Mardi 29 septembre 2020

«Un baiser d’amour pour mourir ? Je veux bien cela…
Violette, une grand-mère de 92 ans qui veut que ses petit-enfants l’embrassent et la touchent malgré la COVID 19

Beaucoup de questions se posent sur cette pandémie qui envahit notre espace, nos vies nos relations.

Michelle a posé beaucoup d’interrogations dans un commentaire au mot du jour d’hier.

Nous constatons qu’il y a des contradictions entre les scientifiques, mais cela nous savons que c’est normal. D’autres interrogations se portent sur certaines incohérences dans les décisions et la stratégie des pouvoirs publics.

Poser des questions est toujours une bonne démarche. Poser les bonnes questions constitue une quête.

J’ai aussi beaucoup de questions, mais j’ai si peu de réponses. Je ne sais pas, telle est la vérité

Mais il y a quand même une question pour laquelle j’ai l’intuition d’un début de réponse.

André Comte-Sponville, depuis plusieurs mois maintenant, alerte sur ce qu’il considère comme une erreur, celle de faire de la santé une valeur suprême :

« La santé n’est pas une valeur du tout, c’est un bien ! »

Et il continue

« Et si on la considère comme une valeur suprême nous avons tendance à tout déléguer à la médecine. Déléguer non seulement la gestion de nos maladies, ce qui est normal, mais aussi la gestion de nos vies et de notre société »

Il dit cela par exemple dans cette <vidéo> de deux minutes où il explique aussi la différence entre la générosité et la solidarité.

Et dans <celle-ci> il parle de Montaigne, il vient de publier un livre sur ce philosophe « Dictionnaire amoureux de Montaigne ».

En citant Montaigne, il parle de la COVID19 et appelle à ne pas continuer à nous laisser dominer par la peur :

« Ce dont j’ai le plus peur, c’est de la peur »

Et il ajoute que c’est une formule qu’il s’est souvent répété ces jours-ci.

Alors, il précise bien qu’il porte le masque et respecte les gestes barrières, mais il y a une sorte d’excès qu’il dénonce.

Elie Semoun n’est pas philosophe, mais humoriste.

Il vient de perdre son père qui est mort en Ehpad, dans le 8ème arrondissement de Lyon, pas loin de mon domicile.

Et il n’est pas content : « Le confinement a tué mon père » :

« La lecture des nouvelles mesures me met en colère, écrit l’acteur sur son compte Instagram. Il est très douloureux pour moi de l’écrire, mais le confinement a tué mon père. »

[…] Mais je dois rendre publique que l’arrêt obligatoire de nos visites à son Ehpad durant deux mois a accéléré son déclin déjà fragilisé par Alzheimer.

C’est quasi criminel d’empêcher nos anciens d’être entouré de l’amour de leurs proches. Parce qu’un Je t’aime, un baiser, un geste, valent mieux que la solitude dans laquelle nous plonge la peur de ce virus. »

Dans le même article, le journaliste donne aussi la parole à Nicolas et Victoria les enfants de Guy Bedos. Victoria dit :

« J’en veux [au] coronavirus, [au] confinement qui nous a éloignés de toi avec Nicolas. Pendant deux mois, on n’a pas pu te voir par peur de te tuer en t’embrassant. Et on t’a tué en ne venant pas t’embrasser, finalement. Tu as cessé de manger, de marcher, de lutter. À quoi bon puisque mes enfants ne m’aiment plus ? »

Nous t’avons tué en ne venant pas t’embrasser !

Et je veux partager avec vous <cette vidéo> dans laquelle une psychothérapeute raconte sa rencontre par le canal numérique avec une vieille grand-mère de 92 ans qu’elle appelle Violette.

Cette psychothérapeute, Gislaine Duboc, qui annonce aussi d’autres compétences plus spirituelles, a donc reçu en consultation la vieille Dame parce que cette dernière voulait qu’elle joue le rôle de médiatrice ou même qu’elle tranche le différend qui existait entre elle et ses petits-enfants.

Les enfants et les petits enfants venaient voir régulièrement Violette, ils étaient masqués, ne s’approchaient pas d’elle et par voie de conséquence ne la touchait pas, ce que Violette trouvait insupportable. Les petits enfants lui rétorquaient qu’il leur était impossible de risquer de lui apporter la mort, et que si tel était le cas il porterait cette culpabilité pour le restant de leurs jours.

Dans ces conditions la grand-mère ne voulait plus les voir, ce que les petits enfants trouvaient très injustes, car ils aimaient venir voir leur grand-mère.

Violette a demandé à Gislaine Duboc de trouver les mots pour convaincre ses petits-enfants de se ranger à ses arguments. Gislaine Duboc qui dit comprendre la position des deux, se dit incapable de jouer ce rôle mais elle demande à Violette de dire avec ses mots ce qu’elle désire. Et Violette parle :

« Je n’ai pas peur [de la mort]. Je sens que c’est la fin. Vous savez je suis à la fin de l’hiver, je le sens. Mes jours, mes mois ne seront pas très longs. Je vais avoir 92 ans, pour moi je suis à la fin de ma vie. Et c’est bien comme cela.

Mais je ne veux pas être privée des baisers. Je ne veux pas être privée des bras de mes enfants et de mes petit-enfants.

Je suis quelqu’un qui les touche depuis toujours […] Je caresse toujours […] j’ai besoin de toucher.

Et là depuis des semaines, j’ai l’impression de rentrer dans un froid incroyable.

Alors si je dois mourir dans le froid ça, ça ne va pas. Que j’aille vers le froid d’accord, mais pas mourir de froid.[…]

Comprenez bien, la mort elle vient par où elle veut. Tout est messager pour la faire venir. Eh bien, moi si c’est l’amour de mes enfants qui m’amène la mort, un baiser d’amour pour mourir, je veux bien cela. »

« Un baiser d’amour pour mourir ? je veux bien cela ! ». En quelques mots l’essentiel est dit.

Il y a un temps où ce qui compte c’est la qualité, la chaleur du lien et de la vie et non pas la quantité froide d’une vie dont on aurait extrait la substance.

Il faut regarder la vidéo c’est beaucoup plus émouvant que ce que je peux raconter.

Merci Violette pour cette leçon de vie dont la mort fait partie.

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Lundi 20 avril 2020

«Je me fais plus de soucis pour l’avenir professionnel de mes enfants que pour ma santé de presque septuagénaire.»
André-Comte Sponville

André-Comte Sponville est un de nos grands philosophe. Il a donné une interview dans un journal belge : « L’écho » : «J’aime mieux attraper le Covid-19 dans un pays libre qu’y échapper dans un État totalitaire »

Dans cet entretien, il tire comme enseignements positifs de cette crise :

« J’en vois trois principaux. D’abord l’importance de la solidarité: se protéger soi, c’est aussi protéger les autres, et réciproquement.

Ensuite le goût de la liberté: quel plaisir ce sera de sortir de cette “assignation à résidence”” qu’est le confinement!

Enfin l’amour de la vie, d’autant plus précieuse quand on comprend qu’elle est mortelle. Gide l’a dit en une phrase qui m’a toujours frappé: « Une pas assez constante pensée de la mort n’a donné pas assez de prix au plus petit instant de ta vie.» Le Covid-19, qui fait que nous pensons à la mort plus souvent que d’habitude, pourrait nous pousser à vivre plus intensément, plus lucidement, et même – lorsqu’il sera vaincu – plus heureusement. »

Il aborde surtout cette crise sous un angle de vue intéressant : notre rapport à la mort.

Edouard Philippe a réexpliqué, ce dimanche, très pédagogiquement, l’unique raison pour laquelle la décision de confinement a été prise. Cette raison n’a pas été cachée par le gouvernement, mais il semblerait parfois qu’elle est perdue de vue, tant parfois on a l’impression que certains se croit en danger de mort immédiat s’ils ont le malheur de rencontrer le virus. Ce qui est totalement faux. On peut mourir de ce virus, mais ce n’est pas et de loin la conséquence la plus probable si on l’attrape.

L’unique raison du confinement est d’éviter la saturation des hôpitaux et particulièrement des services de soins intensifs. Cette saturation qui entrainerait pour conséquence l’impossibilité de soigner des patients atteint de symptômes graves et obligerait donc à les laisser mourir alors qu’avec des moyens de soins il serait possible d’en sauver une grande partie. C’est cela qu’on a voulu éviter, à cause du prix qu’on donne à la santé et à la vie. C’était aussi créer une tension et une pression insupportable pour les personnels soignants devant ce désastre sanitaire : ne pas être en mesure de sauver des vies en raison d’un manque de moyens, de lits, de personnel.

Car l’article de « l’Echo » rappelle que la grippe de 1968 – « grippe de Hong Kong » – a fait environ un million de morts, dans l’indifférence quasi générale. André Compte-Sponville ajoute la grippe dite « asiatique », en 1957-1958, en avait fait encore plus, et tout le monde l’a oubliée.

Il y a eu donc évolution, le philosophe a cette analyse :

«  J’y vois trois raisons principales. D’abord la mondialisation, dans son aspect médiatique: nous sommes désormais informés en temps réel de tout ce qui se passe dans le monde, par exemple, chaque jour, du nombre de morts en Chine ou aux États-Unis, en Italie ou en Belgique… Ensuite, la nouveauté et le “biais cognitif” qu’elle entraîne: le Covid-19 est une maladie nouvelle, qui, pour cette raison, inquiète et surprend davantage. Enfin une mise à l’écart de la mort, qui la rend, lorsqu’elle se rappelle à nous, encore plus inacceptable.

[La mort] l’a toujours été, mais comme on y pense de moins en moins, on s’en effraie de plus en plus, lorsqu’elle s’approche. Tout se passe comme si les médias découvraient que nous sommes mortels! Vous parlez d’un scoop! On nous fait tous les soirs, sur toutes les télés du monde, le décompte des morts du Covid-19. 14.000 en France, à l’heure actuelle, plus de 4.000 en Belgique… C’est beaucoup. C’est trop. C’est triste. Mais enfin faut-il rappeler qu’il meurt 600.000 personnes par an en France? Que le cancer, par exemple, toujours en France, tue environ 150.000 personnes chaque année, dont plusieurs milliers d’enfants et d’adolescents? Pourquoi devrais-je porter le deuil des 14.000 mors du Covid 19, dont la moyenne d’âge est de 81 ans, davantage que celui des 600.000 autres? Encore ne vous parlais-je là que de la France. À l’échelle du monde, c’est bien pire. La malnutrition tue 9 millions d’êtres humains chaque année, dont 3 millions d’enfants. Cela n’empêche pas que le Covid-19 soit une crise sanitaire majeure, qui justifie le confinement. Mais ce n’est pas une raison pour ne parler plus que de ça, comme font nos télévisions depuis un mois, ni pour avoir en permanence “la peur au ventre”, comme je l’ai tant entendu répéter ces derniers jours. Un journaliste m’a demandé – je vous jure que c’est vrai – si c’était la fin du monde! Vous vous rendez compte? Nous sommes confrontés à une maladie dont le taux de létalité est de 1 ou 2% (sans doute moins, si on tient compte des cas non diagnostiqués), et les gens vous parlent de fin du monde. »

Alors le philosophe accepte d’interroger cette affirmation d’Emmanuel Macron dans son dernier discours que « la santé était la priorité ».

La santé est-elle devenue la valeur absolue dans nos sociétés?

« Hélas, oui! Trois fois hélas! En tout cas c’est un danger, qui nous menace. C’est ce que j’appelle le pan-médicalisme: faire de la santé (et non plus de la justice, de l’amour ou de la liberté) la valeur suprême, ce qui revient à confier à la médecine, non seulement notre santé, ce qui est normal, mais la conduite de nos vies et de nos sociétés. Terrible erreur! La médecine est une grande chose, mais qui ne saurait tenir lieu de politique, de morale, ni de spiritualité. Voyez nos journaux télévisés: on ne voit plus que des médecins. Remercions-les pour le formidable travail qu’ils font, et pour les risques qu’ils prennent. Mais enfin, les experts sont là pour éclairer le peuple et ses élus, pas pour gouverner. Pour soigner les maux de notre société, je compte moins sur la médecine que sur la politique. Pour guider ma vie, moins sur mon médecin que sur moi-même.

La priorité des priorités, à mes yeux, ce sont les jeunes. Nous avons peut-être les meilleurs hôpitaux du monde. Qui oserait dire que nous avons les meilleures écoles? Le moins de chômage dans la jeunesse? »

Et il ajoute :

« Finitude et vulnérabilité font partie de notre condition. […] L’incertitude, depuis toujours, est notre destin. »

Dans cet article, André Comte Sponville, rappelle quelque saine vérité :

« Parler d’une vengeance de la nature, c’est une sottise superstitieuse. En revanche, qu’il y ait un déséquilibre entre l’homme et son environnement, ce n’est que trop vrai. Cela s’explique à la fois par la surpopulation – nos enfants ne meurent plus en bas-âge: on ne va pas s’en plaindre – et la révolution industrielle, grâce à laquelle la famine a disparu de nos pays et a formidablement reculé dans le monde: là encore, on ne va pas s’en plaindre. Mais la conjonction de ces deux faits nous pose des problèmes énormes. Le réchauffement climatique fera beaucoup plus de morts que le Covid-19!

Ce n’est pas la mondialisation qui crée les virus. La peste noire, au 14e siècle, a tué la moitié de la population européenne, et la mondialisation n’y était pour rien. En revanche, ce que cette crise nous apprend, c’est qu’il est dangereux de déléguer à d’autres pays, par exemple à la Chine, les industries les plus nécessaires à notre santé. Bonne leçon, dont il faudra tenir compte! »

Et il remet en perspective cette maladie avec les conséquences économiques qu’il rapporte à son propre cas :

«  Je me fais plus de soucis pour l’avenir professionnel de mes enfants que pour ma santé de presque septuagénaire. La France prévoit des dépenses supplémentaires, à cause du Covid et du confinement, de 100 milliards d’euros. Je ne suis pas contre. Mais qui va payer? Qui va rembourser nos dettes? Nos enfants, comme d’habitude… Cela me donne envie de pleurer. »

Et puis il parle de nos ainés dans les EHPAD :

« Quant à nos aînés, leur problème ne commence pas avec le Covid-19. Vous êtes déjà allé dans un EHPAD? Le personnel y fait un travail admirable, mais quelle tristesse chez tant de résidents. Pardon de n’être pas sanitairement correct. En France, il y a 225.000 nouveaux cas de la maladie d’Alzheimer chaque année, donc peut-être dix fois plus que ce que le Covid-19, si le confinement fonctionne bien, risque de faire. Eh bien, pour ma part, je préfère être atteint par le coronavirus, et même en mourir, que par la maladie d’Alzheimer! »

En fin de compte, on a bien laissé mourir des patients du COVID-19 sans les prendre en charge dans les unités de soins des hôpitaux, c’était des personnes âgées qui étaient en EHPAD.

Mais le plus grave n’a t’il pas été qu’on a interdit, dans un premier temps, aux proches de les accompagner dans leurs derniers instants ainsi que dans la cérémonie funéraire ?

Et le philosophe nous invite à prendre du recul, plutôt que de nous laisser emporter par nos émotions – à commencer par la peur – et le politiquement correct.

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Vendredi 27 mars 2020

« La mort n’est point notre issue »
François Cheng

Cette période que nous vivons est un moment qui nous confronte à la mort.

Hier, Jérôme Salomon, le directeur général de la santé, [drôle de nom pour un fonctionnaire qui chaque soir égrène le nombre de malades, de personnes en réanimation et….] a déclaré que le nombre de morts du coronavirus lors des 24 dernières heures étaient de 365, soit une hausse de 58% par rapport au jour précédent.

Et nous savons que ce chiffre est sous-évalué, puisque les morts en EHPAD ou à domicile ne sont pas identifiés en tant que mort de cette pandémie.

La mort est là.

Mais le désir de vie est plus fort.

François Cheng, est né en 1929 en Chine.

Il est venu en France avec ses parents en 1948.

Mais, alors que sa famille émigre aux États-Unis dès 1949, lui à 20 ans décide de s’installer définitivement en France, motivé par sa passion pour la culture française.

Depuis il écrit, il écrit en français et il traduit les textes de poésie française en chinois.

En 1971, il a été naturalisé français.

Et en 2002 il est devenu membre de l’académie française, juste retour de son amour de notre langue et du rayonnement qu’il lui a apporté dans l’empire du milieu.

Nous l’avons vu plusieurs fois à la Grande Librairie, par exemple dans celle du <29 Janvier 2020>

Ceci a poussé Annie a acheté plusieurs de ses livres et parmi ceux-là « Cinq méditations sur la mort, autrement dit sur la vie »

Et hier soir quand je me suis posé la question, qu’est-ce que je vais bien pouvoir partager dans mon exercice quotidien d’écriture, j’ai pris ce livre.

Je l’ai feuilleté et je me suis arrêté page 139 :

La mort n’est point notre issue,
Car plus grand que nous
Est notre désir, lequel rejoint
Celui du Commencement,
Désir de Vie.

La mort n’est point notre issue,
Mais elle rend unique tout d’ici :
Ces rosées qui ouvrent les fleurs du jour,
Ce coup de soleil qui sublime le paysage,
Cette fulgurance d’un regard croisé,
Et la flamboyance d’un automne tardif,
Ce parfum qui nous assaille et qui passe, insaisi,
Ces murmures qui ressuscitent les mots natifs,
Ces heures irradiées de vivats, d’alléluias,
Ces heures envahies de silence, d’absence,
Cette soif qui jamais ne sera étanchée,
Et la faim qui n’a pour terme que l’infini…

Fidèle compagne, la mort nous contraint
À creuser sans cesse en nous
Pour y loger songe et mémoire,
À toujours creuser en nous
Le tunnel qui mène à l’air libre.

Elle n’est point notre issue.
Posant la limite,
Elle nous signifie l’extrême
Exigence de la Vie,
Celle qui donne, élève,
Déborde et dépasse.

François Cheng
Cinq méditations sur la mort, Albin Michel, 2013
Cinquième méditation


<1379>

Lundi 25 novembre 2019

« Les enfants d’Isadora »
Film de Damien Manivel autour d’une danse composée en 1923 par Isadora Duncan

Avec Annie, nous allons peu au cinéma. Mais nous avons eu le désir d’aller voir « Les enfants d’Isadora ».

Ce film ne répond pas, mais alors pas du tout aux standards des films américains, films qu’on nomme blockbuster. Si vous voulez en savoir plus sur le sujet des superproductions américaines, vous pouvez lire cet article de « Slate.fr » : « La recette du blockbuster » qui vous renverra vers un livre d’un scénariste américain : Blake Snyder : « Les règles élémentaires pour l’écriture d’un scénario. ».

Pour suivre ce modèle, auquel beaucoup de spectateurs se sont habitués, il faut de l’action, des bons et des méchants, des scènes qui s’enchainent rapidement etc.

« Les enfants d’Isadora » est un film lent, très lent. C’est à ce prix qu’on obtient la poésie et la grâce.

Le film raconte des femmes qui sont fascinées par une danse composée en 1923 par la grande chorégraphe américaine Isadora Duncan : « Mother »

<Isadora Duncan> est née en 1877 à San Francisco, et morte tragiquement le 14 septembre 1927 à Nice.

C’est une danseuse américaine qui révolutionna la pratique de la danse et apporta les premières bases de la danse moderne européenne, à l’origine de la danse contemporaine.

Elle donna une place particulière à l’harmonie du corps, à la beauté. Elle osa des danses presque nue, simplement couverte par quelques voiles avec un retour au culte des corps et au modèle des figures antiques grecques.

Elle fonda plusieurs écoles de danse aux États-Unis et en Europe et même en Russie après la révolution soviétique où elle adhéra, un temps, à l’idéal révolutionnaire.

Elle fut, à Paris, la voisine d’Auguste Rodin, « son ami et son maître » selon son récit « Ma vie » publiée en 1927.

Et, lorsque le théâtre des Champs-Élysées est construit en 1913, son portrait est gravé par Antoine Bourdelle dans les bas-reliefs situés au-dessus de l’entrée, et peint par Maurice Denis sur la fresque murale de l’auditorium représentant les neuf Muses.

Elle fut totalement non conventionnelle dans son art, comme dans sa vie.

Elle eut des enfants sans être marié, fut aussi bisexuelle et de mœurs très libres.

Elle meurt tragiquement le 14 septembre 1927 à Nice : le long foulard de soie qu’elle porte se prend dans les rayons de la roue de la voiture dans laquelle elle était montée. Elle est brutalement éjectée du véhicule et meurt sur le coup dans sa chute sur la chaussée. Elle a été incinérée et ses cendres reposent à Paris au columbarium du cimetière du Père-Lachaise

Avant cela, en 1913 elle vécut une tragédie.

Ses deux enfants, tous deux hors mariage : Deirdre, née le 24 septembre 1906, et Patrick, né le 1er mai 1910, se noyèrent dans la Seine le 19 avril 1913. Les enfants se trouvaient dans la voiture avec leur nourrice de retour d’une journée d’excursion pendant qu’Isadora était restée à la maison. La voiture fit un écart pour éviter une collision. Le moteur cale, le chauffeur sort de la voiture pour faire redémarrer le moteur à la manivelle mais il a oublié de mettre le frein à main ; dès qu’il fait démarrer la voiture, celle-ci traverse le boulevard Bourdon, dévale la pente et les deux enfants et leur nourrice meurent noyés dans la Seine à Neuilly-sur-Seine.

Quelques mois plus tard, le 1er août 1914, Isadora Duncan accouche d’un enfant qui ne vivra que quelques heures. Elle écrira dans « Ma vie » :

« Je crois qu’à ce moment-là, j’atteignis le sommet de la douleur humaine, car avec cette mort il me semblait que mes autres enfants mouraient encore une fois ; c’était comme la répétition de la première agonie, avec quelque chose qui s’y ajoutait encore. »

Et puis, 10 ans plus tard, en 1923 à Kiev, sur une musique de Scriabine, elle créa une danse pour dire Adieu à ses enfants morts. Danse qu’elle appela « Mother ».

Un très bel article de « Libération » explique :

« En 1923, dix ans après avoir tragiquement perdu ses deux enfants, la pionnière de la danse moderne Isadora Duncan créait Mother, un solo funèbre et mythique dont il n’existe ni film d’époque ni photographie. Juste une partition – grâce au système de notation Laban, que peu d’experts savent déchiffrer -, à laquelle s’ajoutent les récits que se sont transmis corporellement et de manière quasi légendaire les disciples de la chorégraphe, et ces quelques lignes : «Ma danse était endormie depuis des siècles et mon chagrin l’a réveillée.»

Et tout le film est la recherche de femmes danseuses, pour retrouver les gestes et les pas de cette danse à partir de la partition pour créer l’indicible et l’émotion.

Le réalisateur Damien Manivel, né en 1981 avait commencé sa vie artistique par la danse contemporaine, il fait partager à ses actrices son désir de retrouver le geste bouleversant de l’immense artiste du début du XXème siècle pour surmonter sa souffrance.

<Slate> qui a également encensé ce film écrit :

« Ce qui est à venir est, malgré l’apparente absolue modestie du film, d’une ampleur immense. Il s’agit du travail, et il s’agit de la mort; il s’agit du deuil et de la manière dont des œuvres peuvent affronter l’abîme insondable de la douleur.

Il s’agit des puissances souterraines et sidérantes de la vie, et de sourcières qui en détectent les possibles résurgences. Qui parfois en permettent les triomphants jaillissements, même dans la pénombre d’une marge. […]

Les Enfants d’Isadora, c’est la promesse, dans le monde, avec les autres, en soi-même, de la possibilité d’une élégance du geste, d’une harmonie de formes, d’un accord entre des rythmes intérieurs et extérieurs. Ce film a su nous approcher de cela; il inspire une infinie gratitude. »

L’intelligence de Damien Manivel est de construire cette quête en 3 actes.

D’abord une jeune danseuse parisienne qui travaille, étudie, réfléchit, essaie la partition avec les doutes qu’on perçoit, il n’y a quasi aucune parole échangée lors de ce premier acte.

L’actrice qui incarne ce premier rôle est Agathe Bonitzer. Quand elle parvient au geste d’émotion, le réalisateur passe au second acte.


Ce second acte se joue dans un théâtre dans lequel une chorégraphe (Marika Rizzi) répète avec une adolescente trisomique (Manon Carpentier), cette même danse. Au début les gestes sont très éloignées de ceux auxquels était arrivée la danseuse précédente. Mais peu à peu, Manon trouve aussi le chemin pour s’approprier « mother ».

Le troisième acte est étrange, on voit une femme noire massive qui assiste au spectacle « Mother », sans que jamais le spectacle ne soit montré, et qui pleure.

Après un long et pénible voyage pour retourner dans son appartement, dans lequel on comprendra qu’elle a également perdu un enfant, elle esquissera aussi des gestes de cette chorégraphie.

Slate m’apprend que l’actrice qui joue ce rôle est Elsa Wolliaston, jamaïcaine et américaine qui vit en France et qui est une grande figure de la danse contemporaine africaine.

Slate écrit à son propos:

« Cette femme a tout d’un monument: une puissance qui sait la fragilité, une légèreté et une détermination qui d’emblée en imposent. Cette femme est
un monument. »


Un acte de grâce et d’humanité.

On trouve une photo sur Wikipedia qui montre Isadora Duncan avec ses deux enfants Deirdre et Patrick en 1912.

Un site consacré à la Danse publie aussi un article sur ce film et rapporte une autre phrase d’Isadora Duncan qui prend tout son sens au bout de la quête poursuivie par ce film :

« La vraie danse est la force de la douceur : elle est commandée par le rythme même de l’émotion profonde »

La musique sur laquelle ce solo a été dansée est l’<Etude opus 2 N° 1 d’Alexandre Scriabine>

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Mercredi 16 octobre 2019

« Ce matin il est arrivé une chose bien étrange. Le monde s’est dédoublé »
Clara Ysé

Dans mon butinage je suis tombé sur un article du Point qui m’a renvoyé vers <Ce Clip>

Clip étonnant, chanson envoutante, voix androgyne, texte émouvant et beau, j’ai été comme happé.

J’ai fait bien sûr des recherches

Et j’ai compris qu’Ysé était un nom d’artiste.

Cette jeune fille qui chante « J’ai crié que quelqu’un me vienne en aide », s’appelle dans la vie civile Clara Dufourmantelle.

Elle est la fille d’Anne Dufourmantelle.

Cette psychanalyste et philosophe qui a écrit
« La puissance de la douceur » et qui a fait l’objet du mot du jour du <26 septembre 2019>. Le mot qui a suivi celui consacré à <Cécile>

Anne Dufourmantelle qui est morte d’un arrêt cardiaque, conséquence d’un acte spontané de don de soi, pour sauver des enfants qui étaient en train de se noyer.

On comprend mieux le clip et les paroles de cette chanson écrite en hommage à sa mère et pour surmonter l’immense peine.

Elle décrit sa sidération par ces mots :

« Le monde s’est dédoublé, Je ne percevais plus les choses comme des choses réelles.»

Un ami lui vient en aide :

« J’ai accueilli un ami qui m’a pris dans ses bras
Et m’a murmuré tout bas
Regarde derrière les nuages
Il y a toujours le ciel bleu azur
Qui lui vient toujours en ami
Te rappeler tout bas
Que la joie est toujours à deux pas »

Je rappelais dans le mot du jour dédié à Cécile les paroles de Tchekov « Enterrer les morts, réparer les vivants ».

Dans cette chanson cela devient

« Vers un nouveau rivage
Ton cœur est emporté
L’ancien territoire t’éclaire de ses phares »

C’est bouleversant.

Cette chanson se trouve sur un album dans lequel elle chante en français mais aussi en espagnol et en anglais.

J’ai acheté cet album de 6 titres et j’ai appris un nouveau sigle « EP » qui correspond à « extended play », c’est un format de disque qui est plus grand qu’un single qui comporte 2 titres et plus petit qu’un album qui contient au moins 8 titres.

Clara Dufourmantelle a <dit> :

« Cet EP, c’est ce qui m’a permis de vivre »

Oui parce qu’après un évènement brutal comme celui de la mort de sa mère, dans les conditions dans lesquelles cette rupture a eu lieu, il faut continuer à vivre.

La poésie, l’art peut être un moyen.

<Libération> a écrit :

« […] on tombe, interdit, sur la puissance de feu et la folie certaine de la formidable Clara Ysé.

[…] Jonglant entre le français, l’anglais et l’espagnol, Clara Ysé explore un territoire inconnu, en nous bombardant littéralement avec ses bouleversantes chansons habitées par une poésie du réel. Et puis il y a surtout la puissance originale de son chant qui lui permet donc de venir tutoyer ces fameuses figures tutélaires qui elles aussi imaginaient leur propre route sans jamais chercher à se rapprocher d’une quelconque hype éphémère.

Une voix est née. »

Je crois que c’est fort bien écrit et résumé.

Voici les paroles de la chanson : « Le monde s’est dédoublé » de Clara Ysé

Ce matin il est arrivé une chose bien étrange
Le monde s’est dédoublé
Je ne percevais plus les choses comme des choses réelles
Le monde s’est dédoublé
J’ai pris peur j’ai crié que quelqu’un me vienne en aide
Le monde s’est dédoublé
J’ai accueilli un ami qui m’a pris dans ses bras
Et m’a murmuré tout bas

Regarde derrière les nuages
Il y a toujours le ciel bleu azur
Qui lui vient toujours en ami
Te rappeler tout bas
Que la joie est toujours à deux pas

Il m’a dit prends patience
Mon ami prend patience
Vers un nouveau rivage
Ton cœur est emporté
L’ancien territoire t’éclaire de ses phares
T’éclaire de ses phares

Ce matin il est arrivé une chose bien étrange
Le monde s’est dédoublé
J’ai senti le temps se fendre un instant sur les visages même
Le monde s’est dédoublé
Vos corps que je percevais hier encore dans leur exactitude
Ont perdu leur densité

Regarde derrière les nuages
Il y a toujours le ciel bleu azur

Qui lui vient toujours en ami
Te rappeler tout bas
Que la joie est toujours à deux pas
Il m’a dit prends patience
Mon ami prend patience
Vers un nouveau rivage
Ton cœur est emporté
L’ancien territoire t’éclaire de ses phares

Regarde en dessous de la nuit
Y’a toujours le jour qui pose ses lumières
Sur un coin de la terre
Te rappelant tout bas
Que la joie est toujours à deux pas
Je te dis prends patience
Mon ami prends patience
Vers un nouveau rivage
Ton cœur est emporté

L’ancien territoire t’éclaire de ses phares

Regarde derrière les nuages
Il y a toujours le ciel bleu azur
Qui lui vient toujours en ami
Te rappeler tout bas
Que la joie est toujours à deux pas
Il m’a dit prends patience
Mon ami prends patience
Vers un nouveau rivage
Ton cœur est emporté
L’ancien territoire t’éclaire de ses phares
T’éclaire de ses phares

Et <ICI> elle la chante en concert.

Et puis voici une autre chanson de l’EP : <Mama>

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Jeudi 3 octobre 2019

« Malheureusement, pour beaucoup de gens, la seule fois dans leur vie où ils seront face à eux-mêmes, c’est au moment de mourir. »
Richard Béliveau

Richard Béliveau est un docteur en biochimie et un chercheur en cancérologie. Il est canadien.

Je l’ai découvert grâce à David Servan-Schreiber qui lui faisait une grande confiance concernant l’alimentation.

Car Richard Béliveau prétend que l’alimentation constitue une véritable arme pour tenir le cancer à distance et quand il est là, l’alimentation peut aider aussi, même si cela est compliqué.

Mais quand j’attaquerai la seconde partie de ma série sur l’alimentation, je reviendrai vers les propositions du docteur canadien.

Il s’intéresse aussi à un autre sujet. Sujet avec lequel les derniers mots du jour ont, plusieurs fois, été confrontés : la mort.

Et il a écrit un livre, qui comme ceux pour l’alimentation est co-rédigé par le docteur Denis Gingras et dont le titre est « La Mort : Mieux la comprendre et moins la craindre pour mieux célébrer la vie ». Ce livre a été publié en 2010

J’ai trouvé un site canadien qui l’a interviewé à propos de ce livre. Cet entretien m’a beaucoup touché car dans des mots simples, il dit des choses essentielles sur la mort et donc sur la vie.

La mort pour beaucoup constitue un tabou. Une réalité qu’on cherche à fuir par tous les moyens. La suractivité en étant le moyen le plus usité.

Très humblement, je ne crois pas qu’il faut fuir ainsi, car la mort a beaucoup de choses à nous dire sur la vie et le docteur Béliveau essaie de nous aider dans ce sens.

L’ouvrage lui-même, selon ce que j’en comprends car je ne l’ai pas lu, explique les processus biologiques liés à la mort, les différentes causes de mort, et expose des conceptions historiques, culturelles et spirituelles de la mort. Il explore la biologie et les limites de la vie, les rituels de la mort et les craintes qui lui sont associées et décrit les phénomènes entourant la perte de la vie. Le livre est illustré par des copies d’œuvre de l’art, peintures et sculptures offrant diverses représentations de la mort.

L’entretien du docteur Béliveau que j’ai lu se trouve derrière <ce lien>

Il explique pourquoi il a souhaité aborder ce sujet :

« Lorsqu’on s’oriente vers la recherche, c’est pour trouver des solutions à des problèmes non résolus, et le cancer est le tueur numéro un dans les pays industrialisés, dont le Canada. C’est une maladie terrible qui détruit des vies, qui détruit des espoirs et c’est le type de maladie qui illustre parfaitement le paradoxe de la vie. Quand on travaille sur le cancer, on est toujours à la très mince frontière entre la vie et la mort, parce qu’on doit développer des médicaments qui tuent une forme de vie – la vie des cellules cancéreuses – tout en épargnant les cellules saines voisines. Un chercheur en oncologie navigue perpétuellement sur cette mince frontière qui sépare la vie de la mort. Or, dans mon travail, je suis nécessairement en contact avec des gens très malades qui meurent. Et ce contact avec la mort est quelque chose qui exerce beaucoup d’influence. La détresse, la sérénité, ou encore les questionnements existentiels des gens deviennent vôtres, parce qu’ils sont les vôtres. »

Prendre conscience que la vie est quelque chose d’extraordinaire comme l’écrit <Damasio>.

« Ce qui m’attriste, c’est de penser qu’il y a des gens qui meurent sans avoir vécu à leur pleine mesure, sans avoir pris conscience que la vie était quelque chose d’absolument extraordinaire. »

Et il donne cette évidence que la pensée de la mort, m’aide à mieux vivre.

« la mort ne me fait pas peur, je dirais même qu’elle me fascine. Comme être humain, je sais que je vais mourir. Et la pensée de la mort m’aide à mieux vivre. Ça m’aide à donner une perspective, à relativiser les problèmes qui m’agressent au quotidien. »

La mort est devenue un tabou dans notre société qui essaye de l’éviter sauf pendant quelques rares moments, souvent avant une cérémonie funèbre..

Richard Béliveau pratique les arts martiaux et il est passionné par la culture japonaise qui, selon lui, ne connaît pas ce tabou de la mort.

« Je déteste les tabous, quels qu’ils soient. Un chercheur n’aime pas les tabous. Un chercheur est un défonceur de portes. C’est un explorateur de l’inconnu; il fait changer les idées, il provoque des réflexions. »

Il considère que sa réflexion sur la mort et la continuation de son combat pour la vie et contre le cancer :

« Pour moi, c’est la continuité de ce que j’ai fait toute ma vie. Je travaille contre la mort depuis le début. Il m’est juste apparu comme une conséquence inéluctable d’en parler. Une fois qu’on a décidé de se prendre en main, qu’on ne fume pas, qu’on fait de l’exercice, qu’on mange bien, qu’on reste mince et qu’on se tient loin de la bouffe industrielle, quand on a fait tout ce qu’on pouvait faire dans son quotidien pour prendre soin de sa vie, quelle peur nous reste-t-il ? La peur de mourir… Les gens qui sont confrontés à la mort se posent des questions. Comment meurt-on du cancer ? d’une maladie cardio-vasculaire ? [etc…] Je crois que s’il y a une façon de transcender notre peur de la mort, c’est en la comprenant, et en la comprenant au point d’en rire. Parce que tout le monde passe par le même chas d’aiguille en fin de compte. Donc la logique pour moi était de vaincre cette peur-là, d’en parler, d’en parler, d’en parler et d’en parler. Plusieurs perceptions de la mort viennent du cinéma, et toutes ces perceptions sont fausses. On a banalisé la mort, on en a fait un jeu d’arcade, alors que c’est un événement très intime, très personnel, très angoissant.

Selon le Dalaï-lama, « Les gens vivent comme s’ils n’allaient jamais mourir et ils meurent comme s’ils n’avaient jamais vécu. » Ça résume très bien mon dernier livre.

Et il conteste qu’aborder la mort de front soit une marque de pessimisme ou de négation de la vie. Bien au contraire :

«  Les gens les plus vivants que j’ai connus dans ma vie étaient confrontés à la mort sur une base régulière. Ils prenaient conscience de l’aspect précieux de la vie. On ne peut pas savourer la vie si on ne pense pas à la mort. C’est toujours la comparaison entre deux choses qui permet de les mettre en perspective. Des gens m’ont dit avoir commencé à vivre quand ils ont reçu un diagnostic de cancer. C’est aberrant de penser à ça, mais c’est la réalité. Si tous les êtres humains se levaient le matin en se disant que le soir ils pourraient être morts, on ne vivrait pas de la même façon. On conduirait moins vite sur les autoroutes, on serait plus patient avec les autres, on serait plus tolérant avec soi-même. Plutôt que de cacher la mort, la nier, la fuir ou la dénigrer comme on le fait, je pense qu’il y a une réflexion à faire là-dessus. C’est l’ignorance qui tue. L’ignorance de ce qui nous arrive est le facteur principal de stress, alors pour moi, comprendre la mort est capital. »

Et avant de mourir, il faut vivre et avoir une démarche responsable de santé, comme celle d’être acteur de sa guérison quand on est malade en s’inscrivant dans le temps long et la persévérance :

«  On veut tout, tout de suite. On achète des objets dont on n’a pas besoin avec de l’argent que nous n’avons pas. Alors imaginez, nous, on arrive en prévention en disant « faites quelque chose maintenant qui va vous payer plus tard. » On est à contre-courant. Mais en même temps, beaucoup répondent à notre message. C’est faux de penser que les gens sont stupides et qu’ils ne changent pas; 70 % sont ouverts, curieux et prêts à changer. Sur la rue, des hommes bedonnants me disent avoir acheté leur première bouteille d’huile d’olive ou avoir goûté à de la grenade pour la première fois de leur vie. […] Nous sommes, en grande partie, responsables de notre santé !

Il n’y a pas de bouton de remise à zéro dans la vie ! On ne peut pas appuyer dessus et effacer les 30 dernières années.

Arrêtez de penser que vous pouvez fumer, ne pas faire de sport, être trop gras et mal manger pendant 50 ans sans problème. C’est un train de vie qui vous amène chez le médecin. Et là, vite guérissez-moi docteur ! Je ne veux pas que ça fasse mal, je ne veux pas d’effets secondaires, et je veux que ça prenne trois semaines. La responsabilité individuelle pour moi c’est important, il faut se prendre en main. »

Et je finis de le citer par ce constat si dur et si vrai que j’ai choisi comme exergue :

« On est surprotégé de façon hallucinante et pour moi, la façon la plus flagrante de le réaliser, c’est lorsqu’on est confronté à la mort. Parce que la mort, c’est la solitude, et la solitude est une expérience de confrontation à soi-même. Malheureusement, pour beaucoup de gens, la seule fois dans leur vie où ils seront face à eux-mêmes, c’est au moment de mourir.  »

Ce n’est pas morbide de penser à la mort, à sa mort. C’est une leçon de vie qui fait qu’on aborde la vie autrement et dans la vie, sa santé aussi.

Le mot du jour se met en pause ce vendredi et lundi.

Mon frère et son épouse nous font l’honneur de nous rendre visite.

Et je veux me rendre pleinement disponible pour être là dans l’échange et dans la vie.

Je ne pourrai donc pas rédiger de mot du jour qui reviendra normalement mardi 8 octobre.

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Jeudi 13 juin 2013

Jeudi 13 juin 2013
« Je vois la fin de vie comme j’ai vu la mer la première fois,
quelque chose qui s’impose à vous, majestueusement.»
Pierre Mauroy
Pendant longtemps, dans un monde qui était rural, où les générations vivaient les uns avec les autres, où l’espérance de vie à la naissance n’était pas celle d’aujourd’hui (en 1800 sous Napoléon, l’espérance de vie d’une fille née vivante était de 30 ans), où les gens mouraient à la maison, la mort était omniprésente.
Depuis bien des choses ont changé et on parlait peu de la mort, voire on n’en parlait plus du tout.
La mort a été médicalisée, l’espérance de vie s’est multipliée, la norme est la séparation des générations et le fantasme de l’éternelle jeunesse s’est déployé.
Aujourd’hui quelques humanistes en fin de vie (Hessel, mot du jour du 27/02/2013) ou Pierre Mauroy osent en reparler de manière simple et apaisée.
Pierre Mauroy sera inhumé cet après-midi à Lille.

http://www.francebleu.fr/politique/pierre-mauroy/pierre-mauroy-voyait-la-mort-comme-la-mer-la-premiere-fois-15

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