non régulés et le commerce complètement libre ont fait à l’Amérique et aux Américains. Les gens qui ont porté Trump au pouvoir sont ceux qui ont tout perdu lors des quarante dernières années passées sous le règne de politiques économiques déterminées par le marché. Les classes moyennes et populaires que la mondialisation a dévastées.
De plus, Hillary Clinton n’était pas aimée. Les gens de droite la détestaient, mais ceux de gauche également. Wall Street la payait un quart de million de dollars pour chacun de ses discours. Et elle était censée remplacer Obama ? Ce ne pouvait être qu’une plaisanterie. Bernie Sanders aurait probablement gagné la nomination démocrate, mais le parti, avec l’aide de ses alliés dans les médias, y compris le New York Times, s’est assuré que ce ne soit pas le cas.
Jusqu’à très récemment, la folle inégalité de richesse entre les Américains était un sujet tabou. Aujourd’hui, pour la première fois en quarante ans, on en parle, tant à droite qu’à gauche. Et là, peut-être, réside un espoir.»
Le livre de Piketty sur le Capital a eu un énorme succès aux Etats Unis probablement pour cette raison : Ce pays inégalitaire et qui l’a toujours accepté commence à interroger cette réalité : N’est-on pas allé trop loin dans l’inégalité ?
Cette question est très pertinente. Mais donner comme réponse Donald Trump constitue quand même un pari audacieux …
D’autant que si Philipp Meyer cible dans son analyse les marchés financiers non régulés, il semblerait que Donald Trump annonce vouloir aller encore plus loin dans la dérégulation.

Mardi 15 novembre 2016

Mardi 15 novembre 2016
« Pour moi les éduqués supérieurs ne sont pas supérieurs »
Emmanuel Todd conférence ISEGORIA du 8 novembre 2016
Je l’avoue, j’ai eu un coup de froid avec Emmanuel Todd depuis son livre <Qui est Charlie ?>  et l’invention du concept de catholique zombie.
Mais, il a tenu une conférence le 8 novembre, avant de connaître les résultats de l’élection américaine, et il m’a paru à nouveau iconoclaste, brillantissime et particulièrement intéressant.
Vous trouverez cette conférence derrière ce lien, Il faut immédiatement aller à la 41ème minute : https://www.youtube.com/watch?v=xZYgUwmWWVw
Dans une première partie, il revient sur le libre-échange dont il est un des pourfendeurs et explique l’émergence de Trump par le fait qu’il a mis  en cause deux des dogmes des tenants de la globalisation : la liberté des échanges et la liberté de circulation des hommes.
Il décrit la globalisation comme une vision individualiste des hommes, il n’y a que des individus qui sont soumis au marché mondial. La politique en est absente.
Il reconnait l’intérêt du libre-échange au moins dans un premier temps mais rappelle que le premier moteur de ce libre échange est le désir des détenteurs des capitaux (pour ne pas utiliser le terme marxiste des capitalistes) d’augmenter le taux de profit, ce que font d’ailleurs remarquablement les multinationales américaines.
Vous écouterez son développement avec intérêt.
Mais le plus intéressant de cette conférence se situe à l’extrême fin de sa conférence quand il évoque la fracture entre l’élite intellectuelle et économique et le reste du peuple.
Car pour revenir à l’élection américaine, comme d’ailleurs au Brexit, chaque fois on constate la même rupture entre une élite qui parle à travers les médias et le vote populaire qui ne va pas dans le sens souhaité par l’élite.
Ainsi on apprend grâce au Figaro du 11 novembre que si  49% des blancs diplômés ont voté pour Trump, ce sont 67% des sans diplômes blancs qui ont voté pour le milliardaire qu’Alain Finkelkraut a simplement désigné sous l’expression <gros con>.
Pour revenir à Emmanuel Todd, il se demande si les classes supérieures éduquées sont tellement supérieures intellectuellement (c’est vers 2h22). Car il conteste que l’élite prenne les bonnes options dans l’intérêt bien compris du plus grand nombre.
« Nous sommes entre nous et nous pouvons le dire : le tri, la sélection des étudiants se fait sur l’intelligence peut-être mais pas seulement et vous le savez bien.
Les études dont le but était initialement émancipateur, est devenu une formidable machine à trier et à tamponner la population jeune à un certain niveau pour son avenir social.
Le mécanisme éducatif est devenu une machine à créer les classes sociales du futur. C’est une machine à fabriquer de l’inégalité. Et comme c’est une machine destinée à fabriquer de l’inégalité, c’est aussi devenu une machine à justifier l’inégalité.
[Bien sûr], les bons élèves existent, je veux bien admettre que les gens sont plus ou moins intelligents, mais le mécanisme de tri par l’éducation et la machine sociale qui fabrique ce tri aboutissent sans doute à exagérer énormément, dans l’inconscient collectif, les différences supposées d’intelligence. […]
Et le tri, particulièrement dans les études supérieures ne se fait pas que sur le critère de l’intelligence. Il se fait aussi beaucoup sur le critère de l’obéissance. Nous vivons dans un monde de concours où nous devons être le plus parfait possible.
Pour être parfait, il faut être lisse, il ne faut pas penser [par soi-même].
[Dans] tout le système des élites et des éduqués supérieurs, il y a de l’intelligence mais il y a aussi de la soumission comme critère de tri.
Et au final, qu’est-ce qu’on obtient comme classe supérieure ?
Est-ce qu’on obtient, une classe supérieure collectivement tellement remarquable par son intelligence. Cela ne me parait pas tellement évident.
Qui oserait décrire la classe supérieure française comme intelligente collectivement ?
Et pourtant c’est tous des super bons élèves.
On peut dire la même chose de la classe supérieure de Washington. […]
Il ne faudrait surtout pas croire que la stratification de la société par les niveaux d’études correspond à la description du niveau de capacité intellectuelle des populations.
En haut de la société vous aurez une sur-accumulation de conformisme et de crétinisme par obéissance aux consignes reçues depuis la petite enfance.
Et en bas vous aurez des gens parfaitement intelligents mais qui n’ont pas été pris dans le moule du système parce qu’ils ont un peu plus de mal à obéir. »
Et il finit par cette conclusion « Pour moi les éduqués supérieurs ne sont pas supérieurs »
Vous trouverez aussi une transcription de la fin de sa conférence sur ce blog : http://blog.europa-museum.org/post/2016/11/10/Une-sur-accumulation-de-conformisme-et-de-cretinisme
J’ajouterai à ce que dit Todd sur la soumission, la reproduction de plus en plus génétique des élites : on fait partie de l’élite de père en fils ou de mère en fille, car il y aussi transmission des codes, des réseaux et un meilleur apprentissage de la soumission.
Cela dit je ne crois pas un seul instant que Donald Trump ait la volonté ni la possibilité de faire évoluer cet état de chose.
Bien au contraire.

Lundi 14 novembre 2016

Lundi 14 novembre 2016
« Hillary Clinton n’a pas gagné les élections présidentielles malgré Donald Trump »
Pensées personnelles sur les élections américaines.
Et le 9 novembre au matin, nous apprîmes que le 45ème Président des Etats-Unis ne serait pas une femme, mais l’extravagant Donald Trump.
Le 9, le 10 et bien sûr le 11 novembre il n’y eut pas de mot du jour.
Certains m’ont écrit des messages et des questions inquiètes : La victoire de Trump m’avait-elle plongé dans un tel état de sidération que je m’étais réfugié dans le silence ?
Cette hypothèse n’est en rien farfelue, mais elle est fausse.
Le dernier mot du jour sur la « politique post vérité » dont l’intérêt ne vous a certainement pas échappé était fort long et il fallait lire jusqu’au bout pour arriver à cette phrase : « Je vais prendre quelques jours de congé, le prochain mot du jour sera envoyé le 14 novembre 2016. ».
Il y a quelques années, j’avais fait un  stage à Paris sur la lecture rapide. Une idée force que j’ai retenue pour appréhender un livre ou un texte long : il faut toujours lire le début et la fin, pour le milieu on se débrouille…Quand on a le temps et l’intérêt on le lit attentivement, sinon on le survole de plus ou moins haut.
Donc pour ce premier mot du jour après l’élection que dire ?
J’ai hésité, d’abord, entre un mot de Gramsci et le titre d’un journal conservateur iranien.
La phrase de Gramsci est la suivante : « L’ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour, dans ce clair-obscur surgissent les monstres. ». (Les Cahiers de Prison, Cahiers 3, Ed. Gallimard Paris, 1983)
Sidération est le mot qu’il convient d’appliquer aux gouvernants des pays occidentaux suite à cette élection qu’ils n’espéraient pas et à laquelle ils ne croyaient pas. Même la Russie de Poutine exprime beaucoup de réserves bien que  Donald Trump ait exprimé sa volonté de sortir de l’opposition avec son pays et de trouver un « bon deal » (mot qui lui est cher) avec la Russie. Mais Poutine n’aime pas les personnes imprévisibles.
Pour trouver des forces politiques qui se réjouissent il faut essentiellement  chercher du côté des extrémistes comme Marine Le Pen, Beppe Grillo ou des conservateurs iraniens.
Un autre mot du jour auquel vous avez échappé est ainsi : « La victoire du fou sur la menteuse ; un autre exploit de la démocratie libérale » qui est le titre d’un quotidien ultraconservateur iranien Kayhan.
 
Beaucoup de choses ont été écrites sur cette élection depuis le 9 novembre.
D’abord pour souligner le côté baroque d’une élection indirecte où Hillary Clinton, bien qu’ayant obtenu plus de voix que son rival, a été déclarée vaincue à cause du système des grands électeurs qui organise l’élection.
Ensuite, certains affirment que Clinton a été vaincue parce qu’elle est une femme et qu’après avoir élu un noir, voter pour une femme c’était trop progressiste pour être acceptable. Peut-être…
Le vote est un vote blanc affirme d’autres ! C’est vrai, les blancs ont voté à 58% pour Trump, alors que les noirs à 88% et les hispaniques à 65% ont voté pour Clinton.
Il y a aussi eu un vote religieux, les protestants ont voté à 58% et les catholiques à 52 % pour Trump. Les chrétiens ont donc voté pour quelqu’un se situant très loin de leurs valeurs. Toutes les autres religions et les sans religions ont voté à moins de 30% pour Trump, les juifs à 24%.
Toutes ces statistiques totalement impensables en France sont parfaitement acceptées et détaillées aux Etats Unis.
Les femmes ont quand même voté à 54% pour Clinton, mais pas les femmes blanches qui ont voté majoritairement pour Trump !
Trump aurait dû être battu, puisqu’il a eu des propos qui aurait dû dresser contre lui l’unanimité des femmes, des noirs et des hispaniques. Or ce ne fut pas le cas !
En outre, ses compétences pour le job ne sont pas évidentes.
Alors ont peu avoir une vision moraliste, comme beaucoup d’analystes mais je ne crois pas que cela permet de comprendre le monde et surtout pas cette élection.
En 2008, Obama a battu Mac Cain en obtenant 69,5 millions de suffrage contre près de 60 millions pour le Républicain.
Et en 2012, Obama obtint près de 66 millions de voix contre 61 millions à Mitt Romney.
Hillary Clinton a obtenu, en 2016, 60 839 922 voix et Trump 60 265 858 voix soit moins de voix que Mitt Romney, il y a 4 ans. Trump a eu à peine quelques voix de plus que Mac Cain en 2008, alors que ce dernier a été largement défait par Obama.
Ce qui s’est passé, ce n’est pas l’élection de Trump, c’est la défaite d’Hillary Clinton !
Trump a juste su conserver le vote républicain traditionnel malgré ses positions iconoclastes par rapport aux valeurs des républicains fondamentalistes.
Hillary Clinton a perdu alors qu’elle avait en face d’elle un homme qui aurait dû être rejeté par les femmes, les religieux, les minorités ethniques etc.
Alors on peut revenir sur les défauts d’Hillary Clinton. Mais fondamentalement quelle était l’opposition entre Clinton et Trump ?
Clinton avait une vision plus sociale mais surtout ne voulait rien changer sur les fondamentaux économiques et le libre-échange.
Or Trump a eu un discours très clair pour le protectionnisme, l’arrêt de l’immigration et la diminution de la couteuse politique d’intervention militaire des USA dans le monde.
Bernie Sanders, avec des moyens tout à fait différents et des solutions de redistribution très éloignées des conceptions de Trump, développait la même critique de fond sur le système économique.
Les Etats-Unis sont toujours très en avance sur les autres pays.
La globalisation est essentiellement l’œuvre des anglo-saxons et surtout des américains. Cette globalisation s’est basée sur le libre-échange, la libre circulation des marchandises et des capitaux, à un degré moindre la libre circulation des hommes.
Le libre-échange permet une plus grande production de richesses et dans un premier temps elle permet aux classes moyennes des pays développés d’augmenter son pouvoir d’achat parce que les produits vendus sont moins chers.
Mais maintenant, les choses sont claires, à moyen et long terme le libre-échange ne profite, dans les pays développés, qu’à une minorité.
C’est ce dont s’aperçoivent les américains, les salaires stagnent voire régressent. Si des esprits « modernes », comme Alain Juppé par exemple qui dit vouloir appliquer en France des recettes qui ont marché ailleurs, se fondent sur le taux de chômage très bas aux Etats-Unis ils se leurrent ou ils nous trompent.
Le taux de chômage officiel aux Etats-Unis est de 5% environ alors qu’en France il est de 10%. Mais le chômage s’analyse comme le nombre de personnes qui cherchent officiellement un emploi.
Il existe une autre manière de quantifier, bien plus solide pour analyser ce qui se passe dans la société économique, c’est de mesurer dans la population des personnes en âge de travailler le taux d’individus qui n’ont pas d’emploi.
Et dans cette mesure on verra que les Etats-Unis ne font pas mieux que La France et même plutôt moins bien. Vous pouvez, par exemple, lire cet article : http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2015/05/20/un-taux-de-chomage-plus-eleve-aux-etats-unis-qu%E2%80%99en-france/
Quand on fait cette mesure, on inclut dans les sans emploi, des personnes qui ont choisi de ne pas travailler, peut-être des femmes, voire des hommes au foyer, mais on approche aussi le nombre de gens exclus, découragés et qui ne tentent même plus de trouver un emploi.
Les blancs sont privilégiés aux Etats-Unis, vous constaterez cependant si vous lisez cet article réservé aux abonnés du Monde que le taux de mortalité a augmenté aux Etats-Unis au sein de la population blanche non éduquée.
En dehors des positions moralistes qui se défendent car certains des propos de Trump sont odieux et inacceptables et son rejet du réchauffement climatique constitue un danger supplémentaire pour l’humanité, il faut constater cependant que des américains avaient des raisons sérieuses de rejeter le statu quo économique que leur proposait Clinton.
 
Ont-ils pour autant eu raison de permettre à Trump d’accéder aux plus hautes fonctions ?
Et Trump fera t’il ce qu’il a dit ?
L’avenir nous renseignera sur ces deux points.
Je dois l’avouer, je suis très pessimiste

Mardi 08/11/2016

Mardi 08/11/2016
« Post-truth politics »
La politique post-vérité
Katharine Viner  rédactrice en chef du Guardian
C’est donc aujourd’hui que les états-uniens vont choisir leur 45ème président, Barack Obama ayant été le 44ème.
Dans le mot du jour d’hier était évoqué le concept de « l’ère post-vérité » dont Donald Trump est un des meilleurs pratiquants. Mais ce sont des anglais qui ont inventé ce concept suite au Brexit, en constatant que les principaux arguments qui ont été utilisés pour convaincre les britanniques de voter pour le Brexit étaient des mensonges par exemple que l’intégralité de la contribution britannique à l’Union européenne pourrait être utilisé pour améliorer leur système de santé alors qu’aujourd’hui cette masse d’argent ne servirait à rien aux habitants de Grande Bretagne.
<C’est par une émission des matins de France Culture que j’ai été sensibilisé à cette réalité> où la vérité ne semble plus présenter aucune importance. C’est à dire que l’homme politique peut dire n’importe quoi, que des sites nombreux et documentés prouvent que ce qu’il dit est faux, mais que cela ne présente aucune importance par rapport aux votes des citoyens.
C’est pour moi une grande déception. J’avais pensé qu’Internet permettrait de combattre le mensonge notamment politique. Force est de constater que ce n’est pas vrai. Le journaliste Hubert Guillaud l’explique par cette formule : «la vérité devient une opinion parmi d’autres »
L’émission de France Culture présente le sujet de la manière suivante : « L’alliance involontaire entre les populistes conservateurs et les géants de l’internet n’est pas sans conséquence sur notre vie démocratique : à l’heure de la politique en ligne, doit-on faire le deuil de la vérité ?
Ce sont deux articles du quotidien londonien The Guardian et de l’hebdomadaire anglais The Economist qui ont fait grand bruit outre-manche et ont lancé ce débat. Alors qu’on pensait intuitivement que l’armée de commentateurs vigilants des réseaux sociaux et la mémoire infinie offerte par internet allait contraindre les hommes politiques à plus de prudence dans leur parole publique, il apparaît avec l’ascension de Donald Trump et la victoire surprise du Brexit en Angleterre qu’il n’en est rien. Mal surveillés par des journalistes, incapables d’allier l’info en continu et un travail approfondi de vérification, misant sur la liberté d’expression totale offerte par les réseaux sociaux, les populistes ne s’embarrassent plus de précautions et répandent dès qu’ils le peuvent exagérations, demi-vérités, rumeurs et mensonges. Aidés par des algorithmes conçus pour orienter les internautes vers des contenus susceptibles de leur plaire, ils bénéficient d’une caisse de résonance nouvelle et, à en croire les grandes tendances électorales, redoutablement efficace.
Nous recevons pour en parler Gérald Bronner, sociologue, auteur de « La Démocratie des crédules » (Editions PUF) , et en deuxième partie d’émission, Cédric Mathiot, journaliste et créateur de la rubrique « Désintox » du journal Libération, qui a publié “Petit précis des bobards de campagne” (Editions Presses de la Cité) en 2012.»
Katharine Viner, rédactrice en chef du Guardian a en effet publié un article analysant comment la technologie bouleverse la vérité (un article que vient de traduire Courrier International). Article que mon ami Jean-François de Dijon m’a également signalé. Il m’a d’ailleurs envoyé le scan de cet article que je joins à l’article.
J’ai trouvé un autre long article qui approfondit ce sujet et dont je vous cite de très larges extraits :
« L’article de Katharine Viner nous explique qu’à l’heure des réseaux sociaux, la vérité ne compte plus. La journaliste prend notamment l’exemple du Brexit détaillant le fait que les arguments de ceux qui ont fait campagne pour la sortie du Royaume-Uni de l’Europe se sont écroulés le lendemain même de l’élection. « Le Brexit a été le premier scrutin d’une nouvelle ère, celle de la politique post-vérité. Les partisans du maintien du Royaume-Uni dans l’UE ont bien – mollement – tenté de démontrer les mensonges du camp adverse en s’appuyant sur des faits, mais ils ont vite découvert que les faits ne pesaient pas lourd dans les débats».
Pour elle, la presse eurosceptique a fait feu de tout bord pour créer un lien émotionnel qui l’a largement emporté sur la présentation factuelle de l’autre camp. Et les réseaux sociaux notamment ont renforcé l’absence de consensus, l’absence de vérité partagée. Les rumeurs et les mensonges l’ont emporté sur les faits. « A l’heure du numérique, il n’a jamais été aussi facile de publier des informations mensongères qui sont immédiatement reprises et passent pour des vérités. » Pour la journaliste, combattre cette escalade de désinformation nécessite des organes de presse fiables pour parvenir à dissiper les rumeurs…
C’est oublier peut-être que l’enjeu, en fait, n’est pas la vérité. Dans les conversations et les rumeurs que l’on colporte, la vérité n’a pas sa place…. « Les gens relaient les opinions des autres, même s’il s’agit de mensonges ou d’informations fallacieuses ou incomplètes, parce qu’ils ont le sentiment d’avoir appris quelque chose d’important », explique Danielle Citron spécialiste du harcèlement en ligne.
Et les algorithmes des médias sociaux qui nous enferment dans nos bulles de filtres nous proposent une vision du monde soigneusement sélectionnée pour aller dans le sens de nos croyances et de nos convictions, nous éloignant de toutes réfutations. Sur Facebook, Tom Steinberg (@steiny), le fondateur de MySociety, au lendemain du Brexit, disait : « Je cherche activement des gens qui se réjouissent de la victoire des pro-Brexit sur Facebook, mais les filtres sont tellement forts et tellement intégrés aux fonctions de recherche personnalisées sur des plateformes comme Facebook que je n’arrive pas à trouver une seule personne contente de ce résultat électoral, et ce alors que près de la moitié du pays est clairement euphorique aujourd’hui »… Pour lui, il y a là un facteur de division extrêmement grave de la société : « nous ne pouvons pas vivre dans un pays où la moitié des gens ne savent strictement rien de l’autre moitié ».
Pourtant, peut-on accuser seulement les réseaux sociaux et la personnalisation algorithmique de cette évolution ? Nos bulles de filtres et nos chambres d’échos sont-elles les seules responsables de cette évolution ?
Pour Emily Bell, directrice du Tow Center for Digital Journalism de l’université de Columbia, les organes de presse ne contrôlent plus la diffusion de leurs contenus. Et les réseaux sociaux concentrent un pouvoir d’accès à l’information qui n’a jamais existé jusqu’à présent. A l’image de ce que révélait la récente grande enquête du New York Times Magazine montrant la puissance de nouveaux médias politiques qui fabriquent du contenu uniquement pour Facebook, dont le but n’est pas d’attirer les internautes vers des articles, mais de développer le partage et les revenus, sans aucune déontologie en faveur de la prudence ou la véracité de l’information. Comme le soulignait la lecture par Xavier de la Porte de cet article : « ces sites privilégient ce qui choque (…). Ils fabriquent des mèmes (c’est-à-dire des motifs que les internautes vont utiliser, détourner, partager). (…) Ils ne poursuivent pas tous un but politique », mais parfois seulement un but commercial, où le clic est le seul modèle d’affaires.
Katharine Viner pointe la même dérive des contenus taillés sur mesure pour ces outils sociaux, cette junk food news… Pour elle « trop d’entreprises de presse mesurent leurs contenus en termes de viralité au détriment de la qualité ou de la vérité ». Les rumeurs et les mensonges circulent plus rapidement du fait de leur caractère sensationnel. L’important n’est plus que les histoires soient vraies, mais que les gens cliquent ! Pour Katharine Viner, « l’ère des faits est révolue ».
[…] Katharine Viner analyse ce changement depuis la presse : la presse en ligne s’appuie sur un modèle fondé sur le nombre de clics, l’audience. Or, dans cette logique, face à des contenus conçus pour la viralité, la presse ne peut que perdre la bataille de la vérité. La solution repose-t-elle sur un nouveau modèle économique de la presse, comme l’appelle de ses vœux la journaliste ? C’est certainement croire trop rapidement que les nouveaux acteurs de l’information qui exploitent très bien ces outils sociaux relèvent d’un projet éditorial de type presse… Or, comme le montrait l’enquête du New York Times, l’objectif de ces nouveaux acteurs et la façon même dont fonctionnent les médias sociaux n’est pas exactement le même que ceux d’un média.
L’enjeu ne semble pas tant de renforcer la déontologie de la presse que de laisser le champ libre à ces acteurs qui exploitent les médias sociaux, sans avoir toujours réellement des liens avec une forme de presse. Plus que de définir le rôle des médias dans un espace public fragmenté et déstabilisé, l’enjeu tient peut-être plus d’évoquer ces nouveaux objets médiatiques qui utilisent les réseaux sociaux pour démultiplier leur audience. […]
Pour le spécialiste Jayson Harsin, c’est un ensemble de conditions convergentes qui ont créé les conditions de ce nouveau régime de post-vérité explique-t-il dans un article publié dans la revue Communication, Culture & Critique. Pour lui, ces changements ne relèvent pas seulement de la responsabilité des réseaux sociaux. Mais tiennent aussi du développement de la communication politique professionnelle et du marketing politique. Ils relèvent également du développement des sciences cognitives et comportementales et du marketing qui permet l’utilisation stratégique des rumeurs et mensonges de manière toujours plus ciblés, de la fragmentation des médias et des gardiens de l’information centralisée ; de la surcharge d’information et son accélération ; ainsi que des algorithmes qui régissent, classent et personnalisent l’information à laquelle on accède. Un ensemble d’éléments convergents qui empêche un retour à des formes antérieures de journalisme, comme l’appelle Viner.
Comme le souligne Harsin, même l’explosion du fact checking, cette pratique de vérification des arguments, n’a pas été capable de rétablir l’autorité des médias. Pire, estime-t-il, les rumeurs prennent une place de plus en plus importante dans l’économie de l’attention… Pourtant, souligne le chercheur, la surcharge informationnelle et la démultiplication de l’information ne sont pas des explications suffisantes. « La géographie de l’information et de la vérité s’est déplacée comme la temporalité de la consommation de médias : elle n’est plus délivrée le matin ou le soir, mais elle est composée de millions d’alertes et de vibrations (…) et les informations se déplient dans une économie de l’attention de plus en plus chargée affectivement et constamment connectée ». Pour Harsin, c’est la marque d’un changement du régime de vérité au profit de marchés dédiés qui produisent, planifient et managent l’information par l’entremise de l’analyse prédictive. L’information tient désormais plus d’un marché que d’un espace public et citoyen. […]
Dans le New York Times, l’économiste britannique William Davies (@davies_will), revient également sur ce sujet. Les acteurs de la production d’information se sont démultipliés, rappelle-t-il. « Si les journaux peuvent tenter de résister aux excès de la démagogie populiste, ils ont plus de mal à répondre à la crise des faits », c’est-à-dire à l’inflation des sources, des études… dont le niveau de crédibilité est trop insuffisamment évalué.
[…] Or, souligne Davies, nous sommes au milieu d’une transition qui nous fait passer d’une société de faits à une société de données. Selon lui, la confusion règne autour de l’état exact des connaissances et des chiffres dans l’espace public, exacerbant le sentiment que la vérité elle-même est en train d’être abandonnée. Pour Davies, nous sommes confrontés à un volume sans précédent de données, mais celles-ci sont surtout utilisées pour recueillir le sentiment des gens. Les marchés financiers eux-mêmes ne sont plus tant des faits que des outils d’analyse des sentiments des investisseurs. « Une fois que les chiffres sont considérés comme des indicateurs de sentiment plutôt que comme des déclarations sur la réalité, comment pouvons-nous avoir un consensus sur la nature des problèmes sociaux, économiques et environnementaux ou pire encore, nous entendre sur les solutions à y apporter ? » Les mensonges et les théories du complot prospèrent donc. Et tandis que nous avons toujours plus de moyens pour mesurer combien de personnes croient en ces théories, il semble que nous ayons de moins en moins de moyens pour les persuader de les abandonner.
[…]
Dans une tribune livrée à FastCoExist,  [l’essayiste Douglas Ruskoff] rappelle que les promoteurs des nouvelles technologies ont longtemps pensé que le numérique allait nous aider à nous connecter au monde entier, annonçant, un peu naïvement, une nouvelle communauté mondiale de pairs promettant de nous libérer des frontières entre les hommes… Ce n’est pas ce qui est vraiment arrivé.
Loin de seulement abêtir les foules comme on le lui reproche facilement, la télévision a créé une société plus ouverte, plus globale. Grâce à la télévision, les gens ont pu voir pour la première fois comment la vie se déroulait ailleurs. « La télévision nous a tous connectés et a brisé les frontières nationales », estime-t-il. Or, pour Ruskoff, l’environnement des médias numériques est différent : il repose d’abord sur la polarisation et la distinction. Les médias numériques valorisent des choix binaires : ce que vous appréciez ou n’appréciez pas, ce avec quoi vous êtes d’accord ou pas, noir ou blanc, riche ou pauvre. Leur fonctionnement favorise une boucle de rétroaction qui auto-renforce chaque choix que nous faisons, qui personnalise nos contenus et nous isole davantage dans nos propres bulles de filtre. « L’internet nous aide à prendre parti » – pourtant, il faut rappeler que cette question de la polarisation reste discutée. Ce qui est sûr, c’est que les médias numériques offrent un environnement très différent de celui de la télévision.
[…] Force est de reconnaître que pour l’instant, les solutions au problème sont plutôt rares. Certes, on peut améliorer la vérification des faits. Nombre d’entreprises développent des outils permettant de mesurer la fiabilité de l’information. Pas sûr pourtant que cela ait beaucoup d’impact sur tous ceux qui ont d’autres motivations que propager la vérité. Les appels à améliorer la qualité de l’actualité associent surtout des médias traditionnels qui sont, finalement, assez peu les moteurs de cette détérioration. Si la réponse est vertueuse, la cible ne semble pas être adaptée au problème, à l’image de la coalition récente First Draft News. En fait, comme le souligne Clay Shirky dans le New Scientist, nous ne sommes pas dans une guerre de l’information, mais dans une guerre culturelle. Le problème de ces réponses est qu’elles n’abordent qu’une partie du problème. Avancer un argument politique qui porte n’a pas grand-chose à voir avec la vérité. L’émotion et l’autorité comptent tout autant, sinon plus, que la vérité. Nous ne sommes plus à l’ère de la post-vérité, mais bien à celle du mensonge éhonté, où la vérité devient une opinion parmi d’autres…»
Vous trouverez l’article complet écrit par Hubert Guillaud derrière <ce lien>
Je vais prendre quelques jours de congé, le prochain mot du jour sera envoyé le 14 novembre 2016.

Lundi 07/11/2016

Lundi 07/11/2016
« Une par une, les digues ont sauté. »
Sylvie Kauffman, à propos des élections américaines
Jamais nous ne pensions que ce personnage grossier qui passe son temps à insulter et à proposer des solutions anachroniques, qui dans sa longue vie d’affaires et personnelles a accumulé des casseroles, des faillites, des comportements odieux ne sortirait des primaires républicaines. Et pourtant Donal Trump l’a fait.
Nous pensions qu’enfin après la vidéo montrant sa manière de considérer et de parler des femmes, il n’existait plus aucune chance qu’il puisse emporter l’élection présidentielle américaine.
Les gens raisonnables continuent à penser, que ses chances pour l’emporter sont faibles, mais ils ne l’excluent plus depuis que par la décision du Directeur du FBI, l’enquête sur les courriels diplomatiques de Hillary Clinton a été relancée, même si hier soir, on apprenait que le FBI maintenait sa position de ne pas poursuivre Hillary Clinton. Cette position est a priori favorable à la candidate démocrate, mais Hillary Clinton reste très critiquée et détestée.
Pour celles et ceux qui ne suivent pas l’actualité, rappelons les faits (les autres pourrons sauter ce paragraphe vert).
Hillary Clinton a envoyé des mails diplomatiques alors qu’elle était Secrétaire d’État par l’intermédiaire d’outils personnels, alors qu’elle devait le faire par le canal des outils de l’appareil D’État des États-Unis. Selon le contenu des mails, cela peut constituer une faute très grave contre la sécurité des États-Unis. Il semblait que cette affaire était plus ou moins enterrée.
Mais une et peut être même la plus proche collaboratrice d’Hillary Clinton, Huma Abedin de père Indien ayant travaillé pour l’Arabie saoudite et d’une mère pakistanaise, a eu la bonne idée d’épouser un politicien démocrate Antony Weiner qui s’est révélé être un personnage ayant des mœurs et des comportement sexuels que la morale et aussi la Loi américaine réprouvent.
Dans le cadre d’une enquête pénale, car il est reproché à Antony Weiner d’avoir envoyé des messages sexuels à une adolescente de 15 ans, la police a découvert sur l’ordinateur de Weiner, un grand nombre des mails diplomatiques d’Hillary Clinton.
C’est cette découverte qui a poussé le Directeur du FBI, James Comey a écrire à des élus, vendredi 28 octobre, pour les informer que ses équipes allaient de nouveau enquêter sur l’affaire de la messagerie privée d’Hillary Clinton, dans une lettre rendue publique par des élus républicains du Congrès.
Barack Obama s’est exprimé et a fortement critiqué James Corney, qui est républicain et qu’il a nommé responsable du FBI (ce sont les mœurs américaines), d’être intervenu dans la campagne électorale si tardivement sans pouvoir présenter des accusations précises.
L’article de la journaliste du Monde Sylvie Kaufmann : « Le duel Trump-Clinton passera sans doute à la postérité comme la campagne qui a ébranlé la démocratie » que vous trouverez en pièce jointe m’a paru très intéressant et c’est pourquoi je le partage avec vous.
«  […] Dans les officines de propagande russes et chinoises, c’est la fête. Inutile de se creuser la tête pour dénicher des angles d’attaque contre la démocratie aux Etats-Unis : le spectacle offert par les chaînes de télévision américaines sur la campagne pour l’élection présidentielle du 8 novembre suffit largement. Il n’y a qu’à se baisser pour ramasser. Parfois très bas, mais le résultat n’en est que plus efficace.
Le président russe, Vladimir Poutine, a donc beau jeu de relever, comme il l’a fait fin octobre à Sotchi, que le débat électoral américain se résume à « qui a pincé qui, et qui couche avec qui ». Chez lui, les campagnes ont quand même plus de tenue.
Même souci de dignité dans le quotidien du Parti communiste chinois (PCC), Global Times, qui rappelle que les Etats-Unis aiment à voir dans leur système « l’étalon or de la démocratie ». « De plus en plus d’Américains ont honte de cette version de la démocratie, écrit un universitaire de Shanghaï. Les Chinois peuvent évaluer le système démocratique américain à l’aune de cette élection. » […]
Le plus grave, c’est que les méthodes populistes du candidat républicain, Donald Trump, dans cette campagne, ont fini par attaquer les fondements mêmes du système. Des digues ont sauté.
Traditionnellement, les Américains sont fiers de leur système : leur pays est, après tout, la plus grande démocratie du monde occidental, la fameuse « ville sur la colline » promise par les Pères pèlerins, chère au cœur de Ronald Reagan, qui devait servir de phare au monde libre.
Cette image, déjà mise à mal par la relation entre l’argent et la politique, s’est brisée. Selon un sondage publié par le New York Times et la chaîne CBS à quelques jours du scrutin, 82 % des électeurs avouent que la campagne leur a inspiré du « dégoût ».
[…]
Désarçonnés par la méthode Trump, qui fait de l’insulte et du mensonge une arme tactique, débordés par les réseaux sociaux, les médias classiques se sont retrouvés plongés, et largement impuissants, dans ce qu’ils ont baptisé « l’ère post-vérité ».
Percevant le candidat républicain comme un danger, voire un ennemi qui les désigne volontiers à la vindicte des militants dans ses meetings électoraux, les journalistes de presse écrite ont jeté aux orties la sacro-sainte règle de l’objectivité, pour passer au journalisme de combat.
[…] Dean Baquet, le directeur de la rédaction du New York Times, [a expliqué que] « Ce mélange d’information et de divertissement peut être drôle, sauf que maintenant on a un candidat officiel du Parti républicain à l’élection présidentielle qui est un produit de ce monde.»
Et je trouve cette conclusion de Sylvie Kaufmann très pertinente et inquiétante :
« Il serait faux, toutefois, de croire que ce grand malaise démocratique est apparu comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu : en réalité, prélude à la tornade Trump, l’orage gronde depuis plusieurs années sur Washington, où les dysfonctionnements de l’Etat fédéral bloquent la vie politique. Mais comme dit l’adage, il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. »
Car, en effet, Hillary Clinton est une très mauvaise candidate pour la présidence des Etats-Unis. Son seul atout finalement est d’être une femme, peut être la première femme présidente. Elle a, grâce à sa fondation, injecté des sommes beaucoup plus considérables que Trump dans cette élection. Elle est liée aux pires affairistes de Wall Street, c’est que lui a reproché Bernie Sanders d’ailleurs.
Wikileaks a publié des emails dans lesquels apparaît sa duplicité : des discours publics très éloignés de ce qu’elle exprime dans des rencontres avec les grands établissements financiers dont Goldman Sachs.
C’est pourquoi la grande majorité des américains ne l’aiment pas. Elle est le symbole de l’establishment qu’ils rejettent de plus en plus fort. Ce rejet de l’élite n’est d’ailleurs pas limité aux Etats-Unis
Bref en simplifiant, mais sans déformer, les américains ont le choix, le 8 novembre, entre un déséquilibré et une corrompue. C’est un choix compliqué.
A priori, il vaut peut-être mieux la corrompue, c’est peut-être moins dangereux, mais c’est quand même une corrompue !

Vendredi 04/11/2016

Vendredi 04/11/2016
«Les agissements dénoncés se sont inscrits dans le cadre d’une enquête sérieuse destinée à nourrir un débat d’intérêt général sur le fonctionnement d’un mouvement politique».
Cour de Cassation à propos de l’enquête de la journaliste Claire Checcaglini sur le Front National
Je crois que c’est la première fois que le mot du jour est un extrait d’un arrêt de la Cour de Cassation. Il s’agit de l’Arrêt n° 4638 du 25 octobre 2016 (15-83.774) de la chambre criminelle de la Cour de cassation que vous trouverez derrière ce lien : https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/4638_25_35391.html
Cet arrêt  a confirmé un jugement en appel qui avait lui-même était conforme au jugement de première instance.
Pour décrire la question que devait trancher la Cour de cassation, Patrick Cohen posa cette interrogation «Est-ce que tromper, c’est enquêter ?»
Il s’agit en réalité d’un vieux débat journalistique sur les méthodes d’enquête à base de caméras cachées et d’infiltration, qui vient de recevoir une réponse judiciaire.
En 2011, la journaliste Claire Checcaglini prend sa carte au Front national et milite sous un nom d’emprunt.
Pendant 8 mois, elle va participer à la vie de la fédération des Hauts-de-Seine, assister aux réunions, aux discussions entre militants.
Et elle tire un livre «Bienvenue au Front», qui décrit une dédiabolisation de façade, et un racisme omniprésent.
Hier, quatre ans après, la justice a définitivement enterré toutes les poursuites engagées par le Front National et donné raison à la journaliste infiltrée.
L’arrêt de la Cour de Cassation rapporté par l’AFP souligne que “les agissements dénoncés se sont inscrits dans le cadre d’une enquête sérieuse destinée à nourrir un débat d’intérêt général sur le fonctionnement d’un mouvement politique”.
Vous trouverez d’autres informations sur le site d’Arrêts sur Image : http://www.arretsurimages.net/breves/2016-10-27/La-journaliste-infiltree-au-FN-gagne-en-cassation-id20257
Le livre n’est plus disponible car l’éditeur qui était un éditeur local de Hénin-Beaumont, ville emblématique du Front National, a fait faillite.
Vous pouvez trouver encore le livre d’occasion mais très cher, mais vous pourrez certainement l’emprunter dans une bibliothèque, les bibliothèques de Lyon possèdent  plusieurs exemplaires.
Claire Checcaglini

Jeudi 03/11/2016

Jeudi 03/11/2016
« Et en l’hébergeant, j’ai semé de bonnes graines. C’était totalement gratos, mais ce que cela m’a apporté n’a pas de prix. »
Farshad, parisien, franco-iranien ayant accepté d’héberger un réfugié syrien dans le cadre du programme CALM
J’écoute toujours avec attention la revue de presse du week end de Frédéric Pommier, moment de poésie et de découvertes toujours étonnant, souvent touchant.
Ainsi la revue de presse du dimanche 30 octobre, où j’ai appris l’existence du mensuel NEON et du dispositif CALM : « Comme A La Maison . »
Ainsi, Frédéric Pommier rapporte :
«A ce propos, on estime du reste à 10.000 le nombre de Français qui ont aujourd’hui proposé d’ouvrir leurs portes aux réfugiés. 10.000 personnes l’ont proposé, et 250 l’ont fait à travers le dispositif CALM, signifiant « Comme A La Maison »… C’est dans ce cadre-là que Farshad, 35 ans, Parisien qui navigue entre l’animation et la production musicale, a accueilli chez lui un jeune Syrien pendant deux mois… Il raconte son expérience dans le mensuel NEON et, d’emblée, il prévient : « Je ne suis pas l’Abbé Pierre et pas un adepte de ce qu’on appelle les ‘bons sentiments’… »
Mais au printemps dernier, un reportage à la télé lui « vrille » littéralement le cœur… On y voyait une mère syrienne pataugeant dans une rivière en serrant son môme dans les bras.
Ses bras à lui, Farshad décide alors de ne pas les laisser croisés. Et sans doute parce qu’il est lui-même un exilé – ses parents ont quitté l’Iran quand il n’avait que quelques mois, il a donc contacté une association qui met en lien des réfugiés et des particuliers prêts à les héberger. Et c’est ainsi qu’on lui a présenté Rudi, journaliste syrien maintes fois écroué dans les geôles d’Assad pour délit d’opinion. Il y a connu la torture, a perdu des dizaines de proches. « On s’est regardé, et j’ai vu un mec épuisé. Epuisé mais digne et qui ne portait pas sa douleur en bandoulière. On s’est illico sentit ‘frérots’ », raconte-t-il…
Bien sûr, la cohabitation a nécessité, au départ, quelques ajustements. « En propriétaire mesquin, j’avoue que j’ai d’abord craint qu’il me pique des trucs. Et Rudi, lui, avait tendance à se comporter chez moi comme une femme de ménage, pour s’excuser d’être là. » Ensuite, ce ne fut qu’une vie de partage. Le quotidien, les soirées, jusqu’à ce que Rudi trouve un appartement à louer. Deux mois de cohabitation, et une amitié devenue indéfectible. « Ce mec, c’est ma plus belle rencontre», reconnaît Farshad. « Et en l’hébergeant, j’ai semé de bonnes graines. C’était totalement gratos, mais ce que cela m’a apporté n’a pas de prix. » Parfois, certains laissent de jolie traces sans même s’en rendre compte.
Témoignage simple et lumineux, à lire donc dans le mensuel NEON.»,
Frédéric Pommier, évoque les traces qu’on laisse, parce qu’avant de parler du geste de Farshad, il a évoqué le journal LA CROIX et une chronique de Bruno Frappat :
«Quelle trace laisse-t-on sur terre une fois qu’on n’y est plus ? C’est la question qu’on se pose à certaines étapes de sa vie… Quand on prend de l’âge, souvent… Un anniversaire de plus. Ou alors quand on tombe malade. Et parfois, on réalise que des traces, on n’en laissera aucune… Parce qu’on n’a pas été quelqu’un d’exceptionnel. Rien fait d’exceptionnel. Rien créé ni rien fait pour que le monde se porte mieux… Mais lorsque l’on meurt, il arrive tout de même que certains prennent la plume pour dire leur peine et dire qu’ils pensent à celle ou à celui qui s’est éteint. C’est ce que fait, ce week-end, Bruno Frappat dans LA CROIX, avec une chronique qu’il a très sobrement titrée « Le Monsieur du sixième ».
« Le monsieur du sixième est décédé. Dans la discrétion. Comme il avait vécu. Enfin disons plutôt qu’il s’est éclipsé, comme on le voyait faire quand, par extraordinaire, il franchissait le seuil de l’immeuble cossu pour aller s’acheter des cigarettes, toujours la même marque mentholée, par cartouches entières… » De son voisin, Bruno Frappat ne savait pas grand-chose. Tout juste qu’il était le doyen de l’immeuble et que dans sa jeunesse, il avait exercé le métier de contorsionniste.
Il n’était pas causant, excepté avec la gardienne. Il avait peu de famille. Juste une sœur dans le Sud-Ouest, mais ils étaient brouillés. Et puis il est tombé malade et il est mort à l’hôpital. « Il est sorti de la société et de nos vies par la petite porte », conclue le chroniqueur.
Et son très joli texte est une forme d’hommage à tous ceux qui meurent sans qu’on s’en aperçoive. Un hommage à tous ceux qu’on n’a pas pris le temps de regarder. »

Mercredi 2 novembre 2016

« Peter Sadlo»
(27/06/1962 – 29/07/2016) Percussionniste génial

Je partage avec Michel Rocard, l’idée et surtout l’expérience que les plus grands et beaux moments de notre vie ne sont jamais liés à l’argent.

Pour ma part que pourrais-je citer ?

  • Ma rencontre avec ma douce compagne.
  • La naissance de mes deux merveilleux enfants et des moments de partage avec eux.
  • Et aussi de magnifiques moments artistiques.

Et parmi ces moments, il en est qui est toujours présent : c’est le concert que donna en 1987 à la salle Pleyel, Sergiu Celibidache avec son Orchestre Philharmonique de Munich dans la huitième symphonie de Bruckner.

Je me souviens encore du visage baigné de larmes d’émotion de la jeune femme qui était assis devant moi et qui se tourna vers ses amis à l’issue de l’adagio sublime.

Et puis, il y eut le 4ème mouvement, où à 3 reprises, pendant quelques instants, intervint le timbalier de l’orchestre philharmonique de Munich. Des moments de grâce, un artiste d’exception, inexplicable : comment peut-on avec une intervention aussi restreinte et avec aussi peu de moyens : 4 timbales c’est à dire 4 notes, dégager autant de charisme, de beauté et de force ?

A la fin du concert, il y eut bien sûr une standing ovation et lorsque Celibidache désigna, comme premier musicien à saluer, le percussionniste, une immense ferveur se manifesta dans le public.

C’était il y a 29 ans et j’avais 29 ans.

A l’issue du concert, j’appelais immédiatement mon grand frère Gérard, qui venait de quitter Paris et l’Opéra pour le poste de violon solo de l’Orchestre Philharmonique des Pays de la Loire à Nantes pour lui dire mon émotion devant ce concert et particulièrement ce percussionniste dont j’ignorais le nom.

Récemment je découvris sur Youtube un enregistrement à Tokyo de cette symphonie de Bruckner avec Celibidache et je retrouvais ce percussionniste et les formidables sensations de l’époque.

Quand mon frère vint me rendre visite il y a quelques semaines, je lui montrais cet enregistrement en déplorant de ne pas connaître le nom de cet artiste.

Et ce week end, il m’annonça qu’il avait trouvé le nom du percussionniste : Peter Sadlo mais que malheureusement il venait de mourir le 29 juillet 2016, à l’âge de 54 ans suite à une opération chirurgicale.

Alors ce week end, j’ai fait des recherches approfondies sur cet artiste et j’ai constaté qu’il faisait l’unanimité. Beaucoup parle de lui comme le percussionniste le plus génial de son époque et les vidéos que j’ai pu voir m’ont époustouflé : la diversité des instruments qu’il jouait, sa technique notamment sur un marimba (grand xylophone), sa musicalité, les nuances dont il était capable sont fascinantes.

Suite à un malentendu, j’ai été entraîné à assister, le 17 octobre,  à un concert à l’Auditorium de Lyon d’une pianiste : Hiromi accompagnée d’une basse et d’une batterie. Ce sont certainement des artistes de qualité, mais le son était tellement amplifié et saturé que je suis incapable d’en juger. C’est un son sans aucune nuance, en règle générale c’est très très fort quelquefois un peu moins fort, mais quasi toujours uniforme. La pianiste n’avait retenu du piano que le fait qu’il s’agit aussi d’un instrument à percussion et voulait donc rivaliser avec la batterie pour savoir celui qui était capable de produire le plus de décibels. Pour ce faire elle se levait pour pouvoir mieux cogner sur ce pauvre instrument qui est à percussion mais aussi à cordes. Je me suis efforcé de rester jusqu’au bout en essayant de comprendre l’enthousiasme du public fort nombreux qui m’entourait. En toute humilité, je n’ai toujours pas compris.

Peter Sadlo faisait de la musique, produisait un son non saturé même s’il était fort et était capable de faire des nuances. Son répertoire n’était pas forcément classique, et quelquefois il utilisait des objets improbables pour faire du rythme et des nuances.

Voici une vidéo où sont présentés différentes facettes de son talent et il y a notamment un des extraits de la 8ème symphonie (à 6mn42) dont je parlais tantôt : https://www.youtube.com/watch?v=eFj886x6q34

Ici il y a deux petites œuvres où il joue un marimba avec quelques autres amis percussionnistes : https://www.youtube.com/watch?v=xMPF8bGiUMs & https://www.youtube.com/watch?v=YOE272lWOtw

Et ici un moment d’anthologie une œuvre contemporaine qui est un concerto pour percussion et orchestre absolument époustouflant :

En live, je ne l’ai entendu qu’une seule fois mais je ne l’oublierai jamais.

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