Jeudi 13 février 2020

« L’hôpital Public »
Un trésor national en péril

Avec « retraite », « hôpital » est le mot actuellement le plus cité dans les médias. Plus précisément l’«hôpital public» car il semblerait que les hôpitaux privés et les cliniques se portent plutôt bien.

Encore hier soir, mercredi le 12 février, France inter y a consacré son émission le téléphone sonne <Hôpital public : pourquoi la crise continue ? >. Fabienne Sintes a invité deux chefs de service pour parler de cette crise.

La Professeure Agnès Hartemann, Chef du service de diabétologie de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière et Xavier Mariette, Chef du service rhumatologie de l’hôpital Kremlin-Bicêtre. Ils font partie des 600 médecins, chefs de service ou de structure, qui ont démissionné de leurs fonctions administratives depuis le mois de janvier, ulcérés par les failles de l’hôpital public, par le manque de moyens, la pression à la rentabilité, le travail « robotisé ».

C’est-à-dire qu’ils ont cessé de s’acquitter de leurs fonctions administratives. Ce qui signifie qu’ils poursuivent les soins, mais « ne sont plus en contact avec les administrations » hospitalières, ne codifie plus les actes qu’ils réalisent et refusent obstinément d’examiner les tableaux excel et les ratios de rentabilité que leur présentent leurs directeurs administratifs.

D’ailleurs pour la saint Valentin, ils feront une manifestation. Cette journée prendra la forme d’une journée baptisée « hôpital mort », seuls les soins d’urgence seront prodigués. Les personnels hospitaliers attendent une déclaration d’amour pour l’hôpital public.

A Paris, selon ce que j’ai lu, il est prévu un rassemblement à 12h pour un départ à 14h et le trajet se passera entre hôpitaux : Necker > Cochin > Pitié Salpêtrière.

L’hôpital !

Pour le dictionnaire Larousse ce mot vient du latin hospitalis domus : maison où l’on reçoit les hôtes.

Le dictionnaire du CNRS cite Chrétien de Troyes :

« ospital : établissement charitable [le plus souvent dépendant d’un monastère] où l’on accueille les pauvres, les voyageurs »

Wikipedia fait remonter l’histoire de l’hôpital au VIe siècle. Au Moyen Âge, c’est un établissement de l’Église qui accueille les pauvres et les exclus.

Ainsi, l’hôpital de la Charité de Lyon, construit au XVIIe siècle était destiné aux enfants orphelins et les indigents.

En 1529 et 1531, de grandes famines frappent la France à la suite d’une période de sécheresse provoquant un afflux de migrants sur la ville de Lyon. Afin d’offrir une aide à la population, l’Aumône générale est créée en 1534 au couvent des Cordeliers. Mais ses moyens restent insuffisants. En 1581, l’Aumône générale décide de construire l’hôpital de la Charité.

Il a été détruit en 1933, le maire de Lyon ayant trouvé plus opérant de faire construire à sa place un immense bâtiment, de style…(en fait sans style !), abritant la poste centrale de Lyon.

Il en va de même pour les Hôtels Dieu, parfois orthographié « Hostel Dieu », présents dans plusieurs villes et qui recevait les orphelins, les indigents et pèlerins et qui était administré par l’Église.

L’Hôtel Dieu de Lyon dont la construction débuta en 1184 par des religieux n’échappa pas à ce destin d’accueillir les pauvres et les pélerins. Il se situe à Lyon en face du pont de la guillotière qui pendant longtemps a été le seul pont qui traversait le Rhône pour entrer dans le Lyonnais. La rive gauche, du Rhône n’appartenant pas au Lyonnais mais au Dauphiné et le chemin des pèlerins qui venaient de l’est ou des migrants passaient par là.

L’hôtel Dieu de Lyon a été magnifiquement rénové, essentiellement par des fonds privés. Il a abandonné sa vocation d’accueil gratuit ou de soins pris en charge par l’État providence et est devenu un vulgaire centre commercial destiné à la consommation.

Dans notre vision de l’hôpital, il ne s’agit plus d’accueillir des indigents, mais des malades et de les soigner. De soigner tout le monde, avec les mêmes médecins, le même équipement ultra moderne et sophistiqué, les mêmes médicaments qu’elle qu’en soit le prix.

Mais la crise actuelle peut conduire à s’interroger : Est-ce que l’hôpital ne va redevenir un lieu d’accueil des pauvres. Les riches se faisant soigner à prix d’or dans les établissements privés dans lesquels la carte American express aura remplacé la carte vitale. Les plus beaux établissements pourront être rachetés par des fonds privés qui pourront y loger des commerces et services de luxe, comme l’Hôtel Dieu de Lyon.

Lorsque le Professeur Hartemann et ses confrères ont décidé d’entrer dans la grève administrative cité ci-avant, elle est venue devant la presse pour expliquer ce geste.

Vous trouverez la vidéo de cette intervention derrière ce <Lien>

« On nous demande de produire du séjour, alors que nous avions l’habitude de prodiguer des soins. Et on s’est mis à avoir, comme chef de service, à chaque fin de mois des tableaux Excel. Et là on se voyait dire, ah là c’est vert, Bravo ! vous avez fait plus de séjour. Et une autre fois c’était rouge, c’est mauvais vous avez fait moins dix séjours. Petit à petit on s’est rendu compte qu’on était infantilisé. […] et on a peur parce que quand notre activité baisse on nous coupe des moyens pour soigner.

[…]Je devenais une espèce de robot, à dire : ‘Quand est-ce qu’il sort ? Cela fait quinze jours qu’il est là, il occupe la chambre, je ne vais pas pouvoir faire du séjour’. Ce sont les jeunes, les infirmières, qui me regardent. Maintenant je sais que quand on me regarde comme ça, c’est que je ne suis plus éthique »

Et elle explique que dans son service réservé à des diabétiques sévères, quand elle les soigne bien et qu’ils restent dans la chambre ils ne sont plus rentables au sens de la gestion de l’Hôpital. Mais si on les ampute ils redeviennent rentables pour quelques jours.

En terme technocratique on parle de la « T2A », c’est à dire le fonctionnement de La tarification à l’activité (T2A) qui est la méthode de financement des établissements de santé qui a été mise en place à partir de 2004

Celui qui explique cela de manière très didactique est Stéphane Velut, neurochirugien et essayiste, qui publie « L’Hôpital, une nouvelle industrie » (Gallimard, coll. « Tracts », janvier 2020).

Ce livre est présenté ainsi :

« Tout juste soixante ans se sont écoulés depuis la création des Centres hospitaliers universitaires. Ces structures sont le cœur d’un système à la réputation excellente. Mais ce cœur s’est emballé. Le corps soignant s’épuise et les patients s’inquiètent. Les crises se succèdent avec leurs ordonnances de vains remèdes. Le malade que nous sommes, ou que nous serons presque tous un jour, a tout lieu de s’inquiéter. Le mal est profond. Il s’entend dans le nouveau langage qui s’est imposé au sein des pratiques hospitalières. Tel est l’éloquent symptôme qui révèle le dessein de faire de l’hôpital une nouvelle industrie, au mépris de son humaine justification. Un dessein indicible, qui rêve de fondre le soin dans la technicité abstraite et gestionnaire de notre société. »

Stéphane Velut pose cette question :

« Tenter de soustraire au maximum le facteur humain, trop humain, du système hospitalier, c’est prendre le risque que ce système s’effondre. Il faudra quand même, un jour, se demander si c’est bien. »

Il était invité à l’émission « La grande Table » du <24/01/2020>. Il raconte

« Je me suis réveillé tard, pour me rendre compte de ce qui se passait. Et il a fallu que j’entende les discours que je lise et que j’écoute parler ceux qui gèrent l’hôpital pour me rendre compte que quelque chose a changé et qui m’a échappé.. [C’est à la suite de cela que j’ai écrit ce petit ouvrage]

Le contexte est spécial. On m’a convié à une réunion où était présent un consultant d’une société de conseil. […] Le sujet concernait un futur hôpital qui devait voir le jour en 2025 et il a eu cette phrase que je note et qui est la suivante : Dans une démarche d’excellence, il va falloir transformer l’hôpital de stock en hôpital de flux. Et c’est cela qui m’a réveillé

Je me suis dit que ce langage qui est très nouveau est certainement le symptôme de quelque chose que je n’avais pas depuis que j’exerce, depuis les années 1980.

De quels stocks on parle, de quels flux on parle. En effet, ce sont les gens, ce sont les malades. C’est-à-dire que [..] il y a tout d’un coup cette volonté de faire de la maladie une matière première, et de la guérison un produit fini, comme si nous étions dans une industrie, une chaîne de production, à la différence qu’il ne s’agit pas de voitures, il ne s’agit pas d’autre chose que de gens. […] En reprenant d’anciens courriels, des lettres, des gazettes j’ai essayé d’analyser quand le langage avait changé. Il a changé en 2015/2016. Il a changé radicalement, si vous voulez savoir d’où il vient, vous n’avez pas beaucoup d’effort à faire il suffit d’acheter la havard business review, qui vous apprend comment manager une équipe, comment s’adapter à la transversalité de projet, afin de parvenir à une meilleure agilité. Des choses qui sont très étrangères à l’action de soigner. »

Le CHU a toujours été géré ce sont des grosses structures qu’il faut organiser et diriger. Mais il y eut une époque où la structure tenait comme seule fin la santé des gens et où le langage de l’administration était plus compréhensible.

Aujourd’hui on utilise un méta langage pour fabriquer du consentement, il utilise ce mot pour rappeler le livre de Noam Chomsky et Edward Herman « La Fabrication du consentement ».

Il a cette formule :

« On peut mentir avec sa langue, mais le langage ne ment pas ».

Il considère ainsi que le gestionnaire hospitalier qui gérait l’argent les recettes et les dépenses, l’hôtellerie, s’est hissé progressivement au rang d’administrant.

Il ne pouvait pas faire autrement parce qu’il devait faire des économies de manière radicale.

« Et pour ce faire, il a dû utiliser un langage qui n’a pas la sincérité du langage que nous avons parce que confronté à la maladie, à la mort, à la souffrance, à l’angoisse. »

C’est ainsi qu’il comprend que ces gestionnaires veulent transformer l’hôpital en une industrie où la vitesse et la rentabilité prennent le pas sur le souci de la personne humaine.

Et pour Stéphane Velut, le constat est clair : la seule façon de faire des économies, c’est de réduire le nombre de lits.

« C’est indicible, on parle de « redimensionnement capacitaire« … C’est ce manque de sincérité qui fait que ce malaise est grand. »

Une pédagogie qui explique ce qui se passe à l’intérieur, absolument remarquable, une émission à écouter.

Il parle aussi de la fuite des infirmières et des aides-soignantes qui en raison du manque d’effectifs sont de plus en plus en difficultés par rapport à leur travail. Elles quittent massivement l’hôpital public.

Les médecins aussi, d’autant que les cliniques privés les reçoivent à bras ouvert et les paient beaucoup plus chers

Stéphane Velut pense que si le processus actuel n’est pas enrayé, on en reviendra à ce que j’ai décrit ci-dessus : un hôpital public pour les indigents avec des soins de base et les cliniques privés pour les soins de très haute qualité que seuls les gens très aisés pourront se payer.

Et je finirai par deux extraits d’une émission du Guillaume Erner le 13/01/2020 : « Quel avenir pour l’hôpital si 1 000 médecins démissionnent ? » dans laquelle l’invitée était aussi La Professeure Agnès Hartemann.

Quand on la voit parler, on sent qu’elle est atteinte au plus profond d’elle, les larmes ne sont jamais loin.

Le premier extrait continue dans la description de la même logique à l’œuvre :

« Depuis dix ans, on subit l’ambiance de l’hôpital-entreprise. Nous on prodiguait des soins, on s’est mis à nous demander de produire du séjour, de produire de plus en plus de séjours pour rapporter de l’argent à l’hôpital. Et c’est un jeu de dupes, parce que la Sécurité sociale a un budget fermé, elle n’a pas pu suivre. Donc, on nous a supprimé au fur et à mesure de plus en plus de moyens et les conditions de travail des personnels en particulier sont devenues très difficiles. Et on a perdu beaucoup, beaucoup d’infirmières. […]

« Les infirmières ont été découragées, elles sont parties : actuellement à l’APHP il y a 800 postes vacants d’infirmières. Depuis deux ans, on est partis en vrille. C’est à dire que maintenant, on est obligés de fermer des lits par manque de personnel. […] Je vais donner ma démission, parce que je suis amenée à faire des choses non éthiques. Le vendredi, le samedi et le dimanche, il n’y a qu’une infirmière pour 13 lits dans cette unité [pour grands diabétiques]. Le vendredi, quand on se rend compte que les 12 patients qui sont là sont extrêmement lourds, et bien on appelle celui qui devait rentrer pour éviter d’être amputé. Et on lui dit « Écoutez monsieur, on ne pourra pas vous prendre. Il va falloir que vous alliez aux urgences près de chez vous et on vous prendra quand on pourra », pour prendre un malade moins lourd. C’est terrible. C’est une perte de chance terrible. Et si vous voulez prendre le patient le moins grave au lieu de prendre le patient le plus grave, c’est insupportable. »

Et puis vers la fin de l’émission, elle explique autre chose qui me plonge dans un abime de perplexité :

« Vous savez on ne demande pas des choses folles. Je ne sais pas si tout le monde est au courant, mais le budget qui vient d’être voté pour l’hôpital public est à nouveau un budget à la baisse. En fait, il augmente de 2,3%, mais il y a des charges à l’hôpital public et des salaires, il y a des traitements de plus en plus chers, les patients vieillissent, ils sont de plus en plus graves, donc ils demandent de plus en plus de moyens. Et donc, chaque année, si on veut juste couvrir les charges, il faut augmenter le budget de 4% »

Evidemment que tous ces témoignages sont insupportables. Evidemment que la voix de l’empathie, de l’humanisme nous pousse à dire : il faut donner plus de moyens à l’hôpital.

Le professeur Hartemann parle d’un budget à la baisse.

Mais vous lisez ses chiffres et la réalité n’est pas celle-là, il y augmentation du budget de 2,3%. Or la croissance augmente en France en dessous de 1,5%, rarement à 2% et jamais à 4%. Ce n’est plus dans la capacité de l’économie française actuelle. Et d’ailleurs, toutes nos craintes légitimes quant au désastre écologique nous incitent à ne pas faire trop augmenter la croissance.

Dès lors les choses sont explicites : si on veut augmenter le budget de l’hôpital chaque année de 4%, il faut que d’autres dépenses baissent.

Or nos infirmières sont très mal payées (le 28ème rang de l’OCDE) selon Xavier Mariette, nos enseignants sont très mal payés. Et les chercheurs ? Et les policiers et l’état de la Justice ?

La France est pourtant un des tout premiers pays concernant la dépense publique et le volume des redistributions.

Xavier Mariette croit que les français sont prêts à payer davantage.

Je suis persuadé que de manière individuelle, celles et ceux qui disposent de moyens sont prêts à le faire pour eux.

Mais dans ce débat, il ne s’agit pas d’un problème individuel mais de mettre au pot commun, pour mutualiser les dépenses de santé.

Souvent quand on entend parler les gens, ils sont toujours d’accord d’augmenter les impôts et les cotisations …des autres.

Nos gouvernants ne sont pas très bons, mais le problème me semblent beaucoup plus compliqué que de simplement dire : il suffit d’augmenter le budget de l’hôpital.

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Mercredi 11 décembre 2019

« Une île »
Michèle Bernard-Requin

Aujourd’hui, je ne ferais aucun commentaire, je n’ajouterai rien.

Ma seule action sera de relayer un article publié le 09/12/2019 sur « Le Point » : <La déclaration d’amour de Michèle Bernard-Requin>

Michèle Bernard-Requin, magistrate exemplaire, a rassemblé ses dernières forces pour écrire un hymne au personnel hospitalier du pavillon Rossini de l’hôpital Sainte-Perrine.

Voici un texte poignant, bouleversant, qui tirera les larmes même aux plus insensibles d’entre nous. Des lignes que Michèle Bernard-Requin nous envoie depuis l’hôpital Sainte-Perrine à Paris, où elle se trouve, selon ses mots, « en fin de vie ». Michèle Bernard-Requin est une des grandes figures du monde judiciaire. Elle fut tour à tour avocate puis procureure à Rouen, Nanterre et Paris. En 1999, elle est nommée vice-présidente du tribunal de grande instance de Paris, elle présida la 10e chambre correctionnelle de Paris puis la cour d’assises, et enfin elle fut avocate générale à Fort-de-France de 2007 à 2009, date à laquelle elle prit sa retraite.

Auteur de plusieurs livres, elle intervient de temps à autre dans les médias et tient depuis 2017 une chronique régulière sur le site du Point dans laquelle elle explique avec clarté, talent et conviction comment fonctionne la justice et pourquoi, parfois, cette institution dysfonctionne. Aujourd’hui, c’est un tout autre cri d’alarme qu’elle pousse dans un « petit et ultime texte pour aider les « unités de soins palliatifs » », a-t-elle tenu à préciser dans ce mail envoyé par sa fille dimanche 8 décembre au matin. Un texte que nous publions tel quel en respectant sa ponctuation, ses sauts de ligne, son titre évidemment. JB.

« UNE ÎLE

Vous voyez d’abord, des sourires et quelques feuilles dorées qui tombent, volent à côté, dans le parc Sainte-Perrine qui jouxte le bâtiment.
La justice, ici, n’a pas eu son mot à dire pour moi.
La loi Leonetti est plus claire en effet que l’on se l’imagine et ma volonté s’exprime aujourd’hui sans ambiguïté.
Je ne souhaite pas le moindre acharnement thérapeutique.
Il ne s’agit pas d’euthanasie bien sûr mais d’acharnement, si le cœur, si les reins, si l’hydratation, si tout cela se bloque, je ne veux pas d’acharnement.
Ici, c’est la paix.
Ça s’appelle une « unité de soins palliatifs », paix, passage… Encore une fois, tous mes visiteurs me parlent immédiatement des sourires croisés ici.
« Là tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté ».
C’est une île, un îlet, quelques arbres.
C’est : « Mon enfant, ma sœur, Songe à la douceur d’aller, là-bas, vivre ensemble ».
C’est « J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans » (« Spleen ») Baudelaire
Voilà, je touche, en effet, aujourd’hui aux rivages, voilà le sable, voilà la mer.
Autour de nous, à Paris et ailleurs, c’est la tempête : la protestation, les colères, les grèves, les immobilisations, les feux de palettes.
Maintenant, je comprends, enfin, le rapport des soignants avec les patients, je comprends qu’ils n’en puissent plus aller, je comprends, que, du grand professeur de médecine, qui vient d’avoir l’humanité de me téléphoner de Beaujon, jusqu’à l’aide-soignant et l’élève infirmier qui débute, tous, tous, ce sont d’abord des sourires, des mots, pour une sollicitude immense.
À tel point que, avec un salaire insuffisant et des horaires épouvantables, certains disent : « je préfère m’arrêter, que de travailler mal » ou « je préfère changer de profession ».
Il faut comprendre que le rapport à l’humain est tout ce qui nous reste, que notre pays, c’était sa richesse, hospitalière, c’était extraordinaire, un regard croisé, à l’heure où tout se déshumanise, à l’heure où la justice et ses juges ne parlent plus aux avocats qu’à travers des procédures dématérialisées, à l’heure où le médecin n’examine parfois son patient qu’à travers des analyses de laboratoire, il reste des soignants, encore une fois et à tous les échelons, exceptionnels.
Le soignant qui échange le regard.
Eh oui, ici, c’est un îlot et je tiens à ce que, non pas, les soins n’aboutissent à une phrase négative comme : « Il faut que ça cesse, abolition des privilèges, il faut que tout le monde tombe dans l’escarcelle commune. » Il ne faut pas bloquer des horaires, il faut conserver ces sourires, ce bras pour étirer le cou du malade et pour éviter la douleur de la métastase qui frotte contre l’épaule.
Conservons cela, je ne sais pas comment le dire, il faut que ce qui est le privilège de quelques-uns, les soins palliatifs, devienne en réalité l’ordinaire de tous.
C’est cela, vers quoi nous devons tendre et non pas le contraire.
Donc, foin des économies, il faut impérativement maintenir ce qui reste de notre système de santé qui est exceptionnel et qui s’enlise dramatiquement.
J’apprends que la structure de Sainte-Perrine, soins palliatifs, a été dans l’obligation il y a quelques semaines de fermer quelques lits faute de personnel adéquat, en nombre suffisant et que d’autres sont dans le même cas et encore une fois que les arrêts de travail du personnel soignant augmentent pour les mêmes raisons, en raison de surcharges.
Maintenez, je vous en conjure, ce qui va bien, au lieu d’essayer de réduire à ce qui est devenu le lot commun et beaucoup moins satisfaisant.
Le pavillon de soins palliatifs de Sainte-Perrine, ici, il s’appelle le pavillon Rossini, cela va en faire sourire certains, ils ne devraient pas : une jeune femme est venue jouer Schubert dans ma chambre, il y a quelques jours, elle est restée quelques minutes, c’était un émerveillement. Vous vous rendez compte, quelques minutes, un violoncelle, un patient, et la fin de la vie, le passage, passé, palier, est plus doux, c’est extraordinaire.
J’ai oublié l’essentiel, c’est l’amour, l’amour des proches, l’amour des autres, l’amour de ceux que l’on croyait beaucoup plus loin de vous, l’amour des soignants, l’amour des visiteurs et des sourires.
Faites que cette humanité persiste ! C’est notre humanité, la plus précieuse. Absolument.
La France et ses tumultes, nous en avons assez.
Nous savons tous parfaitement qu’il faut penser aux plus démunis.
Les violences meurtrières de quelques excités contre les policiers ou sur les chantiers ou encore une façade de banque ne devront plus dénaturer l’essentiel du mouvement : l’amour. »


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Jeudi 21 novembre 2019

« Une forme de sidération devant la catastrophe annoncée : On assiste à l’effondrement de l’hôpital public »
Rémi Salomon, chef de service à l’hôpital Necker

Le mot du jour de mardi reprenait la provocation de Jean-Louis Bourlanges : « La France est pauvre  au regard des désirs de ses habitants.».

J’introduisais le sujet par l’hôpital qui est en péril.

A priori, le gouvernement a trouvé quelque argent, puisqu’il a annoncé, hier, que <l’Etat allait reprendre, en trois ans, 10 milliards d’euros de la dette des hôpitaux>

Ces 10 milliards représentent un tiers de la dette des hôpitaux Le gouvernement donne, en outre, un coup de pouce au budget annuel des hôpitaux publics et de nouvelles primes aux soignants.

Le monde explique « Ce que contient le plan d’urgence pour l’hôpital public »

Nicolas Demorand et Léa Salamé avaient invité Tiphaine Morvan, infirmière à l’hôpital Saint-Louis, et Rémi Salomon, chef de service à l’hôpital Necker à <la matinale de France Inter du 13 novembre>.

Rémi Salomon qui étaient un des signataires de la Tribune collective de Soixante-dix directeurs médicaux des départements médico-universitaires, publiée par « Le Monde » du 13 novembre 2019 : « L’hôpital public s’écroule et nous ne sommes plus en mesure d’assurer nos missions »

La tribune revendique comme première solution :

« Nos revendications sont les suivantes : réviser à la hausse l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie – le Parlement vote actuellement son montant (première lecture le 29 octobre) » ;

Rémi Salomon réitère cette exigence dans l’émission de France Inter. Il précise que le budget prévisionnel (c’était avant les annonces d’hier) était en augmentation de 2%. Et il affirme que la dépense de l’hôpital allait augmenter de 4%.

Parallèlement l’inflation prévisionnelle sur l’année se situe en 1,2% et 1,4%. J’arrête avec les chiffres.

Mais ce que cela dit c’est que le budget des hôpitaux ne baisse pas, ni ne stagne. L’augmentation dépasse l’inflation.

Mais il n’augmente pas assez et Rémi Salomon revendique le double de l’augmentation.

Je vais citer par la suite, certaines des conséquences de cette situation, mais avant de faire parler l’émotion, les valeurs et les utopies, il faut revenir aux questions factuelles.

Le coût de la santé augmente dans le panier de nos dépenses.

Ce ne sont pas les « autres » – qu’ils soient riches, GAFA ou d’autres encore – qui paieront cette augmentation mais « nous ».

La question est de savoir si nous voulons une dépense mutualisée dans laquelle nous laissons augmenter les cotisations et les impôts pour bénéficier de l’hôpital public ou si nous préférons individualiser la dépense en la privatisant.

En dessous d’un certain seuil de revenus, la réponse est contrainte : sans hôpital public des soins de qualité ne sont tout simplement pas possible.

Au-dessus d’un certain seuil de revenus, la réponse est moins simple, des soins privatisés permettront peut-être plus de confort et peut être même de meilleure qualité. Choisir dans ce cas la solution collective est une philosophie de vie. Et pour que cela puisse se réaliser comme le disait Emile Durkheim que j’ai cité lors du mot du jour du Vendredi 12 septembre 2014 :

« Pour que les hommes se reconnaissent et se garantissent mutuellement des droits, ils faut qu’ils s’aiment et que pour une raison quelconque ils tiennent les uns aux autres et à une même société dont ils fassent partie. »

Et si nous devons consacrer davantage de nos ressources à notre santé, il faut aussi se demander dans quels domaines nous pourrions consommer moins. Sauf si on revient vers des taux de croissance comme on n’en connaît plus, mais qui ne sont pas forcément souhaitables par rapport à l’enjeu écologique.

Mais sur la situation de l’hôpital les choses apparaissent, en effet, grave. Dans la Tribune des 77 directeurs médicaux, on lit :

« Nous vous alertons car ce système s’écroule et nous ne sommes plus en mesure d’assurer nos missions dans de bonnes conditions de qualité et de sécurité des soins.

Des centaines de lits d’hospitalisation de médecine et de chirurgie, des dizaines de salles d’opération à l’hôpital public fermés, et chaque semaine des unités de soin ferment. Les conséquences : des conditions d’accès aux soins dégradées, la qualité et la sécurité des soins sérieusement menacées.

L’accès au diagnostic et aux soins médicaux et chirurgicaux à l’hôpital public est extrêmement difficile, et les équipes soignantes démotivées. Les délais de programmation des interventions s’allongent, les soins urgents ne sont plus réalisés dans des délais raisonnables. Les usagers sont de plus en plus obligés de se tourner vers les établissements privés. Trop peu de recrutements de soignants sont en vue pour espérer un retour à la normale du « système sanitaire ».

Des centaines de postes de soignants (pourtant budgétisés) ne sont pas pourvus ; et, plus grave encore, des soignants quittent l’hôpital public. Cela concerne les infirmiers dans les services médicaux et chirurgicaux de l’hôpital (IDE), les infirmiers anesthésistes, de bloc opératoire, les aides-soignants, les professionnels de rééducation dont les masseurs-kinésithérapeutes, les manipulateurs en radiologie, en médecine nucléaire et en oncologie radiothérapie, les techniciens de laboratoire et les préparateurs en pharmacie. Cela concerne aussi les médecins dont les médecins anesthésistes-réanimateurs, les biologistes et d’autres catégories professionnelles.

Le résultat est une surcharge de travail quotidien croissante et un épuisement des soignants restants ainsi que des cadres de santé, chargés de gérer au quotidien des équipes de soignants sous tension. Pour maintenir les lits ouverts et poursuivre l’accueil des patients, il est nécessaire de faire appel aux soignants restants en leur demandant de réaliser des heures de travail supplémentaires ou à des personnels soignants intérimaires extérieurs appelés au fil de l’eau pour combler les manques mais sans expertise dans les spécificités des différents services. […]

L’objectif national des dépenses d’assurance-maladie (Ondam), montant prévisionnel établi annuellement pour les dépenses de l’assurance-maladie et celui en particulier consacré à l’hôpital public, est revu insuffisamment à la hausse, ce qui aggravera la situation de l’hôpital public et fait craindre le pire pour demain dans un contexte de vieillissement de la population et d’augmentation de la fréquence des maladies chroniques.

L’absence d’attractivité de l’hôpital public particulièrement est également le fait d’une non-revalorisation salariale des personnels paramédicaux (en premier lieux des infirmiers) depuis plusieurs années. C’est particulièrement vrai à l’AP-HP et plus largement en Ile-de-France, où les salaires actuels ne tiennent pas compte des coûts des loyers, de la vie, propres à la région.

Les chirurgiens ne peuvent plus opérer faute d’accès au bloc opératoire, et sont de plus en plus nombreux à rejoindre des structures privées. Une disparité des salaires de base et du tarif des gardes (pour assurer la continuité de service toute l’année), de praticiens hospitaliers (PH) entre le public et le privé : jusqu’à trois fois plus dans les établissements privés. La fuite des médecins des hôpitaux universitaires met en péril la formation de toute la profession et, au-delà, le niveau de la santé en France. »

Et dans l’émission de France Inter, Rémi Salomon perçoit le monde médical dans

« Une forme de sidération devant la catastrophe annoncée : On assiste à l’effondrement de l’hôpital public ».

Avant de parler de revenus Tiphaine Morvan parle d’un manque de moyens, surtout moyens humains pour faire face à la charge et à une éthique des soins qu’elle porte en elle.

Et donc cette tribune, comme l’émission nous apprennent qu’il y a une fuite des soignants de l’hôpital public vers le privé.

Rémi Salomon affirme :

« Si les soignants quittent l’hôpital, ce n’est pas de gaîté de cœur, c’est le dernier rempart de la République [Les] soignants n’ont même plus le temps de rassurer, on leur demande d’être rentables : Il y a de la souffrance éthique ».

Un autre <article du monde> qui donnent la parole à des personnels soignants relate :

« Certains se disent « en colère », d’autres « désabusés ». Tous évoquent l’épuisement dû à une « déshumanisation progressive des soins » ces dernières années. « Chaque jour, j’ai des infirmières qui craquent et qui pleurent à cause de ce rythme « à la chaîne » que je leur impose malgré moi. Chaque jour, je ne sais pas comment la journée va se finir », témoigne une cadre de santé d’un centre de lutte contre le cancer. « Ça fait deux ou trois ans que c’est vraiment raide, à se dire « je vais aller faire caissière » », assure une infirmière. »

C’est encore une question de priorité qui se pose ici.

Il faut certainement remettre de l’humain dans tout cela, en nombre et en qualité.

Pour ce faire il faut sûrement un meilleur partage de la charge selon les moyens des citoyens, mais probablement aussi une autre répartition de nos dépenses individuelles.

Et je finirai ce mot, comme celui de mardi : si nous entrons dans ce débat avec l’esprit d’un consommateur et non d’un citoyen, il n’y a aucune chance que les solutions collectives l’emportent.

<1312>

Mardi 8 octobre 2019

« Pour rester en bonne santé, soyez optimiste et ayez des amis »
Conclusions de plusieurs études scientifiques

Les personnes optimistes auraient moins de risques de mourir prématurément. C’est ce que suggère <le site SLATE>

Et pour argumenter cette assertion, Slate se réfère à une étude, publiée sur le site du JAMA Network le 27 septembre 2019, et conduite par une équipe de scientifiques new-yorkais spécialisés en cardiologie et en sciences comportementales. Leurs travaux de recherche rassemblent les données de quinze analyses déjà publiées portant sur 230.000 hommes et femmes à travers le monde sur une période de quatorze années.

Les chercheurs et chercheuses ont pu montrer l’existence d’un lien entre l’optimisme, défini comme «la tendance à penser que de bonnes choses vont se produire dans le futur», et un risque moins élevé de 35% de souffrir d’une crise cardiaque, et de 14% de décéder d’une mort prématurée, toutes causes confondues (cancer, démence, diabète, etc).

Une des explications donnée est qu’une personne optimiste pourrait avoir tendance à adopter un mode de vie plus sain, à faire plus d’exercice, à arrêter de fumer…

Et l’article cite une autre étude du début de l’année 2019, de l’université de Boston, qui avait déjà montré que l’optimisme pouvait être un facteur d’allongement de l’espérance de vie.

Le magazine <Psychologie> quant à lui s’est intéressé à une étude qui démontrerait qu’avoir des amis serait aussi bon pour la santé particulièrement pour lutter contre la maladie d’alzheimer :

« L’étude anglaise Whitehall II a porté depuis 1985 sur plus de 10 000 fonctionnaires : elle vient de montrer le lien entre notre cerveau et nos relations sociales. Les chercheurs expliquent dans la revue Plos Medecine qu’une plus grande fréquence des rapports sociaux à l’âge de 60 ans s’accompagne d’une réduction du risque de développer une démence comme celle de la maladie d’ Alzheimer. On sait désormais également le rythme idéal de nos soirées et autres sorties: un sexagénaire qui verrait un ou deux amis par jour réduit ses risques de 12 % par rapport à quelqu’un qui ne verrait ses amis qu’une fois par mois ! L’interaction avec d’autres est en effet capitale : elle permet de solliciter les circuits cérébraux, de développer la mémoire, de faire naître des émotions. Plus étonnant encore : les amis protègent mieux contre Alzheimer que la famille. En effet, avec ses proches, on reste dans sa zone de confort, on fait moins d’efforts qu’avec les amis qu’il faut convaincre, séduire, conserver. »

Et <Frédéric Pommier> qui dans sa revue de presse renvoie vers ces deux articles, conclut :

« […] tant qu’à faire, choisissez des amis optimistes. »

C’est probablement plus facile à dire ou à écrire qu’à faire.

Mais cela donne au moins des pistes et des voies vers lesquelles ils faut tenter de s’approcher si on considère que rester en bonne santé constitue un objectif sérieux et souhaitable.

Ce que j’ai la faiblesse de croire.

<1283>

Jeudi 3 octobre 2019

« Malheureusement, pour beaucoup de gens, la seule fois dans leur vie où ils seront face à eux-mêmes, c’est au moment de mourir. »
Richard Béliveau

Richard Béliveau est un docteur en biochimie et un chercheur en cancérologie. Il est canadien.

Je l’ai découvert grâce à David Servan-Schreiber qui lui faisait une grande confiance concernant l’alimentation.

Car Richard Béliveau prétend que l’alimentation constitue une véritable arme pour tenir le cancer à distance et quand il est là, l’alimentation peut aider aussi, même si cela est compliqué.

Mais quand j’attaquerai la seconde partie de ma série sur l’alimentation, je reviendrai vers les propositions du docteur canadien.

Il s’intéresse aussi à un autre sujet. Sujet avec lequel les derniers mots du jour ont, plusieurs fois, été confrontés : la mort.

Et il a écrit un livre, qui comme ceux pour l’alimentation est co-rédigé par le docteur Denis Gingras et dont le titre est « La Mort : Mieux la comprendre et moins la craindre pour mieux célébrer la vie ». Ce livre a été publié en 2010

J’ai trouvé un site canadien qui l’a interviewé à propos de ce livre. Cet entretien m’a beaucoup touché car dans des mots simples, il dit des choses essentielles sur la mort et donc sur la vie.

La mort pour beaucoup constitue un tabou. Une réalité qu’on cherche à fuir par tous les moyens. La suractivité en étant le moyen le plus usité.

Très humblement, je ne crois pas qu’il faut fuir ainsi, car la mort a beaucoup de choses à nous dire sur la vie et le docteur Béliveau essaie de nous aider dans ce sens.

L’ouvrage lui-même, selon ce que j’en comprends car je ne l’ai pas lu, explique les processus biologiques liés à la mort, les différentes causes de mort, et expose des conceptions historiques, culturelles et spirituelles de la mort. Il explore la biologie et les limites de la vie, les rituels de la mort et les craintes qui lui sont associées et décrit les phénomènes entourant la perte de la vie. Le livre est illustré par des copies d’œuvre de l’art, peintures et sculptures offrant diverses représentations de la mort.

L’entretien du docteur Béliveau que j’ai lu se trouve derrière <ce lien>

Il explique pourquoi il a souhaité aborder ce sujet :

« Lorsqu’on s’oriente vers la recherche, c’est pour trouver des solutions à des problèmes non résolus, et le cancer est le tueur numéro un dans les pays industrialisés, dont le Canada. C’est une maladie terrible qui détruit des vies, qui détruit des espoirs et c’est le type de maladie qui illustre parfaitement le paradoxe de la vie. Quand on travaille sur le cancer, on est toujours à la très mince frontière entre la vie et la mort, parce qu’on doit développer des médicaments qui tuent une forme de vie – la vie des cellules cancéreuses – tout en épargnant les cellules saines voisines. Un chercheur en oncologie navigue perpétuellement sur cette mince frontière qui sépare la vie de la mort. Or, dans mon travail, je suis nécessairement en contact avec des gens très malades qui meurent. Et ce contact avec la mort est quelque chose qui exerce beaucoup d’influence. La détresse, la sérénité, ou encore les questionnements existentiels des gens deviennent vôtres, parce qu’ils sont les vôtres. »

Prendre conscience que la vie est quelque chose d’extraordinaire comme l’écrit <Damasio>.

« Ce qui m’attriste, c’est de penser qu’il y a des gens qui meurent sans avoir vécu à leur pleine mesure, sans avoir pris conscience que la vie était quelque chose d’absolument extraordinaire. »

Et il donne cette évidence que la pensée de la mort, m’aide à mieux vivre.

« la mort ne me fait pas peur, je dirais même qu’elle me fascine. Comme être humain, je sais que je vais mourir. Et la pensée de la mort m’aide à mieux vivre. Ça m’aide à donner une perspective, à relativiser les problèmes qui m’agressent au quotidien. »

La mort est devenue un tabou dans notre société qui essaye de l’éviter sauf pendant quelques rares moments, souvent avant une cérémonie funèbre..

Richard Béliveau pratique les arts martiaux et il est passionné par la culture japonaise qui, selon lui, ne connaît pas ce tabou de la mort.

« Je déteste les tabous, quels qu’ils soient. Un chercheur n’aime pas les tabous. Un chercheur est un défonceur de portes. C’est un explorateur de l’inconnu; il fait changer les idées, il provoque des réflexions. »

Il considère que sa réflexion sur la mort et la continuation de son combat pour la vie et contre le cancer :

« Pour moi, c’est la continuité de ce que j’ai fait toute ma vie. Je travaille contre la mort depuis le début. Il m’est juste apparu comme une conséquence inéluctable d’en parler. Une fois qu’on a décidé de se prendre en main, qu’on ne fume pas, qu’on fait de l’exercice, qu’on mange bien, qu’on reste mince et qu’on se tient loin de la bouffe industrielle, quand on a fait tout ce qu’on pouvait faire dans son quotidien pour prendre soin de sa vie, quelle peur nous reste-t-il ? La peur de mourir… Les gens qui sont confrontés à la mort se posent des questions. Comment meurt-on du cancer ? d’une maladie cardio-vasculaire ? [etc…] Je crois que s’il y a une façon de transcender notre peur de la mort, c’est en la comprenant, et en la comprenant au point d’en rire. Parce que tout le monde passe par le même chas d’aiguille en fin de compte. Donc la logique pour moi était de vaincre cette peur-là, d’en parler, d’en parler, d’en parler et d’en parler. Plusieurs perceptions de la mort viennent du cinéma, et toutes ces perceptions sont fausses. On a banalisé la mort, on en a fait un jeu d’arcade, alors que c’est un événement très intime, très personnel, très angoissant.

Selon le Dalaï-lama, « Les gens vivent comme s’ils n’allaient jamais mourir et ils meurent comme s’ils n’avaient jamais vécu. » Ça résume très bien mon dernier livre.

Et il conteste qu’aborder la mort de front soit une marque de pessimisme ou de négation de la vie. Bien au contraire :

«  Les gens les plus vivants que j’ai connus dans ma vie étaient confrontés à la mort sur une base régulière. Ils prenaient conscience de l’aspect précieux de la vie. On ne peut pas savourer la vie si on ne pense pas à la mort. C’est toujours la comparaison entre deux choses qui permet de les mettre en perspective. Des gens m’ont dit avoir commencé à vivre quand ils ont reçu un diagnostic de cancer. C’est aberrant de penser à ça, mais c’est la réalité. Si tous les êtres humains se levaient le matin en se disant que le soir ils pourraient être morts, on ne vivrait pas de la même façon. On conduirait moins vite sur les autoroutes, on serait plus patient avec les autres, on serait plus tolérant avec soi-même. Plutôt que de cacher la mort, la nier, la fuir ou la dénigrer comme on le fait, je pense qu’il y a une réflexion à faire là-dessus. C’est l’ignorance qui tue. L’ignorance de ce qui nous arrive est le facteur principal de stress, alors pour moi, comprendre la mort est capital. »

Et avant de mourir, il faut vivre et avoir une démarche responsable de santé, comme celle d’être acteur de sa guérison quand on est malade en s’inscrivant dans le temps long et la persévérance :

«  On veut tout, tout de suite. On achète des objets dont on n’a pas besoin avec de l’argent que nous n’avons pas. Alors imaginez, nous, on arrive en prévention en disant « faites quelque chose maintenant qui va vous payer plus tard. » On est à contre-courant. Mais en même temps, beaucoup répondent à notre message. C’est faux de penser que les gens sont stupides et qu’ils ne changent pas; 70 % sont ouverts, curieux et prêts à changer. Sur la rue, des hommes bedonnants me disent avoir acheté leur première bouteille d’huile d’olive ou avoir goûté à de la grenade pour la première fois de leur vie. […] Nous sommes, en grande partie, responsables de notre santé !

Il n’y a pas de bouton de remise à zéro dans la vie ! On ne peut pas appuyer dessus et effacer les 30 dernières années.

Arrêtez de penser que vous pouvez fumer, ne pas faire de sport, être trop gras et mal manger pendant 50 ans sans problème. C’est un train de vie qui vous amène chez le médecin. Et là, vite guérissez-moi docteur ! Je ne veux pas que ça fasse mal, je ne veux pas d’effets secondaires, et je veux que ça prenne trois semaines. La responsabilité individuelle pour moi c’est important, il faut se prendre en main. »

Et je finis de le citer par ce constat si dur et si vrai que j’ai choisi comme exergue :

« On est surprotégé de façon hallucinante et pour moi, la façon la plus flagrante de le réaliser, c’est lorsqu’on est confronté à la mort. Parce que la mort, c’est la solitude, et la solitude est une expérience de confrontation à soi-même. Malheureusement, pour beaucoup de gens, la seule fois dans leur vie où ils seront face à eux-mêmes, c’est au moment de mourir.  »

Ce n’est pas morbide de penser à la mort, à sa mort. C’est une leçon de vie qui fait qu’on aborde la vie autrement et dans la vie, sa santé aussi.

Le mot du jour se met en pause ce vendredi et lundi.

Mon frère et son épouse nous font l’honneur de nous rendre visite.

Et je veux me rendre pleinement disponible pour être là dans l’échange et dans la vie.

Je ne pourrai donc pas rédiger de mot du jour qui reviendra normalement mardi 8 octobre.

<1282>

Vendredi 14 juin 2019

« Repos »
Un jour sans mot du jour

J’avais l’intention après avoir publié la page de la série du football, puis celle de la grande guerre, de publier la série que j’avais consacrée à Michel Serres.

Le temps et l’énergie me manquent pour mener à bien ce dessein. Ce n’est que partie remise


Il est de tradition désormais quand je suis dans cette situation, après avoir consulté le livre des mots du jour comme ce chat, de rappeler un mot du jour ancien.

Et aujourd’hui c’est assez simple.

J’aurais voulu utiliser lundi prochain pour exergue cette phrase d’Hippocrate :

«Que votre aliment, soit votre médicament»

Mais il faudra que j’en trouve un autre, parce que cette phrase je l’ai déjà utilisée pour le <mot du jour du 16 juin 2015>.

C’était pour avoir un regard critique sur les discours de deux éminents professeurs de médecine qui du haut de leur magistère assénaient des sentences sur l’alimentation, sur ce qu’il fallait manger et surtout ce qu’il ne fallait pas manger pour être en bonne santé.

Ils prétendaient qu’il s’agissait de vérités scientifiques, alors que ce n’était au mieux que des croyances.

Ils oubliaient d’être humbles et modestes.

Sur le fond ils avaient cependant raison, l’alimentation constitue un enjeu majeur pour homo sapiens et il est essentiel de bien manger.

<Mot du jour sans numéro>

Vendredi 7 juin 2019

« La salle de bain, les perturbateurs endocriniens et Yuka »
Expérience sur des produits que nous utilisons

Il y a quelques années, j’avais des problèmes de gencives. J’étais très naturellement allé voir un professionnel, c’est-à-dire un dentiste.

Ce dentiste m’a conseillé de prendre une pâte gingivale bien connue, me semble t’il : « Arthrodont. »

J’utilise ce produit depuis plusieurs années.

Mais ce n’est que tout récemment que j’ai enfin cherché à savoir si ce produit était bon.

Cela fait pourtant longtemps, 2013, que le magazine <Que Choisir> nous avait informés :

« Des perturbateurs dans la salle de bains […]

Alors qu’on ne s’est jamais autant préoccupé du contenu de nos assiettes, nous sommes beaucoup moins attentifs aux effets indésirables des cosmétiques sur notre santé. Pourtant, les laboratoires y incorporent de nombreux composants chimiques : conservateurs, antioxydants, émollients, filtres solaires, etc., aux effets encore mal maîtrisés. Or, les quantités de ces produits que nous nous appliquons sur la peau au cours de notre vie sont loin d’être négligeables. Si l’on additionne le nombre de cosmétiques qu’une femme peut utiliser dans une journée, du lait de toilette au mascara en passant par la crème hydratante, le rouge à lèvres, le gel douche, le shampooing, la laque ou le fond de teint, on arrive souvent à plus de dix produits… qui contiennent plusieurs centaines de substances chimiques ! Et les hommes ne sont pas en reste. Il y a beau temps que leur consommation ne se résume plus aux produits de rasage et d’hygiène.

Depuis des années, de nombreux chercheurs, organismes et associations tirent la sonnette d’alarme sur les perturbateurs endocriniens (parabènes, filtres solaires, etc.). Ces substances chimiques ou naturelles sont capables de produire des effets nocifs sur l’organisme, même à très faibles doses. »

Pendant longtemps nous pensions que si un produit était dangereux, les autorités sanitaires ne permettraient pas qu’il soit commercialisé.

Quelques scandales plus tard et conscient du poids des lobbys, nous savons aujourd’hui que les autorités réagissent souvent bien trop tard.

Revenons à mon dentifrice et regardons la composition :

Nous voyons qu’il y a un paragraphe : « Excipient à effet notoire »

C’est sympa d’attirer notre attention.

Imprudent que j’étais, je n’avais jamais regardé cette composition de près.

On voit donc qu’il y a du « parahydroxybenzoate de propyle ». Quand on fait quelque recherche sur internet, on s’aperçoit qu’il a des synonymes :

le « 4-Hydroxybenzoate de propyle » « E 216 » et surtout le « le propylparabène »

Cette dernière appellation attire davantage le regard parce qu’il est question de « parabène » qui est connu comme un perturbateur endocrinien.

D’ailleurs, l’article de Que choisir cité ci-avant le cite..

On peut lire la version officielle dans <Wikipedia> :

« Beaucoup de consommateurs s’inquiètent et réagissent à la présence de ce produit dans plus de 400 médicaments, alors que l’on ne connait pas encore précisément l’impact de l’absorption de ce produit dans le corps.

Risques connus : Allergène mineur.

Risques soumis à études :

impact négatif sur le système endocrinien ;
risque cancérigène lié à la perturbation endocrinienne ;
impact négatif sur la fertilité masculine ;
reprotoxique.

À part l’effet allergène, les autres risques ne sont pas confirmés chez l’homme et n’en sont qu’à l’état de test, les risques importants ne sont pas inexistants mais les chances qu’ils soient réels sont suffisamment faibles pour ne pas interdire le produit dans l’alimentaire, le pharmaceutique et la cosmétique. »

« Les risques importants ne sont pas inexistants mais les chances qu’ils soient réels sont suffisamment faibles pour ne pas interdire le produit dans l’alimentaire, le pharmaceutique et la cosmétique ». Cela est écrit en termes mesurés. L’hypothèse que cette phrase ait été écrite par un lobbyiste, n’est pas à exclure.

Mais de mon point de vue, pourquoi prendre un risque pour un dentifrice surtout s’il en existe qui ne présente pas ce danger ?

En pratique je n’ai pas fait cette démarche analytique compliquée, mais j’ai utilisé une application que j’avais téléchargé sur mon smartphone : « Yuka ».

Je l’avais dans un premier temps surtout téléchargé pour l’alimentation.

En un temps record cette application après avoir scanné le code barre donne des informations sur la composition du produit : graisse saturée, sel, sucre, additifs etc.

Je me demande si cette application n’est pas encore plus utile pour le produits de salle de bains.

Il existe d’autres applications

L’application par un système de pondération, note de 0 à 100.

Mon dentifrice a reçu la note de 14.

Et le qualificatif de « Mauvais », ce qui est le cas quand la note est inférieure à 25.

En première ligne apparait immédiatement le fameux «  propylparabène ».

Mais l’application donne plus d’information si on clique sur le produit en cause.

Je donne une copie d’écran du début de l’analyse.


A la fin de l’article, il y a plusieurs liens vers des sites qui développent ces analyses.

Pour ma part j’ai jeté ce dentifrice et j’en utilise d’autres.

Et je scanne tous les produits de ma salle de bains.

Chacun est libre de faire comme cela lui paraît bien. Yuka dispose aussi d’un <site>

<1250>

Jeudi 06 juin 2019

« L’histoire du Zolgensma »
Un médicament de 2,1 millions de dollars

J’ai entendu cette histoire incroyable dans la revue de Presse de Claude Askolovich, <ce mercredi>.

Il a cité l’Express et le Canard enchaîné que j’ai achetés immédiatement.

Vous avez entendu qu’un laboratoire Suisse est parvenu à faire accepter aux Etats-Unis la commercialisation d’un médicament dont le prix unitaire est 2,1 millions de dollars.

Le laboratoire Suisse est « Novartis. »

La question est de savoir comment Novartis a investi dans les brevets et la recherche pour parvenir à ce résultat.

Et cette histoire pourrait commencer par :

« Il était une fois, en France, le téléthon ».

Voici comment Claude Askololovich raconte cette histoire :

« On parle d’une culbute financière…qu’a révélée l’Express et dont parle aussi le Canard enchaîné, une culbute scandaleuse et légale dont nous sommes français les victimes, et qui, sacrilège, concerne la santé.

On a appris en mai que la firme suisse Novartis allait commercialiser le médicament LE PLUS CHER DU MONDE; le Zolgensma qui à deux millions cent mille dollars la prise combat l’amyotropie spinale, maladie génétique qui tue des nourrissons, paralysant leurs muscles et leur respiration.

Et bien, ce médicament a été inventé chez nous en France, par le Généthon, le laboratoire du Téléthon, cause pour laquelle nous mettons chaque année la main à la poche. Les chercheurs du Généthon avaient déposé des brevets; mais quand on dépose des brevets, vos données deviennent publiques, dans le monde réel qui est plus dur qu’un brave labo née d’une association de malades.

Le Généthon avait investi 15 millions d’euros pour des expériences sur les souris, une start-up americaine Avexis a levé 500 millions de dollars pour réaliser des essais cliniques et le passage à l’espèce humaine.

Et le Généthon dépassé, pour quinze millions de dollars, en gros le prix de ses recherches, a cédé ses brevets à son jeune vainqueur…

Lequel vainqueur s’est fait racheter par Novartis pour 8.7 milliards de dollars.

Et Novartis espère vendre pour 2 milliards par an de Zolgensma; le généthon touchera des royalties sur ces ventes, qui seront réinvesties dans la recherche, car nous sommes français des gentils, peut-être inadaptés.

L’Express et le Canard le martèlent, la France n’a pas su créer de  filière pour les thérapies génétiques, qui irait de la recherche jusqu’à l’industrialisation, pas seulement pour être nous aussi milliardaires, mais pour maîtriser le prix des médicaments…  »

Donc résumons :

1° Un sympathique laboratoire français investit 15 millions d’euros.

2° Mais pour la suite il faut un financement bien plus important. Une start up américaine arrive à mobiliser 500 millions de dollars et rachète les brevets du petit laboratoire français.

3° La start up américaine est très efficace mais ne sait pas industrialiser sa découverte. Pas de souci un laboratoire suisse rachète tout pour 8,7 milliards de dollars.

  • Les suisses ont un magnifique business plan, ils pensent vendre pour 2 milliards par an de ce Zolgensma.
  • Les propriétaires de la start up américaine sont devenus très riches et pourront s’ils ont en le besoin acheter le médicament.
  • Le laboratoire français peut tenter de faire d’autres recherches pour trouver des brevets qui permettront d’assurer un nouveau business plan pour une autre firme fortunée.

L’Express rapporte la défense de Novartis devant le tollé provoqué par le prix de ce médicament :  :

« Ce prix est inférieur de moitié au coût sur 10 ans du seul autre traitement existant contre cette pathologie, qui doit être administré durant toute la vie des malades »

Et précise

« L’information est passée inaperçue jusqu’ici, mais ce produit est en effet né dans un laboratoire de recherche français. Et pas n’importe lequel : le Généthon, à Evry (Essonne). Celui-là même qui est largement financé par les dons du Téléthon et par des fonds publics, à travers le salaire d’une partie des chercheurs, issus du CNRS ou de l’Inserm, qui y travaillent. »

Le Canard Enchainé donne la parole aux professionnels français :

« « On s’effondre dans son fauteuil en découvrant des montants pareils ! s’indigne Alain-Michel Ceretti le président de France Assos Santé qui fédère les associations de patients. Au bout de la spirale, le prix du médicament est totalement déconnecté de son coût de recherche développement. […]

Pour la France, c’est une réussite sur toute la ligne : non seulement la découverte lui échappe, mais en plus la Sécu devra payer le remède au prix fort (une centaine de bébés pourraient en bénéficier chaque année. Le 22 mai 2018, au cours d’un déjeuner organisé par le club de l’Europe (une boite de lobbying), le patron de Novartis France avait déjà évoqué devant une brochette de députés, sénateurs et associations de patients, le coût du futur Zolgensma : « Il a parlé de 800 000 euros » pour la France mais ce sera peut-être plus, vu le prix délirant obtenu aux Etats-Unis » raconte un des participants. »

Et le Canard enchaîné donne le mot de la conclusion à Laurence Tiennot-Herment, la présidente de l’AFM-Téléthon :

« On tire la sonnette depuis des années pour éviter ce scénario. Je ne compte plus les ministres et les présidents (y compris Macron) que l’on a interpellés pour les convaincre de créer une filière française des thérapies géniquesqui irait de la recherche jusqu’à l’industrialisation et qui permettrait de maîtriser le coût du médicament. Sinon on est dépossédés de nos brevets. »

Que dire de tout cela ?

D’abord que le prix de ce médicament doit une petite part au travail de recherche et développement des laboratoires qui ont œuvré à sa réalisation et une très grand part à la spéculation puisqu’il y a eu accord sur un prix exorbitant que la firme suisse a accepté de payer parce qu’elle en espérait un profit ultérieur énorme.

Et la firme suisse a trouvé un allié de poids : les assurances américaines privées qui n’ont pas négocié pour minimiser le prix mais ont eu pour objectif de créer la rareté pour pouvoir augmenter leur profit par une hausse de leurs tarifs justifiée par un médicament exceptionnel.

Je ne dis pas que le marché n’est pas efficace et que les entreprises privées ne sont pas utiles pour la création de valeur.

Mais cet exemple montre aussi la perversité et l’oubli des valeurs humaines quand la logique du marché est poussée à son paroxysme et la cupidité des hommes ne se heurte à aucune limite.

Je me souviens d’un professeur qui comparait la santé organisée par le « Public » et celle par le « Privé »

Le « Public » cherche à soigner la population au meilleur coût.

Le « Privé » cherche à soigner la population en maximisant les profits.

Par ailleurs, il ne me semble pas juste de dire qu’il n’y a pas d’argent en France. Les français épargnent énormément. Simplement nous n’arrivons pas collectivement à mobiliser ces capitaux pour aider et continuer les travaux de nos laboratoires jusqu’à la commercialisation.

Ce mot du jour montre le monde économique comme il fonctionne.

<1249>

Vendredi 26 avril 2019

« L’écriture donne du sens à l’incohérence  »
Boris Cyrulnik

Vendredi j’avais évoqué un livre de Boris Cyrulnik publié en 2004 : « Parler d’amour au bord du gouffre » pour en tirer une histoire qu’il a racontée et arriver à ce désir : « Avoir une cathédrale dans la tête ».

Ce neuropsychiatre qui a vécu des traumatismes terribles dans son enfance et qui en a tiré l’expérience de la résilience vient d’écrire un nouveau livre au titre étrange et merveilleusement beau : « La nuit, j’écrirai des soleils » où il parle du besoin d’écrire pour surmonter les traumatismes, les crises, les difficultés. C’est un livre qui lie la résilience et la littérature.

Je l’ai d’abord entendu parler ce livre parce qu’il avait été l’invité d’Ali Badou <le 12 avril 2019>.

Il avait notamment révélé lors de cette émission

« Nous avons constaté que parmi les créatifs, il y avait un nombre anormalement élevé d’orphelins. Nous nous sommes demandés quel rapport il pouvait y avoir entre l’orphelinage et la créativité dans toutes ses formes. Parce que probablement, l’identité n’est plus contrainte. Comme disait Jean-Paul Sartre, ‘n’ayant pas eu de père, j’avais toutes les libertés’, donc c’est une nouvelle manière de poser le problème psychologique après un trauma »

Et j’ai lu son entretien au magazine du journal le Progrès : « Fémina » dont j’ai aimé particulièrement le titre que j’ai repris comme exergue de ce mot du jour : « L’écriture donne du sens à l’incohérence »

J’ai aimé ce titre, je crois que je comprends intimement sa réalité. Pour Boris Cyrulnik partager sa souffrance ne suffit pas à diminuer l’impact de la blessure, il faut aussi en devenir acteur. Ce que permet l’écriture.

Boris Cyrulnik dit par exemple :

« Donald Winnicott nous a appris qu’un enfant qui ne sait pas parler peut trouver dans le dessin la force de dire ce qu’il ne peut exprimer. La recherche a montré depuis que beaucoup d’enfants en difficulté déployaient à l’âge scolaire une véritable fièvre de l’écriture. En m’intéressant à l’origine du besoin d’écrire, j’ai découvert que sur les trente-cinq écrivains les plus célèbres du xixe siècle, dix-sept sont des orphelins ou des enfants abandonnés. Prenons aussi l’exemple des soldats engagés dans un conflit armé. Ceux qui peuvent écrire ce qu’ils ont vécu présentent peu de syndromes post-traumatiques de retour chez eux au regard de ceux qui n’ont pu en parler ou s’exprimer. »

Grâce aux techniques modernes de la neuro-imagerie, il est possible aujourd’hui de voir la réaction et l’évolution d’un cerveau. Et cela permet notamment d’examiner le cerveau de ceux qui ont subi des chocs affectifs ou des traumatismes :

« La neuro-imagerie révèle de graves lésions cérébrales chez les bébés en carence affective et sensorielle. Elle montre aussi que, dès qu’ils sont en contact avec une famille d’accueil aimante, les circuits neuronaux sont à nouveau « réchauffés », mais que ce n’est pas suffisant. Ces enfants-là gardent la trace de la privation passée et acquièrent une grande vulnérabilité neuro-émotionnelle qui les expose à la dépression, au passage à l’acte (suicide, délinquance) ou bien à une forme intense de rêverie qui les coupe du réel. Ceux qui retrouvent goût à l’existence sont ceux qui parviennent à faire « quelque chose » de leur malheur passé. Cela s’explique très bien sur le plan cérébral. Les neurones préfrontaux – qui ont pour fonction d’anticiper un scénario et de freiner les réactions de l’amygdale rhinencéphalique, socle neurologique des émotions insupportables – sont alors stimulés. Ils peuvent à nouveau jouer leur rôle de régulation émotionnelle. »

Et c’est là qu’intervient l’écriture :

« Elle permet d’échapper à l’horreur du réel qui fait disjoncter le cerveau, de ne pas rester prisonnier du contexte et de ne pas tomber dans la jouissance immédiate que procure, par exemple, la drogue. En sublimant la souffrance, en la transformant en œuvre d’art, l’écriture donne du sens à l’incohérence, au chaos, comble le gouffre de la perte (dans le cas de la mort d’un enfant, par exemple, comme chez Victor Hugo) et crée un sentiment d’existence. De simple témoin impuissant, l’auteur devient créateur de ce qu’il raconte. »

Il explique savamment ce que mon intuition m’a fait découvrir : la force de l’écrit par rapport à la parole :

« Quand un mot parlé est une interaction avec un interlocuteur réel qui réagit à notre discours et l’influence (soupirs, mimiques, relances…), le mot écrit nous fait plonger dans l’imagination et l’introspection puisque nous nous adressons à un ami invisible.

La poésie et la musique des mots, leur résonance affective, cassent aussi le langage logique et mettent en place une langue irrationnelle, qui dit la vérité du monde le plus intime.

Les mots écrits possèdent enfin un pouvoir de mise à distance et de « métabolisation » plus important. Ce n’est pas l’acte de parler qui apaise, c’est le travail de recherche des mots, des images, l’agencement des idées, qui entraîne à la régulation des émotions. Cela explique pourquoi ceux qui souffrent peuvent écrire des poèmes, des chansons, des essais, des romans où ils expriment leurs souffrances alors qu’ils sont incapables d’en parler en face à face. »

Il explique le sens de ce titre énigmatique : «  La nuit, j’écrirai des soleils ? »

C’est dans le noir que l’on espère la lumière, c’est dans la nuit que l’on écrit des soleils… Jean Genet commettait des vols pour aller en prison et se contraindre à écrire. Rimbaud s’isolait dans les latrines. Eux qui avaient tant besoin d’affection s’en privaient volontairement pour stimuler leur créativité ! L’écriture opère comme une sorte de phénomène compensatoire, comme les enfants aveugles qui développent leur ouïe. Quand il y a déficit de perceptions, l’imagination flambe et empêche l’agonie psychique. Fort heureusement, de nombreux auteurs (Pierre de Ronsard, Jacques Prévert…) parviennent à écrire lorsqu’ils sont heureux. Il ne s’agit alors plus de combler un manque mais de jouer avec les mots, les idées, les représentations. Quel plaisir pour le lecteur !

Il rappelle aussi son enfance meurtrie et la relation particulière qu’il a développé avec l’écriture :

« [L’écriture] m’a sauvé en me permettant de sortir du silence et de me réapproprier mon histoire. Ayant échappé de justesse à une rafle à 6 ans, pendant la guerre, on m’a dit que j’allais mourir si je parlais.

A la Libération, on ne m’a pas cru, on m’a fait taire, on m’a expliqué que mes parents avaient dû commettre de grands crimes pour être déportés et subir de telles souffrances et, même, on a ri de mon trauma.

Puisque je ne pouvais m’exprimer, je me suis réfugié dans la rêverie et la lecture. Pendant quarante ans, ma vie a été muette, jusqu’au moment où je me suis décidé à écrire… En achevant cet essai, je ne vois plus mon enfance de la même manière. Je me suis plongé dans les archives, je suis retourné sur les lieux qui m’ont marqué, j’ai échangé avec d’autres personnes… J’ai aujourd’hui l’impression de l’enfance d’un autre, intéressante et détachée. Le travail de l’écriture a modifié ma mémoire. Je ne suis plus traumatisé en la racontant. Et je ressens toujours un profond bonheur quand mon récit résonne pour le lecteur : « Cela me fait penser à moi. »

Et il finit son entretien par cet appel à trouver son moyen d’expression, car tout le monde n’est pas capable d’écrire. Il en cite de nombreux : la musique, la peinture, la danse, le théâtre, la vidéo, le slam, la bande dessinée, l’engagement associatif, une cause humanitaire….

Une « création » qui donne sens.

Je vous conseille, si vous ne l’avez pas encore vu, de regarder ce bel et profond entretien qu’il accorde à François Busnel dans « La Grande Librairie » du 11 avril 2019. Il parle de son enfance fracassée, des grands auteurs qui on tous vécu un traumatisme, des étapes de la résilience. Il parvient à faire se rejoindre la science et la poésie.

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Vendredi 29 mars 2019

« Reste simplement là. »
David Servan Schreiber

Parallèlement au livre de Simonton, je lis aussi le premier livre de David Servan-Schreiber : « Anticancer ».

C’est un livre qui avait aussi renouvelé l’approche de cette maladie, beaucoup de conseils notamment alimentaires sont donnés, ainsi que des explications sur la manière dont elle se déclare et se développe.

Mais ce qui me fascine, avant tout, dans cet ouvrage, c’est l’humanisme qui s’en dégage.

David Servan Schreiber se décrit, avant, comme un jeune chercheur en neuroscience, ambitieux essayant de trouver des réponses grâce à la technologie la plus moderne, se désintéressant beaucoup des patients, peu enclin à des réflexions humanistes, tellement obnubilés par la réussite de ses recherches qu’il était prêt à sacrifier sa vie personnelle et sentimentale.

Et puis il y a après, après la découverte de son cancer.

Et dans son chapitre 5 « Annoncer la nouvelle », il raconte une histoire et exprime aussi toute l’élévation spirituelle que lui a apporté et fait comprendre ce qui lui arrivait.

Et je voudrais partager le début de ce chapitre.

Souvent quand sait qu’une personne qu’on aime ou simplement qu’on apprécie est touchée par une maladie incurable ou très grave, on ne sait pas comment réagir, on ne sait pas quoi dire, on voudrait aider mais le comment ne nous apparait pas. Quelquefois on est tellement mal qu’on peut aller jusqu’à fuir la présence de cette personne.

En toute simplicité, David Servan Schreiber répond à cette angoisse et peur : « reste simplement là » :

« La maladie peut être une traversée terriblement solitaire. Quand un danger plane sur une troupe de singes, déclenchant leur anxiété, leur réflexe est de se coller les uns aux autres et de s’épouiller mutuellement avec fébrilité. Cela ne réduit pas le danger, mais cela réduit la solitude.

Nos valeurs occidentales, avec leur culte des résultats concrets, nous font souvent perdre de vue le besoin profond, animal, d’une simple présence face au danger et à l’incertitude. La présence, douce, constante, sûre, est souvent le plus beau cadeau que puissent-nous faire nos proches, mais peu d’entre eux en savent la valeur.

J’avais un très bon ami, médecin à Pittsburgh comme moi, avec qui nous aimions débattre sans fin et refaire le monde. Je suis allé un matin dans son bureau pour lui annoncer la nouvelle de mon cancer. Il a pâli pendant que je lui parlais, mais il n’a pas montré d’émotion. Obéissant à son réflexe de médecin, il voulait m’aider avec quelque chose de concret, une décision, un plan d’action. Mais j’avais déjà les cancérologues, il n’avait rien à apporter de plus sur ce plan. Cherchant à tout prix à me donner une aide concrète, il a maladroitement abrégé la rencontre après m’avoir prodigué plusieurs conseils pratiques, mais sans avoir su me faire sentir qu’il était touché par ce qui m’arrivait.

Quand nous avons reparlé plus tard de cette conversation, il m’a expliqué un peu embarrassé : « Je ne savais pas quoi dire d’autre. »

Peut-être ne s’agissait-il pas de « dire ».

Parfois ce sont les circonstances qui nous forcent à redécouvrir le pouvoir de la présence. Le docteur David Spiegel raconte l’histoire d’une de ses patientes, chef d’entreprise, mariée à un chef d’entreprise. Tous deux étaient des bourreaux de travail et avaient l’habitude de contrôler par le menu tout ce qu’ils faisaient. Ils discutaient beaucoup des traitements qu’elle recevait, mais très peu de ce qu’ils vivaient au fond d’eux-mêmes. Un jour, elle était tellement épuisée après une séance de chimiothérapie qu’elle s’était effondrée sur la moquette du salon et n’avait pas pu se relever. Elle avait fondu en larmes pour la première fois. Son mari se souvient : «  Tout ce que je lui disais pour essayer de la rassurer ne faisait qu’aggraver la situation. Je ne savais plus quoi faire, alors j’ai fini par me mettre à côté d’elle par terre et à pleurer aussi. Je me sentais terriblement nul parce que je ne pouvais rien faire pour qu’elle se sente mieux. Mais c’est précisément quand j’ai cessé de vouloir résoudre le problème que j’ai pu l’aider à se sentir mieux. »

« Dans notre culture du contrôle et de l’action, la présence toute simple a beaucoup perdu de sa valeur. Face au danger, à la souffrance, nous entendons une voix intérieure nous houspiller : « Ne reste pas là comme ça. Fais quelque chose ! » Mais dans certaines situations, nous aimerions pouvoir dire à ceux que nous aimons : « Arrête de vouloir à tout prix «  faire quelque chose ». Reste simplement là !  »

Certains savent trouver les mots que nous avons le plus besoin d’entendre. J’ai demandé à une patiente qui avait beaucoup souffert pendant le long et difficile traitement de son cancer du sein ce qui l’avait le plus aidée à tenir moralement. Mish y a réfléchi plusieurs jours avant de me répondre par email :

« Au début de ma maladie, mon mari m’a donné une carte que j’ai épinglée devant moi au bureau. Je la relisais souvent. Sur la carte, il avait écrit : « Ouvre cette carte et tiens-la contre toi…
Maintenant, serre fort. »

A l’intérieur, il avait tracé ces mots : « Tu es mon tout – ma joie du matin, ma rêverie sexy, chaleureuse et rieuse du milieu de la matinée, mon invitée fantôme à déjeuner, mon anticipation croissante du milieu de l’après-midi, ma douce joie quand je te retrouve le soir, mon sous-chef de cuisine, ma partenaire de jeu, mon amante, mon tout »

Puis la carte continuait : « tout va bien se passer. »
Il avait écrit en dessous : « et je serai là, à tes côtés, toujours.»

Je t’aime.

PJ.

Il a été là à chaque pas. Sa carte a tellement compté pour moi.
Elle m’a soutenue tout au long de ce que j’ai vécu.
Puisque vous vouliez savoir…

Mish »

Voilà…simplement … l’essentiel….

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