Mardi 24 mars 2020

« Fais pas la trogne enfin, à la fenêtre écoute les oiseaux ! »
Lucien Orange

Lucien est un humaniste et un poète.

Un poète de la Croix Rousse.

Nous nous sommes connus dans la section du PS de la Croix Rousse. Nous étions très souvent d’accord, quelquefois il était un peu plus à gauche que moi.

Mais même quand nous n’étions pas d’accord, cela n’avait aucun effet sur notre amitié d’esprit et de cœur.

C’est encore le cas, mais nous ne sommes plus au PS.

Lucien écrit des textes qui n’appartiennent qu’à lui, drôles, profonds, poétiques.

Aujourd’hui, avec son autorisation, je partage le dernier texte qu’il a envoyé.

Une petite merveille du temps présent.

 T’en fais pas gone ;

Allons, gone, fais pas cette tête ! C’est pas la fin du monde c’qu’y arrive,

C’est tout de même pas comme si c’était la guerre ?

Ha si, il a dit que c’était la guerre ?

Ha bon, mais une guerre que tu fais chez toi, dans ton canapé, sans piloter un drone tueur à dix mille kilomètres de là.
Juste, si tu peux, du télétravail, pendant les heures de bureau. Bien sûr, certains ne peuvent pas travailler de chez eux, ou même travailler tout cours. Sans compter, hélas, ceux qui, à la rue, n’ont pas d’endroit pour se confiner. Là oui c’est un problème, et à ceux-là il faudra bien donner une sorte de revenu universel, vous savez comme un candidat proposait en 2017 ! L’idée à l’époque fut fort décriée, et aujourd’hui elle s’imposerait presque !

Allons fais pas la gueule, oui t’es chez toi, confiné qu’y disent, mais c’est qu’une question de mot ;

Dis-toi que t’es en pause, tiens, c’est ça en pause.
Va à la fenêtre, si tu as de la chance y’a peut-être un jardin pas loin de chez toi que tu peux apercevoir ?
Regardes, les arbres bourgeonnent, bientôt ils seront fleuris, dans ma rue on a des cerisiers à fleurs, ça commence à éclore, c’est beau tout ce blanc.
Et puis si t’as pas de jardin dans ton champ de vision regarde le ciel, il est toujours beau le ciel, le matin juste avant le soleil souvent il y a des fins nuages, des stratus, je crois, ça s’appelle, et au lever du jour ils sont roses, du rose sur bleu pâle. Et le soir aussi, juste quand le soleil est au raz des toits, si tu as la chance d’avoir un ou deux nuages, c’est un vrai festival des couleurs plein le ciel, profites en !!!

Fais pas la trogne enfin, à la fenêtre écoute les oiseaux, oui, oui, on peut entendre les oiseaux, depuis qu’il y a moins de voiture, que la pollution diminue, les oiseaux chantent, ils nichent dans les arbres […] C’est le printemps.

Allons rigoles, les gens avec qui tu vis, regarde-les.

Oui, tien, tes gamins ! Tu te rends compte que tu ne les vois pas grandir ? Le matin quand tu pars, ils dorment, et le soir quand tu rentres, ils dorment déjà.

Regardes les, découvres les, tu vois la grande tu t’étais même pas rendu compte qu’elle commençait à ressembler à sa mère, même façon d’être, même sourire, même caractère aussi. Ça c’est bien !

Aller arrête de t’angoisser, ce truc, là le virus, y va passer, en attendant si tu t’emmerdes parles avec eux, aide à la cuisine. Tu te souviens la cuisine t’aimais bien quand t’étais jeune, mets-toi aux fourneaux, ça va rudement te passer le temps, puis ça soulagera ta compagne. Tu vas comprendre les sens de l’expression « charge mentale »

Ha, t’es toute seule, tout seul ? Ben c’est le moment de te mettre à ta fenêtre, si ça se trouve tu vas voir un gars, ou une fille, accoudé à sa fenêtre. Vous allez vous regarder vous sourire peut-être, par la fenêtre sur un carton vous pouvez échanger vos 06 ………. Et voilà de quoi vous occuper pendant toute un confinement. et plus si affinités.

 Allons, fais pas cette tronche, tu sais, ce bouquin, que tu as commencé il y a longtemps et que tu n’as pas eu le temps de finir, reprends le, tu vas voir comme le temps passe vite en lisant.
Ou encore ce truc qu’est cassé, tu voulais le réparer, tu l’as mis dans un placard, c’est le moment de bricoler, avec un peu de temps il va marcher à nouveau, toujours ça de moins à racheter, de la pollution en moins.

Bon voilà, ça va mieux, tu vas pas te mettre à râler au bout d’une semaine ?
Ca va durer au moins deux mois, minimum, alors si déjà tu te laisses aller, t’imagines dans deux mois ?

Moi ce que j’en dis, c’est pour toi, pour que tu saches que changer d’habitudes, c’est pas non plus la mer à boire.

Et puis surtout, à toi à qui il n’est jamais rien arrivé, tu vas te faire un sacré paquet de souvenirs, pour dans les années qui viennent.
Tu rigolais des anciens combattants, et bien toi aussi tu en seras un !
Dans les années trente lors des commémorations tu seras peut- être porte drapeau, avec, si ça se trouve ta décoration !

Ha oui  je t’avais pas dit : il va y avoir une décoration pour ceux qui auront sauvé des vies en restant chez eux.
Ça va s’appeler l’ordre de l’édredon, avec naturellement  des grades, le premier ce sera l’oreiller, puis la couette, de coton, de laine ou de plume. Et enfin l’édredon, trois niveaux, duvet de canard, duvet d’oie, et le plus prestigieux duvet d’Eider !

Ces décorations seront distribuées, pardon, attribuées, aux confinés les plus méritants, ceux qui ne seront jamais sortis de chez eux le plus longtemps possible ; ou qui auront fait des exploits particuliers   comme le marathon du travail à domicile en téléconférence avec plus de cent correspondants sans s’endormir à l’écran.

Parce qu’on va organiser des concours, avec le télétravail il va falloir stimuler les employés pour que le rendement s’améliore.
La première semaine on a bien vu que ça glandait sec, Facebook a failli exploser, des gens de chez Orange se plaignaient que les réseaux qu’ils maintenaient à la force du poignet, étaient utilisés par des inconscients pour raconter des bêtises et encombrer les réseaux sociaux qui devaient être avant tout au service  de nos forces vives !!!!

« Alors on s’y est tous mis (raconteras-tu dans tes souvenirs d’ancien combattant) et nous avons relancé la machine économique qui commençait à perdre pied.
Tous les confinés ont du faire le double de travail qu’au bureau, au prétexte qu’ils ne perdaient plus de temps à se raconter le WE à la machine à café. D’ailleurs bientôt il n’y eut plus de café.

Les retraités furent sollicités pour passer leurs commandes par internet afin de ne pas arrêter la production et relancer l’économie. Les livreurs furent transformés en pilotes de Drones livreurs pour que les humains ne trainassent pas dans les rues. Et l’on vit à cette occasion que les drones étaient plus efficaces que les livreurs humains, car ils ne perdaient pas de temps à discuter avec les clients ;

Pareils pour tous les métiers indispensables, on mit en services des robots éboueurs qui enlevaient les poubelles avec efficacités. Les policiers chargés de faire respecter le confinement, furent remplacés par des drones verbalisateurs.  Et ainsi de suite. Il n’y eut que le personnel médical et les femmes de ménages qu’on ne put remplacer par des machines. »

Voilà, tu vois gone, c’est comme ça que ça va se passer, sûr y aura des morts, mais relativise.

Sais-tu combien il y a de morts « normales » par jour en moyenne d’habitude ? 1660, rien que ça, et là-dedans combien sont mort du tabagisme ? 164, et de l’alcool , 82 . t’as raison l’alcool ça fait moins mourir que le tabac, c’est rassurant non ?

Bien sûr ça ne diminue pas le risque du virus, mais quand même si en plus tu sais que c’est surtout les vieux qui disparaissent en premier ( 50% des morts ont plus de 83 ans) C’est moins angoissant , et si par hasard t’as plus de 83 dis-toi que tu fais du rab , comme moi !

Aller, arrêtes de mouronner, vis, regardes le ciel, les oiseaux, ta femme ou ton mec, souris, rigoles,

Tu verras ce sera  vite fini.

Bises ;
Lucien
22 mars 2020

Si certains non lyonnais ne le savaient pas « gone » signifie un enfant dans le parler lyonnais et par extension c’est le nom qu’on donne à tous les habitants de Lyon (les Gones).

En 2004, je n’écrivais pas encore de mots du jour. J’avais d’autres activités que je partageais avec Lucien.

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Mardi 18 février 2020

« Dire que je t’aime et je t’attends, c’est encore beaucoup trop de pas assez »
Alicia Gallienne

Le mot du jour du vendredi 7 février 2020 parlait d’Alicia Gallienne, une jeune femme extraordinairement précoce dans l’écriture et qui est décédée à 20 ans d’une maladie du sang.

Annie a voulu me faire une surprise et m’offrir son livre de poésie qui vient d’être publié : « L’autre moitié du songe m’appartient ». Mais le livre est épuisé chez l’éditeur.

Je pense que l’émission, sur France Inter, de son cousin Guillaume Gallienne <ça peut pas faire de mal> du 8 février, sa toute dernière émission, qu’il a consacrée à ce livre et à ces poèmes ne sont pas étrangère à ce succès.

Guillaume Gallienne a introduit son émission par cette invitation :

« Ce soir, pour la dernière émission de « ça peut pas faire de mal », j’aimerais vous faire découvrir ces textes intimes, que je porte en moi depuis si longtemps, comme des fragments de ma propre adolescence… »

Nous avons écouté ce moment d’émotion et de grâce.

Je voudrais partager un de ces textes que j’ai essayé de recopier aussi bien que possible.

Guillaume Gallienne a présenté ce texte :

« On n’est pas sérieux quand on a 17 ans écrivait Arthur Rimbaud mais à l’âge de l’insouciance et des premiers baisers, Alicia ressent la profonde gravité de la vie.

Découvrons ce poème dédié à sa mère intitulé : « A propos d’un fauteuil et d’un arbre » et daté du 2 avril 1987.

On dirait que les rôles s’inversent et que la fille apporte à la mère des paroles de consolation comme une provision d’amour pour un avenir incertain. »

Voici ce texte :

« Pour toi maman

Doucement, je reprendrai ma place dans le grand fauteuil qui s’endort.
Le soir sera à la fenêtre, il dansera sur une chanson douce, comme chantait ma maman.
Il dansera jusqu’à l’étourdissement.
L’arbre du jardin s’éteindra dans l’ombre et soupirera des prières pleines de feu.
Mon âme s’abandonnera alors à ces psaumes silencieux qui embraseront ton nom.
Oui, je serai là où mon bonheur habite, entre ces quatre murs où aboutit le regard de l’obscurité,
Où il n’y aura que moi et mon fauteuil, puis l’espace pour t’appartenir.

Dire que je t’aime et je t’attends, c’est encore beaucoup trop de pas assez.

Les étoiles en veilleuse et le ciel qui se fond me parleront de toi où que tu sois.
Je t’attendrai, assise, avec mon cœur qui débordera.
Oui je sais que le moment viendra où tu me retrouveras.
L’arbre du jardin s’épaissira tout à coup.
Et éclatera mon attente figée ainsi que la fenêtre de vitres brisées.
Des milliards de miroirs s’envoleront dans l’air du soir.
Dans chacun, épris de mouvement, ta voix reviendra bercer mon enfance.
L’arbre mystique qui connaît tous les chemins, te rendra à moi pour la mémoire d’un voyage.
Bois ma nuit, éternellement.

Dire que je t’aime et je t’attends c’est encore beaucoup trop de pas assez »

Alicia Gallienne

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Vendredi 7 février 2020

« L’autre moitié du songe m’appartient »
Alicia Gallienne

Aujourd’hui, je vais me laisser la liberté d’interrompre ma série sur les mots et expressions nouvelles et les mots anciens qui sont revenus dans l’actualité.

Parce qu’aujourd’hui je voudrais parler d’Alicia.

Le grand acteur Guillaume Gallienne, anime chaque samedi sur France Inter, depuis septembre 2009, une émission :<Ça peut pas faire de mal> dans laquelle il lit des extraits d’œuvres littéraires

Sa première émission le 5 septembre 2009 était consacrée à Marcel Proust « Les pages comiques de la Recherche »

Puis de samedi en samedi d’autres écrivains ont été à l’honneur : Balzac, Cervantès, Tchekhov, Kafka et bien d’autres.

Mais il a décidé d’arrêter cette émission ce samedi 8 février 2020, il s’en est expliqué au micro de Léa Salamé : <le 3 février 2020>.

Pour sa dernière émission, il lira des textes et des poésies d’une auteure qui est morte comme tous les écrivains qu’il a lus tout au long de ses dix ans.

Mais cette auteure : Alicia est quand même un peu particulière.

D’abord c’est sa cousine.

Ensuite, Alicia Gallienne est morte alors qu’elle avait 20 ans.

Enfin, vous lirez dans <cet article de février 2009> de Libération :

« Jusqu’à 19 ans, jamais Gallienne n’avait pensé être comédien. A cet âge, il est en hypokhâgne et rêve d’être missionnaire. Ou avocat. Ou journaliste. Bref, n’importe quoi. La mort brutale de son adorée cousine Alicia bouleverse son regard sur la vie tandis que sa sexualité en éveil chamboule ses plans religieux. «On était très proches, elle était fascinante, incroyable. Sa mort, un 24 décembre, m’a réveillé : si je peux crever demain, alors je veux faire du théâtre.»

J’ai d’abord découvert son existence grâce à la revue de Presse de Claude Askolovitch du <31 janvier 2020> dans laquelle il parle de la beauté d’Alicia :

« Une jeune femme morte le 24 décembre 1990 d’une leucémie, qui treize ans plus tôt avait pris son petit frère, mais la cruauté n’est rien, car Alicia est devant nous Alicia dans la beauté de ses vingt ans, sa dernière année sur terre, les joues enfantines, les lèvres pleines photographiées par son dernier amour…

Elle écrivait depuis l’enfance et la nuit sortait dans des lieux à la mode, Régine le Palace et Castel, elle dinait en robe moulante chez Maxim’s et festoyait d’autant plus qu’elle savait la maladie… “Depuis toujours, écrit Pascale Nivelle dans un texte au diapason de la jeune fantôme, depuis toujours, elle tient à distance ses terreurs, les ponctions qui bleuissent ses clavicules, les piqures à toute heure, il lui arrive de se piquer en parlant, seringue plantée dans la cuisse sous une table de bistro, elle veut vivre plus que de raison, la nuit elle noircit ses cahiers de poèmes d’une écriture ronde, sans rature, j’écris pour être lue dit- elle à sa mère.”

Elle écrivait ceci pour conjurer sa peur.

Faiblesse je te hais de toi même; vivre c’est accepter de tomber sous le poids de ce qui ne nous appartient pas.”

Elle écrivait cela en pensant à son frère

Ne touchez pas à ma petite bête épaisse ma douleur

Ne touchez pas aux plus beaux yeux du monde que j’ai fermés longtemps pour ne plus les voir

Ne touchez plus à mon enfant perdu, il est quelque part implorant le silence

A toi mon caillou ma pièce d’or

A toi ma blessure enivrée ma lune à boire

Tu es la morsure douce au creux de ma main. 

Quand Alicia est morte, sa famille a gardé ses textes mais un jour sa maman a réalisé que les seuls mots de sa fille que l’on pouvait lire étaient sur sa tombe à Montparnasse. Alors, elle est allée voir son neveu, le comédien Guillaume Gallienne, que sa cousine vivante encourageait à vivre. Il est allé montrer ses poèmes chez Gallimard, une éditrice Sophie Naulleau s’est prise pour Alicia d’une de ses amitiés qui passent les frontières de la vie et le livre est là et Alicia vous attend ce matin, dans le magazine du Monde. »

Dans son entretien avec Léa Salamé, Guillaume Gallienne modifie un peu cette histoire. C’est lui qui est allé voir sa tante et l’a trouvée triste et affectée. A sa demande, elle lui expliqua qu’elle venait de se faire disputer par son frère qui lui reprochait de ne jamais avoir publié les magnifiques textes d’Alicia. Elle expliqua qu’elle avait essayé après 1990 mais que les maisons d’édition refusait en disant que cela ne les intéressait pas d’éditer un livre unique qui ne sera suivi d’aucun autre. Et c’est alors que la Mère d’Alicia a demandé à Guillaume Gallienne s’il ne pourrait pas intervenir auprès de son éditeur. Et c’est ce qu’il fit et il se trouva chez Gallimard des professionnels qui trouvèrent pertinent de publier cet ouvrage qui est paru hier le 6 février.

L’article du Monde auquel renvoie Claude Askolovitch a pour titre : < Alicia Gallienne, étoile filante de la poésie >

Ce très long article commence par une visite à la tombe d’Alicia :

« C’est une tombe toute blanche au cimetière du Montparnasse, non loin du cénotaphe de Baudelaire. Une alcôve de verdure grimpante, avec une grande croix sculptée et un quatrain gravé dans la pierre. « (…) Mon âme saura s’évader et se rendre (…). »

Morte à 20 ans d’une maladie du sang, Alicia Maria Claudia Gallienne a écrit des centaines de poèmes entre 1986 et 1990. « Qu’importe ce que je laisserai derrière moi, pourvu que la matière se souvienne de moi, pourvu que les mots qui m’habitent soient écrits quelque part et qu’ils me survivent », écrivait-elle à Sotogrande, dans la propriété de sa famille maternelle en Espagne.

Les quatre lignes inscrites sur sa tombe, déjà érodées par le temps, sont longtemps restées la seule trace visible de son œuvre. Quelques années encore et les mots se fondront dans le grain de la pierre. Envolés, comme la dernière image d’Alicia dans son cercueil, le visage serti dans la mantille blanche des mariées sévillanes. […]

Un après-midi de janvier, trente ans après la mise en bière, une longue femme brune s’avance vers la tombe, se recueille un instant devant la jeune poète disparue et l’objet qu’elle vient de déposer doucement sur la pierre. Ce livre de la collection « Blanche » de Gallimard, L’autre moitié du songe m’appartient, par Alicia Gallienne, qui sort ce 6 février, tient du miracle.

Sans la longue femme brune, Sophie Nauleau, écrivaine et éditrice, et sans le comédien et réalisateur Guillaume Gallienne, cousin d’Alicia, ce pavé de près de 400 pages, ovni dans le petit monde de la poésie, n’aurait jamais été imprimé. Et il n’aurait pas connu un tirage de 4 000 exemplaires, un chiffre très élevé pour de la poésie, genre littéraire loin de tous les classements de vente. »

Sophie Naulleau a écrit la préface du livre de poèmes.

Guillaume Gallienne raconte :

« Dans la famille, « on lisait parfois en pleurant quelques-uns de ses poèmes et on disait « le coin d’Alicia » pour désigner le secrétaire qui renfermait ses trésors. »

L’article se termine ainsi :

« Dans sa bulle aseptisée, sur son « lit de cristal », Alicia a écrit ses pensées au feutre noir, avec des étoiles, des points d’exclamation et d’interrogation. « J’ai toujours su ce qui m’attendait en venant ici. » En décembre 1990, elle remercie son amant « (…) Pour tous les moments où nous avons fait le bonheur à deux ! » Les pages suivantes sont restées blanches. »

Aujourd’hui, je voulais parler d’Alicia Gallienne.

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Mercredi 16 octobre 2019

« Ce matin il est arrivé une chose bien étrange. Le monde s’est dédoublé »
Clara Ysé

Dans mon butinage je suis tombé sur un article du Point qui m’a renvoyé vers <Ce Clip>

Clip étonnant, chanson envoutante, voix androgyne, texte émouvant et beau, j’ai été comme happé.

J’ai fait bien sûr des recherches

Et j’ai compris qu’Ysé était un nom d’artiste.

Cette jeune fille qui chante « J’ai crié que quelqu’un me vienne en aide », s’appelle dans la vie civile Clara Dufourmantelle.

Elle est la fille d’Anne Dufourmantelle.

Cette psychanalyste et philosophe qui a écrit
« La puissance de la douceur » et qui a fait l’objet du mot du jour du <26 septembre 2019>. Le mot qui a suivi celui consacré à <Cécile>

Anne Dufourmantelle qui est morte d’un arrêt cardiaque, conséquence d’un acte spontané de don de soi, pour sauver des enfants qui étaient en train de se noyer.

On comprend mieux le clip et les paroles de cette chanson écrite en hommage à sa mère et pour surmonter l’immense peine.

Elle décrit sa sidération par ces mots :

« Le monde s’est dédoublé, Je ne percevais plus les choses comme des choses réelles.»

Un ami lui vient en aide :

« J’ai accueilli un ami qui m’a pris dans ses bras
Et m’a murmuré tout bas
Regarde derrière les nuages
Il y a toujours le ciel bleu azur
Qui lui vient toujours en ami
Te rappeler tout bas
Que la joie est toujours à deux pas »

Je rappelais dans le mot du jour dédié à Cécile les paroles de Tchekov « Enterrer les morts, réparer les vivants ».

Dans cette chanson cela devient

« Vers un nouveau rivage
Ton cœur est emporté
L’ancien territoire t’éclaire de ses phares »

C’est bouleversant.

Cette chanson se trouve sur un album dans lequel elle chante en français mais aussi en espagnol et en anglais.

J’ai acheté cet album de 6 titres et j’ai appris un nouveau sigle « EP » qui correspond à « extended play », c’est un format de disque qui est plus grand qu’un single qui comporte 2 titres et plus petit qu’un album qui contient au moins 8 titres.

Clara Dufourmantelle a <dit> :

« Cet EP, c’est ce qui m’a permis de vivre »

Oui parce qu’après un évènement brutal comme celui de la mort de sa mère, dans les conditions dans lesquelles cette rupture a eu lieu, il faut continuer à vivre.

La poésie, l’art peut être un moyen.

<Libération> a écrit :

« […] on tombe, interdit, sur la puissance de feu et la folie certaine de la formidable Clara Ysé.

[…] Jonglant entre le français, l’anglais et l’espagnol, Clara Ysé explore un territoire inconnu, en nous bombardant littéralement avec ses bouleversantes chansons habitées par une poésie du réel. Et puis il y a surtout la puissance originale de son chant qui lui permet donc de venir tutoyer ces fameuses figures tutélaires qui elles aussi imaginaient leur propre route sans jamais chercher à se rapprocher d’une quelconque hype éphémère.

Une voix est née. »

Je crois que c’est fort bien écrit et résumé.

Voici les paroles de la chanson : « Le monde s’est dédoublé » de Clara Ysé

Ce matin il est arrivé une chose bien étrange
Le monde s’est dédoublé
Je ne percevais plus les choses comme des choses réelles
Le monde s’est dédoublé
J’ai pris peur j’ai crié que quelqu’un me vienne en aide
Le monde s’est dédoublé
J’ai accueilli un ami qui m’a pris dans ses bras
Et m’a murmuré tout bas

Regarde derrière les nuages
Il y a toujours le ciel bleu azur
Qui lui vient toujours en ami
Te rappeler tout bas
Que la joie est toujours à deux pas

Il m’a dit prends patience
Mon ami prend patience
Vers un nouveau rivage
Ton cœur est emporté
L’ancien territoire t’éclaire de ses phares
T’éclaire de ses phares

Ce matin il est arrivé une chose bien étrange
Le monde s’est dédoublé
J’ai senti le temps se fendre un instant sur les visages même
Le monde s’est dédoublé
Vos corps que je percevais hier encore dans leur exactitude
Ont perdu leur densité

Regarde derrière les nuages
Il y a toujours le ciel bleu azur

Qui lui vient toujours en ami
Te rappeler tout bas
Que la joie est toujours à deux pas
Il m’a dit prends patience
Mon ami prend patience
Vers un nouveau rivage
Ton cœur est emporté
L’ancien territoire t’éclaire de ses phares

Regarde en dessous de la nuit
Y’a toujours le jour qui pose ses lumières
Sur un coin de la terre
Te rappelant tout bas
Que la joie est toujours à deux pas
Je te dis prends patience
Mon ami prends patience
Vers un nouveau rivage
Ton cœur est emporté

L’ancien territoire t’éclaire de ses phares

Regarde derrière les nuages
Il y a toujours le ciel bleu azur
Qui lui vient toujours en ami
Te rappeler tout bas
Que la joie est toujours à deux pas
Il m’a dit prends patience
Mon ami prends patience
Vers un nouveau rivage
Ton cœur est emporté
L’ancien territoire t’éclaire de ses phares
T’éclaire de ses phares

Et <ICI> elle la chante en concert.

Et puis voici une autre chanson de l’EP : <Mama>

<1289>

Vendredi 11 octobre 2019

« Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté. »
Paul Eluard, dernière strophe du poème « Liberté »

Lors de <l’entretien> que je vous invite vraiment à écouter, François Sureau a cité le poème d’Eluard : « Liberté »

Je trouve pertinent après avoir distillé l’argumentation rationnelle hier, à reprendre aujourd’hui le même sujet mais sous le format de la poésie.

« Liberté » est un poème que Paul Éluard a écrit en 1942 pendant la Seconde Guerre mondiale, comme une ode à la liberté face à l’occupation allemande. Il s’agit d’une longue énumération de tous les lieux, réels ou imaginaires, sur lesquels le poète écrit le mot « liberté ».

Le titre initial du poème était « Une seule pensée » : Paul Eluard a confié :

« Je pensais révéler pour conclure le nom de la femme que j’aimais, à qui ce poème était destiné. Mais je me suis vite aperçu que le seul mot que j’avais en tête était le mot Liberté. Ainsi, la femme que j’aimais incarnait un désir plus grand qu’elle. Je la confondais avec mon aspiration la plus sublime, et ce mot Liberté n’était lui-même dans tout mon poème que pour éterniser une très simple volonté, très quotidienne, très appliquée, celle de se libérer de l’Occupant »

Le poème est publié le 3 avril 1942, sans visa de censure dans un recueil clandestin « Poésie et vérité ». Il est parachuté à des milliers d’exemplaires par des avions britanniques de la Royal Air Force au-dessus du sol français

Liberté

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom

Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom

Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom

Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom

Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom

Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom

Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom

Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom

Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom

Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom

Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom

Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom

Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom

Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom

Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom

Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté

Paul Eluard

Paul Eluard écrivait aussi : « Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d’autre »

On trouve sur internet plusieurs artistes qui déclament le poème <Liberté>:

D’abord <Paul Eluard> lui-même qui présente son poème, les conditions de sa création puis le récite.

Et aussi dans <cette vidéo> Paul Eluard récite le poème qui s’affiche strophe après strophe.

<Jean-Louis Barrault> le récite, comme <Gérard Philippe>.

Plus récemment <Guillaume Gallienne> a aussi interprété ce poème.

Et je finirai par <Le poème mis en musique par Yvonne Schmidt> et chanté par Francesca Solleville.

<1286>

Mercredi 10 juillet 2019

« Anthe Amerghissan
(J’ai vu cueillant des fleurs) »
Poème de Sappho de Mytilène mis en musique et chanté par Angélique Ionatos

Il était tôt le matin, ce lundi. J’ai allumé la radio, évidemment France Culture. C’était la fin de l’émission « Les nuits de France Culture »

L’invité était Emmanuel Guibert.

Emmanuel Guibert est un dessinateur et scénariste de bande dessinée. Il parlait de son œuvre.

Et puis pour terminer l’émission, la journaliste lui avait demandé de choisir une œuvre de musique.

Et il a choisi une chanson parce que « c’est tout simplement magnifique ».

Et c’est ainsi que j’ai découvert « Angélique Ionatos » « et « Sappho de Mytilene ».

Nous connaissons cette fresque, maintes fois représentée dans les livres d’Histoire et de l’Art.

Elle a été découverte dans une villa à Pompéi et représente un buste de femme avec un stylet et une tablette dans chaque main.

La tradition et la légende prétendent qu’il s’agit de Sappho de Mytilene.

Il n’y a quasi aucune chance qu’il y ait une quelconque ressemblance avec la grande poétesse grecque.

Cette fresque a été réalisée au I siècle après J.C.

Sappho a vécu aux VIIe siècle et VIe siècle av. J.-C., à Mytilène sur l’île de Lesbos.

Elle fut très célèbre durant l’Antiquité, mais son œuvre poétique ne subsiste plus qu’à l’état de fragment.

De nombreux poètes et auteurs anciens parlent d’elle, ne laissant aucun doute quant à son existence réelle et son talent.

Solon le célèbre législateur et homme d’État de la démocratie athénienne était son contemporain. Il aurait dit, après avoir entendu la lecture d’un de ses poèmes  :

« Mon désir est de l’apprendre et de mourir ensuite »

Selon Wikipedia quand dans le monde antique on disait « le poète » il s’agissait d’Homère, de même si l’on parlait de « la poétesse » c’était Sappho.

On lui doit la création d’une forme métrique particulière, la « strophe sapphique ».

C’était une femme libre qui est aussi connue pour avoir exprimé dans ses écrits son attirance pour les jeunes filles d’où le terme « saphisme » pour désigner l’homosexualité féminine tandis que le terme « lesbienne »est dérivé de Lesbos, l’île où elle a vécu.

Mais si vous voulez en savoir plus <Wikipedia> consacre un très long article à Sappho de Mytilene et fait un point très complet de ce que l’on sait d’elle et aussi les différentes hypothèses qui ont été développées sur sa vie et son œuvre.

<Angélique Ionatos » est compositrice, guitariste, chanteuse grecque, mais elle vit en France.

Elle a composé sur des vers d’il y a 2500 ans, des vers écrits par Sappho de Mytilène.

Et comme le dit Emmanuel Guibert « C’est tout simplement magnifique ».

« Anthe Amerghissan » une autre chanteuse intervient Nena Venetsanou.

Le soir j’ai acheté sur « Qobuz » l’album qui contenait cette chanson, mais sans livret.

Hier, j’ai emprunté le disque à la bibliothèque pour en avoir le livret et comprendre les paroles chantées.

Je suis donc en mesure de partager ce chant et ce texte parce que c’est tout simplement magnifique.

Angélique Ionatos chante aussi des poèmes du poète grecque « Odysseus Elytis » né en Crète en 1911 et dont la famille est originaire de Mytilène (Lesbos). Il a reçu le prix Nobel de littérature en 1979 et il est mort en 1996.

Il écrit dans le livret de ce disque qui porte pour titre simplement « Sappho de Mytilène » ce texte :

« La nature crée ses propres parentés, quelquefois plus puissantes que celles forgées par le sang.

2500 ans en arrière, à Mytilène, je crois voir Sappho comme une cousine lointaine avec qui je jouais dans les mêmes jardins, autour des mêmes grenadiers, au-dessus des mêmes puits.

A pêine plus âgée que moi brune avec des fleurs dans les cheveux et un cahier secret plein de poèmes qu’elle ne m’a jamais permis de toucher.

Il est vrai que nous avons vécu sur la même île. […]

Mais avant tout, nous avons travaillé – chacun à sa mesure – sur les mêmes notions pour ne pas dire avec les mêmes mots : le ciel et la mer, le soleil et la lune, les végétaux, les filles, l’amour.

Qu’on ne me tienne pas rigueur, alors si je parle d’elle comme d’une contemporaine. Dans la poésie, comme dans les rêves, personne ne vieillit. »

Odysseus Elytis

<ICI> vous trouverez un autre poème du disque chanté par Angélique Ionatos, cette fois en vidéo.

« De tous les astres le plus beau »

Baudelaire a évoqué Sappho dans un des poèmes des « Fleurs du mal » : « Lesbos »

«De la mâle Sapho, l’amante et le poète,
Plus belle que Vénus par ses mornes pâleurs !
– L’oeil d’azur est vaincu par l’oeil noir que tachète
Le cercle ténébreux tracé par les douleurs
De la mâle Sapho, l’amante et le poète !»

Verlaine aussi a écrit un poème sur la poétesse : <Sappho>

Et je finirai par des vers de Sappho c’est la première chanson du disque : <Aérion épéon>

« J’écris mes vers avec de l’air
Et on les aime.
J’ai servi la beauté
Etait-il en effet pour moi
Quelque chose de plus grand ?
Même dans l’avenir
Je le dis
On gardera de moi le souvenir »

J’ai servi la beauté…

Les anciens égyptiens disaient qu’un humain meurt deux fois.

La première fois quand le corps meurt.

La seconde fois quand plus personne ne prononce son nom.

Sappho de Mytilène n’a pas connu cette seconde mort.

<1266>

Vendredi 3 mai 2019

« Le mot du jour est en congé (Celui qui attend est comme un arbre)»
Annie et moi prenons quelques jours réparateurs en Auvergne

Le mot du jour est en congé jusqu’au 15 mai.

Fabien a publié un <commentaire> fort intéressant sur le couple franco-allemand en liaison avec le mot du jour consacré aux états d’âme de Quatremer.

Lors de la reprise du mot du jour, en 2019, j’avais pris ce mot de Christian Bobin :

« Celui qui attend est comme un arbre avec ses deux oiseaux, solitude et silence. »

Au moment de sa publication, trompé par des sites internet, je prétendais que cette phrase se trouvait dans son livre « La plus que vive ».

Mais j’ai vérifié et je me suis procuré ce livre et c’était faux.

J’ai continué mes recherches et trouvé qu’elle était insérée dans un autre livre que j’ai acheté « L’autre visage ».

J’ai bien sûr corrigé.

Mais pour la période d’attente je voudrais en citer un extrait plus important (page 49 à 53)

Chez nous pas de montre ni d’horloge.
Le temps qui passe a la beauté pour unique preuve
la beauté ou la douleur,
tant il est vrai que nous n’avons jamais su démêler l’une de l’autre,
tant il est vrai que beauté et douleur sont dans nos âmes
comme les deux aiguilles de vos montres quand elles se superposent.

Le temps chez nous est comme de l’eau.
L’éternité chez nous est comme de l’eau.
Le temps, le cœur et l’éternel mélangent leurs eaux
partout dans le monde comme beauté, dans le monde comme douleur.

[…]

Attendre, c’est ce que nous savons faire de mieux,
L’art suprême auquel tous ici s’exercent, enfants comme vieillards,
hommes comme femmes, pierres comme plantes.

Caravane de l’attente avec ses deux chameaux,
solitude et silence.

Fier navire de l’attente avec ses deux grandes voiles,
solitude et silence.

Celui qui attend est comme un arbre
avec ses deux oiseaux, Solitude et Silence.
Il ne commande pas à son attente.
Il bouge au gré du vent,
docile à ce qui s’approche,
souriant à ce qui s’éloigne.

Celui qui attend,
nous l’appelons le “tout comblé”
car dans l’attente,
le commencement est comme la fin,
la fleur est comme le fruit,
le temps comme l’éternel.

Christian Bobin

Au 16 mai…

Lundi 25 mars 2019

« J’aime appuyer ma main sur le tronc d’un arbre devant lequel je passe, non pour m’assurer de l’existence de l’arbre – dont je ne doute pas – mais de la mienne. »
Christian Bobin

Nous avons tous un arbre qui a marqué notre vie. Je me souviens du poirier qui se trouvait dans le jardin de mes parents. Et je me souviens aussi avec douleur lorsque je l’ai vu abattu par les nouveaux propriétaires qui avaient racheté la maison. Annie se souvient des 4 magnifiques arbres centenaires qui se trouvent au milieu de la Place de la république de Strasbourg. Wikipedia nous apprend que le nom de ces arbres est ginkgo biloba; et que ces arbres auraient été offerts à Guillaume Ier par l’empereur du Japon Mutsuhito vers 1880.

Car, bien sûr en 1880, Strasbourg était allemande.

Pour en revenir à l’exergue et à la phrase de Christian Bobin, une visite, hier, au Parc de la Tête d’or a permis de réaliser son vœu.

Une émission de France Culture, déjà ancienne, a évoqué cette pensée du poète : <J’ai un arbre dans ma vie>

Et une autre plus récente dont l’un des invités était Peter Wohlleben : <Raconte-moi les arbres !>

Wohlleben qui est l’auteur de « La vie secrète des arbres » dont j’avais parlé lors du mot du jour du <22 décembre 2017>

Peter Wohlleben qui racontent la vie des arbres, des communautés d’arbres qui partagent, coopèrent, communiquent entre eux..

Car l’arbre est un végétal mais c’est avant tout un être vivant.

Et ce sont êtres vivants ayant le plus d’expérience, il existe des arbres qui sont âgés de milliers d’années.

Ce <site> Regard sur le monde énumère, selon les connaissances actuelles, les plus vieux arbres du monde.

3000 ans est un âge relativement fréquent.

Et quand on mesure des colonies d’arbres issues d’une racine mère unique on arrive à des époques encore plus anciennes. Ainsi dans l’Utah, on a détecté une colonie clonale de peupliers qu’on a appelé « Pando ». Cette colonie de 40 hectares est considérée comme l’organisme vivant le plus lourd et le plus vieux de la planète avec un poids estimé à 6 millions de kilogrammes et un âge de 80 000 ans. Toutes les pousses sont issues d’un immense système racinaire unique.

<Cette page de Futura-sciences>. fait aussi le point sur les végétaux les plus anciens de notre planète.

Nous ne pouvons qu’être très humbles devant tant d’expérience.

Et pour finir encore deux photos d’hier :

<1218>


Jeudi 14 février 2019

« La petite seconde d’éternité
Où tu m’as embrassée
Où je t’ai embrassée »
Jacques Prévert

Pour la Saint Valentin, ces vers de Jacques Prévert (1900-1977) extrait du poème « Le Jardin »

Le jardin

Des milliers et des milliers d’années
Ne sauraient suffire
Pour dire
La petite seconde d’éternité
Où tu m’as embrassée
Où je t’ai embrassée
Un matin dans la lumière de l’hiver
Au parc Montsouris à Paris
A Paris
Sur la terre
La terre qui est un astre.

Ce poème est extrait du recueil « Paroles » qui a été publié pour la première fois en 1946.

C’est Jean-Louis Trintignant qui m’a fait découvrir ce poème, alors qu’il était l’invité de de Léa Salamé sur France Inter le <jeudi 13 décembre 2018>

J’avais déjà cité cette émission, lors du mot du jour du 14 décembre 2018, parce que Jean-Louis Trintignant s’était exprimé sur la crise des « gilets jaunes » :

« Entre les gens qui nous gouvernent et les gens qui souffrent, il y a un fossé. […] Macron je pense que c’est un homme honnête mais il n’a jamais eu faim. Il n’est pas assez proche du peuple »

Il avait aussi ajouté cette profession de foi :

« Je reste de gauche bien sûr. Les progrès sont des progrès de gauche. Les progrès de droite sont stupides. »

Mais il était invité à cette émission pour parler du spectacle qu’il donnait du 11 au 22 décembre 2018 à la Porte Saint Martin, spectacle de poésie sur de la musique argentine.

Pendant l’émission il a déclamé ces vers de Prévert.

« La petite seconde d’éternité où tu m’as embrassée… »:

Il a ajouté :

« Mais Prévert, c’était sans doute un type merveilleux. Je l’ai connu un petit peu. »

Il a cité aussi d’autres poètes comme par exemple Pierre Reverdy qui a écrit :

« On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux »
(tiré de «plupart de temps» )

Il a aussi été invité par Claire Chazal sur la 5, <émission> dans laquelle on voit de courts extraits du spectacle.

Mais, finissons par un autre poème de Prévert tiré du recueil « Paroles »

Paris at Night

Trois allumettes, une à une allumées dans la nuit

La première pour voir ton visage tout entier

La seconde pour voir tes yeux

La dernière pour voir ta bouche

Et l’obscurité toute entière pour me rappeler tout cela

En te serrant dans mes bras.

<1191>

Lundi 21 janvier 2019

« Celui qui attend est comme un arbre avec ses deux oiseaux, solitude et silence. »
Christian Bobin

Dans un premier temps, j’avais eu l’intention d’utiliser simplement : « L’attente » comme exergue de ce mot du jour.

Mais je suis tombé sur un poème de Christian Bobin qui m’a paru donné plus de profondeur et de force à ce que je souhaitais partager aujourd’hui, après une pause d’un mois.

C’est Christophe André qui m’avait fait découvrir cet écrivain né en 1951. Et c’est une citation de Christian Bobin que j’avais utilisée lors du mot du jour du « Jeudi 18 mai 2017» pour terminer la série de mots du jour consacré à l’émission « 3 minutes à méditer » qu’avait réalisée Christophe André :

« Pour qu’une chose se termine, il faut qu’une autre chose commence –
et les commencements, c’est impossible à voir»

L’attente est l’état de celui qui attend ou le temps pendant lequel on attend.

C’est un état qui pour beaucoup devient rapidement insupportable tant la société nous presse vers l’immédiateté : tout, n’importe quoi, tout de suite, donc sans l’attente.

Dès qu’une esquisse d’envie nous touche, surtout dans le domaine de la consommation, il suffit d’aller vers nos outils numériques et de commander sur les sites marchands en ligne.

J’ai appris récemment que pour l’instant Amazon réalise une marge infime dans son métier de commerce en ligne et cela notamment en raison de sa stratégie de vouloir livrer tous ses clients dans des délais extrêmement contraints.

Pourtant la vie est constituée de beaucoup d’attentes.

Quand on est enfant, on attend de devenir grand.

Avant l’enfant, il faut la naissance c’est encore une attente, qui est calibrée, il faut neuf mois à quelques jours près.

On attend une rencontre, un rendez-vous, sa première expérience sexuelle, son premier job et tant d’autres choses.

Ce site attribue à Jules Renard la citation suivante :

« Si l’on bâtissait la maison du bonheur, la plus grande pièce en serait la salle d’attente. »

Car le mot « attente » peut aussi avoir le sens de l’espérance ou de l’espoir. C’est le cas dans les expressions suivantes :

  • Cet enfant a répondu à l’attente qu’on avait de lui.
  • Il a rempli notre attente.

Pendant ses années d’études on attend, aussi notamment les résultats des examens. Dans ce cas l’attente est en effet espérance.

Et puis, il en est d’autres examens dont on attend les résultats.

Je me souviens avoir vu ce très beau film : « Cléo de 5 à 7 » d’Agnès Varda avec dans le rôle principal Corinne Marchand.

L’action se déroule à Paris, près de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Cléo, une jeune et belle chanteuse plutôt frivole, craint d’être atteinte d’un cancer. Il est 17 heures et elle doit récupérer les résultats de ses examens médicaux dans 2 heures. Pour tromper sa peur, elle cherche un soutien dans son entourage. Elle va se heurter à l’incrédulité voire à l’indifférence et mesurer la vacuité de son existence. Elle va finalement trouver le réconfort auprès d’un inconnu à l’issue de son errance angoissée dans Paris. Le film est constitué par ce temps de deux heures d’attentes

Télérama écrit :

«  La jolie chanteuse (métier de Cléo) égocentrée et narcissique des premières scènes cède peu à peu la place à une autre femme, non plus objet mais sujet, qui regarde, qui écoute, qui se laisse enfin atteindre par les autres. C’est l’histoire inoubliable d’une transfiguration. »

Un film à voir et à revoir.

Je me trouvais dans la salle d’attente de la médecine nucléaire de Villeurbanne qui dispose d’un équipement très performant pour ausculter le corps humain.

Une femme très agitée est entrée. Elle avait mon âge.

Nous avons échangé des paroles, j’ai compris qu’elle était là non pour elle, mais parce qu’elle attendait sa fille de 25 ans.

Son attente n’était pas espérance, mais inquiétude

Nous avons échangé peu de paroles, mais l’échange se fait aussi par le regard, par l’attitude corporelle, par le silence.

Car le silence peut être habité, la solitude peut percevoir l’empathie.

Et l’empathie fait du bien à celui qui accepte de la recevoir.

Mais l’empathie fait aussi du bien à celui qui donne.

Et le don de l’empathie est probablement plus fort encore quand celui qui le donne se trouve lui-même dans la solitude et le silence.

L’exergue est extrait de ce poème qui se trouve dans «L’autre visage» publié aux Éditions Lettres Vives en 1991, aux pages 52 et 53 :

Celui qui attend

Celui qui attend est comme un arbre
avec ses deux oiseaux, Solitude et Silence.
Il ne commande pas à son attente.
Il bouge au gré du vent,
docile à ce qui s’approche,
souriant à ce qui s’éloigne.
Celui qui attend,
nous l’appelons le “tout comblé”
car dans l’attente,
le commencement est comme la fin,
la fleur est comme le fruit,
le temps comme l’éternel.

Christian Bobin

Un site que j’aime beaucoup, https://www.espritsnomades.net, parce qu’on y trouve de belles pages sur la musique classique et la littérature, a consacré une page à Christian Bobin : <Christian Bobin, notre part manquante>

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