Mercredi 17 avril 2019

« Papa fait du foot, maman passe le balai »
Tania De Montaigne

C’est la revue de presse de Frédéric Pommier, sur France Inter, samedi 13 avril qui m’a appris l’existence d’une chronique de Libération que je souhaite partager avec vous aujourd’hui.

Cette chronique est tenue en alternance par 5 personnes, écrivains, essayistes et même journalistes. La chronique du 12 avril 2019 a été rédigée par Tania de Montaigne.

Vous la trouverez derrière ce lien : « Papa fait du foot, maman passe le balai »

Pour celles et ceux qui parlent un peu la langue du football, aucune introduction n’est nécessaire.

Pour les autres, il suffit de savoir que dans le monde du football il y a 3 groupes. Le premier qui compte de nombreux adeptes, considère que le meilleur joueur de football d’aujourd’hui est Lionel Messi qui est argentin. Le second qui est aussi nombreux que le premier, considère que le meilleur joueur de football d’aujourd’hui est Christiano Ronaldo qui est portugais. Le troisième groupe est très minoritaire, il considère que c’est un troisième joueur qui est le meilleur, mais il n’arrive pas à se mettre d’accord pour savoir qui c’est, hormis le fait que ce ne serait ni Ronaldo, ni Messi.

Messi parle peu et ne se fait pas trop voir dans les médias, en dehors de ses activités sportives. Ronaldo parle souvent et se montre régulièrement dans les médias en dehors de ses activités sportives, il réalise aussi beaucoup de publicités.

Ici, il est question de Christiano Ronaldo

Revenons à la chronique de Tania de Montaigne :

« Il y a quelques jours, je suis tombée sur une petite vidéo trop mignonne. On y voit Cristiano Ronaldo, star maxi mondiale du football, jouant avec son fils d’un an et demi en grenouillère (le fils, pas le père), trop mignon. C’est beau, c’est de la transmission, le ballon qui va du père au fils, du fils au père. «Allez Mateo !» dit Ronaldo en poussant le ballon vers le petit garçon. Puis, on entend «Oooooohhhhh !» lorsque ledit Mateo renvoie la balle de son petit pied encore malhabile. C’est tellement cute, [mignon en langage branché] on pourrait pleurer. Un peu comme quand Bambi, encore chancelant, parvient à se dresser sur ses pattes arrière et fait ses premiers pas sous l’œil de sa mère qui, malheureusement (attention spoiler), ne tardera pas à mourir dans d’atroces souffrances. Ce que, bien sûr, nous ne souhaitons pas à Ronaldo qui, aux dernières nouvelles, se porte plutôt bien, si on met à part un claquage de la cuisse droite.

Ce qui est vraiment intéressant dans cette vidéo n’est pas au premier plan. Tout se passe ailleurs. Dans le fond, on aperçoit une petite fille, également en grenouillère, qui, elle, n’intéresse aucun des adultes présents dans la pièce. Ni celui ou celle qui filme ni celui qui joue. Elle est dans le champ sans y être. On la voit à l’arrière-plan, reproduire, quasiment à l’identique, les gestes du petit garçon. Elle agit en miroir, faisant, comme si elle appartenait aussi à cette scène. Elle tire dans un ballon imaginaire, celui qu’elle aimerait recevoir mais qui n’arrive pas. Elle joue dans le vide, parce que tout le monde s’en fout et que visiblement, le projet «transmission par le ballon» n’est pas prévu pour elle.

Au bout d’un moment, de guerre lasse, elle arrête de jouer au air-foot et s’en va chercher un balai et un petit kit de nettoyage sur roulettes. Il y a d’autres jouets dans cette salle de jeu, qui doit faire environ 8 250 mètres carrés, mais c’est vers le balai qu’elle se dirige. Un peu comme si la fête était finie.

Une mini-Cendrillon en grenouillère qui retourne à sa vie de toujours.

En voyant ces images, deux choses me frappent.

  • Petit 1, étant moi-même très peu millionnaire ou fille de millionnaires, j’avais dans l’idée (idée préconçue, il faut bien l’avouer) que le petit kit de nettoyage et son balai coordonné ne rentraient pas dans la liste des cadeaux envisageables pour les gens de ce monde. Or, apparemment, même enfant de millionnaire, une fille reste une fille. Ce qui est d’autant plus étonnant qu’a priori, sauf grosse banqueroute, il y a de fortes chances pour qu’à l’avenir, cette enfant ait suffisamment d’argent pour pouvoir ne pas faire le ménage, si le cœur lui en dit.
  • Petit 2, je me demande combien de temps il faudra attendre pour que le kit nettoyage, le mini-aspirateur, la microcuisine avec ses mignonnes casseroles et son croquignolet lave-vaisselle, cessent d’être dans les meilleures ventes des jouets pour filles. Car, à y regarder de plus près, si on se dit qu’un jeu ou un jouet, quel qu’il soit, a pour but de favoriser l’imaginaire et la créativité des enfants, quelle est exactement la zone du cerveau que l’on compte développer chez une petite fille qui passerait l’aspirateur ?

Pour répondre à cette question, je propose un test simple, scientifique, qui vaut pour tous les sexes. Attention, cette expérience est violente. Munissez-vous d’un balai, passez-le sur une surface de votre choix puis, notez sur une échelle allant de 0 à 10 l’intérêt que vous avez éprouvé en effectuant cette activité.

Sans vouloir influencer l’expérience en cours, je vous livre les résultats qui ont été observés. A ce jour, l’essentiel des réponses se situe entre 0 et 0.

Autrement dit, tous les gens qui ont passé le balai n’y ont vu aucun intérêt créatif. Ce qui nous conduit à penser que le principal intérêt d’un balai c’est de… retirer la poussière.

On peut donc en déduire que s’y préparer depuis l’enfance n’est pas vraiment nécessaire. Je sais, ça va loin !

N’hésitez pas à faire faire cette expérience à vos amis partout dans le monde, ce qui nous permettra d’avoir une base de données solide. Plus nous aurons de résultats, plus ce test aura une portée scientifique planétaire. Et qui sait, peut-être un jour n’y aura-t-il plus de mini-balais dans les magasins de jouets, car plus personne ne jugera nécessaire d’en acheter. ».

Cette chronique m’inspire les réactions suivantes :

  • Ceux qui prétendent que la théorie du genre est une fable visant à nier la différence homme-femme, sont soit des doux rêveurs, soit des idéologues du machisme ou d’une religion quelconque, ce qui est très proche.
  • Le progrès est certainement en marche, mais il est lent.
  • Je crois que je vais m’intéresser aux chroniques de Tania de Montaigne. Frédéric Pommier dit d’elles : « Percutante et ciselée, comme le sont toutes ses chroniques »

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Lundi 15 avril 2019

« Die Heimat »
Mot allemand difficilement traduisible en français

Pendant ce moment d’absence, j’ai passé quelques jours auprès de mes frères, dans ma Lorraine natale.

Cette partie de la France a été très disputée, lors des siècles passés, entre les nations allemandes et françaises.

La partie Nord-Est, dont je suis issu, est cependant une région dans laquelle la langue allemande s’est enracinée dans les toponymes, les patronymes et probablement dans les esprits.

En retournant sur ces lieux, un mot allemand intraduisible en français s’est imposé à moi : « Heimat ». C’est ce qu’est cette région pour moi.

La racine de ce mot est « Heim » qui lui est parfaitement traduisible et signifie « maison » ou « foyer ». Il a la même étymologie que le mot anglais « home ».

Mais pour « Heimat », la traduction n’existe pas, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible de le traduire par un seul mot.

Vouloir le traduire par « patrie » serait une grande erreur. La patrie est le pays des « pères » dont l’équivalent allemand est le mot « Vaterland ». On porte les armes pour la patrie, on meurt pour la patrie. Il n’y a rien de guerrier dans le mot « Heimat ».

<Wikipedia> exprime cela ainsi :

« Heimat est un mot allemand qu’il est impossible de traduire par un seul mot français, bien qu’il corresponde à un sentiment universellement répandu. Il désigne à la fois le pays où l’on naît, le village où l’on a grandi, mais aussi la maison où on a passé son enfance ou celle où on est chez soi.

Ainsi quand on est loin de chez soi, on a le mal du pays, le « Heimweh »

[…] Le mot « Heimat » est donc à la fois de l’ordre du sentiment, de la foi religieuse, du souvenir d’enfance, d’un horizon familier ou d’une atmosphère bien précise. […] Depuis, la « Patrie », en allemand « Vaterland » est devenu un concept politique : elle a des frontières, un drapeau, une capitale et un gouvernement, tandis que la « Heimat » n’a pas de drapeau. C’est, selon Waltraud Legros, « le pays que chacun porte à l’intérieur de soi ». »

Pour moi la question ne fait pas de doute j’ai une patrie « La France » et une « Heimat » qui est ce lieu de mon enfance à Stiring-Wendel, dans l’agglomération de Forbach, à moins de 10 km de Sarrebrück. Je n’y finirai certainement pas ma vie, mais il y a un lien qui m’attache à ce lieu et le mot « Heimat » exprime parfaitement ce lien.

Ce n’est certainement pas un lieu de vacances où on a envie de retourner régulièrement parce qu’on s’y plait. C’est un lieu de racines, où on se sent chez soi.

La question qui peut se poser est de savoir si tout le monde possède dans ses sentiments, dans son vécu : un tel lieu ?

Il n’est pas certain que les nomades mondialisés connaissent ce sentiment. Eux qui prétendent, souvent, se sentir chez eux partout dans le monde.

Ils s’éloignent de cette pensée que le stoïcien Sénèque a écrite :

«Il n’est pas de vent favorable pour qui ne connaît pas son port d’attache.»

Les migrants qui cherchent refuge ou un monde plus doux économiquement en Europe, ont certainement une « Heimat » mais qu’ils fuient parce que ce lieu leur est devenu difficile soit parce qu’ils y sont menacés dans leur intégrité physique, soit parce qu’il est difficile d’y vivre économiquement.

C’est une question que chacun peut se poser, peut-être d’ailleurs plutôt à 60 ans qu’à 18 : ai-je dans mon vécu, dans mon univers affectif une « Heimat » ?

Et puis il y a une question plus vaste, plus politique est-il bon pour la société des hommes que ceux qui la composent se sentent proche d’une « Heimat ? »

Brice Couturier dans une de ses chroniques a fait mention d’un ouvrage de David Goodhart, « The Road to Somewhere », proche un temps du New Labour de Tony Blair :

« Goodhart estime que la division gauche/droite a perdu beaucoup de sa pertinence. Il propose un nouveau clivage entre ceux qu’il appelle « les Gens de Partout » et « le Peuple de Quelque Part ». Les premiers, les Gens de Partout ont bénéficié à plein de la démocratisation de l’enseignement supérieur. Ils sont bien dotés en capital culturel et disposent d’identités portables. Ils sont à l’aise partout, très mobiles et de plain-pied avec toutes les nouveautés.

Les membres du Peuple de Quelque Part sont plus enracinés.  »

Il en tire une réflexion et des conséquences qui ne concernent pas totalement mon vécu mais qui méritent cependant d’être rapportées :

« Les membres du « Peuple de Quelque Part ». habitent souvent à une faible distance de leurs parents, sur lesquels ils comptent pour garder leurs enfants. Ils sont assignés à une identité prescrite et à un lieu précis. Ils ont le sentiment que le changement qu’on leur vante ne cesse de les marginaliser, qu’il menace la stabilité de leur environnement social. Ils sont exaspérés qu’on leur ait présenté la mondialisation et l’immigration de masse comme des phénomènes naturels, alors qu’ils estiment que ce furent des choix politiques, effectués par des politiques et des responsables économiques appartenant aux Gens de Partout. C’est pourquoi le Peuple de Quelque Part éprouve une très grande frustration : le sentiment d’avoir été exclu de la parole publique, marginalisé, alors qu’il est majoritaire ; d’avoir été accusé de xénophobie et d’arriération, alors qu’il réclame simplement que le rythme du changement soit ralenti ; et que l’Etat en reprenne le contrôle. »

Certaines élites sont très vigoureusement contre ces sentiments et regardent avec hostilité notamment ceux qui en Allemagne ont remis sur le devant de la scène la « Heimat ». Depuis la nouvelle coalition de 2018, le ministre conservateur qui occupe le poste de Ministre de l’Intérieur a accolé à ce titre le mot « Heimat » : « Bundesministerium des Innern, für Bau und Heimat. »

Un article publié par « Libération » et rédigé par sa correspondante à Berlin : Johanna Luyssen présente cette évolution comme problématique :

« […] lors de son premier discours au Bundestag, le […] ministre de l’Intérieur et du «Heimat» allemand, Horst Seehofer, est revenu sur le sens de ce terme […].

«Le Heimat, ça ne veut pas dire le folklore, la tradition ou la nostalgie. […] Cela veut dire l’ancrage, c’est un environnement culturellement enraciné dans un monde globalisé. Cela veut dire la cohésion et la sécurité, ce dont chacun a besoin dans ce pays.»

Vendredi matin, […] le conservateur bavarois Horst Seehofer, détaillait devant le Bundestag sa conception toute personnelle du mot Heimat. Une telle digression sémantique peut surprendre dans le cadre d’un discours sur les orientations de son ministère – le premier depuis sa prise de fonctions, mi-mars. C’est que ce terme lourdement connoté s’inscrit dans un débat agité en Allemagne, surtout depuis que le ministère de l’Intérieur fédéral a choisi de l’accoler à son en-tête.

Heimat : ce mot est passablement intraduisible en français. Disons qu’il évoque les notions de «patrie», de «terroirs», de «chez nous». Il désigne un sentiment d’appartenance régional plutôt que national, et fait appel à l’intime plutôt qu’au collectif. Cela pourrait presque s’apparenter à l’expression «au bled», ou au «petit pays» cher à l’écrivain Gaël Faye. Le terme a par ailleurs été, et c’est bien pour cela qu’il crée encore la controverse, utilisé par les nazis. Il fut également utilisé dans un slogan de l’AfD, le parti d’extrême droite allemand, lors de sa fondation en 2013.

Accoler «Heimat» à l’en-tête d’un ministère fédéral a fait réagir en Allemagne, beaucoup voyant dans la démarche la volonté de récupérer les faveurs d’un électorat d’extrême droite. »

Et puis il y aussi cet <article> qui en évoquant un film de Benedikt Nabben, Heimat Paris trouve ce concept de « Heimat » totalement incongru à l’heure du smarphone :

« Heimat » est-il vraiment un terme actuel ? Nous sommes en pleine mondialisation, nous écoutons du hip-hop américain, nous mangeons japonais, nous regardons des films argentins et connaissons la migration. Par ailleurs, il est aujourd’hui beaucoup plus facile de garder contact avec sa famille et ses amis grâce à Internet. Ainsi, nous gardons toujours notre « Heimat » dans la poche. Quoiqu’il arrive, ce terme restera toujours sujet à controverse à l’avenir, et il y a fort à parier qu’il ne trouvera jamais de définition figée non plus. »

Tout en me méfiant des arrières pensées du ministre allemand, je ne partage pas ce dernier avis. S’il suffit d’un smartphone qui permet d’accéder facilement et à tout moment à ses proches pour remplacer ses racines, c’est qu’on a rien compris à ce que c’est d’avoir des racines, ce que conceptualise admirablement le mot « Heimat »

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Jeudi 21 mars 2019

« Juicers »
Rechargeur de trottinette

La trottinette électrique est devenue tendance en ville. C’est un mode doux, qui permet aux citadins de se déplacer tranquillement, et harmonieusement avec les voitures et les piétons, sans compter les vélos.

Et puis c’est un bel objet qui ressemble à la lettre « L » et qui met en valeur des décors souvent très fades comme ici la pyramide et le Palais du Louvre.

Nous vivons vraiment une époque moderne et formidable !

Selon wikipedia, le terme de trottinette proviendrait du terme de « trottin » qui au XIXe siècle désignait une petite employée de magasins chargée de faire les emplettes au pas de course pour des clients pressés. Elle trottinait donc pour faire sa commission.

Entre mode doux et gens pressés, on constate immédiatement qu’il peut apparaître quelques tensions.

Il y a de petits inconvénients. Certains utilisateurs qui trouvent commode de s’en servir, estiment que dès que leur trajet est terminé, ils peuvent descendre de ce moyen de locomotion pour s’en séparer. Nous voyons que cela peut avoir un lien avec le fait d’être pressés.

Au milieu du trottoir semble être une place appropriée pour des utilisateurs. Que cette décision unilatérale et égocentrée puisse énerver le passant qui utilise également le trottoir, ne semble pas préoccuper les premiers. Cette manière de faire peut énerver le passant moyen, il peut surtout constituer un obstacle risquant de faire tomber des personnes âgées ou des aveugles.

Et récemment le 12 mars je rentrais tranquillement à pied de mon travail et je cogitais sur ces « L » à roulettes quand je me suis retrouvé devant cet engin en haut du Cours Gambetta. Et je n’ai pas résisté à sortir mon smartphone pour agrémenter ce mot du jour d’une photo prise personnellement.

J’ai lu avec dépit sur l’affiche publicitaire lumineuse derrière cet engin « Lyon toujours plus créative », mais peut-être qu’elle ne faisait pas référence à l’invasion des trottinettes…

La vitesse pose aussi problème. Il est vrai que la trottinette se trouve dans une situation inconfortable.

Ce <site spécialisé> précise que la trottinette électrique n’est pas tolérée sur la route. Le vélo est l’exception autorisée et réglementée. Il est assimilé à un véhicule, avec obligation d’aller sur la route (dérogation pour les enfants de moins de 8 ans, tolérés sur le trottoir). Et tout ce qui va sur le trottoir ne doit pas avancer à plus de 6 km/h, donc guère plus vite qu’un piéton marchant d’un bon pas.

La modernité provoque aussi des accidents.

Un autre <site> donne la parole à Alain Sautet, chef du service d’orthopédie de l’hôpital Saint-Antoine (Paris) qui s’inquiète face à l’augmentation des blessures liées à l’utilisation d’une trottinette électrique. Dans son service, 17 patients ont été admis lors des deux derniers mois, soit deux par semaine, explique-t-il à nos confrères de France TV. « Ce sont des lésions qu’on n’avait pas l’habitude de voir », s’inquiète-t-il. Fractures du poignet ou du fémur sont des fractures répandues chez les personnes d’un âge avancé. Or, Alain Sautet constate ces lésions sur des patients jeunes. Il conseille donc, comme ses confrères, de limiter sa vitesse, et de porter un casque. Selon une étude américaine, 40% des accidents de trottinette touchent la tête.

Mais tout n’est pas rose dans le monde la trottinette, lors de sa revue de presse du vendredi 1 mars 2019 Claude Askolovitch cite le magazine des Echos qui raconte qu’à San Francisco, des habitants brulaient des trottinettes électriques en libre-service qui encombraient leurs trottoirs, ou les jetaient contre les bus privés des grandes compagnies d’internet qui font la navette entre les campus de la baie de San Francisco et le centre-ville où logent les employés des GAFAM… Car les génies de la silicon valley habitent à San Francisco, quand ils ont les moyens…

Et Claude Askolovitch de continuer :

« Car dans le monde entier les trottinettes électriques prennent les villes et sont l’absolue fortune d’un trentenaire milliardaire au visage poupin, qui pose en coupe-vent pas très classe aux couleurs vertes de sa firme, Toby Sun, chinois venu grandir en Amérique et patron de Lime, la start-up des trottinettes qui à Paris aussi scandent le bitume. Elles seraient la réponse au besoin de mobilité et à la pollution… Et voilà que la ville cloaque est cool d’un engin connecté et elle s’adapte avec plaies et bosses, 45 blessés l’an dernier, dans les pages Paris du Parisien, des policiers enseignent aux enfants le maniement de ce jouet du nouveau monde… »

Et ce n’est pas un problème français : Depuis fin 2017 et les débuts de l’utilisation des trottinettes électriques, au moins 1500 personnes ont été blessées dans des accidents aux États-Unis.

Et s’il n’y avait que cela…

Parce que les trottinettes électriques, fonctionne à l’électricité comme nos smartphones et qu’il faut donc les charger.

Et c’est là qu’interviennent les « juicers », en français de base cela pourrait faire penser à des « jouisseurs », mais ce n’est pas du tout cela.

<J’ai trouvé un article du Huffingtonpost> qui explique :

« « Notre métier, c’est comme ‘Pokemon Go’, sauf qu’on est payés! » Renaud, la trentaine, voit son métier de « juicer » comme un jeu vidéo. C’est grâce à des personnes comme lui que les Parisiens peuvent tous les matins trouver leurs trottinettes électriques chargées et soigneusement mises en place près de chez eux. En quoi consiste ce nouveau travail des “juicers” qui, discrets et méthodiques, rechargent les trottinettes électriques pendant que la ville dort?

Les utilisateurs ne se posent même pas la question explique au HuffPost, Renaud, lucide sur le fait que son travail de “juicer” se fait à l’ombre du regard de la société. Comme tous les autres, il a un contrat d’autoentrepreneur, payé à la recharge “entre 5 et 20 euros la batterie rechargée” par les start-ups de location de trottinettes électriques. Il n’est pas salarié et préfère y voir le bon côté des choses: “On a une grande liberté, on travaille quand on veut. On a pas de compte à rendre”.

C’est à la nuit tombée que commence sa tournée des rues parisiennes, à la quête des trottinettes électriques vides. Et il n’est pas le seul à les chasser. Son point de départ commence en Seine-et -Marne, où il habite.

Après avoir fait quarante-cinq minutes de camionnette -pour pouvoir stocker les trottinettes- jusqu’à Paris, Renaud active l’une des applications de location de trottinettes électriques (Lime, Bird, ou plus récemment Bold et Wind). Celle-ci géolocalise les batteries vides ou presque. “Il faut commencer au plus tard à 21 heures, les dernières personnes qui rentrent du travail déposent les trottinettes. Là, il faut être hyperactif.” nous raconte-t-il.

Tout est une question de calcul: Renaud n’a qu’une petite heure pour en amasser un maximum, et « à 22 heures au plus tard, je suis reparti » car il doit vite faire le chemin du retour jusqu’à chez lui pour recharger ses prises du soir. C’est à ce moment-là qu’il trouve un peu de repos: “Je mets entre 4 et 5 heures à recharger une batterie vide”. Quelques heures de repos à peine avant de repartir pour la capitale au petit matin: “Il faut les déposer aux endroits stratégiques que nous indique l’application.”

“Il y a des jours avec et des jours sans, quand il pleut par exemple”. Pendant l’été, le tourisme et les beaux jours pouvaient lui permettre de récolter jusqu’à 30 trottinettes par jour, lui rapportant parfois 200 euros la journée. « Ce sont ceux qui se démènent le plus qui font les meilleurs chiffres », dit-il, conscient que cette quête ressemble en de nombreux points à une chasse.

“L’idée c’est d’aller le plus vite possible: le premier qui scanne est le premier servi” nous dit Renaud, qui malgré cette règle, qui peut paraître assez simpliste, n’a jamais senti de tensions particulières entre les “juicers”. Mais tous ne sont pas du même avis. »

Pour aller plus loin j’ai trouvé un article sur <Numérama> :

« David est ce qu’on appelle, dans le jargon de l’ubérisation, un « Juicer » : un chargeur de trottinettes électriques. Il n’est pas employé par Lime, pas plus qu’il ne l’est par Bird. Pourtant, ce sont bien les trottinettes de ces deux sociétés qu’il s’occupe de recharger presque quotidiennement, une fois sa (première) journée de travail achevée. David est autoentrepreneur : il a passé un contrat avec les deux entreprises qui le rémunèrent à chaque fois qu’il charge une nouvelle trottinette à Paris.

[…]

Sous couvert d’anonymat, David détaille volontiers les étapes qu’il a dû suivre pour offrir ses services à la société : « Il l faut passer un tutoriel pour apprendre comment récupérer les trottinettes. Pour continuer, il faut obligatoirement le valider à 100 %. » Il ajoute que Lime envoie ensuite un mail ou un sms aux futurs juicers qui ont validé le test, afin qu’ils viennent récupérer leurs premiers chargeurs auprès d’un représentant de Lime. »

On apprend que selon la bonne volonté de ces entreprises nouvelles, on peut disposer de 4 à 40 chargeurs de trottinette. Chaque chargeur a la taille d’un ordinateur portable.

« Chacun des appareils permet, selon Lime, de charger complètement une trottinette en quatre heures : leur batterie doit être pleine à 95 % pour que Lime ou Bird considère la mission accomplie. « Dans les faits, il faut plutôt cinq heures de charge », corrige David.

Une trottinette chargée rapporte à David la somme de 8 euros chez Lime. Chez Bird, société pour laquelle il est aussi devenu chargeur, ce paiement est récemment passé à 7 euros. « Avec l’arrivée d’Uber sur ce marché, le prix a tendance à baisser. D’autant que les contrats que j’ai passés avec ces entreprises disent que la rémunération par trottinette peut varier entre 5 et 25 euros. C’est intéressant tant que ça ne passe pas sous la barre des 6 euros. Après, ce n’est plus suffisant pour compenser les coûts d’un véhicule et d’un local qui sont nécessaires à cette activité. » Dans son enquête publiée le 4 octobre, BFM TV raconte également les difficultés de chasser ces trottinettes, qui sont nombreuses à être dissimulées par des particuliers, pour un butin effectivement maigre : après 2 heures et 15 minutes, ils ont récolté 6 euros (soit 2 euros de l’heure en ôtant leurs coûts d’électricité et la cotisation payée à l’URSSAF). »

Il y a des utilisateurs de trottinette qui les laisse au milieu du trottoir et d’autres qui les cachent ou les mettent dans des lieux « baroques » et le travail de juicer est presque clandestin :

Le juicer ne craint pas seulement de se mettre en danger lorsqu’il tente de récupérer un appareil de Lime ou Bird dans des lieux improbables. Il aimerait aussi pouvoir être clairement identifié comme chargeur pour éviter que son comportement semble suspect dans la rue : une personne qui ramasse des trottinettes et les entasse dans son coffre attire l’attention. « Lime refuse de nous donner des gilets, ou un signe distinctif que l’on pourrait porter pour être identifiés. Qu’est-ce que je fais le jour où la police vient me voir ? Je garde mon contrat sur moi, au cas où. »

Les optimistes libéraux, en s’appuyant sur le concept de la « Destruction créatrice » de l’économiste Joseph Schumpeter (1883-1950) veulent être rassurant et disent certes beaucoup de métiers vont disparaître, mais on va en créer d’autres, beaucoup d’autres.

Oui mais ce sont des « emplois à la con » en anglais « Bullshit jobs ».

David Graeber a écrit un livre sur les « Bullshit jobs » mais dans sa définition il ne met pas ce type de travail, car pour lui pour avoir droit à cette appellation, il faut que le job n’ait pas d’utilité. Or il faut reconnaître que le chargeur de batterie de trottinette est utile pour les utilisateurs de trottinette.

Mais est-il judicieux de mettre des trottinettes en libre-service pour la fortune de plateformes ubérisés ?

Pour ma part, la réponse est claire et négative.

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Mardi 5 mars 2019

« Mardi gras »
C’est aujourd’hui

Nous sommes donc le jour de mardi gras, demain ce sera mercredi des cendres et commencera la période de carême.

Carême fut l’objet du mot du jour du <29 mars 2018>, il paraît juste de consacrer, une année après, un mot à mardi-gras.

Quand on fait des recherches sur mardi gras, la question qui semble la plus importante est de savoir ce qu’on mange le Mardi Gras ?

La réponse semble : des beignets et des crêpes pour utiliser les aliments “gras” (comme le beurre) qu’on ne pourra plus consommer pendant la période de Carême.

<Voici une recette de beignets de Franche-Comté> mise en ligne hier le 4 mars

A Lyon ce sont les bugnes et <Ce journal prétend disposer de la meilleure recette>

Le site l’Internaute précise que les régions ont chacun leur particularité :

« Chaque région de France a ses beignets. Ainsi à Lyon, on perpétue la tradition des bugnes depuis le XVIe siècle, en Aquitaine, on mange des Merveilles, dans les Vosges on mange des beugnots, et en Provence ce sont des oreillettes… »

Ce site nous permet d’ailleurs d’être plus savant :

« Mardi gras est le dernier jour du Carnaval. Le mot italien provient du latin “carnis levare” (“ôter la viande”). Il fait référence aux derniers repas “gras” pris avant le Carême (on parlait au XVIIIe siècle de “Dimanche gras” ou de “Lundi gras” avant Mardi gras). Autrefois, cette saison correspondait, dans une société encore majoritairement agricole, à l’une des périodes les plus critiques. En effet, en février et en mars, les paysans puisaient dans leurs dernières réserves de nourriture stockées avant ou pendant l’hiver : la facilité à stocker œufs et beurre a favorisé – au même titre que pour la Chandeleur – la tradition consistant à préparer crêpes et gaufres pendant cette période.

Des rituels païens existaient dans la période proche de mardi gras : ils annonçaient ou célébraient la renaissance de la nature (durée du jour en progression, début du dégel, puis premiers bourgeons…). C’est cette réalité qui était traduite dans le calendrier romain, où le jour de l’an était fixé au 1er mars… D’ailleurs, il a fallu attendre le XVIe siècle pour le que jour de l’an soit fixé au 1er janvier ! Avec l’avènement de la chrétienté et la mise en place de la tradition du jeûne du Carême (au IVe siècle), la fête se transforme en période d’exubérance précédant les rigueurs de l’avant-Pâques.

Au Moyen Age, le Carême correspondait à une période des plus contraignantes pour la population, privée de danse, de fête, de nourriture copieuse, de sexe et de plaisir, relevait l’historien des religions Odon Vallet sur France 2 en 2014. Avant que cette période ne commence, la fête du Mardi gras et son carnaval permettaient notamment d’élire un “pape des fous” et d’inverser l’ordre du monde rationnel en même temps que l’ordre social (les riches pouvaient se déguiser en pauvres, les hommes en femmes…).

La dualité de la période est illustrée par le tableau « Le combat de Carnaval et de Carême »de Bruegel (1559). Sur une place marchande se mesurent deux chars. Le premier est paré : un homme ventripotent enjambe un tonneau, entouré de personnages absurdes et de musiciens. Sur l’autre char, une vieille femme, tractée par des moines et des nonnes. Sur une planche en bois, on remarque des poissons, symboles du Carême (période où l’on s’abstient de viande, hors produits de la mer). Côté auberge (Carnaval), on joue au dé et on se gave de gaufres ; côté église (Carême), les personnages voilés se prosternent… »


Et à Périgueux, le journal Sud-Ouest nous apprend que la fête sera celle de « Pétassou » le roi carnaval,

Aujourd’hui il me semble qu’il y a plus de gens qui fêtent mardi gras que de personnes qui suivent la rigueur de carême.

C’est une erreur du point de vue de la santé, jeûner est bien meilleur que faire bombance.

Mardi gras tombe cette année le 5 mars 2019, et les années suivantes ce sera :

    • Le 25 février 2020
    • Le16 février 2021
    • Le 1 mars 2022

Ce qui signifie qu’en 2021, Pâques tombera très tôt dans l’année…

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Mardi 26 février 2019

« Réflexions sur la question antisémite »
Delphine Horvilleur

Mais d’où vient cette haine des juifs ?

Juste à la sortie de la dernière guerre, en 1946, après le génocide, Jean-Paul Sartre publia un essai « Réflexions sur la question juive ».

Ce livre se trouve en bonne place dans ma bibliothèque, au même titre que « Réflexions sur les questions juives » d’Annie Kriegel ou encore « Sémites et antisémites » de Bernard Lewis.

« Réflexions sur la question juive » de Sartre commence ainsi :

«Si un homme attribue tout ou partie des malheurs du pays et de ses propres malheurs à la présence d’éléments juifs dans la communauté, s’il propose de remédier à cet état de choses en privant les juifs de certains de leurs droits ou en les écartant de certaines fonctions économiques et sociales ou en les expulsant du territoire ou en les exterminant tous, on dit qu’il a des opinions antisémites. Ce mot d’opinion fait rêver…

C’est celui qu’emploie la maîtresse de maison pour mettre fin à une discussion qui risque de s’envenimer. Il suggère que tous les avis sont équivalents, il rassure et donne aux pensées une physionomie inoffensive en les assimilant à des goûts.

Tous les goûts sont dans la nature, toutes les opinions sont permises ; des goûts, des couleurs, des opinions il ne faut pas discuter.

Au nom des institutions démocratiques, au nom de la liberté d’opinion, l’antisémite réclame le droit de prêcher partout la croisade anti-juive. »

Pour Jean-Paul Sartre, c’est l’antisémite qui fait le juif, c’est le regard d’autrui qui fait du Juif, un Juif. Selon Sartre, pour mettre un terme à l’antisémitisme ce n’était pas le Juif qu’il fallait changer mais l’antisémite. Sartre estimait qu’il y a un antisémitisme latent même chez les esprits qui se veulent ouverts.

Cette thèse a été souvent décriée comme le rapporte cet article de Mediapart <Réflexions sur les Réflexions sur la Question Juive de Sartre> parce que

« Réflexions sur la Question Juive” est un essai publié en 1946 par Jean-Paul Sartre qui a souvent été décrié dans des milieux juifs parce que ceux-ci et manquait de profondeur. »

Pourtant la lecture de Raymond Aron m’avait conforté dans cette thèse de son ancien condisciple de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm.

En 1928, Aron est reçu premier à l’agrégation de philosophie. Et il se rend à partir de 1930 en Allemagne où il étudie un an à l’université de Cologne, puis de 1931 à 1933 à Berlin, où il est pensionnaire de l’Institut français et fréquente l’université de Berlin. Il observe alors la montée du totalitarisme nazi.

Dans son livre : « Le spectateur engagé » il raconte (page 34) :

« Quand je suis arrivé en Allemagne, j’étais juif et je le savais mais, si j’ose dire, je le savais très peu. Ma conscience de ma judéité, comme on dit maintenant, était extraordinairement faible. Je n’avais jamais été, dans une synagogue ou presque. […] en dehors du nationalisme qui était partagé par d’autres partis, [le nazisme] était singularisé par l’excès de l’antisémitisme, de telle sorte qu’à partir de cette année-là, 1930, je me suis toujours présenté d’abord comme juif. »

Il a aussi raconté un autre épisode vécu en Allemagne à cette époque. Il faut savoir qu’il était blond aux yeux bleus et ne correspondait pas à l’image que ce faisait beaucoup des pseudo-caractéristiques physiques des juifs. Il était logé par une femme allemande qui était très influencé par les discours nazis. Et un jour qu’elle avait encore dit tout le mal qu’elle pensait des juifs, Raymond Aron lui demanda si elle était vraiment sûre que les juifs étaient si terribles qu’elle les décrivait. Et elle lui répondit : qu’il était un brave garçon et qu’il ne les connaissait pas et ne pouvait donc pas s’imaginer de quoi « ils » étaient capable. Si l’époque n’avait pas été aussi tragique, cette histoire pourrait être drôle.

C’est en référence au livre de Sartre que la rabbin libérale Delphine Horvilleur a nommé son dernier livre sur la haine des juifs : <Réflexions sur la question antisémite>

Je trouve Delphine Horvilleur, l’une des trois femmes rabbins de France, absolument remarquable pour son ouverture d’esprit à l’égard des autres pensées et religions, pour son ouverture aussi sur les questions de sexualité sans tabou, de la féminité. Elle interroge les religions et la sienne sur ces sujets.

Elle a notamment écrit avec l’islamologue Rachid Benzine un livre de dialogue : « Il y a mille et une façons d’être juif ou musulman »

Rachid Benzine est l’auteur du livre « Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ? », dont j’avais tiré une phrase plusieurs fois répétée et inspirante :

« Le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes.»

Il avait également écrit en 1998 avec le père Christian Delorme, dans le cadre d’un dialogue islamo-catholique aux Minguettes, dans la banlieue de Lyon, un livre : Nous avons tant de choses à nous dire,

Delphine Horvilleur et Rachid Benzine présentent ainsi leur livre commun :

« Nous avons tous deux compris que la Bible et le Coran n’étaient pas étrangers l’un à l’autre. Et tous deux nous revendiquons la liberté de la recherche et de la parole religieuses : une liberté responsable, qui prend en charge les questions et affronte les conflits.

Or, de nos jours, partout des fondamentalismes et des mouvements identitaires se prévalent de traditions anciennes qu’ils croient pouvoir faire remonter aux origines de leur foi.

Nous en sommes convaincus : être « héritier » ne consiste pas à mettre ce qui a été reçu dans un coffre fermé à clé, mais à le faire fructifier. Cela ne consiste pas à reproduire à l’identique ce qui a été reçu, mais à le renouveler.

Nous espérons que notre parole libre et résolument fraternelle fera surgir beaucoup d’autres paroles libres et fraternelles ! »

Pour parler de <Réflexions sur la question antisémite>, Delphine Horvilleur avait été invitée par Alexandra Bensaid sur France Inter <vendredi 4 janvier 2019>

Dans cette émission, elle a dit fort justement que

« L’antisémitisme n’est pas le problème des juifs mais d’une nation. […] le marqueur d’une nation en faillite, comme le rôle du canari dans la mine »

On sait, en effet, qu’avant les techniques modernes capables de détecter la présence de gaz, les mineurs avaient recours au canari sensible aux émanations de gaz. Lorsque le canari s’agitait ou mourait, le mineur savait qu’il fallait remonter rapidement vers la surface !

« PHILOSOPHIE MAGAZINE » explique que pour Delphine Horvilleur
Il n’y a pas de question juive, il n’y a qu’une question antisémite. Elle reprend quelque peu la réflexion de Jean-Paul Sartre que c’est le regard de l’autre qui fabrique le Juif. Mais son point de vue essentiel n’est pas d’approfondir la manière dont l’antisémite « fait » le Juif, mais plutôt de s’intéresser à savoir comment le Juif voit l’antisémite, comment la conscience juive vit avec ce qui veut sa perte. Il s’agit donc plutôt de « réflexions juives sur la question antisémite » conclut le magazine.

Delphine Horvilleur distingue, selon moi avec beaucoup de pertinence le racisme et l’antisémitisme.

«  Le racisme est un mépris, l’antisémitisme est une jalousie, le premier s’exprime de haut, le second d’en bas ou de côté, l’un est un rejet du barbare, l’autre une « rivalité familiale ». La différence de couleur de peau ou de culture est vue comme « quelque chose en moins », que l’autre n’a pas pour être « comme nous » ; au Juif, on reproche au contraire d’avoir « quelque chose en plus », sans doute usurpé, qu’il accaparerait en en lésant le monde commun. Même pauvre, discriminé, victime du pire, il est encore « trop » : « littéralement, il m’excède »

Par la haine des Juifs, l’antisémite leur reproche tout et son contraire et échappe à toute logique.

Delphine Horvilleur écrit qu’« il est peut-être vain et immoral de lui chercher des modalités explicatives, ou d’analyser le raisonnement de ses agents. Inutile, à moins d’interroger ce que le haineux exècre exactement à travers le Juif, et de quoi sa détestation est le nom ».

Quand on se rappelle des perversions politiques du XXème siècle, on se souvient qu’on reprochait aux juifs d’avoir amené le communisme et les communistes accusaient les juifs de soutenir les banques et les puissances de l’argent. Les régimes soviétiques ont aussi persécutés les juifs.

Et je cite encore Philosophie magazine :

« La haine du Juif s’accroche à la permanence de plusieurs thèmes. Retenons-en un, qui tient à cœur à la première rabbin femme de France : la misogynie. Que ce soit par la métaphore de l’ulcère (le trou) ou celle de la coupure (la circoncision), par lesquelles il est décrit, le Juif représente le féminin qui angoisse la virilité des hommes. »

Et elle fait le tour des héros juifs face aux fantasmes de puissance :

  • Jacob, le doux, l’imberbe, est préféré à Esaü, le fort, le poilu, pour conduire le peuple d’Israël ;
  • les héros juifs sont boiteux (Jacob),
  • aveugles (Isaac),
  • bègues (Moïse),
  • stériles (Abraham).

Elle a raison, cette galerie des héros juifs est une collection d’anti-héros auxquel il manque toujours quelque chose. Ils ne sont jamais des symboles de virilité.

« LE MONDE DES RELIGIONS » approfondit l’explication psychanalytique ainsi qu’une montée de haine venue de minorités contre une autre minorité : <Le juif renvoie l’antisémite à sa peur de la castration>

Et l’autre piste que suit la rabbin est celle de la menace que fantasme l’antisémite que « les juifs » empêchent un groupe, une nation d’être un tout homogène.

Dès lors, ce que hait l’antisémite est ce « pas-tout » qui empêche le groupe, ou la nation, ou l’Empire, de faire bloc, de se penser comme total, Un, pur. L’antisémitisme est la logique mortifère selon laquelle «pour que le monde soit en paix, il faudrait se débarrasser de ce qui divise, et que le juif incarne». C’est la crainte que le Tout (religion universelle, nation) auquel les antisémites veulent appartenir soit menacé dans son intégrité. C’est une angoisse identitaire dont rien n’indique qu’elle ait cessé d’être actuelle.

Le journal « LIBERATION » a également consacré une interview à Delphine Horvilleur sur son livre : «L’antisémitisme n’est jamais une haine isolée, mais le premier symptôme d’un effondrement à venir»

J’en tire les extraits suivants :

Quand avez-vous commencé à vous intéresser à l’antisémitisme ?

« L’antisémitisme hantait mon histoire familiale mais j’ai longtemps pensé que ma génération en serait protégée. En mai 1990, il y a une bascule au moment de la profanation du cimetière de Carpentras. Je repense souvent à la manifestation nationale que Carpentras a suscitée. Près de trente ans plus tard, lorsque des stèles juives sont profanées, comme ce fut le cas il y a moins d’un mois près de Strasbourg, personne ou presque ne le mentionne. Quelque chose d’absolument anormal est aujourd’hui tombée dans la banalité. Mon besoin d’écrire sur l’antisémitisme est lié à son regain, mais pas uniquement. Penser le judaïsme pousse nécessairement à s’interroger sur les origines de la haine antijuive à travers l’histoire, même si je ne crois pas – et c’est pour cela qu’il m’importait de détourner le titre de l’essai de Jean-Paul Sartre – que ce soit l’antisémite qui fasse le juif. »

Quel est le ressort de ce regain ?

« L’antisémitisme n’est jamais une haine isolée, mais le premier symptôme d’un effondrement à venir. Il est bien souvent la première exposition d’une faille plus large, mais il est rarement interprété comme annonciateur au moment où il frappe. Les attentats de novembre 2015 suivent de quelques mois la prise d’otages à l’Hyper Cacher de Vincennes et de quelques années la tuerie à l’école juive de Toulouse. Mais, évidemment, en 2012, personne ne peut le formuler ainsi. Depuis cette date, une question me hante : pourquoi, lorsque furent assassinés des enfants dans une école, la France n’était-elle pas dans la rue ? Etait-elle anesthésiée, aveuglée ou indifférente ? Cet attentat donne alors lieu à des discours incroyablement déplacés : on évoquait l’importation supposée du conflit moyen-oriental ou des «tensions intercommunautaires» pour masquer l’horreur. L’absence de réaction collective reste une énigme insurmontable. »

En quoi l’antisémitisme est-il différent du racisme ?

« On entretient une confusion en associant racisme et antisémitisme et à moins d’entrer dans une compétition victimaire, il ne s’agit pas de dire que l’un est plus grave que l’autre. Le racisme est souvent affaire de complexe de supériorité : je posséderais quelque chose qu’un autre n’a pas ou moins que moi. L’antisémitisme, au contraire, se construit sur une forme d’infériorité ressentie. On reproche aux juifs d’être plus ou d’avoir plus. Le juif est toujours accusé d’avoir un peu trop de pouvoir, ou bien d’être trop proche du pouvoir – on l’a entendu ici et là dans des slogans antisémites scandés en marge des manifestations des gilets jaunes. On soupçonne les juifs d’avoir un peu trop le contrôle, l’argent, la force et la baraka. Il y a toujours l’idée que le juif est là où je devrais être, qu’il a ce que je devrais avoir, qu’il est ce que je pourrais devenir. Peu importe que cela soit un fantasme. Peu importe qu’on puisse démontrer qu’il y a des juifs pauvres, qui n’ont ni influence ni pouvoir. Rien ne pourra ébranler cette conviction délirante, qui permet à certains de colmater les fêlures de leur existence. Dans tous les discours antisémites à travers les siècles, le juif représente la porosité ou la coupure qui empêche de se sentir en complétude. Quand un groupe ou une nation se perçoit en faillite, l’antisémitisme est l’énoncé le plus classique de sa tentative de reconstruction. C’est une consolidation identitaire qui se fait sur le dos d’un autre. »

Mais n’existe-t-il pas un communautarisme juif tout aussi clos sur lui-même ?

« Le communautarisme touche aujourd’hui tout le monde, et les juifs n’y échappent pas. La menace qui pèse sur un groupe dont les lieux de culte et les écoles doivent être protégés n’est pas de nature à inviter à ce que les portes s’ouvrent. Toutefois, il importe de ne pas renverser les responsabilités : ce repli n’est pas la cause de l’antisémitisme. De façon troublante, ce sont lors des moments dans l’Histoire où les juifs ont été les plus assimilés que l’antisémitisme a été le plus virulent. Ce fut le cas en Allemagne au début du siècle dernier. »

Il s’agit d’un article assez long écrit par la journaliste de Libération, Anne Diatkine et qui aborde de manière approfondie les questions sur l’identité juive tout en affirmant qu’elle est difficile à cerner.

Pour écrire ce mot du jour, je me suis encore inspiré des articles suivants :

De Médiapart : «L’antisémite à travers les siècles est toujours un intégriste»

L’Obs : « Qu’est-ce que l’antisémitisme »

<1198>

Vendredi 22 février 2019

« Sodoma »
Frédéric Martel

Revenons à la source, au récit initiatique de notre civilisation judéo-chrétienne et aussi musulmane. A savoir « La Genèse » premier livre de la Bible chrétienne et de la Torah juive. Il est aussi désigné comme le premier livre du Pentateuque (« cinq livres de Moïse »)

La ville de Sodome est connue par le récit qu’en fait le chapitre 19 de la Genèse.

Dans la traduction de Louis Segond :

« Les deux anges arrivèrent à Sodome sur le soir ; et Lot était assis à la porte de Sodome.
Quand Lot les vit, il se leva pour aller au-devant d’eux, et se prosterna la face contre terre.
Puis il dit : Voici, mes seigneurs, entrez, je vous prie, dans la maison de votre serviteur, et passez-y la nuit ; lavez-vous les pieds ; vous vous lèverez de bon matin, et vous poursuivrez votre route. Non, répondirent-ils, nous passerons la nuit dans la rue.
Mais Lot les pressa tellement qu’ils vinrent chez lui et entrèrent dans sa maison. Il leur donna un festin, et fit cuire des pains sans levain. Et ils mangèrent.

Ils n’étaient pas encore couchés que les gens de la ville, les gens de Sodome, entourèrent la maison, depuis les enfants jusqu’aux vieillards ; toute la population était accourue.
Ils appelèrent Lot, et lui dirent : Où sont les hommes qui sont entrés chez toi cette nuit ? Fais-les sortir vers nous, pour que nous les connaissions.

Lot sortit vers eux à l’entrée de la maison, et ferma la porte derrière lui.

Et il dit : Mes frères, je vous prie, ne faites pas le mal !
Voici, j’ai deux filles qui n’ont point connu d’homme ; je vous les amènerai dehors, et vous leur ferez ce qu’il vous plaira. Seulement, ne faites rien à ces hommes puisqu’ils sont venus à l’ombre de mon toit.
Ils dirent : Retire-toi ! Ils dirent encore : Celui-ci est venu comme étranger, et il veut faire le juge ! Eh bien, nous te ferons pis qu’à eux. Et, pressant Lot avec violence, ils s’avancèrent pour briser la porte.
Les hommes étendirent la main, firent rentrer Lot vers eux dans la maison, et fermèrent la porte.
Et ils frappèrent d’aveuglement les gens qui étaient à l’entrée de la maison, depuis le plus petit jusqu’au plus grand, de sorte qu’ils se donnèrent une peine inutile pour trouver la porte.  »

Vous noterez que dans ce récit fondateur de notre civilisation, il est totalement intolérable d’avoir des pulsions homosexuelles, mais que Lot, cet homme protégé de Dieu peut allègrement proposer à cette horde en furie de violer ses deux filles vierges dans une orgie sexuelle. Les deux anges et Dieu n’y trouvent rien à redire. Pour ma vision de rationaliste, je dirai plus prosaïquement que l’auteur du récit n’y voit aucun mal. Les religions monothéistes n’ont jamais eu beaucoup de considération pour les femmes…

Par la suite les deux anges vont donc sauver Lot et sa famille et annoncent que Dieu va détruire cette ville et qu’il ne faut pas se retourner dans la fuite.

Et l’histoire se termine ainsi :

« Alors l’Éternel fit pleuvoir du ciel sur Sodome et sur Gomorrhe du soufre et du feu, de par l’Éternel.
Il détruisit ces villes, toute la plaine et tous les habitants des villes, et les plantes de la terre.
La femme de Lot regarda en arrière, et elle devint une statue de sel. »

Dans cet article de <Wikipedia>, des théologiens aux idées complexes essayent d’expliquer que cette histoire est plus compliquée qu’il n’y paraît, mais conviennent quand même que

« Dans la tradition chrétienne, ces passages bibliques sont évoqués comme fondements de la condamnation de la sodomie et de l’homosexualité. L’interprétation chrétienne est utilisée par les traités d’éthique chrétienne qui se fondent sur cette lecture particulière du passage Genèse 19, et inspire la plupart des traités de droit criminel condamnant l’homosexualité jusqu’au XVIIIe siècle avec une rigueur inouïe »

La discussion des théologiens tournent autour de l’expression « pour que nous les connaissions » qui pour tout lecteur averti de la Bible signifie avoir des relations sexuelles. Pour les théologiens qui écrivent dans Wikipedia c’est bien la signification pour des relations hétérosexuelles, mais ne le serait pas pour les relations homosexuelles.

Mais le Récit biblique est une chose et l’interprétation que les ecclésiastiques en ont fait est tout aussi importante.

Et cette interprétation est claire, « Sodome » est l’histoire qui montre que Dieu condamne l’homosexualité. Et la ville mythique donnera les noms communs honnis par les religions monothéistes de « sodomie », de « sodomites » et de toutes ses déclinaisons.

Cet autre article de Wikipedia rapporte l’Histoire de l’homosexualité et de la religion chrétienne, dont je tire les extraits suivants :

Ce qui est étonnant dès le début c’est que le premier édit a été décrété par un homosexuel. Rappelons que les relations charnelles entre homme ne posaient pas problème dans la Grèce antique.

« En effet, le 4 décembre 342, les empereurs romains Constantin II et Constant Ier décrétèrent, dans leur édit sur les adultères, la punition de tout homme, déclaré « infâme », qui se marierait en femme». Cette condamnation paraît contraster avec le fait que Constant Ier était lui-même notoirement homosexuel. Cet édit fut suivi par la loi du 14 mai 390 des empereurs Théodose Ier, Valentinien II et Arcadius, qui condamna les homosexuels passifs à la peine de mort par le feu, devant la plèbe réunie. »

Dans ces débuts le christianisme devint rapidement extrêmement cruel avec ce type de sexualité : .

« Plus tard, au VIe siècle de notre ère, jusque-là considérée comme un crime contre la dignité, l’homosexualité devint un crime contre l’ordre naturel créé par Dieu. En effet, en 538, l’empereur chrétien Justinien publia la première de ses Novellæ contre les personnes persévérant dans l’accomplissement d’actes homosexuels (ceux qui « commettent des [actes] contraires à la nature »), qu’il condamnait, en même temps que les blasphémateurs, à être arrêtés et soumis « aux derniers supplices ». Vers 542, en l’an 15 de son règne, Justinien ordonna de couper les parties génitales de deux évêques, Isaïe, évêque de Rhodes, et Alexandre, évêque de Diospolis, présents à Constantinople et, selon Michel le Syrien, « livrés à l’impureté sodomite ». Ils furent ensuite promenés par toute la ville, leurs membres amputés portés sur des lances. Justinien en profita pour établir « au nom de Dieu, la loi que quiconque serait surpris couché avec un mâle, aurait les parties viriles coupées ». »

Et si on s’intéresse plus précisément à L’Église catholique contemporaine, même s’il y a une évolution à l’égard des personnes, l’homosexualité et l’acte homosexuel sont toujours condamnés comme non naturelle et contraire aux lois divines.

Ainsi en novembre 2005 :

«  sur le canal radiophonique de Radio Vatican, à l’occasion de la sortie du document de la Congrégation pour l’éducation catholique refusant l’ordination des prêtres jugés homosexuels, le cardinal Zenon Grocholewski déclara : « Beaucoup de gens défendent l’idée selon laquelle l’homosexualité serait une condition normale de la personne humaine. Au contraire, elle contredit absolument l’anthropologie humaine et la loi naturelle ».

Il y a bien sûr des évolutions, notamment grâce au Pape François, mais l’homosexualité continue à être condamnée par l’Église Catholique.

Et parmi ceux qui le condamnent, beaucoup sont homosexuels. Cette hypocrisie est dénoncée par le journaliste Frédéric Martel dans le livre qu’il vient de publier chez Robert Laffont et qui est sorti en Librairie ce jeudi 21 février: « Sodoma, Enquête au cœur du Vatican »

J’ai entendu parler ce journaliste de son livre pour la première fois sur France Culture le 15 février dans l’émission de Guillaume Erner : « les lourds secrets du Vatican»

Et j’ai appris que le Vatican abriterait une des plus grandes communautés homosexuelles au monde.

Dans cette interview à CNews il affirme que

«Plus un prélat est homophobe, plus il a de chances d’être homosexuel».

Il décrit L’Église catholique comme une société «homosexualisée».

L’écrivain a enquêté pendant quatre ans au sein du Vatican, mais aussi dans trente pays et a interrogé près de 1.500 personnes, dont 41 cardinaux, 52 évêques et monsignori et 45 nonces apostoliques, précise « Le Point » :

Sur 630 pages, le sociologue décrit ce qu’il nomme « le secret le mieux gardé du Vatican » : l’omniprésence des homosexuels au sommet de l’Église. »

Car Frédéric Martel n’évoque pas un « lobby gay » mais presque une « normalité » :

« L’homosexualité s’étend à mesure que l’on s’approche du saint des saints ; il y a de plus en plus d’homosexuels lorsqu’on monte dans la hiérarchie catholique. Dans le collège cardinalice et au Vatican, le processus préférentiel est abouti : l’homosexualité devient la règle, l’hétérosexualité l’exception. »

Et il répète dans ce journal, l’hypocrisie à l’œuvre :

« Les prélats qui tiennent les discours les plus homophobes et traditionnels sur le plan des mœurs s’avèrent eux-mêmes en privé homosexuels ou homophiles, étant ces fameux « rigides hypocrites » dénoncés par François. »

L’article du Point explique que le livre revisite les pontificats de Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI sous ce prisme gay. Il est particulièrement terrible pour le pape polonais, qui a multiplié les anathèmes contre l’homosexualité et le préservatif en pleine épidémie du sida, mais dont l’entourage proche aurait été majoritairement constitué de gays, dont deux éminents cardinaux à l’homophobie d’apparat qui ont été mêlés à une affaire de réseau de prostitution masculine.

Par ailleurs, Frédéric Martel affirme que cette culture du secret et cette omni présence de l’homosexualité est une clé essentielle pour comprendre pourquoi certains cardinaux et évêques ont couvert des actes pédophiles : Ils avaient peur que dans le scandale, des révélations éclatent et dénoncent leur homosexualité et leur hypocrisie.

<Dans cet article du Monde>, le Pape actuel qui semble épargné par le livre est cité :

« « Derrière la rigidité, il y a toujours quelque chose de caché ; dans de nombreux cas, une double vie », a ainsi affirmé le pape argentin. Parmi ses ennemis, précise M. Martel, les « homosexuels planqués, pétris de contradictions et d’homophobie intériorisée » seraient légion. »

Dans un article 21 février 2019 sur le site <Slate> Henri Tincq explique que

« L’ouvrage de Frédéric Martel souligne les incohérences entre le discours de l’Église catholique sur l’homosexualité et la pratique de certains de ses dirigeants, notamment au Vatican »

Et il fait l’analyse suivante :

« Martel démontre ici la perversité d’un autre système de pouvoir, d’une machinerie d’Église complexe, génératrice d’une morale aussi ancienne qu’écrasante. Son livre est une quête haletante et absurde à travers les rouages d’une institution ubuesque, corrompue jusqu’à la moelle, schizophrène à un niveau inimaginable, à la fois homosexuelle et homophobe, dont l’auteur nomme les tireurs de ficelles et désigne les principaux criminels. »

Une des raisons de cette sur-représentation des homosexuels à l’intérieur de L’Église catholique serait dû au fait que des jeunes hommes catholiques sentant en eux des pulsions homosexuelles, moralement indéfendables et donc refoulées chercheraient une expression et une «sublimation» dans un milieu de pouvoir presque exclusivement masculin.

Pour cacher une homosexualité prohibée par les lois de l’Église, mais si répandue en son sein, la hiérarchie catholique se livrerait à une surenchère permanente dans l’homophobie. Il existerait un lien étroit entre l’homosexualité pratiquée dans ses rangs à une grande échelle et les combats acharnés que mènerait l’Église des dernières années contre cette «déviance», contre l’avancée des droits des homosexuels (alors même qu’elle se bat pour les droits humains en général), contre les unions de même sexe ou contre les moyens de prévention du virus du sida, notamment le préservatif.

<L’express consacre aussi un article conséquent à cet ouvrage>

Mais je finirai par cet avertissement que donne Marco Politi, vaticaniste italien, auteur de «François parmi les loups» sur le site de « L’Obs »  :

« Mais après «Sodoma», l’Eglise doit se préparer à une autre vague de scandales: un #Metoo des femmes et des religieuses victimes d’abus sexuels par le clergé. En janvier, un prêtre du Vatican, chef de bureau à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a été officiellement démis pour avoir tenté », dans les années passées, d’obtenir les faveurs d’une religieuse pendant la confession. Les femmes ont désormais moins peur du pouvoir clérical et il est fort à parier que bientôt, depuis l’Europe et les Etats-Unis jusqu’en Inde, on assistera à une escalade de révélations.»: »

Et Marco Politi ne parle pas des crimes de pédophilies, pourtant très présent dans l’actualité.

<Dans cette courte vidéo le Pape François reconnait que des prêtres et des évêques ont violé des religieuses>

L’Eglise catholique a vraiment un gros problème avec la sexualité.

<1196>

Lundi 18 février 2019

« la culture de la peur au 21° siècle »
Frank Furedi

Brice Couturier écrit et publie sur « France Culture » une chronique : « Le tour du monde des idées » dans laquelle il s’éloigne de la presse hexagonale ainsi que des livres français pour s’ouvrir à ce qui s’écrit et se dit ailleurs.

Il a consacré sa chronique du 12 février 2019 à la « culture de la peur », le « catastrophisme ambiant » qui nous paralyse <Contre la “culture de la peur”, retrouver le courage d’oser>

Il a commencé sa chronique par cette célèbre formule du président Franklin Roosevelt : « La seule chose dont nous pouvons avoir peur, c’est de la peur elle-même ». Il a dit cela en 1932 en pleine crise économique et sociale, dans une situation désespérante et contre laquelle il allait lancer son New Deal qui a d’ailleurs consisté, rappelons-le, à augmenter beaucoup les impôts des plus riches.

Brice Couturier en appelle à un sociologue hongrois pour fustiger le manque de courage actuel :

« C’est de l’absence d’un tel courage, d’une semblable hardiesse, que nous crevons aujourd’hui, d’après le sociologue Frank Furedi. Furedi, né hongrois, est devenu l’une des figures de la vie intellectuelle britannique. Il vient de publier un livre intitulé «How fear Works : Culture of Fear in the 21th Century ». Comment fonctionne la peur, la culture de la peur au 21° siècle. Furedi relatait récemment un fait divers, à ses yeux très révélateur de cette « culture de la peur ».

Dans le Surrey, un groupe d’agents de police assiste à un grave accident : une camionnette, après avoir dérapé, tombe dans la Tamise. Premier réflexe des policiers : tomber leur veste d’uniforme pour aller au secours du malheureux conducteur. Leur chef, un inspecteur nommé Gary Cross, le leur interdit. « Vous n’avez pas reçu l’entraînement nécessaire pour ce genre d’intervention dans le cadre de vos fonctions », explique-t-il. Quelles étranges sociétés sont devenues les nôtres pour qu’il soit interdit à des agents de police de céder à l’impulsion spontanée qui pousse tout être humain à se jeter au secours d’un semblable en train de se noyer… s’il n’a pas reçu un entraînement spécial, certifié par un document officiel. « L’esprit de courage, écrit Frank Furedi, est miné par la notion de gestion de risque. » C’est la peur du risque qui nous paralyse. La leçon de Roosevelt s’est perdue. »

Je me souviens que dans nos services, on n’a pas le droit de remplacer une ampoule électrique si on ne dispose pas de la formation et du diplôme adéquat. Il existe d’autres balivernes de ce genre pour utiliser une échelle ou un escabeau.

Et il ajoute :

« Autre exemple donné par Furedi : lors de l’attentat islamiste du 22 mai 2017 à l’Arena de Manchester, qui a fait 23 morts et 116 blessés, les pompiers sont arrivés sur les lieux avec deux heures de retard. Afin de respecter leurs procédures de sécurité…. Mais si les forces dont la mission est précisément de protéger les citoyens sont elles-mêmes tétanisées par des protocoles saugrenus et des précautions handicapantes, comment s’attendre à ce que le public, lui, fasse preuve de civisme et de courage ? »

La « gestion du risque », le « principe de précaution » sont alors des amplificateurs de nos angoisses et de nos peurs :

« L’obsession de la sécurité – en langage de technocrates, la « gestion du risque » – est devenue l’une des pathologies de notre époque. Paralysés par des anxiétés de toute sorte, nous n’osons plus oser. Une sorte « d’apocalypticisme », néologisme forgé par Gavin Jacobson, affaiblit nos sociétés.

Curieuse évolution de l’esprit du temps, dira-t-on. En moins d’un quart de siècle, les Occidentaux, si versatiles, sont passés de l’arrogance – notre modèle de société est tellement abouti qu’il va s’imposer au reste de l’humanité – à un catastrophisme tout aussi irrationnel. Du coup, l’optimisme progressiste, hérité de nos Lumières, a cédé la place à une fascination de la catastrophe, que nourrit, en particulier, une forme d’écologisme apocalyptique. Ceux qui prétendent qu’il est déjà trop tard pour que la planète demeure habitable entretiennent un sentiment d’impuissance et de paralysie.

En outre, ajoute Furedi, cette « culture de la peur » cherche à culpabiliser les gens pour mieux les assujettir. Se drapant dans l’autorité de la science, et sur le mode vertueux du bien et du mal, les autorités multiplient les interdits. »

Et il cite un nouvel ouvrage de Steven Pinker qui avait déjà fait l’objet d’un mot du jour, pour son livre précédent : « La part d’ange en nous. Histoire de la violence et de son déclin ». C’était le 21 novembre 2017.

Steven Pinker qui donne des arguments pour montrer que cette peur et ce pessimisme apparait irrationnel.

« C’est précisément contre ce pessimisme, facteur de paralysie qu’écrit Steven Pinker, le professeur de psychologie-star de Harvard.

Oui, j’avais déjà parlé ici de son livre « Enlightenment Now », bien avant qu’il ne soit traduit en français. C’est chose faite, grâce aux Editions des Arènes, sous le titre « Le triomphe des Lumières. Sous-titre : pourquoi il faut défendre la raison, la science et l’humanisme ». Enorme best-seller aux Etats-Unis et dans les pays anglo-saxons. Mérite de le devenir en France, pays ravagé – plus que d’autres, par le catastrophisme et la peur…

Pinker avait pris l’habitude de commencer ses conférences en distribuant à leurs participants des questionnaires comportant des questions, comportant trois réponses possibles. Exemple : A combien estimez-vous l’évolution du nombre de morts survenues, chaque année, du fait de désastres naturels au cours des cent dernières années ? Réponse A) Elles on plus que doublé, B) Leur nombre est demeuré globalement stable, C) Une baisse d’environ la moitié. Ou encore : A quel pourcentage estimez-vous le nombre d’enfants vaccinés contre les principales maladies dans le monde entier A) 20 %, B) 50 % ; C) 80 %. Et enfin : Au cours des vingt dernières années, diriez-vous que la proportion des personnes vivant en situation d’extrême pauvreté dans le monde A) a presque doublé, B) est restée à peu près stable, C) a été réduite de moitié.

Dans tous les cas, c’est la réponse C qui est la bonne. Les résultats récoltés par Pinker étaient, chaque fois, plus éloignés de la vérité que si les gens avaient répondu au hasard. »

Brice Couturier comme Steven Pinker sont des optimistes qui continuent à croire dans le progrès et l’évolution positive de l’humanité.

Il faut entendre aussi ces voix qui se fondent d’ailleurs sur des réalités qui montrent de grands progrès par rapport à hier.

Je m’étais fait l’écho de ce livre de Michel Serres : « C’était mieux avant » et dont le contenu contredisait absolument le titre, pour Michel Serres ce n’était pas mieux avant.

Mais le vieux sage a ajouté dans un entretien postérieur : « Cependant rien ne dit que demain ne sera pas pire »

Et dans une synthèse il dira : « Le monde de demain sera autre. Il sera et meilleur et pire. Il sera ce que nous en ferons »

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Mercredi 13 février 2019

« Le programme télé avait avancé en âge avec moi.  »
Sonia Devillers

Quand les journaux ont annoncé le décès de l’ami de Casimir :

« Patrick Bricard, le François de “L’Ile aux enfants” est mort »

J’étais très loin de penser que cette nouvelle allait me donner matière à un mot du jour.

« L’ile aux enfants » était une émission de télévision pour les enfants diffusée entre 1974 et 1982.

Mais la chronique de Sonia Devillers « L’édito M » du mardi 29 janvier 2019 « Casimir et les enfants de la télé » sur France Inter, m’a convaincu qu’il y avait là matière à faire un constat très pertinent sur la télévision :

«  François de « L’île aux enfants » s’en est allé trop discrètement.

Pour ceux qui auraient eu le mouvais goût de naître dans les années 80 ou pire, après, Casimir était un monstre gentil, sorte de gros patator orange quoique arrivé à l’écran en noir et blanc. Vous me direz l’affirmation de la différence pour ce diplodocus en mousse ne fut pas affaire de couleur. Casimir n’avait que quatre doigts : « c’est mon droit, c’est mon droit », répétait-il crânement aux humains Julie, le facteur, Monsieur snob et François.

François, la queue de comète des années 70. Chemises à carreaux, éternel étudiant, marchand de ballons, rêveur et pédagogue. Il est à la fois celui qui explique et celui qui trouve de nouveaux jeux pour les enfants.

La découverte et la science sont jeu. L’imagination est un savoir. Pourvu, surtout, que l’apprentissage et le rire soient des activités inutiles et désintéressées, donc fondamentales. Le plus incongru c’est que tout cela c’était de la télévision (TF1 avant la privatisation) et de la télévision pour marmots à 18 heures.

En apprenant la mort de l’acteur qui incarnait François, j’ai compris soudain non pas que la société avait changé, mais que le programme télé avait avancé en âge avec moi.

Petite, je rentrais de l’école, je goûtais et à 18 heures « L’Ile aux enfants », sur la Une, « Récré A2 », en face.

Ado, je rentrais du collège, je goûtais et à 18 heures, « Beverly Hills », « Hélène et les garçons », etc…

Aujourd’hui, mère de famille, je rentre du boulot et à 18 heures, il y a des programmes pour les ménagères avec enfants. Sentiment étrange.

Je devrais regarder la télé en disant « c’est plus de mon âge ». Mais non, ça l’est toujours et dans vingt ans, à 18 heures, il n’y aura que des émissions pour les vieux comme moi. Le média vieillit avec moi. Pour me garder captive. Nous nous éteindrons ensemble. Sûrement.

Parce que les enfants d’après moi ont pris leur goûter devant un ordinateur et que mes enfants à moi goûtent devant leur smartphone. François, la dernière génération d’enfants de la télé te saluent. »

<Toutes les enquêtes le disent> les spectateurs de la télévision sont de plus en plus vieux :

« Toutes chaînes confondues, le téléspectateur moyen est âgé de 50,7 ans. Soit une dizaine d’années de plus que la moyenne des Français. […]

Lorsque Julien Lepers est évincé de Questions pour un champion, les médias vont chercher des réactions dans les maisons de retraite. Caricatural ? Hélas non. Le public de France 3 est vieux: 61,4 ans en moyenne. La moitié de son audience a même plus de 65 ans…

La télé attire les vieux

[…] les plus de 50 ans la regardent la télévision trois fois plus que les 15-24 ans.

Depuis 1992, l’âge moyen du téléspectateur a vieilli de 4,4 ans, soit à peu près au même rythme que toute la population.

Mais toutes les chaînes ne sont pas égales face à ce vieillissement. Certaines chaînes vieillissent plus vite que la moyenne. Ainsi, les dirigeants de M6 ont de quoi se faire des cheveux blancs: leur audience a vieilli de 4,4 ans depuis 2010. De même que ceux de TF1, dont le spectateur a pris 4 ans sur la période, et est désormais plus âgé que la moyenne des chaînes. »

Il faut se souvenir qu’il existait une époque dans laquelle, quasi tous les français regardaient la télévision et avaient ainsi un sujet de conversation commun le lendemain.

Au-delà des critiques légitimes de la qualité des émissions de l’époque, cela créait indiscutablement du lien, une sorte d’unité. L’ordinateur et les réseaux sociaux créent plutôt de la division façon puzzle.

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Vendredi 7 décembre 2018

« Et puis il y a des trucs tout cons, comme les impôts.
Tu râles toujours un peu quand il faut les payer, mais finalement, quand tu arrives à l’hôpital, tu es pris en main de la manière dont tu es pris en main par des mecs qui ont fait quinze ans d’études. Avec des équipes de 30 personnes qui te sont dédiées et du matos où chaque couveuse vaut un demi-million d’euros. Tous les impôts que tu as payés de 0 à 40 ans, tu peux dire que tu les as mis là. »
Gaël Leiblang

Je suppose qu’il serait normal de continuer à parler des gilets jaunes.

De s’indigner contre cette prétention d’un des gilets jaunes, Eric Drouet à marcher sur l’Elysée samedi prochain et à entrer d’autorité dans le palais présidentiel.

Vouloir aller à l’Elysée pourquoi faire ?

Et alors ? Qu’est-ce qu’on fait après, à part créer le chaos ?

C’est stupide, provoquant et inutile.

Mais après avoir posé cette condamnation, il est possible de se souvenir qu’en pleine affaire Benalla, le jeune président devant les caméras de télévision et un public de partisan a osé cette formule :

« Qu’ils viennent me chercher »

Du point de vue juridique et du droit constitutionnel, cette phrase constituait une ineptie.

Du point de vue de la rhétorique, il me parait juste de reprendre les qualificatifs que j’ai utilisé pour le gilet jaune excité. Mais le fait que celui qui a prononcé ces mots soit Président de la République, ne constitue t’il pas une circonstance aggravante ?

Et je me souviens que lors du mot du jour du 10 novembre 2017 , je citai le principal conseiller du Président Obama qui après quelques mots aimables sur notre Président, qui n’était au pouvoir que depuis 6 mois, finissait son propos par ce jugement :

« La question qui se pose est : comment va-t-il faire arriver le changement ?
Comment est-ce que cela sera reçu.
C’est quelqu’un qui a beaucoup de confiance en lui-même.
Mais ce poste nécessite de l’humilité. »

Bien sûr, je pourrais aussi parler du climat, de la COP24 qui se passe à Katowice en Pologne et de ce nouveau bilan annuel de l’ONU : < Nous avons complètement dérapé> :

Globalement, les terriens étaient parvenus a stabilisé les émissions de CO2. C’était un premier pas. Nous savons que nous devons réduire ces émissions.

Mais nous avons globalement recommencé à faire progresser le taux de CO2 dans l’atmosphère :

« Selon un bilan annuel publié mercredi en marge de la 24e conférence climat de l’ONU, les émissions de CO2 liées à l’industrie et à la combustion du charbon, du pétrole et du gaz devraient croître de 2,7% par rapport à 2017, après une hausse de 1,6% l’an dernier ayant suivi trois années quasiment stables. Il faut remonter à 2011 et la sortie de la crise financière de 2008 pour trouver pire taux, explique Glen Peters, climatologue au centre de recherche Cicero (Oslo) et co-auteur de l’étude, parue dans la revue Open Access Earth System Science Data.

Les politiques se font distancer par la croissance de l’économie et de l’énergie”, souligne-t-il. “On est loin de la trajectoire qui nous permettrait de rester à 1,5°C ou même 2°C” de réchauffement, objectifs de l’accord de Paris.

“La rhétorique enfle mais l’ambition non, nous avons complètement dérapé” »

Mais dans mon butinage je suis tombé sur un article parlant d’un spectacle joué au Lucernaire à Paris ou plus précisément interviewant l’auteur et l’acteur de ce spectacle : Gaël Leiblang.

Et un paragraphe m’a tout de suite accroché et j’en ai fait l’exergue de ce mot du jour.

Parce qu’il y a une révolte fiscale. Celle que l’on voit, aujourd’hui de gens qui disent qu’ils ne peuvent plus payer les taxes qu’on leur réclame.

Mais il y a une autre révolte fiscale celle des très riches qui ne veulent plus payer leur part.

Et des multinationales qui savent mettre en œuvre des stratégies qui leur permettent de ne presque pas contribuer à l’effort commun.

L’affaire Carlos Ghosn m’a appris des tas de choses, d’abord sur le Japon qui n’est vraiment pas le pays merveilleux que certains touristes vantent. Mais aussi sur le fait que la Holding qui gère l’alliance Renault Nissan est une société de droit néerlandais. Un pays qui est un paradis fiscal. Et c’est Lionel Jospin et Laurent Fabius qui ont permis cette évasion fiscale.

On peut toujours revenir aux propos de Henry Morgenthau, secrétaire au Trésor américain sous la présidence de Roosevelt et qui disait en 1937 :

«Les impôts sont le prix à payer pour une société civilisée, trop de citoyens veulent la civilisation au rabais»

J’en avais fait le mot du jour du 21 mars 2013

Mais j’ai aimé ce cri du cœur de cet homme qui au bout de l’épreuve a redonné le sens de la contribution à la civilisation.

Gaël Leiblang est un journaliste devenu comédien. Il est aussi père de famille. Sa compagne a donné naissance à leur fils Roman. Roman a vécu 13 jours.

Ces 13 jours, le couple les a passés à l’hôpital pour accompagner leur enfant.

Ils n’étaient pas seuls, ils étaient avec des médecins et des infirmières.

Suite à la décision collégiale des médecins d’arrêter les traitements et de laisser mourir le bébé, il a été décidé que les parents puissent donner un bain à leur enfant pour lui dire au revoir et créer le souvenir le plus charnel qui soit.

Il en a fait un spectacle : « Tu seras un homme papa »

«J’ai dit au metteur en scène : “Écoute, s’il n’y a pas le bain, il n’y a pas de pièce, parce que tout amène à ce moment de grâce absolu, de spiritualité, de mysticisme, de ce que tu veux.” On raconte quelque chose que personne ne peut voir, qui est complètement secret et qui est sacré.

Ce moment est toujours magique. […]

La première fois qu’on a fait une lecture à la maison, j’ai lu le texte pendant une heure. Et c’était tellement fort et violent que personne ne pouvait plus relever la tête. […]

On pourrait dire qu’il y a plutôt un silence assourdissant autour de ces bébés éphémères.

Parce que leur vie est tellement courte qu’il n’y a pas de souvenirs, et comme il n’y a pas de souvenirs, tu ne peux pas dire…

Moi, je vois bien, si je n’avais pas fait cette pièce, on ne parlerait pas de Roman. Pas parce que c’est tabou. On est une famille tout à fait sympa, on parle très librement et tout, mais parce qu’à un moment tu n’as rien à raconter. C’était treize jours. Tu peux dire “ah, tu te souviens quand il était dans la couveuse ?” une fois, deux fois, cent fois, mais au bout de trois, quatre ans, tu ne vas plus le dire. »

Et quand la journaliste lui pose la question : « Donc tu es devenu un homme avec Roman et avec cette pièce ? »

Il répond :

« Je suis foncièrement la même personne, avec les mêmes défauts. Je gueule pareil sur les trucs, mais il y a d’autres choses qui sont réglées.

La religion par exemple pour moi, c’est très clair maintenant. Il n’y a pas de Dieu, pas de lumière, pas de révélation.

Et puis il y a des trucs tout cons, comme les impôts. Tu râles toujours un peu quand il faut les payer, mais finalement, quand tu arrives à l’hôpital, que tu es pris en main de la manière dont tu es pris en main par des mecs qui ont fait quinze ans d’études. Avec des équipes de 30 personnes qui te sont dédiées et du matos où chaque couveuse vaut un demi-million d’euros. Tous les impôts que tu as payés de 0 à 40 ans, tu peux dire que tu les as mis là et que ce n’est pas grave. »

Cette interview est très longue et vous pouvez la lire derrière ce lien « Article Rue 89 Obs publié le 6 décembre 2018 »

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Mercredi 7 novembre 2018

« Attention les vieux ! »
Un jeune enfant sur une trottinette

Avec Annie, nous marchions tranquillement, côte à côte sur le trottoir tout près de notre domicile.

L’espace disponible sur ce trottoir est diminué en raison d’arbres majestueux qui embellissent la rue.

Un enfant de 4 ou 5 ans, juché sur une trottinette, à laquelle par une action vigoureuse il tentait de donner une belle vitesse, arrivait à notre rencontre.

Je sentais une légère angoisse chez ce tout petit homme dont le visage esquissait un sourire crispé.

Il n’était pas sûr de pouvoir nous éviter et je pense qu’il éprouvait aussi une crainte de ne pas pouvoir freiner suffisamment.

Devant cette situation complexe et stressante, il a pensé que la meilleure solution était d’en appeler à notre bienveillance.

Il a alors lancé d’une voix forte et assurée :

« Attention les vieux !»

Notez-bien que dans l’échelle des impertinences, il aurait pu aller plus loin en criant : « Poussez-vous les vieux !». Mais il n’a pas du tout usé de cette injonction autoritaire, simplement pour nous préserver d’un choc qui aurait pu nous être préjudiciable, il a tenté de nous convaincre qu’il vaudrait mieux que nous nous écartions.

Nous n’étions pas tout à fait seul sur ce trottoir, mais nous étions les seuls qui marchions côte à côte.

Et pour nous distinguer des autres piétons, il a cherché à nous caractériser, à nous désigner par un mot qui nous permette de comprendre immédiatement qu’il s’agissait de nous. Et cela a fonctionné. Nous avons tout de suite compris que « les vieux » c’était nous.

Nous nous sommes donc écartés et Annie a quand même lancé à l’enfant que c’était un peu impertinent de nous traiter de vieux.

Sa mère qui suivait à pied n’a absolument pas compris ce qui se passait, montrant par-là que beaucoup de choses échappent aux parents.

Derrière nous, un jeune garçon d’une vingtaine d’années qui lui avait suivi parfaitement la scène a voulu nous rassurer :

« Mais non vous n’êtes pas vieux. Simplement de manière relative par rapport à lui, ce jeune garçon vous classe dans les vieux ».

Nous avons chaleureusement remercié ce garçon plein de sollicitude et de compréhension.

Je vous ai raconté un fait qui nous est arrivé. Les lecteurs attentifs du mot du jour savent que je trouve « moyen » de s’arrêter aux faits.

Il faut donc que je continue pour aller un peu plus loin dans la réflexion.

Je ne m’arrêterais pas à la question de savoir si à soixante ans on est vieux. Une chose est certaine on vieillit chaque jour et si on devient vieux c’est une bonne nouvelle, c’est une victoire de la vie. Car si on ne devient pas vieux, c’est qu’on est mort avant. « Vie » constitue d’ailleurs étonnamment les trois premières lettres de vieux.

On pourrait aussi, peut-être parler des trottinettes qui circulent sur les trottoirs et de la difficile cohabitation avec les piétons. <C’est pourquoi Paris veut interdire les trottinettes sur les trottoirs>

De manière plus globale, on pourrait évoquer ce que l’on a eu pour habitude d’appeler « les modes doux » de circulation, c’est-à-dire une alternative à la voiture.

Je ne sais pas ce que vous en pensez mais je trouve qu’en observant l’attitude de certains, l’adjectif « doux » semble totalement inapproprié. Dans l’esprit de ces personnes, il ne s’agit pas de mode « doux » mais de mode « rapide », je veux dire plus rapide que les voitures embouteillées.

J’ai la faiblesse de penser que ce n’était pas cela que l’on imaginait quand on parlait de mode « doux ».

Mais ce fait me conduit surtout à penser à la question du rythme de la vie : il faut être efficace, rapide, gérer intelligemment son temps. Mais dans une société où il y a de plus en plus de vieux comment faire ? Comment concilier, se faire se rencontrer le temps du vieux et le temps du jeune startupper cher au cœur d’Emmanuel Macron ?

Prenons, le cas extrême des vieux en EHPAD et des soignants qui n’ont pas de temps, qui doivent réaliser leurs interventions à une vitesse peu compatible avec le temps des vieux et une durée frustrante au regard de l’attente de l’ainé.

On pourrait imaginer que le progrès et l’automatisation constituent une ressource pour laisser plus d’espace au « temps de l’humain ».

Mais tel n’est pas le cas, le progrès et l’automatisation aujourd’hui ne nous donnent pas davantage de temps, mais nous rendent davantage contraints à la vitesse comme si nous devions servir le progrès, les machines, les flux financiers et d’autres choses qui accélèrent notre temps.

Sylvain Menétrey et Stéphane Szerman ont bien écrit le livre « Slow attitude ! » et dont le sous-titre est « Oser ralentir pour mieux vivre ».

J’ai trouvé aussi cet article qui parle d’un film de Gilles Vernet « Tout s’accélère » qui est une réflexion sur le temps. A travers les yeux d’écoliers de CM2 et appuyé par l’avis de physiciens, de psychologues et d’écologistes, le documentaire décrypte le rythme frénétique de notre monde et appelle au ralentissement.

L’article nous apprend :

« Gilles Vernet est un ancien trader. L’accélération du monde, il la vivait au quotidien car à Wall Street, chaque seconde compte. Optimisation, efficacité, rapidité, rentabilité… cette spirale infernale s’est arrêtée le jour où Gilles Vernet a appris que sa mère était mourante. Deux ans, c’était le temps qu’il lui restait à vivre. Deux ans, c’est aussi « ce temps » qui a produit le déclic chez le réalisateur. « Le choc m’a fait passer à l’acte » confit-il.

Gilles Vernet abandonne le monde de la finance. Devenu instituteur, il interroge ses élèves sur la cadence démesurée de notre société. Pourquoi travailler si vite ? Le monde ralentira-t-il un jour ? »

Nous sommes vraiment dans la problématique des modes doux, du temps doux.

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