Jeudi 29 juillet 2021

« Nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam. »
Zbigniew Brzezinski

Je n’avais pas entendu parler de l’Afghanistan pendant mes années de collège et de lycée. Tout au plus avais je appris par un quizz que la capitale de l’Afghanistan était Kaboul.

Je ne savais rien de ce pays montagneux et enclavé, c’est-à-dire sans accès à la mer.

Mais à partir du 27 décembre 1979, lorsque l’armée soviétique est entrée dans ce pays, non seulement nous en avons tous entendu parler et depuis il n’a plus quitté l’actualité.

Il a reçu un surnom répété à satiété par les journaux : Le Figaro : «L’Afghanistan, cimetière des empires», L’Histoire « L’Afghanistan, cimetière des empires ? », Le Point : « Afghanistan, le cimetière des empires » etc.

Il faut remonter au début du XIIIème siècle et à Gengis Khan, pour qu’un empire puisse l’intégrer. L’Empire mongole de Gengis Khan s’étendra sur toute la partie Ouest de l’Afghanistan. Mais cet empire fut éphémère.

150 ans après, Tamerlan parvint aussi pendant quelques années à conquérir ce pays :

« “Entre 1370 et 1380, Tamerlan et son armée – mêlée d’éléments turcs et mongols – conquièrent le Khwarezm, région située à la confluence des actuels Iran, Ouzbékistan et Turkménistan ;[…] Il se tourne également résolument vers l’ouest, où plusieurs campagnes, entre 1380 et 1396, lui permettent d’asseoir son pouvoir sur l’ensemble de l’Iran et de l’Afghanistan actuels. […] ces régions constituent le cœur de son empire, centré sur Samarcande »

Mais le titre de cimetière des empires a pris tout son sens quand l’Empire britannique qui avait dominé les Indes n’a pas pu s’emparer de l’Afghanistan.

Le Point rappelle un épisode particulièrement sanglant :

« Un nom résume la férocité des guerriers afghan : Gandamak. C’est dans ce défilé qu’en 1842, après le soulèvement de Kaboul, 16 000 Anglais désarmés du corps expéditionnaire de retour vers l’Inde, sont massacrés. La première déroute de l’homme blanc, bien avant la victoire des Japonais sur les Russes en 1905. »

Les Russes sont euphoriques en 1979, comme je l’ai relaté lors du mot du jour de lundi. Ils vont donc attaquer. Nous apprendrons plus loin qu’ils ont été un peu provoqués.

Mais ils vont se lancer dans cette aventure qui durera 10 ans, jusqu’à ce Gorbatchev décide du retrait en 1989 ; il est tard, trop tard pour l’Union Soviétique.

Amin Maalouf écrit :

« Les dirigeants soviétiques se sont lancés dans une aventure qui se révéla désastreuse et même fatale pour leur régime : la conquête de l’Afghanistan »
Le Naufrage des civilisations page 180

Si vous voulez tout savoir et comprendre sur ce qui s’est passé en Afghanistan avant l’invasion soviétique, pendant et après, il faut absolument regarder ces 4 documentaires passionnants d’ARTE :

Amin Maalouf raconte :

« Ce pays montagneux, situé entre l’Iran, le Pakistan, la Chine et les républiques soviétiques d’Asie centrale, comptait des mouvements d’obédience communiste, actifs et ambitieux, mais très minoritaires au sein d’une population musulmane socialement conservatrice et farouchement hostile à toute ingérence étrangère. Laissés à eux-mêmes, ces militants n’avaient aucune chance de tenir durablement les rênes du pouvoir. Seule une implication active de leurs puissants voisins soviétiques pouvait modifier le rapport de force en leur faveur. Encore fallait-il que lesdits voisins soient convaincus de la nécessité d’une telle intervention.

C’est justement ce qui arriva à partir du mois d’avril 1978. Irrités par un rapprochement qui s’amorçait entre Kaboul et l’Occident, soucieux de préserver la sécurité de leurs frontières et la stabilité de leurs républiques asiatiques et persuadés de pouvoir avancer leurs pions en toute impunité, les dirigeants soviétiques donnèrent leur aval à un coup d’État organisé par l’une des factions marxistes. Puis, lorsque des soulèvements commencèrent à se produire contre le nouveau régime, ils dépêchèrent leurs troupes en grand nombre pour les réprimer, s’enfonçant chaque jour un peu plus dans le bourbier.

Comme cela est arrivé si souvent à travers l’Histoire – mais chacun s’imagine que pour lui les choses se passeraient autrement – les dirigeants soviétiques s’étaient persuadés que l’opération de pacification qu’ils menaient serait de courte durée et qu’elle s’achèverait sur une victoire décisive. »
Le Naufrage des civilisations page 180

Les soviétiques pensaient que les américains traumatisés par leur défaite lors de la guerre du Viêt-Nam et englués dans la prise d’otage de leur ambassade de Téhéran n’avaient aucun désir de se lancer dans de nouvelles aventures et au-delà de quelques protestations ne feraient rien.

Et s’il fallait un argument supplémentaire ils avaient pu constater que l’envoi de troupes cubaines en Angola avait laissé les américains impassibles.

Et apparemment, dans un premier temps le plan des soviétiques se passait comme prévu. A cette nuance près que l’armée rouge avait pu s’emparer des grandes villes et des principales routes. Le reste de l’Afghanistan leur échappait. Tous ces territoires étaient aux mains de combattants nationalistes et musulmans.

Au sein de l’administration Carter le ministre des affaires étrangères, appelé aux USA le secrétaire d’État était tenu par un polonais comme le Pape ; Zbignizw Brzezinski, dit « Zbig ».

Comme le cardinal de Cracovie, le destin de son pays natal avait fait naître en lui un anti communisme féroce auquel s’ajoutait un fort ressentiment contre l’Union soviétique continuateur de l’empire russe qui avait si souvent imposé sa volonté au peuple polonais.

A l’occasion de sa mort Le Point lui avait rendu hommage : « Brzeziński, l’héritage d’un géopolitologue majeur »

Amin Maalouf raconte :

« En juillet 1979, alors que Kaboul était aux mains des communistes afghans qui y avaient pris le pouvoir, et que des mouvements armés commençaient à s’organiser pour s’opposer à eux au nom de l’islam et des traditions locales, Washington avait réagi en mettant en place, dans le secret, une opération dont le nom de code était « Cyclone », et qui visait à soutenir les rebelles. Avant que la décision ne fut prise, certains responsables américains s’étaient demandé avec inquiétude si une telle opération n’allait pas pousser Moscou à envoyer ses troupes dans le pays. Mais cette perspective n’inquiétait nullement Brzezinski. Il l’appelait de ses vœux. Son espoir était justement que les Soviétiques, incapables de contrôler la situation à travers leurs alliés locaux, soient contraints de franchir eux-mêmes la frontière, tombant ainsi dans le piège qu’il leur tendait »
Le Naufrage des civilisations page 196

Les américains ont donc aidés les forces islamiques qui se battaient contre le pouvoir afghan communiste de Kaboul. En outre, il fallait que l’URSS le sache et consente à intervenir. Dès lors, Zbig pensait que ce serait un Viet Nam à l’envers : les soviétiques englués par une guérilla et les américains aidant la guérilla à faire de plus en plus mal à l’armée régulière.

Dans un entretien avec le journaliste Vincent Jauvert, publié dans le nouvel Observateur du 15 janvier 1998, soit près de 20 ans après, Brzezinski affirme :

«  Oui. Selon la version officielle de l’histoire, l’aide de la CIA aux moudjahidine a débuté courant 1980, c’est-à-dire après que l’armée soviétique eut envahi l’Afghanistan, le 24 décembre 1979.

Mais la réalité gardée secrète est tout autre : c’est en effet le 3 juillet 1979 que le président Carter a signé la première directive sur l’assistance clandestine aux opposants du régime prosoviétique de Kaboul. Et ce jour-là j’ai écrit une note au président dans laquelle je lui expliquais qu’à mon avis cette aide allait entraîner une intervention militaire des Soviétiques.

[…] Nous n’avons pas poussé les Russes à intervenir, mais nous avons sciemment augmenté la probabilité qu’ils le fassent.

Le Nouvel Observateur : Lorsque les Soviétiques ont justifié leur intervention en affirmant qu’ils entendaient lutter contre une ingérence secrète des Etats-Unis en Afghanistan, personne ne les a crus. Pourtant il y avait un fond de vérité. Vous ne regrettez rien aujourd’hui ?

Zbigniew Brzezinski : Regretter quoi ? Cette opération secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d’attirer les Russes dans le piège Afghan et vous voulez que je le regrette ? Le jour où les Soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j’ai écrit au président Carter, en substance : « Nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam. » De fait, Moscou a dû mener pendant presque dix ans une guerre insupportable pour le régime, un conflit qui a entraîné la démoralisation et finalement l’éclatement de l’empire soviétique. » »

Et les américains vont donner des armes et des armes aux combattants d’Afghanistan. Des armes de plus en plus sophistiquées comme les célèbres missiles Stinger qui abattront les avions russes.

Dans les documentaires d’Arte, un intervenant explique que c’était très rentable : Un mois de présence des armées américaines en Afghanistan coutait aussi cher que l’ensemble de l’aide fourni pendant les 10 ans de guerres des afghans contre l’armée rouge.

Parce que les américains aussi se sont laissés piéger par « le cimetière des empires ».

Ils sont entrés en guerre en 2001 et ils ne partent que maintenant. Ils seront restés plus longtemps que les soviétiques et ils partent aussi vaincus.

Parce qu’après le départ des soviétiques en 1989, les chefs de guerre afghans surarmés ne se sont pas unis pour gouverner le pays mais se sont entretués.

Alors est né une armée islamique entièrement soutenue par le Pakistan : les Talibans. Ils ont vaincus les chefs de guerre et imposé leur triste, cruel et archaïque régime islamique.

Et à côté d’eux des fous de Dieu, se réclamant de l’Islam, venant d’Arabie saoudite et d’ailleurs et ayant à leur tête Oussama Ben Laden ont utilisé leur expérience et leur savoir pour attaquer l’occident par des actes de terrorisme dont les terribles attentats 11 septembre 2001.

Les talibans refusant de livrer Ben Laden, les américains aidés par la Grande Bretagne, la France et une grande coalition ont envahi l’Afghanistan et s’y sont empêtrés comme les autres

Et ils s’enfuient comme les autres,

Le Point du 22 Juillet 2021 titre : « La déroute de l’occident »

Les Talibans sont de nouveau aux portes du pouvoir. S’ils y arrivent ils ne feront pas seulement de l’Afghanistan le cimetière des empires mais aussi le cimetière des femmes.

Zbigniew Brzezinski n’exprimait aucun regret en 1998. A la question : « Vous ne regrettez pas non plus d’avoir favorisé l’intégrisme islamiste, d’avoir donné des armes, des conseils à de futurs terroristes ? »

Il a répondu : « Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique ? Quelques excités islamistes où la libération de l’Europe centrale et la fin de la guerre froide ? »

Il est paradoxal de finir cet article consacré à la désastreuse invasion des soviétiques par la déroute de l’Occident dans ce même pays.

Mais c’est ainsi que ce sont passés les choses depuis 1979. Les américains et les occidentaux ont financé, armé et soutenu des monstres qui se sont retournés contre eux.

Il est vrai qu’entretemps, comme dit Zbig, l’Empire soviétique s’est effondré.

La guerre d’Afghanistan fut un traumatisme pour les soldats russes. On ne connaît pas avec précision les pertes de l’armée rouge, la Russie n’a jamais voulu communiquer sur ce sujet. On estime à 1 000 000 de morts les pertes afghanes essentiellement civiles. Wikipedia donne une fourchette entre 562 000 et 2 000 000 morts. Il y eut aussi 5 millions de réfugiés afghans hors d’Afghanistan, 2 millions de déplacés internes et environ 3 millions d’afghans blessés, majoritairement civils (l’afghanistan compte 36 millions d’habitants environ). Et ce n’était qu’un début, les chefs de guerre, les talibans puis les américains et maintenant le retour des talibans vont encore aggraver ce terrible bilan.

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Mardi 27 juillet 2021

« La guerre sino-vietnamienne »
Guerre du 17 février au 16 mars 1979

Le monde communiste était certes en expansion en 1979, mais il était divisé entre soviétiques et chinois.

Quand deux empires comme la Chine et la Russie possèdent une frontière commune de 4 374 km, la rivalité ne peut être que féroce. La France et l’Allemagne avec 451 km, soit près de 10 fois moins, ont montré cette triste réalité avant de se retrouver dans la communauté européenne.

Après sa fondation en 1949, la République populaire de Chine de Mao fait cependant alliance avec l’Union Soviétique de Staline sur la base de l’hostilité aux États-Unis.

Mais la rupture va se réaliser au moment du rapport Khrouchtchev en 1956, dans lequel ce dernier rejette le culte de la personnalité, prône la « coexistence pacifique » avec le capitalisme et l’impérialisme et enfin prétend que le passage du socialisme au communisme peut s’effectuer en douceur au sein même de la société.

Mao est sur une position inverse sur les 3 points. En particulier, il entend profiter pleinement du culte de la personnalité.

Concernant le Viet-Nam, la Chine a soutenu le combat de ce pays contre les américains. Mais, une fois la guerre gagnée et le Viet Nam clairement rangé du côté soviétique, les Chinois ont manifesté de l’hostilité à l’égard de leur voisin de la péninsule indochinoise.

Ce conflit se nourrissait de tensions territoriales : occupation vietnamienne des Îles Spratley, revendiquées par la Chine et de conflits de minorité : la Chine dénonçait des mauvais traitements subis par la minorité chinoise au Viêt Nam.

Mais la raison principale du déclenchement de la guerre entre la Chine et le Viet-Nam fut l’intervention de ce dernier au Cambodge.

Le mouvement génocidaire, contre leur propre peuple, des khmers rouges de Pol Pot était soutenu par la Chine. Je rappelle que ces fous anti-élites et anti occidentaux ont assassiné, pendant les 4 ans de leur dictature, <1,7 millions de cambodgiens> sur une population d’un peu plus de 7 millions d’individus.

Le 25 décembre 1978, l’Armée populaire vietnamienne pénètre au Cambodge et dans une avancée rapide et puissante pénètre dans Phnom Penh le 7 janvier 1979. Quatre jours plus tard, le régime provietnamien de la République populaire du Kampuchéa est proclamé, avec Heng Samrin comme président et le jeune Hun Sen comme ministre des Affaires étrangères.

Le Viet-Nam n’est pas intervenu pour des raisons humanitaires mais en raison de tensions territoriales et aussi d’exactions des khmers rouges à l’égard de la minorité vietnamienne au Cambodge.

Toutefois, dans une belle opération de communication, ils vont dénoncer et montrer l’ampleur des massacres de Pol Pot et de sa bande de criminels.

Les chinois et Deng Xiaoping vont entrer dans une guerre punitive et dans l’espoir d’inverser le sort des armes au Cambodge.

Si vous êtes intéressé par la tactique militaire vous pouvez regarder 4 vidéos de 15 minutes qui expliquent en détail le mouvement des armées, les pertes, la durée des combats.

Je donne le lien vers le premier épisode : <Guerre sino-vietnamienne (1979) – le principe de la guerre limitée #1>

Je résume :

  • Ce sont les chinois qui attaquent et qui prennent un certain nombre de villes du Viet-Nam sur la route de Hanoi.
  • Leur progression est très lente, très compliquée, avec beaucoup de pertes
  • Les troupes vietnamiennes sont sur la défensive et quand elles ont trop de pertes, elles reculent.
  • Ce ne sont pas les meilleures armées qui s’affrontent : La Chine a concentré l’élite de son armée sur la frontière russe, pour faire face à une éventuelle offensive de l”armée rouge qui viendrait soutenir son allié vietnamien.
  • Le Viet-Nam a envoyé l’essentiel de ses meilleures troupes au Cambodge et l’élite est restée autour de Hanoi, pour empêcher les chinois de s’approcher de leur capitale.

Au bout de 17 jours de combat, les Chinois qui sont parvenus à pénétrer de 30 à 40 km sur le territoire vietnamien, déclare qu’il pourrait continuer jusqu’à Hanoï mais que leur action punitive était suffisante et que dans un souci d’apaisement, ils se retiraient. Dès lors, les troupes chinoises évacuent le territoire vietnamien le 16 mars en pratiquant la politique de la terre brûlée.

C’est une guerre qui se finit donc par un match nul.

Les historiens semblent cependant plutôt pencher pour un échec chinois.

Les chinois avait parmi leurs buts de guerre d’aider leurs alliés Khmers rouges. Dès lors, leur attaque avait pour objectif d’obliger l’armée vietnamienne de rapatrier ses troupes du Cambodge pour arrêter l’avancée chinoise. Or, les vietnamiens sont parvenus à freiner l’armée chinoise en ne touchant pas les troupes se trouvant au Cambodge et en conservant l’élite de leur armée dans une position de repli pour protéger la capitale.

Amin Maalouf estime que cette guerre est aussi un évènement majeur de l’année 1979.

Rappelons que Deng Xiaoping avait fait une visite triomphale aux États-Unis en janvier 1979. Il avait évoqué cette action de guerre au Président Carter contre l’ennemi qui avait vaincu les américains et qui était l’allié de l’ennemi structurel : l’URSS. Le Président Carter n’a pas dissuadé le responsable chinois de réaliser cet acte de guerre.

Amin Maalouf écrit :

« Mais l’objectif de Deng n’était pas militaire. Au lendemain de son avènement, il voulait démontrer aux Vietnamiens que l’Union soviétique n’enverrait pas ses troupes à leur secours s’ils étaient attaqués et qu’ils auraient donc tort de considérer qu’ils pouvaient agir à leur guise.

Et il adressait également un message aux Etats-Unis leur disant qu’ils avaient désormais en Asie un interlocuteur fiable et peut être même un partenaire potentiel ; pour les américains qui ne s’étaient pas encore remis de la défaite que leur avait infligé Hanoï, l’expédition punitive ordonnée par le nouveau dirigeant chinois était la bienvenue.

Quelque chose d’important venait manifestement de se produire sur la scène internationale, dont Washington ne pouvait que se féliciter, et dont Moscou devait s’inquiéter au plus haut point »

Cet épisode montre donc :

  • La montée en puissance de la Chine
  • L’affaiblissement de l’Union soviétique
  • Et aussi le fait que le sort des cambodgiens ne présentait pas grand intérêt aux yeux de la Chine, des États-Unis et de l’Union soviétique

Il semble que Deng Xiaoping ait été mis en difficulté au sein du bureau politique du Parti communiste chinois, en raison des défaillances militaires de l’armée.

Mais cet homme supérieurement intelligent et rusé, sut retourner les accusations à son encontre en pointant la faiblesse de l’armée populaire chinoise sur le plan technique, mécanique et de l’encadrement.

Il en tira argument pour limoger une grande part de l’état-major .et de faire valider sa politique de réformes économiques seule capable de redonner de la puissance et du dynamisme à l’ensemble de la Chine et à son armée en particulier.

Mao disait :

« Ne pensez pas d’abord à produire, pensez d’abord à faire la révolution »

Deng Xiaoping préconisait exactement l’inverse.

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Lundi 26 juillet 2021

«  [En 1979] Pour qui se fiait à l’apparence des choses, l’Union soviétique semblait voler de triomphe en triomphe »
Amin Maalouf

Pour finir la description des évènements de 1979 qui ont constitué l’année du grand retournement dont les conséquences expliquent beaucoup de ce que le monde vit aujourd’hui, nous allons parler de l’Union soviétique. Parce qu’à l’époque le monde était divisé en deux par la guerre froide.

Et en 1979, l’Union Soviétique semblait engranger succès après succès.

Nous avons vu que la révolution islamique avait privé les États-Unis de son grand allié l’Iran. La prise d’otage de l’ambassade de Téhéran constituait une humiliation pour le grand rival de l’URSS.

Et ce n’était qu’une humiliation qui succédait à d’autres.

Le gouvernement américain s’était engagé de manière massive dans <la guerre du Viet Nam> pour empêcher ce pays et ses voisins de tomber dans les mains des communistes.

Au 30 avril 1969, on comptait 550 000 soldats américains en Indochine. Cette guerre fracturait la société américaine et devenait hors de prix pour les États-Unis. Richard Nixon conseillé par Henry Kissinger décida de se retirer. Ils négocièrent avec le Nord Viet-Nam communiste. Les accords de Paris furent signés le 27 janvier 1973, confirmant le retrait des troupes américaines. Mais il restait le Sud Vietnam qui était allié des Etats-Unis et qui se trouvait désormais seul face aux armées communistes.

Le résultat ne se fit pas attendre, les communistes battirent l’armée favorable aux États-Unis et la guerre prit fin le 30 avril 1975 par la prise de Saïgon qui devint Ho chi Minh ville.

La fuite des derniers américains de Saïgon le 30 avril fut aussi une humiliation.

Amin Malouf raconte :

« Jeune journaliste fasciné comme tant d’autres par ce conflit si emblématique pour ma génération, je m’étais rendu à Saïgon afin d’assister à la bataille décisive. Je savais que l’on s’approchait de l’épilogue, mais je n’imaginais pas que les choses allaient évoluer aussi vite. Le 26 mars, jour de mon arrivée, les troupes communistes venaient de prendre Hué, l’ancienne capitale impériale ; une semaine plus tard, elles étaient déjà aux abords de Saigon, 700 kilomètres plus au sud. Et il était clair que leur progression allait se poursuivre jusqu’au bout. […]

Saïgon tomba le 30 avril. Ceux qui ont connu cette époque gardent en mémoire ces scènes pathétiques où des civils et des militaires, réfugiés à l’ambassade américaine, cherchaient à s’accrocher aux derniers hélicoptères pour s’enfuir. Images plus humiliantes encore pour les sauveteurs que pour les rescapés. »
Le Naufrage des civilisations, page 177

Et la victoire communiste ne s’arrêta pas Au Viêt-Nam.

Deux semaines plus tôt, le 17 avril 1975, les troupes des Khmers rouges étaient entrées dans Phnom Penh et renversèrent le régime du Général Lon Nol que les États-Unis avaient mis en place par un coup d’État.

Et les communistes prennent aussi l’intégralité du pouvoir au Laos lorsqu’ils poussent le roi Savang Vatthana à abdiquer, le 2 décembre 1975.

Ainsi comme des dominos un État après l’autre devint communiste.

Les américains qui étaient entrés dans la guerre du Viêt-Nam justement pour empêcher cela, avaient totalement échoué par rapport à leur but de guerre.

Et Amin Maalouf rappelle que « Ce phénomène ne se limitait d’ailleurs pas à l’Indochine. »

Et il cite :

  • Quand le Portugal, après « la révolution des Œillets » d’avril 1974 décida de donner l’indépendance à ses colonies africaines, les cinq nouveaux États africains qui virent aussitôt le jour furent tous dirigés par des partis d’obédience marxiste : Angola, Mozambique, le Cap-Vert, la Guinée-Bissau et Sao-Tomé-Et-Principe.
  • Outre les colonies portugaises, il y avait aussi en Afrique, Madagascar, Le Congo Brazzaville, la Guinée Conakry qui avaient des régimes proches de l’Union soviétique.
  • Il y eut même un bref moment, où dans la corne de l’Afrique, les deux principaux pays, l’Éthiopie et la Somalie étaient gouvernés par des militaires se réclamant du marxisme-léninisme.
  • Et sur la péninsule arabique, le Yémen du Sud, État indépendant dont la capitale était Aden, s’était proclamé « république démocratique populaire » sous l’égide d’un parti de type communiste, doté d’un politburo.

Bref, dans la guerre froide le bloc de l’est était en train de gagner du terrain et les américains étaient en train d’en perdre et surtout avait été finalement vaincu dans la guerre du Viêt-Nam.

Mais si extérieurement, il semblait que l’Union soviétique était forte et conquérante, à l’intérieur elle était fragile par une organisation politique rigide et sclérosée et une économie sans dynamisme et au bout du rouleau.

Amin Maalouf écrit :

« Quand on se replonge dans les années 70, on ne peut s’empêcher de trouver pathétique le spectacle de cette superpuissance lancée à corps perdu dans une stratégie de conquêtes, sur tous les continents, alors que sa propre maison, sur laquelle flottaient les étendards ternis du socialisme, du progressisme, de l’athéisme militant et de l’égalitarisme, était déjà irrémédiablement lézardée, et sur le point de s’écrouler.

Pour qui se fiait à l’apparence des choses, l’Union soviétique semblait voler de triomphe en triomphe. Au Vietnam, où le monde communisme et le monde capitaliste s’étaient affrontés sans répit dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, le conflit était arrivé à son terme en avril 1975. »
Le Naufrage des civilisations, page 177

Emmanuel Todd, à 25 ans, allait devenir célèbre et restera pour longtemps, le démographe visionnaire en publiant en 1976 : « La Chute finale » sous-titré « Essai sur la décomposition de la sphère soviétique » dans lequel il décrit la décomposition du système communiste et la chute inéluctable qui attend l’Union soviétique.

Wikipedia constate que « Ce livre constitue un rare exemple de prospective totalement validée par les faits et a donné rétrospectivement à son auteur une grande autorité dans l’analyse des faits sociaux, économiques et géopolitiques. »

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Vendredi 29 novembre 2019

« Et ce que je célébrais, ce jour de novembre 1989, c’était la réunification des deux parties de ma vie dont le Mur odieux symbolisait la déchirure. »
Mstislav Rostropovitch en parlant de son concert devant le mur de Berlin

J’avais fini un peu rapidement, le mot du jour sur la chute du mur de Berlin par une photo de Mstislav Rostropovitch jouant au violoncelle devant un pan du mur en cours de destruction.

C’est un peu rapide, parce qu’il y a une petite histoire de ce concert improvisé hors du temps.

Et puis, il y a aussi la Grande Histoire….

Et enfin, il y a un artiste exceptionnel et qui est aussi devenu un homme exceptionnel et que tout ceux qui l’aimaient, appelaient, Slava.

Aujourd’hui je parlerai de l’homme

Et je n’oublierai pas qu’à côté de cet homme, il y avait une femme, tout aussi exceptionnelle dans l’art comme dans l’humanité, et à laquelle il faudra que je consacre aussi un mot du jour : Galina Vichnevskaia.

Commençons par la petite histoire, celle de ce concert improvisé.

Rostropovitch, le 9 novembre 1989, était à Paris, il n’avait pas le droit de retourner dans son pays natal : la Russie.

Et il apprend la nouvelle. <Cette archive de l’INA> le montre racontant cette découverte :

« Ce soir-là, des amis m’ont appelé et m’ont dit : regarde un peu ce qui se passe.

J’ai allumé mon poste de télévision, mais je ne comprenais rien.

Il y avait des gens sur une plate-forme qui ouvraient des bouteilles de champagne.

Quand j’ai commencé à réaliser, les larmes me sont montées aux yeux. »

La suite est racontée par son ami, le PDG de Danone, Antoine Riboud :

« J’appelle et je tombe sur Slava qui me dit : Antoinetchik, mur Berlin effondré, nous obligés aller Berlin pour voir liberté.

Alors on arrive à Berlin, on prend deux taxis, un pour nous, l’autre pour le violoncelle. Et on est allé au mur de Berlin qui était juste à côté.

Et là Slava s’est assis, la foule s’est réunie. Silence fantastique… Et Slava a joué une sarabande de Bach.

Dans la vie, quand il y a d’immenses émotions, il y a toujours un extraordinaire moment d’humour.

Alors Slava jouait, on était à côté de Charlie door.

Et tous les allemands de l’Est passaient et voyaient un monsieur assis sur une chaise blanche qui jouait du violoncelle, il avait les cheveux blancs. Alors ils faisaient le détour, ils écoutaient, et puis avec un geste merveilleux, ils déposaient un peu d’argent, l’argent de l’Allemagne de l’est au pied de Slava.»

Antoine Riboud oublie dans son récit que Slava est venu avec son violoncelle mais sans un accessoire essentiel. Rostropovitch raconte, lui-même dans un article du Monde du 5 novembre 2009 : comment il a pu obtenir un siège pour jouer car il avait oublié cet accessoire indispensable pour tout violoncelliste

« Je m’en suis rendu compte, planté devant le Mur. Pas un endroit pour m’asseoir ! J’étais catastrophé. Jamais je n’avais réalisé que ce simple accessoire m’était aussi indispensable que l’instrument précieux. Toujours, on m’avait évité ce tracas ! Mon violoncelle sous le bras, j’ai sonné à une loge de concierge pour emprunter une chaise. Un homme m’a dévisagé : ‘Etes-vous Rostropovitch ?’ Puis il a disparu trois minutes avant de rapporter une chaise et une vingtaine de personnes ! »

Cela c’est la petite histoire, mais dans le même article il dit le sens profond de son geste :

« Toute ma vie est là-dedans.
Ma cohérence, mon unité.
Mais qui pourrait comprendre ? C’est mon histoire à moi.

Et ce que je célébrais, ce jour de novembre 1989, c’était la réunification des deux parties de ma vie dont le Mur odieux symbolisait la déchirure.

D’un côté de la Muraille se trouvaient mon passé, mon pays, mes racines ; de l’autre côté mon exil, mon travail, mon avenir.
Deux pans de vie cloisonnés, hermétiques, que j’avais cru ne jamais pouvoir réunir et qui me donnaient le sentiment d’être amputé, incomplet.” Qui, en effet, pouvait imaginer que le Mur cachait des lézardes ? Que, de l’intérieur, le système était miné ?
Nous pensions tous que le communisme allait durer mille ans !
Et que jamais, jamais nous ne pourrions revenir au pays.
L’exil est toujours une blessure.
Mais celui d’URSS et des pays du bloc était le plus cruel et le plus désespéré : tout départ signifiait un adieu. »

Pourtant, après les années d’apprentissage, Slava et Galina étaient adulés par toute l’élite soviétique. Dans le livre de Claude Samuel : « Entretiens avec Rostropovitch et Vichnevskaïa » publié chez Robert Lafont, que j’avais lu, il y a assez longtemps et que j’ai relu partiellement pour écrire ce mot du jour on voit une photo sur laquelle il est en compagnie de Nikita Khrouchtchev, alors secrétaire général du parti communiste et successeur de Staline.

Les premiers doutes viennent à partir du moment où le pouvoir soviétique commence à censurer et à harceler Chostakovitch et Prokofiev pour lesquels il a une profonde admiration et avec lesquels il a noué un lien artistique et amical fort.

Il y a un second épisode qui est rarement raconté et qui m’avait marqué lorsque je l’ai entendu pour la première fois.

Un des plus beaux concertos de violoncelle est celui de Dvorak. Anton Dvorak est le plus grand compositeur tchèque. Sa musique chante l’âme slave et tchèque.

En 1968, il y eut aussi le printemps de Prague, pendant lequel les jeunes tchèques voulurent croire en un communisme au visage humain avec à leur tête Alexander Dubček. Mais les soviétiques n’acceptaient pas une évolution qui leur échappe. Pendant la nuit du 20 au 21 août 1968, des blindés de plusieurs pays communistes pénètrent dans Prague pour réprimer le vent de liberté. Ils ont rencontré une vaine mais héroïque résistance de la part des étudiants notamment dans les rues de la capitale.

Par le hasard des programmations de concert, le 21 août au soir un concert était prévu à Londres par Rostropovitch et l’orchestre symphonique d’Etat de l’URSS dirigé par Evgeny Svetlanov. Au programme, il y avait justement le concerto de Dvorak. Mais les musiciens russes furent accueillis par une salle hostile, des gens se levèrent pour les invectiver les russes et les traiter d’envahisseurs.

Cependant, Rostropovitch parvint par son interprétation à faire passer une immense émotion. Ceux qui y ont assisté racontent que les larmes coulaient sur le visage de Slava pendant qu’il jouait.

Vous pouvez entendre cette interprétation sur cette <page>

Et puis à la fin de son interprétation, il joua comme bis la Sarabande
de la Suite n°2 (BWV 1008) de Bach et la dédiera « à ceux qui sont tristes ».

Ensuite, il y a l’épisode beaucoup plus connu dans lequel Slava et Galina vont accueillir Soljenitsyne chez eux, en 1969. Le futur auteur de l’archipel du goulag n’a nulle part où aller, les autorités soviétiques entendent le priver de tout.

Et au départ, il ne s’agit pas pour Rostropovitch d’un acte de dissidence, simplement un acte d’humanité.

Il répond à Claude Samuel (page 103) :

« Lorsque Soljenitsyne a commencé à vivre chez nous, il n’était pas question pour nous de faire de la politique. C’était simplement un acte d’humanité. Quand on a voulu nous obliger à le chasser, c’est là que le conflit a éclaté. On me disait : « vous savez, il est antisoviétique ! » Et je répondais : « Avant d’affirmer qu’il est ou non anti soviétique, dites-moi s’il est ou non un être humain. Il faut qu’il vive quelque part et nous ne pouvons pas le renvoyer. Si vous lui donnez un appartement ou même une chambre, c’est lui qui partira.»

Dans un article publié par Libération le 19 novembre 2005 : Il raconte plus précisément les pressions, les peurs.

« Les officiels du Parti m’ont fait savoir que je devais mettre Soljenitsyne à la porte. Je leur ai dit qu’il faisait moins 30 degrés et qu’il n’en était pas question. Soljenitsyne avait été chassé de la Maison des écrivains et il n’avait d’autre choix que d’habiter chez nous. Une fois il m’a dit : «On ne fera plus le trajet ensemble jusqu’à Moscou en voiture, on ne va pas les laisser se débarrasser de deux personnes avec un seul camion.» Ma hantise était qu’ils suppriment Soljenitsyne chez moi, et que mes enfants et petits-enfants me suspectent d’avoir été indirectement complice du KGB. Du coup, j’ai écrit une lettre que j’ai envoyée à quatre journaux dans laquelle je disais tout ce que je pensais du régime. Je savais qu’elle ne serait jamais publiée et qu’on pouvait m’arrêter, mais je savais également qu’elle serait copiée des centaines de fois. La preuve, tout le monde était au courant à Paris, dès le lendemain. Je jouais alors en Allemagne. Un agent du KGB est venu me trouver après le concert dans ma chambre d’hôtel. Il m’a dit : «Vous avez entendu cette provocation ? On a publié une lettre sous votre signature dans laquelle on vous fait dire que c’est un scandale que des compositeurs comme Chostakovitch et Prokofiev ont été critiqués dans leur pays, et qu’il faille aller à Paris pour voir les films de Tarkovski.» J’avais également écrit dans cette lettre : «Dans vingt ans, nous aurons honte de ce passé.» »

Il dit aussi qu’après cela, les autorités ont annulé tous ses concerts en Union soviétique. Galina raconte qu’on la laissait chanter, mais on enlevait son nom des affiches. On l’empêche aussi d’aller faire des tournées en occident. Dans un régime comme celui de l’Union soviétique, toute activité dépendait du pouvoir qui pouvait dès lors enlever toute ressource économique à ceux qu’elle voulait punir.

Slava et Galina ne molliront pas.

En 1974, Soljenitsyne est d’abord arrêté puis expulsé et déchu de sa nationalité soviétique. La situation des époux Rostropovitch ne s’améliorera pas.

Rostropovitch parviendra à négocier un départ temporaire d’URSS. Les autorités soviétiques lui auraient promis de le laisser revenir en U.R.S.S. à l’expiration de ce délai. Mais ils ne respecteront pas cette promesse.

Mstislav Rostropovitch quittera l’Union soviétique, pour Londres, le 26 mai 1974 avec Galina Vichnevskaïa, et ses deux filles.

Le mercredi 15 mars 1978, « Les Izvestia » annoncent que lui et son épouse sont déchus de leur nationalité soviétique, interdiction sera faite à Aeroflot de lui vendre un billet d’avion.

Slava et Galina recevront cette décision comme une déchirure et furent très affectés :

<Un article du Monde de 1978> décrit la scène :

« Mstislav Rostropovitch et Galina Vichnevskaïa ont donné, vendredi après-midi 17 mars, une conférence de presse à Paris. Tendue, le visage fermé, parfois au bord des larmes, la grande cantatrice a attaqué la première, disant qu’ ” il n’y a pas de mot pour exprimer l’indignation devant cet acte inhumain. Nous avons appris notre déchéance de la nationalité soviétique par la télévision. L’ambassade d’U.R.S.S. savait que nous étions à Paris ; elle n’a pas daigné nous annoncer officiellement cette exécution par contumace de notre famille. Je ne reconnais pas au gouvernement soviétique le droit de me priver de la terre qui m’a été donnée par Dieu “.

[…] En achevant leur conférence de presse, Rostropovitch et sa femme ont déclaré : ” Nous sommes sûrs que nous reviendrons un jour dans notre patrie.  »

Par la suite, Rostropovitch prendra aussi fait et cause pour Andrei Sakharov un autre dissident célèbre.

Il déclarera, dans un article du Monde en 1984, pendant une grève de la faim du dissident : Andreï Sakharov est en train de mourir pour que nous restions libres. :

« Nous souffrons avec lui. Nous le voyons comme s’il était ici, et nous ressentons toutes ses souffrances. Le destin est en train de mettre à l’épreuve la force morale des hommes libres en Occident. Pouvons-nous par notre force morale sauver la vie d’un homme qui meurt pour nous pour que nous conservions notre liberté ? […]

Quand j’étais encore à Moscou, nous étions très proches. Ses yeux sont ceux d’un saint homme. Je ne connais personne au monde qui ait un regard comme lui. Je l’ai connu à une époque où il commençait à perdre tous ses privilèges (d’académicien). Il a choisi ce chemin de croix en sachant parfaitement ce qui l’attendait. Il a d’abord été changé en un homme normal qui faisait la queue pour les pommes de terre. Comme moi. Nous étions voisins à la datcha. Maintenant, sa situation est plus mauvaise que la normale. Et toutes ses souffrances sont pour nous. C’est pourquoi je considère que nous sommes tous responsables de sa vie.


Ce n’est pas un simple artiste qui est allé, un jour de novembre 1989, jouer du Bach à l’endroit où il fallait être à ce moment-là.

C’est un homme qui avait de l’épaisseur et qui comprenait ce que pouvait signifier pour des millions d’homme, l’écroulement du mur de la honte.

Le 16 janvier 1990, Mikhaïl Gorbatchev signera le décret de réhabilitation de Rostropovitch.

Son rejet du communisme soviétique et de l’administration kafkaienne et incompétente qui dirigeait ces pays de l’est était devenu total et absolu.

Il explique <Dans cet article du Nouvel Obs> :

« Presque tous les artistes, tous les musiciens, les écrivains, la crème de la Russie, avaient émigré, et Staline a fait disparaître ceux qui étaient restés. On se dispute sur le nombre de millions de morts qu’il a faits. Trente, cinquante ? Et qui le système stalinien visait-il ? Ceux qui travaillaient. Ceux qui ne faisaient rien, les incapables, ont été épargnés.

Ceux qui dirigeaient la vie artistique ne comprenaient rien à l’art. Et ce qu’ils ne comprenaient pas était forcément mauvais. Voyez Chostakovitch, Prokofiev : ils n’avaient pas le droit de composer parce qu’ils n’étaient pas compris de ceux qui avaient le pouvoir. Je vais vous raconter une histoire que je n’ai jamais racontée. J’avais un imprésario en Amérique, Sol Hurok, que j’aimais comme un père, et qui était un grand bonhomme ; il travaillait aussi avec Chaliapine, Stravinsky, Heifetz, Stern… Je devais faire une tournée de deux mois aux Etats-Unis. Je lui dis que je ne peux pas dire oui, parce que le ministère russe doit me donner son autorisation. En attendant, me répond Hurok, pouvez-vous me donner votre programme ? Bien sûr : Suite de Bach, sonate de Brahms, de Prokofiev, de Chostakovitch, et quelques petites choses. J’avais joué tout ça mille fois. Le ministère donne son accord pour la tournée (je ne conservais que deux cents dollars de chaque cachet, et le ministère empochait le reste), mais apprend que j’ai donné mon programme : “Nous savons que vous l’avez donné à votre imprésario ! Sans notre autorisation ! De quel droit ? Vous ne partirez jamais plus ! Nous avons ordonné à Hurok d’annuler le programme ! Vous devez fixer un autre programme, et il passera par nous !” Ils ne savaient pas de quoi était composé mon programme, mais Hurok leur avait dit qu’il l’avait déjà. J’ai dit : d’accord, veuillez noter mon nouveau programme. Et je dicte : “Suite de Bach n° 9 [il n’y en a que six], Sonate pour violoncelle n°3 de Mozart [il n’y en a pas une seule], entracte, puis de la musique russe : quelques sonates pour violoncelle de Scriabine [il n’en existe pas].” Ils ont noté, envoyé le programme à Hurok, qui était fou furieux, mais qui a compris ce que cela signifiait. Il a imprimé le vrai. Evidemment, le ministère a fini par savoir que j’avais joué ce qui était prévu. Et à mon retour ils ont fait un scandale dont on se souvient encore, ils ont voulu me mettre en prison… Tels étaient les responsables russes. Tout de même, sous l’Ancien régime, les affaires professionnelles étaient tenues par des gens qui savaient leur métier ! Le système communiste et les millions de tués ont rendu le peuple russe défectueux. »

Celui qui a incarné aux yeux du monde entier la lutte pour la liberté de création à l’époque du glacis soviétique s’est éteint vendredi 27 avril 2007 à Moscou, à l’âge de 80 ans

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Lundi 1 février 2016

«Lady Macbeth du district de Mzensk»
Dimitri Chostakovitch

Le mot du jour correspond au titre d’un opéra, un des plus grands chefs d’œuvre de l’opéra du XXème siècle, de Dimitri Chostakovitch qui est actuellement à l’affiche de l’Opéra de Lyon.

Ce mot se décline à 3 niveaux :

1/ Le premier est une déclaration d’amour à l’Opéra de Lyon quand cette maison accueille des metteurs en scène qui savent mettre en valeur un texte et une musique. L’orchestre, le chœur et les autres artistes font alors des merveilles.

Cette maison d’opéra est, dans cette situation, comparable au plus grandes.

Je ferais court sur ce point, il suffit pour ce spectacle de lire Télérama : <Lady Macbeth de Mzensk embrase l’Opéra de Lyon>

Ou encore ce site spécifiquement consacré à la musique classique <Bouleversante Lady Macbeth à l’opéra de Lyon>

2/ Ce n’est pas le cas quand certains metteurs en scène se laissent aller à leurs instincts de machistes ordinaires. Et à ce deuxième niveau, nous revenons un peu à la thématique de la semaine dernière et de la manière de considérer la femme.

Beaucoup d’entre vous ne sont pas familiers du monde de l’opéra, pourtant vous connaissez tous “Carmen” l’opéra le plus joué au monde, opéra de Bizet sur un texte de Prosper Mérimée. Carmen est une femme libre qui a décidé de choisir ses amants et de décider à quel moment elle passerait de l’un à l’autre. Mérimée décrit ainsi une femme moderne, libre. Le metteur en scène qui a réalisé cet opéra à l’opéra de Lyon en 2013 a cru intelligent de la présenter comme une prostituée au milieu d’autres prostituées. Une femme libre ne saurait être qu’une putain, voilà la brillante idée qu’a soutenu, le connu et emblématique directeur du festival d’Avignon : Olivier Py. Un metteur en scène du genre mâle.

L’autre grand opéra français : “Pélléas et Mélisande” de Debussy sur un texte tout en finesse et en symbole de Maurice Maeterlinck, décrit une jeune fille apeurée, qui a fui un mari dont elle ne parle qu’en allusion et qui s’échappe dans les échanges avec le vieux prince Golaud qui l’a recueilli et épousé sans lui laisser trop le choix, par des mensonges qui restent sa seule défense. Maeterlink met en scène une femme qui a subi des violences avant que l’opéra ne commence et va continuer à être opprimé par Golaud. Soit par manque d’imagination ou par mimétisme avec Olivier Py, le metteur scène du genre mâle, Christophe Honoré qui a mis en scène cet opéra en juin 2015, à Lyon, a fait de Mélisande une prostituée.

C’est encore un metteur en scène du genre mâle, Stefan Herheim, qui avait la tâche de mettre en scène Rusalka de Dvorak en 2014 et qui va avoir la brillante idée d’en faire une prostituée.

Cet opéra est moins connu, mais l’histoire est connu de tous : c’est l’histoire de la petite sirène qui parce qu’elle est amoureuse d’un prince humain doit abandonner sa nature de sirène. Ce mâle-ci a trouvé particulièrement pertinent d’interpréter le symbole de la communauté des sirènes, comme un groupe de prostituées sous la domination d’un mac et a été particulièrement fier de pouvoir faire l’analogie entre la difficulté pour la sirène d’entrer dans le monde des humains, et la prostituée d’entrer dans le monde des bourgeois.

Et enfin, il y a la damnation de Faust de Berlioz inspiré du Faust de Goethe. Cette fois il s’agit de la pécheresse Marguerite abusée par Faust lui-même entraînée vers la perversion par Méphistophélès, personnification de Satan, qui va subir le même traitement. Cette fois c’est David Marton, metteur en scène du genre m…, qui va tout simplement ajouter du texte à l’opéra, texte certes uniquement parlé, où des enfants (comme c’est charmant) vont vociférer vers Marguerite et bien sûr la traiter de P..

Quand sur un peu plus de 2 saisons, des metteurs en scènes différents arrivent à concevoir le même type de représentation, il ne s’agit plus d’un hasard ou d’une malencontreuse coïncidence, il s’agit d’un système de pensée.​

Une femme libre, une femme victime de violence, la petite sirène, la jeune fille abusée par un manipulateur : “toutes des putes”.

Nous sommes dans le même esprit que celui que j’ai dénoncé dans les 5 mots du jour de la semaine dernière.

3/ D’où cette divine surprise quand cette fois, le metteur en scène Dmitri Tcherniakov n’a pas succombé à cette facilité.

Car dans cet opéra, ce dont il est question c’est d’une femme frustrée dont le mari est impuissant et lâche, qui est martyrisé par son beau-père chef d’entreprise alcoolique et violent. Cette femme va tomber amoureuse d’un bellâtre et avec lui tuer son beau-père et son mari.

Le crime est dénoncé à une police décrite comme totalement corrompue et le couple finira au bagne où elle se suicidera parce que son amant la trahit.

A ce troisième niveau, je vais vous parler de Staline et de l’Union soviétique.

Cette œuvre extraordinairement réaliste, d’une modernité géniale au moment de sa création en 1934 est portée par une musique d’une force incandescente.

Dès sa création à Saint Petersbourg elle fut acclamée et connut un très vif succès pendant plusieurs mois.

Elle connut le succès jusqu’au 28 janvier 1936 où à la représentation du Bolchoi de Moscou, le camarade Staline avec ses sbires vinrent au spectacle.

Le lendemain matin la Pravda écrivit : “Le chaos remplace la musique” et tout l’article expliqua comment cette musique était dévoyée et que l’Union Soviétique et les masses populaires ne pouvaient accepter telle décadence.

Exactement comme les nazis qui ont développé le concept <d’art dégénéré>

Chostakovitch fut humilié en public, ses œuvres retirées du répertoire, et pour résister à la peur d’être déporté voire pire il augmenta sa consommation de vodka.

Un jour il faillit vraiment être envoyé au goulag, mais chance l’enquêteur du KGB qui s’occupait de réunir le dossier contre lui, fut lui-même mis en cause dans le cadre d’une autre procédure de purge, arrêté, condamné à mort et exécuté. Le dossier de Chostakovitch fût oublié alors dans les méandres de cette administration folle et chaotique.

Chaque fois que l’on creuse un peu on constate qu’il n’y a aucune différence de fond entre Hitler et Staline qui furent tous deux des criminels, des déséquilibrés, des tyrans pathologiques et aveuglés par la violence de leur pouvoir.

C’est tout récemment qu’Alain Minc, qui ne fait pas partie de mes inspirateurs, m’a dévoilé pourquoi des amis que je respecte n’ont jamais voulu mettre Hitler et Staline au même niveau.

Alain Minc a dit, du temps de Staline il y avait beaucoup de communistes qui étaient des braves types et qui avaient foi que le communisme apporterait le bien au plus grand nombre, les nazis qui croyaient à la supériorité de la race n’étaient jamais des braves types.

Ceci est certainement juste, mais les deux maîtres de ces idéologies, eux, étaient des sales types dont on ne peut départager la noirceur.

Mais tout ceci ne doit pas m’éloigner des deux messages principaux que je voulais dévoiler dans ce mot :

Lady Mac Beth de Mzensk est un chef d’œuvre

L’opéra de Lyon en réalise une interprétation admirable.

<639>

Mardi 6 octobre 2015

«La guerre en Syrie, depuis 3 ans, me rappelle la guerre en Espagne. Vous avez deux pays, la Russie et l’Iran qui savent qui est leur allié, qui savent qui est leur ennemi et qui ne connaissent aucune limite à leurs actions. Et en face, vous avez des pays occidentaux divisés et hésitants. C’est vraiment le parfum de la guerre d’Espagne.»
Dominique Moïsi, politologue et géopoliticien, conseiller de l’IFRI, ancien professeur à Harvard.

Les évènements en Syrie sont préoccupants.

Il y a même des prophètes de malheur qui pense possible que la 3ème guerre mondiale ait démarré avec l’intervention russe en Syrie et parallèlement des tensions de plus en plus fortes entre l’Arabie Saoudite et l’Iran.

Certains, dont Poutine, comparent la situation en Syrie à la 2ème guerre mondiale : DAESH c’est Hitler et Assad c’est Staline. Pour gagner contre DAESH, il faut s’allier à Bachar el Assad.

Dans cette situation, l’intervention de Dominique Moïsi au club de la presse d’Europe 1 m‘a semblé la plus éclairante.

D’abord comme référence historique, lui s’appuie sur la guerre d’Espagne. Ce qui n’est pas non plus très rassurant puisque tout cela a très mal fini.

Mais dans la guerre d’Espagne il y avait aux prises un bloc militaire fasciste et des républicains divisés. Le bloc militaire fasciste a bénéficié d’un appui militaire sans faille des nazis allemands et des fascistes italiens.

Les pays occidentaux, ennemis des fascistes ont soutenu mollement les républicains, parce qu’ils se méfiaient des communistes qui y jouaient un rôle important.

L’issue a été favorable au camp le mieux soutenu.

Force est de constater que dans l’affaire syrienne, la Russie, comme l’Iran sont très clairs : ils sont les alliés de Bachar el Assad et leurs ennemis sont les ennemis de Bachar el Assad.

L’Occident a pour ennemi DAESH mais ne trouve pas d’allié acceptable sur le terrain.

Il était question tout au début d’aider les démocrates. Moïsi dit :

« En Syrie, trouver des démocrates dans les groupes rebelles est un grand mot. Mais il existe des rebelles qui ne sont proche ni de l’Etat islamique, ni d’Al Qaïda »

Obama et Poutine se sont d’abord affrontés puis rencontrés à l’ONU.

Le fait qu’ils se parlent est positif. Même si certains prétendent que Poutine a berné Obama.

Les discours à l’ONU des deux protagonistes a montré non seulement des divergences de fond qui se synthétisent essentiellement dans le rejet ou l’alliance avec le tyran syrien, mais ont surtout montré la différence de stratégie.

Obama a fait un beau discours, ferme sur les principes et expliquant, grosso modo, ce que la morale devrait nous pousser à faire.

Poutine a réagi en chef de guerre. Il n’a pas changé de position depuis le début, il est allié du pouvoir syrien qui était en place avant les évènements et c’est avec ce pouvoir qu’il faut négocier.

Il propose son aide bienveillante aux européens qui doivent faire face à la crise des réfugiés et aux occidentaux en général pour lutter contre le terrorisme.

Bref le premier manie le concept, le second a ce que le grand penseur de la guerre “Clausewitz”, considérait comme fondamental : un but de guerre clair et objectif : Aider Bachar El Assad à vaincre ses opposants et conserver ses positions stratégiques en Syrie.

Il faut dire que l’Occident a des alliés sunnites déconcertants et encombrants : L’Arabie Saoudite a pour premier ennemi l’Iran et les chiites. Elle a incontestablement soutenu tous les mouvements sunnites fondamentalistes partout dans le monde et même chez nous. Elle a un problème parce que Al Qaida d’abord puis DAESH ont totalement échappé à son contrôle. Quoique désormais il se rapproche du front Al Nosra qui est une créature d’Al Qaida pour essayer de contenir la progression de DAESH. Mais à la fin des fins, l’Arabie Saoudite aura toujours beaucoup de mal à combattre ces extrémistes sunnites si cela avait pour conséquence de donner la victoire aux chiites, par exemple à Assad.

La Turquie, notre allié, pièce maitresse de l’OTAN, est tout aussi ambigüe. Lors du siège de Kobané, il a empêché des Kurdes non syrien, d’aller combattre avec les kurdes syriens contre DAESH. Maintenant il bombarde en Syrie, mais pas les fiefs de DAESH mais les positions kurdes, car son principal ennemi est le PKK, le parti des Kurdes qui pourrait, selon les craintes d’Erdogan, faire sécession de la Turquie. Or, les kurdes sont quasi les seules troupes au sol qui se battent contre DAESH et qui constituent des interlocuteurs sérieux des Etats-Unis et des occidentaux.

En face les chiites et la Russie sont unis et ont une stratégie claire et univoque.

En outre Obama va vers la fin de son mandat, il est attentif à la trace qu’il laissera dans l’Histoire. Ses mandats ont été ceux de la stratégie inverse de GW Busch, à savoir, retirer les troupes américaines des bourbiers créés par son prédécesseur. La dernière chose que veut Obama c’est avoir des soldats combattants au sol. D’ailleurs, il semble qu’en privé il déclare que Poutine dans son intervention en Syrie est en train de commettre la même erreur que GW Busch.

Il faut dire que la dernière fois que la Russie qui était alors l’URSS a fait ce type d’intervention c’était en Afghanistan et que cela s’est très mal terminé pour elle.

Toujours est-il que si Poutine va peut-être devant de grandes difficultés, on ne comprend toujours pas comment les Etats-Unis, la France et ses alliés vont intervenir de manière opérationnelle, c’est à dire en étant en mesure d’influer sur les évènements.

Je finirai par ce propos clairvoyant rappelé par Moïsi :

Raymond Aron avait expliqué en son temps :

«Dans une guerre, vous choisissez votre ennemi, mais pas vos alliés.»

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Jeudi 27 novembre 2014

« L’Épigramme contre Staline »
Ossip Mandelstam

Ceci est le 400ème mot du jour.

Pour cet instant particulier je vous offre un moment d’Histoire, un poème politique écrit il y a 80 ans (81 pour ceux qui aiment la précision – novembre 1933) par un des grands poètes russes :  Ossip Mandelstam

L’épigramme d’Ossip Mandelstam demeure, en seulement seize vers, l’un des textes les plus engageants jamais écrits. L’intransigeance du poète, face à Staline et à la Tchéka, font de lui un homme exceptionnel, un exemple de désobéissance civile et de courage contre la barbarie.

Voici ces seize vers :

« Nous vivons sans sentir sous nos pieds le pays,
Nos paroles à dix pas ne sont même plus ouïes,
Et là où s’engage un début d’entretien, —
Là on se rappelle le montagnard du Kremlin.

Ses gros doigts sont gras comme des vers,
Ses mots comme des quintaux lourds sont précis.

Ses moustaches narguent comme des cafards,
Et tout le haut de ses bottes luit.

Une bande de chefs au cou grêle tourne autour de lui,
Et des services de ces ombres d’humains, il se réjouit.

L’un siffle, l’autre miaule, un autre gémit,
Il n’y a que lui qui désigne et punit.

Or, de décret en décret, comme des fers, il forge —
À qui au ventre, au front, à qui à l’œil, au sourcil.

Pour lui, ce qui n’est pas une exécution, est une fête.
Ainsi comme elle est large la poitrine de l’Ossète. »

D’abord, ce poème a été composé à la voix, de tête, puis Mandelstam livre cette épigramme à un cercle restreint de connaissances.

En 1934, le poète confie à sa femme Nadejda Mandelstam : « Je suis prêt à mourir. »

Un jour, il croise Boris Pasternak et lui récite son poème.

Effrayé, Pasternak ajoute :

« Je n’ai rien entendu et vous n’avez rien récité. Vous savez, il se passe en ce moment des choses étranges, terribles, les gens disparaissent ; je crains que les murs aient des oreilles, il se pourrait que les pavés aussi puissent entendre et parler. Restons-en là : je n’ai rien entendu. »

Mandelstam, reçoit la visite de trois agents de la Guépéou dans la nuit du 16 au 17 mai 1934. Ils lui présentent un mandat d’arrêt et perquisitionnent jusqu’au matin et l’arrêtent.

Mandelstam quitte sa femme Nadejda et ses amis à 7 heures du matin pour la Loubianka.

Tous les manuscrits sont confisqués, lettres, répertoire de téléphone et d’adresses, ainsi que des feuilles manuscrites. Mais pas d’épigramme…

Ce poème ne fut écrit que devant le juge d’instruction de la Loubianka où « le poète coucha ces seize lignes sur une feuille à carreaux arrachée d’un cahier d’écolier. Il a défendu « sa dignité d’homme, d’artiste et de contemporain, jusqu’au bout. »

Cette épigramme sera plus tard cataloguée comme « document contre-révolutionnaire sans exemple » par le quartier général de la police secrète.

Pour Vitali Chentalinski, c’était « plus qu’un poème : un acte désespéré d’audace et de courage civil dont on n’a pas d’analogie dans l’histoire de la littérature. En réalité, en refusant de renier son œuvre, le poète signait ainsi sa condamnation.

<Un article de Wikipedia sur l’épigramme contre Staline>

<Ici la page Wikipedia sur Ossip Mandelstam>

<Un magnifique texte sur Mandelstam>
Et puis il me semble indispensable aussi de dire quelques mots sur son extraordinaire épouse Nadejda Iakovlevna Khazina née à Saratov le 31 octobre dans une famille juive de la classe moyenne, Elle épouse en 1921 Ossip Mandelstam. Quand Ossip est arrêté en 1934 pour son Épigramme contre Staline elle est exilée avec lui à Tcherdyne, dans la région de Perm, puis à Voronej.

Après la deuxième arrestation et la mort de son mari dans le camp de transit de Vtoraïa Rechka (près de Vladivostok) en 1938, Nadejda Mandelstam mène un mode de vie quasi-nomade, fuyant parfois à une journée près le NKVD, changeant de résidence à tous vents et vivant d’emplois temporaires.

Elle s’est fixé comme mission la conservation de l’héritage poétique de son mari. Elle a appris par cœur la majeure partie de son œuvre clandestine, parce qu’elle ne faisait pas confiance au papier.

Après la mort de Staline, elle achève son doctorat en 1956 et est autorisée à revenir à Moscou en 1958.

En 1979, elle fait don de toutes ses archives à l’Université de Princeton.

Nadejda Mandelstam meurt à Moscou le 29 décembre 1980 à l’âge de 81 ans.

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Mardi 08 octobre 2013

Mardi 08 octobre 2013
« Qu’ai-je fait ?…
J’ai seulement écrit ce dont j’étais témoin.»
Anna Politkovskaïa
Anna Politkovskaïa a été assassinée à Moscou le 7 octobre 2006 à 48 ans.
On a retrouvé son corps criblé de balles dans le hall de son immeuble le matin à Moscou.
Un pistolet Makarov 9mm, arme préférée des exécuteurs russes, a été retrouvé près de son immeuble.
C’était une journaliste russe et une militante des droits de l’homme connue pour son opposition à la politique du président Vladimir Poutine, sa couverture du conflit tchétchène et ses critiques virulentes envers les autorités de la république caucasienne.
Qu’ai-je fait ?” se demandait-elle, dans un texte retrouvé sur son ordinateur après sa mort, en rappelant que son exigence de vérité la condamnait à travailler comme “clandestine” et elle avait ajouté
“J’ai seulement écrit ce dont j’étais témoin”.

Hier constituait le 7ème anniversaire de cet acte dont on ne connaîtra probablement jamais le(s) vrai(s) commanditaire(s)

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