Vendredi 27 octobre 2023

« Partout, les forces attachées à la modération, à la coopération et à la paix ont été battues en brèche. »
Jean-Louis Bourlanges, le 23 octobre, à l’Assemblée Nationale

Hier j’ai partagé un cri de colère.

Non ! ce que le Hamas a fait n’est pas un acte de résistance !

C’est un crime contre l’humanité. Ce que ces croyants ont perpétré au nom d’Allah, ne peut s’inscrire dans les valeurs de l’humanité.

Il faut aimer la mort, comme nous aimons la vie pour agir ainsi.

Il faut croire aveuglément à un récit et dénier à celles et ceux qui n’y croient pas, jusque qu’à la dernière parcelle d’humanité.

Non, on ne peut pas considérer que ce qui s’est passé à partir de 7 octobre est une simple riposte entre deux belligérants.

Les crimes du Hamas sont au-delà de ce que nous pouvions imaginer, horreur et atrocité.

Je ne suis plus croyant dans une des religions du Livre. Mais pour les croyants, il y a cette malédiction que je crois légitime pour chacun des assassins du Hamas et de ceux qui les ont envoyés :

« Quand on le jugera, qu’il soit déclaré coupable, Et que sa prière passe pour un péché ! »
Psaume 107 verset 7 dans la traduction de Louis Segond.

Que leurs prières soient péchés !

Il fallait que cette abomination soit dénoncée.

Et le 23 octobre, un vieil homme de 77 ans, est monté, tout essoufflé, à la tribune de l’Assemblée Nationale, au Palais Bourbon.

Il avait du mal à retrouver son souffle. Il finira épuisé, au bord du malaise.

Mais lorsqu’il a vraiment débuté son discours, la magie du verbe et la lucidité de la politique, se sont emparées de ce corps fragile.

Un discours exceptionnel de Jean-Louis Bourlanges, président de la Commission des affaires étrangères et député Modem. Un discours comme il y en eut jadis à la tribune de cette Assemblée, loin des interventions querelleuses et électoralistes qui sont désormais le lot quotidien de la chambre basse de notre parlement.

Il a aussi commencé à poser, ce qui doit être dit :

« Le 7 octobre dernier, cette interminable tragédie a pris un cours décisivement nouveau et d’une gravité exceptionnelle : Israël s’est trouvé confronté à une agression paramilitaire de première grandeur, menée par un Hamas résolu à piétiner tous les principes, toutes les règles, tous les usages régissant les relations entre les peuples, que ceux-ci soient en guerre ou en paix. Si les mots ont un sens, il est clair que l’agression conduite par le Hamas est à la fois terroriste, constitutive d’un crime de guerre généralisé et adossée à un discours à caractère génocidaire assumé. Le Hamas met en scène les pires violences sur les populations dans le seul but d’effrayer et d’intimider : c’est du terrorisme. Le Hamas ne fait la guerre qu’aux civils, c’est la définition même et dans son extension maximale du crime de guerre ! Les fidèles du Hamas n’hésitent pas à appeler non pas uniquement à la disparition de l’État d’Israël, mais à l’élimination des Juifs en tant que Juifs ! C’est l’expression même d’une volonté de génocide porteuse d’un crime contre l’humanité.»

Mais il avait introduit ce propos par un rappel historique essentiel qui fait le constat que la situation conflictuelle au Proche-Orient depuis soixante-quinze ans provient de l’absence d’un État palestinien aux côtés de l’État israélien :

« Le 29 novembre 1947, L’Assemblée générale des Nations unies décidait, par trente-trois voix contre treize, la création de l’État d’Israël tout en prenant soin de proposer l’institution parallèle d’un État palestinien qui, à la suite de la guerre qui a accueilli la décision onusienne, n’a jamais pu voir le jour. De ce vote solennel qui engage la communauté internationale date à la fois le droit imprescriptible du peuple juif à vivre dans un État libre et souverain, et le lancinant problème posé par l’émergence indéfiniment différée de son jumeau palestinien. Israël était né, Ismaël restait dans les limbes ; la tragédie prenait ses marques au cœur d’un Moyen-Orient par ailleurs déchiré par la guerre froide. »

Pour ceux qui manquent de références bibliques, il faut savoir que selon ce récit Ismaël est le fils d’Abraham qui serait le père de tout le peuple Arabe ainsi que de la lignée menant au prophète de l’islam Mahomet. Le second fils d’Abraham sera Isaac qui lui même sera le père de Jacob qui prendra le nom d’Israël et sera l’ancêtre du peuple juif. Ces personnages apparaissent dans les livres de Moïse des juifs et dans le Coran des musulmans. Les croyants de ces deux religions croient à ce récit.

Et puis prenant de la hauteur, Jean-Louis Bourlanges s’est interrogé sur la sécurité à long terme d’Israël :

« Et c’est de la réponse à cette question que doivent dépendre nos réactions à court et à moyen terme, comme celles de l’État hébreu.

Comment un État de 20 770 kilomètres carrés, peuplé de moins de sept millions de Juifs, fer de lance d’une communauté humaine de près de treize millions de personnes, pourrait-il espérer vivre durablement en paix et en sécurité au milieu d’un environnement par hypothèse hostile de plus d’un milliard et demi de musulmans ? »

Et il répond que les murs, les équipements militaires les plus sophistiqués sont une mauvaise réponse :

« Même l’arme nucléaire dont dispose Israël n’est pas de nature à assurer la survie d’un État concentrant toute sa population sur un espace aussi restreint. »

Et puis, il y eut ce développement remarquable de clarté et de lucidité en comparant l’attitude du premier ministre actuel de l’Etat d’Israel avec ses prédécesseurs :

« Face à cette terrible situation, il faut analyser sans œillères ni préjugés ce qui s’est modifié ces dernières années sur la scène moyen-orientale. Comme l’a très justement dit monseigneur Vesco, archevêque d’Alger : « La violence barbare du Hamas est sans excuse mais elle n’est pas sans cause. »

Avant la prise de pouvoir de M. Netanyahou, les grands dirigeants historiques d’Israël, quelle qu’ait été leur sensibilité politique, ont eu une conscience aiguë de cette vulnérabilité après que la guerre du Kippour l’eut rendue manifeste.

Yitzhak Rabin, qui avait vu au plus près le péril de la patrie, a défendu, avec une force de conviction et une volonté politique sans pareille, l’idée qu’il n’y aurait ni paix ni sérénité pour Israël si les Palestiniens ne se voyaient pas reconnaître, eux aussi, un État libre et souverain.

Menahem Begin, venu pourtant de la droite de la droite, a assumé courageusement à Camp David, le choix de la paix avec le principal ennemi d’Israël, l’Égypte post-nassérienne.

Ariel Sharon, qui avait pris la mesure de l’impuissance de la force dans le cadre de l’intervention controversée qu’il avait conduite au Liban, avait, à la veille de l’accident de santé qui devait le terrasser, décidé d’amener son pays à renoncer ses ambitions coloniales en Cisjordanie.

Ces hommes avaient pressenti et pleinement reconnu, pour Yitzhak Rabin du moins, qu’Israël ne trouverait la paix qu’à la condition d’établir avec les États arabes qui l’entouraient, mais aussi avec les hommes et les femmes de Palestine, une relation équilibrée qui supposerait le respect mutuel et le partage des bénéfices de la paix.

La rupture introduite ces dernières années dans la politique israélienne par les gouvernements successifs de M. Netanyahou n’est certainement pas la cause unique de la situation nouvelle, mais elle y a puissamment contribué. »

Jean-Louis Bourlanges dit tout le mal qu’il pense de M. Netanyahou sur le plan militaire mais aussi politique :

« L’essentiel est toutefois d’ordre politique. M. Netanyahou a semblé imaginer que l’établissement de relations apaisées et coopératives avec les voisins arabes d’Israël, ce qui était en soi une excellente ambition et se révélera demain fort utile à la quête nécessaire de l’apaisement, pouvait avoir ce pouvoir indirect, mais précieux à ses yeux, de dispenser Israël de rechercher avec les Palestiniens un accord équilibré et respectueux de leurs attentes et de leurs aspirations profondes.

Bien plus, les accords d’Abraham ayant permis aux États arabes d’abandonner les Palestiniens à leur triste sort, le Gouvernement israélien s’est estimé libre d’engager sans risque une relance rampante mais brutale et déterminée de sa politique de colonisation en Cisjordanie. »

Bien sûr, Israël n’est pas le seul responsable :

« Il serait injuste d’attribuer à l’État hébreu le monopole de la nouvelle brutalisation du monde d’où l’horreur du 7 octobre est sortie. Partout, les forces attachées à la modération, à la coopération et à la paix ont été battues en brèche.
Que les Palestiniens aient eu la tentation croissante et suicidaire de se réfugier dans une sorte de nihilisme politique ne peut, hélas, pas nous surprendre.

Une population sans avenir, donc sans espoir, pouvait-elle être tentée par des partis modérés qui n’avaient rien à lui offrir ? »

Il pointe aussi la responsabilité des Etats-Unis, notamment de Trump et ajoute :

« Comment, dans ces conditions, ne pas voir que ce sont aujourd’hui les héritiers idéologiques des assassins d’Anouar el-Sadate et d’Yitzhak Rabin qui tiennent ensemble la plume de la tragédie qui s’écrit sous nos yeux ?  »

J’avais déjà expliqué dans le mot du jour de lundi, le soutien de l’actuel Ministre de la Sécurité nationale du gouvernement israélien : Itamar Ben Gvir à l’assassin de Rabin, sans oublier que Netanyahou intervenait dans des meetings où une partie des participants appelait à tuer Rabin.

Sadate a été tué par le Jihad islamique égyptien qui est une organisation armée issue des frères musulmans exactement comme le Hamas.

La fin du discours consistera à essayer de trouver le juste niveau de la riposte en épargnant les vies innocentes :

« Dans l’immédiat, il faut impérativement veiller à ce qu’une contre-attaque légitime, dès lors qu’elle vise exclusivement à détruire les moyens militaires de l’agresseur, évite les deux écueils majeurs que chacun a clairement identifiés.
D’abord le risque d’une escalade incontrôlée pouvant conduire à un embrasement général. Derrière le Hamas, il y a le Hezbollah ; derrière le Hezbollah, il y a l’Iran ; derrière l’Iran, il y a la Russie et la Chine. […]

Le deuxième risque majeur est celui d’un anéantissement massif de populations civiles utilisées par les uns comme des boucliers humains et par les autres comme l’exutoire d’une tentation de vengeance,…

…pour reprendre l’expression préoccupante du Premier ministre israélien. »

Et puis il envisage une solution à plus long terme qui ne peut que prendre en compte pleinement le besoin de justice pour la population palestinienne au terme d’une nouveau processus de dialogue basé sur la paix, le besoin de sécurité d’Israël et des concessions réciproques :

« Reste à construire un avenir de paix. La tâche est redoutable en raison du mur de détresse et de haine qui sépare aujourd’hui Israéliens et Palestiniens. Aujourd’hui, il est à la fois trop tard et trop tôt pour instituer deux États en terre de Palestine.

Il est en revanche temps – et même grand temps – de commencer à réaliser les conditions qui rendront possible, le moment venu, cette double création. La première de ces conditions, c’est qu’Israël fasse cesser sa politique de colonisation et reconnaisse enfin que la solution du problème palestinien ne saurait passer par l’exportation, en Égypte, des Palestiniens de l’Ouest et, en Jordanie, des Palestiniens de l’Est.

La seconde de ces conditions consiste à recréer, notamment avec l’appui des États modérés du pacte d’Abraham, une autorité palestinienne active, respectée et capable de prendre à Gaza le relais d’un Hamas en cendres et de négocier un statut respectueux des droits palestiniens. Au-delà du Moyen-Orient, les bonnes volontés existent, comme celle du Brésil, dont la France a eu raison de soutenir le projet de résolution à l’ONU. Il nous appartient de nous associer à leurs efforts.  »

Il en appelle aussi à l’Union européenne dont l’expérience est celle de la réconciliation franco-allemande et qui doit convaincre « Palestiniens et Israéliens de la pertinence de son logiciel de réconciliation. »

Je n’ai pas cité tout le discours mais la plus grande partie.

Si vous voulez voir intégralement, en vidéo, ce moment de haute politique : <Débat du 23 octobre 2023>. Cela commence à 1:05 :00

Vous pouvez aussi avoir, grâce au journal officiel (cela me rappelle mes études de Droit lorsque j’allais régulièrement lire le JO pour prendre connaissance des débats parlementaires.), la retranscription textuelle intégrale du discours de M Bourlanges ainsi que les interpellations agacées et négatives de M Meyer Habib, député républicain, proche du Likoud et ami revendiqué de Benyamin Netanyahou

Le lien se trouve derrière ce lien :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2023-2024/seance-du-lundi-23-octobre-2023

Ce texte permet d’ailleurs de revenir à la vidéo et au moment précis de l’intervention transcrite.

Je n’ai pas grand-chose à ajouter à ce discours équilibré, profond, inscrit dans l’Histoire et qui tente de tracer un objectif pour l’avenir. Le chemin pour y arriver reste compliqué.

Les extrémistes des deux côtés voudraient que l’autre peuple dégage et soit chassé de cette terre. Cela est inadmissible et ne pourrait que conduire à d’autres crimes inouïs.

Il reste à trouver la voie qui permette de faire vivre ces deux peuples dans la Palestine de l’Empire Ottoman puis du mandat britannique, dans la paix, la justice et l’équilibre.

<1772>

Jeudi 26 octobre 2023

« Ce qu’il y a de bien avec les Juifs, c’est que même lorsqu’ils sont innocents, ils sont coupables. »
Alexandra Laignel-Lavastine

Aujourd’hui je partage, une lettre, un cri de colère.

Je n’y ajoute rien, aucun commentaire.

Je vous invite à lire cette tribune, à la recevoir, à l’accueillir.

Après l’avoir lu, vous pouvez évidemment donner libre cours à votre analyse, à vos critiques, à vos désaccords.

Elle exprime un point de vue fort, que certainement beaucoup de membres de la communauté juive, notamment française, ressentent.

C’est une lettre ouverte au Président de la République par une intellectuelle : Alexandra Laignel-Lavastine

Alexandra Laignel-Lavastine est une philosophe, historienne des idées, essayiste, journaliste née à Paris le 17 octobre 1966.

Elle a écrit de nombreux articles dans Le Monde et aussi à Libération, Le Monde des débats, Philosophie Magazine.

C’est une spécialiste du totalitarisme et de l’histoire intellectuelle et politique des pays de l’ex-Europe de l’Est au XXe siècle, elle a aussi beaucoup étudié la Shoah.

Elle s’est notamment intéressée à la shoah en Roumanie : « Grand entretien. Alexandra Laignel-Lavastine autour de «Cartea neagra – Le livre noir de la destruction des juifs de Roumanie 1940-1944»

En 2017, elle a écrit un livre ayant pour titre : « Pour quoi serions-nous encore prêts à mourir ? »

Elle s’est aussi intéressé à la montée de l’islamisme en France « Face à l’islamisme, certains intellectuels « progressistes » sont dangereux »

Cette lettre a été publiée sur ce site <Tribune Juive>

24 octobre 2023
Lettre ouverte au Président Emmanuel Macron à l’occasion de son arrivée en Israël.
Par Alexandra Laignel-Lavastine


Monsieur le Président de la République,

Il semblerait donc que nous vous attendons aujourd’hui en Israël, où je me trouvais quand les barbares du Hamas ont attaqué et massacré ce samedi 7 octobre, et où il va de soi que je me trouve toujours. D’abord, parce qu’on ne déserte pas par temps de guerre. Ensuite, parce qu’il faudrait avoir l’estomac bien accroché pour rentrer dans le pays que vous présidez, où l’esprit public et la classe politico-médiatique — aux habituelles exceptions près depuis vingt ans — a atteint, depuis quinze jours, un degré d’avilissement encore jamais vu. Je suis française en effet, pas même franco-israélienne, enfin pas encore, de ces intellectuels “néo-réactionnaires” qui s’épuisent à alerter depuis des années, de livre en livre, d’article en article, de lettre ouverte en lettre ouverte, en vain. Nous prêchons tous dans le désert.

Nous espérions vous voir ici un peu plus tôt, question d’honneur en la circonstance, “en même temps” que d’autres chefs d’État. Mais nous subissions un déluge de missiles, qui auraient déjà fait des milliers de morts en Israël si les autorités s’y comportaient comme le Hamas : interdire aux civils de s’abriter dans les abris-bunkers, en l’occurrence cinq étages de tunnels et de cité souterraine sous Gaza.

Et les missiles, M. le président, vous n’avez peut-être pas l’habitude. C’est dire si la prudence s’imposait, comme elle continue de s’imposer dans l’Hexagone face à nos islamistes locaux et autres idiots utiles du Hamas, qui sévissent en toute liberté et devant lesquels nous nous couchons depuis les massacres de Mohamed Merah en 2012, avec une lâcheté et une complaisance collectives qui n’ont d’égale que notre obstination dans l’art criminogène de se crever les yeux, y compris face à l’explosion de l’antisémitisme, toujours un symptôme indiquant que l’ensemble du corps social est malade.

Nous allons payer extrêmement cher cette indignité, les réjouissances ayant déjà commencé, vous entrouvrez peut-être un œil. Israël aussi s’était endormi, avec le résultat que l’on sait. Les massacres des kibboutz seront pour demain en France, dans nos foyers lunaires. Les même pathétiques rodomontades à chaque fois : on allait avoir “un avant et un après”, après Merah, après Charlie, après le Bataclan, après Nice, après Samuel Paty, etc. etc. Or, non seulement nous n’avançons pas, mais nous régressons après chaque tuerie. Elles ne se cumulent pas, elles s’annulent.
On nous a expliqué que vous attendiez le cadre d’un “agenda utile” avant de nous faire grâce de votre personne sur place : des négociations de paix avec le Hamas, ou peut-être avec le Hezbollah ou les deux?

Au point où nous en sommes… Car nous sommes en juin 1940.
Un “agenda utile” ? Une formule qui inspire trois attitudes possibles : le fou rire (un peu nerveux par ici ces temps-ci) pour les plus conscients du désastre français, la perplexité pour les plus aveugles et la fascination pour tous : comment peut-on être aussi décalé ? Je tiens toutefois à vous rassurer si d’aventure vous changiez d’avis : on vous accueille par politesse, ici presque personne ne vous connaît et la France ne représente plus rien, devenue une minuscule province à peine capable d’aligner 15 000 soldats opérationnels, dont mon propre fils a longtemps fait partie dans une unité parachutiste (une précision au cas où l’on me donnerait des leçons). Vu d’Israël, où l’on vient de mobiliser près de 400 000 combattants, une farce.

Comment résumer ce en quoi s’illustre notre beau pays depuis le 7 octobre ? On ne sait trop par quoi commencer. D’abord, il y eut les cinq minutes d’émotion rituelle inspirées par un carnage à grande échelle, le plus abject depuis la Shoah : 1 400 victimes en un jour. Une petite cinquantaine, voire moins, nous expliquaient encore doctement certains journaux hexagonaux plusieurs jours après, l’AFP à l’appui… L’émotion : il est vrai que des bébés décapités, des femmes enceintes éventrées, des enfants et des jeunes filles violées et égorgés, des familles brûlées vives ou déchiquetées à la grenade, des êtres démembrés ou découpés à la tronçonneuse (oui, ils avaient aussi des tronçonneuses), des gosses survivants cachés et silencieux sous le corps de leurs parents et j’en passe, cela n’arrive pas non plus tous les jours.

Mais c’était tout de même bien embêtant. D’abord, ces habitants des kibboutz du sud, tous de gauche, étaient aussi en première ligne depuis longtemps pour inviter les Gazaouis à travailler avec eux dans les champs — ils croyaient en la paix. Or ce sont pour partie ces travailleurs et ces gentils voisins, en plus des terroristes infiltrés, qui les ont trucidés.

Comme pendant la Shoah : le rôle central joué par les voisins, qui se transforment en bêtes sauvages du jour au lendemain.
Grâce à eux, ce 7 octobre, les terroristes disposaient des plans très détaillées de ces kibboutz pastoraux où ils étaient bienvenus.

Très embêtant aussi, l’héroïsme de tous, de tous ces “sionistes”. Des civils, des jeunes ou des pères de famille qui sont immédiatement sortis de chez eux, avec ou sans armes, pour défendre les villages et sauver des jeunes gens qui dansaient à la Rave Party. L’héroïsme absolu des soldats et des policiers, de garçons et de filles en tout petit nombre, présents ou arrivés spontanément sur place quand ils ont commencé à comprendre, appelés au téléphone par les suppliciés tapis dans les bunkers, se battant pendant plus de vingt heures d’affilée parfois, avec un simple pistolet, contre des hordes de monstres surarmées.
Des héros n’hésitant pas à se sacrifier et à sauter eux-mêmes sur les grenades (les terroristes en avaient deux mille) pour protéger les familles ou leurs camarades. Un héroïsme dont, en France, on n’a plus idée. Les mots manquent, oui, pour décrire l’horreur. Les représentations mentales nous manquent désormais aussi, en France, pour appréhender ce courage.

On a donc vu sur “Cnews” Frédéric Taddéï s’empresser d’inviter la sociologue Laetitia Bucaille sur son plateau, “professeure” à l’INALCO et membre de l’Institut universitaire de France (IUF), un lieu d’excellence intellectuelle, pour nous expliquer que nous ne disposions d'”aucune preuve de ce qu’il s’était passé” le 7 octobre… L’animateur en question, venu de “Russia Today”, la télévision de M. Poutine, jubilait, cela va de soi, sans la reprendre. Tout comme il jubilait déjà après Charlie sur “France 3” en invitant Emmanuel Todd qui nous expliquait alors que les frères Kouachi étaient en fait des victimes (de la France catholique rance et discriminante), si bien que les victimes étaient les vrais bourreaux, nous avions mal vu (j’étais ce jour-là sur le plateau, invitée en néo-réac de service pour feindre la discussion “équilibrée”).

Frédéric Taddeï a-t-il été viré depuis ce scandaleux “dialogue” avec Madame Bucaille ? Non. Un ou plusieurs chroniqueurs de la chaîne, des esprits à l’endroit et courageux, pour mettre leur démission dans la balance ? Personne. Et Madame Bucaille, virée de sa fac ? Le minimum syndical. Non plus. La direction de l’INALCO ? Elle est “outrée” et ne bougera pas une oreille.

En Suisse, au même moment, un autre “professeur” s’est distingué par un propos négationniste similaire. Viré sur le champ et sans préavis. Nos amis helvétiques sont plus vigoureux.

À propos des universités, l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), notamment (où j’ai enseigné jadis) s’est, elle aussi, illustrée au lendemain du carnage par un communiqué émanant d’un syndicat étudiant pour pratiquer le même type de discours : nous avions affaire à “une forme de résistance à l’occupation sioniste” (Gaza n’est plus occupée depuis 2005, sinon par une dictature totalitaire). Le poisson pourrit toujours par la tête. Et il se décompose depuis longtemps, nos facultés et nos Grandes écoles s’étant islamo-wokisées en diable dans une quasi indifférence, les lanceurs d’alerte n’étant pas plus entendus sur ce point que sur d’autres.

Mieux, “France-Culture” s’est empressée de réinviter la sociologue de l’INALCO dès le lendemain, à ses “Matins”, pour derechef éclairer l’opinion publique. Il fallait le faire ! Et sur quoi portent cette semaine “Les Chemins de la philosophie” sur cette même station ? Sur la “compromission” des grands intellectuels roumains des années 30 avec le fascisme et les pogroms (j’ai écrit aussi quelques livres là-dessus). Une voix pour oser faire remarquer au micro qu’on assistait à la même compromission en France depuis dix jours ? Non, bien sûr. Business as usual.

En fin de semaine, on évoquera dans cette émission le courage des dissidents d’Europe de l’Est, de Vaclav Havel et de Jan Patocka. Comme si de rien n’était, comme si, eux, auraient laissé passer pareille ignominie.

Le bal des faux-cul. Je ne généralise pas, je ne parle pas des admirables exceptions, là encore, une miraculeuse poignée dans la veulerie ambiante, à l’instar des rebelles de l’An 40 : les Georges Bensoussan, les Abnousse Shilmani et quelques autres intellectuels et journalistes, des guerriers du verbe et de la plume qui, comme après “l’étrange défaite” que nous sommes en train de revivre en live, sauvent l’honneur. Force est néanmoins de constater leur rareté.

Phase II, il y eut heureusement cette roquette, tombée sur un hôpital de Gaza et ses quelque “500 victimes”, soi-disant tirée par les méchants, donc les sionistes. Une bénédiction. Ouf ! En fait, un missile lancé par le Hamas et retombé sur le parking pour un bilan revu à quelques dizaines de morts. On l’a su très rapidement. Mais c’était trop beau, il fallait s’engouffrer dans la brèche toutes affaires cessantes.

Même vous, M. le président, avez commis la lourde faute de twitter bien vite. Et voilà la plupart des médias français reprenant aussitôt la propagande de l’organisation terroriste massacreuse, car on a toujours tendance à croire ce que l’on a envie de croire. Or, c’était irrésistible !

Puis le démenti est arrivé, preuves formelles à l’appui. Subitement, la roquette du Hamas n’a plus intéressé grand-monde, pas plus que les 450 autres ayant loupé leur cible depuis le 7 octobre pour atterrir sur la bande de Gaza et ses civils. Il en va ainsi, du reste, lors de toutes les attaques du Hamas depuis de nombreuses années, un classique, comme à l’été 14, mais l’ignorance est crasse car elle souhaite le rester.

Ce qu’il y a de bien avec les Juifs, c’est que même lorsqu’ils sont innocents, ils sont coupables. Jouissance, donc, avec cette roquette inopinée : les Juifs, pardon les sionistes, coupables de “génocide”(LCI) et de “crime contre l’humanité”… On a choisi les mots. Soulagement ! On a même vu Pierre Moscovici, ancien ministre et actuel président de la Cour des comptes, se précipiter à l’antenne de “i24News” pour expliquer qu’il faudrait nommer “une commission d’enquête indépendante”. Un esprit très mal tourné pourrait songer à la fable de La Fontaine, “Le chat, la belette et le petit lapin”, “sa majesté fourrée”, “un saint homme de chat, expert sur tous les cas”. Son père, le psychosociologue Serge Moscovici (dont j’ai publié chez Grasset les mémoires posthumes en 2019, Mon Après-guerre à Paris), un Grand, a survécu au pogrom de Bucarest de janvier 1941, qu’il décrit de façon stupéfiante dans ce livre. La fillette alors massacrée avec d’autres aux abattoirs de la ville par les fascistes de la Garde de fer, suspendue à un croc de boucher, portait autour du coup un écriteau : “Viande cascher”, une image qui avait horrifié le monde entier… Nous n’en sommes donc plus là.

En si bon chemin, Qui a-t-on invité, cette même semaine, à “Sud-Radio” ? Jean-Jacques Bourdin a réfléchi et il a opté pour la député Danièle Obono, bien connue pour sa clairvoyance face à l’islamisme. Rien de plus urgent que de l’entendre, sachant d’avance ce qu’elle allait dire. Le Hamas, une organisation qui “résiste” au crime d’occupation, etc. “Apologie du terrorisme”, a dégainé à juste titre votre ministre de l’Intérieur en saisissant le procureur. Résultat ? Elle vient d’être élue pour siéger, à partir du 6 novembre, à la Cour de justice…

À propos de ministère de l’Intérieur, qu’attend d’ailleurs votre ministre, M. le Président de la République, pour enfin autoriser — et même obliger — ses policiers à porter leur arme de service pendant leur congé, au-delà du trajet entre leur domicile et leur caserne ou leur commissariat, comme le veut jusqu’à présent la règle (un sketch) ? Le b-a ba d’un maillage plus serré du territoire s’agissant de mieux protéger leurs concitoyens, par exemple quand nos forces de l’ordre sont au cinéma en famille, dînent dans une pizzeria ou se promènent au jardin d’acclimatation avec leurs enfants, dans l’hypothèse où des énergumènes issus de nos quartiers émotifs se mettraient à mitrailler dans le tas. Vous avez peut-être fini par le comprendre, cette éventualité n’est plus à exclure.

Même chose pour nos militaires, en particulier nos officiers, et cela dépend du ministère de la Défense. Mais à sa tête, et à un quart d’heure avant une possible troisième guerre mondiale, celui-ci paraît tout aussi à l’Ouest.

Vous n’en êtes pas moins, M. le président, le Chef des Armées. Vous pourriez avoir votre mot à dire. C’est ainsi qu’en Israël, une nation de soldats, des dizaines de morts sont évités chaque année. Cela ne requiert aucun moyen, juste un brin de jugeote et une circulaire. J’ai soufflé en direct cette suggestion à des camarades qui se trouvaient sur le plateau de “Cnews” lors de l’intervention de M. Darmanin il y a quelques jours, par portables interposés. La question ne fut pas posée et elle ne le sera sans doute pas. Je la formule depuis 2015, en vain naturellement. Nous restons à des années lumières du réel.

Sans jamais nous lasser, hier soir, dimanche, nous avons remis cela à la télévision. Quelle autre “personnalité” encore sur un plateau ? Le député Alexis Corbières, encore un convive de marque, pour nous servir ses habituelles circonvolutions. Mais il y a toujours un autre invité en face pour accepter de “débattre” avec lui, en l’occurrence Alain Bauer, il est vrai très agacé.

Si tout le monde refusait (mon cas depuis 2015), on n’inviterait plus M. Corbières car il n’aurait plus de vis-à-vis. Mais comment résister à une invitation télévisuelle ? Convoquer le député France Insoumise était sans doute d’autant plus pressant que sa fille de 21 ans, une islamiste radicalisée, dont la maman est Raquel Garrido, autre tête pensante du parti de M. Mélenchon, venait de twitter : “Alors g ptet pas d’âme, mais ils me font pas du tt de peine, je les trouve mm plutôt chiants, surtt les gosses”, allusions aux otages du Hamas détenus à Gaza, dont on n’ose imaginer le calvaire. Abject. Les parents ne sont certes pas responsables des déraillements de leurs enfants majeurs. Mais enfin…

La rue ? On a des manifestations monstres, dites “pro-palestiniennes”, en vérité “pro-Hamas”, ce qui n’échappe à personne, mais qu’il ne conviendrait pas d’interdire. Encore et toujours le choix des mots car appeler un chat un chat, nous n’en sommes plus capables. Sur une pancarte brandie par une jeune fille, parmi mille autres, Place de la République, oui, de la République, on avait il y a trois jours : “Vous avez pleurés 40 faux bébés israéliens. Où êtes-vous pour les 1000 enfants palestiniens tués ?” Cette demoiselle fâchée avec l’orthographe (on se demande comment, du reste, l’Education nationale se portant si bien) doit ignorer que les enfants en question servent au Hamas de boucliers humains, l’organisation “caritative de résistance” déployant tous les moyens possibles pour empêcher les malheureux d’évacuer vers le sud (en plus de leur interdire l’accès aux tunnels protecteurs pendant les bombardements).

Car plus il y a de “martyrs”, plus le sang coule, plus le Hamas, dont on sait l’importance qu’il attache à la vie humaine, peut compter d’idiots utiles en France, en Europe et dans le monde, toujours au rendez-vous. C’est tout bon. Et que voit-on fleurir après les massacres du 7 octobre si on va faire ses emplettes au Printemps, à Paris, ces jours-ci ? Une belle affiche, où on lit ceci : “La torture des enfants palestiniens par Israël et l’occupation sioniste”. On se frotte les yeux. À ce seuil d’affaissement national, on pourrait être tenté de rendre les armes.

Je m’arrête ici, la liste serait trop longue. En deux semaines, la France, la vôtre, M. le Président, celle que vous allez représenter demain en Israël, s’est surpassée. Je n’aimerais pas être à votre place. [….]

En France, il n’est plus question que de l’aide humanitaire à Gaza et des bombardements de l’armée israélienne, un pays dont on se demande comment il ose se défendre. Et tenir à ce point à éviter d’autres carnages, au Sud comme au Nord, s’il laissait la menace prospérer comme on sait si bien le faire dans le pays qui vous a élu à la tête de l’Etat à force de regarder ailleurs. On me rapporte toutefois de source bien informée qu’on commence à observer une certaine fébrilité au sein de notre classe politique. Un avant et un après ? Pour l’heure, nous en sommes très loin, mais on aimerait malgré tout croire en un miracle. »

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Lundi 23 octobre 2023

« Si la haine répond à la haine, comment la haine finira-t-elle ? »
Bouddha

Une actualité violente chasse l’autre :

On ne parle presque plus de la guerre que la Russie mène à l’Ukraine et plus du tout de l’épuration ethnique au Haut Karabakh.

On parle des crimes abjects et inimaginables que les terroristes du Hamas ont perpétré pendant leur attaque contre Israël du 7 octobre.

Avant de parler des bombardements de l’armée israélienne sur la prison à ciel ouvert de Gaza, je voudrais quand même renvoyer vers un article qui raconte le 7 octobre : « On n’avait pas vu de telles images depuis le régime nazi »

Alors, bien sûr on peut passer son chemin, se protéger de l’horreur, ne pas sombrer avec la folie meurtrière des hommes.

Mais si on veut essayer de comprendre, comprendre la sidération de la communauté juive mondiale, le désir de vengeance, la haine, il n’est pas possible de passer son chemin.

Cet article relate ce que les soldats de la base de Shura, dans le centre d’Israël, transformée en morgue géante et en service d’identification des corps ont vu et vécu.

« Depuis le carnage du 7 octobre, [ l’article est du 20 octobre ] cette morgue géante aménagée sur la base du rabbinat militaire a reçu plus de 1300 cadavres, souvent méconnaissables. Ces derniers jours, l’armée en a ouvert les portes à la presse afin de faire connaître l’ampleur des sévices infligés aux victimes. « Parce que vous êtes journalistes, prévient le colonel Weissberg, vous savez qu’en temps de guerre chaque camp s’efforce d’imposer sa vérité aux dépens de l’adversaire. Mais dans ces circonstances exceptionnelles, vous avez le devoir de me croire. De toute façon, toutes les horreurs dont nous allons vous parler ont été filmées par les terroristes puis diffusées sur les réseaux sociaux. Et je peux vous assurer qu’on n’avait pas vu de telles images depuis le régime nazi. »

Les corps sont méconnaissables, mutilés montrant une ampleur de sévices infligés aux victimes défiant absolument notre humanité.

« Depuis quelques années, on s’entraînait en prévision d’une tuerie de masse en se disant qu’on devrait ce jour-là être capables d’accueillir des dizaines de dépouilles à la fois, sourit tristement Shery, une volontaire qui a rejoint l’unité pour s’occuper spécifiquement des femmes soldats. Mais jamais on n’aurait imaginé être confrontés à une telle abomination.»

L’article donne des éléments concrets de cette inhumanité.

Je n’en ferai pas la liste, le podium de l’horreur n’a pas de sens.

Mais je m’arrêterai sur l’un de ces crimes contre l’humanité, je cite le colonel Weissberg :

« Que dire lorsque vous découvrez le corps d’une femme enceinte tuée par un terroriste qui lui a ouvert le ventre, puis en a extrait le fœtus avant de leur couper la tête à tous les deux ? ».

Oui que dire ?

Le criminel veut éradiquer toute vie, la vie juive, jusqu’à sa racine.

Et ce crime a été commis au nom d’Allah.

Au début, le conflit de la Palestine était un conflit territorial, certes les uns étaient de confession juive et les autres de confession musulmane, mais aussi chrétienne, mais la religion n’était pas prégnante dans cette opposition.

Elle l’est devenue, c’est ce qu’écrit Sylvain Cypel dans l’hebdomadaire « Le Un » : « Le conflit a basculé de national à religieux »

Le Hamas veut créer un état islamique et se bat au nom de son Dieu qui lui a donné cette terre selon sa croyance. Et du côté israélien, il y a aussi des combattants de la Foi qui affirment que ce n’est pas la décision de l’ONU qui leur a donné cette terre, mais leur Dieu qui justifie leur présence sur la terre promise. La Cisjordanie, dans leur bouche, devient la Judée Samarie, appellation biblique.

On disait parfois que la musique adoucit les mœurs, ce qui selon mon expérience n’est que partiellement exact pour les interprètes.

Mais notre expérience collective montre que la religion n’adoucit pas non plus les mœurs. Elle parvient à compliquer encore davantage des situations qui le sont déjà, et dans le cas qui nous occupe parvient à déchainer encore davantage la violence.

Et maintenant Israël réagit et bombarde la bande de Gaza.

Les 2,3 millions d’habitants ne sont pas le Hamas, mais le Hamas est parmi eux.

Ces habitants sont enfermés dans cette bande, ils ne peuvent pas la quitter, Israël et l’Egypte les en empêchent.

C’est dans ce numéro du « Un » qu’est reproduit la phrase du Bouddha mise en exergue :

« Si la haine répond à la haine, comment la haine finira-t-elle ?»

J’ai été bouleversé par cette <Video> mise en ligne par une journaliste indépendante israélienne : Or-ly Barlev 

Elle a filmé ce témoignage d’une résidente survivante du kibboutz Be’éri, âgée de 19 ans, qui au delà de son désarroi et de sa douleur parvient à se hisser au-delà de la vengeance et s’en prend à Benyamin Netanyahou qu’elle appelle Bibi :

« Il a décidé de nous jeter le dôme de fer, plutôt que d’arriver à une solution politique »

Il y avait un processus de paix.

Benyamin Netanyahou n’en voulait pas.

Sur le site de Radio France, le journaliste Charles Enderlin rappelle en 2020:

« Vous savez, Benyamin Netanyahou, l’actuel Premier ministre de l’État d’Israël, était à la tête des manifestations place de Sion à Jérusalem, où la foule hurlait “À mort. Rabin, par le feu, par le sang, nous expulserons Rabin”. »

Et en face, le Hamas faisait des attentats contre les israéliens pour saboter le processus. Charles Enderlin écrit :

« Dès le début du processus d’Oslo, les extrémistes des deux camps se sont mis à l’œuvre. Le Hamas a décidé de tout faire pour empêcher la création d’un État palestinien au côté de l’État d’Israël car pour les islamistes radicaux, il n’est pas question de permettre un État juif en terre d’islam. Et pour les nationalistes messianiques juifs, il n’est pas question de permettre une Palestine libre et indépendante en terre d’Israël. Au début de l’année 1994, quelques mois après la signature des accords d’Oslo, un terroriste juif a massacré 29 Palestiniens en prière dans le caveau des Patriarches à Hébron. Cela a donné le prétexte aux islamistes de Gaza pour lancer des campagnes d’attentats suicides qui, bien entendu, ont contribué à la détérioration de l’image du processus de paix dans le public israélien. L’insécurité a commencé à régner dans les rues israéliennes. »

Aujourd’hui Netanyahou est à la tête d’Israël et le Hamas gouverne Gaza.

Rabin lui disait :

« Je continue le processus de paix comme s’il n’y avait pas d’attentats, et je lutte contre les attentats comme s’il n’y avait pas de processus de paix »

Personne ne sait si Rabin aurait pu mener le processus de Paix à son terme. Mais il en avait la volonté car il savait que l’avenir d’Israël en dépendait.

Aujourd’hui ce sont ses ennemis et les supporters de son assassin qui sont au pouvoir.

Yitzhak Rabin a été assassiné, le 4 novembre 1995 au soir, de deux balles tirées à bout portant dans le dos par un messianique exalté juif.

<Cet Article> raconte que Itamar Ben Gvir a demandé en 2007 la libération de l’assassin de Rabin : Yigal Amir.

Itamar Ben Gvir est l’actuel Ministre de la Sécurité nationale du gouvernement israélien.

Il exposait jusqu’en 2020 dans son salon une photo de Baruch Goldstein, l’auteur du massacre d’Hébron cité par Charles Enderlin. Il a déclaré l’avoir retirée en janvier 2020 après s’être aperçu que cela pouvait lui nuire politiquement. Il continue toutefois de revendiquer son admiration pour le terroriste. C’est ce que vous pourrez lire dans cet article de <Times Of Israel>

Ce que le Hamas a fait le 7 octobre constitue un paroxysme de haine.

Mais la haine ne peut pas vaincre la haine, elle ne peut que l’exacerber.

En France, il existe un mouvement de femmes : « Les guerrières de la paix » fondé en mars 2022 qui rassemblent des femmes musulmanes et juives convaincues que seules la Paix et la prise en compte de l’autre constitue une issue à toute cette haine.

Les deux co-presidentes sont Fatima Bousso et Hanna Assouline.

Cette dernière avait été invitée par Karim Rissouli dans son émission « En société » sur France 5 du dimanche 22 octobre 2023.

Hanna Assouline qui dit (reproduit sur cette page de Radio France) :

« Il faut savoir nommer les choses. Nommer l’horreur des massacres perpétués par le Hamas, celle des civils qui meurent sous les bombardements israéliens. [mais] il est important de réaliser que parler d’une souffrance n’en invisibilise pas une autre. »

Vous trouverez derrière ce lien <Guerrière de la Paix> un documentaire de 50 minutes sur ces militantes de l’espoir en Palestine et en Israël.

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Jeudi 20 mai 2021

« Les violentes émeutes de ces derniers jours indiquent qu’Israël se trouve à la croisée des chemins »
Eva Illouz

La terre sacrée des trois monothéismes, s’est à nouveau embrasée.

Comment parler de ce sujet sans tomber dans le simplisme ?

Pour les uns toute la faute est du côté des israéliens qui par leur politique de colonisation des terres que le plan de partage de 1948 donnait aux palestiniens rendent impossible toute paix qui permettrait la coexistence apaisée de deux Etats.

Pour les autres toute la faute est du côté des palestiniens qui ne parviennent pas à faire émerger des gouvernants crédibles capable de négocier et s’engager pour trouver la voie d’une négociation raisonnable avec Israël.

Pour renforcer l’argumentaire du premier camp, on parle du blocus qu’Israël impose aux territoires palestiniens, l’usage massive de la force asymétrique pour répliquer à toute attaque palestinienne ainsi que la politique de domination et donc d’humiliation du peuple palestinien, moins bien organisé, moins bien structuré, nettement moins bien armé.

Mais le second camp pourra répliquer en fustigeant l’attitude, les méthodes et l’idéologie du Hamas, ainsi que la corruption du Fatah.

A ce moment de l’affrontement, nous sommes en plus en présence d’une double impasse de gouvernement. Au bout de deux ans et quatre élections (9 avril et 17 septembre 2019, 2 mars 2020, 23 mars 2021) Israël n’est toujours pas en mesure de désigner un premier ministre et un gouvernement capables de gouverner le pays dans la durée et la stabilité. Pendant ce temps, Benyamin Netanyahou reste au pouvoir et expédie les affaires courantes. Et quand les affaires courantes sont une guerre contre le Hamas, cela lui est plutôt favorable.

En face, le président de l’autorité palestinienne Mahmoud Abbas a reporté sine die les élections législatives qui aurait dû se tenir en 2021. Le précédent parlement avait été élu en 2006 !

Lui-même a été élu en 2005 et reste dans sa fonction sans une nouvelle légitimation par les urnes.

Écrire sur ce sujet est périlleux.

On peut, je pense légitimement, avoir un surplus de compassion pour la plus grande partie du peuple palestinien qui vivent dans des conditions d’enfermement et d’insécurité terribles. Et qui en plus, ont des dirigeants médiocres et corrompus.

Mais on ne peut pas ne pas avoir de compassion pour le peuple israélien qui lui aussi est touché par les actions meurtrières du Hamas qui dans sa tentative actuelle ne cherche pas le bien du peuple palestinien mais plutôt de gagner la bataille de l’image contre le Fatah, en voulant montrer que c’est lui qui défend avec le plus d’ardeur la cause palestinienne.

Je me suis abonné il y a quelques mois à une revue en ligne qui s’appelle « AOC » pour Analyse, Opinion, Critique. Chaque jour, un article dans chacune de ces rubriques est publié.

Et pour éclairer le sujet que j’ai abordé aujourd’hui je voudrais partager l’opinion de la sociologue Eva Illouz publié le 19 mai : « Israël-Palestine : la guerre silencieuse »

Eva Illouz possède la double nationalité franco israélienne. Elle est née le 30 avril 1961 à Fès au Maroc. Elle est directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Elle enseigne aussi la sociologie à l’Université hébraïque de Jérusalem. Elle a écrit plusieurs livres de sociologie qui ont eu du succès. Je possède dans ma bibliothèque, un livre qu’il me reste à lire : « Happycratie »

Elle pose d’abord la question juste des faits : Peut-on expliquer comment la violence actuelle a commencé ?

Elle a cette formule piquante «

« Lorsque deux camps sont engagés dans un conflit qui dure depuis aussi longtemps que le conflit israélo-palestinien, chacun de deux côtés est devenu expert dans l’art d’accuser l’autre « d’avoir commencé ». »

C’est un peu comme de tous jeunes enfants : « c’est lui qui a commencé »

Certains voudraient faire commencer l’histoire dans les époques mythologique quand le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob a donné l’ordre à Moïse de conduire les Hébreux, hors d’Egypte dans ce pays qu’il lui a donné.

Ce récit est écrit dans les livres saints de la religion juive. Rien de ce récit n’a pu être confirmé par les archéologues et les Historiens.

D’autres veulent la faire commencer au moment de « La Nakba », « catastrophe » en arabe, qui désigne l’exil forcé de 700 000 Palestiniens lors de la création de l’Etat d’Israël en 1948. Car cette terre était occupée par des arabes musulmans et chrétiens qui étaient largement majoritaires avant que le mouvement sioniste envoie par vague successive des juifs s’installer en Palestine.

Pour ma part, je préfère me référer à la décision de l’ONU qui a créé l’État d’Israël mais qui parallèlement a créé l’État de Palestine. Que l’un existe, sans l’autre pose un sérieux problème.

Mais si on en revient à l’embrasement actuel, le début n’est pas évident :

« Nous pourrions commencer par la vidéo d’un adolescent arabe du quartier de Beit Hanina à Jérusalem-Est qui gifle, sans avoir été provoqué, un adolescent juif orthodoxe dans le tramway de Jérusalem. Cette vidéo, postée sur Tiktok, a suscité un tollé, alimentant la peur existentielle ressentie par beaucoup de Juifs israéliens mais aussi leur perception que « la haine des Arabes à leur égard sera éternelle ».

Cet incident aurait pu rester à sa mesure d’incident qui justifie une remontrance ou une sanction pour le gifleur. Il semble dérisoire de penser que cet incident est la cause de centaine de morts ?

« Mais nous pourrions aussi commencer l’histoire un peu plus tard, le jeudi 22 avril, lorsque des membres de l’organisation d’extrême droite Lehava ont traversé la ville de Jérusalem en scandant « mort aux Arabes ». »

Cette manifestation s’est déroulée en pleine période sacrée pour les musulmans du ramadan. Et c’est alors que la Police israélienne a eu cette initiative malheureuse, qu’Eva Illouz pointe aussi :

« Ou bien prendre comme point de départ la décision de la police de fermer avec des barrières la petite place située devant la porte de Damas pendant le mois sacré de Ramadan. Cette porte mène aux quartiers arabes exigus et surpeuplés de la Vieille Ville de Jérusalem, et ses abords constituent depuis longtemps déjà un lieu où se retrouvent les hommes, majoritairement jeunes [notamment les soirs de ramadan]. Cela a été vécu comme une humiliation de plus qui venait s’ajouter à la privation, au quotidien, des droits politiques des Arabes de Jérusalem – ils représentent 40 % de la population de la ville mais n’ont aucun droit politique »

Et la police israélienne ne s’est pas contenté de bloquer le passage des arabes de Jérusalem

« Puis, lorsque les Israéliens ont empêché, pendant le mois de Ramadan, des milliers de pèlerins de se rendre à la mosquée Al-Aqsa (le troisième lieu saint de l’islam), d’humiliation on est passé à profanation. À l’approche de la Journée de Jérusalem, qui célèbre la conquête de ville en 1967, et après une semaine de tension, la police a utilisé du gaz lacrymogène et des canons à eau sale (qui détrempent les gens et les rues d’une odeur nauséabonde insupportable) pour disperser et combattre les fidèles, blessant des centaines de personnes. »

Quand on profane le lieu sacré d’un peuple croyant, il faut s’attendre au pire.

Car ce qui est sacré autorise le sacrifice et conduit à punir ce qui est sacrilège. Or la profanation est un sacrilège pour ceux qui croient au sacré.

Et c’est ainsi que les arabes, citoyens israéliens ont commencé à se révolter.

Le Hamas a alors profité de cet instant de tension pour envoyer une pluie de roquettes vers les villes israéliennes, tout en se réfugiant dans des immeubles dans lesquels il utilise les populations civiles et les enfants comme bouclier humain. Son but premier étant de conforter sa position politique après la décision de reporter les élections prises par son ennemi intérieur : le président de l’autorité palestinienne.

L’armée israélienne a alors répliqué avec sa puissance habituelle et les effets collatéraux inévitables qui révoltent beaucoup de personnes dans le monde. Dans cette situation on en revient à la formule d’Annie Kriegel :

« Israël n’a qu’un ami, mais c’est le bon »

Mais c’est dans la seconde partie de son article que je trouve l’opinion d’Eva Illouz particulièrement intéressante :

« Cependant, la guerre contre Gaza (un événement) ne doit pas, en dépit de sa télégénie, détourner notre attention des processus plus silencieux et invisibles qui ont jalonné l’histoire d’Israël, je parle de la constante privation des liberté et souveraineté politique des Palestiniens de Cisjordanie, et, par conséquent, du sentiment d’aliénation des citoyens arabes dans une société qui n’a cessé, au mieux, d’exprimer une profonde ambivalence à l’égard de leur présence.

La guerre civile qui déchire Israël est bien plus inquiétante que la guerre militaire menée contre le Hamas, car elle met en évidence les contradictions internes qu’Israël n’a pas voulu et peut-être n’a pas pu surmonter. Cette guerre trouve sa source dans l’impossible modèle politique qu’Israël a tenté de promouvoir : une démocratie fondée sur l’exclusion durable des citoyens arabes de l’appareil d’État. [..]

Cette exclusion n’est pas simplement un effet involontaire de la situation militaire d’Israël. Non, elle a été entérinée par de nombreuses lois qui discriminent les citoyens juifs et arabes. C’est pourquoi le point d’entrée le plus pertinent pour comprendre la guerre civile actuelle réside dans la tentative continue des colons juifs d’expulser des familles palestiniennes du quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est. »

Parce que parmi les évènements qui ont fait monter la tension il y avait la question de l’expulsion de familles palestiniennes de ce quartier arabe de Jérusalem par des colons. Je n’ai pas tout de suite compris de quoi il s’agissait. En 1948, dans le cadre de la création des deux États, des juifs avaient dû quitter ces immeubles qui se trouvaient dans la partie palestinienne. La Jordanie qui était alors l’État souverain sur ces lieux n’a pas trouvé utile de donner de titre de propriété aux palestiniens à qui ont avait donné ces biens immobiliers, contrairement à l’État d’Israël qui a tout de suite donné des titres aux juifs qui se sont emparés des biens arabes.

Cette situation révèle donc une asymétrie absolue, puisque des juifs pourraient retrouver la possession de leurs biens d’avant 1948, contrairement aux palestiniens pour lesquels l’État d’Israël refuse toute réciprocité.

Eva Illouz nous dit davantage de l’évolution interne des forces politiques et de la société israélienne :

« Le cynisme meurtrier du Hamas ne saurait être minoré. Mais en tant qu’Israélienne juive, il semble plus opportun que ma réflexion se porte sur les défaillances de mon propre groupe tout en restant consciente que l’autre camp n’est pas qu’une victime innocente et angélique (à quoi j’ajouterai que l’autocritique n’est pas l’un des points forts du camp arabe).

Le lecteur européen ignore que l’extrême droite israélienne à laquelle Netanyahu s’est allié est d’une nature différente des partis habituellement ainsi qualifiés en Europe. Itamar Ben Gvir, qui dirige le parti d’extrême droite Otzma Yehudit (Force juive), avait jusqu’à récemment dans sa maison un portrait de Baruch Goldstein. Baruch Goldstein était un médecin américain qui, alors qu’il vivait dans la colonie de Kiriat Arba (Hébron), a tué 29 musulmans pendant qu’ils priaient dans la grotte des patriarches. Ben-Gvir, quant à lui, est un avocat qui défend les terroristes juifs et les auteurs de crimes haineux. L’organisation Lehava, étroitement associé à ce parti, a pour mission d’empêcher les mariages interconfessionnels et le mélange des « races ».

[…] Lehava publie aussi les noms des Juifs (dans le but de leur faire honte) qui louent des appartements à des Arabes. Seule la culture du Sud profond américain du début du XXe siècle peut soutenir la comparaison avec une telle idéologie.

Netanyahu est devenu leur allié politique naturel, virant ainsi vers les formes les plus extrémistes du radicalisme de droite. Ces groupes attisent les flammes de la guerre civile en répandant le racisme au sein de la société israélienne au chant du slogan « mort aux Arabes ».

Selon Eva Illouz toute la société civile israélienne ne se trouve pas dans cette dérive mortifère :

«  Mordechai Cohen, le directeur du ministère de l’Intérieur, a publié sur sa page Facebook une vidéo rappelant au public israélien les longues et patientes années de travail que son ministère a consacrées à l’intégration des Arabes dans la société israélienne et à la création de liens profonds entre les deux populations.

Ce ne sont pas là les mots vides de sens d’un représentant de l’État. Et si ces liens sont peut-être loin d’être d’une égalité totale, ils n’en demeurent pas moins réels et puissants, et ils suggèrent qu’Israël est, à bien des égards, exemplaire en matière de fraternité entre Juifs et Arabes, une fraternité curieusement étrangère à bien d’autres pays, notamment à des nations comme la France. Les Arabes sont en effet aujourd’hui beaucoup plus intégrés à la société israélienne qu’ils ne l’étaient il y a cinquante ans (si l’on se fonde sur le nombre d’Arabes qui font des études supérieures et travaillent dans les institutions publiques, les universités et les hôpitaux).

Cette fraternité n’a fait que se renforcer avec la crise du Covid-19, durant laquelle les équipes de santé juives et arabes ont travaillé côte à côte, sans relâche, pour sauver le pays.  »

Elle rapporte l’influence néfaste de l’idéologie des colons.

« Cette coexistence est vouée à l’échec dès lors qu’elle se trouve sapée par le racisme qu’encourage activement le mélange de religion et d’ultranationalisme qui définit désormais l’idéologie des colons, laquelle se répand peu à peu dans la société israélienne. »

Et voici sa conclusion qui me semble pleine de sens :

« Les violentes émeutes de ces derniers jours indiquent qu’Israël se trouve à la croisée des chemins. Le pays doit impérativement modifier sa politique eu égard à la question palestinienne et adopter les normes internationales en matière de droits humains dans les territoires, sinon il sera obligé de durcir non seulement sa culture militaire en matière de contrôle mais aussi sa suspension des droits civiques, et l’étendre à l’intérieur de la Ligne verte. Cette dernière option ne sera pas viable. Les Arabes israéliens doivent devenir des citoyens israéliens à part entière, et cela n’est possible que si leurs frères palestiniens se voient accorder la souveraineté politique.

Israël a essayé de construire un État démocratique et juif, mais sa judéité a été détournée par l’orthodoxie religieuse et l’ultranationalisme, tous deux incompatibles avec la démocratie. Ces factions extrémistes ont placé judéité et démocratie sur des voies incompatibles – des voies aux logiques morales et politiques incommensurables qui les mènent droit à la collision. Dans le contexte d’un pays engagé dans des confrontations militaires incessantes, le puissant courant universaliste du judaïsme est passé à la trappe.

Israël peut être un exemple comme nul autre pour le monde, non seulement pour ce qui est de l’égalité formelle entre Juifs et Arabes mais aussi des liens de fraternité humaine qu’ils peuvent tisser. Ces deux peuples se ressemblent étrangement et partagent beaucoup de choses en commun. Cette fraternité n’est pas un luxe ni un souhait naïf. Elle est la condition même de la poursuite de l’existence pacifique et prospère d’Israël lui-même. »

J’ai trouvé aussi très intéressante la première partie de l’émission du « nouvel esprit public » consacré à ce sujet <Jérusalem : un déjà-vu sanglant>

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Vendredi 1er mars 2019

« Le sionisme apparaît parce qu’il y a l’antisémitisme »
Alain Dieckhoff

Tout le monde l’a compris, et le plus grand nombre est d’accord l’«antisémitisme» est inacceptable, indéfendable, condamnable.

Mais l’«antisionisme» serait acceptable pour certains, alors que d’autres voudraient l’assimiler à de l’antisémitisme.

Il semblerait que dans l’esprit de certains l’«antisionisme» constitue simplement un synonyme de « critique du gouvernement de l’État d’Israël » pour d’autres, plus radicaux « une critique de l’État d’Israël » et dans son stade ultime « la remise en cause de l’existence de l’État d’Israël ».

Mais sait-on bien de quoi on parle ? Parce que pour adhérer à l’antisionisme, il faut comprendre et savoir ce qu’est le « sionisme ».

Albert Camus a écrit : «Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde.»

Dans sionisme, la racine est « Sion »

Et « Sion » est le nom d’une colline de Jérusalem. C’est aussi le symbole de Jérusalem; le symbole du pays des Hébreux, ou du peuple lui-même. Dans le livre d’Isaïe le peuple Hébreux est nommé : « la fille de Sion ».

Mais quand on parle de « sionisme » on parle d’un concept qui a émergé dans la communauté juive ashkénaze, c’est-à-dire les juifs d’Europe.

Il y eut un premier mouvement qui est né en Russie « Les amants de Sion ». Il est fondé en Russie en 1881 par un médecin d’Odessa, Léon Pinsker et Moïse Lilienblum, à la suite de pogroms antisémites en Russie qui découragent la volonté d’assimilation des juifs et engendrent la naissance d’un mouvement populaire, organisé autour de l’idée du « retour vers Sion ». Le Conseil Odessa, créé par les amants de Sion est dissout en 1919 par les Bolchéviques.

Léon Pinsker (1821-1891) développait l’idée de créer un État indépendant pour protéger les juifs, mais pas forcément en Palestine, il envisageait une autre option en Amérique du Nord.

Des projets et idées similaires avaient précédemment déjà été évoqués à titre individuel, par d’autres personnalités juives mais les Amants de Sion sont par contre le premier mouvement populaire de grande envergure à développer l’idée de créer un territoire spécifique pour les juifs, territoire qui ne serait pas forcément un État mais pourrait être une province autonome avec de large prérogative à l’intérieur d’un État.

Au sens stricto le mot « sionisme » semble être apparu pour la première fois en Allemagne. En Allemagne le terme est « Zionismus » et il est utilisé le 16 mai 1890, sous la plume d’un publiciste juif de langue allemande, Nathan Birnbaum (1864-1937). En 1893, Nathan Birnbaum signe un article intitulé « Les principes du sionisme ». Max Bodenheimer publie un texte qui s’ouvre sur ces mots : « Sionistes de tous les pays, unissez-vous ! ».

Mais pour l’Histoire, le « sionisme » c’est Theodor Herzl.

Pour être plus savant je vous donne un lien vers une vidéo dans laquelle : <12 mars 2018, la journaliste Valérie Perez reçoit Denis Charbit> pour parler de Theodor Herzl. Denis Charbit est universitaire à l’Open University de Tel-Aviv et a écrit un livre « Retour à Altneuland: la traversée des utopies sionistes »

Et une émission plus récente de France Culture, le 21 février 2019 : « Antisionisme de quoi parle t’on ». Guillaume Erner avait invité Alain Dieckhoff, directeur de recherche au CNRS.

La première émission parle essentiellement d’Histoire, du sionisme et de Theodor Herzl, la seconde parle d’actualité et d’antisionisme.

Et dans cette seconde émission, Alain Diechkoff dit une chose évidente :

« Le sionisme apparaît parce qu’il y a l’antisémitisme »

C’est cela, la triste réalité historique.

C’est à cause de ces terribles pogroms en Russie et dans les pays slaves qu’a émergé l’idée de la nécessité d’un État protecteur des juifs.

Dans les États de l’Europe de l’ouest, la grande masse des élites juives étaient pour l’assimilation au sein des nations chrétiennes. D’ailleurs dans l’essor de la pensée des lumières beaucoup pensaient qu’à terme les sociétés sortiraient des religions.

Theodor Herzl étaient dans cette logique. Il n’a d’ailleurs pas fait circoncire son fils et Denis Charbit nous apprend qu’il avait eu l’idée de demander au Pape de venir dans une grande cérémonie, convertir, en une fois, des milliers de juifs qui acceptaient de quitter leur religion pour rentrer dans la religion dominante.

Theodor Herzl est né dans l’empire austro hongrois en 1860, dans le quartier juif de Budapest, capitale du Royaume de Hongrie. Wikipedia explique que cette ville abrite une population juive nombreuse, qui représente 20 % de ses habitants, aussi certains nommaient-ils la ville « Judapest ».

Theodor Herzl vit dans une famille bourgeoise germanophone. Son père, issu de l’immigration de la partie orientale de l’empire austro-hongrois, est déjà un partisan de l’assimilation des Juifs au sein de leurs terres d’accueil.

Après des études de Droit, Herzl essaye de devenir dramaturge et commence par écrire des pièces de théâtre, mais pour assurer un salaire régulier il devient journaliste à Vienne.

Il devient par la suite correspondant du journal Die Neue Freie Presse à Paris.

Et Wikipedia nous rapporte qu’en faisant le compte-rendu pour son journal d’une pièce d’Alexandre Dumas fils, « La Femme de Claude », où un certain Daniel encourageait les Juifs à revenir à la terre de leurs ancêtres, il écrit :

« Le bon Juif Daniel veut retrouver sa patrie perdue et réunir à nouveau ses frères dispersés. Mais sincèrement un tel Juif doit savoir qu’il ne rendrait guère service aux siens en leur rendant leur patrie historique. Et si un jour les Juifs y retournaient, ils s’apercevraient dès le lendemain qu’ils n’ont pas grand’chose à mettre en commun. Ils sont enracinés depuis de longs siècles en des patries nouvelles, dénationalisés, différenciés, et le peu de ressemblance qui les distingue encore ne tient qu’à l’oppression que partout ils ont dû subir. »

Pas la moindre de trace de sionisme.

Mais il va aussi couvrir l’affaire Dreyfus.

Lors de cette affaire, dans les articles qu’il écrit il considère comme acquis que le capitaine Dreyfus est coupable de trahison. Un de ses articles commencent par cette phrase : « Mais pourquoi a-t-il trahi ? »

Ce n’est donc pas l’histoire d’une injustice qu’il raconte.

Mais ce qui va le marquer, c’est la réaction d’une foule française qui va crier de manière haineuse « Morts aux juifs ». Non pas mort au capitaine Dreyfus, qui nous le savons aujourd’hui était innocent ce que ne savait pas Herzl à ce moment.

Mais, mort à tous les juifs !

La France était censée être immunisée contre l’antisémitisme. C’était le pays qui, le premier au monde, avait donné une totale égalité civique aux Juifs, en 1791. C’était aussi le pays qui avait donné la nationalité française aux Juifs indigènes d’Algérie en 1871 (décret Crémieux). Elle représentait la modernité occidentale en marche vers plus d’égalité. Que ce pays précisément soit secoué d’une telle haine des juifs, l’ébranle au plus profond de lui-même.

Les juifs seront-ils toujours rejetés ? Toujours haïs ?

Parallèlement, dans son pays l’empereur François-Joseph dans un objectif de démocratisation mesurée décide de permettre des élections locales libres. C’est-à-dire il permet aux habitants de son empire d’élire des bourgmestres de ville. Et la population de Vienne, va librement élire un maire professant essentiellement une idéologie antisémite. C’est un autre coup dur : quand on donne la parole au peuple, il réagit comme antisémite. François Joseph écartera cet élu.

Mais Hertzl va désormais consacrer les 9 années qui lui restent à vivre, il mourra à 44 ans en 1904, à œuvrer à la création d’un État pour les juifs, car il ne croit plus en l’assimilation.

Il pense que si tous les juifs se retrouvent dans un État et quittent les États chrétiens européens, l’antisémitisme disparaîtra. Nous savons depuis que c’est faux, il arrive même que des États sans juifs soient antisémites.

Il semble cependant que si c’est le récit le plus usité, alimenté par Herzl lui-même qui dit que c’est l’affaire Dreyfus qui l’a converti au sionisme, la réalité est peut-être un peu différente. L’affaire Dreyfus a été certainement un « coup de tonnerre » pour Théodore Herzl. Cependant, Claude Klein, dans son ouvrage intitulé Essai sur le sionisme, estime que « la réalité est évidemment bien loin de cette fiction ». Selon ce dernier, la question juive et l’antisémitisme n’ont jamais cessé de hanter Théodore Herzl. Mais c’est bien l’antisémitisme qui a fait le sionisme.

Profondément marqué par la culture européenne il veut créer un État de culture européenne, un État avec tous les bons éléments des États européens mais sans les tares de l’Europe, sans ses déficiences.

Il ne croît pas que dans cet État on puisse parler hébreu, autrement que lors des cérémonies religieuses. Il dit :

« On ne peut même pas acheter un billet de train en hébreux ».

En 1896, il écrit un livre dans lequel il esquisse ce que pourrait être l’Etat juif : « Der Judenstaat. »

Et, en 1897, Herzl réunit à Bâle, avec l’aide de Max Nordau, le premier congrès sioniste. Les assises de l’Organisation sioniste mondiale sont établies et il la présidera jusqu’à sa mort, en 1904.

Il dira : « Ce jour-là j’ai créé l’État des juifs »

Dans son journal au lendemain du congrès de Bâle.

« Aujourd’hui quand je parle d’un État juif on rit de moi, dans 50 ans on me trouvera tout à fait sérieux »

50 ans après, le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale des Nations unies vote la création d’un État juif.

Et quand Ben Gourion proclame la naissance de l’État d’Israël, il le fait sous un immense portrait de Theodor Hertzl.


Hertzl a écrit deux livres, le premier « L’État des juifs » déjà cité et un second qui était un roman de fiction qu’il a appelé : « Altneuland » qu’on peut traduire en français par : Le Pays ancien-nouveau

En exergue de ce roman il a écrit :

« Si vous le voulez, ce ne sera pas un rêve »

Nahum Sokolow (1859-1936) qui fut un de ses successeurs à la tête de l’Organisation Sioniste Mondiale, traduisit ce livre en hébreu sous le titre de « Tel Aviv » (Le Mont du Printemps).

Et quand les juifs de Palestine construisirent la première grande ville d’implantation, ils lui donnèrent le nom de « Tel Aviv »

C’est l’antisémitisme européen qui a conduit à l’émergence du sionisme.

Mais Theodor Hertzl qui voulait : « Pour un peuple sans terre, une terre sans peuple » a conduit à créer un État juif sur une terre qui avait déjà un peuple.

Pourtant d’autres solutions avaient été évoquées :

Celle qui avait été le plus loin est le « Plan Ouganda » :

1903 fut l’année des terribles pogroms de Kichinev. Ceux-ci seront suivis par une série d’autres pogroms jusqu’en 1906. L’émotion dans le monde occidental était grande, tant les pogroms ont été sanglants. Cette émotion est une des raisons pour lesquelles le gouvernement britannique, en particulier Joseph Chamberlain, secrétaire aux colonies propose en 1903 à Theodor Herzl de donner à l’Organisation Sioniste Mondial une partie de l’Ouganda de l’époque (dans l’actuel Kenya), pour y créer un « Foyer national juif ».

Hostile à l’abandon de la Palestine, le sixième congrès sioniste de 1903 se divisa fortement. Une commission est cependant envoyée sur place.

Mais, en 1905, le septième congrès sioniste se tint à Bâle. Il y fut décidé de repousser définitivement la proposition de l’Ouganda, ainsi que toute alternative à la Palestine.

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lundi, le 19/10/2015

«Quand Israël naît […] en 1948, […] Pour le monde Arabe, c’est le dernier phénomène colonial de l’histoire européenne qui est anachronique. Pour les Israéliens, c’est avec quelque retard, le dernier phénomène national de l’histoire européenne du 19ème siècle.[…] Et en fait ce conflit de calendrier n’a jamais été surmonté.»
Dominique Moïsi

La violence n’a jamais cessé sur la terre de Palestine et d’Israël, mais <Une nouvelle étape a été franchie et on parle désormais d’une intifada des couteaux>

Samedi <Les Echos> comptaient 41 palestiniens et 7 israéliens tués en deux semaines.

Et hier dimanche, un attentat s’est produit à la gare des autobus de Beer Sheva, dans le sud d’Israël. Deux Palestiniens ont tiré dans la foule et poignardé plusieurs personnes, avant que les forces de sécurité ne répliquent.

Et en France, nous se sommes informés qu’en partie des faits de violence qui se déroulent sur ces lieux.

Avant ces faits, le conflit israélo palestinien était sorti des radars, on ne parlait plus que de la Syrie, de l’Irak et même du Yemen mais plus de la Palestine. Obama dans son discours à l’ONU, il y a quelques jours, n’a pas eu un mot pour la Palestine. Mahmoud Abbas a dit cette même tribune de l’ONU que les accords d’Oslo étaient enterrés et qu’il faudrait peut-être dissoudre l’Autorité Palestinienne.

Comment mieux dire qu’il n’y croit plus.

Depuis l’assassinat de Rabin, il n’y a plus d’homme d’Etat capable du côté israélien de mener son peuple à la paix et il faut bien le reconnaître il n’y a pas non plus d’homme d’Etat de ce niveau du côté palestinien.

Il y a quelques jours j’avais emprunté un mot du jour à une parole de Dominique Moïsi sur la guerre en Syrie et je fais à nouveau appel à lui aujourd’hui.

Il a, en effet, été l’invité de l’émission de Nicolas Demorand du 14 octobre 2015 :

Israël-Palestine : Vers une troisième Intifada ? avec Dominique Moïsi 14 octobre 2015 Entretien avec Nicolas Demorand

Dominique Moïsi est juif, il a cru en l’Etat d’Israël et il a cru en la paix. Et aujourd’hui au bout des désillusions il se pose des questions existentielles et analyse les regards croisés et hostiles de ces deux peuples à l’aune de l’Histoire.

Dans le début l’émission, il fait d’abord parler son émotion et son désespoir en parlant de «la chronique d’une catastrophe annoncée»

Et il ajoute :

«Je ne suis pas surpris. On s’attendait à une telle explosion. Personne ne s’intéresse plus au problème israélo-palestinien. Les jeunes palestiniens en particulier ceux de Jérusalem ne croient plus à la politique, ni au Hamas, ni à l’autorité palestinienne. C’est une manière à eux de se rappeler à l’actualité. Il y a eu des événements qui ont attisé le ressentiment d’abord le bébé de 19 mois brûlé vif dans sa maison enflammée par des colons israéliens. Ses deux parents sont morts aussi. Et puis il y a ces rumeurs sur le changement de statut du Dôme du rocher, de la mosquée Al Aqsar. Cela ramène le conflit à un niveau qu’on avait oublié et qui le rend encore plus impossible à régler : c’est un conflit religieux.»

Demorand lui dit alors :  «Je vous sens accablé»

Moisi :

« Oui ! Oui ! Il y a quelque chose de désespérant pour quelqu’un qui comme moi a cru profondément aux accords d’Oslo.

J’ai un souvenir : J’ai passé une nuit à boire du champagne avec le poète palestinien Mahmoud Darwich. Nous nous sommes embrassés. Nous avons cru qu’entre juifs et palestiniens, le problème pouvait être dépassé.

Et là…

Est-ce que nous avons rêvé ? Depuis le début ? Depuis l’assassinat d’Yitzhak Rabin ? Est-ce que nous avons continué à rêver en pensant que la communauté internationale et les Etats-Unis allaient imposer une solution ?

Aujourd’hui, il y a un sentiment de vide absolu. Il n’y a pas de petite lumière au fond du tunnel.

Il n’y a pas de pression qui va venir de l’extérieur.

Chacun est laissé, seul :

– face à sa peur du changement, sa volonté de préserver à tout prix le statu quo du côté israélien;

– face à son absence totale d’espoir du côté palestinien.»

Et il décrit « Une glaciation longue entre les deux parties, avec des murs des check points partout transformant Jérusalem en Berlin de la guerre froide.» Cela lui semble l’hypothèse la plus vraisemblable.

Il envisage ensuite le conflit du point de vue des Arabes et les solutions qui ont été envisagées :

« Une grande partie des palestiniens et des arabes rêvent que le problème israélien va disparaître. Qu’en gros les israéliens sont en Palestine, comme les Français étaient en Algérie et qu’à un moment donné, ils se retireront. Dans une partie du discours arabe : Ce sont les croisés du Royaume de Jérusalem ils vont partir et le sable du désert recouvrira leurs constructions arrogantes et intolérantes.

Mais ce n’est pas la réalité et le rapport des forces sur le plan militaire joue toujours majoritairement en faveur des israéliens.

Plus personne ne croit à la solution des deux Etats qui étaient la seule légitime et qui faisait sens.

Un Etat binational semble aussi totalement hors de portée étant donné les haines actuelles.

Certains imaginent une 3ème solution d’une confédération avec un 3ème acteur qui est la Jordanie. Cette confédération pourrait se réunir sur l’Economie. Mais cette solution ne semble pas non plus viable dans le contexte actuel.»

Il n’existe donc pas de solution aux yeux de Moisi.

Et c’est alors qu’il plonge dans le cœur du problème et dévoile une question existentielle. Voici la suite de ce dialogue entre Nicolas Demorand (ND) et Dominique Moïsi (DM)

« DM – Pas de solutions, c’est un échec absolu et qui bien entendu vous amène à vous poser des questions fondamentales, existentielles.

ND – Lesquelles ?

DM – Et si c’était une fausse bonne idée que d’avoir créé l’état d’Israël, dès le départ ?

ND – Vous dîtes cela vous ?

DM – Je dis qu’en réalité, c’est une question que les historiens se poseront. Parce qu’il y a un conflit de calendrier fondamental.

Quand Israël naît sur les fonts baptismaux de la communauté internationale en 1948, c’est au moment où commence le grand mouvement de décolonisation dans le monde. Pour le monde Arabe, c’est le dernier phénomène colonial de l’histoire européenne qui est anachronique.

Pour les Israéliens, c’est avec quelque retard, le dernier phénomène national de l’histoire européenne du 19ème siècle. Les Allemands ont un état, les Italiens ont un état.

Pourquoi pas les juifs ?

Et en fait ce conflit de calendrier n’a jamais été surmonté.

Dès le début, une immense majorité des arabes n’accepte pas que l’Europe paye ses péchés sur le dos des Palestiniens.

Et une grande partie des Israéliens a du mal à intégrer le fait qu’en réalité, il y a les Palestiniens sur ces territoires. (…) »

En 1950, Einstein publia la déclaration suivante sur la question du sionisme. Ce discours avait été initialement prononcé devant la National Labor Committee for Palestine (Commission national de travail pour la Palestine), à New York, le 17 avril 1938, mais Einstein l’avait ressortie en 1950, après la création de l’État d’Israël :

« Je verrais bien davantage un arrangement raisonnable avec les Arabes, sur base d’une coexistence pacifique, que la création d’un État juif. En dehors des considérations pratiques, ma connaissance de la nature essentielle du judaïsme résiste à l’idée d’un État juif avec des frontières, une armée et un projet de pouvoir temporel, aussi modeste soit-il. J’appréhende les dégâts internes que pourra provoquer le judaïsme – particulièrement à partir du développement d’un nationalisme étroit dans nos propres rangs et contre lequel il nous a déjà fallu nous battre sans État juif. »

Je finirais par Arun Gandhi, petit fils du Mahatma Gandhi qui vient de publier un livre «Mon Grand Père était Gandhi» et il dit :  «Pour obtenir la paix, le pardon reste incontournable. Si nous ne pardonnons pas, nous ne grandirons pas».

Mais le pardon semble si loin.

Même si je comprends la peur et l’angoisse des juifs israéliens devant cette situation, il n’est pas possible de ne pas répéter que s’il faut être deux pour faire la paix, la plus grande part de la responsabilité est du côté d’Israël notamment par sa politique de colonisation insensée et intolérante qui rend impossible les deux États, seule solution légitime dit Moïsi.

L’existence de l’État d’Israël peut-elle rester légitime, en l’absence de son alter ego Palestinien ?

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Jeudi 4 juin 2015

Jeudi 4 juin 2015
[Pour surmonter ce conflit]
«une chose est absolument nécessaire : la compassion»
Daniel Barenboïm qui parle du conflit israélo palestinien à ses musiciens

Daniel Barenboïm est un des plus grands musiciens vivants, pianiste et chef d’orchestre.

Il est juif de nationalité israélienne. Contrairement à Herbert von Karajan évoqué lors d’un mot du jour récent, il ne se réfugie pas dans son art pour rester sourd aux drames qui l’entourent.

Il a créé un orchestre avec l’écrivain chrétien américano-palestinien Edward Saïd composé d’israéliens, de palestiniens et d’arabes de Syrie, du Liban, de Jordanie et d’Egypte.

La création de cet orchestre a lieu en 1999 à Weimar à l’occasion du 250e anniversaire de la naissance de Goethe : le nom de l’orchestre vient d’ailleurs du recueil West-östlicher Divan (Divan occidental-oriental) du poète allemand.

Il prend en effet pour nom : Le West-Eastern Divan Orchestra (Orchestre du Divan occidental-oriental).

Edward Saïd est décédé en septembre 2003.

Chaque été environ ces 80 jeunes instrumentistes viennent en Europe se former et jouer ensemble.

Il s’assemble en Espagne, à Séville où il répète pendant le mois de juillet avant d’entreprendre en août une tournée mondiale (Europe, Amérique du Sud, …)

Daniel Barenboïm a été l’invité d’Anne Sinclair le 25 mai 2015 :  http://www.europe1.fr/emissions/l-interview/daniel-barenboim-linterview-integrale-989228

Anne Sinclair l’interroge d’abord sur des sujets artistiques car il vient interpréter l’intégrale des sonates de piano de Schubert à la Philharmonie de Paris.

Mais dans la seconde partie de l’entretien elle l’interroge sur le conflit israélo-palestinien.

Il raconte d’abord un épisode de l’Histoire de l’orchestre.

Il était prévu de se réunir comme chaque année en juillet 2014 mais la guerre de Gaza venait d’être engagé par Israël.

Plusieurs jeunes musiciens ne voulaient pas venir.

Alors Daniel Barenboim leur a dit à chacun :

« Écoute en restant dehors tu n’aides pas la chose. Viens et on va en parler tous ensemble.
Si après que tu sois venu, tu ne te sens pas bien alors tu pourras partir, je ne t’en voudrai pas.
Le premier soir on a immédiatement fait une réunion et on a parlé de tout et tout le monde se disputait et chahutait.
Alors j’ai pris la parole et j’ai dit : Écoutez c’est complètement irréaliste d’attendre d’un israélien d’avoir de la sympathie avec le destin d’un Palestinien ou pour un Palestinien d’avoir de la sympathie pour un israélien.
Parce que la sympathie c’est une qualité émotionnelle.
Mais une chose est absolument nécessaire et ça c’est la compassion qui n’est pas une qualité émotionnelle mais une qualité morale.
Et si parmi vous, les musiciens, il existe des musiciens qui n’ont pas cette compassion, alors votre place n’est pas ici, vous pouvez partir demain.
Tout le monde est resté.»

Le mot « compassion » vient du latin : cum patior, « je souffre avec ».
C’est une vertu par laquelle un individu est porté à percevoir ou ressentir la souffrance d’autrui.

Cet extrait se situe à partir de 16:30 de l’entretien.

Et un peu plus loin il dit cette chose simple et tellement évidente :

« Ce n’est pas un conflit symétrique. Les Israéliens sont les occupants et les palestiniens sont les occupés.
Une partie nettement plus grande de la responsabilité repose sur les épaules des israéliens. »

En janvier 2008, l’Orchestre avait enfin reçu l’autorisation de jouer en Cisjordanie, à Ramallah

<Ici vous verrez et entendrez les mots que Daniel Barenboim prononce à la fin de ce concert exceptionnel :
« Ce projet qu’Edward Said et moi-même avons entrepris a parfois été décrit comme un orchestre pour la paix, un orchestre capable d’insuffler tel ou tel sentiment.
Mesdames et messieurs, je vous l’affirme, nous n’apportons pas la paix vous le savez.
C’est un fait, ces gens merveilleux qui jouent ensemble n’apporteront pas la paix.
Ce qu’ils peuvent apporter c’est la compréhension, la patience, le courage et la curiosité d’écouter ce que l’autre veut dire. C’est là toute notre ambition.
Dans ce contexte chacun a pu s’exprimer librement et ce qui est aussi important a pu entendre la version de l’autre.
C’est la raison de notre présence parmi vous pour apporter un message d’humanité pas un message politique, un message d’humanité, de solidarité pour la liberté qui fait défaut à la Palestine. Cette liberté dont toute la région a besoin.
Nous croyons qu’il n’existe pas de solution militaire à ce conflit.
Nous croyons que les destinées de ces deux peuples palestinien et israélien sont inextricablement liées.
Ainsi le bien être, le sentiment de justice et le bonheur de l’un dépendront inévitablement de ceux de l’autre.
Ils représentent notre objectif.
Nous œuvrons pour le changement du mode de pensée qui prévaut dans cette région.
Nombreux sont ceux qui comprendront bientôt que nous avons ici deux peuples pas un.
Deux peuples liés par un lien très fort philosophique, psychologique et historique à cette région du monde.
C’est notre devoir d’apprendre à vivre ensemble.
Nous avons le choix : nous entretuer ou apprendre à partager ce qui peut se partager.
C’est ce message que nous venons vous porter aujourd’hui. »

Depuis janvier 2008, Daniel Barenboïm a reçu un passeport palestinien de la part de l’autorité palestinienne.

Cette attitude ouverte ne lui attire pas que des sympathies en Israël.

Ainsi, un député du parti ultra-orthodoxe Shass affirme que « c’est une honte que le chef d’orchestre ait accepté la nationalité palestinienne »

Il demande que « son passeport israélien lui soit confisqué, puisque désormais, il en détient un autre, d’une entité ennemie ».

Nous entretuer ou apprendre à partager ce qui peut se partager, tout est dit.

Et en 2009, je pense que l’académie Nobel aurait pu donner le prix Nobel de la paix à Barenboïm et à cet orchestre plutôt qu’à Obama.

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