Jeudi 13 septembre 2018

« Un modèle économique marchand qui est la cause de tous ces désordres ?»
Nicolas Hulot qui n’a pas posé cette affirmation sous forme de question

Nicolas Hulot a démissionné du gouvernement le 28 août sur les ondes de France Inter.

Lors de cette émission, il a donné son point de vue et ses convictions.

Il a d’abord justifié sa démission parce que le gouvernement actuel de la France ne prend pas suffisamment en compte, selon son échelle d’exigence, l’urgence écologique et climatique.

Il s’est lancé dans un réquisitoire assez cinglant :

« Est-ce que nous avons commencé à réduire l’utilisation des pesticides ? La réponse est non.

Est-ce que nous avons commencé à enrayer l’érosion de la biodiversité ? La réponse est non.

Est-ce que nous avons commencé à nous mette en situation d’arrêter l’artificialisation des sols ? La réponse est non »

Il a dit son amitié pour le président de la république et le Premier Ministre mais a ajouté :

« Sur les sujets que je porte, on n’a pas la même grille de lecture. »

Il a aussi exprimé sa solitude :

« Ai-je une société structurée qui descend dans la rue pour défendre la biodiversité ? Ai-je une formation politique ? Est-ce que les grandes formations politiques et l’opposition sont capables de se hisser au-dessus de la mêlée pour s’entendre sur l’essentiel. »

Il a surtout donné des exemples concrets dont s’est félicité le gouvernement et qui selon lui sont à l’opposé de ce qu’il faudrait faire :

« Je me suis moi-même largement prononcé sur des traités comme le CETA et on va en avoir une floppée d’autres[…]

Où est passée la taxe sur les transactions financières ? […]

Le nucléaire, cette folie inutile, économiquement, techniquement dans lequel on s’entête.

Les grandes tendances demeurent. La remise en cause d’un modèle agricole dominant n’est pas là. On recherche une croissance à tout crin. Sans regarder ce qui appartient à la solution et ce qui appartient au problème. […]

Quand on se réjouit – ça va vous paraître anecdotique – de voir sortir de Saint-Nazaire un porte-conteneurs qui va porter 50 000 conteneurs. Superbe performance technologique. Est-ce bon pour la planète ? La réponse est non. […]

On se fixe des objectifs mais on n’en a pas les moyens parce qu’avec les contraintes budgétaires, on sait très bien à l’avance que les objectifs qu’on se fixe, on ne pourra pas les réaliser. Voilà ma vérité. »

Mais son avis le plus fort et le plus structurant est une dénonciation du système économique actuel :

« On s’évertue à entretenir voire à ranimer un modèle économique, marchand qui est la cause de tous ces désordres .

On n’a pas compris que c’est le modèle dominant [Le libéralisme ] qui est la cause. Est-ce qu’on le remet en cause ?»

Mais les libéraux ne sont pas d’accord.

Dominique Seux, Directeur délégué de la rédaction des Echos et chroniqueur économique sur France Inter a dit le lendemain, aussi pendant le 7-9 de France Inter :

« C’est clair : il faut refroidir l’économie, qui consomme et épuise trop d’énergies qui dégradent la nature et compromettent l’avenir de l’espèce humaine.

L’ami Thomas Legrand a été frappé par les porte-containers, on peut trouver plus absurde encore que l’on puisse traverser l’Europe en avion pour quelques dizaines d’euros parce que le kérosène est détaxé alors que le transport aérien émet du CO2.

Mais la question sous-jacente est de savoir si la transition énergétique, qui doit être plus rapide qu’on ne le pensait encore en 2015, peut se faire dans le cadre de l’économie de marché et -disons-le- du capitalisme.

La plupart des écologistes pensent que non, Nicolas Hulot aussi. On peut penser l’inverse. Avec de puissantes incitations et obligations, seul le capitalisme a les moyens d’investir, d’innover, de trouver les compromis entre la science et de nouveaux modes de vie. Ce sont des entreprises qui inventent et le solaire de demain et les véhicules électriques, dont on aura encore besoin pour se déplacer. »

Et c’est Daniel qui m’a signalé un article d’Eric Le Boucher avec lequel j’ai cru comprendre qu’il était d’accord : <Nicolas Hulot n’en serait pas là s’il avait développé une écologie applicable>.

C’est un article publié sur le site Slate.fr le 28 août 2018

Le journaliste pose la question d’une écologie non pas marquée par les quotas et les règlements imposés, mais alliée de la science, des technologies et de l’économie.

Il écrit :

«  Mais le problème est général. Les militants verts estiment que l’écologie doit être imposée «politiquement» à l’économie comme un objectif supérieur, celui de la préservation de la planète. De même que des militants de gauche considèrent que le capitalisme est intrinsèquement mauvais, les Verts idéologues croient l’économie intrinsèquement nocive. Certains vont jusqu’à penser que la solution ne sera trouvée que dans la décroissance, tous pensent que les entreprises doivent être légalement forcées dans la bonne voie.

Dès lors, le succès d’un ministre est mesuré au nombre de quotas, de règlements, d’interdictions, de lois qu’il sait faire passer dans son gouvernement contre «les lobbies» des agriculteurs (productivistes) et des industriels (pollueurs) et contre Bercy qui en est le porte-parole.

[…]

Plutôt que de crier contre l’échec du gouvernement et de se lamenter, les Verts feraient mieux de réfléchir sur le leur. Comment inventer une écologie alliée de la science, des technologies et de l’économie? Comment dépasser les slogans du type «l’écologie va engendrer à un nouveau modèle de croissance qui va créer des millions d’emplois»? Comment trouver des solutions concrètes, applicables »

Ce sont deux visions très différentes de la solution à construire.

En première analyse je suis plutôt en phase avec la position de Hulot, c’est le capitalisme libéral, son addiction à la croissance et son moteur de cupidité qui sont en contradiction avec l’objectif de sauver la vie des humains sur terre.

Mais si on prend un peu de recul, on peut légitimement s’interroger :

Le monde des humains a longtemps été régi par une litanie de règles et de contraintes imposées par les religions et ceux qui parlaient en leur nom.

Peu à peu le monde libéral a affranchi les hommes en leur donnant la liberté de créer, d’entreprendre, d’inventer.

Contre les excès du monde libéral s’est élevé le communisme qui a voulu contraindre, encadrer, planifier, normer.

Le résultat fut catastrophique.

Les communistes ont encore davantage négligé la nature que les libéraux (comme par exemple la mer d’Aral).

Et surtout ils ont anesthésié la liberté, en allant de plus en plus loin dans la brutalité, l’enfermement. Il n’y avait plus d’opposants mais des dissidents qui étaient considérés comme fous qu’on devait soigner dans des hôpitaux psychiatriques.

Alors imaginons un monde de contraintes, de normes, de règles avec pour objectif cette noble cause de sauver l’espèce humaine.

On trouvera certainement un Staline écologique, entourés de soldats fidèles. Tous ceux qui ne suivront pas les règles édictées seront forcément fous, comment ne pas se soumettre à la cause suprême de la survie des humains ?

Alors, je ne rejetterai pas si vite la voie libérale, même si je ne partage pas l’enthousiasme dans les vertus du marché libre et non faussé que défendent Dominique Seux et Eric Le Boucher.

<1108>

Mercredi 12 septembre 2018

« Le citoyen ordinaire a deux cartes très importantes en main : sa carte d’électeur et sa carte bancaire. »
Frank Courchamp

Lors de la COP23, la 23e conférence des Nations Unies sur les changements climatiques qui avait été organisée conjointement par les iles Fidji et l’Allemagne du 6 novembre au 17 novembre, 15 000 scientifiques de 184 pays ont signé un appel contre la dégradation de l’environnement qui a été publié dans la revue Bio Science de l’Université d’Oxford, le lundi 13 novembre.

Je m’en étais fait l’écho, lors du mot du jour du 20 novembre 2017 où je citais le climatologue allemand et fondateur de l’institut de Potsdam de Recherche sur le climat, Hans Joachim Schellnhuber : «La théorie des 3D : Désastres, Découvertes, Décence.»

Dans le journal du CNRS, Frank Courchamp, directeur de recherche au CNRS, revenait sur cet appel d’une ampleur inédite.

Frank Courchamp a d’ailleurs participé à la diffusion de cet appel:

« C’est effectivement du jamais-vu. La première mise en garde de ce genre, formulée en 1992 à l’issue du Sommet de la Terre à Rio, n’avait rassemblé que 1 700 signataires dont, il est vrai, une centaine de prix Nobel. Le présent manifeste a été rédigé par huit spécialistes internationaux du fonctionnement des écosystèmes […]. Il a été initié par le biologiste de la conservation américain William Ripple, qui a mis en évidence le déclin dramatique de presque tous les grands carnivores et tous les grands herbivores, des animaux qui jouent pourtant un rôle crucial dans l’équilibre des milieux naturels. William Ripple m’a contacté le 20 juillet et m’a demandé de relayer ce cri d’alarme, notamment en France, ce que j’ai fait. Au total, pas loin d’un millier de chercheurs français (soit un quinzième des signataires) ont souscrit à cet appel. »

Frank Courchamp signale que si des progrès ont été malgré tout accomplis depuis 1992, mais que sur des points essentiels le compte n’y est pas:

«  L’interdiction des chlorofluorocarbures (CFC) et d’autres substances appauvrissant la couche d’ozone a eu des effets très positifs. De même, des points ont été marqués dans la lutte contre la famine et l’extrême pauvreté. Mais qu’il s’agisse des forêts, des océans, du climat, de la biodiversité…, les trajectoires que nous avons prises sont très préoccupantes et nous mènent dans le mur.

La plupart des indicateurs qui étaient dans le rouge il y a un quart de siècle ont viré à l’écarlate.

On continue de détruire les forêts à un rythme effréné. 120 millions d’hectares ont été rayés de la carte depuis 1992, essentiellement au profit de l’agriculture.

Les « zones mortes » (dépourvues d’oxygène), dans les océans, ont explosé de 75 %, tandis que l’eau potable disponible dans le monde par tête d’habitant a diminué de 26 %. Les émissions de dioxyde de carbone (CO2) et les températures moyennes du globe se sont encore accrues.

Une proportion énorme des mammifères, des reptiles, des amphibiens, des oiseaux et des poissons a disparu.

Sans oublier qu’une étude, trop récente pour avoir été mentionnée dans l’appel, vient de montrer qu’en moins de trois décennies, les populations d’insectes volants (bourdons, libellules, papillons et autres diptères) ont chuté de près de 80 % en Europe et sans doute au-delà. »

Il y a d’une part la question de notre système économique basé sur une consommation toujours croissante et puis se pose la question démographique.

Evidemment cette question pose grand débat.

La Chine est revenue sur sa politique de l’enfant unique.

Et il est vrai que certains témoignages de famille chinoise révélaient la brutalité et l’inhumanité de cette règle rigide.

Mais le constat est implacable :

« Le nombre d’êtres humains a augmenté de 35 % en 25 ans, ce qui est incroyablement élevé. Nous sommes de plus en plus nombreux et nous consommons trop. Or, nous vivons sur une planète aux ressources finies qui ne peut pas répondre aux besoins alimentaires, entre autres, d’une population infinie. La Terre ne pourra jamais nourrir plus de 15 milliards de bouches, même à supposer que nous mettions fin à la surconsommation actuelle, que nous répartissions mieux les ressources et que d’hypothétiques progrès agricoles et des sauts technologiques se produisent.

À la charnière du XVIIIe et du XIXe siècle, Malthus, qui a été beaucoup critiqué pour cela, affirmait que si les populations humaines ne se régulent pas d’elles-mêmes, la Nature s’en charge à coups de guerres, d’épidémies et de famines. L’équation est on ne peut plus simple : dans n’importe quelle population de n’importe quelle espèce, quand il y a trop d’individus, ceux-ci se retrouvent confrontés à des problèmes qui les forcent à réduire leurs effectifs.

Ce n’est pas une question de religion ou d’idéologie, mais un problème de ressources disponibles. Il est important que certains pays en développement prennent conscience de l’importance de réduire leur croissance démographique. Ceci devrait passer, comme le préconise notre appel, par une plus grande généralisation du planning familial et des programmes d’accès à l’éducation des filles. »

Ce week-end un certain nombre de manifestations ont eu lieu en France et même dans le monde. En France, elles ont été provoquées par la démission de Nicolas Hulot.

Les signataires du manifeste appelaient justement de leurs vœux « un raz-de-marée d’initiatives organisées à la base ».

Et Frank Courchamp explique que :

« Le mouvement doit venir de Monsieur et Madame Tout-le-Monde. Une multitude d’initiatives individuelles et de micro-actions quotidiennes peut avoir un effet décisif, tout simplement parce que nous sommes des milliards.

Les politiques, dont l’agenda dépasse rarement l’horizon de la prochaine élection, mais qui sont sensibles aux pressions, suivront le mouvement, tout comme les acteurs économiques. J’ai l’habitude de dire que le citoyen ordinaire a deux cartes très importantes en main : sa carte d’électeur et sa carte bancaire.

Faire des choix de consommation judicieux comme acheter moins d’huile de palme, moins de viande, moins d’emballages…, conduira les industriels à produire moins d’huile de palme, moins de viande, moins d’emballages…, et améliorera l’état de la planète. »

Le scientifique n’a pas de doute sur la conclusion si la société des hommes ne parvient pas à faire évoluer son modèle de consommation, sa capacité à préserver et à réintroduire de la biodiversité enfin à diminuer l’utilisation moyenne des énergies fossiles par habitant.

«  La bonne nouvelle, c’est que la biodiversité repartira. Les modèles prédisent qu’il faudra à peu près un million d’années pour qu’elle retrouve son niveau d’avant cette sixième extinction de masse imputable à l’Homme. La mauvaise nouvelle, c’est qu’il n’y aura très probablement plus de sociétés humaines pour contempler le spectacle. Les toutes prochaines générations vont donc nécessairement rentrer dans l’Histoire puisque, soit elles parviendront à stopper la destruction de l’environnement, soit elles en subiront les conséquences de plein fouet et ne s’en relèveront pas. »

<1107>

Mardi 11 septembre 2018

« L’urbanisation a transformé radicalement la société française »
Michel Lussault

Michel Lussault, est Géographe et professeur d’études urbaines à l’École Normale Supérieure de Lyon (ENS). Il dirige l’École Urbaine de Lyon (EUL) qui a été créée en juin 2017 dans le cadre du Plan d’Investissement d’Avenir (PIA2) par le Commissariat Général à l’Investissement (CGI).

Sur la page d’accueil du site de cette école on lit la description suivante :

« A travers son projet interdisciplinaire expérimental de recherche, de formation doctorale et de valorisation économique, sociale et culturelle des savoirs scientifiques, l’École Urbaine de Lyon innove en constituant un domaine nouveau de connaissance et d’expertise : l’urbain anthropocène.

Aux défis mondiaux de l’urbanisation et de l’entrée dans l’anthropocène correspondent en effet à la fois de nouveaux champs de recherche et de formation, de nouvelles professions et compétences, mais aussi une mutation profonde de la pensée, des représentations, des pratiques et des métiers de la ville. »

Il a été interrogé par la revue : Horizons publics
qui se présente comme ayant pour objet d’étudier la transformation de l’action publique. Elle est éditée par la maison d’édition Berger-Levrault.

Le titre de l’article est : « L’urbanisation a transformé radicalement la société française »

Dans cet article il est question de l’anthropocène, cette ère géologique qui succède à l’holocène et à partir de laquelle l’influence de l’homme marque le système Terre dans son ensemble. Le changement climatique est des manifestations les plus prégnantes de l’anthropocène.

Michel Lussault explique :

« L’urbanisation a transformé radicalement la société française en même temps que le monde. C’est un changement qui a la particularité d’être local et global. L’entrée dans l’anthropocène est également un changement global. D’ailleurs, en américain, on disait « global change » avant de parler d’anthropocène. Ces deux changements ont des conséquences simultanées sur toutes les sociétés et à toutes les échelles. Mon souci est de penser l’entrecroisement de ces deux changements globaux : comment s’alimentent-ils l’un l’autre ? Quels effets ont-ils sur les individus, sur les territoires, en fait sur le monde et toutes les échelles intermédiaires ? Il n’y a pas de plus grande urgence que de penser ces grands changements pour comprendre ce qu’ils produisent aux plans économique, politique, culturel, environnemental, social, paysager, architectural, urbanistique, etc.

D’ailleurs, plus que de changement, il faut parler de véritables mutations, qui non seulement imposent de reconsidérer les manières classiques de penser les réalités sociales et territoriales, mais aussi les façons d’agir, d’habiter les espaces et d’envisager notre futur.

Les instituts Convergence [dont fait partie l‘EUL] qui se comptent au nombre de 10 en France ont été créés [pour] rassembler sur un même site des scientifiques de haut niveau pour traiter de manière innovante des questions d’intérêts scientifique et sociétal majeurs.

Chacune des thématiques traitées par ces instituts est dite de sciences-frontières : elles imposent de sortir des cadres académiques institués, de poser les problèmes scientifiques autrement en recourant par exemple à une interdisciplinarité radicale.

Celui de l’école urbaine de Lyon consacré aux mondes urbains anthropocènes en est une parfaite illustration.

On doit y fonder des types de savoirs pertinents pour rendre intelligibles les évolutions urbaines et anthropocènes contemporaines. Nous pensons que les sciences classiques, constituées depuis deux siècles, n’offrent plus les ressorts suffisants pour saisir convenablement la complexité des systèmes urbains anthropocènes. »

Vous pourrez vous reporter à l’intégralité de l’article.

Mais j’ai trouvé cette approche intéressante et positive par rapport aux questions que nous nous posons : comment continuer à vivre sur cette planète en acceptant ses limites tout en trouvant des solutions pour permettre d’élargir le champ des possibles.

La science d’aujourd’hui doit se différencier de la science d’hier, en portant aussi la même considération aux réalités humaines et non humaines que nous observons, dans le sens de certaines anthropologies inspirées de la sociologie des sciences de Bruno Latour.

La réalité est composée d’une grande variété de modes d’existence qui oblige à sortir de notre posture anthropocentrique.

Comment écouter les voix de l’ensemble des opérateurs d’une situation données et évitant que celle du chercheur autorisé ne couvre les autres ?

« Notre projet de recherche échouera si nous ne parvenons pas à embarquer le plus grand nombre de protagonistes pour produire des savoirs différents, dans toute leur richesse et leur pluralité, des savoirs qui changeront radicalement l’intelligibilité des réalités sociales. Mais nous échouons également si nous ne répondons pas aux questions « qu’est-ce que agir, quels sont les modes de faire, quels sont les modes d’action à inventer dans l’urbain anthropocène ? » Ce sont des questions auxquelles nous nous pourrons répondre qu’avec les acteurs territoriaux, des professionnels jusqu’aux quidams si je puis dire. « Qu’est-ce que agir ? » ne relève plus dans l’anthropocène de la seule professionnalité mais fondamentalement du politique. Cela débouche sur une double interrogation : comment un individu à travers ses actions contribue-t-il à rendre intelligible la réalité du monde urbain anthropocène ? Comment un même individu à travers ses actions contribue à faire en sorte que les sociétés humaines soient capables d’affronter les défis de l’urbain anthropocène ? »

Je retiendrai aussi cette invitation de « sortir de notre posture anthropocentrique »

Grâce à Nicolas Copernic nous avons pu sortir de la théorie erronée du géocentrisme qui pensait que notre terre était au centre de l’Univers pour entrer dans l’héliocentrisme qui montrait que la terre tournait autour du soleil.

Il reste que pour beaucoup ce géocentrisme a subsisté sous la forme de l’anthropocentrisme, la terre n’est peut-être pas au centre du monde, mais l’homo sapiens peut-être ?

En tout cas, un doute subsiste pour certains… Les religions monothéistes y ont beaucoup contribué.

Cette vision est totalement déraisonnable.

Homo sapiens ne peut rien sans la nature, sans les produits et ressources de notre terre.

Parler d’environnement n’est pas qu’une erreur, c’est une faute. Je veux dire une faute morale.

Parler d’environnement c’est justement se placer dans la croyance de l’anthropocentrisme où homo sapiens est au centre et ce qui l’entoure est l’environnement.

C’est une théorie aussi erronée que le géocentrisme.

Nous sommes dans la nature et la nature est en nous.

Cela n’enlève rien au génie de notre espèce mais si nous ne parvenons à nous réconcilier avec la nature et la terre et à rendre notre société des hommes compatible avec les ressources et l’équilibre de la nature, nous disparaîtrons.

<1106>

.

Lundi 10 septembre 2018

« Cette climatisation qui surchauffe la planète »
Michel Revol

Il a fait chaud cet été.

Pour certains, cette chaleur est insupportable.

Dans notre société moderne, individualiste et privilégiant le court-terme, la tentation est grande d’acheter une climatisation.

Vous trouverez, de manière assez humoristique cette vidéo sur Internet : <Comment les climatiseurs ont changé le monde>

Vous apprendrez que chaque seconde, dix climatiseurs sont vendus dans le monde. En 2050, on en comptera près de six milliards. Inventé en 1902 par l’ingénieur américain Willis Carrier, le climatiseur a profondément modifié nos sociétés contemporaines. L’industrie culturelle, d’abord, en accompagnant l’âge d’or du cinéma hollywoodien. Les entreprises se sont ensuite équipées en masse, la climatisation étant réputée augmenter la productivité des salariés.

S’il a fallu attendre les années 1950 pour que les climatiseurs entrent dans les ménages américains, ils représentent aujourd’hui, aux Etats-Unis, une dépense énergétique équivalente à celle du continent africain tout entier.

Arrêtons-nous un instant sur ce constat :

« La dépense énergétique des ménages américains sur l’unique consommation dû aux climatiseurs est équivalente à celle du continent africain tout entier ! »

Et nous savons que c’est une autre dimension de la mondialisation : les africains veulent vivre comme les américains.

Nous savons aussi qu’au milieu du monde des chiffres pervers, il en est qui sont davantage sérieux et fiables. C’est le cas de ceux la démographie.

Les États-Unis comptaient 325 millions d’habitants en 2016. Mais selon <Wikipedia>, l’accroissement naturel du pays est de 0,81 %. Donc même avec l’immigration la démographie des Etats-Unis devraient rester stable à moyen terme.

Or l’Afrique comptait déjà 1,2 milliard en 2016, soit plus de 4 fois la population états-uniennes. Et selon les projections démographiques, dans les années 2050 la population de l’Afrique se situera entre 2 et 3 milliards puis 4,4 milliards en 2100.

La terre qui permettrait aux africains de se climatiser comme les américains n’existe pas !

Le problème dépasse bien la seule question de la climatisation pour s’étendre à l’ensemble du spectre de la consommation, des transports, de l’alimentation etc.

Mais pour ce mot du jour restons sur le sujet de la climatisation.

A l’heure d’aujourd’hui, le remède de la climatisation pour lutter contre la canicule est dévastateur.

Michel Revol a publié dans le Point un article qui a pour titre : « Cette clim qui surchauffe la planète »

Il écrit :

« C’est ce qu’on appelle un cercle vicieux : non seulement, à raison de 0,5 à 2 degrés, la climatisation réchauffe les villes en rejetant dans les rues de l’air chaud, mais elle participe aussi à élever la température de la planète en consommant beaucoup d’électricité, produite surtout par du gaz et du charbon, deux énergies fossiles – donc actrices de l’effet de serre. Et, puisque la planète se réchauffe du fait de la clim, il faut bien la faire fonctionner encore plus fort pour refroidir les magasins et les habitations. Impitoyable.

L’Agence internationale de l’énergie vient de s’alarmer du danger dans un rapport publié en mai dernier. Selon l’organisation, le nombre de climatiseurs devrait tripler dans le monde jusqu’en 2050. Il pourrait se vendre en moyenne un climatiseur toutes les quatre secondes d’ici à cette échéance, pour atteindre un total de 5,6 milliards de machines, contre 1,6 milliard aujourd’hui ! Cette flambée pourrait provoquer ce que l’AIE appelle un « cold crunch », un choc du froid : si rien n’est fait, la consommation d’énergie pour faire fonctionner les climatiseurs pourrait tripler d’ici à 2050. À ce niveau d’équipement, et si rien n’est fait, l’électricité nécessaire pour faire tourner ces équipements pourrait atteindre l’équivalent de la consommation actuelle de la Chine. Quant aux émissions de dioxyde de carbone dues à la climatisation, elles pourraient quasiment doubler d’ici à 2050 avec un milliard de tonnes supplémentaires – soit le volume de ce gaz rejeté chaque année par l’Afrique… »

Alors, bien sûr actuellement les équipements utilisés dans le monde sont peu performants et probablement que la technique pourra améliorer le rendement énergétique de ces appareils.

Mais globalement nous sommes confrontés à un problème technique de la conservation de l’énergie qui fait que si vous voulez refroidir un endroit vous allez en réchauffer un autre.

Il apparait clairement que la climatisation n’est pas la solution.

Une des solutions serait de créer des villes végétalisées..

Et aussi de rénover ou de construire des bâtiments qui deviennent ou soient thermiquement isolés.

Ces solutions ne sont pas individualistes et ne sont pas à court terme.

<1105>

Vendredi 2 mars 2018

« Imhotep est mort »
Le chat qui a inspiré Joann Sfar pour ses BD : « Le chat du rabbin »

Aujourd’hui je vais vous parler de chats. Mais je préviens : la fin de cet article n’aura rien à voir avec le début.

Les chats sont les héros des réseaux sociaux. Des femmes et des hommes du monde entier passent une partie de leur temps à interagir avec des chats, à les filmer et à publier ces films sur internet

<Dansons la capucine> 12 millions de vue !!

<Et puis il y a des compilations…> en voici une vue 49 millions de fois.

Et … il y a le chat du rabbin

Le Huffington Post nous apprend que, le chat de Joann Sfar qui lui a inspiré ses planches « Le chat du rabbin » est mort.

Le dessinateur a annoncé la nouvelle sur ses réseaux sociaux, vendredi 23 février.

Dans le Parisien Joann Sfar confie :

« Il vivait aujourd’hui avec mon ex-compagne et mes enfants. Mais je le voyais souvent… Il a été un compagnon fidèle pendant 18 ans »,

La famille Sfar avait adopté en 2000 ce félin de race Orientale, long, maigre, aux oreilles en pointe.

« Nous sommes allés chez une éleveuse. J’avais un grand manteau et ce chat a quasiment sauté dans ma poche. C’était le plus moche et le plus étrange chat que j’avais jamais vu… Je me suis dit, c’est celui-là ».

Le chat du rabbin est un chat très particulier il parle la langue des humains.

Son maître est un rabbin, c’est pour cela qu’il s’appelle ainsi.

Mais cette manière de présenter les choses est ethno-centrée, c’est-à-dire exprimée dans le monde des hommes. Car un chat n’a pas de maître, un chat est libre. Dans le référentiel des chats, il serait plus juste d’écrire : « L’humain qui vit avec ce chat est un rabbin ».

Alors quand un chat qui pense et qui parle observe des humains monothéistes, c’est très drôle et très étonnant.

Nous en sommes à 7 albums, à des adaptations au théâtre et un film d’animation.

Moi je l’avais d’abord découvert par un feuilleton radio où en dix épisodes ses aventures étaient déclinées.

Ces émissions ne sont plus en ligne mais il reste la page de présentation :

« Le chat du rabbin n’est pas un chat comme les autres. Non seulement il est doué d’un esprit critique décapant dans cette Algérie du début du XXe siècle, mais en plus la faculté de parole lui vient après qu’il a soudain dévoré le perroquet de son maître. Le voilà plus décidé que jamais à utiliser son savoir et sa verve pour mieux faire vaciller les hommes dans leurs certitudes… et susciter l’admiration de sa très chère et ravissante maîtresse Zlabya.

Au fil de ses aventures, le chat va successivement affronter le rabbin du rabbin dans un duel théologique de haut vol faire la rencontre du légendaire cousin Malka et de son lion fidèle voir un jeune rabbin prétentieux lui ravir le cœur de sa maîtresse adorée ; croiser le cheikh Messaoud Sfar et son âne sur la route d’un pèlerinage découvrir Paris aux côtés de Raymond « El Rebibo », le neveu du rabbin venu faire carrière dans la capitale voir ressusciter un peintre russe idéaliste et partir avec lui aux confins du désert à la recherche de la Jérusalem d’Afrique…

Adaptée de la bande dessinée éponyme de Joann Sfar parue aux éditions Dargaud, Le Chat du rabbin est une fable colorée et truculente qui nous fait découvrir la culture juive séfarade à travers une pléiade de personnages aussi farfelus qu’attachants.»

Joann Sfar explique :

« J’ai vraiment eu l’idée de ces albums en l’observant. Avec ses grands yeux, il regardait tout le monde avec tellement d’intensité que l’on avait l’impression qu’il voulait parler. En plus, il miaulait tout le temps

[…] Il a été un compagnon fidèle pendant 18 ans, celui de mes histoires les plus intimes, glisse le dessinateur. Il s’est d’ailleurs passé une chose étrange la nuit dernière : une boîte à musique que j’ai chez moi ne marchait plus depuis des années. Et elle s’est mise en route toute seule. Je crois que c’était sa façon à lui de me dire au revoir

Oui, Je vais continuer [à le dessiner]. Fred, le dessinateur de Philémon me disait: ‘il y a des personnages qui finissent par se dessiner tout seul car ils ont une âme.’ Je crois que c’est le cas de mon chat du rabbin »

Un article de « la Croix » cité ci-après nous apprend que la domestication du chat, à partir de chats sauvages africains ou asiatiques, remonte à la préhistoire, à au moins 4 000 ans avant Jésus-Christ, au Proche-Orient et en Égypte. En France, sa présence est attestée à l’époque romaine mais elle ne s’impose dans les fermes qu’au Moyen Âge, pour y chasser les petits rongeurs.

Les chats sont donc mignons, drôle, intelligents, utiles et attachants.

Mais…

Si on réfléchit sur la présence des chats dans le monde, une sorte de géopolitique du chat on est surpris et la réalité apparaît un peu différente.

C’est la revue de Presse de France Inter du 27 février qui cite la <Croix>

«Un chasseur impitoyable aux yeux pourtant innocent, et qui tient en sa gueule le cadavre d’un merle noir. Le chat donc, ce carnassier que la Croix expose comme une menace pour la biodiversité…

Des dizaines milliards d’oiseaux, de reptiles, de petits mammifères exterminés chaque année sur le continent américain. En France, les chats font des millions de victimes chaque année: 13 millions et demi de chats domestiques plus quelques millions de chats errants, c’est trop pour des oiseaux déjà fragilisés par la disparition des insectes. Les moineaux parisiens ont quasiment disparu. Le chat a déjà rayé de la planète 63 espèces animales, et il faut donc le contrôler; stériliser les chats errants, comme en Belgique. Ne souriez pas…

La guerre contre les chats, est un enjeu planétaire.

En Australie, des robots aspergent les chats de poison, pour qu’ils meurent en se léchant. Mieux encore, on injecte des implants toxiques dans les proies du chat, qui meurt de sa gloutonnerie.

On lit cela dans Usbek et rica, qui raconte la lutte l’Australie contre les “espèces invasives”… Il n’y a pas que les chats et les Australiens pratiquent la guerre bactériologique, on mobilise contre les lapins des virus importés d’asie, le virus de l’herpès est  répandu dans les rivières pour exterminer une carpe indésirable. Les Néo-Zélandais, eux arrosent le paysage de pesticides pour détruire les mammifères qui menacent le kiwi.

Usbek et Rica donc. La civilisation dérape chez les apprentis sorciers que nous sommes, l’espèce humaine, qui extermine des animaux d’un côté, et de l’autre prend le deuil d’espèces menacées.

Dans l’article de la Croix on lit encore :

« Dans les jardins, le rouge-gorge, l’accenteur mouchet et le merle noir sont les victimes préférées du chat en embuscade. « Sous les mangeoires, les chats n’ont qu’à se mettre à table ! » Jean-François Courreau, fondateur du centre d’accueil de la faune sauvage à l’école vétérinaire de Maisons-Alfort, voit régulièrement arriver, parmi les milliers d’animaux apportés au centre de soins, des oiseaux blessés par des chats, des juvéniles fraîchement sortis du nid ou des adultes qui se regroupent en hiver autour des lieux de nourrissage artificiel, proies de choix pour les chats aux aguets.

« Ils survivent rarement à leurs blessures, la plupart meurent avant même d’arriver au centre », précise-t-il. Les chauves-souris – une cinquantaine apportée au centre l’an dernier – ont, elles, un taux de survie quasi nul. »

Et aussi :

« Pour l’écologue australien Tim Doherty de l’université de Deakin, le chat est, après le rat, l’espèce invasive la plus responsable de perte de biodiversité, tout particulièrement sur les îles où, une fois introduit, il ne fait qu’une bouchée des espèces endémiques naïves.

Ses travaux, publiés dans la revue de l’Académie des sciences américaine (PNAS) en septembre 2016, concluent à 430 espèces de mammifères, oiseaux et reptiles en voie d’extinction à cause du chat. »

<Ici vous trouverez l’article de la Croix évoquant la stérilisation en Belgique>

Car il faut savoir que :

«  la prolifération du chat est exponentielle. Il suffit de quatre ans pour qu’un couple donne une descendance de 20 000 chats ! »

En conclusion, il est donc possible de dire que les chats jouent un grand rôle dans la vie des humains. Toutefois qu’ils sont peut être trop nombreux sur la planète. En revanche que ce qui se passe en Australie et que relate le média Usbek et rica me semble extrêmement préoccupant.

Je ne finirai pas par la photo du chat tenant dans son bec un merle noir que vous trouverez dans l’article de la Croix mais la photo d’Imhotep que Joann Sfar a publié sur twitter.


 

 

 

 

 

 

 

<1028>

Lundi 26 février 2018

« Un homme est venu et a pris les empreintes digitales de tous les villageois. Il nous a dit que les entreprises d’extraction de sable avaient le droit d’opérer dans cette zone et que cela ne servait à rien de protester. »
Un employé d’industrie d’extraction du sable opérant à Koh Sralao au Cambodge

Ce n’est pas la première fois que j’évoque le problème d’une ressource qui devient rare et qui est surexploitée dans le monde : Le sable

J’avais mis en exergue, une phrase de Coluche : «Les technocrates, si on leur donnait le Sahara, dans cinq ans il faudrait qu’ils achètent du sable ailleurs.» Cette phrase était d’ailleurs en contradiction avec l’article, car le sable du Sahara n’est pas utilisable pour les besoins de la construction et autres activités économiques dans lesquels les humains utilisent du sable. Dans ce mot du jour vous trouverez beaucoup de liens vers des émissions ou des articles montrant le problème écologique considérable qui est provoqué par cette surexploitation.

Aujourd’hui, je fais référence à un problème local qui se trouve au Cambodge dans un lieu appelé Koh Sralao selon l’article cité plus loin mais que j’ai trouvé avec l’orthographe suivante sur google maps :  « Koh Sralau ». C’est un village de pécheurs de crustacés et de cabanes sur pilotis, près d’une mangrove féerique où l’eau se mêle à la terre, mais ce paradis est un malheur, parce que le sol des rivières est tapissé de sable et que le sable de rivière, est l’ingrédient indispensable du capitalisme.

J’ai été informé sur ce sujet par la revue de presse de France inter <du 16 février 2018>

Revue de presse qui renvoyait vers un article très détaillé de la journaliste Julie Zaugg publié par le « magazine des Echos » le 15 février 2018. Article que vous trouverez derrière ce lien : <La guerre du sable>

J’en tire les extraits suivants :

D’abord une analyse assez générale sur l’exploitation du sable, notamment en Asie :

«La consommation de cette ressource est telle que s’est développé un vaste trafic. Des pays pauvres sacrifient plages et rivières pour alimenter la croissance de puissances émergentes. […]

Un jet d’eau brunâtre s’élance vers le ciel. Il sort d’un tuyau formé de morceaux de tube rouillés grossièrement assemblés. Deux barils vides, accrochés de part et d’autre, lui permettent de flotter. Cette structure de fortune, reliée à une plate-forme en bois sur laquelle s’activent trois ouvriers torse nu et en tongs, est alimentée par deux moteurs de tondeuse à gazon pétaradants. Elle aspire le sable au fond de l’estuaire, puis le rejette sur la berge. Une fumée noire et nauséabonde s’en échappe. Elle se trouve à quelques mètres au large de Koh Kong, cité cambodgienne nichée près d’une immense réserve naturelle abritant l’une des mangroves les mieux préservées d’Asie. Cette ville aux rues jonchées de déchets est devenue un des points chauds d’un vaste commerce de sable, dont les ramifications s’étendent aux quatre coins de l’Asie.

Produit par des siècles d’érosion, ce matériau est la ressource naturelle la plus utilisée au monde. « Chaque année, il s’en consomme entre 40 et 50 milliards de tonnes », note Pascal Peduzzi, un géographe qui a réalisé une étude dans le cadre du Programme des Nations unies pour l’environnement. Cette industrie, qui pèse environ 200 milliards de dollars par an, est en pleine effervescence, tirée par le boom de la construction en Asie. En Chine surtout : « Ce pays consomme 58% du sable extrait au niveau mondial, dit le chercheur. Entre 2011 et 2013, il a utilisé autant de ciment que les Etats-Unis durant tout le siècle dernier. » Le développement accéléré de cités tentaculaires comme Shanghai, Shenzhen ou Chongqing, les mégaprojets comme le barrage des Trois-Gorges et les centaines de milliers de kilomètres de route construits par l’empire du Milieu ces vingt dernières années… tous se sont nourris de gigantesques quantités de sable, composante principale du ciment, du béton, de l’asphalte et du verre. L’Inde voisine n’est pas en reste.

[…]

Si l’industrie de la construction absorbe 70% du sable extrait dans le monde, il a d’autres usages. Des micro-Etats, comme Singapour, Dubaï ou Hong Kong, s’en servent pour gagner des terres sur la mer ; les îles menacées par la montée des eaux, comme les Kiribati ou les Maldives, l’utilisent pour bâtir des digues ; Pékin le met au service de ses ambitions territoriales en rehaussant des îlots contestés en mer de Chine méridionale. « Il existe aussi une série d’applications industrielles, comme la fracturation de la roche pour en extraire du pétrole, la fabrication de puces informatiques, de panneaux solaires, de papier de verre, de détergents, de cosmétiques et de dentifrice », précise Pascal Peduzzi. Ces utilisations nécessitent une variété à base de silice, presque blanche et d’une grande finesse. En général, ce matériau n’est pas exporté sur de grandes distances, car ce ne serait pas rentable, vu son prix (entre 5 et 10 dollars la tonne). La majeure partie du sable utilisé en Chine et en Inde est ainsi extrait sur place. Mais quelques pays asiatiques – Cambodge, Myanmar, Bangladesh, Sri Lanka, Philippines – en ont fait une industrie d’exportation. Un choix lourd de conséquences pour leurs habitants et leurs écosystèmes.

Puis il y a la situation particulière du village de Koh Sralao :

L’eau salée a pénétré dans la mangrove – les arbres morts, aux racines blanchies par le sel, en témoignent. Le village de Koh Sralao apparaît au détour d’un méandre de la rivière. Des maisons sur pilotis, aux toits de tôle, reliées par des pontons en bois. Au sol, paniers à crabes, filets de pêche et crustacés qui sèchent au soleil. La ressource, ici, c’est le crabe. Mot Sopha, une jeune femme de 33 ans […] se remémore l’arrivée des mineurs : « Les barges sont apparues un jour et personne ne nous a expliqué ce qu’elles faisaient ici. Un peu plus tard, un homme est venu et a pris les empreintes digitales de tous les villageois. Il nous a dit que les entreprises d’extraction de sable avaient le droit d’opérer dans cette zone et que cela ne servait à rien de protester. »

On leur promet un hôpital, une route et une école… ils ne se matérialiseront jamais. Au début, les habitants de Koh Sralao se contentent d’observer l’étrange ballet de grues et de barges qui se déroule juste devant leur village. Très vite, ils comprennent que quelque chose ne tourne pas rond. « Avant leur arrivée, je ramenais trois filets remplis de crabes chaque jour, ce qui me rapportait 25 dollars environ, détaille le mari de Mot Sopha, […]. Aujourd’hui, je dois déployer dix filets et cela ne me permet pas de gagner plus de 20 dollars. »

La population de crustacés et de poissons dans cet estuaire s’est effondrée. De l’ordre de 70 à 90%, selon un rapport de l’Union internationale pour la conservation de la nature. En raclant le fond de l’eau, les grues soulèvent un plumet de boue et de sédiments qui étouffe la vie marine. « Cela décape aussi le fond, riche en nutriments », pointe Alejandro Davidson-Gonzales, le fondateur de Mother Nature. À Koh Sralao, l’impact a été dévastateur. « Nous gagnons moins d’argent et avons dû acheter plusieurs nouveaux filets, détaille Mot Sopha. Cela nous a obligés à emprunter 500 dollars. » Les prêts sont fournis par des villageois fortunés à des taux exorbitants, qui peuvent atteindre 30%. « La saison suivante, nous avons de nouveau dû emprunter 500 dollars, juste pour pouvoir payer les traites », dit-elle. À plusieurs reprises, la situation s’est tendue. Les habitants de Koh Sralao ont tenté, en vain, de chasser les mineurs, notamment après le décès de l’un des leurs lorsque son embarcation est entrée en collision avec une barge.

L’article évoque la corruption, la complicité des autorités politiques avec les industriels qui profitent de cette activité lucrative et destructrice de l’économie locale et bien sûr de la nature. Les berges des rivières s’effondrent :

« «Seak Ky, une femme de 36 ans aux bras ornés de bracelets dorés, vend du jus de canne à sucre le long de la route, à S’ang, un hameau au sud de la capitale. En février, elle a découvert une fissure dans le sol de sa cuisine. Quelques jours plus tard, en pleine nuit, la moitié de sa maison est tombée dans le Bassac, un bras du Mékong. « Tout s’est passé en moins de 30 minutes, raconte cette mère de trois enfants. Je n’ai eu le temps que de me saisir de quelques casseroles. J’ai perdu tout le reste. » Ce n’était pas la première fois. « J’ai dû déplacer ma maison quatre fois vers l’intérieur des terres, car plus de 20 mètres de berges se sont effondrées », livre-t-elle.

Sa demeure est désormais collée à la route. Une dizaine de maisons du village ont subi le même sort. En cause : une plate-forme munie d’un tuyau qui aspire le sable au milieu du fleuve, à une petite dizaine de mètres des habitations. Il y en a plusieurs autres le long de la rive. « Elles sont arrivées à l’été 2016, indique Ly Raksmey, un militant de Mother Nature. Le sable alimente un chantier de logements pour les fonctionnaires, à quelques kilomètres d’ici. » Lorsqu’on extrait du sable au milieu d’une rivière, cela en accélère le flux, favorisant l’érosion des berges et les inondations en aval. […]

À S’ang, la colère gronde. « Je n’ai reçu aucune compensation financière, s’emporte Seak Ky. On m’a dit que l’effondrement était dû à une catastrophe naturelle.»

C’est une catastrophe qui s’étend à beaucoup d’autres pays asiatiques :

« Le Cambodge n’est pas le seul pays ravagé par les effets de l’extraction de sable. En Inde, plusieurs ponts menacent de s’effondrer car leurs fondations ont été mises à nu. Des lacs et des rivières au Kerala ont vu leur niveau chuter dramatiquement, asséchant les puits aux alentours. La même chose s’est produite aux Philippines, au Sri Lanka et en Indonésie. Mais le pays le plus affecté, c’est le Myanmar. « L’extraction s’opère dans la rivière Irrawaddy, dans les estuaires du sud-est du pays et sur les plages de l’Etat du Rakhine, détaille Vicky Bowman, qui dirige l’ONG Myanmar Centre for Responsible Business. Résultat, les côtes marines ne sont plus protégées contre les tempêtes, les berges des rivières s’érodent et l’eau est devenue trouble. » Certains hôtels, sur la plage de Ngapali, ont commencé à s’effondrer. Et des bâtiments construits avec ce sable rempli de sel, tel l’hôpital de Sittwe, risquent aussi de s’affaisser. »

Il existerait pourtant des alternatives au sable :

« Il existe des solutions pour utiliser moins de sable. L’asphalte, le ciment et le verre se recyclent. En Grande-Bretagne, près de 30% des matériaux utilisés dans le BTP sont générés ainsi. « L’incinération de déchets produit une cendre très compacte qui peut servir à fabriquer des revêtements de parking ou des dalles », précise en outre Pascal Peduzzi, géographe affilié au programme des Nations unies pour l’environnement. Singapour se sert pour sa part de la terre excavée lors de la construction des lignes de métro pour gagner du terrain sur la mer. La cité-Etat a également lancé un ambitieux projet, inspiré par les polders néerlandais, pour agrandir l’île de Tekong, tout à l’est du territoire, de 8,1 km2. « Nous construisons un mur circulaire long de 10 kilomètres qui affleurera à 6 mètres au-dessus du niveau de la mer, détaille Wong Heang Fine, le PDG de Surbana Jurong, entreprise qui travaille au projet. L’eau retenue par cette digue sera ensuite drainée et nous pourrons construire directement sur le sol marin. » »

Homo sapiens continue sa folle quête de la croissance en prélevant des ressources de notre planète au-delà du raisonnable et supérieures à ce qu’elle est capable de régénérer.

Je vous redonne le lien vers l’article du magazine des Echos : <La guerre du sable>

<1024>

Vendredi 22 décembre 2017

« La vie secrète des arbres »
Peter Wohlleben

Le mot du jour va s’interrompre pour une sorte de trêve de Noël que je préfère à la formule « la trêve des confiseurs ».

Juste avant Noël, je voudrais partager avec vous un livre que nous avons acheté, Annie et moi, pour nous l’offrir « La vie secrète des arbres » de Peter Wohlleben

J’ai découvert Peter Wohlleben parce qu’il avait été invité aux « matins de France Culture » du 8 décembre 2017.

Peter Wohlleben est un ingénieur forestier qui a cherché à comprendre la forêt et à décrire la vie des arbres, tout en précisant souvent qu’il y a beaucoup de choses qu’on ne sait pas encore. Selon lui, les forêts ressemblent à des communautés humaines. Les parents vivent avec leurs enfants, et les aident à grandir. Les arbres répondent avec ingéniosité aux dangers. Leur système radiculaire, semblable à un réseau internet végétal, leur permet de partager des nutriments avec les arbres malades mais aussi de communiquer entre eux. Et leurs racines peuvent perdurer plus de dix mille ans…

Dans l’émission, Peter Wohlleben remet les choses en perspective et donne une leçon d’humilité aux hommes :

« Nous avons toujours considéré les arbres comme au service de l’humanité, qui produisent pour nous de l’oxygène. Ce n’est pas ça qu’ils font. Les arbres existent depuis 300 millions d’années, les hommes depuis 300 000 ans, les forestiers depuis 300 ans. »

Emission et recherches passionnantes !

J’ai trouvé une interview dans Libération où il explique son parcours et ce qu’il a appris et aussi compris grâce aux travaux des biologistes :

Enfant, Peter Wohlleben voulait protéger la nature. Devenu forestier, il s’est mis à martyriser les arbres, appliquant les consignes de son employeur, l’administration forestière d’Etat allemande. La forêt qu’il exploitait n’était qu’une source de matière première pour les scieries. Il en savait «autant sur la vie secrète des arbres qu’un boucher sur la vie affective des animaux», se souvient-il. Les visiteurs de sa forêt, située sur la commune de Hümmel, au sud de Bonn, ont tout changé. Leur émerveillement a réveillé sa passion et remis en cause sa façon de travailler.

Les arbres ont tant de facultés :

« Il y en a tant ! On sait qu’ils sont connectés les uns aux autres via les racines et nourrissent ainsi les plus faibles. Une étude de l’université de Vancouver a même montré qu’une «mère-arbre» peut détecter ses jeunes plants avec ses racines. On a mesuré qu’elle soutient davantage ces derniers. Les arbres décident bel et bien avec qui ils se connectent. Et ils ont une mémoire. En cas de sécheresse, le bois se déshydrate, se fissure. L’arbre blessé s’en souvient toute sa vie et change de stratégie dès le printemps suivant en réduisant sa consommation d’eau. Les vieux seraient même capables de partager cette information avec les plus jeunes, de les «éduquer». »

Nous apprenons donc que les arbres communiquent :

« Oui, ils peuvent avertir leurs congénères d’une attaque d’insectes, appeler à la rescousse les prédateurs des parasites. Les ormes se débarrassent des chenilles en émettant des substances attirant des petites guêpes qui pondent dans celles-ci. Les arbres sont capables d’identifier la salive des chenilles en la distinguant de celle d’un cervidé et ainsi adopter la stratégie de défense adaptée. Si c’est une biche qui les croque, ils envoient dans leurs rameaux des substances toxiques ou amères. Ce qui prouve qu’ils ont le sens du goût. Ils peuvent aussi «voir» la longueur des jours, «sentir» des messages olfactifs ou la température de l’air. Ils sont peut-être même dotés de l’ouïe : il a été prouvé que les racines de céréales émettent un son et que celles des plantes alentour se dirigent alors dans cette direction. »

Peter Wohlleben parlent aussi des nombreuses questions non résolues, par exemple de la mémoire :

« En premier lieu, où les arbres stockent-ils leur mémoire ? Ils n’ont pas de cerveau tel que le nôtre. Mais nous savons qu’ils stockent les connaissances acquises. Par exemple, ils comptent les journées chaudes au printemps pour éviter de fleurir trop tôt. Ils savent que trois jours chauds ne suffisent pas, qu’il faut encore attendre. Sans mémoire, chaque jour serait compté comme étant le premier. Ensuite, j’aimerais savoir s’ils communiquent sur d’autres sujets que les dangers détectés. Je rêve d’un dictionnaire chimique permettant d’analyser leurs messages olfactifs. Peut-être parlent-ils de la météo, de ce qu’ils ressentent. Notre nez peut déjà déceler certains signaux. Une odeur aromatique, l’été, dans les forêts de conifères signifie qu’ils s’avertissent : il fait trop sec, trop chaud, des insectes attaquent… Ces forêts sont le plus souvent plantées, donc vulnérables. Malgré la senteur agréable et même si nous n’en avons pas conscience, notre corps perçoit l’appel à l’aide. Des recherches ont montré que notre pression artérielle augmente dans ce type de forêts et baisse dans celles de feuillus intacts, qui échangent sans doute des signaux de bien-être. Nombre de visiteurs de notre réserve de hêtres me disent qu’ils s’y sentent chez eux, dans leur élément. »

Il insiste aussi beaucoup sur la solidarité qu’ils manifestent les uns à l’égard des autres. C’est encore la culture de l’entraide.

La journaliste de Libération lui pose la question de son excès d’anthropomorphisme pour parler des arbres. Il y répond simplement :

Quand j’ai commencé à animer des visites guidées, j’abordais des notions trop ardues, je décrivais les arbres sans langage imagé, les gens s’ennuyaient. J’ai appris à parler de façon compréhensible, en faisant appel aux émotions. Et on ne peut comparer qu’avec ce qu’on connaît. Quand je dis qu’une mère-arbre allaite ses plantules grâce à la connexion de leurs racines, chacun comprend.

Parce que bien entendu les arbres sont très différents des humains par exemple il communique de manière très différente de nous. Ils ne parlent pas mais cela n’empêche pas les arbres de communiquer. En émettant des substances odorantes, ils échangent chimiquement, et électriquement aussi. Il suffit de soulever un bout de terre en forêt pour découvrir des filaments blancs. Il s’agit d’hyphes de champignons, qui participent, avec les racines, à la transmission d’informations sur la sécheresse du sol, une attaque d’insectes ou tout autre péril. Ces fils, qui fonctionnent sur le même principe qu’Internet, forment un réseau souterrain si dense que des scientifiques l’ont baptisé le « Wood Wide Web ». Difficile de déterminer le type et le volume d’informations communiquées tant la recherche est embryonnaire sur le sujet.

Il aborde encore beaucoup d’autres aspects celui du temps des arbres qui n’est bien sûr pas celui des humains et celui de l’interventionnisme des hommes dans les forêts qu’il juge contre-productive :

« Moins on intervient, plus une forêt est équilibrée, saine, résistante aux maladies ou aux tempêtes. Protéger une forêt ne nous fait pas perdre en qualité de vie, au contraire. Seule l’industrie du bois y perd. L’idée n’est pas de les protéger toutes – nous en sommes d’ailleurs très loin : en Allemagne, à peine 1,9 % des forêts le sont. Car nous aurons toujours besoin de bois, ne serait-ce que pour produire du papier. Mais nous pouvons changer nos pratiques. Une forêt exploitée subit toujours des dommages, mais on peut les minimiser. Pour sortir les troncs, mieux vaut des chevaux de trait que des engins qui tassent le sol. Quand ce dernier est détruit, il l’est pour toujours et ne peut plus stocker assez d’eau. Il faut aussi bannir les pesticides, car un écosystème est comme une horloge : si vous en détruisez un rouage, il ne fonctionne plus. Or c’est ce que font les produits chimiques. […]

Le temps des humains ne correspond pas à celui des arbres. On veut des résultats rapides, d’où toutes ces plantations où les arbres grandissent vite mais sont fragiles. Restaurer une forêt primaire prend cinq cents ans. Cela paraît énorme, mais c’est la longévité normale d’un arbre. Or, quand vous laissez les forêts vieillir, elles régulent le climat. Leur microclimat local, mais aussi le climat mondial, en absorbant beaucoup de CO2. Des recherches ont été faites sur des forêts de hêtres. Les chaudes journées d’été, celles laissées intactes sont plus fraîches de 3,5°C en moyenne que celles exploitées. Les forêts peuvent nous aider à lutter contre le changement climatique, à condition que nous leur permettions de faire leur job. »

Un autre article rapporte la solidarité et la « la vie sociale » des arbres :

« Par ailleurs, l’arbre a tendance à créer des colonies. Sexué, dans la forêt, il distribue des graines autour de lui et parvient ainsi à se reproduire. Dans le même temps, ses racines grandissent et s’étendent alentour, permettant à ses descendants de pousser. Le Dr Suzanne Simard, professeur d’écologie forestière à l’université de la Colombie-Britannique, parle même d’«arbres-mères qui allaitent leurs enfants», leur assurant un approvisionnement régulier à travers les champignons mycorhiziens qui entretiennent des relations avec leurs racines. Ces champignons, véritables partenaires des arbres, poussent sous la surface du tapis forestier et créent des interconnexions, donc des échanges d’une plante à l’autre même lorsqu’elles appartiennent à des espèces différentes. »

Tout un monde ignoré. Un monde d’intelligence partagée et de solidarité.

Un film a été réalisé à partir du livre : « L’intelligence des arbres ».

Vous en trouverez un extrait <ICI> et vous pourrez enchainer sur 4 autres.

Le prochain mot du jour sera publié, sauf force majeure, le lundi 8 janvier 2018

<994>

Lundi 20 novembre 2017

«La théorie des 3D : Désastres, Découvertes, Décence.»
Hans Joachim Schellnhuber

Hans Joachim Schellnhuber est un physicien allemand, climatologue et fondateur de l’institut de Potsdam de Recherche sur le climat.

Il fut un des premiers scientifiques à avertir sur le danger du réchauffement climatique, il est connu comme père du concept de la limite de 2°C

Il était bien sûr à Bonn, à la COP23, la 23e conférence des Nations Unies sur les changements climatiques qui a été organisée conjointement par les iles Fidji et l’Allemagne du 6 novembre au 17 novembre. Il était déjà à la COP1 à Berlin en 1995

Après les espoirs de la COP 21 d’il y a deux ans à Paris, il y eut entretemps une COP 22 à Marrakech, les nouvelles ne sont pas bonnes.

Il y a bien sûr l’attitude irresponsable du Président des Etats-Unis mais aussi une nouvelle hausse de la production mondiale de CO2.

La situation est telle que 15 000 scientifiques de 184 pays ont signé un appel contre la dégradation de l’environnement qui a été publié dans la revue Bio Science de l’Université d’Oxford, le lundi 13 novembre. Vous trouverez une version française <ICI>. Cet appel rappelle qu’il y eut un premier appel il y a 25 ans. Il y a 25 ans, il n’était que 1500 scientifiques indépendants, dont la majorité des lauréats du prix Nobel dans les sciences qui avaient écrit l’avertissement des scientifiques du monde à l’humanité de 1992.

Ce nouveau texte base son analyse sur les évolutions de 9 indicateurs mondiaux, dont l’évolution est suivie depuis 1960 jusqu’à 2016.

Le site France Culture consacre une page « Alerte de 15 000 scientifiques » qui donne la liste des 9 indicateurs et renvoie vers plusieurs émissions consacrées à ces différents sujets.

Voici ces 9 indicateurs

1/ L’ozone stratosphérique : le seul indicateur au vert, grâce au protocole de Montréal (1987)

Ce qui prouve que si les humains agissent, ils ont la capacité de faire évoluer les choses

2/ L’eau douce : des ressources par habitant divisées de moitié par rapport à 1960

3/ La pêche : les limites d’une pêche soutenable sont dépassées depuis 1992

4/ Les zones mortes maritimes : plus de 600 en 2010. Les zones mortes maritimes, déficitaires en oxygène, voient la vie sous-marine asphyxiée (poissons, coraux…), dans des zones de plus en plus importantes, en taille et en nombre. Elles sont principalement dues au lessivage des engrais agricoles.

5/ La déforestation : une superficie de forêts de la taille de l’Afrique du Sud perdue entre 1990 et 2015

6/ Les espèces vertébrées : diminution de 58% entre 1970 et 2012

7/ Les émissions de CO2 : après une courte stabilisation depuis 2014, une nouvelle hausse

8/ La hausse des températures : les 10 années les plus chaudes depuis 136 ans ont eu lieu depuis 1998, c’est-à-dire au cours des 20 dernières années.

9/ La population : les humains pourraient être 11 milliards en 2100

Ces scientifiques qui plaident notamment pour la promotion de nouvelles technologies vertes et l’adoption massive des sources d’énergie renouvelables, considèrent aussi qu’il faut réviser notre économie pour réduire les inégalités et veiller à ce que les prix, la fiscalité et les systèmes incitatifs tiennent compte des coûts réels que les modes de consommation imposent à notre environnement.

Ils ont aussi cette proposition qui heurte un grand nombre de politiques et d’économistes qui dénoncent un retour aux théories de Malthus :

« Estimer une taille de population humaine scientifiquement défendable et durable à long terme tout en rassemblant les nations et les dirigeants pour soutenir cet objectif vital. »

La conclusion des scientifiques est préoccupante :

« Pour éviter une misère généralisée et une perte de biodiversité catastrophique, l’humanité doit adopter des pratiques alternatives plus durables sur le plan environnemental que les modalités actuelles. Cette prescription a été bien formulée par les plus grands scientifiques du monde il y a 25 ans, mais, à bien des égards, nous n’avons pas tenu compte de leur avertissement. Bientôt, il sera trop tard pour dévier de notre trajectoire défaillante, et le temps s’épuise. Nous devons reconnaître, dans notre vie quotidienne et dans nos institutions gouvernementales, que la Terre avec toute sa vie est notre seul foyer. »

C’est dans ce contexte que s’exprime Hans Joachim Schellnhuber :

« Le temps ne joue pas en notre faveur […]

Parfois je désespère. Vous vous levez le matin et vous vous sentez vraiment déprimé. Puis vous ouvrez votre ordinateur, vous regardez les nouvelles, et vous trouvez quelque chose qui vous redonne de l’espoir. Tant qu’il y a de l’espoir, il est de notre responsabilité d’expliquer encore et encore.
[…]
Mon moment […] a été quand j’ai réalisé que la machinerie planétaire – moussons, circulation océanique, écosystèmes… – ne fonctionnait pas de manière linéaire: vous avez de nombreux points de non-retour.
Prenez l’Antarctique, Si la barrière de glace est détruite, la glace arrive dans la mer. C’est comme déboucher une bouteille. En Antarctique il y a probablement une trentaine de ces « bouteilles », et on est en train de les déboucher les unes après les autres”.

Pourra-t-on tenir les 2°C quand les émissions de gaz à effet de serre continuent à croître?
Bien que le défi soit énorme, je pense que oui, si nous faisons tout notre possible. (Une étude récente) montre qu’on peut réduire un tiers des émissions en gérant mieux forêts et agriculture »

Il reste pourtant dans l’optimisme de la volonté car pour lui, le monde finira par agir plus fortement contre le réchauffement.

« “C’est ma théorie du « 3D »: désastres, découvertes, décence. Les gens auront peur, car des désastres naturels vont se profiler. Et il y aura des découvertes, comme aujourd’hui la révolution photovoltaïque, et d’autres, comme le bois « high tech » pour remplacer le ciment”, très émetteur. Enfin, la décence, l’instinct humain élémentaire: nous ne voulons pas la fin des îles Marshall, nous ne voulons pas tuer nos descendants !  »

Après la Seconde guerre mondiale, “nous avons choisi le mauvais modèle pour une vie heureuse : confort, consommation… Mais ce mode de vie ne nous rend pas plus heureux […]

Mon espoir est que la jeunesse a envie de casser ce modèle. Mon fils a 9 ans. Je suis sûr qu’à 15 ans il ne priera pas le Dieu de la croissance du PIB ! Je pense que nous pouvons espérer que les prochaines générations, pour qui nous essayons de préserver le climat, contribueront elles aussi à le sauver”.

Il est facile de critiquer les politiques, mais il serait plus juste probablement de parler de l’impuissance des Etats à agir tant sont nombreux les contraintes et les désirs contradictoires des concitoyens des gouvernants.

« L’esprit Public » de France Culture de ce dimanche a abordé ce sujet dans la deuxième partie de l’émission.

J’ai trouvé très pertinente une intervention de François-Xavier Bellamy que j’essaie de résumer :

« Nous sommes devant un problème de nos démocraties qui sont structurellement constituées pour répondre aux besoins des citoyens dans un temps court.
Dans le temps d’un mandat et dans un espace limité par des frontières.
La question que pose l’écologie est : comment nous pouvons ajuster nos politiques à un défi qui ne se limite pas à des frontières et qui par ailleurs engage le temps long et même le temps très long ?
Il n’est pas juste d’invoquer le poids des conservatismes, nous ne sommes pas assez conservateur à cause de ce culte de la vitesse [qu’impose notre société].

Nous avons construit notre économie sur l’idée du progrès, sur l’idée de l’accélération, sur l’idée du mouvement.
Nous ne cessons de remplacer en permanence les produits de consommation que nous achetons et auquel nous substituons des versions nouvelles.
Notre économie de la croissance et de l’invention est une économie du remplacement permanent.
C’est une anti économie. C’est une économie qui s’est retournée contre elle-même. L’économie, au sens le plus classique consiste à économiser.
Or, on ne peut plus rien économiser aujourd’hui.
Si vous acheter un smartphone et que vous décidez pour l’économiser de ne pas en faire trop d’usage, vous le ranger et vous ne vous en servez pas. Même si vous n’en faites rien, deux ans plus tard il ne vaudra plus rien.
C’est à dire sa valeur marchande s’est effondrée.

Contrairement à un tableau peint il y a plus de 500 ans par léonard de Vinci et qui a battu le record de vente des œuvres d’art.

En réalité, ce culte du progrès nous appauvrit terriblement.
Puisqu’il fait faner, dans nos mains, tout ce que nous avons construit et que nous avons acheté.
L’économie de la consommation est en réalité une économie de la destruction.
Littéralement, puisque consommer c’est détruire. Une économie qui mesure son taux de croissance à l’intensité de la destruction des biens qu’elle produit ne peut pas aboutir à autre chose qu’à la crise économique que nous connaissons aujourd’hui. »

Et il donne ce conseil :

« Pour être capable de transmettre à nos descendants un monde qui reste vivable, nous ferions bien de devenir un peu plus conservateur. »

Il faut s’entendre sur le mot conservateur. Mais je crois qu’il a raison au fond.

Nous devons aussi compter sur les découvertes qu’évoque Hans Joachim Schellnhuber pour garder l’espoir, sans penser que celles-ci pourront nous permettre d’éviter de remettre en question notre modèle consumériste.

<970>

Jeudi 29 juin 2017

«L’homme, en jouant ainsi avec cette machine si compliquée, la nature, me fait l’effet d’un aveugle qui ne connaîtrait pas la mécanique et qui aurait la prétention de démonter tous les rouages d’une horloge qui marcherait bien, pour la remonter à sa fantaisie et à son caprice. »
Eugène Huzar L’arbre de la science, Paris, Dentu, 1857

On oppose souvent notre temps, qui est en plein doute par rapport au progrès, au XIXème siècle où il semble selon la légende que tous croyaient au Progrès, comme Auguste Comte fondateur du positivisme et dont la citation : «Ordem e Progresso» « Ordre et Progrès » orne toujours le drapeau du Brésil.

Comme toujours la réalité est plus complexe, ainsi au XIXe siècle, en pleine révolution industrielle, un homme, avocat de métier, Eugène Huzar (1820-1890) écrivit deux essais : « La Fin du monde par la science (1851) » et « L’Arbre de la science (1857) » dans lesquels il .exprimait son scepticisme face à la science et à la technique des humains qui entendaient se rendre maître de la nature, et jouaient avec cette « machine si compliquée » sans la comprendre.

L’exergue est assez explicite !

J’ai découvert cet intellectuel dans l’émission de France Culture : la concordance des temps : http://www.franceculture.fr/emissions/concordance-des-temps/la-fin-du-monde-par-la-science-genese-dune-angoisse

C’est l’historien des sciences Jean-Baptiste Fressoz, maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris qui a découvert cet homme étonnant :

Son lyrisme et son exagération prêtent à sourire, mais certaines mises en garde résonnent comme des prophéties aujourd’hui.

http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actu-une-critique-du-progres-19065.php

Vous trouverez derrière ce lien : https://socio-anthropologie.revues.org/1566 une présentation par Jean Baptiste Fressoz de l’œuvre d’Eugène Huzar ainsi que les textes de cet homme surprenant.

Voici d’abord une introduction de Jean-Baptiste Fressoz

L’intérêt d’Eugène Huzar est de proposer la première philosophe catastrophiste de la technique. Dans deux livres curieusement oubliés, La fin du monde par la science(1855) et L’arbre de la science (1857), l’auteur synthétise les débats environnementaux et technologiques de son époque (la déforestation et le changement climatique, la vaccination et la dégénérescence de l’espèce humaine, les catastrophes ferroviaires etc.) pour objectiver d’une manière originale le progrès, non comme la maîtrise technique de la nature, mais comme la perte de maîtrise de la technique. Selon son système, l’humanité parcourt des cycles de progrès et de catastrophes la ramenant à un état de sauvagerie. Pour tenter de retarder la fin du présent cycle, Huzar propose d’établir une « édilité planétaire » chargée de veiller aux équilibres du globe.

Puis directement la prose d’Huzar.

D’abord son inquiétude devant « la cécité » de la science qui déclenche des effets qu’elle n’est pas en mesure de maîtriser :

« L’homme, en jouant ainsi avec cette machine si compliquée, la nature, me fait l’effet d’un aveugle qui ne connaîtrait pas la mécanique et qui aurait la prétention de démonter tous les rouages d’une horloge qui marcherait bien, pour la remonter à sa fantaisie et à son caprice.

Mais, me dira-t-on, ce que fait l’homme par rapport à la nature, ne peut-on le comparer à une simple égratignure faite à l’épiderme d’un homme vigoureux et bien portant ? Je le veux bien ; mais qui ne sait pas que, selon les occasions, par exemple au pied, une simple égratignure donne la mort. Voyez plutôt ce qui a lieu sous les tropiques. […]

Je comprendrais, encore une fois, qu’un sauvage de l’Amérique du Sud, qui n’aurait jamais quitté sa forêt, vînt me dire que la terre est infinie, et que l’homme, par conséquent, ne peut la troubler.

Aujourd’hui, avec la science, la proposition est entièrement renversée : c’est l’homme qui est infini, grâce à la science, et c’est la planète qui est finie. L’espace et le temps n’existent plus par la vapeur et l’électricité. La terre n’est plus pour nous, hommes du dix-neuvième siècle qui pouvons en faire le tour quarante ou cinquante fois dans notre vie, ce qu’elle pouvait être aux yeux des hommes de l’antiquité, qui n’en avaient jamais mesuré la circonférence.

Pour nous, elle est limitée, très limitée, puisque nous pouvons en faire aussi vite le tour qu’un Grec eût pu faire le tour de l’Attique.

L’espace, qui est la mesure des formes, n’étant plus rien pour nous, qu’est devenue la forme ? Rien.

Or, quand on voit une chose aussi limitée que la terre et une puissance aussi illimitée qu’est celle de l’homme armé du levier de la science, l’on peut se demander quelle action peut avoir un jour cette puissance illimitée sur notre pauvre terre si limitée et si bornée aujourd’hui.

Et puis il propose des solutions : une sorte de principe de précaution avant l’heure et une institution mondiale chargée de le faire respecter et de protéger l’Humanité :

« Tout mal appelle après lui un remède ; j’ai signalé le mal, c’est-à-dire la catastrophe, naissant un jour de notre raison insuffisante à la recherche de l’absolu. Je vais chercher le remède, c’est-à-dire le moyen de le combattre et de l’éviter s’il est possible.

Or, il y a deux sortes de moyens : Moyens palliatifs Moyens curatifs.

Les moyens palliatifs, comme on le sait en médecine, n’ont pas pour but de détruire le mal, mais de le retarder et de l’amoindrir. Les moyens curatifs ont pour but de déraciner, de détruire entièrement le mal.

Quels sont les moyens palliatifs que je propose ?

Les voici :

1° L’homme dans l’avenir ne doit pas tenter des expériences capitales, décisives, sans avoir l’assurance qu’elles ne peuvent en rien troubler l’harmonie des lois de la nature ;

2° Il faudra dans l’avenir créer des écoles spéciales ayant pour but de déterminer et d’étudier les lois qui constituent l’équilibre du globe ;

3° Il faudra aussi dans l’avenir créer une édilité planétaire qui réglemente le travail humain, de telle sorte que rien de décisif, de capital, tel que le déboisement d’une continent ou le percement d’un isthme, etc., ne puisse avoir lieu sans l’autorisation de l’édilité planétaire. Cette édilité aura son siège dans une des grandes villes du monde ; elle sera composée de l’élite de la science du monde entier. Chaque édile sera nommé par ses concitoyens. Les édiles seront les premiers magistrats du monde, et chaque fois qu’une nation voudra entreprendre une de ces tentatives audacieuses qui peuvent troubler l’harmonie du monde, elle devra s’adresser aux édiles, qui pourront lui donner ou lui refuser l’autorisation, car ils seront là pour veiller à la conservation de l’harmonie du globe.

La nation qui enfreindrait les ordres des édiles serait mise au ban des nations, comme s’étant rendue coupable du crime de lèse-humanité. Ainsi, un peuple veut-il déboiser ses forêts, il faudra que l’édilité le lui permette. Un peuple veut-il percer un isthme, il lui faudra encore la permission de l’édilité ; enfin, chaque fois qu’une nation devra entreprendre une de ces grandes choses qui peuvent troubler l’équilibre de la planète, il faudra qu’elle ait obtenu la permission de l’humanité tout entière, représentée par ses édiles.

Telle devra être la solidarité de l’homme dans l’avenir. Cette édilité planétaire que je vous propose paraîtra, à tous ceux qui me liront, absurde, et pourtant elle est déjà dans nos mœurs.

N’avons-nous pas en petit, en France, ce que je demande en grand pour le Globe ? N’y a-t-il pas un principe inscrit dans nos codes qui donne aux propriétaires le droit d’user, de jouir de la chose, mais non d’en abuser ? Ainsi, un homme a-t-il le droit de mettre le feu à sa maison ? Non.

Pourquoi ?

Parce que toute une ville pourrait être victime de cet abus de sa propriété. […]

Veiller sur l’harmonie du globe, faire en sorte qu’elle ne soit point troublée, tel serait le but de cette première institution du monde. »

Vous ne trouvez pas cette pensée, imaginée en pleine révolution industrielle triomphante, étonnante ? Prémonitoire ?

Certainement romantique et utopique.

Eugène Huzar était son nom.

<914>

Mercredi 28 juin 2017

« Est-ce que l’homme est plus intelligent que le poulpe ? On ne sait pas »
Franz de Waal

Les lecteurs de « Sapiens » de Yuval Harari ne seront pas surpris par le contenu de ce mot du jour.

Toutefois si on peut classer Harari dans la catégorie des vulgarisateurs ou des « compilateurs » de la science et de la recherche réalisés par d’autres, tel n’est pas le cas  de Franz de Waal qui est un primatologue et éthologue néerlandais. Lui est un spécialiste qui travaille depuis de très longues années sur les animaux. Il travaille particulièrement sur l’empathie des animaux.

Je l’ai découvert lorsqu’il avait été invité par Patrick Cohen <en octobre 2016>, pour parler de son dernier ouvrage : <Sommes nous trop bête pour comprendre l’intelligence des animaux ?>

Il enseigne et exerce ses recherches dans l’université d’Atlanta aux Etats-Unis. C’est un scientifique passionnant et très sérieux même s’il est un peu provocateur, mais c’est pour mieux expliquer le fruit de ses recherches.

Déjà les titres de ses ouvrages précédents constituent un programme : « La Politique du chimpanzé », « De la réconciliation chez les primates » et « Le Singe en nous ».

A Patrick Cohen, il a tenu à peu près ce langage :

« Chaque semaine on trouve de nouvelles choses sur l’intelligence des animaux. Pas seulement sur les grands singes, moi je travaille avec les chimpanzés et les bonobos essentiellement, mais aussi sur les oiseaux les poissons, les rats , les chiens, les dauphins. »

Et quand Patrick Cohen lui demande un exemple précis dont il peut faire le récit, il raconte l’histoire suivante :

« Nous avons fait une expérience avec deux singes à qui on demandait de faire un travail, le premier on le récompensait avec des grains de raisin, le second avec des bouts de concombre. Il est très clair qu’un singe aime beaucoup plus les grains de raisin que le concombre. Au bout d’un certain temps, le singe à qui on donnait du concombre [et qui constatait qu’on donnait à l’autre du raisin], c’est tout simplement arrêté de travailler. Il s’est tout simplement mis en grève, il voulait être mieux payé ! Montrant par là sa perception de la justice. »

Franz de Waal, qui est né en 1948, explique que lorsqu’il était jeune il a eu beaucoup de mal à imposer ses buts de recherche. Les élites universitaires considéraient que les animaux c’étaient de l’instinct et un apprentissage rudimentaire.

Depuis, la science a beaucoup progressé et a montré que les animaux étaient intelligents, savaient faire des raisonnements, savaient utiliser des outils (Franz de Waal parlent non seulement des singes, mais des corbeaux qui utilisent des outils pour parvenir à leurs fins). Ils savent aussi se projeter dans le futur, des singes vont choisir un outil qu’ils utiliseront plusieurs heures après, ou encore privilégieront l’attente parce qu’ils savent que dans plusieurs heures ils auront une récompense plus grande que celle qu’ils auraient obtenu immédiatement.

Et puis ils sont capables d’empathie, particulièrement à l’égard de leurs proches. Des auditeurs ont appelé pour témoigner qu’ils ont vu des ânes pleurer parce que leur petit venait d’être écrasé par une voiture. Franz de Waal a confirmé qu’une telle situation a été observée plusieurs fois.

Franz de Waal conteste qu’il existe un seul type d’intelligence. Les animaux ont des fonctionnalités que les humains ne possèdent pas. Tout juste reconnaît-il que les humains sont uniques en raison de l’utilisation du langage symbolique, mais c’est tout. Pour le reste il y a des variations d’intelligence et l’atout de l’humain d’avoir un cerveau plus gros que la plupart des animaux.

L’homme est un animal qui a un cerveau ordinateur comme les autres animaux, peut-être juste un peu plus puissant. C’est une différence d’intensité mais pas de nature.

A propos du poulpe, il explique que cet animal appréhende le monde de manière très différente d’un homme car son système nerveux est complètement distribué sur tout son corps. C’est pourquoi il pose cette question provocante : « Est-ce que l’homme est plus intelligent que le poulpe ? On ne sait pas »

Pour lui l’erreur est de faire de l’homme la mesure de toute chose, de comparer le comportement de l’animal par rapport aux standards humains. Cette comparaison est évidemment défavorable à l’animal. Mais quand on observe l’animal de son point de vue de sa manière d’appréhender le monde, on constate qu’il est intelligent, qu’il a des raisonnements cognitifs et des émotions. C’est un animal comme nous.

Franz de Waal a approuvé un auditeur qui citait Boris Cyrulnik qui a dit :

« L’homme n’est pas le seul animal intelligent, mais c’est le seul animal qui croit qu’il est le seul à être intelligent »

Mais Franz de Waal a surtout œuvré dans le domaine de l’empathie, dans un entretien <Au Point de 2013>, il disait :

« En 1996, lorsque j’ai publié mon premier livre sur le sujet, Le bon singe, la notion d’empathie chez les animaux était très controversée. Elle a été depuis mise en évidence chez les souris, les rats, les éléphants… Tous les mammifères, en réalité, manifestent une sensibilité aux émotions des autres. »

Et cette interview à Libération en 2010 :

« Tout a commencé il y a trente ans, quand j’ai découvert un comportement dit de «consolation», de réconfort, chez les chimpanzés. Après une bagarre, celui qui a perdu est consolé par les autres, ils s’approchent, le prennent dans leurs bras, essaient de le calmer. Dix ans plus tard, j’ai entendu parler du travail de la psychologue Carolyn Zahn-Waxler, qui testait l’empathie chez les enfants. Elle demandait aux parents ou aux frères et sœurs de pleurer ou de faire comme s’ils avaient mal, et les enfants, même très jeunes, 1 ou 2 ans à peine, s’approchaient, touchaient, demandaient comment ça allait. Ce qu’elle décrivait était exactement ce que j’avais appelé le comportement de «consolation» chez les chimpanzés. C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à regarder le comportement des chimpanzés, et des singes en général, en me posant la question de l’empathie.

Vous avez testé l’empathie chez les primates ?

«Il y a eu des dizaines d’expériences. Je vous citerai celle où des singes refusent d’activer un mécanisme qui leur distribue de la nourriture quand ils réalisent que le système envoie des décharges électriques à leurs compagnons. Leur sensibilité à la souffrance des autres était telle qu’ils ont arrêté de se nourrir pendant douze jours.

Vous affirmez que cela va bien au-delà des singes.

Depuis quelques années, on a en effet des exemples nombreux et troublants : des dauphins qui soutiennent un compagnon blessé pour le faire respirer à la surface, des éléphants qui s’occupent avec beaucoup de délicatesse d’une vieille femelle aveugle… Je pense que l’empathie est apparue dans l’évolution avant l’arrivée des primates : elle est caractéristique de tous les mammifères et elle découle des soins maternels. Lorsque des petits expriment une émotion, qu’ils sont en danger ou qu’ils ont faim, la femelle doit réagir immédiatement, sinon les petits meurent. C’est ainsi que l’empathie a commencé. »

La réponse à cette question : Vous évoquez la réticence des chercheurs à parler des émotions animales : leurs raisons seraient moins scientifiques que religieuses ? est aussi très troublante, car il en tire des conclusions pour cet animal qu’est homo sapiens :

« La psychologie vient de la philosophie et la philosophie vient de la théologie. Dans les départements de psychologie et de philosophie, il y a toujours eu une forte tendance à mettre l’accent sur la distinction homme/animal. On est tout le temps en train de s’y demander quel est le propre de l’homme. A la différence des biologistes, pour lesquels l’homme est un animal. Pour moi, c’est intéressant de regarder les psychologues : ils essaient toujours de tracer cette ligne de séparation et ils ne sont d’ailleurs jamais contents. Ils ont d’abord dit que la spécificité de l’homme tenait à l’usage des outils, puis à la culture… Au fur et à mesure que leurs arguments tombent, ils en proposent d’autres. Mais je ne pense pas qu’ils trouveront, parce que toutes les grandes capacités, comme la moralité, se divisent en petites capacités, présentes chez les animaux. Dans la morale, il y a de l’empathie, qui existe chez beaucoup d’animaux. Il est peut-être vrai que la morale, telle qu’elle existe chez l’homme, ne sera jamais trouvée chez un autre animal, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y en ait pas certains éléments ailleurs. Les différences sont moins absolues que les gens ne le croient.

En parlant des trois religions monothéistes, vous remarquez qu’elles sont nées dans le désert, dans des pays sans singes…

Les religions occidentales sont nées dans le désert. Dans le désert, à quel animal l’être humain peut-il se comparer ? Au chameau ? L’homme et le chameau sont de toute évidence très différents. Il est donc très facile de soutenir que nous sommes complètement différents des animaux, que nous ne sommes pas des animaux, que nous avons une âme et que les animaux n’en ont pas. Quand on lit le folklore de nos sociétés, les fables de La Fontaine par exemple, on y rencontre des renards, des corbeaux, des cigognes, des lapins… mais pas de singes. Alors que les folklores asiatiques sont pleins de gibbons, de macaques… En Inde, en Chine, au Japon, il y a toutes sortes de singes. Le développement des civilisations s’y est fait en compagnie des primates, c’est à cette sorte d’animaux que les Asiatiques se comparent. Du coup, la ligne de séparation n’est jamais très nette. Dans le livre, je raconte que, lorsque, pour la première fois au XIXe siècle, les habitants de Londres et de Paris ont vu des grands singes, ils ont été choqués, dégoûtés même. Dégoûtés en voyant un orang-outan ? Ça n’est possible que si on a de soi une idée qui exclut l’animal. Sinon, on voit un orang-outan et on se dit : si ça, c’est un animal, alors peut-être que moi aussi je suis un animal. Aujourd’hui, bien sûr, c’est différent. Les gens se sont habitués à l’idée qu’ils sont des grands singes et à se voir eux-mêmes comme des animaux. Jusqu’à un certain point, en tout cas, en dehors des départements de philosophie. »

Un scientifique, une réflexion et un bouleversement de notre perception du monde passionnant.

Il a aussi été invité à deux émissions de Radio France  :

https://www.franceinter.fr/emissions/la-tete-au-carre/la-tete-au-carre-10-octobre-2016

https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/lanimal-est-il-un-homme-comme-un-autre

Et vous trouverez cette page sur le site d’Arte avec des vidéos :

http://sites.arte.tv/28minutes/fr/frans-de-waal-le-neerlandais-qui-observe-les-singes-pour-comprendre-les-hommes-28minutes

<913>