Vendredi 16 novembre 2018

« La dislocation de l’Autriche-Hongrie »
Une des conséquences majeures de la défaite des empires centraux.

La planète comptait 53 États indépendants et souverains en 1914. En 1932, elle en rassemblait 77.

Par comparaison l’ONU compte, aujourd’hui, 193 États membres.

Mais revenons aux conséquences de la première guerre mondiale dont la partie la plus visible fut le démantèlement des Empires ottomans et Austro-Hongrois.

L’empire d’Autriche Hongrie représentait un immense territoire au milieu de l’Europe.

Sur la carte de 1914 que nous voyons ici, on constate qu’il avait un empire encore plus grand comme voisin, l’Empire de Russie. Le pouvoir tsariste va s’effondrer, Lénine va rapidement faire la paix avec les puissances centrales et abandonner ses alliés français et anglais.

Nous savons que les relations franco-anglaises ont toujours été conflictuelles. Le plus souvent ces deux Etats étaient ennemis. En tout cas, la Grande Bretagne a toujours été dans des coalitions contre la France, tant que la France constituait la puissance militaire continentale la plus forte.

Mais la guerre de 1870 et la création du 2ème empire, du deuxième Reich en langage tudesque a complétement changé la donne. La puissance continentale principale devenait l’empire allemand. Et ce que jamais la France n’est parvenu à faire, la puissance industrielle allemande a concurrencé puis dépassé celle du Royaume Uni. Insupportable pour cette dernière et elle fit donc alliance avec la France bien que cette dernière était une concurrente du point de vue de l’empire colonial. Mais moins forte que la perfide Albion, ce qui convenait à cette dernière. Mais ce passé explique que l’entente franco anglaise était pleine d’arrière-pensées.

Le véritable allié de la France était l’Empire Russe.

La guerre, la révolution bolchevique ont conduit à ce que la France qui était entrée dans la guerre avec l’alliance russe, en est sortie avec l’alliance américaine.

Le corps expéditionnaire d’Orient qui est illustré par le film “Capitaine Conan” sera d’ailleurs en partie engagé dans la guerre civile russe contre les bolcheviques et du côté des « blancs ».

Nous en sommes encore là. Il y chez certain politiques la nostalgie de la vieille alliance avec la Russie, mais pour l’instant et malgré l’histrion Trump, notre allié reste les Etats-Unis. Ceci remonte à 14-18.

L’empire russe à la sortie de la guerre va devenir l’Union Soviétique et ne perdra pratiquement aucun territoire. La seconde guerre mondiale renforcera sa puissance et lui permettra de soumettre des Etats vassaux dans une organisation entièrement dominée par elle : le Pacte de Varsovie.

Si la Russie se transforme en Union Soviétique militairement plus fort que la Russie, ce n’est pas le cas de l’Autriche-Hongrie.

J’avais consacré le mot du jour du 24/06/2014 à «La Cacanie» dont parlait Robert Musil dans son roman « L’homme sans qualités » pour désigner l’empire austro-hongrois avant la première guerre mondiale. Car cet empire avait pour nom précis L’empire d’Autriche et Royaume de Hongrie ce qui donnait en allemand : Kaiserliche und Königliche Österreichisch-Ungarischen, c’est-à-dire Kaiser Empereur et König Roi d’où KK et donc Cacanie

La Cacanie était un empire qui est le contraire d’un État nation.

L’État nation peut comprendre des minorités mais pour l’essentiel est constitué d’un peuple national qui s’approprie l’État ou dit autrement obtient sa souveraineté par l’État.

L’Allemagne était un État nation en 1914.

Quand on regarde une carte de l’Autriche Hongrie, on constate que l’Empire est composé,d’une multitude de nations.

Et cette carte est particulièrement intéressante pour l’Européen d’aujourd’hui.

Il est question des « Croates » aujourd’hui il existe un État Croate, même que ce fut l’adversaire de la France en finale de la coupe du monde de football. Mais la Croatie ne date pas de 1918, il fallut une autre guerre pour que cet État se crée en 1991..

Alors, s’il n’existe pas de Ruthènie, mais aujourd’hui il existe la Slovaquie, la Slovénie, la Tchéquie et même quelques autres..

Nous avons parlé, hier, de la création de la Pologne qui a repris son territoire en amputant la Russie et l’Allemagne, mais aussi l’Autriche Hongrie qui occupait un territoire autour de Cracovie.

En principal cependant le démantèlement de l’Empire austro-hongrois consista dans la création de 4 États :

  • L’Autriche, le cœur de l’empire et sa capitale, Vienne, désormais disproportionnée, se resserre dans un tout petit État qui est devenu une République. Les dirigeants souhaitaient fusionner avec l’Allemagne, les anglo-saxons trouvaient l’idée acceptable, mais pas la France qui a opposé un veto à cette perspective;
  • La Hongrie, qui était le royaume à l’intérieur de la Cacanie et disposait de ses propres chambres législatives. Elle aussi rétrécit de manière considérable : perte des deux tiers de son territoire et de près des deux tiers de sa population (qui passait brusquement de 20 à 7,6 millions d’âmes). Les Hongrois garde la nostalgie de ce qu’ils appellent la « Grande Hongrie» qui fit aussi l’objet d’un mot du jour.
  • La Tchécoslovaquie qui regroupait les nations tchèques et slovaques
  • La Yougoslavie qui regroupait les nations serbes, croates, bosniaques, slovènes.

La Tchécoslovaquie est sortie du traité de Saint-Germain-en-Laye outre le Tchèques et les Slovaques, ce nouvel État inclut aussi des minorités allemandes, ruthènes, hongroises, polonaises. La minorité allemande des sudètes constitua le prétexte pour Hitler d’occuper d’abord le territoire des sudètes après le sombre épisode des accords de Münich, puis tout le territoire tchécoslovaque. Hitler qui était autrichien, considérait l’annexion de ce jeune Etat comme un juste retour dans l’Empire Allemand qui avait fusionné avec l’Autriche.

Après la seconde guerre mondiale, la Tchécoslovaquie retrouva son indépendance, indépendance limitée par son appartenance au bloc soviétique. Mais quand le communisme s’effondra à l’est, les nations qui n’avaient pu devenir État-nation en 1918 prirent leur revanche et la Tchécoslovaquie donna naissance à la Slovaquie et la République Tchèque le 31 décembre 1992 à minuit. Cette séparation se passa dans le calme et la paix.

Tel ne fut pas le cas de la dislocation de la Yougoslavie.

Mais avant la dislocation il a fallu la créer. La Yougoslavie fut créée le 1er décembre 1918 sous le nom de Royaume des Serbes, Croates et Slovènes.

Le nom Yougoslavie signifiant pays des Slaves du Sud.

En réalité la création de la Yougoslavie est la récompense accordée à la Serbie qui était du côté des alliés et notamment l’allié de la France. Rappelons que c’est la déclaration de guerre de l’Autriche-Hongrie contre la Serbie qui de manière factuelle entraîna toutes les autres déclarations de guerre dans les jours qui ont suivi et qui a ouvert la première guerre mondiale.

Cette déclaration de guerre qui avait pour prétexte le fait que la Serbie refusa, comme tout état souverain qui se respecte, de laisser entrer des policiers autrichiens sur son territoire pour poursuivre le groupe qui aida le bosniaque Gavrilo Princip à assassiner l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche le 28 juin 1914 à Sarajevo.

On constate donc que le territoire de la future Yougoslavie fut au cœur de ces évènements qui déclenchèrent la grande guerre.

Mais au sein de la Yougoslavie, la rivalité entre nations fut toujours vive pour finalement déboucher sur la terrible guerre de Yougoslavie.

Wikipedia précise qu’

« Immédiatement, des désaccords se manifestent à propos des termes de l’union proposée avec la Serbie. Au projet fédéraliste d’inspiration germanique, défendu surtout par les Slovènes et les Croates, s’oppose le projet jacobin et centralisateur d’inspiration française, défendu surtout par les Serbes. Svetozar Pribićević, un Serbe de Croatie, président de la coalition croato-serbe et vice-président de l’État, souhaite une union immédiate et sans condition. D’autres, en faveur d’une fédération yougoslave, étaient plus hésitants, craignant que la Serbie n’annexe simplement les territoires sud-slaves de l’ex-Autriche-Hongrie. »

Ce paragraphe nous apprend deux points importants, le premier est la désunion des nations de la Yougoslavie et le second est que les Croates furent toujours soutenus par les allemands et les Serbes par la France.

L’entourage du Président Macron a complément oublié ce point, ah les jeunes qui ne connaissent pas l’Histoire !, en ne donnant pas la juste place au Président de la Serbie lors de la cérémonie de l’Arc de Triomphe le 11 novembre 2018.

Le président serbe fut relégué sur une tribune annexe, alors que sur la tribune principale se trouvait le premier ministre israélien, alors qu’Israël n’existait pas en 1918 et Erdogan le président de la Turquie ennemie.

Mais cette désunion fut aussi sensible et contre-productive lors du déclenchement de la guerre civile en Yougoslavie dans les années 1990, car les allemands et les français plutôt que d’œuvrer pour la paix et la réconciliation avaient retrouvé leurs pulsions anciennes : la première aidant la Croatie et l’autre allant soutenir la Serbie. Après les horreurs de cette guerre civile, l’Allemagne et France retrouvèrent la raison et eurent une position plus positive. Mais comme toujours, depuis 14-18, c’est à nouveau l’intervention de l’Allié américain qui mit fin à cette guerre.

Pour finir ce mot du jour écrit un peu rapidement, mais qui laisse percevoir combien cette Histoire reste prégnante dans l’Europe d’aujourd’hui, voici la carte de l’Europe après 14-18 et les guerres qui ont suivi immédiatement. Cette carte qui changera encore beaucoup après l’effondrement du bloc soviétique.


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Jeudi 15 novembre 2018

« La Pologne fête les 100 ans de sa renaissance »
Une des conséquences de la première guerre mondiale

Je dois avouer que je ne connais rien de la Pologne qui est pourtant le pays de ma mère.

Il faut savoir que dans les conséquences de la guerre 14-18, il y a aussi la renaissance de l’État de Pologne.

Le sentiment national est très fort dans le cœur des polonais, mais en 1914 ils n’avaient pas d’État.

Le dimanche 11 novembre pendant que le Président Macron présidait les cérémonies du centenaire de l’armistice, entouré de nombreux chef d’Etat et de gouvernement, à Varsovie une foule de 200 000 polonais fêtait les 100 ans de l’indépendance de la Pologne dans une grande marche patriotique et une forêt de drapeau. <J’ai trouvé cette vidéo d’Euronews> qui l’évoquait en soulignant qu’aucun représentant important des Etats de l’Union européenne n’était venu se joindre au peuple polonais pour fêter ce grand jour pour eux. Il est vrai que le gouvernement polonais a pris des décisions concernant le Droit et l’Histoire qui l’ont mis sinon au ban de l’Union du moins rendu peu fréquentable.

L’image qui illustre le mot du jour a été publiée dans un article, sur ce sujet, du journal <La République des Pyrénées>

La Pologne et les polonais ont connu, au long des siècles, un grand problème : leurs voisins.

Le territoire des polonais est pris en étau, comme entre un marteau et une enclume :

  • A l’Ouest, il y a l’Allemagne, avant 1870 la Prusse
  • A l’Est, il y a la Russie,

Ces deux immenses puissances avaient pris l’habitude de se partager ce territoire. Et nous savons qu’elles le referons, une dernière fois en 1939, du temps de Staline et de Hitler par le pacte que signerons Von Ribbentrop et Molotov.

Quand l’Allemagne envahira la Pologne ce sera le déclenchement de la seconde guerre mondiale. Parallèlement l’Union Soviétique attaquera à l’est.

En 1914, un troisième empire, l’Autriche-Hongrie, participait à la partition qui datait de 1795.

Pourtant, les historiens font de la Pologne un des plus anciens pays d’Europe et date sa fondation de l’an 966, date à laquelle on fixe la christianisation de la Pologne. Wikipedia nous apprend que cette christianisation est l’œuvre de Mieszko Ier, duc des Polanes, et c’est son fils Boleslas Ier le Vaillant qui deviendra le premier roi de Pologne, sacré en 1025.

J’ai trouvé un site français spécialisé pour les pays de l’est de l’Europe, Il s’appelle : <Visegradpost>. Ce site écrit :

« Le 11 novembre est un jour de fête et de commémorations en Pologne.

Depuis plusieurs semaines déjà, les drapeaux blancs et rouges flottent fièrement pour célébrer la liberté si chère au peuple polonais, et dont ce dernier a longtemps été privé. En 1795, la jadis puissante Pologne a totalement disparu de la carte de l’Europe au profit de ses voisins. De 1795 à 1918, l’Empire russe, la Prusse et l’Autriche se partageaient l’entièreté du territoire polonais.

Durant cette longue période de 123 ans, le pays fait l’objet d’une importante campagne de dépolonisation.

En plus de l’occupation du territoire, les envahisseurs russes et allemands ont également mené une politique visant à annihiler la « polonité ». Le simple usage du polonais dans les territoires occupés était sévèrement puni dans ce contexte de germanisation (à l’Ouest) et de russification (à l’Est). Ceci explique en partie l’attachement des Polonais à leur identité (nationale, culturelle, religieuse,…). Ce n’est qu’au moment de la signature de l’Armistice du 11 novembre 1918 que la Pologne est réapparue sur la carte du monde.

Il faut garder à l’esprit que la Pologne demeure l’un des plus anciens pays d’Europe. La fondation de l’État polonais date de l’an 966. Au cours du XVIIe siècle, la Pologne représentait une des plus grandes puissances européennes avec un territoire s’étendant sur une superficie (largement) supérieure à celle de la France actuelle (Royaume de Pologne-Lituanie, 815 000 km2). »

Cet article qui parle d’une disparition totale de la Pologne en 1795, néglige un petit épisode du à Napoléon Ier qui créa Le duché de Varsovie en 1807, sur des territoires partiellement polonais pris au royaume de Prusse lors du traité de Tilsit. Le roi de Saxe Frédéric-Auguste Ier, allié de Napoléon, devient aussi duc de Varsovie. En 1809, le duché reçoit des territoires repris à l’Empire d’Autriche. Il prend fin dès 1813, étant occupé par l’armée russe à la suite du désastre de la retraite de Russie.

L’époque la plus glorieuse ou du moins la plus puissante de la Pologne se situe au XV et XVI siècle quand elle s’allie avec la Lituanie pour donner « La République des deux Nations ». C’est pendant cette période que la Pologne renforcée de la Lituanie a pu mener plusieurs invasions contre la Russie, alors affaiblie par une période de troubles internes. Ses troupes parvinrent même à occuper Moscou du 27 septembre 1610 au 4 novembre 1612.

L’amoureux d’Opéra que je suis, se rappelle que dans le chef d’œuvre de Moussorgski « Boris Godounov » les troupes polonaises envahissent le plateau à la fin de l’Opéra. Ce n’est pas tout à fait exact, les troubles internes dont il était question dans le paragraphe précédent concernent cette période qui suit la mort d’Ivan le Terrible et la vacance du pouvoir en raison de la mort de sa lignée. C’est bien Boris Godounov qui était un proche du Tsar qui va prendre le trône. Mais il mourra subitement, le 13 avril 1605 à Moscou donc avant l’occupation de Moscou par les polonais en 1610.

Cela n’arrivera plus et l’expansion de l’Empire Russe au XVIIIème siècle prendra le chemin inverse et grignotera peu à peu le territoire polonais.

Les russes ne sont pas les seuls à envahir la Pologne, il y a aussi les suédois, les prussiens et aussi les turques.

L’Histoire retiendra les « Les trois partages successifs de la Pologne » qui auront lieu en 1772, 1793 et 1795.


Wikipedia nous apprend :

« La première partition de la Pologne, en 1772, conduit à un sursaut civique. Ce sursaut mène en 1791 à la proclamation de la Constitution polonaise du 3 mai 1791, nettement moins « révolutionnaire » que celle de la France, mais, néanmoins perçue comme trop dangereuse pour ses voisins, d’où le deuxième partage, qui provoque une révolte menée par un héros de la guerre d’indépendance américaine, Tadeusz Kościuszko. Cette révolte sert de prétexte au troisième partage, quand le royaume de Pologne est rayé de la carte. »

Nous savons qu’il y a aura cependant pendant 6 ans l’existence du duché de Varsovie.

Mais pendant tout ce temps, le peuple polonais gardera sa fibre nationaliste. Les musiciens joueront un grand rôle : Chopin en raison de célébrité et dont la musique évoquera toujours sa Pologne natale qui n’existait plus en tant qu’Etat, il écrira notamment ses célèbres <Polonaises> et c’est un autre pianiste et compositeur Ignace Paderewski (1860-1941) qui jouera un rôle essentiel dans la renaissance de l’Etat polonais, ce sera d’ailleurs lui qui signera le Traité de Versailles au nom de la Pologne. Il aura surtout un rôle éminent auprès du Président américain Woodrow Wilson.

C’est ainsi que le président américain, dans son discours du 8 janvier 1918, prononcé devant le Congrès, inclut l’indépendance de la Pologne parmi ses Quatorze Points :

« Un État polonais indépendant devra être constitué, qui inclura les territoires habités de populations indiscutablement polonaises, [État] auquel devra être assuré un accès libre et sûr à la mer, et dont l’indépendance politique et économique et l’intégrité territoriale devraient être garanties par engagement international. »

La création de l’Etat polonais ne sera pas une partie facile, l’Allemagne est hors d’état de nuire, mais la Russie soviétique dans sa crise révolutionnaire s’attaque à la Pologne lors de la guerre russo-polonaise (février 1919 – mars 1921) car les frontières entre les deux États naissants, la Russie soviétique et la Deuxième République de Pologne n’avaient pas été clairement définies par le traité de Versailles. A la fin de la guerre le traité de 1921 se traduit pour la Pologne par des concessions territoriales au regard de la situation frontalière en avril 1920.


Et après le nouveau dépeçage de la Pologne entre l’Allemagne de Hitler et la Russie de Staline, les Polonais retrouveront un État en 1945, mais si peu indépendant car sous la coupe de l’Union Soviétique par l’intermédiaire du Parti Communiste qui s’appelait en Pologne le POUP : Parti ouvrier unifié polonais

On peut comprendre que les polonais continuent après cette longue histoire à se méfier des russes et peut être aussi des allemands.

La carte de la Pologne est aujourd’hui encore significativement différente de celle de 1921. Ainsi le Dantzig allemande est devenu Gdansk et la ville polonaise de Lwow est devenu ukrainienne sous le nom de L’viv. Varsovie s’est rapprochée de la frontière de l’Est et Poznan s’est éloignée de la frontière de l’Ouest. Bref, la Pologne a gagné sur l’Allemagne et a perdu sur l’Union Soviétique.

Les Européens exigeront comme condition de leur accord à la Réunification de l’Allemagne que cette dernière reconnaisse officiellement, en 1990, le tracé de la frontière polono-allemande appelé ligne Oder-Neisse


Si vous voulez en connaître davantage sur ce sujet pour pourrez lire sur le site du journal « La Croix » un entretien avec un historien américain : Timothy Snyder, qui parle de la complexité de cette nation jusqu’à aujourd’hui et aussi de ses parts d’ombre : <L’histoire de la Pologne, de la mort d’une civilisation à la naissance d’un État-nation>

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Mercredi 14 novembre 2018

« Ne doutez jamais toutes les deux de mon honneur et de mon courage »
Dernière lettre d’un soldat français en 1917 à son épouse et à sa fille

Dans la suite du mot du jour d’hier, dans lequel je m’interrogeais sur le vrai apport du haut commandement français dans la victoire finale, je voudrais partager aujourd’hui un témoignage.

Ce témoignage est une lettre d’adieu à l’amour de sa vie d’un soldat qui va être fusillé pour l’exemple. Il faut savoir se détacher des concepts et du refuge rassurant des idées pour redescendre à hauteur d’homme pour saisir la vérité du vécu.

Quelquefois les faits et le témoignage sont si forts qu’ils sont leçon de vie et d’Histoire.

«Le 30 mai 1917

Léonie chérie

J’ai confié cette dernière lettre à des mains amies en espérant qu’elle t’arrive un jour afin que tu saches la vérité et parce que je veux aujourd’hui témoigner de l’horreur de cette guerre.

Quand nous sommes arrivés ici, la plaine était magnifique.

Aujourd’hui, les rives de l’Aisne ressemblent au pays de la mort. La terre est bouleversée, brûlée. Le paysage n’est plus que champ de ruines. Nous sommes dans les tranchées de première ligne.

En plus des balles, des bombes, des barbelés, c’est la guerre des mines avec la perspective de sauter à tout moment. Nous sommes sales, nos frusques sont en lambeaux. Nous pataugeons dans la boue, une boue de glaise, épaisse, collante dont il est impossible de se débarrasser. Les tranchées s’écroulent sous les obus et mettent à jour des corps, des ossements et des crânes, l’odeur est pestilentielle.

Tout manque : l’eau, les latrines, la soupe. Nous sommes mal ravitaillés, la galetouse est bien vide !

Un seul repas de nuit et qui arrive froid à cause de la longueur des boyaux à parcourir.

Nous n’avons même plus de sèches pour nous réconforter parfois encore un peu de jus et une rasade de casse-pattes pour nous réchauffer.

Nous partons au combat l’épingle à chapeau au fusil. Il est difficile de se mouvoir, coiffés d’un casque en tôle d’acier lourd et incommode mais qui protège des ricochets et encombrés de tout l’attirail contre les gaz asphyxiants. Nous avons participé à des offensives à outrance qui ont toutes échoué sur des montagnes de cadavres.

Ces incessants combats nous ont laissé exténués et désespérés. Les malheureux estropiés que le monde va regarder d’un air dédaigneux à leur retour, auront-ils seulement droit à la petite croix de guerre pour les dédommager d’un bras, d’une jambe en moins ?

Cette guerre nous apparaît à tous comme une infâme et inutile boucherie.

Le 16 avril, le général Nivelle a lancé une nouvelle attaque au Chemin des Dames.

Ce fut un échec, un désastre ! Partout des morts !

Lorsque j’avançais les sentiments n’existaient plus, la peur, l’amour, plus rien n’avait de sens. Il importait juste d’aller de l’avant, de courir, de tirer et partout les soldats tombaient en hurlant de douleur. Les pentes d’accès boisées, étaient rudes.

Perdu dans le brouillard, le fusil à l’épaule j’errais, la sueur dégoulinant dans mon dos. Le champ de bataille me donnait la nausée. Un vrai charnier s’étendait à mes pieds. J’ai descendu la butte en enjambant les corps désarticulés, une haine terrible s’emparant de moi.

Cet assaut a semé le trouble chez tous les poilus et forcé notre désillusion.

Depuis, on ne supporte plus les sacrifices inutiles, les mensonges de l’état-major. Tous les combattants désespèrent de l’existence, beaucoup ont déserté et personne ne veut plus marcher. Des tracts circulent pour nous inciter à déposer les armes. La semaine dernière, le régiment entier n’a pas voulu sortir une nouvelle fois de la tranchée, nous avons refusé de continuer à attaquer mais pas de défendre.

Alors, nos officiers ont été chargés de nous juger. J’ai été condamné à passer en conseil de guerre exceptionnel, sans aucun recours possible.

La sentence est tombée : je vais être fusillé pour l’exemple, demain, avec six de mes camarades, pour refus d’obtempérer. En nous exécutant, nos supérieurs ont pour objectif d’aider les combattants à retrouver le goût de l’obéissance, je ne crois pas qu’ils y parviendront.

Comprendras-tu Léonie chérie que je ne suis pas coupable mais victime d’une justice expéditive ?

Je vais finir dans la fosse commune des morts honteux, oubliés de l’histoire.

Je ne mourrai pas au front mais les yeux bandés, à l’aube, agenouillé devant le peloton d’exécution. Je regrette tant ma Léonie la douleur et la honte que ma triste fin va t’infliger.

C’est si difficile de savoir que je ne te reverrai plus et que ma fille grandira sans moi.

Concevoir cette enfant avant mon départ au combat était une si douce et si jolie folie mais aujourd’hui, vous laisser seules toutes les deux me brise le cœur. Je vous demande pardon mes anges de vous abandonner.

Promets-moi mon amour de taire à ma petite Jeanne les circonstances exactes de ma disparition. Dis-lui que son père est tombé en héros sur le champ de bataille, parle-lui de la bravoure et la vaillance des soldats et si un jour, la mémoire des poilus fusillés pour l’exemple est réhabilitée, mais je n’y crois guère, alors seulement, et si tu le juges nécessaire, montre-lui cette lettre.

Ne doutez jamais toutes les deux de mon honneur et de mon courage car la France nous a trahi et la France va nous sacrifier.

Promets-moi aussi ma douce Léonie, lorsque le temps aura lissé ta douleur, de ne pas renoncer à être heureuse, de continuer à sourire à la vie, ma mort sera ainsi moins cruelle.

Je vous souhaite à toutes les deux, mes petites femmes, tout le bonheur que vous méritez et que je ne pourrai pas vous donner.

Je vous embrasse, le cœur au bord des larmes. Vos merveilleux visages, gravés dans ma mémoire, seront mon dernier réconfort avant la fin.

Eugène ton mari qui t’aime tant.»

Je ne peux exclure le fait que parmi les soldats fusillés, il y en eut qui ont fauté et qui n’ont pas su faire face à leur devoir.

Mais j’ai l’intuition qu’un grand nombre était comme cet Eugène qui acceptait de se battre, de défendre sa ligne et sa patrie mais pas de se lancer à l’attaque sans autre raison que se sacrifier sur l’autel de l’inutile. Quelquefois l’art sait montrer ce que les paroles sont incapables de décrire. Stanley Kubrick a réalisé ce film remarquable, si longtemps interdit en France : «Les Sentiers de la gloire». <Cet extrait du film montre un tel épisode d’attaque insensée >.

Mais pourquoi n’a-t-on pas, au minimum, jugé et condamné Nivelle ?

J’ai trouvé ce témoignage parmi d’autres sur le site du centenaire de 14-18 du pays du haut limousin.

Vous trouverez la page sur laquelle se trouve cette lettre derrière ce lien : https://centenaire1418hautlimousin.jimdo.com/lettres-des-poilus/lettres-de-poilus-et-des-familles/

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Mardi 13 novembre 2018

«Les puissances centrales perdent la guerre parce que le temps joue contre elle »
Arndt Weinrich, chercheur à l’Institut historique allemand, spécialiste de la Première Guerre mondiale

Pourquoi l’Allemagne et les Puissances Centrales ont-elles perdu la guerre 14-18 ?

Les allemands répondent : « parce qu’on a poignardé l’armée allemande dans le dos ». D’abord le gouvernement civil qui n’a pas assez soutenu l’armée, puis les communistes qui ont commencé à faire la révolution dans tous le pays et ont affaibli la nation. Bientôt d’autres viendront et diront que c’est la faute des juifs.

Les tenants de cette thèse présentent un argument factuel, l’Armée allemande était toujours sur le territoire français et belge, chez l’ennemi donc. Elle n’était donc pas vaincue.

Un dessin vaut mieux qu’un long discours, et si on regarde la carte du front au 11 novembre 1918, on voit que c’est exact. En 1918, Metz était en Allemagne mais le front ne l’avait pas encore atteint. Quand on regarde les autres villes sur le front Mons, Maubeuge, Mézières … pas de ville allemande.

Dès leur retour à Berlin, on leur dira : « Vous n’avez pas été vaincu ». Vous constaterez aussi qu’en face du Maréchal Foch, l’autorité allemande n’a pas envoyé un de ses généraux mais un civil : Matthias Erzberger.

Les français répondent autre chose. La France a gagné la guerre grâce à ses généraux. Le Maréchal Foch a gagné la guerre, voici ce qu’on lit encore dans les livres d’histoire et puis on associe d’autres généraux et maréchaux à cette célébration.

Mélenchon qui, une fois de plus aurait mieux fait de se taire, a twitté : « Le maréchal Joffre est le vainqueur militaire de la guerre de 14-18. »

Le maréchal Joffre qui était partisan de « l’offensive à outrance » qui a couté tellement de vies de soldats sans faire avancer pour autant les lignes ou de manière si dérisoire.


« Attaquons comme la lune »

Philippe Meyer dans son émission de ce dimanche attribua ce mot contre l’attaque à outrance et contre Joffre à Lyautey. Mais il se trompait, je sais depuis que ce mot était en réalité du général Lanrezac qui fut (limogé dès le 3 septembre 1914) par Joffre lui-même.

Les généraux français ont peut-être pu parfois décider d’une bonne stratégie ponctuelle, ils ont surtout, comme les généraux allemands d’ailleurs, été de grands pourvoyeurs d’assauts inutiles et meurtriers.

Je ne pense pas qu’ils méritent la gloire que l’on a voulu leur donner.

Et pour essayer de comprendre pourquoi l’Allemagne a perdu, je vous propose de lire l’analyse de cet historien d’origine allemande mais qui travaille en France : Arndt Weinrich. L’article dont je donne des extraits est encore une fois extrait de cette remarquable revue historique : « L’Histoire » et le titre de l’article est : « Pourquoi les puissances centrales ont perdu »

Il faut rappeler pour bien comprendre le texte qui suit que les « Alliés » ou l’«Entente » représentent la France, la Grande Bretagne, la Russie etc alors que l’Allemagne, l’Autriche Hongrie et l’Empire Ottoman sont appelés « Les puissances centrales ».

« A bien des égards, la question de savoir pourquoi les Puissances centrales ont perdu doit être inversée, pour s’interroger sur pourquoi elles ont réussi à tenir si longtemps ?.

Un rapide survol sur quelques chiffres clés permet de comprendre à quel point l’Allemagne, et cela est encore plus vrai pour son allié le plus proche, l’Autriche –Hongrie, était particulièrement mal inspirée de poursuivre une politique d’escalade en juillet 1914 : l’éclatement de la guerre met aux prises 118 millions d’Allemands et d’Autrichiens-Hongrois avec plus de 260 millions de Français, Russes, Britanniques et Serbes.

Un rapport de force démographique qui ne tient même pas compte des empires infiniment plus importants du côté de l’Entente (400 millions). Cela se traduit sur le plan militaire, par une nette supériorité numérique : ainsi, au début de la guerre, les puissances centrales mobilisent 6,3 millions de soldats contre quelques 9 millions du côté Allié. Sur toute la durée du conflit, et en tenant compte des différents pays venant renforcer les deux camps, 26 millions de mobilisés des puissances centrales se sont trouvés en face de presque 47 millions de mobilisés Alliés.

Sur le plan économique, ô combien important dans une guerre industrielle comme la Grande guerre, la situation est également très favorable à l’Entente : l’Allemagne avait beau être une puissance industrielle et technologique de tout premier plan, le PIB de l’Entente, était déjà en 1914, supérieur de 60 % à celui des puissances centrales. En 1917, avec l’entrée en guerre des États-Unis, première puissance économique mondiale, la situation devint rapidement intenable pour ces dernières.

Le rapport des forces économiques paraît encore plus déséquilibré si l’on tient compte du fait que l’économie allemande était très intégrée dans le commerce global et dépendait des importations de matières premières, importation compromise avec le blocus mis en place par la Royal Navy dès 1914, mais aussi parce que l’Allemagne, et l’on tend aujourd’hui à négliger cet aspect, faisait la guerre à ses principaux fournisseurs !

Avant 1914, l’état-major allemand avait évidemment conscience de cette infériorité structurelle, mais, au lieu d’en tirer la conclusion qu’il fallait éviter la guerre à tout prix, il en va à considérer que celle-ci pouvait être gagnée à condition qu’elle soit courte, c’est-à-dire si l’on arrivait à arracher, en frappant le plus dur et le plus rapidement possible, une victoire décisive.

Le plan Schlieffen, avec lequel l’Allemagne attaqua en août 1914 en lançant très vite l’offensive sur la France à travers le Luxembourg et la Belgique, est l’illustration la plus parlante de cet état d’esprit. […]

On comprend le désarroi du chef d’état-major allemand Helmuth von Moltke après la bataille de la Marne, en septembre 1914 qui permet aux Français d’arrêter l’avancée allemande. […]

Évidemment tout n’était pas perdu pour les puissances centrales ; après tout, la guerre n’est pas un exercice d’arithmétique où il suffirait de compter les effectifs, le potentiel démographique et économique pour déterminer le vainqueur. Reste que, à partir de ce moment-là, le temps de cessa de jouer en faveur des Alliés. […]

D’où la tentation de prendre des risques pour en finir à tout prix : c’est sur cette toile de fond qu’il faut comprendre la décision allemande de déclarer la guerre sous-marine à outrance en février 1917, décision qui s’est révélée non seulement inefficace pour arracher la victoire, mais qui a tout au contraire contribué à rendre la situation désespérée en entraînant les États-Unis et donc leur potentiel militaire et économique dans la guerre.

Fondamentalement donc, les puissances centrales perdent la guerre parce que le temps joue contre elle ; c’est un premier élément de réponse à la question de départ. […]

Et à partir de 1916, la situation alimentaire devient extrêmement préoccupante. Au début de 1917, à la sortie d’un hiver particulièrement rude l’apport calorique de la ration journalière, à l’arrière, tomba à 1000 calories, ce qui est largement insuffisant déclenchant des émeutes de la faim dans bon nombre de villes allemandes. En Autriche-Hongrie la situation était encore plus préoccupante.

Or, au lieu de chercher à tout prix une issue politique, les gouvernements misèrent, et la pression du Haut commandement allemand joua un rôle déterminant, sur une paix victorieuse, politique à risque, dont la poursuite tendit à aggraver la situation jusqu’à ce qu’elle devienne intenable. Dans une certaine mesure, la défaite est donc aussi dû, et cela est un deuxième élément de réponse, à un problème de gouvernance, le pouvoir civil s’éclipsant progressivement devant le militaire, qui arrive à imposer la décision. […]

Dans ce contexte, la plus importante des causes immédiates de la défaite a sans doute été la décision allemande de repasser à l’offensive sur le front occidental [début 1918] afin de tenter le tout pour le tout : obtenir une victoire décisive avant l’arrivée massive des troupes américaines. […]

Chacune des cinq offensives allemandes […] avait certes permis une avancée parfois assez spectaculaire, in fine, elles se sont toutes enlisées et ses échecs répétés ont porté le coup de grâce au moral des troupes, d’autant plus que les pertes ont été élevées : quelques 900 000 morts et blessés, qu’il était impossible de remplacer.

Erich Ludendorff, l’homme fort du Haut commandement allemand depuis 1916, avait joué sa dernière carte et il avait perdu. Avec le succès des offensives alliées à partir du 8 août, la « journée noire de l’armée allemande» (selon les propos mêmes de Ludendorff ) il devenait clair que celle-ci n’était plus en mesure de s’opposer pour longtemps aux coups de butoir de l’Entente et des Américains qui jouissaient d’une double supériorité technologique et numérique allant crescendo (plus de 2 millions de soldats américains étaient en France au moment de l’armistice).

Ludendorff est obligé de le reconnaître lui-même quand il demande le 28 septembre 1918, au gouvernement de négocier le plus rapidement possible, ce qui ne l’empêchera pas de devenir, dans l’immédiate après-guerre, l’un des promoteurs les plus farouches de la légende du coup de poignard. »

Et il ajoute

« Ce n’est qu’une fois convaincus (à très juste titre au vu du rapport de force militaire) de l’inévitabilité de la défaite que les soldats et les marins refusent d’obéir. […] Ce fut, en d’autres termes, la défaite qui engendra la révolution et non l’inverse n’en déplaise aux propagandistes de la légende du coup de poignard. »

J’ai lu cette même thèse chez d’autres historiens. Le romantisme et l’exaltation du récit c’est bon pour faire rêver. Mais la réalité est plus prosaïque, l’Allemagne a perdu parce que démographiquement, économiquement et du point de vue des ressources en énergie et en alimentation, les puissances centrales disposaient de moyens largement inférieurs à ceux de l’Entente. Et devant ce déséquilibre, si la guerre avait continué, l’armée française aurait continué jusqu’à Berlin. C’est ce que savait le Haut commandement militaire allemand qui pressait le gouvernement de demander la paix.

Elles n’ont pas gagné, en outre, parce qu’elles ne disposaient pas d’un général génial capable par des manœuvres audacieuses et déstabilisantes de surpasser au début de la guerre ce déséquilibre de moyens.

Et l’Entente et les français n’avaient pas non plus de général génial sinon ils auraient dû gagner bien avant.

En revanche, les soldats des deux côtés et les officiers qui se battaient avec eux, au-delà de toute raison, ont été d’un héroïsme que je qualifierai d’inhumain.

J’avais consacré le <mot du jour du 19 février 2016> à la bataille de Verdun qui avait commencé le 21 février 1916.

Et j’avais cité un livre que j’avais lu : «  L’enfer de Verdun évoqué par les témoins».

Pour débuter la bataille, les allemands ont déclenché sur 60 km de front un bombardement qui a duré 9h.

Les généraux allemands ont alors lancé leurs fantassins sur le terrain pensant qu’ils ne rencontreront que des cadavres et qu’ils pourront progresser sans résistance jusqu’à Verdun et voilà ce qui va se passer :

«  Leurs chefs n’escomptent aucune réaction, considérant que tout a été détruit devant eux. La marche, de 50 à 900 m, s’effectue l’arme à la bretelle. Certaines de ces colonnes franchissent sans s’en apercevoir l’emplacement fumant de ce qui a été notre première ligne, tant il a été pioché et retourné.

Les sections d’assaut progressent, en différents points, de 3 km sans se heurter à la moindre résistance.

D’autres sections voient avec stupeur des fantômes titubants se dresser au bord des trous d’obus. Hébétés, épuisés, sourds, à demi-fous, les survivants obéissent à un réflexe de désespoir, de rage et de vengeance. Nos hommes balancent des grenades, s’ils en ont ; tirent, si leur fusil s’y prête malgré la terre qui le couvre ; ils ont mis baïonnette au canon. Les fantassins allemands s’aplatissent au sol, dégoupillent des grenades, placent en batterie des mortiers de tranchées, lancent des fusées, téléphonent à l’artillerie ; ils ont beau être à 10 contre un, ils sont stoppés !»

Et ces hommes hagards vont arrêter l’avancée allemande laissant le temps aux renforts de venir se positionner devant l’armée du Kronprinz.

Je ne vois pas pour quelle raison on honore les maréchaux et généraux davantage que les autres soldats. Comme eux, ils ont fait leur travail, quelquefois bien, souvent mal en ne tenant aucun compte des enjeux au regard des vies humaines dont ils exigeaient le sacrifice.

Dans la revue l’Histoire, j’ai vu cette reproduction d’un tableau de William Orpen qui était le peintre officiel de l’armée britannique. Celui-ci est un hommage au soldat inconnu britannique en France. Dans un premiers temps il était prévu de représenter, autour de ce cercueil, des dignitaires britanniques. Finalement Orpen décida de les supprimer de ce tableau.

Je pense qu’il a eu raison quand on sait ce que nous savons aujourd’hui.

<1145>

Lundi 12 novembre 2018

« La première guerre mondiale ne s’est pas terminée le 11 novembre 1918 »
Retour sur la vérité historique

Bien sûr le 11 novembre 1918 à 11 heures, il s’est passé un évènement considérable, la puissance principale des empires centraux, l’Allemagne, a signé l’armistice. Le front occidental a fait taire les armes.

Mais ce n’est ni le début, ni la fin de la fin de la guerre.

Ainsi, il y avait eu 5 armistices avant celui du 11 novembre à Rethondes :

  • 9 décembre 1917 entre la Roumanie et l’Allemagne (Focsani)
  • 15 décembre 1917 entre la Russie bolchevique et l’Allemagne (Brest-Litovsk)
  • 29 septembre 1918 entre la Bulgarie et les Alliés (Salonique)
  • 30 octobre 1918 entre l’Empire ottoman et les Alliés (Moudros)
  • 3 novembre 1918 entre l’Autriche-Hongrie et l’Italie (Villa Giusti près de Padoue)

En outre il y a déjà un Traité de paix celui de Brest-Litovsk (3 mars 1918) entre la Russie Bolchevique et les puissances centrales.

D’autres affrontements prennent bientôt ou ont déjà pris le relais. Entre 1917 et 1923 on ne recense pas moins de 27 conflits violents en Europe (1)

D’abord des guerres civiles :

  • Finlande (janvier –mai 1918)
  • Plus connue la guerre civile russe (1917-1923)

Il est d’ailleurs courant de considérer que sans la grande guerre, les souffrances des soldats russes et le fait que la guerre a permis aux révolutionnaires bolcheviques d’être armés, la révolution d’octobre n’aurait pas pu avoir lieu.

Le grand historien français François Furet dans son livre « Penser le XXème siècle » considère que la première guerre mondiale et son avatar, la révolution bolchevique, constituent :

« La matrice du XXème siècle »

Mais il y a d’autres guerres civiles :

  • En Allemagne (1918-1919). C’est ainsi qu’on parlera des spartakistes qui forment alors le Parti communiste d’Allemagne. Mais la révolte spartakiste à Berlin en janvier 1919 sera écrasée. Les figures emblématiques du mouvement Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont tués.
  • En Irlande (1922-1923) où la guerre civile succède à la guerre d’indépendance (janvier 1919–juillet 1921).

Dans l’article de la revue « L’Histoire » cité ci-après, il est affirmé que des corps francs allemands vont intervenir en Irlande avec « des armes et des tactiques héritées du conflit mondial. » Rappelons que les corps francs allemands vont constituer l’ossature des futurs SA qui seront la milice des nazis et leur outil de terreur pour la prise du pouvoir.

Et puis il y a les guerres entre États.

La guerre soviéto-polonaise de (février 1919 – mars 1921) qui est l’une des conséquences de la Première Guerre mondiale et qui est justifié par des conflits de frontière. Ce conflit fera 150 000 morts.

Et enfin la guerre gréco-turque (1919-1922), 45 000 morts, qui constituera la grande victoire de Mustafa Kemal et permettra d’arriver à cette conclusion que l’Empire ottoman fait partie des vaincus de la grande Guerre et la Turquie parmi les vainqueurs.

En réalité l’armistice n’est pas la fin de la guerre mais n’est qu’une interruption temporaire des combats. La fin des hostilités n’interviendra officiellement qu’au moment des traités de paix.

Et l’article de « L’Histoire » de préciser que :

« Face au chaos qui suit la Première Guerre mondiale, les historiens ont pris l’habitude, depuis les années 2000, de préférer la notion de « sortie de guerre » à celle d’«après-guerre » utilisée jusque-là par l’histoire diplomatique. »

Et il rappelle :

« Dans son roman Capitaine Conan (1934, adapté à l’écran par Bertrand Tavernier en 1996), Roger Vercel signale l’absurdité d’une coupure nette entre guerre et paix, lorsqu’il décrit un régiment français de l’armée d’Orient, miné par la dysenterie, sur les bords du Danube. C’est là, le 22 novembre en début d’après-midi, qu’on leur lit le communiqué de Foch qui s’achève par ces mots : « L’armistice est entré en vigueur, ce matin à 11 heures » Entre le 11 novembre 1918 et le 28 juin 1919, temps suspendu entre guerre et paix, les armées alliées procèdent à une lente démobilisation. »

(1) Je tire la plus grande partie de ces informations de l’article : « L’interminable sortie de la guerre » de la revue « L’Histoire » : « 1918 Comment la guerre nous a changés »

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Vendredi 9 novembre 2018

« Mourir pour la Patrie.»
Ernst Kantorowicz, historien allemand

Ce dimanche nous serons le 11 novembre 2018.

Il y a cent ans le 11ème jour du 11ème mois de l’année à 11 heures, les armes de guerre se sont tues sur le front occidental.

Depuis fin septembre 1918, l’état-major allemand avec à leur tête Erich Ludendorff et Paul von Hindenburg a compris que la guerre était perdue pour les allemands, bien que la ligne de front continuait à rester sur le territoire français.

Le 1er octobre 1918, Erich Ludendorff envoie un télégramme au cabinet impérial :

« Envoyer immédiatement un traité de paix. La troupe tient pour le moment mais la percée peut se produire d’un instant à l’autre ».

Par la suite plusieurs échanges auront lieu entre l’état-major allemand et l’état-major alliés avec à sa tête le Général Foch. Parallèlement la situation sociale et politique se dégrade en Allemagne.

Le 9 novembre, le Kaiser allemand abdique et part en exil aux Pays-Bas. Il y a donc exactement 100 ans aujourd’hui.

Et, le 11 novembre, à 2 h 15 du matin, Matthias Erzberger, représentant du Gouvernement allemand emmène la délégation allemande dans le wagon français, dans la clairière de Rethondes, sur la commune de Compiègne dans l’Oise. Pendant près de 3 heures, les Allemands négocient en essayant d’obtenir des atténuations sur chacun des 34 articles que compose le texte. Entre 5 h 12 et 5 h 20 du matin, l’armistice est signé avec une application sur le front fixée à 11 heures du matin, et ce pour une durée de 36 jours qui sera renouvelée trois fois, la dernière fois pour une durée illimitée.

Wikipedia nous apprend :

« Le dernier jour de guerre a fait près de 11 000 tués, blessés ou disparus, […] Certains soldats ont perdu la vie lors d’actions militaires décidées par des généraux qui savaient que l’armistice avait déjà été signé. Par exemple, le général Wright de la 89e division américaine prit la décision d’attaquer le village de Stenay afin que ses troupes puissent prendre un bain, ce qui engendra la perte de 300 hommes.[…]

À 10 h 45 du matin, Augustin Trébuchon a été le dernier soldat français tué ; estafette de la 9e compagnie du 415e régiment de la 163e division d’infanterie, il est tué d’une balle dans la tête alors qu’il porte un message à son capitaine.

[…] l’Américain Henry Gunther est généralement considéré comme le dernier soldat tué lors de la Première Guerre mondiale, 60 secondes avant l’heure d’armistice, alors qu’il chargeait des troupes allemandes étonnées parce qu’elles savaient le cessez-le-feu imminent.

La date de décès des morts français du 11 novembre a été antidatée au 10 novembre par les autorités militaires. Pour les autorités militaires, il n’était pas possible ou trop honteux de mourir le jour de la victoire. »

Le Président Macron a entrepris entre le 4 novembre et le 9 novembre un pèlerinage sur les lieux des combats qu’il a appelé « Une itinérance mémorielle».

Le 11 novembre il sera à l’arc de triomphe avec de nombreux chefs d’Etat pour commémorer, mais commémorer quoi ?

Dans l’émission Esprit Public de ce dimanche 4 novembre Thierry Pech a eu cette itinérance intellectuelle et interrogative :

« C’est le centenaire de la première guerre mondiale. Au-delà des stratégies politiques, il faut se demander : qu’est-ce qu’on célèbre ?
A quoi veut-on réfléchir à l’occasion de ce centième anniversaire ?
C’est cela qui m’inquiète.

On peut continuer à faire ce que l’on a toujours fait.
Célébrer la bravoure de nos hommes tombés au combat.
Ce récit-là, il a cent ans

Quand Lionel Jospin à la fin des années 1990 a essayé de faire une place à ceux qui n’étaient pas dans le souvenir de la gloire et de la fureur, c’est-à-dire les mutins de 1917, on l’a accusé de néo révisionnisme.

Je ne sais pas à quoi on a envie de réfléchir.
D’ailleurs a-t-on envie de réfléchir ?

La guerre de 14, cela a été la découverte de la mort de masse.
Et il a fallu, après 10 millions de morts, 10 millions de morts !, il a fallu essayer d’habiller de symboles et de sens cette chose qui risquait aux yeux de tous de n’en avoir aucun.

[Et à partir de là] on a déployé des dépenses symboliques, des dépenses invraisemblables à donner du sens à ce qui s’était passé.
A ce qui ressemblait si l’on regardait de loin à un grand suicide des puissances européennes.

C’était cela la première guerre mondiale.
Et la France s’est échiné à interdire les bruits dissonants.

On a interdit pendant 20 ans les sentiers de la gloire de Stanley Kubrick.

On a interdit pendant plus de 50 ans la chanson de Craonne, on a préféré la marseillaise. […]

J’aimerais qu’on réfléchisse vraiment à ce qu’a été cette guerre.

Le grand historien allemand, juif exilé, Ernst Kantorowicz a écrit un très bel article dédié à cette idée «  mourir pour la patrie »

A la fin de cet article il a dit : « il faut donner du sens à la mort au combat sinon elle passera pour un meurtre de sang-froid et son souvenir prend la valeur et la signification d’un accident de circulation politique un jour de fête légale.»

Ce à quoi il faudrait réfléchir :  comment en sommes nous arrivés là, à un grand suicide collectif des puissances européennes ? »

J’ai retrouvé la citation exacte que Thierry Pech citait de mémoire qu’Ernst Kantorowicz écrivait dans son article « mourir pour la patrie » en 1951 :

« Nous sommes sur le point de demander au soldat de mourir sans proposer un quelconque équivalent réconciliateur en échange de cette vie perdue. Si la mort du soldat au combat (…) est dépouillée de toute idée embrassant l’humanitas, fût-elle Dieu, roi ou patria, elle sera aussi dépourvue de toute idée anoblissante du sacrifice de soi. Elle devient un meurtre de sang-froid, ou, ce qui est pire, prend la valeur et la signification d’un accident de circulation politique un jour de fête légale.»

Lors de son itinérance, j’ai entendu Emmanuel Macron répéter :

« Ces soldats sont morts pour sauver la patrie ! »

La seconde guerre mondiale est l’enfant de la première, la conséquence inéluctable de la guerre et des traités de paix. Mais la seconde guerre mondiale a un sens : la défaite des nazis. L’élimination d’une idéologie monstrueuse et des crimes inimaginables qui ont été perpétrés au nom de cette abomination.

Mais la première ?

Si les soldats français sont morts pour sauver la patrie, pour quel objectif les soldats allemands sont-ils morts ?

Sans la guerre 14-18, étant donné ma famille et le lieu de leur habitation, je serais probablement allemand et non français. Serait-ce un drame ?

Les soldats allemands sont morts en 14-18 et n’ont pas sauvé leur patrie. Ils sont cependant « morts pour la patrie »

Des soldats allemands sont aussi morts en 39-45 et ont perdu la guerre. Heureusement ! j’ajouterai pour celle-ci.

Il y a eu des destructions énormes, des souffrances dus à la guerre.

Mais est-ce qu’aujourd’hui les allemands vont plus mal que les français ?

Alors est-il vraiment juste de dire que « Ces soldats sont morts pour sauver la patrie ! » ?

Bien sûr que non !.

Mais il faut raconter ce récit, ce mythe pour rendre acceptable cette tuerie, ce massacre d’humains qui se sont entretués sans se connaître au profit d’humains qui se connaissaient et ne se sont pas entretués, selon le mot de Paul Valéry.

Le chef d’œuvre de Bertrand Tavernier : « La vie et rien d’autre », dans lequel, en 1920, le commandant Dellaplane (Philippe Noiret) est chargé de recenser les soldats disparus sur les champs de bataille et d’en tenir la comptabilité se termine par une lettre que Delaplane écrit à Irène (Sabine Azéma) qui cherchait, pendant la durée du film, son mari disparu. La dernière phrase de cette lettre donne cette information :

« C’est la dernière fois que je vous importune avec mes chiffres terribles, mais par comparaison avec le temps mis par les troupes alliées à descendre les champs Élysées pour le défilé de la victoire, environ 3 heures, j’ai calculé que dans les mêmes conditions de vitesse de marche et de formation réglementaire, le défilé des morts de cette inexpugnable folie, n’aurait pas durée moins de 11 jours et de 11 nuits. »

Je vais tenter dans les jours qui suivent de m’interroger sur ce que cette guerre atroce a changé pour nous et pour le monde.

<1143>

Mardi 18 avril 2017

«La Chanson de Craonne »
Chanson des soldats de la bataille du chemin des dames

Le dimanche 16 avril 2017 était le jour de la Pâques chrétienne. C’était Pâques parce qu’il s’agissait du premier dimanche qui suivait la première pleine lune après l’équinoxe de printemps.

Lundi 20 mars 2017 fut le jour de l’équinoxe de printemps.

La pleine lune eut lieu mardi 11 avril (la précédente était le 12 mars, vous trouverez toutes les informations sur les phases de la lune sur ce site).

Et donc le dimanche suivant était le 16 avril et c’est ainsi que chaque année est déterminée Pâques.

Et chaque année, les catholiques et les protestants fêtent la «résurrection du Christ» le premier dimanche qui suit la première pleine Lune après l’équinoxe de Printemps.

En 1917, le 16 avril tombait un lundi, 8 jours après le dimanche de Pâques.

Ce lundi 16 avril 1917, un criminel qui ne fut jamais jugé, même si le tribunal de l’Histoire le condamne, a ordonné à 6 heures du matin le début de la bataille appelé la bataille du chemin des dames. Ce criminel avait pour nom Robert George Nivelle, il ne fut jamais jugé parce qu’il portait l’uniforme de général de l’armée française et qu’il avait agi dans ces fonctions.

La bataille du chemin des dames !

Le chemin des dames est une route qui se situe dans le département de l’Aisne et qui relie, d’ouest en est, les 25,9 km séparant les communes d’Aizy-Jouy et de Corbeny.

Cette route fut baptisée ainsi à la fin du XVIIIème alors qu’il ne s’agissait que d’un petit chemin, peu carrossable parce qu’il fut emprunté entre 1776 et 1789 par Adélaïde et Victoire, filles du roi Louis XV, également appelées Dames de France qui, venant de Paris, se rendaient fréquemment dans un château des environs.

Cette route traverse le village de Craonne qui fut un lieu particulièrement meurtrier de cette bataille qui se déroula du 16 avril jusqu’en juin 1917.

Craonne fut déjà le nom d’une bataille de Napoléon Ier en 1814 où les français battirent les Prussiens et les Russes, au prix de 5 400 morts parmi ses jeunes recrues que l’on appelait les Marie-Louise.

Mais « l’offensive Nivelle » fit beaucoup plus de morts : on estime à près de 200 000 hommes côté français tués au bout de deux mois d’offensives et un chiffre équivalent du côté allemand. Et l’armée française n’avança quasi pas. Tous ces jeunes ont été envoyés à la mort pour aucun résultat. On appela Nivelle « le boucher » du fait de son obstination et son peu de considération pour la souffrance et la mort de ses hommes.

Les hommes exaspérés se révoltèrent, on appela cela des mutineries.

Il y eut de nombreuses condamnations et 43 mutins furent fusillés.

Ils furent fusillés parce que des officiers le décidèrent et parce qu’il y eut suffisamment d’hommes de troupes qui plutôt que de tourner leurs fusils contre leurs officiers, acceptèrent cette décision parce qu’ils croyaient que l’amour et la défense de la Patrie justifiaient ce sacrifice pour l’exemple et la poursuite des combats.

Et c’est à cette occasion que des soldats écriront et chanteront « la chanson de Craonne » une des chansons les plus anti militaristes qui soit.

Elle fut interdite jusqu’en 1974.

Et encore, le 1er juillet 2016, lors de la cérémonie d’anniversaire commémorant les 100 ans de la bataille de la Somme, un secrétaire d’État aux anciens combattants, parfaitement inconnu, Jean-Marc Todeschini refusa que soit entonnée la Chanson de Craonne.

Mais en ce dimanche de Pâques, lors de la commémoration officielle de la bataille du chemin des dames, présidée par François Hollande, la chanson de Craonne put enfin être entonnée en mémoire des soldats morts encore plus inutiles que les autres morts de la première guerre mondiale.

Si le boucher Nivelle subit un moment de disgrâce avérée, en décembre 1917, il fut pleinement réhabilité après la guerre puisqu’il est nommé au Conseil supérieur de la guerre, élevé à la dignité de Grand’croix dans l’ordre de la Légion d’honneur et décoré de la médaille militaire. Il est mort dans son lit en 1924 aux n°33-35 rue de la Tour dans le 16e arrondissement de Paris où une plaque lui rend hommage. 7 ans plus tard, il est même transféré aux Invalides lors d’une cérémonie présidée par le ministre de la Guerre qui était alors André Maginot qui devint célèbre pour une autre immense erreur militaire française.

Voici un lien vers l’interprétation de la <chanson de Craonne par Marc Ogeret>

Et voici ce texte :

Quand au bout d’huit jours le repos terminé
On va reprendre les tranchées,
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile
Mais c’est bien fini, on en a assez
Personne ne veut plus marcher
Et le cœur bien gros, comm’ dans un sanglot
On dit adieu aux civ’lots
Même sans tambours même sans trompettes
On s’en va là-haut en baissant la tête

Refrain :

Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes
C’est bien fini, c’est pour toujours
De cette guerre infâme
C’est à Craonne sur le plateau
Qu’on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés
Nous sommes les sacrifiés

Huit jours de tranchée, huit jours de souffrance
Pourtant on a l’espérance
Que ce soir viendra la r’lève
Que nous attendons sans trêve
Soudain dans la nuit et dans le silence
On voit quelqu’un qui s’avance
C’est un officier de chasseurs à pied
Qui vient pour nous remplacer
Doucement dans l’ombre sous la pluie qui tombe
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes
C’est malheureux d’voir sur les grands boulevards
Tous ces gros qui font la foire
Si pour eux la vie est rose
Pour nous c’est pas la même chose
Au lieu d’se cacher tous ces embusqués
F’raient mieux d’monter aux tranchées
Pour défendre leurs biens, car nous n’avons rien
Nous autres les pauv’ purotins
Tous les camarades sont enterrés là
Pour défendr’ les biens de ces messieurs là

Refrain :

Ceux qu’ont le pognon, ceux-là reviendront
Car c’est pour eux qu’on crève
Mais c’est fini, nous, les troufions
On va se mettre en grève
Ce sera vot’ tour messieurs les gros
De monter sur le plateau
Si vous voulez faire la guerre
Payez-la de votre peau

Le mot du jour du 28/07/2014 citait Paul Valéry « La guerre, c’est le massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent et ne se massacrent pas ».

<Ali Baddou a reçu sur France Inter Nicolas Offenstadt qui a parlé de cette bataille et de la chanson>

<Patrick Cohen a aussi évoqué cette chanson ce même vendredi>

Et <ICI> vous trouverez un site commémoratif de la bataille du chemin des Dames

<876>

Jeudi 12 mai 2016

«Les accords Sykes-Picot»
Accords secrets franco-britannique signés le 16 mai 1916

Lundi, il y a 100 ans, le 16 mai 1916 ont été signés les accords secrets Sykes – Picot dont tout le monde parle encore aujourd’hui.

Quand les combattants de Daech ont ouvert la frontière entre l’Irak et la Syrie pour créer un territoire sur les deux pays, ils ont affirmé :

«Nous avons détruit la frontière Sykes-Picot.»

Dans une explication simpliste, on raconte que les Britanniques et les Français se sont mis d’accord pour se partager le Moyen-Orient et ont créé l’Irak la Syrie dans une réunion entre deux diplomates : un anglais Mark Sykes et un français François Georges-Picot.

Si Paris-Match, aborde ce sujet il vous précisera, en outre, que le diplomate François Georges Picot avait une sœur qui s’appelait Geneviève Georges-Picot. Que cette sœur a épousé Jacques Bardoux, un homme politique. Et que ce couple a eu plusieurs enfants, dont une fille Marthe Clémence qui est la mère de Valéry Giscard d’Estaing.

Mais les choses sont beaucoup plus complexes, les discussions entre Britanniques et Français ont été très longues et après l’accord il y a encore eu beaucoup de changements.

Prenons d’abord le plan de cet accord :

Si vous cherchez à retrouver les frontières actuelles de la Syrie, de l’Irak, de la Jordanie, du Liban, de la Palestine et d’Israël dans ce schéma, vous aurez beaucoup de mal.

Je confirme cela ne correspond pas.

La carte comporte 5 zones :

2 zones bleus pour la France, une d’administration directe et une autre d’influence appelée zone Arabe

 – 2 zones rouges pour le Royaume-Uni , organisées de la même manière.

 – Et une cinquième zone, brune, comprenant la Palestine et Jérusalem qui devait selon les accords Sykes-Picot être internationale ou mixte.

Tout ceci va être défait et refait : ainsi la zone internationale ne sera administrée que par les britanniques et Mossoul ira également chez les britanniques et deviendra une ville d’Irak.

Mais fondamentalement, ce que révèlent les accords Sykes-Picot, c’est une superposition de conflits, assez semblable à ce qui se passe aujourd’hui.

Il y a d’abord le conflit central, la guerre 14-18. Les territoires dont nous parlons font partie de l’Empire Ottoman. Or, l’Empire Ottoman s’est allié à l’Allemagne et aux Austro-Hongrois, il est donc l’ennemi de la France et de la Grande Bretagne.

Mais à l’intérieur de l’Empire Ottoman, il y a aussi conflit, les Arabes n’ont pas beaucoup de considération pour les Turcs, les maîtres de l’Empire. L’Islam est né en leur sein, Mohammed était un des leurs, les Turcs ne sont que des mercenaires rustres. Ils veulent s’en débarrasser et devenir indépendant.

Alors les français et surtout les britanniques qui dominent l’Egypte essayent de convaincre les Arabes de se révolter contre les Turcs pour faciliter la victoire des alliés. C’est ici que se situe Lawrence d’Arabie qui va devenir l’ami des Arabes et se battre à leurs côtés contre les Turcs. Mais les Arabes ont des exigences : ils veulent battre les turcs avec les anglais mais après, ils veulent que ce soit créé un grand Etat Arabe unifié.

Et un autre conflit s’ajoute à tout cela : la rivalité entre l’empire colonial britannique et l’empire colonial français. Ce conflit doit être mis entre parenthèse, parce qu’ils sont alliés dans le conflit majeur, il reste pourtant omniprésent.

Et de la résultante de ces conflits sort cette carte bizarre, les français et les anglais ont chacun leur part des dépouilles de l’Empire Ottoman qui cependant n’est pas encore vaincu.

Et, il y a la zone Arabe, à cause de la promesse des Britanniques pour créer la grande entité Arabe mais restant cependant sous l’influence de la France et des Britanniques, pour les conseiller. Et aussi un peu pour le pétrole dont on perçoit toute l’importance lors de la première guerre mondiale.

Mais quand on parle des Arabes, ce n’est pas simple non plus. Car il y aussi conflit à l’intérieur des Arabes.

Le conflit oppose deux dynasties : la première descend du prophète, c’est la dynastie des Hachémites, Hachem était le grand père de Mohamed. Le chef de cette dynastie s’appelle Hussein, c’est le roi qu’on voit dans Lawrence d’Arabie et qui est joué par Alec Guiness. Son fils aîné est Ali, joué par le bel Omar Sharif. Il a encore deux autres enfants qui vont jouer un grand rôle dans cette partie du Monde. Hussein est le Chérif de La Mecque. En aidant les britanniques, il espère devenir calife d’une grande Arabie unifiée.

L’autre dynastie règne sur le centre de l’Arabie Saoudite, cette région appelée le Nejd avec pour capitale Ryad. Cette dynastie est celle d’Ibn Seoud, qui ne descend pas du prophète mais s’est alliée à la secte rigoriste des Wahabites

La zone côtière, de la mer Rouge qui comprend les villes religieuses de La Mecque et de Médine, s’appelle Hedjaz et c’est dans cette région que va se lancer la révolte Arabe vu dans Lawrence d’Arabie et qui va aller conquérir Aqaba puis Damas.

Et il y a même un autre conflit à l’intérieur de l’administration coloniale britannique, il y a le camp du Caire qui est pour Hussein et le camp de l’Inde qui est pour Ibn Seoud.

Au bout d’un certain nombre de négociations (Clemenceau va lâcher aux britanniques Mossoul et la zone internationale de Palestine) et de trahisons :

  • Hussein va tenter de devenir Calife et régner sur le Hedjaz,
  • Son fils Faycal va tenter de devenir roi de Syrie mais devra quitter ce trône et ira s’installer sur le trône d’Irak, il y restera jusqu’à sa mort en 1933. Son fils Ghazi lui succéda, puis son petit-fils mais qui fut renversé par un premier coup d’état militaire du général Kassem en 1958 et après une période d’instabilité Saddam Hussein pris le pouvoir en 1963.
  • Son fils Abdallah devint roi de Jordanie, son petit-fils Abdallah II règne toujours

Ali, le prince joué par Omar Sharif resta avec son père et fut vaincu avec lui en 1924 par les troupes de Ibn Séoud qui instaura son régime wahhabite sur toute l’Arabie. Cette terre qui est prétendument sacrée pour les musulmans et qui est la seule au monde dont le nom de l’Etat comporte le nom de la famille régnante.

Aujourd’hui les descendants de Hussein, le roi Abdallah II de Jordanie et de Ibn Séoud, le roi Salmane continuent à régner, sans avoir jamais demandé l’avis des populations qu’ils gouvernent et en gardant toujours d’excellentes relations avec les pays occidentaux, la France et le Royaume-Uni.

C’est très compliqué je vous l’ai dit et pourtant j’ai beaucoup simplifié.

Le rôle des britanniques et des français dans toute cette histoire n’est pas très moral.

Mais le rôle des deux dynasties arabes ne l’est pas davantage.

Si vous voulez lire des articles plus détaillés, vous les trouverez ci-après :

<Comment l’Empire ottoman fut dépecé>

<L’ombre de l’accord Sykes-Picot continue à empoisonner le monde>

<Les 100 ans des accords Sykes-Picot>

<701>

Vendredi 19 février 2016

Vendredi 19 février 2016
«Ils semblaient, par la Voie Sacrée, monter, pour un offertoire sans exemple,
à l’autel le plus redoutable que jamais l’homme eût élevé.»
Paul Valéry
Dimanche nous serons le 21 février 2016.
Il y a 100 ans, le 21 février 1916, commença la bataille de VERDUN, une ville de ma Lorraine natale, à 130 km de mon lieu de naissance.
Chaque fois que je m’y suis rendu, j’ai été écrasé par un sentiment de désarroi, de vide et de compassion.
Anna de Noailles visitant  le champ de bataille exprima ces sentiments dans un poème :
«Jaillis de tous les points du sol français : le sang
Est si nombreux ici que nulle voix humaine
N’a le droit de mêler sa plainte faible et vaine
Aux effluves sans fin de ce terrestre encens. »
Selon les historiens, il y eut 2 batailles plus meurtrières encore que la bataille de Verdun : La plus meurtrière Stalingrad où l’Armée Rouge résista puis vainquit l’armée hitlérienne (1942-1943) et la seconde qui fût une autre bataille de la guerre 14-18, la bataille de la Somme qui eut lieu de juillet à novembre 1916.
Mais Verdun fût une première dans la fureur destructrice industrialisée dont est capable l’espèce humaine.
J’ai lu le livre glaçant « L’enfer de Verdun évoqué par les témoins» et commenté par J.H Lefebvre édité en 1976 chez G. Durassié et Cie
Voici la description qui est faite par ce livre du début de la bataille
« Il avait neigé la veille, puis le gel était venu. On dut le matin du 21 février, évacuer des hommes pour pieds gelés.
A 7h15, un bombardement furieux se déchaîna [sur 60 km de front]
Le sol tremblait comme au passage ininterrompu de trains souterrains.
Des volcans par milliers projetaient leurs cônes de terre, de pierraille et d’acier où volaient des troncs d’arbre fracassés, des rondins d’abris, des fragments de canons, des débris d’équipements, d’armes et de corps humains.
Le nuage des éclatements était si dense que les Hauts-de-Meuse et la plaine de la Woëvre semblaient une fabuleuse région industrielle vomissant la fumée.
Nos rares aviateurs ne voyaient, d’un bout à l’autre du front, qu’une seule flamme continue, tant les batteries allemandes tiraient côte à côte…
9 heures durant, ce bombardement de fin du monde continua. Une cadence aussi précipitée, l’intervention de si gros calibres, un tel pullulement de batteries, une pareille durée de canonnade créaient le sentiment de “jamais vu”»
A cette horreur va s’ajouter la suite, décrite par les témoins comme un acte de désespoir, de rage et de vengeance. Les allemands croient qu’après ce déluge de feu, leurs sections d’assaut  vont pouvoir progresser sans résistance jusqu’à Verdun.
«À 16 heures, tandis que la neige a recommencé de tomber, le tir des canons allemands s’allonge brusquement au centre du front.
Cet étroit secteur n’a pas plus que 12 km de large à vol d’oiseaux. Dans ce mince espace, les débris de deux divisions françaises, derrière lesquelles il ne reste plus en état de tirer qu’un nombre dérisoire de canon, vont, après neuf heures d’écrasement, subir le choc de huit divisions d’élite allemandes, appuyée par une colossale artillerie.
Le tir s’est allongé derrière ce barrage roulant ; s’avancent à présent à découvert dans la fumée, l’obscurité naissante et le brouillard de neige, des colonnes d’infanterie précédées de lance-flammes.
Elles vont d’un pas rapide mais sans courir. Leurs chefs n’escomptent aucune réaction, considérant que tout a été détruit devant eux. La marche, de 50 à 900 m, s’effectue l’arme à la bretelle. Certaines de ces colonnes franchissent sans s’en apercevoir l’emplacement fumant de ce qui a été notre première ligne, tant il a été pioché et retourné.
Les sections d’assaut progressent, en différents points, de 3 km sans se heurter à la moindre résistance.
D’autres sections voient avec stupeur des fantômes titubants se dresser au bord des trous d’obus. Hébétés, épuisés, sourds, à demi-fous, les survivants obéissent à un réflexe de désespoir, de rage et de vengeance. Nos hommes balancent des grenades, s’ils en ont ; tirent, si leur fusil s’y prête malgré la terre qui le couvre ; ils ont mis baïonnette au canon. Les fantassins allemands s’aplatissent au sol, dégoupillent des grenades, placent en batterie des mortiers de tranchées, lancent des fusées, téléphonent à l’artillerie ; ils ont beau être à 10 contre un, ils sont stoppés !»
C’est dans ce même livre que j’ai trouvé ce poème, car avec la musique c’est la poésie mieux que l’historien qui sait décrire les sentiments et la détresse humaine :
«Nous vous sentons trop hauts pour gémir sur vos tombes.
Le vent qui tour à tour se soulève ou retombe
Passera seul immensément par les grands bois
Pour tirer de chaque arbre une plainte profonde
Et vous jeter ainsi tous les regrets du monde,
Sans que s’y mêle notre voix.»
Émile Verhaeren, Les ailes rouges de la guerre. Mercure de France, Paris 1916
Et c’est toujours de ce livre que j’ai tiré l’exergue de ce mot du jour consacré à Verdun.
«Tous vinrent à Verdun,
comme pour y recevoir je ne sais quelle suprême consécration ;
comme s’il eût fallu que toutes les provinces de la patrie eussent participé à un sacrifice d’entre les sacrifices de la guerre,
particulièrement sanglant et solennel,
exposé aux regards universels.
Ils semblaient, par la Voie Sacrée, monter, pour un offertoire sans exemple,
à l’autel le plus redoutable que jamais l’homme eût élevé.
Il a consumé, Français et Allemands, 500 000 victimes en quelques mois.»
Paul Valéry – 31 janvier 1931
Ce n’est que lors de la préparation de ce mot que j’ai constaté que ce très beau texte de Valéry avait été prononcé lors de l’accueil du Maréchal Pétain à l’académie française où il succéda à Ferdinand Foch le 20 juin 1929 (à 73 ans) et fut reçu par Paul Valéry le 31 janvier 1931.
J’ai hésité un instant à l’utiliser, car il est reste tabou de mettre en valeur Pétain après ce qu’il fit lors de la seconde guerre et à la tête du régime de Vichy.
Mais je pense qu’il n’est pas possible d’écarter Pétain de l’Histoire de France notamment pour son action lors de cette bataille.
Et à la fin de tout cela Wikipedia donne le résultat de ce carnage :
« Les pertes ont été considérables, pour un territoire conquis nul. Après 10 mois d’atroces souffrances pour les deux camps, la bataille aura coûté aux Français 378 000 hommes (62 000 tués, plus de 101 000 disparus et plus de 215 000 blessés, souvent invalides) et aux Allemands 337 000. 60 millions d’obus (une estimation parmi d’autres, aucun chiffre officiel n’existe) y ont été tirés, dont un quart au moins n’ont pas explosé (obus défectueux, tombés à plat, etc.) ; 2 millions par les allemands pour le seul 21 février 1916. Si l’on ramène ce chiffre à la superficie du champ de bataille, on obtient 6 obus par mètre carré.
Du fait du résultat militaire nul, cette bataille, ramenée à l’échelle du conflit, n’a pas de conséquences fondamentales
La bataille s’acheva le 16 décembre 1916.
Je vais prendre quelques jours de congé.
Le mot du jour reviendra le 29 février.
Ce n’est que tous les 4 ans que je peux écrire un mot du 29 février, je ne veux pas rater cela !

Lundi 21 décembre 2015

«Frères humains et futurs cadavres, ayez pitié les uns des autres. »
Albert Cohen ; « Ô vous, frères humains » (1972), entame du dernier chapitre de ce livre

Après des élections régionales qui ont montré, une fois de plus, la défiance du peuple des citoyens à l’égard des gouvernants politiques, ceux d’aujourd’hui et d’hier, une rencontre opportune entre deux hommes s’est déroulée dans le nord à Neuville-Saint-Vaast

Le premier est un Président de la république, dont la carrière s’est située à gauche et qui aspirait à une présidence normale mais qui n’arrive à émerger de la médiocrité que lorsque des évènements «anormaux» surgissent ;

Le second est un homme de droite mais qui n’a pu être élu que parce que des électeurs de gauche ont voté pour lui.

Je ne m’arrêterai pas sur cette rencontre pour répondre à des questions du type : s’agit-il d’une amorce d’une autre manière d’organiser l’échiquier politique ?

Ou encore est-ce une manœuvre politicienne ?

Je m’arrêterai à ce qui était peut-être secondaire dans l’esprit de ces deux hommes, mais qui révèle une aspiration humaniste d’une tout autre profondeur. C’est mon ami et complice Albert qui m’a fait, à l’occasion de cette commémoration, cette injonction :

«Alain, il faut faire un mot du jour sur les fraternisations de Noël 1914 »

Le sujet du mot du jour était donc décidé. Mais comment trouver l’exergue(*) introductive ?

Il y avait bien cette citation attribuée à Paul Valéry :

« La guerre, c’est le massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent et ne se massacrent pas ».

Mais elle avait déjà servi de mot du jour le 28/07/2014.

J’ai trouvé ce propos attribué à Confucius :

«Nous sommes frères par la nature, mais étrangers par l’éducation. » Livre des sentences – VIe s. av. J.-C.

Mais je me suis finalement arrêté sur une phrase d’Albert Cohen, l’auteur de « Belle de Seigneur» :

«Frères humains et futurs cadavres, ayez pitié les uns des autres. »

Le propos de ce livre ne concerne pas la 1ère guerre mondiale, mais la haine entre les gens, ce qui devait aussi être le ferment de la guerre 14-18. Le livre d’Albert Cohen est autobiographique. L’année 1905, il a 10 ans, et l’épisode se passe en France. Il est l’enfant d’une famille juive et il est insouciant comme un enfant de 10 ans.

En revenant du lycée il est attiré par un camelot qui vante la marchandise qu’il vend, un détachant pour habit, et il a beaucoup de succès. Le petit Albert a quelques sous et il veut acheter ce produit pour l’offrir à sa maman. Il s’approche alors du camelot qui l’aperçoit et qui change d’attitude et pointe l’index sur lui en disant : « Toi tu es un youpin, hein ? […] je vois ça à ta gueule, tu ne manges pas du cochon hein ? Vu que les cochons se mangent pas entre eux » et il continue à déverser, sur ce jeune enfant, des torrents de haine.

L’enfant fuit, la foule rit et le livre va narrer l’errance de cet enfant et toutes les pensées qui se bousculent dans la tête de l’innocent qui s’est heurté à la haine incommensurable.

Et puis au bout de l’errance, il y a le dernier chapitre qui commence par ces mots :

«Frères humains et futurs cadavres, ayez pitié les uns des autres. »

La guerre 14-18 est aussi celle de la haine, de la haine qu’on a essayé d’inculquer dans l’esprit des jeunes français à l’égard des allemands qu’ils appelaient systématiquement « les sales boches » et la haine qu’on inculquait dans le cœur et l’esprit des jeunes allemands à l’égard des français.

A Noël 1914, la guerre que chacun des camps avait pensé courte, durait déjà 5 mois, <Déjà plus de 300 000 morts français> et probablement autant du côté allemand.

Ils se massacrent et ne se connaissent pas et puis… il y a Noël.

Des deux côtés on est chrétien et on connaît les mêmes airs, les mêmes chants de Noël même si la langue est différente.

Et ils sortent des tranchées et se rencontrent et s’échangent de petits cadeaux.

Christian Carrion en a fait un film : « Joyeux Noël » en 2005 et ce fut une surprise, car nos manuels d’Histoire nous avait caché ces moments de fraternité, on nous avait parlé de la haine, de l’enthousiasme des soldats pour partir à la guerre contre l’ennemi.

On nous avait parlé aussi des souffrances de la guerre et de la terrible vie dans les tranchées.
Mais qu’il y eut des moments et des lieux de la guerre où les soldats ont laissé tomber les armes pour se parler et se comporter en frères humains, de cela on ne nous avait pas parlé.

Christian Carrion raconte dans un article du Monde :

« En 1992, j’ai découvert les fraternisations de Noël 1914, dans le livre d’Yves Buffetaut, Batailles de Flandres et d’Artois (Tallandier, 1992). J’apprends que des soldats français ont applaudi un ténor bavarois le soir de Noël, que d’autres ont joué au football avec les Allemands le lendemain, qu’il y a eu des enterrements en commun dans le no man’s land, des messes en latin. »

Les «ennemis », en effet, organisèrent même un match de football de Noël 1914 à Comines-Warneton.

Bien sûr, l’état-major, des deux côtés, n’a pas du tout apprécié ces épisodes de fraternisation, la haine est indispensable si on veut que des jeunes gens s’entretuent. On envoya ces cœurs attendris vers d’autres fronts où la destinée de futurs cadavres leur était promise rapidement.

Après la fin de la guerre, ces évènements furent enfouis sous le secret. Ce n’est plus le cas depuis le film Ici vous verrez un court extrait du film «Joyeux Noël» de Christian Carrion et notamment le moment de la fraternisation

On trouve aussi des sites consacrés aux témoignages des soldats qui parlent de ces évènements.

Ici vous pourrez entendre une émission de <2000 ans d’Histoire> qui évoque ces moments où l’humanité l’a emporté, pendant un court moment, sur la sauvagerie

Des gens du Nord soutenus par les participants au film « Joyeux Noël » ont créé un site et une association pour financer le monument qui vient d’être inauguré. Christian Carrion raconte que dans les nombreux témoignages qu’il a lu pour faire son film, un témoignage l’a particulièrement ému.

C’est celui du soldat français Louis Barthas qui a vécu ces évènements, les a raconté dans une lettre qu’il a fini par cette phrase :

«Qui sait ! Peut-être un jour dans ce coin d’Artois, on élèvera un monument pour commémorer cet élan de fraternité entre des hommes qui avaient horreur de la guerre et qu’on obligeait à s’entretuer malgré leur volonté ».

Et pour finir, je ne vous montrerai pas la poignée de main des deux hommes politiques, fugacement évoqué en début de message, mais la photo historique où sur le lieu de la bataille la plus meurtrière de 14-18, le Chancelier de l’Allemagne et le Président de la France se sont donnés fraternellement la main en 1984


(*) exergue du latin exergum (« espace hors d’œuvre ») = Citation placée hors-texte

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