Vendredi 21 décembre 2018

« Bientôt Pâques »
Ma grand-mère maternelle, dès que les fêtes de fin d’année étaient terminées

Il est temps d’arrêter de parler des affaires du monde et de la France, puisque le moment des fêtes de fin d’année débute.

C’est un moment de cadeaux, d’échanges, de repas.

Pour Annie et moi, il s’agit aussi du moment de faire les gâteaux de Noël alsaciens.

Et quand je pense gâteau, je pense à ma grand-mère maternelle dont le nom de Naissance était Franziska Kordonowski.

Elle était polonaise et se disait polonaise, bien que le jour de sa naissance le 15/06/1898, la Pologne n’existait pas, ou n’existait plus ou ne réexistait pas encore.

Un matin, alors que je sortais du métro et que je me demandais quel mot du jour je pourrais bien trouver pour clore cette année 2018, avant la trêve de Noël, le regard doux et bienveillant de ma grand-mère m’est apparu.

Et je me suis souvenu qu’elle disait toujours, à peine les fêtes de fin d’année achevées : « et maintenant, bientôt Pâques »

Bien sûr, le lendemain du lundi de Pâques, elle disait de même : « Et maintenant, bientôt Noël ».

Pour cette femme chrétienne et croyante, l’année était rythmée par les fêtes religieuses et on allait de l’une à l’autre, dans un mouvement cyclique.

Jusqu’au moment où arrivé à un certain âge, on commence à se poser la question : est-ce que je vivrais encore la prochaine fête ?

Nous savons que ces fêtes religieuses ont épousé des fêtes païennes plus anciennes qui justement ponctuaient les saisons.

Le mot du jour du 23 décembre 2016 évoquait justement cette origine païenne de la fête de Noël :

L’empereur Aurélien (270-275), au milieu des divinités multiples qu’honorait le peuple romain, a assuré une place particulière à une divinité solaire : <Sol Invictus> (latin pour « Soleil invaincu »). Il proclame « le Soleil invaincu » patron principal de l’Empire romain et fait du 25 décembre, le jour du solstice d’hiver donc, une fête officielle appelée le « jour de naissance du Soleil » (du latin dies natalis solis invicti).

Parce qu’en effet, ce n’est pas un hasard que Noël se situe à quelques jours du solstice d’hiver. Solstice d’hiver qui a lieu précisément aujourd’hui, le 21 décembre 2018.

D’ailleurs depuis de nombreux siècles, cette fête se situe juste après le solstice d’hiver, lorsque le temps de la nuit commence à refluer devant le jour.

Et Pâques, dans sa formulation même évoque la saison. Je l’avais noté dans un mot du jour non consacré à Pâques, mais à la chanson de Craonne qu’il est bon de rappeler en cette fin d’année commémorative des 100 ans du 11 novembre 1918.

En effet, chaque année les chrétiens fêtent la «résurrection du Christ» le premier dimanche qui suit la première pleine Lune après l’équinoxe de Printemps.

Le printemps qui est bien sûr la saison de la renaissance de la nature.

Et donc, « Bientôt pâques » au moment de Noël pourrait aussi se dire « Bientôt le printemps » au moment de l’hiver.

L’expression « Bientôt pâques » d’une vieille dame de plus de 80 ans, peut aussi s’analyser comme la relativité du temps.

Einstein nous a appris que le temps absolu n’existe pas, il n’existe que des temps relatifs.

Ainsi quand on calcule la durée qui sépare l’hiver et le printemps on trouve environ 90 jours.

Dès lors pour un enfant de 6 ans qui a donc vécu 2 192 jours, cette durée de 90 jours représente 4,11% de son temps passé sur terre.

Pour un jeune homme de 20 ans cela représente 1,23%, et pour une dame de 85 ans qui a vécu 31 046 jours, cela représente 0,29% c’est-à-dire un temps relatif 14 fois plus réduit que celui de l’enfant de 6 ans.

Il apparait donc bien normal que pour cette dame de 85 ans, la période qui sépare l’une et l’autre fête apparaisse très courte dans son échelle de temps.

Pour finir ce mot avec un peu d’ivresse…

Chrystelle est une lectrice du mot du jour et quand elle a vu cette bouteille lors d’un repas convivial auquel elle a participé, elle a immédiatement pris une photo et a pensé à me l’envoyer.

Je ne vais pas la garder pour moi, je la partage donc avec tous ceux qui voudront bien lire ce mot du jour.

Le mot du jour ou the word of the day se met donc en congé pendant quelques temps.

Il reviendra en janvier, à une date qui reste à préciser.

<1173>

Mardi 4 décembre 2018

«Le coco fesse des Seychelles est menacé à cause du braconnage»
Divers articles dont celui de Sciences et Avenir mis en lien

Mon neveu Grégory qui est un lecteur du mot du jour et qui est aussi un esprit subtil et clairvoyant, m’a dit un jour : « Finalement ce qui est bien pour toi, c’est que tu écris ton mot du jour sur le sujet que tu choisis sans demander de compte à personne, dans une souveraine liberté ».

Il n’a pas exactement utilisé ces mots, mais c’était bien l’esprit de son propos.

En effet, personne ne me contraint à traiter un sujet en particulier.

Si on écoute la radio, regarde la télévision, lit les journaux français et internationaux, il semblerait qu’il y a un sujet en France qui semble être au premier plan.

Il me semble qu’au départ de ce trouble, il était question d’un problème écologique.

Les questions écologiques sont aujourd’hui multiples sur notre planète.

Et j’ai donc, en toute liberté, décidé d’en traiter un qui concerne la biodiversité.

Le cocotier de mer (Lodoicea maldivica) est une espèce de palmier qui produit la plus grosse graine du règne végétal et qui ne pousse qu’aux Seychelles.

Jusqu’à peu je ne connaissais pas son existence. Je ne suis pas allé aux Seychelles. Oui je confesse que je tente de limiter mon impact carbone.

Mais à quoi ressemble cette graine ?

Voilà, c’est cette graine ou ce fruit.

Et des esprits orientés, probablement du genre male ont appelé ce fruit : « coco fesse ».

<Wikipedia> nous apprend, qu’aux Seychelles d’autres noms vernaculaires sont utilisés pour désigner ce fruit : coco jumeau, coco indécent et cul de négresse

La première fois qu’un occidental a aperçu ce fruit étonnant il l’avait trouvé en mer ou sur une plage. On ne savait pas sur quel arbre il poussait :

« La première mention botanique de ce palmier vient d’un médecin botaniste portugais, Garcia de Orta, qui en 1563, le nomme coco das Maldivasn. À cette époque, ces grosses noix de coco pouvaient être trouvées en mer dans l’Océan Indien et sur les plages des Maldives, de l’Inde et du Sri Lanka.

Rares, de forme pour le moins suggestive et d’origine inconnue, ces noix avaient tout pour susciter l’imagination débridée des hommes. On les nomma en conséquence cocos de mer ou cocos de Salomon pour évoquer leur origine merveilleuse.

« Ne connaissant pas l’arbre qui le produisait, ne le pouvant découvrir, on avait imaginé que c’était le fruit d’une plante qui croissait au fond de la mer, qui se détachait quand il était mûr, & que sa légèreté faisait surnager au-dessus des eaux » (Pierre Sonnerat, Voyage à la Nouvelle Guinée, 1776).

En Inde, on attribuait à sa coque des propriétés de contrepoison (thériaque), très appréciées des « grands seigneurs de l’Indostan » qui l’achetaient à prix d’or. Les souverains des Maldives firent un négoce fructueux de sa noix avec des pays lointains comme l’Indonésie, le Japon et la Chine où elle était renommée comme plante médicinale. »

C’est une grosse noix verte, ovoïde, pouvant faire jusqu’à 50 cm de long. Le fruit fait en général 20−25 kg mais peut atteindre 45 kg. Avec plus de 25 kg, c’est la graine la plus lourde du règne végétal

Et c’est donc un article de <Sciences et Avenir> qui nous enseigne sur la menace qui porte sur ce fruit qui est très convoité pour des raisons peu convaincantes.

L’article nous donne d’abord le procédé de braconnage et le résultat :

« Le procédé est toujours le même : les braconniers se fraient un chemin dans la forêt tropicale et montagneuse de l’île seychelloise de Praslin :

Les braconniers coupent le coco de mer et repartent sans laisser de trace. À part une cicatrice qui longtemps défigure son arbre amputé.

Depuis le début de l’année, une quarantaine de cocos de mer, gigantesques noix de coco surnommées “coco fesse” pour leur forme suggestive, ont disparu dans la vallée de Mai, classée au patrimoine de l’Unesco. La moitié a été dérobée sur le seul mois d’octobre 2014. »

Nous apprenons qu’il ne présente pas d’intérêt gastronomique :

« Moins sucré que la noix de coco classique, et difficile à fendre une fois arrivé à maturité, il [n’est] pas utilisé dans la gastronomie. »

Sciences et Avenir rappelle l’Histoire :

« Le coco de mer fait l’objet de convoitises depuis des siècles à des milliers de kilomètres de l’archipel de l’océan Indien: mystifié jusqu’en Europe ou en Asie, il passait dès le 16e siècle pour avoir des vertus curatives exceptionnelles.

À l’origine, on pêchait la noix à la dérive en pleine mer, ou on la trouvait échouée sur des plages de l’océan Indien.

Ne l’ayant jamais vue pousser sur terre, les marins pensaient qu’elle provenait d’arbres enracinés dans les fonds marins – d’où son nom, coco de mer.

Ce n’est qu’au 17e siècle que le lieu d’origine du fruit géant, en forme de bassin féminin, d’une vingtaine de kg, fut déterminé : l’île de Praslin. »

Et l’actualité :

« Un regain d’intérêt pour le coco de mer est survenu après l’indépendance des Seychelles, en 1976, et “le développement de l’industrie du tourisme”, explique Victorin Laboudallon, membre du conseil de la Fondation des îles Seychelles (SIF), qui gère la Vallée de Mai. Un engouement lié à sa forme et à des pseudos vertus aphrodisiaques

Le fruit, récemment offert au jeune couple princier de Kate et William lors de leur voyage de noces, est prisé pour son côté décoratif, mais aussi, en Asie, en particulier en Chine, pour ses soi-disant effets aphrodisiaques, associés à sa forme suggestive.

En 2008, deux “cocos fesse” avaient atteint les prix de 6.000 et 11.000 euros lors d’enchères chez Christie’s à Paris.

L’engouement pour cette noix unique atteint une telle proportion qu’en 1978, les autorités décidèrent d’en contrôler le commerce: les Seychellois ne pouvaient plus la vendre qu’au gouvernement, qui la revendait accompagnée d’un certificat. »

Les habitants, (qui doivent avoir des gênes de français réfractaires) ont protesté auprès des autorités et bien sûr la taxe l’interdiction a été levée, mais l’exportation du fruit reste ultra-réglementée.

Mais tout ceci a aussi entraîné du braconnage et cette espèce végétale est désormais menacée :

« Au prix (450 dollars le kg) où se négocie sur les marchés asiatiques ce fruit introuvable hors de Praslin et d’une autre île seychelloise, Curieuse, la contrebande fait cependant rage.

Et, avec quelque 17.000 arbres recensés à Praslin et 10.000 autres à Curieuse, l’espèce est désormais jugée menacée: l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) l’a inscrite sur sa liste rouge en 2011.

Pour tenter d’enrayer le phénomène, et mieux surveiller les 19 hectares de forêt où se nichent les “cocos fesse”, la SIF a augmenté ces dernières années le nombre de gardiens. Mais le terrain accidenté et l’absence d’enclos rendent leur tâche ardue.

Avant on pouvait voir près de 75 cocos sur un arbre, maintenant il y en a juste 25, déplore M. Laboudallon. Les arbres ne donnent pas autant de fruits qu’avant car quand on coupe un coco, cela l’affecte, et il ne produit plus autant. »

Aux Seychelles, le problème du braconnage est pris d’autant plus au sérieux que le coco de mer est un symbole national. Il figure même sur les armoiries du pays. Et, nous apprenons qu’une machine sophistiquée vérifie les valises et détecte les « cocos-fesses » dans les valises :

« Contre l’exportation illégale du fruit, Victoria a installé “une machine radiographique à l’aéroport qui vérifie toutes les valises qui quittent le pays”, assure Ronley Fanchet, directeur de la Conservation au ministère de l’Environnement. »

Pour être complet, il faut aussi montrer l’inflorescence mâle ou fleur mâle de cet étonnant arbre Lodoicea maldivica

Que conclure de tout cela ?

D’abord que la nature renferme des curiosités pleines de malices.

Que dès qu’homo sapiens sent l’odeur de l’argent, il devient dangereux pour la nature.

Enfin qu’homo sapiens est très préoccupé par sa libido et que cette inclination qui souvent devient faiblesse, l’entraine à devenir très stupide. Car bien sûr ce fruit n’a aucun effet aphrodisiaque pas davantage que la corne de rhinocéros.

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Vendredi 5 octobre 2018

« la révolution agricole a donné aux hommes le pouvoir d’assurer la survie et la reproduction des animaux domestiques, tout en ignorant leurs besoins subjectifs  »
Yuval Noah Harari, « Homo deus » page 97

Reprenons notre cheminement à travers le livre de Harari : « Homo deus »

Nous en étions restés avec la révolution agricole, l’apparition du monothéisme et la séparation absolue de l’homme et des autres animaux.

A partir de ce moment, homo sapiens ne se pense plus comme un animal plus évolué, plus intelligent, disposant d’une place privilégiée dans la chaine alimentaire. L’homme ne se pense tout simplement plus comme un animal, mais d’une essence toute différente.

Dieu entre dans l’imaginaire d’homo sapiens. Les croyants diraient homo sapiens découvre Dieu.

Toujours est-il que l’homme se vit alors d’essence divine, les animaux n’ont rien de commun avec « les enfants de Dieu », pas d’intelligence et surtout pas d’émotion.

Et la révolution agricole va créer une catégorie très particulière d’animal : l’animal domestique.

Pour Harari

« La Bible, avec sa croyance en la singularité humaine, a été l’un des sous-produits de la révolution agricole qui a initié une nouvelle phase entre humain et animal. L’avènement de l’agriculture a produit de nouvelles vagues d’extinctions de masse, mais a surtout créé une nouvelle forme de vie sur terre : les animaux domestiqués » (P 92)

Harari fait un schéma de la biomasse sur terre des grands animaux distinguant les humains, les animaux sauvages et les animaux domestiques.

Il arrive alors à ce camembert.

C’est un schéma assez impressionnant. Les humains et leurs animaux domestiques occupent plus de 90% de cette biomasse.

Mais parmi les animaux domestiques, s’il existe une sous-catégorie appelés animaux de compagnie, qui sont plutôt bien traités, il n’en va pas de même pour les millions d’animaux domestiques qu’homo sapiens utilise pour sa nourriture.

« Les espèces domestiqués ont malheureusement payé leur succès collectif sans précédent de souffrances individuelles sans précédent. Si le règne animal a expérimenté maints types de douleurs et de malheurs depuis des millions d’années, la révolution agricole a engendré de nouvelles formes de souffrance qui n’ont fait qu’empirer avec le temps (p 93) »

Peut-être que l’une ou l’autre, à ce stade, se pose la question mais pourquoi Harari s’intéresse t’il tellement à cette relation ancienne entre les hommes et les autres animaux ? Alors que « Homo deus » est censé donner des idées et des perspectives sur l’homme du futur qui veut devenir à l’égal de Dieu : maîtriser la vie, la mort, les instincts et disposer de toute l’information nécessaire (big data) et des algorithmes permettant d’analyser l’information rapidement afin de pouvoir prendre à chaque instant, la décision la plus rationnelle.

D’abord comme je l’ai transcrit dans le mot de lundi

« Ce livre retrace les origines de notre conditionnement actuel afin d’en desserrer l’emprise, de nous permettre d’agir autrement et d’envisager notre avenir de manière bien plus imaginative. »

Notre relation et notre vision du monde animal, ainsi que le mythe de notre séparation « étanche » avec les animaux est un de ces conditionnements.

Et j’ajouterai que dans notre comportement avec les animaux nous avons déjà tous les prémices de ce conditionnement d’ « homo deus »

Harari ne remet pas forcément en cause le fait que les humains mangent d’autres animaux, comme le lion mange la gazelle :

« Ce qui rend le sort des animaux domestiqués particulièrement dur, ce n’est pas uniquement la façon dont ils meurent, mais surtout la manière dont ils vivent.[…]

La racine du problème est que les animaux domestiqués ont hérité de leurs ancêtres sauvages de nombreux besoins physiques, émotionnels et sociaux jugés superflus dans les élevages humains. Les fermiers ignorent systématiquement ces besoins sans subir la moindre sanction économique.

Ils enferment les animaux dans des cages minuscules, mutilent cornes et queues, séparent les mères de leur progéniture, et élèvent sélectivement des monstruosités. Les animaux souffrent terriblement, mais vivent et se multiplient.[…] »

Quand Harari parle de fermier, il me semble juste d’ajouter qu’il parle d’agriculteurs qui ont perdu toute relation avec leurs bêtes, dans une volonté de plus en plus fort d’industrialisation des processus qui ne regarde plus que les animaux sous forme de matières premières capables de produire des protéines. Il existe encore des paysans qui ont un autre rapport avec leurs animaux.

Mais pour compléter son propos, Yuval Noah Harari s’intéresse particulièrement, pour l’exemple, aux cochons et à la femelle du cochon.

« Pour survivre et se reproduire, à l’état sauvage, les sangliers d’autrefois avaient besoin de parcourir d’immenses territoires, de se familiariser avec ce milieu tout en se méfiant des pièges ou des prédateurs. Ils avaient en outre besoin de communiquer et de coopérer avec leurs congénères formant ainsi des groupes complexes dominés par de vieilles matriarches expérimentées. […]

Les descendants des sangliers – les cochons domestiqués – ont hérité de leur intelligence, de leur curiosité et de leurs compétences sociales. […] Les truies reconnaissent les couinements de leurs porcelets qui, âgés de deux jours, différencient déjà les appels de leur mère de ceux des autres truies.

Le professeur Stanley Curtis de la Pennsylvania State University a entraîné deux cochons – Hamlet et Omelette – à actionner un levier avec leur groin et il s’est aperçu qu’ils ne tardaient pas à rivaliser avec les primates en matière d’apprentissage et de jeux vidéo.

Aujourd’hui, la plupart des truies élevées dans les fermes industrielles ne pratiquent pas les jeux vidéo. Leurs maitres humains les enferment dans de minuscules box de gestation, habituellement de deux mètres sur soixante centimètres. Les box en question ont un sol de béton et les barreaux métalliques, et ne permettent guère aux truies enceintes de se retourner ou de dormir sur le flanc, encore moins de marcher. Après trois mois et demi dans de telles conditions, les truies sont placées dans des box légèrement plus larges, où elles mettent au monde et allaitent leurs porcelets. Dans la nature, ils tèteraient leurs mères de dix à 20 semaines ; dans les fermes industrielles, ils sont sevrés de force au bout de 2 à 4 semaines et envoyés ailleurs pour être engraissés et abattus. La mère est aussitôt engrossée à nouveau et replacée dans son box de gestation pour un nouveau cycle » pages 95 & 96

La truie dispose de tout ce qui est indispensable pour survivre et se reproduire : nourriture, vaccin, protection contre les intempéries et insémination artificielle.

Harari ajoute :

« La truie n’a plus objectivement besoin d’explorer son environnement, de frayer avec ses congénères, de s’attacher à ses petits ou même de marcher. D’un point de vue subjectif, elle éprouve encore un besoin très intense de faire toutes ces choses et souffre terriblement si ces besoins ne sont pas assouvis. Les truies enfermées dans des box de gestation manifestent en alternance des sentiments de frustration intense et de désespoir extrême. […]

Tragiquement, la révolution agricole a donné aux hommes le pouvoir d’assurer la survie et la reproduction des animaux domestiques, tout en ignorant leurs besoins subjectifs » P 97

Et il pose cette question :

« Comment pouvons-nous être sûrs que des animaux comme les cochons possèdent effectif un monde subjectif de besoins, de sensations et d’émotions ? Ne sommes-nous pas coupable d’humaniser les animaux ? »

Et sa réponse est limpide, dans la mesure où l’on accepte de changer son conditionnement, de sortir de la déification d’homo sapiens et de se rappeler que nous sommes des mammifères. C’est-à-dire des animaux qui ont un lien particulier avec leurs petits qui est l’allaitement.

« En vérité, attribuer des émotions aux cochons, ce n’est pas les humaniser, mais les mammifériser »

Et de ces réflexions Harari amène à la science la plus moderne et explique l’émotion par des algorithmes biochimiques :

« Les émotions sont plutôt des algorithmes biochimiques vitaux pour la survie et la reproduction de tous les mammifères. »

Et il explique tout cela à partir de la page 97. Car en effet les animaux ont un sentiment fort à l’égard de leurs petits, c’est une souffrance quand on les prive de leurs présence de manière prématurée, les animaux ont des émotions.

Il est juste de dire que même pour les humains, il existait une époque où dans l’éducation des jeunes homo sapiens au début du XXème siècle, des prétendus spécialistes passaient totalement à côté des besoins émotionnels des enfants. Il cite ainsi John Watson.

Les animaux ont des émotions, ils ont aussi une capacité d’interaction avec les humains quand on les laisse exprimer ces facultés. Et pour ne pas être trop long et finir par un récit révélateur, je voudrais rapporter l’histoire du cheval « Hans le malin » qu’il raconte dans son livre :

Au début des années 1890, un cheval baptisé Hans le Malin devint une célébrité en Allemagne. En effet, il arrivait à comprendre et annoncer le résultat de multiplications en donnant le bon nombre de coups de sabots. Cependant, après qu’une commission scientifique l’eut observé, il s’avéra que ce cheval se contentait d’observer soigneusement le langage du corps de son public. Quand Hans le Malin approchait du chiffre exact, il était capable de lire la posture du corps et la physionomie afin d’arrêter ses coups de sabots au bon moment. Il n’avait pas donc cette capacité humaine du calcul mais il avait une autre capacité meilleure que celle des humains : il avait une bien meilleure observation du comportement des humains.

Vous trouverez sur internet des sites qui raconte plus en détail cette histoire : <Ici une page> et <Ici un podcast>

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Mardi 2 octobre 2018

« Par rapport aux autres animaux, cela fait longtemps que les humains sont devenus des dieux. Nous n’aimons pas y penser trop sérieusement parce que nous n’avons pas été des dieux particulièrement justes ou miséricordieux. »
Yuval Noah Harari « Homo deus » page 85

Il n’est pas question pour moi de faire un résumé du livre, d’autres l’ont fait : https://www.beseven.fr/resume-detaille-homo-deus/amp/

Ma démarche consiste à aborder les questions et les développements qui m’ont interpellés et pour lesquels Harari m’a soit appris quelque chose ou m’a permis de me poser des questions nouvelles.

Je disais hier que pour entrer dans un ouvrage comme « Homo deus » il fallait commencer par la table des matières.

Il y a donc 3 parties :

  • Partie I – Homos sapiens conquiert le monde
  • Partie II – Homo sapiens donne sens au monde
  • Partie III – Homo sapiens perd le contrôle

Ces trois parties étant précédées par une introduction : Le nouvel ordre du jour humain

Pour Luc Ferry que j’ai cité dans le mot d’hier ces trois parties constituent un simple plagiat d’Auguste Comte selon laquelle l’humanité serait passée par « trois états » : religieux, métaphysique et « positif » (scientifique) et que l’histoire occidentale se partagerait ainsi en trois âges : l’âge théologique où les principes qui définissent la morale et le sens de la vie venaient de Dieu ; l’âge métaphysico-humaniste, inauguré par Rousseau, qui entérinerait le retrait du divin en s’efforçant de situer toute autorité dans le cœur de l’homme, dans son libre arbitre et la sensibilité de son « moi profond ».

A ces remarques, je réponds que d’abord Harari n’est pas un chercheur mais un historien. Il n’invente ou ne trouve rien mais se sert des recherches, des inventions, des théories que d’autres ont élaboré pour en faire une synthèse et pour en tirer des problématiques et des questions.

Ensuite, c’est une vaste blague de dire qu’entre Auguste Comte et Yuval Noah Harari, il n’y a pas une accumulation de connaissances et de découvertes qui ont enrichi la réflexion de l’historien israélien pour présenter sa vision de l’évolution de notre espèce.

Car, c’est la grande force d’Harari de ne pas entrer dans cette aventure, cette histoire par la philosophie qui part d’un postulat donnant à l’homme une dimension, une destinée, une valeur dans le monde du vivant très supérieure à tous les autres êtres vivants.

Pour Harari, l’ « HOMME » est avant tout « homo sapiens », un mammifère, un cousin du singe qui était au départ faible, proie de prédateurs plus puissants que lui, et qui au fur à mesure de son évolution a colonisé la planète terre en créant des civilisations extraordinairement sophistiquées mais en même temps a détruit les ressources de la planète et éliminé en masse d’autres espèces de manière involontaire et surtout de manière inconsciente.

<Le mot du jour du 29 juin 2017> citait le livre «L’arbre de la science » qu’Eugène Huzar écrivait en 1857, au début de l’ère industrielle et qui lançait cette mise en garde :

«L’homme, en jouant ainsi avec cette machine si compliquée, la nature, me fait l’effet d’un aveugle qui ne connaîtrait pas la mécanique et qui aurait la prétention de démonter tous les rouages d’une horloge qui marcherait bien, pour la remonter à sa fantaisie et à son caprice. »

Mais l’expression d’une crainte d’un homme du XIXème siècle peut encore être considérée comme une peur irrationnelle du progrès, de l’inconnu et peut être même un conservatisme paralysant.

Mais quand Luc Ferry, cherche désespérément des références livresques pour filtrer la narration de « Sapiens » ou d « Homo deus » et donner son avis critique, je ne peux m’empêcher de penser à ces savants théologiens qui répondaient, jadis, à toute question par des références bibliques et des arguties rhétoriques.

Méthode à laquelle Galilée aurait répondu selon mon professeur d’Histoire, Girolamo Ramunni :

« Je cherche les réponses à mes questions dans le grand livre de la nature, non dans les livres sacrés »

Car oui la connaissance a augmenté depuis Auguste Comte, parfois le mot du jour a pu s’en faire l’écho :

Ainsi quand Franz de Waal pose cette question et ose cette réponse : « Est-ce que l’homme est plus intelligent que le poulpe ? On ne sait pas » <mot du jour du 28 juin 2017>

Ce grand scientifique qui a consacré une grande partie de sa vie à la recherche sur l’empathie des animaux, faisait le constat que chaque fois qu’on essaye de fixer une limite entre « homo sapiens » et les autres animaux terrestres, la limite est franchie dès que nos connaissances progressent par l’étude de l’univers animal.

Et dans le monde des vivants, au-delà des seuls animaux, nous apprenons comment vivent les végétaux sur terre. Peter Wohlleben nous donne à découvrir dans son merveilleux livre « La vie secrète des arbres », la communication, l’entraide de ces grands végétaux entre eux et avec d’autres organismes vivants de la forêt et dont l’âge pour certains se trouve dans des étalons de durée qui n’ont rien à voir avec ceux des humains : <mot du jour du 22 décembre 2017>

La première partie : «  Homos sapiens conquiert le monde » se divise en deux chapitres :

  • L’anthropocène
  • L’étincelle humaine

Le chapitre « L’anthropocène » commence ainsi :

« Par rapport aux autres animaux, cela fait longtemps que les humains sont devenus des dieux. Nous n’aimons pas y penser trop sérieusement parce que nous n’avons pas été des dieux particulièrement justes ou miséricordieux.

[…] allez voir un film de Disney ou lisez des contes de fées : vous en retirerez facilement l’impression que la planète terre est surtout peuplée de lions, de loups et de tigres qui sont à égalité avec nous, les humains. […]

Combien de loups vivent aujourd’hui en Allemagne, le pays des frères Grimm, du Petit Chaperon rouge et du Grand Méchant Loup ? Moins de 100. […] En revanche, l’Allemagne compte 5 millions de chiens domestiques. Au total, près de 200 000 loups sauvages écument encore la terre contre 400 000 000 chiens domestiques, 40 000 lions contre 600 000 000 chats domestiques, 900 000 buffles africains contre 1,5 milliard de vaches ; 50 millions de pingouin et 20 milliards de poulets » (p.85).

Après ces énumérations et quantifications, Harari émet des hypothèses sur les fondements de nos mythes monothéistes qui sont apparus historiquement en même temps que la révolution agricole.

« Les données anthropologiques et archéologiques indiquent que les chasseurs-cueilleurs archaïques étaient probablement animistes : ils croyaient qu’il n’y avait par nature pas de fossé séparant les hommes des autres animaux. Le monde […] appartenait à tous ses habitants et tout le monde suivait un ensemble commun de règles. Ces règles impliquaient des négociations permanentes entre tous les êtres concernés. […]

La vision animiste du monde guide encore certaines communautés de chasseurs-cueilleurs qui ont survécu jusque dans les Temps modernes.

L’une d’elles est celle des Nayak, qui vivent dans les forêts tropicales de l’Inde du Sud. L’anthropologue Danny Naveh, qui les a étudiés plusieurs années, rapporte que lorsqu’un Nayak marchant dans la jungle rencontre un animal dangereux – un tigre, un serpent ou un éléphant – il peut s’adresser ainsi à lui : « Tu vis dans la forêt. Moi aussi. Tu es venu manger ici, et moi aussi je suis venu ramasser des racines et des tubercules. Je ne suis pas venu te blesser »

Un jour, un Nayak s’est fait tuer par un éléphant mâle, qu’ils appelaient « l’éléphant qui marche toujours tout seul ». Les Nayak ont refusé d’aider les hommes des services forestiers indiens à le capturer. Ils ont expliqué à Naveh que cet éléphant était très proche d’un autre mâle avec lequel il vagabondait toujours. Un jour, le service forestier a capturé le second éléphant, et « l’éléphant qui marche toujours tout seul » est devenu furieux et violent. « Que ressentiriez-vous si on vous enlevait votre épouse ? C’est exactement ce que ressentait cet éléphant.» […]

Beaucoup de peuples industrialisés sont totalement étrangers à cette perspective animiste. Aux yeux de la plupart d’entre nous, les animaux sont foncièrement différents et inférieurs. La raison en est que même nos traditions les plus anciennes sont nées des milliers d’années après la fin de l’ère des chasseurs cueilleurs. L’Ancien Testament, par exemple a été écrit au premier millénaire avant notre ère et ses récits les plus anciens reflètent les réalités du deuxième millénaire. Au Moyen-Orient cependant, l’ère des chasseurs-cueilleurs s’est terminée plus de 7 000 ans auparavant. Il n’est donc guère surprenant que la Bible rejette les croyances animistes et que son seul récit animiste apparaisse au début, comme un sombre avertissement. […Dans la Bible] la seule fois où un animal engage la conversation avec un homme, c’est lorsque le serpent incite Eve à goûter au fruit défendu de la Connaissance. (L’ânesse de Balaam dit aussi quelques mots, mais elle ne fait que lui transmettre un message de Dieu).

Au jardin d’Eden, Adam et Eve fourrageaient. L’expulsion du paradis frappe par sa ressemblance avec la révolution agricole. Au lieu de permettre à Adam de cueillir les fruits sauvages, un Dieu en courroux le condamne à « gagner son pain à la sueur de son front ». Que les animaux bibliques n’aient parlé aux humains qu’à l’époque préagricole de l’Eden n’est sans doute pas un hasard.

Quelles leçons la Bible tire-t’elle de cet épisode ?

Qu’il ne faut pas écouter les serpents, et qu’il vaut généralement mieux éviter de parler aux animaux et aux plantes. Cela ne conduit qu’au désastre.

L’histoire biblique contient pourtant des couches de sens plus profondes et plus anciennes. Dans la plupart des langues sémitiques, « Eve » signifie serpent ou femelle du serpent. Notre mère biblique ancestrale cache donc un mythe animiste archaïque suivant lequel les serpents ne sont pas nos ennemis mais nos ancêtres. Pour maintes cultures animistes, les humains descendent des animaux y compris des serpents et autres reptiles. La plupart des Aborigènes d’Australe croient que le serpent Arc-en-ciel a créé le monde. […] En fait les Occidentaux modernes croient eux aussi qu’ils sont issus de reptiles par l’évolution. Le cerveau de chacun d’entre nous est construit autour d’un noyau reptilien, et la structure de notre corps est au fond celle de reptiles modifiés.

Les auteurs du livre de la Genèse ont eu beau préserver un reliquat de croyances animistes archaïques à travers le nom d’Eve, ils ont pris grand soin d’en dissimuler toutes autres traces. Loin de descendre des serpents, dit la Genèse, les humains ont été créés par Dieu à partir de la matière inanimée. Le serpent n’est pas notre ancêtre, il nous incite à nous rebeller contre notre Père céleste. Alors que les animistes ne voyaient dans les humains qu’une autre espèce d’animal, la Bible plaide que les hommes sont une création unique, et toute velléité de reconnaître l’animal en nous nie nie la puissance et l’autorité de Dieu. » (Pages 86 à 92).

Et Harari achève sa démonstration en rappelant la négation de Darwin par les religions monothéistes et aussi la rupture avec Dieu des hommes convaincus par le récit darwinien :

« Quand les humains modernes ont découvert qu’ils descendaient effectivement des reptiles, ils se sont rebellés contre Dieu et ont cessé de l’écouter, ou même de croire en son existence. » (P 92).

Au bout de ce développement, la question que je me pose est de savoir si finalement l’invention par homo sapiens des religions monothéistes n’a pas eu comme première fonction de séparer homo sapiens des autres animaux afin de pouvoir justifier sa toute-puissance à l’égard des animaux et d’en faire de simples objets de possession dont l’homme pouvait faire ce que bon lui semblait.

Car si l’homme a été créé par Dieu et fait à son image, c’est donc que sapiens porte en lui une divinité qui lui permet d’agir comme un démiurge sur tout le reste du vivant sans tenir aucun compte de ces êtres qui sont sur bien des points semblables à lui. Homo deus était déjà en route.

Je me souviens de Boris Cyrulnik qui a raconté lors d’une émission que lors de ses études de médecine, on lui avait demandé de disséquer une grenouille vivante et que la grenouille criait. Cyrulnik en a fait part à son professeur qui surveillait l’expérience et qui lui a répondu : « mais non la grenouille ne sent rien. C’est comme votre vélo quand il crisse, il ne souffre pas »

Tant de certitudes, d’aveuglement et de cruauté nous laissent aujourd’hui sans voix.

Oui ! l’homme n’a pas été et n’est toujours pas pour les animaux un dieu juste et miséricordieux

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Lundi 24 septembre 2018

« Les fulgurés d’Azerailles »
Des personnes unis à vie par quelques millisecondes d’électricité tombée du ciel.

Je suppose que comme moi vous ignoriez jusqu’à l’existence d’Azerailles, petit village de Meurthe et Moselle de 800 habitants, proche de la cité du cristal : Baccarat.

Et si vous n’avez pas entendu parler d’Azerailles, vous n’avez pas non plus souvenir de ce qui s’est passé dans cette commune le 2 septembre 2017.

C’est la revue de Presse de Bernard Pommier du 22 septembre 2018 qui en évoquant un article du Monde m’a fait connaître ce village et l’histoire qui intéresse la science.

Ce samedi-là, pourtant, rien n’annonçait le drame. C’était il y a un an, et le soleil brillait sur Azerailles. Ce samedi-là, se déroulait un festival champêtre : de la musique, des balades le long de la rivière, des ateliers pour découvrir les plantes sauvages…

Mais, vers 16 heures, la pluie se met à tomber dru. Tout le monde fonce sous la tente. Un énorme bruit retentit. Un enfant crie, un autre pleure et plusieurs personnes tombent à terre, inanimées. Un responsable pense qu’il s’agit d’un attentat. Au pied d’un aulne, la broussaille, subitement, prend feu.

Un pompier du village téléphone à son supérieur :

« Francis, c’est la guerre, on a plusieurs blessés ! »

Mais non, ce n’est pas la guerre, et pas non plus un attentat.

C’est la foudre qui vient de tomber sur Azerailles. Et l’on compte une vingtaine de « fulgurés »…

Car « Fulguré », c’est le terme qu’on emploie pour désigner une personne qui a survécu après avoir été frappé par la foudre. Les « foudroyés » meurent, les « fulgurés »  survivent

A Azerailles, il n’y a pas eu de foudroyés, mais il y a eu une vingtaine de fulgurés.

C’est donc un article du Monde du 21/09/2018 qui parle de cet évènement et de sa suite : « Les miraculés d’Azerailles, unis par la foudre qui ne les a pas tués »

Car le Monde raconte que la vingtaine de personnes frappées simultanément par la foudre le 2 septembre 2017 en Meurthe-et-Moselle sont un groupe uni et un échantillon précieux pour la recherche.

Après que la foudre soit tombée une soixantaine de pompiers et une trentaine de gendarmes arrivent sur les lieux du drame et l’article nous décrit la suite :

«  Une zone d’atterrissage pour hélicoptère est même improvisée en cas de besoin.

Au total, quatorze blessés, dont deux graves, sont évacués vers les hôpitaux de Lunéville, Saint-Dié et Nancy. Les concerts du soir sont annulés. Par un miracle que nul n’explique, la mort, qui faisait ce jour-là plusieurs millions de volts, n’a emporté personne.

Un an plus tard, les rescapés du 2 septembre forment un groupe unique, fascinant et mystérieux. Ils sont une vingtaine, en comptant ceux qui n’ont pas été hospitalisés. On les appelle des fulgurés. […]

Certains souffrent encore de séquelles importantes. D’autres se portent bien. Beaucoup expliquent devoir leur vie à leur nombre. C’est la thèse d’Herbert Ernst, correspondant local de L’Est républicain, fulguré en plein reportage.

« S’il n’y a pas eu de macchabée, pense-t-il, c’est parce que nous nous sommes partagé la décharge. Cette explication n’est peut-être pas vraie, mais je m’en fiche, c’est notre ciment. Quand on se retrouve, c’est difficile à expliquer, c’est comme faire un plein d’émotion. »

[…]

En un an, ils se sont réunis trois fois. Liés à jamais, les fulgurés d’Azerailles suscitent aussi un fort intérêt scientifique. Pour la première fois en France, un médecin peut observer sur un large groupe les effets de l’électricité naturelle, mal connus. Dans un contexte de changement climatique et de multiplication des orages, l’enjeu est particulièrement intéressant. »

Et le Monde raconte les séquelles et conséquences de ce coup de foudre sur plusieurs fulgurés.

L’histoire de Raphaëlle Manceau m’a le plus impressionné :

« De son côté, Raphaëlle Manceau n’était guère mieux lotie. Dans sa grande maison de rondins, au milieu des épicéas et des bouleaux, à Saint-Dié, dans les Vosges, elle explique avoir dû changer son rythme de femme suractive.

Professeure des écoles, elle est en arrêt longue maladie. Elle, ce ne sont pas ses jambes mais son cerveau qui a été touché. Lors du coup de foudre, elle a perdu connaissance. Les semaines suivantes, elle a souffert de forte fatigue et de maux « insupportables » à la tête et aux pieds, zones de passage de la décharge.

« La foudre est sortie par cinq points sur un pied, et sept sur l’autre, témoigne-t-elle devant un sirop de menthe maison. Ça faisait des taches noires, comme des verrues. » Chose étonnante, elle a bénéficié de capacités augmentées.

Raphaëlle Manceau est, avec Jocelyne Chapelle, qui est devenue son amie et confidente, l’une des victimes les plus touchées. Durant le mois qui a suivi l’impact, elle semble avoir présenté les symptômes d’une hyperactivité cérébrale.

« Je faisais des multiplications de trois chiffres par trois chiffres, en même temps je fredonnais des airs et pensais à l’organisation du quotidien », se souvient-elle. Mais ses « superpouvoirs » ont duré à peine plus d’un mois.

Elle a également changé de comportement. Déjà très sociable et enjouée, elle abordait des inconnus dans la rue pour un brin de causette, « attirée comme un aimant ». Puis, au bout d’un mois et d’un jour, elle a perdu la parole. Elle ne trouvait plus ses mots, s’exprimait de façon très lente.

Spécialiste des enfants en difficulté, elle a découvert qu’elle aussi était devenue dysgraphique, dysorthographique, dyspraxique (soucis de coordination)… Elle a alors multiplié les séances de kiné et d’orthophonie puis, au bout de trois mois, a commencé à mieux parler.

Aujourd’hui, c’est quasiment parfait. Mais, surprise, elle a attrapé l’accent alsacien. Elle a certes habité quelques années de l’autre côté des Vosges, mais certifie que jamais elle ne s’est exprimée ainsi. « Selon l’orthophoniste, ça me permet de faire traîner certaines syllabes et de réfléchir aux mots que je dois utiliser. »

Elle a beaucoup de mal à apprendre par cœur. En revanche, elle retrouve des souvenirs d’enfance oubliés. Enfin, elle souffre d’acouphènes et de fatigue intense. Parfois, en revenant de courses, elle doit se garer en urgence sur le bord de la route et dort… trois heures. « J’ai fini par accepter de ne plus être tout à fait moi », glisse-t-elle. »

D’autres racontent aussi des conséquences étonnantes et déstabilisantes.

Cet article nous apprend aussi qu’un coup de foudre c’est 30 000 degrés.

Plusieurs fulgurés souffrent toujours de stress post-traumatique.

Et l’article nous apprend que beaucoup d’entre eux cherchent un sens à l’histoire : pourquoi moi, pourquoi ce sursis, quel est le message ? Consciemment ou non, personne n’échappe à la mythologie de la foudre.

Les Médecins s’intéressent à ce groupe de fulgurés :

« Angoissés ou sereins, avec ou sans séquelles, toutes les victimes ont accepté de devenir des cobayes, au nom du progrès de la science. Interne en médecine aux urgences d’Aurillac, Rémi Foussat lancera un protocole de recherche d’ici à la fin de l’année. Juste après avoir passé sa thèse sur les troubles neurologiques chez les fulgurés.

En France, la foudre touche une petite centaine de personnes par an, recensées par le SAMU, et « de 200 à 500 personnes en tout, selon des estimations floues », dit-il. Parmi elles, de 10 % à 15 % décèdent. Avec le chef des urgences d’Aurillac, Laurent Caumon, il compte d’ailleurs créer un réseau régional de recensement des victimes de la foudre.

Mais les fulgurations collectives, qui permettent de comprendre les variantes entre individus, sont rarissimes. « Les troubles du groupe d’Azerailles sont assez représentatifs, constate l’interne. Ils sont de trois types : transitoires, prolongés et retardés. Ces derniers se déclenchent trois semaines à six mois après l’accident. Au bout d’un an, il y a donc peu de risque que de nouveaux troubles apparaissent. » Anne Chrisment devrait être rassurée.

« Nous avons une connaissance nulle de la façon dont passe le courant sur un organisme vivant. » Marie-Agnès Courty, géologue au CNRS

Il a été bien plus étonné par l’hyperactivité cérébrale de deux victimes, « symptôme très rarement décrit ». Quant à la thèse du partage de la décharge qui aurait sauvé tout le monde, il ne la retient pas : « Trop simpliste, juge-t-il. Le coup de foudre est si puissant que le diviser ne change pas grand-chose. » Mais il n’a pas d’explication.

Rémi Foussat va traquer chez ces survivants des marqueurs invisibles de la foudre. Il va tenter de déceler dans leur corps des nanocomposites, soit un assemblage de nanoparticules métalliques, végétales ou cristallines. Grâce à cette mise en évidence, il espère mieux comprendre les lésions d’un courant électrique sur les nerfs, afin d’expliquer, entre autres, les troubles retardés.

En France, la spécialiste du sujet s’appelle Marie-Agnès Courty. Géologue au CNRS à Perpignan, elle a découvert que les nanocomposites permettent de tracer les effets du passage d’un courant électrique sur un organisme vivant, un sol ou tous types de surfaces.

« Une fulguration entraîne la production considérable de nanocomposites sur le moment et dans les mois qui suivent, expose-t-elle. L’étude de Rémi Foussat représente un enjeu important car nous avons une connaissance nulle de la façon dont passe le courant sur un organisme vivant. »

La science pourra donc probablement progresser grâce aux fulgurés d’Azerailles. Mais il s’agit quand même, si on comprend bien ce qui s’est passé, de ce que l’on appelle dans notre compréhension d’une sorte de miracle.

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Vendredi 8 juin 2018

« Le stone balancing est un art, un hobby, une façon de méditer, un art de vivre. C’est tout ça à la fois ! »
Emmanuel Fourcarde, 29 ans, alias Manu Topic

Emmanuel Fourcade avait pour métier, tapissier d’ameublement. Il a mis son métier entre parenthèse pour se consacrer exclusivement à sa passion le « stone balancing »

Il a pris pour nom d’artiste : Manu Topic

J’ai appris son existence grâce à ce site

<Un homme qui maintient l’équilibre entre les pierres>

Ce sont des œuvres éphémères en pierres.

Il me semble que le texte n’est pas utile, il suffit de regarder les photos.

Equilibre.
Harmonie
Fragilité
Patience
Maîtrise

Œuvre éphémère mais la photo les transforme en moment d’éternité.

Sur le site on lit : « Cette incroyable maîtrise des éléments qui consiste à empiler des pierres et à les maintenir dans un équilibre parfait est un art à part entière. En France, cet homme est l’un des rares à pratiquer cette discipline qui révèle, au grand jour, l’ensorcelante beauté de la nature à travers d’impressionnantes œuvres éphémères. »

Amoureux de la nature, Emmanuel Fourcarde, 29 ans, alias Manu Topic, découvre le stone balancing grâce à celui qui a popularisé cet art aux Etats-Unis, Michael Grab.

Il se consacre désormais à cet art étonnant et éphémère..

 

 

<Une vidéo montre Michael Grab à l’oeuvre>

Cette discipline consiste à créer des structures de pierres en jouant sur les points de pressions, la gravité et le contrepoids pour un résultat final à la fois spectaculaire et esthétique. Manu en donne sa définition :

 

Manu Topic donne sa  définition :

« Le stone balancing est un art, un hobby, une façon de méditer, un art de vivre. C’est tout ça à la fois ! »


Il dit aussi :

« J’ai le besoin vital d’être au contact de la faune et de la flore. Je peux partager un bel instant avec la nature… sans laisser de traces. »

 

 

 

 

Bien sûr, ses œuvres disparaissent assez rapidement. Quelques heures suffisent pour que la Nature casse le fragile équilibre créé par l’artiste.

<Ici une vidéo montrant le travail d’un autre adepte de cet art>

Et un autre artiste qui joue avec les lois de l’équilibre

 

L’article nous apprend qu’il existe un Championnat du Monde de stone balancing.

Lionel Terray avait écrit en 1961, un livre consacré à l’alpinisme auquel il a donné le titre : « Les Conquérants de l’inutile ». Il me semble que ce titre « les conquérants de l’inutile » pourrait être utilisé merveilleusement pour cet art du stone balancing.

Mais ils créent la beauté et la beauté n’est jamais inutile.

En outre, l’aspect éphémère de ces œuvres ne symbolise t’il pas simplement la fragilité de notre existence sur terre..

<Ici vous verrez une vidéo qui montre la naissance d’une œuvre de Manu Topic>

Et si vous cherchez Manu Topic ou  stone balancing ou même stone balance sur internet vous trouverez d’autres merveilles.

 

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Vendredi 22 décembre 2017

« La vie secrète des arbres »
Peter Wohlleben

Le mot du jour va s’interrompre pour une sorte de trêve de Noël que je préfère à la formule « la trêve des confiseurs ».

Juste avant Noël, je voudrais partager avec vous un livre que nous avons acheté, Annie et moi, pour nous l’offrir « La vie secrète des arbres » de Peter Wohlleben

J’ai découvert Peter Wohlleben parce qu’il avait été invité aux « matins de France Culture » du 8 décembre 2017.

Peter Wohlleben est un ingénieur forestier qui a cherché à comprendre la forêt et à décrire la vie des arbres, tout en précisant souvent qu’il y a beaucoup de choses qu’on ne sait pas encore. Selon lui, les forêts ressemblent à des communautés humaines. Les parents vivent avec leurs enfants, et les aident à grandir. Les arbres répondent avec ingéniosité aux dangers. Leur système radiculaire, semblable à un réseau internet végétal, leur permet de partager des nutriments avec les arbres malades mais aussi de communiquer entre eux. Et leurs racines peuvent perdurer plus de dix mille ans…

Dans l’émission, Peter Wohlleben remet les choses en perspective et donne une leçon d’humilité aux hommes :

« Nous avons toujours considéré les arbres comme au service de l’humanité, qui produisent pour nous de l’oxygène. Ce n’est pas ça qu’ils font. Les arbres existent depuis 300 millions d’années, les hommes depuis 300 000 ans, les forestiers depuis 300 ans. »

Emission et recherches passionnantes !

J’ai trouvé une interview dans Libération où il explique son parcours et ce qu’il a appris et aussi compris grâce aux travaux des biologistes :

Enfant, Peter Wohlleben voulait protéger la nature. Devenu forestier, il s’est mis à martyriser les arbres, appliquant les consignes de son employeur, l’administration forestière d’Etat allemande. La forêt qu’il exploitait n’était qu’une source de matière première pour les scieries. Il en savait «autant sur la vie secrète des arbres qu’un boucher sur la vie affective des animaux», se souvient-il. Les visiteurs de sa forêt, située sur la commune de Hümmel, au sud de Bonn, ont tout changé. Leur émerveillement a réveillé sa passion et remis en cause sa façon de travailler.

Les arbres ont tant de facultés :

« Il y en a tant ! On sait qu’ils sont connectés les uns aux autres via les racines et nourrissent ainsi les plus faibles. Une étude de l’université de Vancouver a même montré qu’une «mère-arbre» peut détecter ses jeunes plants avec ses racines. On a mesuré qu’elle soutient davantage ces derniers. Les arbres décident bel et bien avec qui ils se connectent. Et ils ont une mémoire. En cas de sécheresse, le bois se déshydrate, se fissure. L’arbre blessé s’en souvient toute sa vie et change de stratégie dès le printemps suivant en réduisant sa consommation d’eau. Les vieux seraient même capables de partager cette information avec les plus jeunes, de les «éduquer». »

Nous apprenons donc que les arbres communiquent :

« Oui, ils peuvent avertir leurs congénères d’une attaque d’insectes, appeler à la rescousse les prédateurs des parasites. Les ormes se débarrassent des chenilles en émettant des substances attirant des petites guêpes qui pondent dans celles-ci. Les arbres sont capables d’identifier la salive des chenilles en la distinguant de celle d’un cervidé et ainsi adopter la stratégie de défense adaptée. Si c’est une biche qui les croque, ils envoient dans leurs rameaux des substances toxiques ou amères. Ce qui prouve qu’ils ont le sens du goût. Ils peuvent aussi «voir» la longueur des jours, «sentir» des messages olfactifs ou la température de l’air. Ils sont peut-être même dotés de l’ouïe : il a été prouvé que les racines de céréales émettent un son et que celles des plantes alentour se dirigent alors dans cette direction. »

Peter Wohlleben parlent aussi des nombreuses questions non résolues, par exemple de la mémoire :

« En premier lieu, où les arbres stockent-ils leur mémoire ? Ils n’ont pas de cerveau tel que le nôtre. Mais nous savons qu’ils stockent les connaissances acquises. Par exemple, ils comptent les journées chaudes au printemps pour éviter de fleurir trop tôt. Ils savent que trois jours chauds ne suffisent pas, qu’il faut encore attendre. Sans mémoire, chaque jour serait compté comme étant le premier. Ensuite, j’aimerais savoir s’ils communiquent sur d’autres sujets que les dangers détectés. Je rêve d’un dictionnaire chimique permettant d’analyser leurs messages olfactifs. Peut-être parlent-ils de la météo, de ce qu’ils ressentent. Notre nez peut déjà déceler certains signaux. Une odeur aromatique, l’été, dans les forêts de conifères signifie qu’ils s’avertissent : il fait trop sec, trop chaud, des insectes attaquent… Ces forêts sont le plus souvent plantées, donc vulnérables. Malgré la senteur agréable et même si nous n’en avons pas conscience, notre corps perçoit l’appel à l’aide. Des recherches ont montré que notre pression artérielle augmente dans ce type de forêts et baisse dans celles de feuillus intacts, qui échangent sans doute des signaux de bien-être. Nombre de visiteurs de notre réserve de hêtres me disent qu’ils s’y sentent chez eux, dans leur élément. »

Il insiste aussi beaucoup sur la solidarité qu’ils manifestent les uns à l’égard des autres. C’est encore la culture de l’entraide.

La journaliste de Libération lui pose la question de son excès d’anthropomorphisme pour parler des arbres. Il y répond simplement :

Quand j’ai commencé à animer des visites guidées, j’abordais des notions trop ardues, je décrivais les arbres sans langage imagé, les gens s’ennuyaient. J’ai appris à parler de façon compréhensible, en faisant appel aux émotions. Et on ne peut comparer qu’avec ce qu’on connaît. Quand je dis qu’une mère-arbre allaite ses plantules grâce à la connexion de leurs racines, chacun comprend.

Parce que bien entendu les arbres sont très différents des humains par exemple il communique de manière très différente de nous. Ils ne parlent pas mais cela n’empêche pas les arbres de communiquer. En émettant des substances odorantes, ils échangent chimiquement, et électriquement aussi. Il suffit de soulever un bout de terre en forêt pour découvrir des filaments blancs. Il s’agit d’hyphes de champignons, qui participent, avec les racines, à la transmission d’informations sur la sécheresse du sol, une attaque d’insectes ou tout autre péril. Ces fils, qui fonctionnent sur le même principe qu’Internet, forment un réseau souterrain si dense que des scientifiques l’ont baptisé le « Wood Wide Web ». Difficile de déterminer le type et le volume d’informations communiquées tant la recherche est embryonnaire sur le sujet.

Il aborde encore beaucoup d’autres aspects celui du temps des arbres qui n’est bien sûr pas celui des humains et celui de l’interventionnisme des hommes dans les forêts qu’il juge contre-productive :

« Moins on intervient, plus une forêt est équilibrée, saine, résistante aux maladies ou aux tempêtes. Protéger une forêt ne nous fait pas perdre en qualité de vie, au contraire. Seule l’industrie du bois y perd. L’idée n’est pas de les protéger toutes – nous en sommes d’ailleurs très loin : en Allemagne, à peine 1,9 % des forêts le sont. Car nous aurons toujours besoin de bois, ne serait-ce que pour produire du papier. Mais nous pouvons changer nos pratiques. Une forêt exploitée subit toujours des dommages, mais on peut les minimiser. Pour sortir les troncs, mieux vaut des chevaux de trait que des engins qui tassent le sol. Quand ce dernier est détruit, il l’est pour toujours et ne peut plus stocker assez d’eau. Il faut aussi bannir les pesticides, car un écosystème est comme une horloge : si vous en détruisez un rouage, il ne fonctionne plus. Or c’est ce que font les produits chimiques. […]

Le temps des humains ne correspond pas à celui des arbres. On veut des résultats rapides, d’où toutes ces plantations où les arbres grandissent vite mais sont fragiles. Restaurer une forêt primaire prend cinq cents ans. Cela paraît énorme, mais c’est la longévité normale d’un arbre. Or, quand vous laissez les forêts vieillir, elles régulent le climat. Leur microclimat local, mais aussi le climat mondial, en absorbant beaucoup de CO2. Des recherches ont été faites sur des forêts de hêtres. Les chaudes journées d’été, celles laissées intactes sont plus fraîches de 3,5°C en moyenne que celles exploitées. Les forêts peuvent nous aider à lutter contre le changement climatique, à condition que nous leur permettions de faire leur job. »

Un autre article rapporte la solidarité et la « la vie sociale » des arbres :

« Par ailleurs, l’arbre a tendance à créer des colonies. Sexué, dans la forêt, il distribue des graines autour de lui et parvient ainsi à se reproduire. Dans le même temps, ses racines grandissent et s’étendent alentour, permettant à ses descendants de pousser. Le Dr Suzanne Simard, professeur d’écologie forestière à l’université de la Colombie-Britannique, parle même d’«arbres-mères qui allaitent leurs enfants», leur assurant un approvisionnement régulier à travers les champignons mycorhiziens qui entretiennent des relations avec leurs racines. Ces champignons, véritables partenaires des arbres, poussent sous la surface du tapis forestier et créent des interconnexions, donc des échanges d’une plante à l’autre même lorsqu’elles appartiennent à des espèces différentes. »

Tout un monde ignoré. Un monde d’intelligence partagée et de solidarité.

Un film a été réalisé à partir du livre : « L’intelligence des arbres ».

Vous en trouverez un extrait <ICI> et vous pourrez enchainer sur 4 autres.

Le prochain mot du jour sera publié, sauf force majeure, le lundi 8 janvier 2018

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Lundi 18 décembre 2017

« L’autre loi de la jungle : l’entraide »
Pablo Servigne et Gauthier Chapelle

On nous a appris que la nature obéissait à la loi de la jungle, c’est-à-dire la loi du plus fort, qui peut être traduite par la compétition de tous contre tous. On nous explique que la nature est ainsi faite.

Et c’est vrai, cette loi de la nature existe.

Mais ce que les sciences dans de nombreux domaines ont démontré, c’est que n’est pas la seule loi qu’on peut observer dans la nature. Il existe une autre loi de la jungle et cette loi c’est l’entraide, la coopération. La compréhension, l’observation du vivant révèle que les humains, les animaux, les plantes, les champignons et les micro-organismes pratiquent l’entraide.

Et probablement que ceux qui survivent le mieux aux conditions difficiles ne sont pas forcément les plus forts, mais ceux qui s’entraident le plus.

Pablo Servigne et Gauthier Chapelle viennent de publier un livre «L’entraide: l’autre loi de la jungle» aux éditions Les Liens qui Libèrent.

Pour présenter son ouvrage, Pablo Servigne était l’invité de « La Grande Table » du vendredi 15 décembre.

Il avait déjà été question de ce livre dans une autre émission de France Culture <Avis critique du 4 novembre 2017>. Dans cette émission, le présentateur Raphaël Bourgois introduisait cet ouvrage de la manière suivante :

« [C’est un essai] du biologiste Gauthier Chapelle et de Pablo Servigne qui est ingénieur agronome. L’entraide. L’autre loi de la jungle est paru aux éditions Les Liens qui Libèrent… c’est un essai qui entend résumer les travaux scientifiques qui de l’éthologie à l’anthropologie en passant par l’économie, la psychologie et les neurosciences ont entamé l’idée, très ancrée dans la pensée occidentale, selon laquelle c’est la compétition entre les espèces qui est la matrice de l’évolution.

Par la multiplication des exemples, ils montrent sans nier le rôle de la compétition, qu’elle est en réalité trop risquée et consommatrice d’énergie et que la nature lui a bien souvent préféré la coopération ou l’entraide. C’est un véritable défi au cynisme et les auteurs s’en rendent bien compte, ils prennent la peine à plusieurs reprises de bien montrer que leur démarche n’a rien d’irénique… il ne s’agit pas de dire qu’il y a une supériorité morale à la coopération plutôt qu’à écraser son voisin… l’enjeu est aussi l’efficacité et la survie.

Le livre fait une place centrale à l’homme mais montre aussi comment les phénomènes de symbiose… à l’origine par exemple de la formation des barrières de corail… offrent une grille de lecture pertinente pour comprendre les comportements au sein d’un groupe, ou bien des groupes entre eux. »

Au début de l’émission « La Grande Table » Pablo Servigne a défini le concept d’entraide :

« L’entraide est, dans le vivant, tout ce qui associe les êtres : la coopération, le mutualisme, l’altruisme. Il y a tout une diversité de manière d’être ensemble.

On a choisi « entraide », parce qu’il […] a une connotation chaleureuse dans le langage courant. [Mais] c’est surtout un clin d’œil au géographe et anarchiste Pierre Kropotkine qui avait publié en 1902 « Mutual Aid: : A Factor of Evolution », un formidable ouvrage qui a été traduit en français et dont le titre traduit utilisait le terme « entraide » et c’est [ainsi] que ce mot a été offert à la langue française. »

Il y a deux ans, Pablo Servigne avait co-écrit avec Raphaël Stevens, au Seuil, un autre ouvrage qui montrait la situation de l’humanité sous un regard plus inquiétant : «Comment tout peut s’effondrer ». C’était un livre qui évoquait toutes les possibilités qui pouvaient conduire à l’effondrement de notre société. Ce nouveau livre constitue une réponse positive, un espoir pour ce qui s’annonce.

«On peut connecter les deux réflexions. Quand nous avons écrit le précédent ouvrage, nous avions fait une synthèse transdisciplinaire, comme nous le faisons maintenant pour l’entraide. […] C’est en lien avec l’entraide. Quand nous faisons des conférences, très souvent la question vient : « est ce que nous allons tous nous entretuer si notre ordre social venait à disparaître, ou allons-nous plutôt nous entraider ?  » Avec Gauthier Chapelle et Raphaël Stevens nous pensons plutôt que nous arrivons à l’âge de l’entraide.»

La thèse défendue par ces auteurs est qu’il faut combattre l’idée est que la nature est gouvernée par le seul égoïsme, la loi de la jungle, la loi du plus fort. Il y a moyen d’imaginer autre chose. Ils pensent, en fait, que nous ne sommes pas prédestinés à l’égoïsme préprogrammé de nous entretuer, en tout cas pas davantage qu’à l’option de nous entraider :

«Nous sommes toujours à l’heure des choix. […] Ce que l’on remarque surtout c’est que notre société est en train de se décomposer. Je prends la métaphore de l’arbre : Il y a un grand arbre qui s’effondre, mais c’est parce qu’il s’effondre que les jeunes pousses peuvent émerger. Nous sommes à ce moment, à ce carrefour. Il y a plein de jeunes pousses prêtes à se développer, il y a une nouvelle société qui émerge. On le voit avec la société de la collaboration, avec le peer to peer, l’économie collaborative tout cela est en train d’émerger, tout cela est très puissant. Cela ne fait pas encore société, mais on voit un vieux monde qui s’effondre.»

En écho au mot du jour de vendredi, il revient à la critique de l’organisation pyramidale en la confrontant à la nature et à l’organisation du vivant :

«Les entreprises à hiérarchie pyramidale sont des anciens modèles qui ne tiennent plus la route.
[…] La hiérarchie pyramidale peut être efficace à court terme, mais cela ne tient pas à long terme. Dès que les conditions du milieu changent, l’efficacité disparaît. C’est pour cela que dans la nature on ne voit presque pas de hiérarchie pyramidale.»

La thèse la plus porteuse d’espoir de cette pensée est le constat que si dans les sociétés d’abondance, la compétition est de rigueur, dans les périodes de rareté ou de pénurie l’entraide et la collaboration se développent davantage. Dans la catastrophe, les hommes montrent des signes positifs de résilience. Selon Pascal Servigne nous serions naturellement des êtres collaboratifs.

«Globalement l’idée du livre, ce n’est pas du tout de nier qu’il y a de la compétition. Au contraire, mais il s’agit d’arrêter de nier qu’il y a de l’entraide partout. C’est plutôt une invitation à rééquilibrer le curseur. D’ailleurs lorsqu’il y a de l’entraide ou de la coopération il y a toujours un peu de compétition. A l’inverse, quand on voit qu’il y a de la compétition, on s’aperçoit aussi qu’il y a de la collaboration derrière. […]

Quand on observe les autres êtres du vivant, c’est fascinant. Il y a énormément de découvertes, en ce moment. Par exemple des expériences économiques ont mis ensemble des individus pour participer au bien commun. Et ce que les chercheurs ont mis en lumière : quand on stresse les gens, on les force à répondre vite, de manière plus spontanée ils sont plus collaboratifs, plus pro sociaux et quand on les force à réfléchir et à utiliser la raison, ils sont plus égoïstes et participent moins au bien commun. Cela corrobore assez bien tous les récits des rescapés et des survivants des catastrophes, des tsunamis des tremblements de terre, des attaques terroristes etc., tous les récits convergent pour décrire qu’il n’y a pratiquement jamais de panique et qu’il y a de l’auto-organisation et des comportements extrêmes d’altruisme.

Et en fait avec Gauthier Chapelle, on est allé voir dans tout l’éventail du vivant, des bactéries, au phyto planctons, aux arbres etc et ce qui est fascinant est que l’entraide émerge quand il y a pénurie, quand le milieu est hostile.

Lorsqu’il y a de l’abondance, le milieu est riche alors la compétition peut émerger. C’est complétement contre intuitif avec l’idée qu’on se fait de la nature et c’est cela qui est fascinant.»

Car en effet, notre intuition surtout celle du consommateur compulsif que nous sommes devenus tendrait à croire que moins il y en a, plus on va se battre pour acquérir le peu qu’il y a.

C’est une grande leçon, c’est notre richesse qui nous pousse à l’égoïsme.

Pablo Servigne évoque sa démarche :

« Je suis plutôt issu d’une formation scientifique de biologie, d’écologie. J’ai étudié les fourmis pendant quelques années. La sociabilité de l’insecte. J’ai été voir ce que les sciences sociales faisaient, je n’étais pas formé à cela et j’ai constaté aussi que les sciences sociales n’étaient pas formées à la biologie non plus. Et ce qu’on a voulu faire, ce sont des ponts, des ponts entre disciplines. […] Cela fait dix ans que je me passionne pour le sujet, chaque discipline était un peu cloisonné et avançait avec ses hypothèses qui pouvaient apparaître contradictoires entre elles.. […] Depuis 5 ans, on arrive à faire des liens, il y a des découvertes majeures qui sortent, en particulier dans la théorie de l’évolution qui permettent d’avoir une vision cohérente de ce que nous avons appelé « l’autre loi de la jungle : l’entraide ».

Si on prend l’exemple des fourmis ou des rats : :

« Chez les rats ou les fourmis, il y a une sorte d’altruisme en famille, Il y a plusieurs types d’entraide dans le monde vivant. L’altruisme, c’est quand un individu se sacrifie pour sa famille. C’est le cas des ouvrières qui ne se reproduisent pas et qui participent donc à un super organisme pour le bien de leur famille. Et puis il y a de la coopération entre les lionnes, la chasse est une compétition, mais les lionnes coopèrent pour chasser. Il y a toujours un peu des deux. Et cela c’est au sein d’une espèce.

Mais il y a des milliers d’études désormais qui montrent la coopération entre les espèces. Les scientifiques appellent cela <les mutualismes>. C’est la pollinisation, la dispersion des graines, les oiseaux qui nettoient les tiques de certains mammifères, il y énormément d’exemples. Et nous avons voulu englober toute la diversité de ces manières de s’associer par le terme la « symbiodiversité ». Chez les humains aussi il y énormément de mécanismes très fins qui font appel à l’empathie, la réciprocité, la réputation, des normes sociales, des institutions, c’est très complexe parce que chez les humains il y a aussi une couche culturelle. Couche culturelle qui existe aussi chez les primates ou les orques. Nous avons tout un éventail de mécanismes et de processus évolutifs.

L’idéologie ambiante de l’hyper compétitivité n’est pas du tout représentatif du monde vivant. Gauthier Chapelle et moi-même avons une sensibilité du monde vivant, de naturalistes, ce n’est pas cela que l’on observe dans la nature.

On n’aurait même pas dû avoir à l’écrire ce livre, on devrait l’apprendre dès la maternelle. On naît dans un bain idéologique qui fait que l’on prend la compétition l’agression pour une donnée naturelle. »

Il ne s’agit pas de sombrer dans une vision utopique de bisounours car Servigne reconnaît que l’homme naît à la fois égoïste et altruiste mais qu’on ne peut ignorer la seconde qualité et que c’est à nous de faire bouger le curseur vers la position qui nous semble la plus pertinente.

«[Nous sommes à un moment où il existe] une opportunité de renaissance. Ce livre n’apporte pas un modèle de société. Ce que j’aime c’est de provoquer des déclics comme moi j’en ai eu à la lecture de tous ces travaux scientifiques. Des déclics qui font des fissures dans notre imaginaire, notre imaginaire ultra compétitif. […]»

Des fissures dans notre imaginaire ultra compétitif !

Il explique ainsi que le cœur du social ce n’est pas du tout le marché ou le dilemme du prisonnier mais c’est vraiment le don et la réciprocité. Mais la réciprocité entre personnes ne suffit pas, car elle peut se diluer dans un grand groupe où l’anonymat règne. Pour stabiliser l’entraide, les humains ont trouvé des mécanismes comme la réputation (je vais coopérer avec cette personne parce qu’elle a bonne réputation et lui j’ai entendu dire que c’est un tricheur qu’il est égoïste, je ne vais pas coopérer avec lui)  Le mécanisme de la réputation est un des ciments de la société, c’est fondamental dans le fait social. Après il y a les normes sociales et la punition des tricheurs… Tous les principes moraux qui font société commencent par cette règle de punir les égoïstes et les tricheurs et récompenser les comportements pro-sociaux.

Mais la pensée de Pablo Servigne est d’une grande lucidité :

«Il y a aussi des écueils à l’entraide. On peut s’entraider pour massacrer ses voisins. Et plus on soude un groupe, plus il y a un risque d’exclusion de ce qui n’appartient pas au groupe. […] Pour souder un groupe on peut créer un ennemi commun.»

Mais il semble que les études scientifiques ont montré que les groupes aussi peuvent s’entraider comme les individus à l’intérieur d’un groupe.

Ainsi nous pourrions espérer que la question du climat pourrait fédérer les humains contre un ennemi commun : le dérèglement climatique. Mais pour l’instant cela a l’air compliqué en raison des différences de taille et d’intérêt entre les acteurs qui négocient.

Il conclut l’émission :

« C’est une boutade de dire que nous arrivons dans l’âge de l’entraide, cela ne signifie pas du tout que nous arrivons dans l’âge des bisounours.
Cela peut être difficile, cela peut être très conflictuel. Mais le pari d’une transition [..] c’est le fait de créer une culture de l’entraide, de coopération par anticipation.
Parce que le problème ce n’est pas vraiment les pénuries, cela fait des centaines de milliers d’années que les humains gèrent les pénuries. Le problème c’est d’arriver dans les pénuries et les tempêtes qui s’annoncent avec une culture de l’égoïsme. Et c’est là qu’on risque de s’entretuer. […] Et l’entraide doit s’élargir au monde vivant non humains si nous voulons continuer à vivre longtemps sur cette terre. »

Le problème c’est d’arriver dans les pénuries et les tempêtes qui s’annoncent avec une culture de l’égoïsme !

Matthieu Ricard commente ainsi ce livre :

« La coopération a été, au fil de l’évolution, beaucoup plus créatrice de niveaux croissants de complexité que la compétition. Il ne fait aucun doute que l’entraide est omniprésente dans la nature. Chez les humains, elle est l’une des manifestations les plus directes de l’altruisme. Elle mène au double accomplissement du bien d’autrui et du sien propre. L’étude pénétrante de Pablo Servigne & Gauthier Chapelle, qui dresse le portrait de cette autre « loi de la jungle », est donc plus que bienvenue à une époque où nous avons tant besoin de favoriser la coopération, la solidarité et la bienveillance, pour construire ensemble un monde meilleur. »

Etes-vous en mesure d’accepter de fissurer votre imaginaire ultra compétitif ?

Il me semble tout à fait convaincant de dire que l’éventail du vivant révèle que l’entraide est absolument partout, qu’elle fait partie des instincts humains, mais aussi qu’elle est là depuis la nuit des temps. Tout le monde est impliqué́ dans des relations d’entraide. Même les plantes, les animaux, les bactéries. Même les économistes. Mais notre société n’a pas voulu voir que dans la jungle, en réalité́, il règne un parfum d’entraide.

SI vous n’êtes toujours pas convaincu…

Napoléon disait un dessin vaut mieux qu’un long discours. Aujourd’hui, il remplacerait le mot dessin par vidéo.

Aller donc voir <cette vidéo filmée> dans le zoo de Budapest : Vous verrez un immense ours et un corbeau qui est tombé dans le bassin d’eau de l’ours. Ce corbeau essaye désespérément de sortir de l’eau et n’y parvient pas, il va mourir. L’immense ours s’approche, il va l’écraser probablement. Eh bien non, il plonge son bras dans l’eau, s’empare du corbeau et le sort du bassin et puis s’en retourne tranquillement manger. Pourquoi a-t-il fait cela ? Quel bénéfice en tire t’il ?

Il montre simplement aux humains figés dans nos certitudes que l’entraide toute simple entre les êtres vivants franchit la barrière de l’espèce.

Je vous rappelle aussi <le mot du jour du 22 septembre 2017> où une vidéo montrait une lionne qui épargnait un bébé gnou.

Peut-être pourriez aussi vous intéresser au « microbiote intestinal humain » où des milliards d’êtres vivants collaborent, sans organisation pyramidale, pour nous aider à vivre et à digérer.

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Jeudi 7 décembre 2017

« Les pandas n’ont pas un mauvais fond, c’est encore pire : ils n’ont pas de fond du tout. »
David Plotz

Déjà nos vacances avaient été occupées par les médias qui nous racontaient par le détail la naissance d’un bébé panda au zoo de Beauval.

Voilà qu’il y a deux jours, nous avons eu droit à un nouvel épisode où l’épouse de notre Président de la République, Brigitte Macron, est allée solennellement baptiser le bébé panda du zoo de Beauval prêté par la Chine.

Si vous voulez en savoir davantage, il faut lire cet article <du Figaro> qui décrit cette visite avec précision et montre même la rencontre entre Madame Macron et le panda Yuan Meng, en français «la réalisation d’un rêve» en vidéo. Vous verrez ainsi Brigitte Macron un peu décontenancé par l’agressivité de ce petit animal si mignon. Elle était accompagnée et encouragée par Jean-Pierre Raffarin.

Le panda !

Est-ce vraiment un animal si mignon ? Gentil ? Bref la version vivante de la peluche, le doudou de notre enfance ?

<A la naissance de Yuan Meng, Slate avait publié une ancienne tribune> parue en 1999 dans laquelle David Plotz, journaliste puis rédacteur en chef de Slate.com, avait commis une nécrologie de Hsing-Hsing, panda géant offert aux États-Unis par le gouvernement chinois.

Je livre ce témoignage :

« Hsing-Hsing et moi, nous avons grandi ensemble. Je suis arrivé à Washington fin 1970, j’étais un bébé de six mois. Il a fait son entrée au Parc zoologique national un an plus tard. Enfant, avec ma famille, j’ai rendu visite à Hsing-Hsing et Ling-Ling, sa compagne de cellule, plus souvent qu’à mon tour. Ces six dernières années, j’ai été son voisin et une semaine s’est rarement écoulée sans que j’aille courir ou me promener dans les environs du zoo. D’ourson, j’ai vu Hsing-Hsing mûrir et devenir un panda géant et j’ai suivi, avec toute l’attention du monde, ses tribulations reproductives avec Ling-Ling.

Je connaissais ce panda. C’est donc du fond de mon cœur que je peux dire: bon débarras, sale demi-ours.

Ce qui fait de moi un cas isolé. D’ordinaire, Hsing-Hsing et Ling-Ling, morte en 1992, étaient du genre à faire hurler d’amour. Au moment de sa disparition, Hsing-Hsing était l’un des animaux les plus célèbres au monde. Plus de 60 millions de personnes lui avaient rendu visite durant sa détention à perpétuité au zoo de Washington. Une pandaphilie qui allait même transformer le Washington Post en organe de propagande. Selon les nécrologies, Hsing-Hsing «enchantait» et «captivait» les visiteurs. Il était un merveilleux «diplomate» entre la Chine et les États-Unis. Il était le plus «gentil», le plus adorable, le plus «câlin» de tous les animaux. «Il n’y aura jamais trop de peluches dans le monde», se lamenta le quotidien dans son hommage.

Pour George Schaller, éminent biologiste spécialiste de ces créatures, les pandas géants sont les animaux symboliques parfaits. Avec leur belle fourrure, leur démarche pataude et leur tête d’abruti, ils semblent incarner l’innocence, l’infantilité et la fragilité. Et c’est aussi l’image que les militants de la protection des espèces menacées leur ont soigneusement cultivée. Reste que sous ces abords affables se cache un ennui mortel. Tant qu’à anthropomorphiser ces bestioles, autant faire preuve de réalisme. L’idée que les pandas seraient mignons et géniaux est absolument ridicule.

Les pandas n’ont pas un mauvais fond, c’est encore pire: ils n’ont pas de fond du tout. Ce sont les animaux les plus emmerdants que vous puissiez imaginer. Ils sont profondément antisociaux et détestent les interactions, que ce soit avec des humains ou leurs congénères. Toutes les fois où j’ai pu me rendre dans leurs quartiers ou devant leurs cellules, jamais je ne les ai vus faire preuve d’espièglerie, d’affection, d’énergie ou même de violence. Par rapport à n’importe quel animal de zoo –les singes, les félins, les phoques, les chiens de prairie ou les serpents–, les pandas sont plus chiants que la pluie. Leur existence n’est qu’une longue et pénible plage de neurasthénie. Ce sont des mollusques à poils. Ils sont atrocement paresseux, tellement qu’ils rechignent à grimper aux arbres par peur de se fatiguer. Toute leur vie, ils ne font que dormir et manger du bambou. […]

En outre, Hsing-Hsing et Ling-Ling ne se contentaient pas d’être insipides, ils étaient mal-aimables. Le confinement déprime les animaux de zoo, et les pandas n’ont pas fait exception. Ils étaient plus proches du psychopathe que du doudou. Un jour, sans la moindre provocation, Ling-Ling a sauté sur un de ses soigneurs et l’a mordu à la cheville.

Et si les tentatives coïtales du couple ont été présentées comme un opéra-comique, elles relevaient davantage du film d’horreur. Au départ, Hsing-Hsing n’avait pas réussi à féconder Ling-Ling parce qu’il avait voulu pénétrer son bras et son oreille. (Une gaucherie peut-être due au fait qu’il n’avait jamais appris à copuler dans son espace naturel). Ensuite, le zoo de Washington était allé chercher à Londres un nouveau compagnon pour Ling-Ling. Il l’avait tabassée (trop bien, l’amabilité des pandas).

Après dix ans d’efforts, Hsing-Hsing allait enfin réussir à trouver le bon trou et, entre 1983 et 1989, Ling-Ling donna naissance à cinq petits, qui moururent tous en quelques jours. Pour l’un, parce que Ling-Ling s’était assise dessus. Un autre a visiblement succombé à une infection urinaire transmise par Ling-Ling. Selon les soigneurs, Ling-Ling s’était elle-même infectée en s’introduisant des carottes et des tiges de bambou dans l’urètre. Un comportement pas du tout névrotique.

[…] le zoo projette d’empailler Hsing-Hsing. C’est parfait. Qu’ils lui mettent des bambous dans les pattes et le collent dans son ancienne cage en disant qu’il s’agit d’un nouveau panda. Personne ne verra la différence. »

<Vous pouvez encore lire cet article qui donne 5 raisons de mépriser le panda>

On apprend dans cet article que la libido du panda est une véritable catastrophe. Non seulement plus de la moitié d’entre eux ne montre aucun intérêt pour le sexe, mais si l’envie de flirter leur vient, encore faut-il tomber au bon moment pour la femelle. Cette dernière n’est en effet sensible au charme du sexe opposé que deux jours, trois maximums, par an.

On apprend également qu’un Panda a failli tuer le Président de la République, Valéry Giscard d’Estaing qui avait voulu tester le caractère convivial de la bestiole.

J’ai aussi trouvé cette vidéo où on voit la manière avec laquelle cet animal paresseux devient brusquement hyperactif lorsqu’il s’agit d’embêter le personnel qui s’occupe de lui.

Bref un animal qui ne mérite pas sa réputation.

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Mercredi 11 octobre 2017

« Sur les modifications des nuages »
Luke Howard

Un scientifique,  Lamarck, avait proposé de nommer les nuages « diablotins », « coureurs », « demi-terminés ». Mais ce ne sont pas ces désignations qui ont été retenues.

Je ne le savais pas, mais la chronique d’Aurélien Bellanger du 6 octobre, sur France Culture le matin, me l’a appris.

C’est un anglais Luke Howard (1772-1864) qui a inventé le nom des nuages.

C’était un pharmacien et aussi un météorologue amateur. Cet homme leur a donné des noms, les noms que nous connaissons :


CUMULUS : Un cumulus (du latin cumulus «amas»), est un nuage de forme boursouflée appartenant à l’étage inférieur (base : 2 km d’altitude) mais peut s’élever jusqu’à l’étage moyen et atteindre ainsi plusieurs kilomètres d’épaisseur. Voir sur Wikipedia.

 

 

 

 

 

STRATUS : Un stratus est un genre de nuage bas dont la base se trouve à des altitudes inférieures à quelques centaines de mètres. Lorsque cette base touche le sol, cela correspond à du brouillard. Voir sur Wikipedia

 

 

 

 

 

 

CIRRUS : Le cirrus est un genre de nuage présent dans la couche supérieure de la troposphère (entre 5 000 et 14 000 mètres d’altitude, dépendant de la latitude et de la saison), formé de cristaux de glace. Ces nuages ont l’apparence de filaments blancs et ne causent pas de précipitations. On le compare souvent à des cheveux d’ange. Voir sur Wikipedia

 

 

 

 

 

Aurélien Bellanger :

«Un soir de décembre 1802, à Londres, Luke Howard prononce une conférence sur les modifications des nuages.

L’année suivante, le contenu de cette conférence est publié dans un essai illustré de poétiques gravures : modifications simples, intermédiaires, composées.

Le grand écrivain allemand Goethe est très intéressé, il veut rencontrer « l’homme qui sut distinguer les nuages ». Ils ne se rencontreront pas, mais ils s’écriront. Goethe conseillera ensuite aux peintres d’Allemagne du nord, ceux qu’il connaît bien, Carus, Caspar David Friedrich, de peindre des nuages « d’après Howard ». Friedrich, le célèbre peintre du Voyageur au-dessus de la mer de nuages, refusera : ce serait, dira-t-il, « la mort du paysage en peinture ». Mais dans le pays de Luke Howard, vers 1822, Constable ira chaque jour sur la colline de Hampstead peindre des « cloud studies » en nommant ses nuages d’après la classification de Howard. On pourrait s’arrêter là, sur cette belle alliance de la science et de l’art, sur ce moment européen où les nuages quittent le ciel divin pour devenir objet scientifique et esthétique : parfois, comme dans les tableaux de Constable, il n’y plus que des nuages, sans référent terrestre, sans personnage.

Mais l’histoire de la classification des nuages raconte encore autre chose.

La même année 1802, Lamarck, le « naturaliste » français, celui qui anticipa l’évolutionnisme, invente lui aussi, sans connaître Luke Howard, une classification de nuages, en français.

Il en invente même plusieurs, trois au moins : ses nuages s’appellent « diablotins », « coureurs », « demi-terminés », « en balayures », « en lambeaux »…

Pourquoi la classification de Howard l’a-t-elle emporté ? Parce que, dit-on, elle est en latin : langue alors transparente à la communauté scientifique. Je crois que ce n’est pas la bonne raison. Je crois que Lamarck a été pris de vertige devant ces formes mobiles, devant ce réel en perpétuelle transformation. Alors saluons Luke Howard qui, écrit Goethe dans son poème « En l’honneur de Luke Howard », « définit l’indéfinissable ».»

Il est toujours possible d’acheter le livre de Luke Howard « Sur les modifications des nuages » qui dans cette édition est suivie d’un essai de Goethe « La Forme des nuages selon Howard »

En 2003, Richard Hamblyn a écrit un livre sur Luke Howard qui a pour titre : « l’invention des nuages »

Et pour finir ce mot sur les nuages, je vous apprends probablement que l’Organisation météorologique mondiale a annoncé onze nouvelles espèces de nuages dont la moitié a des origines humaines plus que climatiques.

Vous trouverez des précisions derrière ce lien.

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